Chapitre II : Un système de protection en
quête d'effectivité
Qui oserait nier que les personnes fragiles par nature ont
terriblement souffert au cours des innombrables guerre que le monde a connues
depuis 1945, que des mauvais traitements ont été infligées
à différentes catégories de captifs, que ce soit le fait
de régimes tyranniques ou d'individus incontrôlées, et que
différents actes de guerre ont non seulement provoqué des pertes
en vies humaines et des destructions de bien, mais ont également fait
voler en éclats l'espoir et la foi en un monde meilleur ? Un grand
nombre de ces horreurs auraient pu être évitées si le droit
humanitaire en vigueur avait été respecte par toutes les
parties.
La violence du contraste entre le foisonnement de dispositions
normatives et le comportement des hommes ne peut donc échapper à
un observateur objectif. Le fossé entre le droit et la
réalité parait plus important que ce ne soit
généralement le cas, même dans le domaine du droit
international. Nous devons nous demander franchement pourquoi il en est ainsi.
Il ne pourra pas être dit que le droit humanitaire est trop difficile
à appliquer, car nous avons vus qu'il s'agit d'un droit pragmatique qui
tient compte des réalités militaires. Ce qui est clair,
cependant, c'est que, bien qu'il prévoie des méthodes de mise en
oeuvre spéciales, celles-ci n'ont pas été suffisamment
appliquées. D'où l'existence d'un système de protection
déficient (Section 1) qui nécessite
impérativement des correctifs tant du point de vue juridique que dans le
cadre de l'application (Section 2).
Section 1 : Un système déficient
Cette déficience remarquée s'analyse tant du
point de vue juridique c'est-à-dire au niveau des textes garantissant la
protection (Paragraphe 1) que du point de vue de la pratique
c'est-à-dire dans l'application de cette protection
(Paragraphe2).
Paragraphe 1 : Les lacunes
d'ordre juridique
Elles se manifestent tout d'abord par la rigidité des
textes assurant la protection (A) mais également par
l'insuffisance des dispositions consacrées aux personnes fragiles par
nature (B).
A- La rigidité des textes assurant
la protection
La pratique montre que la mise en oeuvre du droit
international humanitaire s'accommode mal de mécanismes rigides. Au
contraire, ce sont les procédures les moins contraignantes qui
paraissent avoir permis les succès les plus probants dans ce domaine. Le
rôle accru joué par le C.I.C.R. au l'action modératrice
d'un tiers, étranger aux objectifs de cours des années,
particulièrement lors des conflits armés non internationaux, en
est la démonstration, comme il démontre que «la lutte et
aux impératifs du combat», reste indispensable. Il serait
erroné, cependant, d'en tirer la conclusion que l'argumentation
strictement juridique doit être écartée. Bien au contraire,
elle doit rester présente dans le cadre d'une telle action, parce
qu'elle la situe et place le débat à son véritable niveau.
L'expérience démontre toutefois qu'elle n'est pas suffisante.
Dans un monde sans véritable tribunal ou force supranationaux, la
persuasion fondée sur l'honnêteté, la neutralité et
l'efficacité constituent probablement l'arme essentielle de ceux qui
veulent contribuer à la mise en oeuvre du droit international
humanitaire. Le succès de cette branche du droit international --
indiscutable même s'il est relatif -- est dû pour une très
grande part au fait qu'elle est utile à chacun et qu'elle reste en
dehors de la querelle politique. Quiconque prétend jouer un râle
dans sa mise eu oeuvre ne saurait oublier cette donnée. On a souvent
insisté, et à juste titre, sur l'importance de l'art. 1er des
quatre Conventions, repris à l'art. 1er, § 1 du PA I, selon lequel
«les Hautes Parties Contractantes s'engagent à respecter et
à faire respecter la présente Convention [le présent
Protocole] en toutes circonstances». Cette
disposition s'est révélée riche en potentialités.
Elle est complétée dans le PA I par l'art. 80 «Mesures
d'exécution». En revanche, on ne trouve pas trace d'une telle
disposition dans le PA II. On peut se demander s'il s'agit d'une omission
volontaire ou bien si une référence implicite est susceptible
d'être dégagée du texte.
Les Conventions et les Protocoles contiennent aussi des
dispositions concernant la diffusion de leurs stipulations
ainsi que l'institution de conseillers juridiques dans les forces armées
(art. 82 du PA II).
Le système de la puissance protectrice (art. 8
Convention I et articles analogues dans les autres Conventions) (avait suscité de grands espoirs. Le commentaire
publié sous la direction de J. Pictet souligne la nouveauté des
dispositions adoptées en 1949, l'art. 8 renforçant «le
contrôle d'une saine application de la Convention, et par
conséquent l'efficacité de celle-ci».
