SECTION II: LES FREINS EXOGENES
En sus des freins endogènes que nous venons
d'examinés, plusieurs facteurs de nature externe renforcent
l'idée selon laquelle le développement durable prôné
par la communauté internationale s'avère à l'heure
actuelle comme un leurre pour l'Afrique au sud du Sahara. Il s'agit des
politiques d'ajustement structurel, des dévaluations non suivies de
mesures concrètes et immédiates, la question de la dette, la
libéralisation du commerce mondial et son impact sur l'environnement et
enfin le problème du transfert vers l'Afrique des technologies nuisibles
à l'environnement par de grandes chaînes d'industries en mal de
s'adapter à la nouvelle réglementation occidentale.
PARAGRAPHE I: LE POIDS DE LA DETTE ET LES
CONSEQUENCES IMMEDIATES DES POLITIQUES D'AJUSTEMENT STRUCTUREL
Il s'agit de deux maux très liés qui rongent le
continent africain, l'empêchant même à mener des politiques
de développement endogène, car les instructions qui partent des
institutions financières internationales vont souvent à
l'encontre des aspirations des populations. Les politiques de protection de
l'environnement sont le plus souvent victimes de ces instructions (PAS) et de
la dette extérieure qui enjoint les Etats à réduire
certains chapitres de leurs budgets au nombre desquels l'environnement
s'inscrit en première place.
A-LA QUESTION DE LA DETTE AFRICAINE ET L'ENVIRONNEMENT
Depuis les années quatre vingt, l'Afrique subsaharienne
est prise dans l'engrenage d'un endettement permanent. Dans un contexte de
faible valorisation des matières premières et de taux
d'intérêt élevé, la plupart des pays emprunteurs
(Côte-d'Ivoire, le Cameroun, le Congo, le Gabon, le
Sénégal, le Madagascar, le Zaïre...) sont ainsi devenus
insolvables. Les rééchelonnements et les accès aux
crédits pour honorer les intérêts ont conduit à une
accumulation d'arriérés et ont déplacé les bosses
de la dette. La dette extérieure (167 milliards de dollars, Afrique du
sud exclue) en 1980 est passée à 270 milliards de dollars en
1992. En terme de rapport d'exportation elle est passée de 97% à
362% des exportations de biens et des services et de 27% à 97% du PNB.
Le service de la dette, quant à lui, est passé, après
rééchelonnements (en % des exportations et de biens et services)
de 11% à 22% dont environ la moitié sous forme
d'intérêts(14).
Or, cet accroissement du service de la dette incite les Etats
africains à maximiser leurs recettes en devises. Pour se faire, ils
mettent en avant leurs ressources naturelles. C'est ce qu'explique
l'économiste Christine BOGDAUWICZ BINDERT(*) lorsqu'elle dit
que "les questions écologiques sont totalement
écartées dès lors qu'un gouvernement se trouve aux prises
avec une immense dette". La gestion d'un service toujours croissant de la
dette ne peut se faire tout en ménageant certains domaines dont la
rentabilité ne peut être évaluée que dans le long
terme.
Les Etats africains privilégient donc la course à
l'insertion dans le marché mondial, au nom des "avantages comparatifs",
la chasse aux devises ne
(14) Philippe HUGON, professeur à
l'université de Paris X Nanterre), "L'économie de
l'Afrique", éd la découverte, collection
repères, Paris 1993, page 209.
(*) Conseillere à la banque mondiale
seraient-ce que pour le remboursement de la dette (entre 1980
et 1990, l'Afrique a versé à l'occident 180 milliards au titre
des intérêts!), ce qui implique une surexploitation des sols, des
sous-sols, des forêts et des mers. Dans ces conditions, nous pensons que
le problème de la dette africaine ne peut pas faire bon ménage
avec la protection de l'environnement. La commission mondiale pour
l'environnement et le développement dans son rapport (BRUNDTLAND) en
avait fait déjà état en ces termes "s'ils sont
incapables de rembourser leurs dettes, les pays africains lourdement
tributaires de leurs exportations de matières premières sont
forcés de surexploiter des sols fragiles, ce qui aboutit à la
désertification de terres", le rapport conclut que" la
protection de l'environnement à l'échelle mondiale exigera des
concessions importantes de la part des pays riches sur la question de la
dette"(15). Toujours dans ce même ordre
d'idées, la Conservation Internationale (organisme de défense de
l'environnement) devait ajouter qu'un endettement extérieur lourd
contribue indubitablement à accroître les pressions
économiques qui incitent les pays à surexploiter leurs
ressources
naturelles"(16).
