Le droit international humanitaire et la protection des personnes fragiles par nature dans les conflits armés( Télécharger le fichier original )par Fatou Moctar FALL Université Gaston Berger - maitrise 2010 |
Section 2 : Les règles particulières de protection des femmesLe principe fondamental qui régit les droits dont jouissent les femmes en période de conflit armé est celui de la non-discrimination. Hommes et femmes civils ont des droits égaux50(*). Mais pour assurer aux femmes la jouissance de droits équivalents à ceux des hommes, il faut parfois leur accorder une protection spéciale, tenant compte de leurs spécificités physiologiques et psychologiques, de leur vulnérabilité accrue dans certaines circonstances, de leurs besoins, etc. Il existe donc DIH un devoir de différenciation. Il incombe aux Etats parties aux Conventions de Genève et, partant, à tous les combattants d'accorder aux femmes le respect qui leur est dû. La protection spéciale que les Etats ont accordée aux femmes, et particulièrement à certaines catégories d'entre elles, vient donc s'ajouter à la protection générale dont bénéficie l'ensemble de la population civile. Faisant partie des personnes vulnérables en raison de leur sexe qualifié de «faible» dans une certaine mesure, mais aussi compte tenu du fait que les femmes ont des besoins plus spécifiques en temps de guerre car ce sont elles qui font l'objet d'agressions, de mutilations et beaucoup d'insanités lors des conflits armés. C'est ainsi que le DIH, pour pallier à ce phénomène et pour répondre aux besoins spécifiques des femmes en temps de guerre a mis en place tout un dispositif tendant à accorder aux femmes, en plus d'une protection spéciale, une protection supplémentaire dans certaines circonstances. De ce fait, elles sont protégées de manière générale, en tant que femmes, contre toute atteinte à leur intégrité physique et à leur dignité. D'autres dispositions du DIH tendent à assurer par leur biais la protection de leur enfant à naître ou en bas âge. A travers la protection des femmes enceintes, en couches, de celles qui allaitent ou qui sont mères de jeunes enfants, c'est donc la maternité et l'unité familiale qui doivent être sauvegardées. L'économie de ces dispositions fait ressortir la nécessité de protéger les femmes contre les abus sexuels (Paragraphe 1). Une autre catégorie de femmes aussi seront prises en compte, compte tenu de leur situation ; il s'agit des femmes enceintes ou en couches, des mères d'enfants de bas âge et des femmes poursuivies pénalement qui elles, bénéficient d'une protection encore plus favorable (Paragraphe B). Paragraphe 1 : La protection contre les abus sexuelsElle se matérialise par la protection des femmes contre toute atteinte à leur honneur (A) mais également lorsqu'elles sont enceintes, en couches ou mères d'enfants de bas-âge (B).
A - Protection des femmes contre toute atteinte à leur honneurToutes les femmes sont protégées contre toute atteinte à leur honneur, notamment le viol, la prostitution forcée et tout attentat à la pudeur. L'OMS définit la violence sexuelle comme «tout acte sexuel, tentative pour obtenir un acte sexuel, commentaires ou avances de nature sexuelle, ou actes visant à un trafic ou autrement dirigés contre la sexualité d'une personne utilisant la coercition, commis par une personne indépendamment de sa relation avec la victime, dans tout contexte, y compris, mais s'en s'y limiter, le foyer et le travail.» Le conflit en Bosnie-Herzégovine a amené le monde à reconnaître que le viol des femmes est utilisé comme un moyen de guerre. Le monde a été horrifié en entendant les récits de femmes détenues pour être violées et rendues enceintes. Le viol, la prostitution forcée, l'esclavage sexuel et la grossesse forcée sont des violations du DIH et font aujourd'hui incontestablement partie du vocabulaire de la guerre. Ce ne sont pas des crimes « nouveaux». Qui oserait nier n'avoir pas été au courant des armées en maraude qui entraient dans les villes conquises pour se livrer au pillage et au viol? Mais rares sont ceux qui ont appris que le «viol» est un crime et ne peut jamais être justifié en tant que moyen de guerre, démonstration de puissance, récompense pour l'armée victorieuse, ou leçon pour les vaincus, incapables de protéger leurs femmes. Dans nombre de conflits, les femmes ont été systématiquement la cible de la violence sexuelle - parfois dans l'objectif politique plus large de procéder au nettoyage ethnique d'une région ou d'anéantir un peuple. Du Bangladesh à l'ex-Yougoslavie, de Berlin pendant la Seconde Guerre mondiale à Nankin sous l'occupation japonaise, du Vietnam au Mozambique, de l'Afghanistan à la Somalie, des femmes et des jeunes filles ont été les victimes de la violence sexuelle dans les conflits armés (cela est vrai aussi pour les hommes et les garçons, mais le problème est encore plus méconnu). L'une des conséquences du principe de traitement humain réside dans la nécessité de fournir une protection renforcée aux catégories de personnes civiles qui subissent, d'une façon particulièrement grave, les conséquences des conflits armés et qui se retrouvent, de ce fait, dans une situation de grande détresse; tel est