Le droit international humanitaire et la protection des personnes fragiles par nature dans les conflits armés( Télécharger le fichier original )par Fatou Moctar FALL Université Gaston Berger - maitrise 2010 |
Section 2 : Pour une redynamisation de la protection des personnes fragiles par natureAu regard de la multiplicité des règles conçues et édifiées par le droit humanitaire pour limiter les souffrances que peuvent endurer les populations civiles et les personnes fragiles lors des conflits armés, notamment en essayant de mettre en place un système de protection adapté, il s'avère nécessaire de reconnaitre et de louer les efforts qui ont été déployés dans ce sens. Toutefois si on opère une analyse critique du bilan de la mise en oeuvre de cette protection et une certaine synthétisation des résultats fournis, force est de constater que le système de protection est à reconsidérer et a améliorer dans le but de rendre plus effectif et plus efficace la protection des personnes fragiles par nature lors des conflits armés. Nous estimons de ce point de vue que cela doit nécessairement passer par un renforcement de la spécificité de la protection (Paragraphe1) mais aussi par une meilleure coordination de l'action des acteurs dans la mise en oeuvre du système de protection (Paragraphe 2). Paragraphe 1 : Un renforcement de la spécificité de leur protectionPour mieux répondre aux besoins spécifiques des personnes fragiles par nature, le DIH se doit d'accroître et de renforcer la spécificité de la protection aussi bien pour les femmes (A) que pour les enfants (B). A- Pour les femmesLes améliorations à la protection offerte aux femmes par le droit international humanitaire devraient être fondées sur l'observation des conséquences de la guerre sur les femmes dans un vaste éventail de situation et de conflits, tant civils qu'internationaux82(*).Les opinions divergent de façon considérable quant à ce que le droit peut offrir en fait d'atténuation de ces conséquences83(*). Il existe aussi des doutes quant à la capacité du droit d'apporter des changements fondamentaux pour les femmes. Tout ce qu'on arrivera peut-être à réaliser, comme l'avance Christine Chinkin, pourrait n'être que le «triomphe de la forme sur le fond». Par contre, le droit sert généralement à donner plus de poids aux structures sociétales, dans le cas qui nous intéresse, à la discrimination envers les femmes. Le droit doit par conséquent et à tout le moins, jouer un important rôle symbolique quant à l'amélioration de la position des femmes en temps de guerre. L'une des possibilités consisterait à refondre les règles du DIH pour redresser les aspects foncièrement discriminatoires. Toutefois, dans le climat politique international actuel, une réforme du DIH pourrait représenter une menace au maintien de règles actuelles qui ont leur utilité. Une autre possibilité consisterait à favoriser la réinterprétation des dispositions actuelles du DIH pour tenir compte de la perspective sexospécifique et modifier l'interprétation des règles. La Rapporteuse spéciale sur la violence contre les femmes recommande dans son rapport que les conventions de Genève soient revues et réévaluées «afin d'y incorporer les normes naissantes relatives à la violence contre les femmes en temps de guerre». À la lumière des travaux des tribunaux pénaux internationaux pour l'ex-Yougoslavie et le Rwanda, la question de la place dans ce contexte. La prépondérance de la reconceptualisation des règles existantes est conforme à l'idée de généralisation des sexospécificités avancée dans le Programme d'action découlant de la Conférence de Beijing. Ainsi, le paragraphe 141 du programme d'action stipule: «S'agissant des conflits, notamment des conflits armés, il faudrait promouvoir une politique active qui vise ostensiblement à généraliser la prise en compte des sexospécificités dans toutes les initiatives et tous les programmes, de façon que toute décision soit précédée d'une analyse des répercussions sur les intéressés en fonction de leur sexe». Ce processus, déjà entamé dans le domaine des droits de la personne, pourrait être également appliqué de nombreuses manières aux dispositions du droit international humanitaire. Par exemple, une révision des commentaires du CICR sur les conventions de Genève et leurs protocoles pourrait être entreprise afin d'obtenir une perspective sexospécifique de leurs dispositions et de tenir compte de l'évolution de l'interprétation des règles. Ces commentaires sont considérés comme une importante source d'interprétation des conventions et de leurs protocoles. Les commentaires sur les conventions ont toutefois été rédigés il y a une quarantaine d'années et contiennent des idées et des concepts qui sont désormais