Si la communauté internationale a voulu atténuer
les charges des pays en développement en évoquant la
solidarité internationale, la responsabilité partagée mais
différenciée et en élargissant le champ d'action du FEM,
nous pensons qu'il ne s'agit là que des demi-mesures. Une meilleure
protection de l'environnement mondial par les Africains ne peut passer que par
une épuration effective de la dette; ce serait la matérialisation
même de cette responsabilité différenciée prise au
sens large (étant entendu que les Etats occidentaux principaux
créanciers et responsables de la dégradation de l'environnement
mondial ont pu dégager ces créances qu'en polluant et en
surexploitant les
(15) Notre avenir à tous, CMED,
page XV
(16) cité in banque mondiale 1993, page 200.
ressources de la planète). En dehors de cette
alternative, la dette africaine, comme d'autres problèmes
évoqués plus haut, fera obstacle à la prise en compte
effective par les budgets nationaux des politiques réelles
d'environnement. A la rigueur, ces créanciers peuvent à l'image
de ce qui se fait en Amérique latine procéder par des
transactions ou échanges dette-nature si l'on veut voir se
réaliser en Afrique un véritable développement durable.
Mais au delà, il faut que les institutions financières
internationales réexaminent la relation entre programmes d'ajustement
structurel et environnement.
B-LES EFFETS DES PROGRAMMES D'AJUSTEMENT STRUCTUREL
SUR L'ENVIRONNEMENT (PAS)
Les relations entre ajustements structurel et environnement
ont toujours été présentées comme deux facettes
antinomiques, en ce sens qu'on ne peut appeler à la protection et la
sauvegarde de l'environnement tout en demandant à ce que soient
appliqués des programmes d'ajustement structurel. Dans la plupart des
travaux en cours, de nombreux experts soutiennent l'idée selon laquelle
les réformes entreprises dans le cadre des PAS -en particulier la
réorientation des incitations à la production et à la
rationalisation des dépenses publiques- ont nuit et continuent à
nuire à l'environnement.
En effet, ces réformes visant à réduire
des distorsions dissuasives pour la production de biens échangeables ont
stimulé la production des produits d'exploitation -des bois d'oeuvre et
autres produits agricoles- au détriment de l'environnement. Par exemple,
les PAS, qui prévoyaient des dévaluations, incitent les
exploitants forestiers à intensifier les coupes pour exporter davantage
de bois d'oeuvre, ce qui favorise la culture de terres
déboisées.
Aujourd'hui, en raison des dérèglements
réels dans le domaine financier, particulièrement
budgétaires et monétaires, en raison aussi des processus
particuliers de constitution de la dette et de la gestion de son remboursement,
un nombre très important des pays d'Afrique et la presque
totalité de ceux d'Afrique subsaharienne ont adopté des
politiques d'ajustement structurel en vue de restaurer l'équilibre
extérieur budgétaire et monétaire. Ce qui veut dire que
depuis un certain temps, ces pays sont en train d'appliquer des mesures
incitatives à l'exploitation massive des ressources naturelles, donc
à la dégradation de l'environnement. On nous dira que plusieurs
critiques ont été formulées à l'encontre de ces
PAS, donnant lieu à ce qu'on appelle le programme d'ajustement
structurel à visage humain. Mais ce qu'il ne faut pas oublier c'est que
si cette "humanisation" du PAS -au cas où elle l'est devenue- a des
effets sur le social, l'environnement par contre, n'en tire guère profit
car en réduisant les charges publiques, en enjoignant les Etats
endettés à s'employer au remboursement de la dette, c'est vers
leurs ressources naturelles que ceux-ci se retournent pour supporter les
retombés de ces politiques drastiques des institutions
financières internationales. Le fonds mondial de la nature, dans son
étude publiée en 1992, a réaffirmé que la
réforme des dépenses publiques entraînerait une
réduction des investissements d'infrastructures visant à
protéger l'environnement ainsi que les dépenses de vulgarisation
agricole(17). En effet, quand le F.M.I. impose la réduction
des dépenses publiques, les programmes écologiques sont parmi les
premiers touchés ainsi que les ressources naturelles elles-mêmes.
