2)
La notion du développement
La réflexion de cette sous partie s'articulera autour
de trois points principaux à savoir, une ébauche de
définition de la notion (a), ses dimensions (b) et ses facteurs (c).
a) Une ébauche de définition
Le thème du développement reste très
actuel de nos jours. Dans la genèse, l'invitation de l'homme à
gagner son pain à la sueur de son front posait déjà le
problème du développement économique (Kuate, 1998 :77). En
raison des interrogations autour de cette notion, il serait difficile de
l'étudier sans se donner une définition. Celle-ci a
été d'abord sommaire (a1), puis est devenue plus
précise et complète (a2).
a.1) Définition sommaire
Bien que le développement soit déjà chez
les physiocrates qui s'intéressent aux causes de la richesse des
nations, c'est surtout après la deuxième guerre mondiale et
l'apparition des pays du "tiers monde" au devant de la scène
internationale que jaillit véritablement une littérature sur le
développement et le sous développement souvent confondus avec la
notion de croissance économique. Des auteurs tels que Rostow, Burton,
Higgins... balisent un peu le terrain ; mais de grosses confusions subsistent
entre notion de développement et de croissance économique :
1 Pour Higgins par exemple : « Le
développement est un accroissement dans le revenu total et le revenu
moyen par tête diffusé largement parmi les groupes professionnels
et sociaux qui dure au moins deux générations et devient
cumulatif »
2 Pour Burton « ...L'idée que le
développement est un concept multidimensionnel est naturellement
importante mais il ne paraît pas nécessaire de rechercher avec
insistance une mesure multidimensionnelle... » (Kuate, 1998 :78-79) ;
Mais somme toutes, ces définitions paraissent incomplètes, raison
pour laquelle il faut chercher une définition plus complète.
a.2) Une définition formelle plus
précise et plus complète
C'est notamment avec des auteurs comme François
Perroux, Jacques Austruy, J. L. Lebret que la définition du concept de
développement apparaît plus complète.
Pour F. Perroux par exemple, « le
développement est la combinaison des changements mentaux et sociaux
d'une population qui la rendent apte à accroître cumulativement et
durablement son produit réel global. Ou mieux encore, « C'est un
changement des structures mentales et des habitudes qui transforment les
progrès particuliers en progrès tout social ».
Pour Austruy, « Le développement est un
mouvement qui bouleverse fondamentalement une société pour
permettre l'apparition, la poursuite et l'orientation de la croissance
économique vers une signification humaine » (Kuate 1998
:79).
Pour Nga Ndongo (1998), « Le développement
peut se concevoir comme un processus dynamique de changement de
l'environnement, naturel ou sociétal, en vue de la transformation de
l'humaine condition » (Nga Ndongo 1998 :45). Malgré
l'imprécision de certains termes, on comprend que le
développement est un phénomène qui déborde
largement de la sphère économique. Après cet essai de
définition, attardons nous sur les dimensions du
développement.
b) Les dimensions du développement
Le développement comporte trois dimensions principales
: quantitative (b1), qualitative (b2), compétitive
(b3) suivant la catégorisation de Nga Ndongo (1998
:45-47).
b.1) Le développement quantitatif
Sans aucun doute, le développement (et c'est son aspect
le plus visible) se traduit par l'acquisition et l'accumulation (individuelles
ou collectives) d'une certaine quantité de biens ou par la
réalisation d'un certain nombre de performances économiques ou
sociales statistiquement mesurables.
