De la TICAD III à la TICAD IV: enjeux et mutations de la politique africaine de coopération du Japon( Télécharger le fichier original )par Patrick Roger Mbida Université de yaoundé II - Master professionnel 2011 |
PREMIERE PARTIE : LE JAPON DANS LA CONFIGURATION MONDIALE CONTEMPORAINE
La notion de configuration a été particulièrement développée par le sociologue allemand Norbert Elias58(*). C'est un « outil conceptuel » qui évite de penser individu et société comme deux entités distinctes et antagonistes. Une configuration inclut les acteurs, leurs interactions et le cadre qui les entoure. Elias prend l'exemple de la configuration que forment quatre hommes assis autour d'une table pour jouer aux cartes : « Ce qu'il faut entendre par configuration, c'est la figure globale toujours changeante que forment les joueurs ; elle inclut non seulement leur intellect, mais toute leur personne, les actions et les réactions réciproques QS ». Donc les relations sociales doivent être étudiées au travers les relations, c'est la « trame » qui compte. On peut trouver une proximité avec le concept de « champ » chez Bourdieu (d'ailleurs, dans ses premiers textes, avant de forger le concept de configuration, Elias parle de « champ social ». Donc pour penser les relations entre individu et société, il faut rompre avec la pensée sous forme de substances isolées et passer à une réflexion sur les rapports et les fonctions, donc à une pensée relationnelle. Penser ainsi le japon dans la configuration mondiale, revient à le saisir non de manière isolée, mais plutôt comme un acteur mis en perspective dans un faisceau de relations diversifiées avec les autres composantes de la scène internationale. Comment le japon se perçoit- il dans ses relations avec les autres ? Quelles sont les perceptions que les autres ont du Japon dans leur relation ? Voilà autant d'interrogations auxquelles qu'il sera idoine d'apporter des éléments de réponses ici. Cette partie s'articulera ainsi autour de trois points focaux à savoir le Japon dans l'architecture internationale (chapitre 1), le japon dans la zone de co-prospérité Est-asiatique (chapitre 2), le japon dans le paysage africain (chapitre 3). CHAPITRE I : LE JAPON DANS : L'ARCHICTECTURE INTERNATIONALE : UNE PUISSANCE MOYENNE ?Ce chapitre s'articulera autour de deux axes principaux : en premier lieu, il sera question de théoriser la notion de puissance moyenne (section I) avant de l'opérationnaliser sur le cas japonais (section II). SECTION I : LA NOTION DE PUISSANCE MOYENNE : A LA RECHERCHE D'UN SENSQu'entend- on par puissance moyenne ? Ce concept, malgré qu'il soit fort répandu au cours des dernières années dans la théorie des relations internationales, reste tout de même aux yeux de certains auteurs ambiguë59(*). L'idée même de puissance moyenne selon Bertrand Badie, se profilait déjà lors des négociations de paix à Versailles, les « grandes puissances » se voyant reconnaitre le droit de disposer de cinq délégués, les « petites puissances » de trois, les « Etats nouveaux » de deux, les « Etats en formation d'un seul comme les neutres...60(*) Afin de saisir de manière plus ou moins objective le concept de puissance moyenne, il est idoine de retenir certains éléments principiels nécessaires pour l'analyse. Le plus fondamental d'entre eux c'est de concevoir la puissance moyenne comme un Etat. L'adoption d'une telle vision impose une conception stato centrée du système international dans lequel les puissances sont définies comme des entités géographiquement limitées et localisables dans l'espace et dans le temps. Le terme moyen signifiant une position intermédiaire occupée dans un spectre séparé par deux extrêmes, implique l'existence au moins de deux autres types de puissances reconnus traditionnellement comme « grande » et « petite ». La puissance moyenne dans son acception basique va renvoyer à un Etat qui n'est ni une grande, ni une petite puissance. C'est donc par conséquent un concept relatif car, pour le déterminer, il faut au préalable identifier les deux pôles extrêmes. Un regard synoptique sur la littérature actuelle sur ce point fait ressortir l'existence de trois approches bien que distinctes mais complémentaires permettant de saisir la notion de puissance moyenne (paragraphe I), ces dernières nous permettrons d'avoir une précision conceptuelle plus ou moins claire sur cette notion (paragraphe II). PARAGRAPHE 1 : LES TROIS PRINCIPALES APPROCHES DE LA NOTION DE PUISSANCE MOYENNETrois principales approches de puissance moyenne ont été systématisés par Adam Chapnick qui a suggéré que l'on pouvait appréhender ce concept suivant trois modèles à savoir ; fonctionnel, behavioriste et hiérarchique61(*). En 1942, le diplomate canadien Hume Wrong, réfléchissant au