A titre symbolique et en extrapolant un peu, nous pouvons citer le cas du
Brésil où la réduction du budget alloué à
l'agence fédérale de protection de la nature a
entraîné une suppression de son personnel et de la grande partie
des sapeurs pompiers du parc national. Le Mexique a quant à lui a
supprimé 15 sous secrétariat dont quatre concernant
l'environnement.
(17) banque mondiale, page 207.
Si on ne peut pas pour l'heure bien quantifier sur les budgets
les effets des PAS sur l'environnement en Afrique parce que l'administration de
l'environnement est encore peu développée, on peut toutefois dire
que c'est sa mise en place, sinon son épanouissement qui est ainsi en
cause. M Abdellatif BENACHEUHOU(*), s'interrogeant sur les
conséquences des PAS a dit à ce propos que " en dehors des
effets de ces politiques sur le secteur social (éducation et formation,
santé, population recherche), on peut s'interroger sur les moyens
disponibles actuellement pour la préservation de l'environnement.
En effet poursuit-il "Les chiffres de croissances économiques
parlent euxmêmes. Les taux de croissance ont diminué très
sensiblement dans les pays d'Afrique au sud du Sahara; la croissance par
tête d'habitant est devenue négative...L'investissement productif
tend vers plus ou moins zéro. Dans ce contexte économique
déprimé, on est conduit à s'interroger sur les
possibilités réelles de financer les investissements de toute
sorte que requiert la préservation de l'environnement par l'organisation
des trois formes de transitions: démographique, agricole,
énergétique. Si cette préservation passe par ces
transitions, les moyens de mise en oeuvre sont loin d'être réunis
et les perspectives concrètes pour le faire peu
brillantes.(18)
Le Ghana, pays que les experts disent qu'il est le meilleur
élève du FMI, a fait les frais "environnementaux" des PAS. Dans
son rapport de 1993, la banque mondiale a fait remarquer que les
dévaluations opérées au Ghana au début des
années 1980 dans le cade du PAS ont accéléré le
déboisement du pays. Ceci dit, la dévaluation du franc CFA, qui
vient d'être opérée en Afrique a des fortes chances de
conduire aux mêmes conséquences, surtout que les mesures
d'accompagnement ne sont pas efficaces. Ce qui risque de faire que la
conscience et l'action en faveur de l'environnement soient
sérieusement
(*) Professeur, directeur de la division des études sur le
développement à l'UNESCO (18) Revue tiers monde
n° 130, Avril-Juin 1993, page 378.
érodées. Ainsi on ne s'étonnera pas de
voir marginaliser et minimiser la prise en charge coûteuse de
l'environnement. Comme pour leurs nouvelles politiques d'évaluation
environnementale des projets, là aussi nous pensons que la Banque
Mondiale et les autres institutions financières internationales doivent
procéder à l'évaluation environnementale des PAS, sinon,
une fois de plus, le développement durable ne sera qu'un vain mot pour
l'Afrique. A la rigueur son instauration ne se fera pas dans un proche avenir,
surtout qu'en dehors du poids de la dette africaine il y a aussi le
problème des transferts de technologies polluantes qui n'est pas sans
grande conséquence pour l'Afrique subsaharienne.