Cette dimension du développement peut se chiffrer
à l'aide d'indicateurs divers, tels que le niveau du P.I.B, la valeur du
PNB per capita (généralement au dessus de 1000 dollars),
l'industrialisation, l'urbanisation, la maîtrise de la technologie, les
infrastructures économiques et sociales. Il obéit à un
certain nombre de conditions et modalités exposées par Rostow
(1960). Même si on peut accuser cette dimension du développement
réductionniste (le développement est réduit à la
croissance), il n'en demeure pas moins qu'elle constitue un passage
obligé, voire, une étape nécessaire vers le
développement.
b.2) Le développement
qualitatif
Il ne va sans dire que si cette dimension détermine
l'existence de l'homme sur terre, elle doit, pour s'accomplir harmonieusement
et pleinement se doubler d'une dimension humaine, spirituelle, culturelle :
c'est la dimension qualitative du développement.
L'homme est, en effet au centre de tout : il est en quelque
sorte l'alpha et l'oméga du développement. Le processus de
celui-ci doit viser au plein accomplissement de l'homme, à son
éducation, à l'éclosion de ses potentialités.
De ce fait, l'aspect qualitatif n'est pas réalisable
si les hommes qui en ont la responsabilité et qui en sont les acteurs et
les bénéficiaires ne sont pas animés d'un esprit, d'une
mentalité, d'une idéologie, bref d'une culture du
développement. On pourrait d'une formule lapidaire dire que le
développement d'une collectivité dépend de la
qualité des hommes chargés de le conduire. Car le
développement n'est pas qu'une affaire d'infrastructures, il est aussi
une affaire de culture qui le détermine en premier et dernier
ressort.
b.3) Le développement
compétitif
Le développement est aussi un facteur de
compétitivité voire d'agressivité entre les peuples et les
nations.
Dans un contexte international marqué par la loi du
plus fort, le développement apparaît comme l'arme par excellence
contre la dépendance et la sujétion et est la condition sine qua
non de liberté. Etre développé, en effet, c'est être
à l'abri d'une domination extérieure. Se développer, c'est
agir pour sa libération et son émancipation ; l'exemple
japonais nous apporte une parfaite illustration , un peu comme dans la
dialectique hégélienne du "Maître et de l'esclave", c'est
le développement, c'est-à-dire par une maîtrise des
conditions et processus de transformation de l'environnement, qu'un peuple
assure l'existence de son libre-arbitre, se prémunit contre les
agressions et les convoitises extérieures et se mesure, au rendez-vous
de l'universel, aux autres peuples, administrant par là même la
preuve de sa capacité à comprendre, à assimiler, bref
à maîtriser la formule du développement. Ceci est d'autant
plus pertinent que comme le note Kamto (1993) : « Il n'y a pas de
dignité pour les Nations Pauvres ; par suite il ne peut y avoir de
respect pour elles » (Kamto, 1993 :56)
Au regard de ces différentes dimensions du
développement, il est à noter qu'en matière d'APD,
dès sa conception, c'est la première dimension qui revêtait
ici toute son importance. Mais son caractère économiciste
excessif a permis qu'on aille au-delà de cette dernière en
intégrant progressivement la deuxième dimension du
développement explicitée ici, au regard des nouveaux enjeux
auxquels est confronté désormais l'aide internationale. On
insiste dès lors sur l'amélioration des conditions de vie des
populations désireuses, épicentre par excellence de l'aide. La
troisième dimension quant à elle, requiert beaucoup plus de la
capacité, et du génie propre des récipiendaires de l'aide
dans leur élan vers le progrès.
Après cette analyse des dimensions du
développement interrogeons-nous sur ses facteurs.
c) Les facteurs du développement
Si nous interrogeons l'histoire, nous pouvons relever un
certain nombre, non limitatif, d'éléments susceptibles
d'expliquer le développement, tel que nous venons tenter de le
caractériser. A ce titre, Nga Ndongo (1998) nous propose un triptyque de
facteurs qui peut paraître séduisant à certains
égards, mais qui, après examen minutieux, brille par une
certaine coloration idéologique (nous y reviendrons plus d'amples au
cours de nos analyses ultérieures).Il est donc question pour nous de
présenter dans un premier temps, l'ensemble des trois facteurs du
développement analysé par Nga Ndongo que nous désignons
par le terme générique « les facteurs provincialistes du
développement » (c1), puis dans un second mouvement,
présenter des facteurs plus « généralisants »
du développement (c2) .
