SOMMAIRE
INTRODUCTION
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2
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PREMIER CHAPITRE : LES SOURCES DU DROIT DE NE PAS
S'AUTOACCUSER
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11
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SECTION PREMIÈRE : LES SOURCES INTELLECTUELLES DU DROIT DE
NE PAS
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S'AUTOACCUSER
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12
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I. LES SOURCES PHILOSOPHIQUES DU DROIT DE NE PAS
SÕAUTOACCUSER
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.12
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II. LES SOURCES JURIDIQUES Ë LÕORIGINE DU DROIT
DE NE PAS SÕAUTOACCUSER
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13
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SECTION DEUXIéME : LES SOURCES NORMATIVES DU DROIT DE NE
PAS S'AUTOACCUSER..14
I. LÕINFLUENCE DES ORDRES JURIDIQUES PROCHES
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14
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II. LA RECHERCHE DÕUN FONDEMENT CONVENTIONNEL
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17
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CONCLUSION DU PREMIER CHAPITRE
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27
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DEUXIEME CHAPITRE : LE DOMAINE DU DROIT DE NE PAS
S'AUTOACCUSER
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29
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SECTION PREMIÈRE : LA NOTION DE MATIéRE
PÉNALE
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30
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I. LÕÉLABORATION DIFFICILE DÕUN
CRITéRE DE LA MATIéRE PÉNALE
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30
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II. TYPOLOGIE DES AFFAIRES RESSORTISSANT Ë LA
MATIéRE PÉNALE
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33
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SECTION DEUXIéME : LA QUALITÉ D'ACCUSÉ D'UNE
INFRACTION
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36
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I. LÕACCUSÉ CLASSIQUE OU LE CRITéRE DES
RÉPERCUSSIONS IMPORTANTES
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37
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II. LÕACCUSÉ TÉMOIN OU LE
CRITéRE DE LA NOTIFICATION OFFICIELLE
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39
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III. LÕACCUSÉ PERSONNE MORALE OU LE
CRITéRE EN SUSPENS
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41
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CONCLUSION DU DEUXIéME CHAPITRE
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43
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TROISIEME CHAPITRE : LA PORTEE DU DROIT DE NE PAS
S'AUTOACCUSER
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45
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SECTION PREMIÈRE: LES VIOLATIONS AU STADE DE
L'ENQUæTE : LE CRITéRE DE LA
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COERCITION ABUSIVE
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46
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I. LA CONTRAINTE PHYSIQUE OU LA POSSIBILITÉ RELATIVE
DE FORCER LE REQUÉRANT Ë
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COLLABORER PASSIVEMENT Ë SA PROPRE ACCUSATION
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46
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II. LA CONTRAINTE PSYCHOLOGIQUE OU
LÕIMPOSSIBILITÉ ABSOLUE DE FORCER LE
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REQUÉRANT Ë COLLABORER ACTIVEMENT Ë SA
PROPRE ACCUSATION
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51
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CONCLUSION DE LA SECTION PREMIÈRE
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.61
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SECTION DEUXIéME : LES VIOLATIONS AU STADE DU JUGEMENT :
LE CRITéRE DE L'IMPACT
63
I. LÕINTERDICTION ABSOLUE DE CONDAMNER
LÕACCUSÉ SUR LE FONDEMENT DÕAVEUX CONTRAINTS 64
II. LÕINTERDICTION RELATIVE DE CONDAMNER
LÕACCUSÉ SUR LE SEUL FONDEMENT DE SON
SILENCE 70
CONCLUSION DE LA SECTION DEUXIéME 79
CONCLUSION GENERALE 81
INTRODUCTION
1. «Vous avez le droit de garder le silence. Tout ce que
vous direz pourra être retenu contre vous. Vous avez le droit de
consulter un avocatÉ». Ainsi commence la longue litanie des
«droits» du suspect, dont même le grand public sait, gr%oce aux
fictions policières, qu'ils doivent être notifiés par les
enquêteurs avant le début des interrogatoires, si ce n'est
dès les premiers instants de l'arrestation.
Ë l'heure oü, en France, l'enregistrement audiovisuel
gardes à vue 1
on procède à des , on peut
se demander si la réalité est en passe de
rejoindre la fiction. En tout cas, on constate un regain d'intérêt
pour les droits du suspect et ce, tout au long de la procédure. Cette
surenchère technologique vise en effet à renforcer le
mécanisme classique, garant de l'équité, constitué
par la présomption d'innocence ou les grands principes régissant
le droit de la preuve. Ainsi, alors même que la tendance actuelle est
à la répression accrue des comportements nuisibles à la
société, les réformes les plus récentes semblent
justifiées par le souci de rétablir l'égalité des
armes entre les autorités chargées des poursuites et le
suspect.