PARAGRAPHE II: LES TRANSFERTS DE TECHNOLOGIES
POLLUANTES ET L'INCAPACITE D'ACCES DE L'AFRIQUE AUX TECHNOLOGIES PROPRES
Aujourd'hui lorsqu'on parle de transferts vers l'Afrique des
déchets toxiques, on ne peut pas manquer de faire allusion au tristement
célèbre mémo de M Lawrence SUMMERS, conseiller
économique à la Banque Mondiale. Selon ce monsieur, "une
certaine dose de pollution devrait exister dans les pays où le
coût de la maladie est plus faible, autrement dit là où les
salaires sont les plus bas. Je pense que la logique qui veut que les masses de
déchets toxiques soient déversées là où les
salaires sont plus faibles est imparable.(...) J'ai toujours pensé que
les pays sous-peuplés d'Afrique étaient largement
sous-pollués; la qualité de l'air y est probablement d'un niveau
inutilement bas par rapport à Los Angeles ou Mexico(...). On se
préoccupera évidemment beaucoup plus d'un facteur qui augmente de
façon infinitésimale les risques de cancers de prostate dans un
pays où les gens vivent assez longtemps pour avoir cette maladie, que
dans un autre où deux cent enfants sur mille meurent avant l'âge
de cinq ans"(19), ces propos irresponsables de M Lawrence
(19)Mémo du 12 décembre
1991,révélé par The financial times
SUMMERS coïncident actuellement avec le
phénomène de migration vers l'Afrique d'industries polluantes.
A-LA MIGRATION VERS L'AFRIQUE D'INDUSTRIES
POLLUANTES
En effet, pendant que les USA, l'Allemagne, la Hollande, la
Suisse et les pays Scandinaves édictent des réglementations d'une
sévérité sans précédent pour satisfaire des
consommateurs de plus en plus nombreux à réclamer des industries
propres, les législations africaines apparaissent statiques. Les
consommateurs moins avisés sur les risques de certaines industries
"sales" n'exercent aucune pression pour que soient adoptées des mesures
strictes en la matière. Du coup, cette situation fait du continent noir
un "paradis des pollueurs" excepté le cas spécifique de transfert
de déchets toxiques proprement dits qui est réglementé par
la convention de Bamako de 1991 sur l'interdiction d'importer en Afrique les
déchets toxiques.
La crise économique du continent qui oblige les Etats
à mettre en place des régimes d'incitations fiscales fera de
telle sorte que ces Etats soient moins rigoureux vis-à-vis de la
qualité des industries qui, n'ayant pas réussi à
s'accommoder de la nouvelle législation occidentale, délocalisent
pour l'Afrique. Actuellement, tout un secteur entier pratique cet exode vers
l'Afrique; il s'agit en grande partie de l'affinage des métaux, du
raffinage du pétrole, du ciment des pâtes à papier et des
produits chimiques de base...
Certains pourront être tentés de dire que cette
évolution est propice au développement et aux échanges des
pays du tiers-monde, particulièrement ceux d'Afrique. Cependant, la
migration des industries "sales" n'est pas sans incidences économiques
et écologiques à long terme. Dans la mesure où elle
repose de plus en plus sur les industries "sales" ou
polluantes, la croissance de ces pays ne peut être durable: la
détérioration croissante de l'environnement et
l'épuisement des ressources risquent de ralentir la
production(20). De fait, le développement durable
prôné par les dirigeants africains trouve par l'acceptation de ces
industries les limites de sa réalisation.
Comme pour la surexploitation des ressources naturelles, la
pauvreté et la crise justifient à nouveau le manque de rigueur de
l'Afrique face à l'impératif de développement durable.
Mais ce qu'il ne faut pas oublier au sujet de ces délocalisations et des
propos tenus par M SUMMERS c'est qu'on ne resout pas les problèmes
écologiques planétaires. On les fait simplement déplacer
d'un pôle à l'autre. Le pire c'est que cette forme de pollution
(la plus sinueuse) se conjugue avec le transfert des déchets et produits
toxiques au mépris des législations en vigueur.
Suite aux scandales nés d'exportations et des projets
d'exportations des déchets toxiques vers Afrique en 1980, plusieurs pays
africains ont signé des accords imposant de sévères
restrictions en matière d'importations des déchets toxiques dont
le plus important est la convention de Bamako précitée. Mais ces
mesures si elles sont sévères et précises (en ce qui
concerne leur énumération) ne sont pas sérieusement
appliquées faute d'organes de contrôle compétents au niveau
des frontières. Le retard technologique que connaît l'Afrique
vis-à-vis des occidentaux facilite le transfert vers l'Afrique de
certains produits déclarés toxiques selon les normes
occidentales, mais sur lesquels les législations africaines restent
muettes. Bon nombre d'exportateurs profitent de ce handicap pour faire passer
des produits dangereux pour des matières premières.
