Appréciation souveraine du juge dans la détermination de la proportionnalité entre l'attaque et la riposte: cas d'une victime-agresseur originel( Télécharger le fichier original )par Elysee AWAZI BIN SHABANI Université de Goma - Licence 2010 |
§3. La période de la justice publiqueJusque-là, la justice répressive s'est déroulée selon certaines règles de fond et de forme posées par le pouvoir central et destinées à canaliser la vengeance privée ; l'Etat se contentait de prêter assistance à la partie lésée pour lui permettre d'obtenir justice, de vérifier la licéité et le déroulement régulier d'une vengeance de plus en plus limitée. Mais cette justice restait privée par son déclenchement (l'initiative revenant à la partie lésée), par son déroulement (conduit en entier par celle-ci) et même par le but poursuivi (qui est essentiellement de satisfaire la victime et ses proches, l'ordre social tirant cependant un certain bénéfice de cette sanction et la tâche des autorités publiques devant s'en trouver facilitée. La justice ne deviendra une justice publique qu'au moment où l'Etat aura pris en mains la direction de la répression et l'aura organisée de telle sorte qu'elle aura pour objet essentiel la réparation du préjudice social, et que la partie privé se trouvera reléguée sur un plan accessoire à tel point que le procès pénal pourra se dérouler normalement sans que son intervention soit indispensable. 1. Eléments de la transformation de la justice privée en justice publique. Divers éléments permirent le passage de la justice privée à la justice publique. 1° La nécessité d'une intervention judiciaire avant toute vengeance privée se généralisa. Il est d'ailleurs impossible de bannir toute violence privée de la vie sociale ; celle-ci reste légitime lorsque les pouvoirs publics ne sont pas en mesure d'assurer de façon adéquate la protection des citoyens (aujourd'hui encore la légitime défense est admise ; en présence d'un danger nécessitant une réaction immédiate, le vieux droit de vengeance privée réapparaît). Mais les autorités publiques prendront soin de vérifier si le justicier trouvait bien dans un cas où la violence privée était permise. Cette violence restera également légitime pour contraindre le malfaiteur à comparaître devant le magistrat. 2° Pour généraliser l'intervention des autorités judiciaires à l'occasion de chaque infraction grave commise, l'Etat étendit largement le droit d'accusation. Dans la Grèce antique on en arrive à donner ce droit non seulement à tous les parents (Dracon) mais aux voisins, aux amis, aux témoins (Solon), aux simples citoyens. D'autre part les pouvoirs publics assuraient déjà le déclenchement de la répression en de nombreuses hypothèses : bras séculier de la divinité, ils avaient l'initiative des poursuites en cas de sacrilège ; responsables du bien être général, c'est à eux qu'il appartenait d'agir en cas de faits graves mettant la collectivité en péril (trahison par exemple). Plus tard ils jugèrent utile de prendre en mains la défense des isolés et des faibles, dépourvus de protecteurs et de vengeurs naturels. La cité prend ainsi sous sa protection les veuves et les orphelins, les voyageurs, les étrangers, et s'institue gardien de leurs intérêts (le droit d'aubaine apparaît ainsi comme une contrepartie logique de la protection accordée). Par ces divers moyens on arrive progressivement à ce que tout trouble social sérieux amène quasi automatiquement des poursuites et l'intervention des tribunaux établis par l'Etat. 3° Il reste cependant à donner à la sanction un caractère social, c'est-à-dire à la faire apparaître comme intervenue au nom de la société et au bénéfice de celle-ci. Or, à l'époque précédente, le châtiment apparaît purement privé, il dédommage la victime de son préjudice et de sa soif de vengeance. Il va falloir que l'Etat se fasse une part dans le châtiment dont il a facilité l'intervention, et qu'il conserve le profit de la vengeance en même temps qu'il prend à sa charge l'exercice de celle-ci44(*). C'est ce qui va se passer à mesure que l'Etat prend l'habitude de faire exécuter la peine lui-même par des fonctionnaires spéciaux, pour éviter ce souci à la partie lésée ; ainsi la peine de mort ou le talion, exécuté par un bourreau officiel, prennent l'aspect d'une sanction sociale. C'est ce qui va se passer également lorsque le procès pénal aura été engagé par les pouvoirs publics à raison de la nature de l'infraction ou de la qualité de la victime. 2. Les caractères de la justice publique. 1° Toute infraction entraîne obligatoirement une intervention judiciaire. Il est désormais interdit à la victime de se faire justice à elle-même (sauf certaines circonstances très exceptionnelles), elle doit s'adresser aux représentants du pouvoir central pour demander justice. Le rôle du juge va alors se compliquer : au lieu de se contenter d'observer la régularité de la vengeance, il lui faut entendre des témoins, apprécier la culpabilité, résoudre l'angoissant problème de la preuve. La fonction de justice est un des devoirs fondamentaux du chef féodal, il en répond personnellement même s'il ne l'exerce pas lui-même. 2° L'action répressive appartient à la société tout entière. Elle cesse d'être une action privée, pour devenir une action publique ; c'est la société tout entière qui est atteinte par l'infraction à ses lois et qui réagit, avec l'aide (de moins en moins utile de la partie privée. 3° La peine est infligée au nom de la société et au bénéfice de celle-ci. Elle constitue une sanction sociale nettement distincte de la sanction du dommage privé ; le châtiment correspond à l'infraction commise aux règles du groupe, au trouble causé au sein de celui-ci. La « vindicte sociale » a remplacé la vengeance privée. Plus tard on nuancera la sanction pour la faire, servir non seulement à un but primitif de vengeance et l'intimidation, mais à des buts plus élevés tels que l'amendement de l'individu. Lorsque ces trois caractères sont réunis dans les institutions répressives d'un pays, on peut dire que celui-ci est parvenu ou parvient au stade de la justice publique. La violence privée ne conserve plus que des domaines exceptionnels très limités (flagrant délit, légitime défense), la partie privée apporte une aide secondaire au déclenchement et au déroulement de la procédure (partie civile) mais elle ne peut aller plus loin sans empiéter sur les prérogatives régaliennes. Richelieu ne se trompait pas en voyant dans le duel, que certains nobles entendaient continuer à utiliser pour régler leurs différends, une pratique éminemment délictueuse et attentatoire à la souveraineté royale. * 44 G. STEFANI et G. LEVASSEUR, op. cit., pp. 56-62. |
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