le cas des femmes, surtout par rapport à la violence sexuelle. À cet égard, la multiplication des actes de cette nature perpétrés à l'encontre des femmes, lors de conflits comme ceux de l'ex-Yougoslavie ou du Rwanda, a entraîné une prise de conscience évidente de ce problème. Elle a supposé une évolution significative du DIH, qui attribue désormais une importance de plus en plus grande à la protection des droits humains de la femme51(*). Les actes de violence sexuelle sont ainsi qualifiés, dans les Statuts du TPIR et du TPIY, de crimes contre l'humanité (art. 3 et 5 respectivement), et même, dans celui du TPIR (art. 4), de violations de l'art. 3 commun aux Conventions de 1949 et du PA II. L'inclusion de ces références prouve la volonté des rédacteurs de ces textes de punir les attentats à la dignité des femmes. Quoique ces derniers n'aient pas été inclus dans le Statut du TPIY, en tant qu'infractions graves ou violations des lois et des coutumes de la guerre, cela ne l'a pas empêché le Tribunal de suivre la position du TPIR, en considérant le viol comme «un acte abject, qui porte atteinte au plus profond de la dignité humaine et de l'intégrité physique»52(*). En ce qui concerne la répression des actes de violence sexuelle, le jugement du TPIR, dans l'affaire Akayesu, est d'une importance primordiale pour le développement du DIH. En effet, pour la première fois, il a été reconnu que le viol systématique de femmes constituait un crime contre l'humanité, et même une forme de génocide. Par ailleurs, le même Tribunal a affirmé, au cours de l'affaire en question, que la «violence sexuelle était une étape dans le processus de destruction du groupe tutsi, destruction de son moral, de la volonté de vivre de ses membres, et de leurs vies elles-mêmes». De surcroît, il a estimé que le viol pourrait être considéré comme une forme de torture, ce qui a été confirmé et développé par le TPIY dans l'affaire Celebici, ce dernier ayant déclaré que, du moment que les actes de violence sexuelle réuniront les éléments constitutifs de la torture, ils pourront être qualifiés de tels [46]. Cette reconnaissance revêt une importance capitale, puisqu'elle permet de condamner les responsables de viols ou d'autres actes de violence sexuelle pour la perpétration d'infractions graves aux Conventions de Genève de 1949. L'importance du jugement dans l'affaire Akayesu réside également dans le fait que le TPIR s'est vu dans l'obligation d'élaborer une notion de viol en application du droit international, qui a servi de référence à des jugements ultérieurs du TPIY. En empruntant ce chemin, il a opté pour une définition large, étant donné que «si le viol s'entend traditionnellement en droit interne de rapports sexuels non consensuels, il peut en ses diverses formes comporter des actes consistant dans l'introduction d'objets et/ou l'utilisation d'orifices du corps non considérés comme sexuels par nature». De cette façon, il a identifié le viol à d'autres actes de violence sexuelle, ce qui a également été confirmé par des jugements postérieurs du TPIY. La jurisprudence des deux Tribunaux a donc joué un rôle essentiel dans la sanction des viols commis au cours de conflits armés, vu qu'à partir de ce moment-là, il a été estimé que ces conduites donnaient lieu à une responsabilité internationale de l'individu impliqué, les considérant comme crimes de guerre contre l'humanité ou génocide. On a ainsi mis fin à une situation où la répression de ces conduites s'avérait trop incertaine. Les femmes bénéficient d'une protection spéciale, conformément au principe défini à l'art. 14, paragraphe 2, selon lequel «les femmes doivent être traitées avec tous les égards dus à leur sexe». Ce principe est repris dans un certain nombre de dispositions qui font expressément référence aux conditions de détention des femmes dans les camps pour prisonniers de guerre et imposent, par exemple, l'obligation de prévoir des dortoirs séparés pour les femmes et les hommes, ainsi que des installations sanitaires distinctes. En application du principe du traitement différencié, les femmes subissant une peine disciplinaire doivent être détenues dans des locaux distincts de ceux des hommes et placées sous la surveillance immédiate de femmes. Paragraphe 2 : La protection en tant que mère ou future mère Ø En ce qui concerne les femmes enceintes ou en couche, le Protocole I consacre le principe selon lequel «les cas des femmes enceintes, arrêtées ou détenues ou internées pour des raisons liées aux conflits armés doivent être examinés en priorité absolue»53(*). Par-là, il est question que les femmes enceintes arrêtées soient libérées le plutôt possible54(*). Ce traitement favorable s'étend à l'offre supplémentaire de nourriture en fonction des besoins physiologiques nécessités par leur état55(*). Pour des raisons de santé, leur transfert est suffisamment limité et ne serait possible que si des raisons impérieuses de sécurité l'exigent56(*). Ø En ce qui concerne les mères d'enfants de bas âge, elles doivent aussi être traitées en priorité lorsqu'elles sont détenues ou arrêtées. Si la question de l'âge reste en suspens dans ce texte, la formule couramment employée est celle de la IVème