(2o)Candide STEVENS, politiques
d'environnement: une incidence sur la compétivité?,
observateur OCDE, n°183, août-sept 1993, page 22.
Du fait de son ignorance, le continent noir devient donc un
dépotoir de déchets toxiques. Le dossier consacré par le
Courrier international sur la qualité des produits pharmaceutiques
consommés en Afrique témoigne à l'évidence les
risques encourus par ce continent(*). En effet, il a
révélé que près de la moitié de ces produits
sont soit des contrefaçons, soit des produits périmés dans
des emballages actualisés. Il s'agit des produits venant des officines
d'Afrique et d'ailleurs. Cette pratique est aussi courante en matière
d'intrants et autres produits agricoles dont les impacts négatifs sur la
conservation des sols sont prouvés dans les pays
développés. C'est le problème d'harmonisation des normes
qui est ainsi posé. Ce qui est interdit en occident pour sa
nocivité ne l'est pas forcement en Afrique et le devient très
souvent que tardivement. Le cas du DDT, insecticide très persistant qui
a été banni dans plusieurs pays occidentaux est typique. En
effet, depuis cette interdiction, plusieurs pays du tiers monde ont
augmenté l'usage de DDT menaçant la santé de leurs
citoyens et exportant en retour leurs denrées alimentaires vers les pays
occidentaux(21).
Il faut aussi dire que malgré certaines mesures prises
contre l'importation des déchets toxiques, plusieurs ressortissants
africains s'emploient à contourner ces mesures pour des raisons
financières, justifiant ainsi la thèse selon laquelle quand les
pauvres doivent choisir entre une atmosphère plus propre et une
pauvreté moins grande, la plupart d'entre eux préfèrent
à juste titre tolérer des niveaux de pollution supérieur
à ceux des pays riches en échange d'une croissance rapide. Selon
une annonce de Mostapha TOLBA, directeur du programme du PNUD, datée du
6 Octobre 1994, il y aurait un transfert de déchets toxique de la Suisse
vers l'Afrique n'eussent été la vigilance et la capacité
de coopérer du gouvernement Suisse. En effet, un accord a
été signé
(*) E KOCH, M SIMM, M WECH (Focus Munich), La mafia
des faux médicaments, Courrier international, n° 204,
du 29 au 5 Septembre 1994, page 36.
(21)CMED,ibdem, page XVI
entre des entreprises européennes et un ressortissant
Somalien en vue de déposer 500 000 tonnes des déchets toxiques en
Somalie.
Ce scandale qui n'a pu heureusement voir le jour prouve
à suffisance que malgré les mesures prises au niveau
régional et mondial, l'Afrique n'est pas à l'abri de ces
transferts de déchets toxiques. D'ailleurs plusieurs gouvernements n'ont
pas encore signé et ratifié la convention de Bâle et celle
de Bamako qui interdisent l'exportation et l'importation des déchets
toxiques. Dans l'annonce dont nous venons de faire allusion, M. Mostapha TOLBA
n'exhortait-il pas les gouvernements à le faire? Mais paradoxalement, au
moment où on mijote ces transferts ceux concernant les nouvelles
technologies non-polluantes restent inaccessibles à l'Afrique.
B- L'INACCESSIBILITE DE L'AFRIQUE AUX TECHNOLOGIES
NON POLLUANTES
Il est très courant de rencontrer dans les propos de
bon nombre d'analystes que l'Afrique n'est pas obligée d'emprunter le
chemin parcouru par l'industrialisation occidentale (responsable du
déséquilibre des écosystèmes planétaires)
pour accéder au développement. Elle peut le faire par le biais
des nouvelles technologies dites "propres". Il s'agit de diagnostics
végétaux, d'insecticides microbiens, de techniques de culture
tissulaire, de micro propagation et de cartographie génétique et
aussi des plantes transgéniques résistantes à certaines
herbicides, virus et insectes.
