3.3. Le poids des mots
En guise d'ouverture du débat de Mise au Point
du 17 mai 2009, Sacha DAOUT lance : << Notre débat cette semaine
est consacré à ceux que l'on nomme - et c'est parfois un peu
péjoratif - les petits partis >>. Ce à quoi on serait
tenté de répondre : << Ah bon, parfois seulement ?
>>
Mais y-a-t-il, dans la lignée des perpétuelles
mises au point au sujet de l'URSS, un traitement particulier à
l'Extrême-Gauche ?
3.3.1. L'Extrême-Gauche, ces gens tournés vers
le passé
Selon Eric HAZAN, les médias (au même titre que
les politiciens d'ailleurs) ont << une prédilection pour les mots
les plus globalisants, immenses chapiteaux dressés dans le champ
sémantique et sous lesquels on n'y voit rien >>.
Ainsi, le totalitarisme, le fondamentalisme, la mondialisation
ou bien encore la modernisation sont autant de << notions molaires
>>, c'est-à-dire des notions << propres à en imposer
aux masses, par opposition aux outils moléculaires faits pour l'analyse
et la compréhension >> 93.
Et c'est sur la notion molaire de modernisation que nous
allons nous pencher ici, une notion qui nous est vendue tel << Un
processus indispensable pour éviter le déclin, l'entropie
menaçante >>. Elle serait menée << dans
l'intérêt de tous >>, et il n'y aurait donc << ni
raison ni moyen de s'y opposer >> 94.
3.3.1.1. « Economiquement dépassé
»
<< Moderniser la Gauche >> consisterait en
réalité à << étendre et radicaliser les
renoncements déjà anciens >>, ce qui déboucherait au
final sur une Gauche << à peine distincte de la Droite >>
95. Une rupture avec l'identité historique, en somme.
Lorsqu'on accole une habile étiquette << moderne
>> à la Gauche traditionnelle, l'ExtrêmeGauche hérite
de l'étiquette << archaïque >>, et de tout ce que cela
sous-entend de pas très vendeur, électoralement parlant.
93 HAZAN E., Lingua Quintae Respublicae. La
propagande du quotidien, Raisons d'agir, Paris, 2006, page 49.
94 Ibid., pages 61-62.
95 REYMOND M. & RZEPSKI G., Op. Cit.,
pages 108 & 113.
L'Extrême-Gauche en hérite non seulement de
façon automatique, puisqu'il s'agit d'un antonyme de << moderne
>> 96, mais aussi par l'entremise de tout un travail de sape.
Et ce travail de sape, les médias en sont, décidément, un
acteur des plus fondamentaux.
Exemple avec, encore une fois, ce fameux 17 mai 2009, chez
Pascal VREBOS. Le présentateur vedette requiert à un moment
l'expertise de Michel DAERDEN : << Pour vous, quelqu'un comme Monsieur
D'Orazio, il est ringard ou pas, point de vue Gauche ? >> Réponse
du ministre socialiste, armé de son plus beau sourire : << Je
pense qu'il est économiquement dépassé... >>
Vrebos n'en demande pas plus, et il passe sans attendre à
un autre sujet (sans donner un droit de réponse à Roberto
D'ORAZIO, présent en plateau) : << Attendez, je fais mon petit
tour... >>
Quant à Pierre EYBEN (PC), lorsqu'il passa au Talk
élections, l'intervieweur lui lança : << Vos valeurs,
ça fait partie d'une idéologie qui appartient un peu au
passé. On fête cette année les 20 ans de la chute du Mur de
Berlin ; Est-ce que ça a encore du sens, d'être communiste en 2009
? >>
Le plus << sympathique >> en la matière est
peut-être encore Francis VANDEWOESTYNE, pour qui, l'Extrême-Gauche,
<< Ce sont des doux rêveurs. Des gens un peu baba-cool >>
97.
96 Evoquer peut, pour Pierre BOURDIEU, <<
déclencher des sentiments forts >>, avec << une construction
sociale de la réalité capable d'exercer des effets sociaux de
mobilisation ou de démobilisation >> (Source : BOURDIEU P.,
Sur la télévision, Op. Cit., pages 20-21).
97 Entretien avec Francis VANDEWOESTYNE, 8 avril 2009,
Bruxelles.
Figure 5 98
Un travail de sape, disions- nous.
C'est-à-dire quelque chose de pas vendeur
fonctionnant sur la répétition, étant
martelé. On peut parler de prosélytisme, de
<<prêtrise séculière », avec une
<< imposition permanente, insidieuse » d'un lexique commun.
Un lexique << qui produit, par imprégnation, une
véritable croyance » 99.
Et donc i -
ci, après l'héritage de l'URSS,
après l'attribut extrémiste, voici donc que l'Extrême
Gauche pagaierait dans le mauvais sens.
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