2. Pour autant, les modifications apportées concernent
surtout des détails techniques; les principes fondamentaux, eux,
demeurent inchangés. Ainsi, une loi récente visant à
Ç renforcer l'équilibre de la procédure pénale
>>2 crée des pTMles d'instruction et encadre le
déroulement des gardes à vue mais ne touche pas à la
présomption d'innocence ou aux règles de preuve. En
réalité, les premiers éléments viennent en
«renfort» des seconds, qui sont le pilier de
«l'équilibre» visé. On constate que l'article 116
CPP, par exemple, existe toujours, imposant au juge d'instruction
d'avertir le suspect qu'après avoir consulté son avocat, il
Ç a le choix soit de se taire, soit de faire des déclarations,
soit d'être interrogé >>.
Parmi les droits reconnus ici à
l'intéressé, le premier lui confère une immunité de
parole qui, associée à la présomption d'innocence et aux
autres règles de preuve, garantit le caractère équitable
de la procédure. En effet, le droit de se taire, ainsi que la
consultation de l'avocat qui précède son exercice, lui permettent
de conserver la liberté de sa défense, et jouent le rTMle
1 Art. 14 de la loi n 2007-291 du 5 mars 2007 tendant
à renforcer l'équilibre de la procédure pénale
(nouvel article 64-1 CPP).
2 Cf. note 1 ci-dessus.
de contrepoids face aux prérogatives des
enquêteurs dans la recherche de preuves à charge. Le suspect peut
ainsi non seulement s'exprimer pour contester la force probante des
pièces obtenues gr%oce aux perquisitions, mais également choisir
de se taire ou de répondre aux questions qui lui sont posées
selon que l'un ou l'autre comportement lui para»t être la meilleure
stratégie de défense.
3. L'immunité de parole est sans doute, des
règles qui garantissent l'équité de la procédure,
la plus surprenante. En effet, elle permet à l'individu qui fait l'objet
des poursuites de mentir, au moins par omission, et de faire ainsi obstacle
à l'établissement de la vérité judiciaire. Or, le
droit pénal consacre également un Çdevoir de respecter le
vrai È3, tout particulièrement en matière
pénale oü les enjeux justifient que tout citoyen soit astreint
à dire la vérité. Si certaines obligations de
dénoncer des infractions ne peuvent être imposées à
leur auteur4, ce n'est pas le cas de toutes. Ainsi, un individu
ayant causé un accident de la circulation doit permettre son
identification5 ; de même, l'auteur d'une agression doit
porter secours à sa victime6. Par conséquent, une
difficulté surgit de la confrontation des textes, qui tantôt
obligent à parler, tantôt autorisent à se taire. Il y a
donc un conflit de valeurs entre les droits de la défense et l'objet de
protection d'une norme imposant l'obligation susmentionnée.
4. Pareillement, certaines procédures spéciales
prévoient une sanction pénale en cas de refus de
l'intéressé de participer à la recherche de preuves.
Ainsi, en matière fiscale, l'administration des impôts peut
contraindre tout contribuable à lui communiquer des documents qu'il
détient et qui permettraient d'établir l'assiette et le
contrôle de l'impôt dont il est redevable7. Or, en cas
de refus, l'individu concerné s'expose à une amende d'un montant
élevé8 ; à l'inverse, s'il accède
à la demande de l'administration, celle-ci pourra se fonder sur les
documents communiqués pour engager des poursuites pénales du chef
de fraude fiscale. La situation dans laquelle est ainsi placée le
contribuable est particulièrement déséquilibrée
puisque, d'un côté, il sera sanctionné automatiquement en
raison de son simple refus, et de l'autre, il sera sanctionné sur le
fondement des preuves qu'il aura lui-même produites. En
3 Cf. A.-M. Larguier, Immunités et
impunités découlant pour l'auteur d'infractions d'une infraction
antérieurement commise par celui-ci, article cité en
bibliographie.
4 Cf. A.-M. Larguier, article ci-dessus.
5 Code pénal, article 222-19-1,
6°.