Convention de Genève qui traite généralement du cas des mères d'enfants de moins de 7 ans. Cet âge est donc celui en principe retenu dans l'application de l'art. 76 du PA I précité. · L'assistance Les mesures préférentielles sont les dispositions promulguées dans les pays en guerre en faveur des personnes dont la vulnérabilité justifie une sollicitude spéciale. Par exemple, nous pouvons citer cartes d'alimentation supplémentaires, facilités pour les soins médicaux, assistance sociale spéciale, dispense de certains travaux, etc. Le principe d'impartialité oblige le CICR à privilégier les victimes de la guerre ayant les besoins les plus urgents. En vertu du DIH, la protection spéciale des femmes occupe une place importante dans les actions de protection et d'assistance que mène le CICR. Elle passe par de nombreuses actions : · Secours: Le ravitaillement des zones assiégées ou faisant l'objet d'un blocus et des camps de personnes déplacées en médicaments, nourriture et autres denrées indispensables à la survie. Les femmes enceintes ou en couches, les mères qui allaitent, ainsi que les enfants sont les bénéficiaires prioritaires des distributions. · Hygiène publique : construction de puits permettant aux femmes, dans certaines régions du monde, d'éviter de faire des longs, et parfois dangereux, déplacements pour aller chercher de l'eau potable. · Médical: les femmes sont des interlocutrices prioritaires du CICR pour les questions touchant à la santé de leurs enfants. Le CICR a par ailleurs réalisé des programmes de vaccination de femmes sur le point d'accoucher pour prévenir le tétanos néonatal. Il assure également souvent la fourniture de suppléments en iode aux femmes enceintes pour lutter contre certaines maladies des enfants à naître, comme le crétinisme. Par ailleurs, les cas des femmes enceintes ou mères d'enfants en bas âge, arrêtées pour des raisons liées au conflit armé, seront examinées en priorité absolue et au cas où une condamnation à mort serait prononcée, elle ne sera pas exécutée. En ce qui concerne la peine de mort le PA I et le PA II recommandent que la peine de mort ne soit retenue contre une femme enceinte et en tout cas, ne soit pas exécutée contre celle-ci et contre les mères d'enfants de bas âge dépendant d'elles pour une infraction commise en relation avec le conflit armé. En outre, une condamnation à mort pour de telles infractions ne peut être exécutée contre ces femmes. L'art. 6, paragraphe 4 du P.A 2 interdit totalement que la peine de mort soit exécutée contre les femmes enceintes et les mères d'enfants en bas âge. L'interdiction d'exécuter la peine de mort contre des femmes enceintes est aussi inscrite dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et dans la Convention américaine relative aux Droits de l'Homme. La mise en oeuvre couvre toutes les mesures qui doivent être prises pour assurer le plein respect des règles du DIH. Ainsi, une bonne application des garanties fondamentales consacrées à la protection des personnes fragiles par nature requiert la mise en place d'un système composé de l'ensemble des procédures, moyens et mécanismes auxquels les Parties aux Conventions de Genève et de leurs PA doivent exécuter pour une meilleure effectivité de la protection. A cet effet, le DIH présente un ensemble de mécanismes de mise en oeuvre par le biais d'instruments et de moyens spécifiés. Mais on se rend compte que, malgré les efforts déployés par la Communauté Internationale pour une efficacité de la protection juridique humanitaire des personnes fragiles par nature, le système de protection est toujours en quête d'effectivité. En fait on assiste de plus en plus, lors des conflits armés la multiplication d'actes consistant en des violations graves aux garanties fondamentales que le DIH accorde aux personnes fragiles par nature. C'est la raison pour laquelle des efforts doivent être consentis pour une mise en oeuvre substantielle et significative des règles du DIH. En d'autres termes il s'impose à la Communauté Internationale de traduire autant que faire se peut, les règles en action. Nous allons étudier d'abord le système de protection instituant les moyens de mise en oeuvre (Chapitre I) avant de voir que ce système de protection est en quête d'effectivité (Chapitre II). * 50 Convention IV, art. 27, §1; Protocole I, art. 75, §1 * 51 La IVe Convention de Genève de 1949 (art. 27, par. 2) et ses Protocoles additionnels de 1977 (art. 76 du Protocole I et 4, par. 2 e) du Protocole II) interdisent expressément le viol et tout autre forme de violence sexuelle. Ces conduites n'ont toutefois pas été considérées, en tant que telles, comme des infractions graves, ce qui empêchait qu'elles puissent être sanctionnées * 52 Procureur c. Delalic et consorts, loc. cit. (note 9), par. 495. Quant à l'affaire Furundzija, le TPIY a admis que la violence sexuelle pouvait constituer une infraction grave aux Conventions de Genève ou une violation des lois et coutumes de la guerre: Procureur c. Anto Furundzija, loc. cit. (note 20), par. 172. * 53 Article 76 Protocole I * 54 Art 132 IVe CVG 25-Art 89 IVeme CVG * 55 Art 127 IVe CVG * 56 Art 76 Al PI |
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