sujet de l'engagement du Canada sur la scène internationale, va articuler ce qui va constituer la première philosophie de politique étrangère canadienne. Cette philosophie reposera sur ce qu'il appellera le principe fonctionnel. En effet, discutant sur le rôle du Canada dans le processus décisionnel au sein du camp des alliées en pleine guerre, il soutient ainsi que l'influence canadienne doit s'appuyer sur trois bases fonctionnelles à savoir ; l'extension de son engagement, de son intérêt national et de sa capacité à participer à la situation en question. Plus tard, Granastein62(*) soutiendra que le principe fonctionnel était la première énonciation du concept de puissance moyenne. En 1944, en s'appuyant sur le cas canadien, le premier ministre d'alors Mackenzie King soutiendra que le Canada doit se représenter au moins comme une des puissances moyennes, des puissances intermédiaires qui devraient amener la communauté internationale à reconnaitre que la puissance et la responsabilité vont de pair. King pensait que les Etats qui avaient des intérêts fonctionnels dans les affaires internationales étaient d'une grande importance que ceux qui n'en avaient point. Par conséquent, ces Etats particuliers, appelés puissance moyenne étaient considérés différemment par les grandes puissances. De la sorte, le statut de puissance moyenne attribué à un Etat lui desservait par la même occasion une reconnaissance formelle de la part des autres.63(*) Le lien entre les capacités fonctionnelles et le statut de puissance moyenne fut développé par Lionel Gelbert qui soutiendra que ; « du moment où les grandes puissances tendent à se différencier des autres du fait de leurs grandes responsabilité qu'elles assument sur la scène internationale, il serait convenable que les puissances moyennes puissent également se différencier des petites puissances par le même critère mobilisé par les puissances majeures. La prise en compte d'une voix dans les décisions majeures doit correspondre à la capacité d'imposition de celui qui l'émet. »64(*) En 1988, Bernard Wood fit cette observation selon laquelle « de manière informelle, les puissances moyennes sont souvent enclin à assumer certaines responsabilités spécifique afin de gagner en influence dans certains domaines fonctionnels où leurs intérêts semblent apparaitre fort élevés » 65(*) Le mérite de l'approche fonctionnelle de la puissance moyenne réside dans le fait qu'elle nous permet d'identifier les Etats qui sont capables d'exercer une influence certaine sur le cours des affaires internationales dans certains domaines particuliers, ce qui les singularise par conséquent des autres. Vu sous le prisme de ce modèle, les grandes puissances peuvent être appréhendées comme ces Etats qui exercent une réelle influence internationale sur toute problématique peu importe les circonstances qui ont favorisé son émergence tandis que les petites puissances désigneraient ces Etats incapable d'exercer une quelconque influence. Par conséquent, les puissances moyennes seront entendues comme ces petites puissances qui vont temporairement s'élever en statut. De ce fait, elles perdront automatiquement leur statut temporaire de moyenne puissance aussitôt que leurs capacités à influer sur le cours des affaires internationales dans certains domaines spécifique déclineront. La prise en compte de l'approche fonctionnelle pour cerner le concept de puissance moyenne semble donc être avantageuse aux petits Etats qui apparaissent relativement forts et influents dans certaines situations particulières. Ce modèle occupe une place de choix dans la littérature concernant le concept de puissance moyenne. Face à l'ambiguïté du concept même de puissance moyenne, Louis Bélanger et Gordon Mace durent conclure en ces termes « nous sommes forcés de déduire que pourront être reconnues comme puissances moyennes seuls les Etats qui auront démontré une réelle capacité de modéliser leur comportement conformément à ce statut »66(*) Ce modèle a été systématisé par Andrew Cooper, Richard A. Higgott et Kim Richard Nossal. Ce trio identifie les puissances moyennes par « leur forte tendance à privilégier les solutions multilatérales aux problèmes internationaux, leur désir de rechercher toujours un compromis face aux différends internationaux et leur volonté de s'approprier du principe de citoyenneté internationale exemplaire devant guider leur diplomatie »67(*) Le multilatéralisme, la gestion des conflits et la puissance morale, telles sont les notions clé qui résument la littérature majeure concernant l'approche behaviouriste de puissance moyenne. Le modèle behaviouriste identifie également les puissances moyennes à travers le désir qu'elles expriment à changer véritablement de statut au sein de l'échiquier