révolus. À titre d'exemple, prenons le commentaire sur l'art. 12 de la Deuxième Convention de Genève - «les femmes seront traitées avec tous les égards particuliers dus à leur sexe» -, qui dit : «quels égards particuliers? Nul doute ceux qu'on accorde dans tous les pays civilisés aux êtres plus faibles que soi et à ceux dont l'honneur et la pudeur commandent le respect. Par ailleurs, les commentaires, dans certains cas, ne reflètent plus avec exactitude les interprétations des dispositions telles qu'elles ont été adoptées par les États parties. Une autre méthode d'intégration des perspectives sexospécifiques au droit international humanitaire consiste à adopter une initiative visant à mieux faire connaître les règles relatives aux femmes, que devront entreprendre les États parties aux Conventions de Genève et aux PA en consultation avec le CICR. La dissémination est d'ailleurs une obligation faite aux États parties en vertu des traités. La formation des gardiens de la paix au droit international humanitaire et le traitement réservé aux femmes en temps de guerre est un sujet qui requiert l'attention à la fois les Nations Unies et des États qui fournissent des forces de maintien de la paix. De telles entreprises de dissémination sont d'ailleurs conformes à l'art. 33 de la Déclaration de Beijing, qui fait référence à la nécessité de «faire respecter le droit international, notamment le droit humanitaire, afin de protéger les femmes et les petites filles en particulier». Par ailleurs, on constate un certain progrès du côté des initiatives de reconstruction et d'instauration de la paix après la fin des hostilités. Ainsi, l'art. 134 du Programme d'action de Beijing fait référence à la nécessité de veiller à : «L'égalité d'accès et la pleine participation des femmes aux structures de pouvoir et leur contribution à tous les efforts déployés pour prévenir et régler les conflits... Pour pouvoir jouer un rôle égal à celui des hommes, dans l'établissement et le maintien de la paix, les femmes doivent avoir plus de pouvoir politique et économique et être suffisamment représentées à tous les niveaux de la prise de décisions.» Plusieurs États et organismes poursuivent de telles initiatives; par exemple, le gouvernement du Canada, la Division de la promotion de la femme des Nations Unies et le Haut- Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR). La simple inclusion des femmes aux initiatives de résolution après-conflit et d'établissement de la paix peut être perçue comme une solution simpliste («ajoutez quelques femmes et mélangez le tout») qui n'a pas encore réussi à réaliser la transformation des structures actuelles. Anne Gallagher écrit entre autre que «la nouvelle approche de l'intégration des perspectives sexospécifiques au domaine des droits de la personne constitue ce qu'on appelle une «intégration transformative», soit un processus qui vise à accomplir un changement fondamental. À la base des initiatives d'intégration des femmes à des fonctions publiques, se trouve l'hypothèse selon laquelle les femmes sont plus pacifistes et plus coopératives. Cette hypothèse pose un problème puisqu'elle accorde foi à des images stéréotypées de la femme, qui finissent par limiter ses possibilités et oublient de tenir compte de la diversité du potentiel des femmes. L'intégration des femmes à ces activités pour une simple question de justice serait en fait une justification moins litigieuse. Il est ici question de la vie même des femmes : les femmes devraient par conséquent avoir leur mot à dire dans la prise de décisions. Il pourrait être avantageux de continuer de concentrer l'attention particulièrement sur les femmes, mais d'une façon qui tiendrait compte de leurs divers rôles au sein de la société et non seulement de leur condition de mère ou d'objet sexuel. Par conséquent, il faudrait que des directives complètes portant sur le traitement des femmes en temps de guerre soient adoptées sous les auspices du CICR. Enfin, il faudrait instaurer une tribune où l'on pourrait discuter de la voie à suivre pour mieux protéger les femmes en temps de guerre. De plus en plus, le sujet fait partie de l'ordre du jour d'un vaste éventail d'organismes, tant gouvernementaux que non-gouvernementaux. Toutefois, leurs activités restent fragmentées et nécessitent un rapprochement. Ces mesures doivent également s'appliquer à l'enfant. * 82 L'étude de Graça Machel sur l'effet des conflits armés sur les enfants est un précédent. Voir Machel, op. cit. note 18. * 83 Voir p. ex. le Programme d'action de Beijing, op. cit. note 1, 1[131 (reconnaissant qu'il arrive que le droit international humanitaire soit systématiquement ignoré). |
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