c.1) les facteurs « provincialistes »
du développement
Il s'agit, principalement, suivant la
typologie de l'auteur, de la raison (c1i), de la démocratie (c1ii) et de
la science (c1iii). Les trois facteurs étant d'ailleurs
étroitement liés (Nga Ndongo, 1998 :47-50).
c.1.i) La raison comme facteur du
développement
On peut situer, suivant l'auteur, dans une perspective
historique le 17e siècle comme la période où on
assiste à un début d'affirmation de la raison dans l'histoire du
développement. Siècle du rationalisme, le 17e
siècle connaît une véritable explosion de l'esprit humain
sous influence, entre autres, de l'émergence des sociétés
savantes où se moule "l'honnête homme" cultive et distingué
pour qui la "parfaite raison fuit toute extrémité, et veut que
l'on soit sage avec sobriété".
L'esprit critique fait des progrès décisifs
avec Descartes, qui recommande notamment de douter de la totalité des
connaissances et de n'accepter « aucune chose pour vraie que je ne la
connusse évidemment être telle ».
Mais c'est véritablement au « siècle des
lumières », de raison, que l'esprit critique va atteindre sa pleine
efficacité avec l'apparition et la consolidation de ce que Jürgen
Habermas appelle. « L'usage public du raisonnement par des personnes
privées rassemblées en un public pour discuter des règles
générales de l'échange des marchandises et du travail
social ». Le bouillonnement qui se fait contre la cour et l'ordre social
ancien ouvre la voie à la révolution qui s'actualise dans un
nouveau régime politique, la démocratie, surgit des cendres de la
monarchie (Nga Ndongo idem : 48-49).
c.1.ii) La Démocratie comme facteur du
développement
Bien qu'elle soit une notion confuse et galvaudée,
certains la qualifiant même de « la prostituée des temps
modernes » (Kamto 1993 :70), la démocratie donne aujourd'hui lieu
à des dérives regrettables et comporte encore dans son
application de nombreuses insuffisances. Elle est pourtant universellement
perçue comme le régime de l'égalité et la
liberté. Son affirmation dans l'histoire de ces deux derniers
siècles a donné une impulsion considérable au
développement dans ses trois dimensions sus citées, grâce
notamment à la libération des énergies individuelles en
collectives, l'instauration de la transparence dans la gestion de la
"Respublica" et la consolidation de cet Etat de droit. Il est donc
indéniable que, nonobstant le résultat assez mitigé du
processus démocratique dans l'Afrique actuelle, la relation entre
démocratie et développement est extrêmement forte et ne
saurait en aucun cas ressortir à la pensée unique. On peut
certes, selon l'auteur, concevoir une certaine croissance, voire une certaine
compétitivité sans démocratie, mais il s'agirait là
comme l'ont montré les pays de l'Europe de l'Est, d'un
développement « bancal », bâti sur des sables mouvants
(Idem:49-50).
c.1.iii) La science et la technologie comme
facteurs du développement
Fille du raisonnement et de la démocratie, la science
est en effet la combinaison de la raison critique et la liberté conquise
qui a permis à la connaissance de gagner du terrain sur le mysticisme,
l'obscurantisme , l'ignorance, et permis à ce que la révolution
technologique se produise. N'assimile-t-on pas aujourd'hui la
société de développement à « la
société technologique et industrielle ?», s'interroge
l'auteur (Nga Ndongo, 1998 : 50).
Le triptyque proposé par Nga Ndongo
peut avoir ce mérite d'être pertinent à certains
égards car il peut s'imposer dans une certaine mesure comme une
variable catalyseuse probant du processus de développement. Les
facteurs dont il expose peuvent sans doute être considérés
comme des « réactifs » pertinents pouvant déclancher
le processus de développement.
