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L'application par les juridictions répressives internationales de l'article 3 commun aux conventions de Genève et du protocole additionnel II auxdites conventions: cas du tribunal pénal international pour le Rwanda

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par Jean Baptiste UWIHOREYE MUKARAGE
Universite Nationale du Rwanda - Licence en Droit 2006
  

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B. La responsabilité pénale des supérieurs hiérarchiques civils

La possibilité que la responsabilité des civils soit engagée au titre de la responsabilité hiérarchique est traditionnellement contestée80(*). En effet, la TPIR, tout en reconnaissant que la responsabilité du supérieur est issue du droit militaire, a cependant considéré que le principe peut également s'appliquer aux responsables hiérarchiques civils, y compris le cas de crimes de guerre, à condition que les pouvoirs de ces derniers soient assimilables à celui des militaires81(*).

Etant donné que cette responsabilité pénale soulève des controverses dans son application, le TPIR a toujours insisté qu'une analyse s'avère nécessaire pour s'assurer que l'accusé avait le pouvoir dévolu au supérieur afin de décider s'il avait la capacité effective d'imposer des mesures pour empêcher la Commission des crimes ou en punir les auteurs82(*).

Dans l'affaire Kayishema et Ruzindana, il a été considéré que le fait de rapporter la preuve que l'accusé était le supérieur de jure ou de facto, et que c'est pour donner effet à ses ordres que les atrocités ont été commises,  suffit pour établir sa responsabilité en tant que supérieur hiérarchique83(*).

Il s'ensuit que c'est à partir du degré effectif de contrôle du supérieur hiérarchique que l'on peut déterminer s'il a raisonnablement pris des mesures requises pour empêcher le crime ou en punir les auteurs. Par conséquent, dans certaines circonstances, un commandant peut s'acquitter de son obligation d'empêcher ou de punir en signalant l'affaire aux autorités compétentes84(*).

Il convient de constater que la question de l'évaluation du pouvoir dévolu à l'accusé a été pertinente dans le cas d'Alfred Musema, ancien directeur de l'usine à thé de Gisovu, dans l'ex-préfecture de Kibuye. Musema était accusé en vertu de l'article 6 (3) d'avoir profité de son influence locale en tant que directeur de l'usine à thé pour amener les habitants de cette région à participer aux massacres. La Chambre note que l'accusé jouissait d'une renommée certaine et d'une bonne assise sociale dans l'ex-commune Gisovu85(*).

Dans cette affaire, la Chambre de première instance du TPIR, a admis que l'influence est un pouvoir de commande informel et qu'elle peut constituer une base suffisante à l'application de la notion de responsabilité pénale du supérieur hiérarchique86(*).

Un tel pouvoir de contrôle, même factuel, implique le plus souvent un lien de « subordination indirecte » dont le concept a été dégagé à l'article 87 du Protocole additionnel I aux Conventions de Genève qui, en l'opposant au lien de « subordination directe », le définit comme supposant une obligation du commandant de prévenir les infractions aux Conventions de Genève qui s'étend, par delà ses subordonnés directs, « aux autres personnes sous son autorité87(*) ».

Cependant, la Chambre n'a pas retenu la responsabilité de Musema sur base de l'article 6 (3) du Statut du TPIR. Elle a, à cette occasion, motivé sa décision en ces termes :

[...] s'agissant des autres membres de la population de la préfecture de Kibuye, y compris les ouvriers des plantations de thé villageois, la Chambre se déclare convaincue que Musema était considéré comme un personnage occupant une position d'autorité, investi d'un pouvoir considérable dans la région mais estime qu'il n'a pas été établi au-delà de tout doute raisonnable, sur la foi des preuves qui lui ont été soumises que Musema exerçait effectivement une autorité de jure et un contrôle de facto sur ces individus88(*).

En effet, la lecture de ce passage nous amène à conclure que le TPIR reconnaît que l'influence peut constituer un indice d'un pouvoir ou l'autorité que l'influant peut avoir sur des personnes données et que ces dernières peuvent être considérées comme des subalternes placées sous son autorité. Et partant, il sera responsable de leurs actes s'il est établi que ce supérieur n'a pas pris des mesures requises pour empêcher le crime ou en punir les auteurs. Dans tous les cas, l'imputation au supérieur civil des actes de ses subordonnés doit se faire en considération du contrôle effectif qu'il exerçait sur les auteurs du crime.

Comme déjà dit, le supérieur civil n'est pas au pied d'égalité que son homologue militaire. Le supérieur civil n'est pas de prime abord tenu au devoir d'être informé de chacune des activités de ses subordonnés dans la mesure où il n'a pas les mêmes pouvoirs de contrôle, de commandement et de répression que ceux attribués à un supérieur militaire.

Sur ce point, nous partageons l'avis de M. HENZELIN selon lequel une responsabilité étendue du supérieur hiérarchique civil, sans que ce dernier ait les mêmes pouvoirs que son homologue militaire, irait à l'encontre du principe de l'égalité et du principe in dubio pro libertate89(*). Cependant, il faut admettre que les supérieurs civils qui se trouvent de facto dans la même situation que les militaires en termes de contrôle et de commandement soient tenus responsables, lorsqu'ils omettent d'agir par négligence consciente ; alors que les civils ordinaires ayant des positions de garant ne peuvent encourir une responsabilité pénale que lorsqu'ils omettent intentionnellement d'agir, y compris par dol éventuel90(*).

La responsabilité pénale individuelle de l'accusé, étant mise en oeuvre, nous allons dans le deuxième chapitre étudier les critères retenus par le TPIR en application de l'article 3 commun aux Conventions de Genève et du Protocole additionnel II.

* 80 F. MEGRET, op. cit., p. 209.

* 81 Le Procureur c. Musema, jugement, cité à la note 16, §. 148 ; le Procureur c. Bagilishema, jugement, cité à la note 53, §§. 42-43 ; le Procureur c. Kayishema et Ruzindana, jugement, cité à la note 16, §. 213.

* 82 Le Procureur c. Musema, jugement, cité à la note 16, §. 135 ; le Procureur c. Akayesu, jugement, cité à la note 21, §. 491 ;

* 83 Le Procureur c. Kayishema et Ruzindana, jugement, cité à la note 16, §. 223.

* 84 Le Procureur c. Blaskic, jugement, cité à la note 58, §. 335.

* 85 Le Procureur c. Musema, jugement, cité à la note 16, §§. 109, 868-878.

* 86Id., §§. 138-140.

* 87Id., §. 143.

* 88 Id., §. 881.

* 89 Cet adage n'est qu'une variante de in dubio pro reo, commandant de libérer le prévenu des liens de la poursuite dès l'instant que subsiste la plus petite incertitude quant à la participation à l'infraction ; il intéresse, aussi, la matière extra pénale et signifie, alors, que l'on doit reconnaître à l'individu une totale liberté d'agir lorsque le domaine d'application d'un texte restrictif laisse place à la discussion.

* 90 M. HENZELIN, op. cit., p. 124.

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