4.2. Possession et information
Il est inévitable de commencer par là. De
commencer par << s'interroger sur la façon dont les
activités » d'une entreprise ou d'un parti étant <<
directement liés aux médias et à l'information peuvent
bénéficier de passe-droits ou d'une couverture complaisante
» 139.
C'est d'autant moins évitable dès lors que les
médias << se sont progressivement imposés comme l'unique
vecteur permettant de relayer l'information aux masses », et que par
conséquent << Ils attirent toutes les convoitises des entreprises,
institutions, groupes de pression et organisations, y compris politiques »
140.
4.2.1. Des entreprises comme les autres
Selon Philippe WALKOWIAK, << Le journalisme, c'est une
entreprise commerciale : il faut qu'on paie des salaires, donc il faut que
l'argent vienne de quelque part ».
Et de souligner que << C'est un peu délicat quand on
gère à la fois de l'argent et des idées ; Parfois, il y a
une confrontation, un choc entre les deux » 141.
A son niveau, Isabelle PHILIPPON (Ex-Le
Vif/L'Express) ne dit pas autre chose : << Roularta, [NDLR
: Conglomérat auquel appartient Le Vif ] c'est le fric qui
l'intéresse. Le contrôle de la ligne éditoriale, ils n'en
ont rien à faire ». Mais de préciser en même temps que
: << Ils se mêlent de la ligne éditoriale quand la thune ne
rentre plus. Alors, tout d'un coup, ils vont dire : Dossiers
spéciaux sur les voitures ... » Le choc entre l'argent et les
idées, en somme.
D'après elle, comme Walkowiak là encore, <<
Il faut composer avec ça, parce que écrire le
139 HEINDERYCKX F., Op. Cit., page 33.
140 Ibid., page 45.
141 Entretien avec Philippe WALKOWIAK, 17 mars 2009,
Bruxelles.
meilleur journal du monde mais qui ne se vend pas, qui ne
rapporte pas de pub, on sait bien que ce n'est pas possible dans le monde
où l'on vit » 142.
4.2.2. Les annonceurs : un rôle ?
La possession peut donc revêtir une forme plus
insidieuse que la possession stricto sensu. Ainsi, << La publicité
est en mesure d'influer sur le contenu précis des journaux et des
émissions d'actualité » 143, bien que les
médias aient bien souvent du mal à l'avouer.
En l'espèce, Frédéric CAUDERLIER
concède que << Il y a parfois de vives tensions entre la
rédaction et la régie publicitaire » 144, sans
que cela ne porte à conséquence, dit-il.
Quant à Christian CARPENTIER, il explique que, en ce
qui concerne La Dernière Heure/Les Sports, << Un gros
annonceur, c'est Carrefour ». Or, cette chaine de magasins, selon
lui, n'influencerait pas la rédaction.
Pour preuve de son assertion, il avance que son journal a
<< fait une manchette sur la fin de la Carte plus de Carrefour
». Pour lui, << On ne peut pas dire qu'il y ait des tensions. Qu'il
y ait des remarques qui soient faites de temps en temps, ça c'est vrai.
Parce qu'on a pas le même but ». Ici, pas même des tensions
mais de simples remarques. Sans conséquences, toujours.
L'homme finit par nuancer : << Maintenant, on n'est pas
non plus totalement dingues à la rédaction. On sait très
bien que, si on veut continuer à proposer un journal relativement bon
marché, on a besoin de publicités » 145. Que
faut-il comprendre, pour finir ?
Autre début d'aveu dans le chef de Philippe WALKOWIAK,
lorsque celui-ci pose une distinction entre types de médias : <<
La télé sait voir quel invité fait plus d'audience que tel
autre. A la radio, on ne sait pas mesurer ça, on fait des sondages qui
portent sur des périodes de 6 mois. On ne sait pas dire que Jean-Marc
NOLLET le mardi fait plus d'audience que Didier REYNDERS le mercredi ».
Et, << Comme on ne sait pas mesurer ça, on est moins tenu de
trouver des gens qui font de l'audience » 146.
Une fenêtre de tir existerait donc à la radio, pour
des gens comme Mateo ALALUF par
142 Entretien avec Isabelle PHILIPPON, 27 mars 2009,
Bruxelles.
143 GEUENS G., << Médias, économie et
société. Questions de méthode » in DURAND P.,
Médias et censure. Figures de l'orthodoxie, Editions de l'ULG,
Liège, 2004, page 75.
144 Entretien avec Frédéric CAUDERLIER, 18 mars
2009, Bruxelles.
145 Entretien avec Christian CARPENTIER, 24 mars 2009,
Bruxelles.
146 Entretien avec Philippe WALKOWIAK, Op. Cit.
exemple (qui fut invité le 18 mars 2009 à
Matin Première, mais jamais le dimanche midi à la
télévision, tout du moins du 31 août 2008 au 28 juin 2009
inclus).
Bertrand HENNE abonde vraiment dans le même sens :
<< On est béni en radio de ne pas savoir que l`invité de la
veille a fait 12 points et pas 6, ce qui changerait certainement notre ligne
rédactionnelle, je n'en doute pas ». Et de confier, fort de son
expérience télévisuelle : << En télé,
imagine un Mateo Alaluf. Oui, l'audience sera mauvaise. C'est sûr,
ça va attirer moins de gens que Michel Daerden. Donc, on ne le fera
jamais » 147.
Ca, c'est de l'économie. Des principes
économiques de base : il y a des salaires à payer, il faut que
l'argent rentre, etc. Et ces mécanismes ne se prêtent
déjà guère à la promotion d'idées sortant du
cadre, on le voit.
Mais il arrive aussi que l'économie soit viciée,
comme avec le phénomène des concentrations.
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