V. CONCLUSION
Le Titre I étant notre préambule, c'est dans notre
Titre II que nous avons relevé, pour commencer, l'existence d'un embargo
médiatique, d'une << censure par excès >>.
Dans un premier temps, nous avons commencé par battre en
brèche l'argument de la Loi de la majorité, dont les journalistes
se servent copieusement pour se déresponsabiliser sur le sujet.
En effet, après avoir mis en évidence
l'existence d'un cercle vicieux << absence d'exposition médiatique
- absence de résultats électoraux >>, nous avons vu que
cette loi était à géométrie variable
(épisode de Rudy AERNOUDT, et les 10 % que pourrait faire
l'ExtrêmeGauche).
Dans un deuxième temps, nous sommes passés
à la mesure proprement dite. Nous avons tout d'abord appris que des
journalistes politiques de renom n'avaient plus parlé de
l'ExtrêmeGauche depuis plus d'un quart de siècle. Nous avons aussi
vu que les quatre << grands >> partis francophones
représentent près de 97% des invités politiques
francophones du dimanche midi. Nous avons ainsi constaté une
sous-représentation de certains << petits >> partis, dont
ceux d'Extrême-Gauche.
Ensuite, nous avons montré que, non seulement cette
exposition médiatique était inférieure à la
représentativité électorale, mais que ladite exposition
était en outre concentrée dans le calendrier et dans la grille,
tout en étant limitée en terme de minutes et compensée par
une << double ration >> de partis traditionnels.
Enfin, après avoir remarqué que sur Internet, la
situation était loin d'être mauvaise en terme quantitatifs (4% de
présence dans le Talk élections de RTL TVI), nous avons
précisé que l'audience n'était pas la même et,
introduisant ainsi déjà la suite de notre développement,
qu'un biais qualitatif venait tout balayer.
Dans un troisième temps, nous avons introduit le
concept de débats << vraiment faux >>. Ainsi, en l'espace de
trois mois, malgré une bonne vingtaine d'émissions du dimanche
midi portant sur la crise, jamais l'Extrême-Gauche ne fut invitée
à donner son avis, alors même que lorsqu'on débat de la
direction que le pape donne à l'Eglise catholique, l'Opus Dei est
convié.
Parallèlement, nous avons constaté une
sureprésentation chronique des faits divers et de la crise communautaire
(des dossiers fustigés par l'Extrême-Gauche) par rapport à
certains dossiers portés par l'Extrême-Gauche, en l'occurrence
celui des Sans-papiers.
Nous en avons aussi profité pour toucher mot de la
problématique des invités permanents (représentant,
à douze, 36% des invités dominicaux), faisant que ce ne sont pas
des éléments socialistes du Parti Socialiste qui promeuvent ce
parti.
Ceci étant, l'embargo médiatique n'est pas la
seule épine dans la rose médiatique. Vient en effet s'y greffer,
en ce qui concerne l'Extrême-Gauche, un biais qualitatif, objet de notre
Titre III.
Et dans un premier temps, après avoir questionné
l'opportunité d'un tel biais, nous avons amené le concept de
débats, cette fois, << faussement vrais ». A cette fin, nous
avons évoqué les perpétuelles allusions à l'URSS et
les recentrages immédiats, lorsque l'Extrême-Gauche tente de
s'affranchir de son étiquette d'extrémiste pour se
réclamer simplement de Gauche.
Dans un deuxième temps, nous avons vu que
l'Extrême-Gauche passait, dans les médias, pour un bord politique
résolument tourné vers le passé. Economiquement
dépassé, et dans un combat n'ayant plus de sens aujourd'hui.
Dans le même ordre d'idées, nous avons
évoqué ces euphémismes pacificateurs (troquant, notamment,
le concept de << classes sociales » pour celui de << couches
sociales »), des euphémismes faisant passer le vote
Extrême-Gauche pour superflu.
Nous avons aussi vu que, si cela ne suffisait pas à
couper l'envie d'un vote à << la Gauche de la Gauche », les
journalistes pouvaient toujours faire dans la dérision. En vissant,
comme Grégory GOETHALS, une casquette de travers sur leur tête, ou
en demandant si la participation aux élections ne relève pas plus
d'un << coup de gueule » que d'un << vrai programme avec des
vraies idées ».