Toutefois, l'argumentaire de cet auteur
prête le flanc à une critique certaine. En effet, au regard des
facteurs du développement soutenus par ce dernier, celui-ci semble
réduire le processus de développement à une époque
plus ou moins récente (le XVII siècle) et à un endroit
bien déterminé (l'Europe Occidentale), ce qui relève
à notre avis d'une terrible gageure .Prendre en effet le XVIIe
siècle comme marqueur temporel du développement en Europe
Occidentale, ce serait faire fi des autres peuples qui ont, avant les
européens, enclenché un vaste et brillant processus de
développement qui a même nourri « le Siècle des
Lumières ». C'est précisément les cas de l'Egypte
Antique en Afrique ; des Mayas ou des Aztèques en Amérique Latine
pré-colombienne ; de la Chine impérial en Asie et la liste est
loin d'être exhaustive. C'est dire que les facteurs du
développement exposés par Nga Ndongo brillent par un certain
particularisme et procède ainsi d'une vision européo centriste du
développement. Lorsque l'auteur soutient par exemple de la
démocratie comme facteur du développement, il semble ignorer que
des sociétés historiques à l'instar de l'Egypte Antique,
ou de la Chine Millénaire, pour ne citer que celles là, ont connu
un niveau assez élevé de développement, sans pour autant
qu'elles soient démocratiques.
Au regard de ce qui précède, il ressort que les
facteurs du développement présentés par Nga Ndongo se
caractérisent par une certaine insuffisance du fait de leurs
caractères réductionniste et particulariste ; d'où la
nécessité de penser d'autres facteurs du développement
susceptible d'être plus généralisants.
c.2) les facteurs « généralisants
» du développement
Il s'agit de déterminer ici un ou plusieurs facteurs
facteur(s) du développement, pouvant se vérifier en tout lieu et
en tout temps, pour tous les peuples qui ce sont succédés depuis
l'aube de l'humanité jusqu'à nos jours. Mc Clelland (1969) aux
cours de ses travaux a pu descellé, en s'appuyant sur les
résultats des psychologues, une force génératrice de
l'expansion socio économique et culturelle des peuples. Celle ci qui
peut se présenter sous la forme d'un « virus mental » fut
baptisé Need for Achievement (abrégé : n.Ach),
parce qu'on l'identifia dans les pensées d'une personne en recherchant
si ces pensées étaient axées sur une tendance à
« bien faire » ou plutôt à « mieux faire »
qu'auparavant, c'est-à-dire plus efficacement, plus rapidement, avec
moins de travail, et de meilleurs résultats etc. (Mc Clelland, 1969 :13)
Le n.Ach peut donc s'imposer comme ce « réactif
» pertinent, catalyseur véritable qui a pu permettre aussi bien aux
sociétés historiques que contemporaines d'enclencher un vaste et
laborieux processus de développement qu'a connu l'humanité
jusqu'à l'ère actuelle et, pourquoi pas, même pour les
générations futures.
Au-delà des facteurs du développement
exposés par Nga Ndongo, oblitérés par une coloration
idéologique, le facteur développé ci-dessus peut avoir ce
mérite d'être plus neutre, plus objectif et plus pertinent dans la
compréhension des forces génératrices d'un processus
aussi complexe qu'est le développement.
Au terme de ce chapitre purement théorique, il
apparaît qu'on assiste à un foisonnement théorique assez
dense sur la notion d'aide, et que les concepts d'APD et de
développement revêtent, au-delà de la première
appréhension, des dimensions aussi complexes les unes, les autres pour
lesquelles une étude plus pointilleuse doit être faite. Ceci, afin
de les rendre plus accessibles au sens commun. Tâche à laquelle
nous nous sommes efforcés à faire dans cette partie.
Il est donc question pour nous de s'intéresser sur
l'orientation sectorielle globale de l'aide française aux pays en
développement.
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