L'expérience n'a cependant pas vérifié cette
prédiction et le recours à la puissance protectrice est
demeuré extrêmement limité. Il est pourtant toujours
prévu dans le PA I à l'art. 5. Certains Etats avaient même
proposé un renforcement de cette institution pour lui donner plus
d'efficacité. Ainsi l'Egypte, comme l'a rappelé le professeur
Ashmaoui, avait suggéré plusieurs amendements. En revanche, le
système de la puissance protectrice n'est pas mentionné dans le
PA II. Une autre innovation a été introduite dans le PA I
à l'art. 90 qui instaure une Commission internationale
d'établissement des faits. Celle-ci devait rendre plus efficaces les
dispositions succinctes en matière d'enquête prévues dans
les Conventions de 1949. La procédure est réglementée de
manière très détaillée. La Commission devait
être constituée lorsque vingt Hautes Puissances contractantes au
moins auraient accepté sa compétence. Elle est maintenant
entrée en fonction, mais jusqu'à présent elle n'a jamais
été saisie par une partie contractante ou une partie au conflit.
Ses membres déploient actuellement des trésors
d'ingéniosité pour essayer de débloquer la situation et de
donner vie à ce mécanisme. Récemment, le 15 octobre 1999
lors du colloque du CREDHO qui s'est tenu à Rouen sur le thème :
«Un siècle de droit humanitaire», le professeur Luigi
Condorelli, membre de la CIEF, a expliqué avec beaucoup d'enthousiasme,
mais aussi de réalisme, les efforts déployés par la CIEF
pour que les Etats s'intéressent à cette institution. Celle-ci
pourrait en effet rendre de grands services, la constatation des faits
constituant souvent une étape capitale dans le processus de
contrôle ou de répression des violations du droit en
général et du droit international humanitaire en particulier.
Les Conventions de Genève contiennent aussi des
dispositions bien connues, mais peu ou mal utilisées, concernant la
répression pénale (art. 49 et suivants de la 1ère
Convention et articles analogues pour les autres Conventions, ainsi que les
art. 85 et s. du PA I) . Ces mécanismes (infractions
graves et autres infractions) reposent sur les Etats, même si la
possibilité d'une Cour pénale internationale avait
été envisagée en 1949. Ils visaient à
établir l'universalité de la juridiction pour les violations
graves et l'universalité de la répression. Les
discussions actuelles à propos de la compétence universelle,
montrent que le résultat est loin d'avoir été atteint. Le
président Sommaruga a rappelé que pour le CICR la
compétence universelle est reconnue dans les Conventions de
Genève. Mais les Etats hésitent à
exercer cette compétence et il demeure des ambiguïtés sur le
sens exact à attribuer à cette notion. En France, par exemple, il
y a eu beaucoup de discussions à ce sujet dans les milieux juridiques,
politiques et humanitaires, au moment de l'adoption de la loi prise pour
l'application et la mise en oeuvre de la résolution du Conseil de
sécurité relative à la création du Tribunal
international pour le Rwanda.
A cela s'ajoute l'insuffisance des textes assurant la
protection des personnes fragiles par nature.
B- L'insuffisance des
dispositions assurant la protection
Même si plusieurs dispositions dans le corpus des normes
du DIH ont été consacrées à la protection
spéciale des femmes et des enfants, force est de reconnaitre que
celles-ci demeurent insuffisantes compte tenu des besoins spécifiques de
ces derniers en temps de conflit armé. En effet, la
vulnérabilité de ces personnes est telle qu'il faudrait penser
à tout bout de champ accroitre les mesures visant à les
protéger car des centaines de milliers d'enfants sont associés
aux forces armées ou aux groupes armés dans des conflits
armés dans plus de 20 pays à travers le monde. Filles et
garçons sont utilisés de diverses manières, depuis des
rôles annexes, comme la cuisine ou le portage, jusqu'au combat actif,
à poser des mines ou espionner, tandis que les filles sont souvent
utilisées à des fins sexuelles.
Cette utilisation impitoyable et brutale des enfants viole
leurs droits et leur cause un préjudice physique, de
développement, affectif, mental et spirituel. Il faut chercher en tout
temps à obtenir la libération, la protection et la
réintégration des enfants enrôlés ou utilisés
par les forces ou les groupes armés, même pendant un conflit
armé. Tous les acteurs humanitaires et des droits de l'homme doivent
prendre des mesures de prévention dès le début des
opérations humanitaires, d'une manière coordonnée et
stratégique. De plus, les femmes subissent les atrocités des plus
inimaginables, surtout lorsqu'elles sont en couche ou mères d'enfant de
bas âge. Nous estimons que ce phénomène est du non
seulement par la carence des mesures de protection qui ne prennent pas toujours
en compte l'ensemble des besoins spécifiques de ces personnes
fragiles.
Par ailleurs, cette insuffisance est d'autant plus
remarquée du point de vue des mesures répressives aux violations
éventuelles des garanties accordées aux personnes fragiles. En
effet, les violations qualifiées de crimes de guerre sont insuffisantes
par rapport aux atrocités que peuvent subir ces personnes surtout
lorsqu'elles sont aux mais de l'ennemi. Toutes ces considérations ne
font que rendre le système de protection déficient.
A coté de ces obstacles juridiques, on note
également la présence des lacunes relevées dans la
pratique.
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