Dans un troisième temps, nous avons fait le constat que
l'Extrême-Gauche passait également, dans les médias, pour
un bord politique résolument dangereux. Avec une association très
claire à l'Extrême-Droite au pire, à Jean-Marie DEDECKER au
mieux. Avec, aussi, la
dénonciation d'un obscur noyautage des syndicats et d'un
usage de la violence (avec, en prime, des << positions équivoques
à l'égard du terrorisme islamiste >>).
Nous avons alors conclu, en partant du principe que
l'électeur moyen connait l'offre politique à la gauche du PS et
d'Ecolo (ce qui n'est pas gagné, au vu de notre Titre II), que ladite
offre a peu de chances de lui paraitre séduisante, en vertu des
éléments développés dans notre Titre III.
Et que c'est l'Extrême-Gauche, et non les <<
petits >> partis dans leur ensemble, qui sont marginalisés
médiatiquement, puisque des partis comme le RWF, s'ils font globalement
aussi l'objet d'une sous-représentation, en revanche ne font pas l'objet
d'un biais qualitatif.
Est venu alors notre Titre IV, qui avait pour but de mettre en
évidence les raisons à même d'expliquer cette
marginalisation médiatique de l'Extrême-Gauche dans la partie
francophone de notre plat pays.
Dans un premier temps, nous avons abondamment parlé du
rôle joué par la possession. Pour ce faire, nous avons d'abord mis
en évidence, d'une part l'influence des annonceurs (la radio pouvant
ainsi se permettre d'inviter Mateo ALALUF, les mesures d'audience s'y faisant
tous les six mois, et non tous les jours comme à la
télévision), et d'autre part le rôle de la concentration
(avec ces pages communes sur l'Economie, entre La Libre Belgique et
La Dernière Heure/Les Sports).
Et vu que posséder des médias est moins affaire
de plus-value économique que de plus-value idéologique, nous nous
sommes forcément interrogé sur l'existence d'une censure. Nous
avons alors vu que, s'il y avait bien de temps à autre des incidents
(Le Vif/L'Express à l'hiver 2009), la plupart du temps la
censure s'avère inutile, ce qui nous renvoyait déjà
à d'autres pistes, explorées dans un deuxième et un
troisième temps.
D'ici là, restant sur la problématique de la
possession, nous avons consacré plusieurs pages au service public, et
plus particulièrement au Conseil d'administration de la RTBF,
officiellement politisé (on parle même d'administrateurs <<
relais des partis >>). Et nous avons mesuré que, si le PS a une
majorité absolue dans ce Conseil, cela ne se traduit pas pour autant par
une présence accrue à l'antenne, tout du moins au niveau des
invités politiques. En revanche, nous avons noté que, sans
l'émission du 17 mai 2009, aucune de la quarantaine de semaines
d'émissions de la saison de Mise au point n'aurait vu la venue
d'un parti ne siégeant pas audit
Conseil, chose d'autant moins défendable que la RTBF
est financée par l'ensemble des contribuables, en ce compris donc des
contribuables votant pour des << petits >> partis. Cette
politisation, faisant que l'argument de la raison ne prime pas dans les
décisions (avec, notamment, un conditionnement des carrières),
parait d'autant plus surréaliste à partir du moment où
elle est dénoncée par des Johanne MONTAY, dont on a pourtant pu
remarquer par ailleurs l'hostilité aux thèses
développées dans ce Mémoire.
Cette partie sur les possessions fut éclairante en
regard de notre question de Mémoire puisque, en vertu du principe de
jouissance de sa propriété, il est raisonnable de penser qu'un
média est la caisse de résonance de son propriétaire. Or,
si l'Extrême-Gauche possède bien quelques antennes
médiatiques, celles-ci ne font pas le poids face aux médias
dominants. Des médias sur lesquels l'Extrême-Gauche n'a pas prise,
contrairement au Parti socialiste ou à Ecolo, en ce qui concerne la
Gauche et le service public.