La plus grande partie de ces technologies demeure l'apanage
des pays de L'OCDE, mais c'est dans les pays en développement où
l'accroissement démographique nécessite une augmentation du
volume et de la qualité de la
production agricole que les besoins d'innovation technologique
sont les plus criants.
Or, le problème de l'acquisition de ces technologies
par l'Afrique n'est pas si facile qu'on entend le faire croire. Plusieurs
facteurs dans le domaine des biotechnologies font qu'actuellement leur
accessibilité par le continent noir soit très difficile. On peut
ainsi citer le permanent problème du manque de capitaux lui-même
lié à celui des brevets, le niveau très peu
élevé de la culture technologique des Africains, puis le fait que
dans la majorité des cas, ces nouvelles technologies ne s'attaquent
qu'aux problèmes spécifiquement occidentaux.
En effet, le renforcement du rôle du secteur
privé dans la recherche agronomique fondamentale adaptée ou
inadaptée des pays en développement, tout autant que les
possibilités d'importer de nouvelles technologies (ou composants
biotechnologiques) sont de plus en plus liés aux droits de
propriétés intellectuelles. Pour ce qui est des plantes, ces
droits sont protégés par les brevets ou par une forme de droit
d'obtention végétale qui garantit le versement de redevance
d'exportation à l'innovation dont les Africains ne peuvent entreprendre
actuellement du fait de la crise et de leur coût élevé. Et
pourtant ces nouvelles technologies sont des instruments d'accès
à un développement durable, car elles apportent à la fois
l'espoir de pouvoir augmenter aussi bien la qualité que la
quantité de production agricole et la possibilité de
réduire le long délai de plusieurs années indispensables
à la mise au point de nouvelles variétés. Plus encore, la
biotechnologie permet d'analyser et de maîtriser le potentiel
génétique propre aux espèces locales.
par les brevets risquera d'avoir des graves
conséquences en matière d'autosuffisance alimentaire, de
protection de l'environnement ou de compétitivité sur le
marché mondial désormais libéralisé.
Il y a aussi que ces technologies sont très souvent
inadaptées à l'environnement et aux besoins africains. Cependant,
tout laisse à croire que dans les cas où elles peuvent le
devenir, on verra apparaître un autre obstacle. Par le passé et
pour des raisons multiples dont certaines sont liées à la
disponibilité facile de ressources externes, les pays en
développements dans leur majorité, n'ont pas acquis le
contrôle de la technologie de conception, de réalisation et
d'utilisation de leurs outils de production(22). Ainsi, pour
l'avenir, nous pensons que l'effort de diffusion technologique sera voué
à l'échec si aucun changement n'est apporté sur la
question du pallier culturel du moment. L'Afrique doit donc faire sienne la
leçon tirée des travaux de LevoiGAURHAN qui dit que:
«l'histoire des techniques montre qu'un groupe social ne peut
assimiler une nouvelle technique donnée que s'il est déjà
parvenu à maîtriser les techniques antérieures de la
même "lignée" que les nouvelles techniques
présupposées.»(23) La diffusion
technologique suppose ainsi l'équivalent au niveau social d'une mutation
de savoir-faire au cours de laquelle la communauté s'approprie la
technique et la modifie en la stimulant.
On peut dès lors s'interroger sur l'avenir de l'Afrique
face à ces obstacles que nous venons d'énumérer. Nous
pensons que la solidarité en matière de protection de
l'environnement mondial tant prônée doit s'exprimer ici, ne
serait-ce que par le relèvement de l'aide au développement et par
l'assistance technique au moyen d'institutions bilatérales et
multinationales, et notamment des centres internationaux de recherche agricole
dont le rôle serait de
(22)Abdellatif BENACHEUHOU, Défis,
savoir, décisions, Revue tiers-monde, Avril-Juin 1994
n°130 page 378
(23)Cité par Abdellatif BENACHEUHOU, ibdem,
page 378.
divulguer les informations scientifiques. Cependant, si l'acte
final de l'Uruguay round peut servir de cadre idéal de ces
échanges d'informations, il n'en demeure pas moins que dans bon nombre
de ses clauses il favorise la dégradation de l'environnement.
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