international. C'est ainsi que Bernard Wood a caractérisé les puissances moyennes comme des leaders régionaux, des hérauts du multilatéralisme, et des puissances morales68(*). Quant à Cranford Pratt, il soutient que la prégnance de la tendance multilatérale affichée par les puissances moyennes constitue une véritable stratégie mise sur pied par elles afin de promouvoir et préserver leur intérêt national69(*). c) Le modèle hiérarchique Carsten Holbraad fait remonter ce modèle aux travaux Thomas d'Acquin qui soutient que la notion de « puissance moyenne ou de tout autre synonyme a toujours été un concept relationnel dans la mesure qu'il est défini ou décrit en relation avec les autres composantes du système, notamment les grandes puissances 70(*)» Dans cette perspective, le concept de puissance moyenne fut introduit de manière formelle par les travaux de David Mitrany au début des années 1930. En effet, Mitrany soutient que le système international est fondamentalement composé par deux principales catégories d'Etats : les grandes puissances et les petites. Néanmoins, remarque -t-il, certains des petits Etats devenaient de plus en plus puissants et contraignirent progressivement les grandes puissances à reconnaitre la gradation de leur influence et de n'être plus considérés comme de simples petites puissances71(*). Plus tard, David B. Dewitt et John J. Kirton expliqueront que la vision hiérarchisée et stratifiée du système international qu'avaient les premiers auteurs à l'instar de Mitrany dans lequel la combinaison des capacités objectives, des positions occupées et du statut reconnu aux divers acteurs internationaux produira ainsi trois classes d'Etats qui sont ; les grandes puissances, les moyenne, et les petites.72(*) L'approche hiérarchique satisfait ainsi en grande partie le désir d'une appréhension objective de la notion de puissance moyenne. Elle tend à définir toutes les puissances comme des Etats, opère un distinguo clair entre les grandes et les petites puissances et repère les puissances moyennes qu'en relation avec les deux premiers pôles dans une échelle où les positions sont mouvantes. En fin de compte, l'on peut dire que si l'approche fonctionnelle tente de normaliser le statut des Etats à chaque fois que leur puissance se trouve quelque peu surestimée, le raisonnement qui structure l'explication behaviouriste, est quant à lui circulaire car il pense le comportement de puissance moyenne comme le produit des actions menées par des Etats considérés eux -même en tant que tels. Quant à l'interprétation hiérarchique, elle recherche fondamentalement à identifier les Etats selon leurs positions respectives occupées au sein de l'échelle internationale. * 58 Dans Qu'est-ce que la sociologie ? , en poche Pocket, 1970 * 59 A l'instar d'Adam Chapnick dans «the Middle Power» in Canadian Foreign Policy, Vol. 7, No. 2 Winter 1999,p 73 * 60 B. Badie (2008), Le diplomate et l'intrus, Paris, Fayard, p.218 * 61 A. Chapnick, op.cit, pp : 73-77. D'autres auteurs à l'instar de Louis Bélanger et Gordon Mace (1997) travaillant sur les « Etats moyens » ont également déterminé trois critères permettant d'identifier les puissances moyennes à savoir relationnel, behavioriste et positionnel (cf. «Middle Powers and Regionalism in the Americas,» in Andrew F. Cooper (ed.) Niche Diplomacy: Middle Powers after the Cold War, Great Britain: Macmillan Press. * 62 J.L Granatstein, (ed.) (1970), Canadian Foreign Policy since 1945: Middle Power or Satellite? Toronto: Coop Clark Publishing Company. * 63 A. Chapnick, op.cit, p74 * 64 L. Gelber, (1945). «Canada's New Stature» in Foreign Affairs 24 (October - July), pp:280-281 * 65 B. Wood, (1988), The Middle Powers and the General Interest ,Ottawa: The North South Institute,p4 * 66 L. Bélanger et G. Mace (1999). «Building Role and Region: Middle States and Regionalism in the Americas» in Bélanger and Mace The Americas in Transition: the Contours of Regionalism, Boulder, Colorado: Lynne Rienner Publishers,p153 * 67 R. Cooper, A. Higgott et K. R Nossal (1993), Relocating Middle Powers: Australia and Canada in a Changing World Order ,Vancouver: UBC Press,p.19 * 68 B. Wood, op.cit, pp : 19-20 * 69 P. Cranford (1990). «Has Middle Power Internationalism A Future?» in Cranford Pratt (ed.) Middle Power Internationalism: The North South Dimension ,Kingston & Montreal: McGill- Queen's University Press,p.151 * 70 C. Holbraad (1984), Middle Powers in International Politics ,London: Macmillan, chap 1, p.42 * 71 D. Mitrany (1933). The Progress of International Government, London: George Allen & Unwin Ltd, p107. * 72 D. B Dewitt and J. J Kirton (1983). Canada as a Principal Power ,Toronto: John Wiley & Sons p.22 |
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