Dans un deuxième temps, nous avons évoqué
les ponts entre le monde des médias et les mondes politique et
économique. Tout d'abord en parlant du Cercle de Lorraine, ce lieu
huppé destiné à tisser des << liens forts >>
entre ses membres (sachant que le Cercle ne compte pas de cadres du parti
Ecolo, ni même de syndicalistes). Le souci, ici, c'est que lesdits liens
induisent une probabilité accrue que les hommes de médias
présents se transforment en porte-voix de leurs amis du Cercle. Que,
à tout le moins, ils véhiculent les mêmes valeurs.
Toujours au sujet des ponts, nous avons aussi parlé des
conséquences d'une relation sur le long terme, et par moments plus
informelle, entre médias et politique. Sur le sujet, les journalistes
rencontrés sont montés sur leurs grands chevaux, vantant leur
capacité à faire la part des choses, leur capacité au
professionnalisme. Le problème, c'est que, là encore et comme
nous l'avons constaté plus loin, cette capacité est à
géométrie variable.
Dans un troisième temps, nous avons parlé
orthodoxie et hétérodoxie. Au sujet de l'orthodoxie tout d'abord,
nous avons avancé l'idée qu'il y avait une sorte de promotion des
journalistes bien-pensants. Un << écrémage >> faisant
que le sentiment de liberté des journalistes est authentique. Et ce
sentiment de liberté, en l'occurrence quant au fait de ne pas parler de
l'Extrême-Gauche, on ne le retrouve pas uniquement dans les sommets
hiérarchiques. En effet, il s'avère que le profil sociologique
des étudiants en journalisme fait que, l'Extrême-Gauche, on
connait assez mal, à la base. Que les mouvements sociaux, on n'a jamais
vraiment baigné dedans.
En ce qui concerne l'hétérodoxie, on a
noté que bien des journalistes << tendance gaucho >> (Wahoub
FAYOUMI, Gérard DE SELYS ou Martine VANDEMEULEBROUCKE) connurent et
connaissent encore des problèmes dans leurs carrières suite
à leurs inclinaisons idéologiques, quand bien même ces
inclinaisons restaient sans conséquence dans leur traitement de
l'information. Une capacité au professionnalisme à
géométrie variable, disions-nous. Et c'est d'autant plus flagrant
que cela ne concerne pas une Hakima DARMOUCH, pourtant ancienne porte-parole de
Louis MICHEL.
Dans un quatrième temps, enfin, nous avons
abordé le thème de la précarisation, que nous avons voulu
présenter sous une double facette. La première facette,
économique, concernait la multiplication des pigistes et autres
stagiaires, des statuts ne mettant pas en position de << faire des vagues
>>. La seconde facette, corollaire de la première, nous l'avons
appelée << Syndrome Jean-Pierre MARTIN >>, du nom de ce
journaliste de RTL TVI traitant bien souvent trois dossiers internationaux dans
un même journal télévisé. Pierre BOURDIEU nommait
cela << fast-thinking >>, une façon de faire étant
propice au recyclage d'idée reçues, et donc peu propice à
la diffusion d'idées non reçues, comme celles
d'Extrême-Gauche. Et c'est là-dessus que nous avons
clôturé notre Titre IV.
Ce qu'on peut retirer de ce Mémoire comme enseignements,
c'est globalement deux choses.
D'une part, l'Extrême-Gauche francophone belge est
marginalisée dans les médias francophones belges. Elle l'est pour
deux raisons. Premièrement, son exposition médiatique est
inférieure à sa représentativité électorale.
Deuxièmement, elle fait l'objet d'un biais qualitatif.
D'autre part, on ne peut pas dire que cette marginalisation
soit le résultat d'une stratégie. Car, si le principe de la
jouissance de sa propriété va dans ce sens, en revanche la
thématique des possessions est à compléter de trois
éléments. Premièrement, les liens tissés entre les
médias dominants et leurs homologues des mondes politique et
économique. Deuxièmement, l'écrémage. Et enfin,
troisièmement, la précarisation.
A reprendre, à nouveau, une formule d'Alain ACCARDO, on
dira que << Il n'est pas nécessaire que les horloges conspirent
pour donner pratiquement la même heure en même temps >>. Ou
encore, le plus simplement du monde : pas de stratégie, mais au final
une même issue cependant, à savoir la marginalisation.
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