6 Code pénal, article 223-6, al. 2,
tel que l'interprète la Cour de cassation. Cf. Crim. 24 juin
1980, Bull. crim.., n° 202 ; RSC 1981, p. 618, obs.
Levasseur, àpropos de violences mortelles.
7 LPF, art. 81 et suivants.
8 Art. 1740 CGI, al. 1.
outre, l'intéressé ne pourra opposer
efficacement les droits de la défense puisque, dans le premier cas, il
ne fait l'objet d'aucune poursuite et n'a donc pas de défense à
exercer, tandis que dans le second, sa défense sera
discréditée par ses propres déclarations
antérieures.
Ce type de procédure s'inscrit également dans le
cadre d'un conflit de valeurs entre nécessités de la
répression et droits
de la défense, conflit tranché dans le sens
d'une négation de ces derniers par l'obligation faite à
l'intéressé de produire des pièces à charge.
L'inégalité des armes est flagrante en la matière, et
l'équité exigerait que le contribuable puisse, ici aussi,
bénéficier d'une certaine immunité de parole, d'un certain
droit au silence.
5. Si la notion de droit au silence s'impose avec
difficulté dans les systèmes oü, une place supérieure
étant accordée aux intérêts de la justice, la
volonté des parties ne doit pas faire obstacle à
l'établissement de la vérité - autrement dit, dans les
systèmes à dominante inquisitoire - les pays de Common Law,
particulièrement soucieux des droits de la défense, s'en
accommodent plus aisément. En effet, puisque c'est aux parties,
égales entre elles y compris en matière pénale,
d'établir la vérité, il est naturel qu'aucune ne puisse
contraindre l'autre à rompre le silence. Le Vème
Amendement de la constitution américaine reconna»t ainsi
expressément le droit pour tout justiciable de ne pas être
contraint de témoigner contre soi- même9.
6. Lorsque l'on se situe au niveau européen, oü
différents systèmes de droit cohabitent, il importe
d'établir un modèle juridique uniforme, afin que tous les
justiciables bénéficient d'une même égalité
de traitement. En matière de droits fondamentaux, ce modèle
existe: il s'agit de la Convention européenne de sauvegarde des droits
de l'homme et des libertés fondamentales10 (ci-après
la ConvEDH ou la Convention), dont les exigences doivent être
intégrées dans l'ordre juridique interne de chaque Etat-membre.
Cependant, le texte européen ne prévoit pas sa transposition
directe: chaque Etat reste libre de mettre en Ïuvre les moyens qu'il
estime nécessaires pour parvenir au résultat souhaité par
la Convention. Dans de telles conditions, il est naturel qu'un organe
juridictionnel assure l'harmonisation des droits consacrés au niveau
national, afin qu'il n'y ait pas de disparité d'application au sein de
l'ordre
9 Ç No person shall be [É] compelled
in any criminal case to be a witness against himselfÈ. La Cour
Suprême interprète ces dispositions comme consacrant un droit de
ne pas témoigner oralement contre soi-même; il est en revanche
licite de contraindre l'accusé à produire des preuves contre
lui-même, ce qui montre bien la difficulté de concilier
liberté de parole et recherche de la vérité, même
dans un système qui fait la part belle aux droits de la
défense.
10 Signée à Rome le 4 novembre 1950 et
ratifiée par la France le 3 mai 1974.
juridique européen. C'est à la Cour
européenne des droits de l'homme (ci-après la CourEDH ou la Cour)
qu'il revient d'assurer ce contrôle. Chargée de
l'interprétation des dispositions conventionnelles, elle contribue
à l'élaboration d'un standard européen vers lequel les
systèmes nationaux doivent tendre.
7. Parmi les articles phares du modèle instauré
par la Convention figure l'article 6, qui consacre le droit à un
procès équitable. Le souci de l'équité n'est certes
pas une nouveauté mais l'originalité de son interprétation
par la Cour a provoqué d'importantes transformations au sein des ordres
internes. Ainsi, le droit au procès équitable suppose à la
fois le droit d'accès à un des de autorités publiques
11
juge et le droit à l'exécution décisions
justice par les ,
ce dernier élément ayant été
dégagé des textes par une interprétation extensive de la
Cour. Les dispositions visées ne consacrent en effet que le droit de
toute personne <<à ce que sa cause soit entendue (É) par un
tribunal >>12, sans aucune référence à la
mise en Ïuvre des décisions de ce tribunal.
De méme, en matière d'impartialité de la
juridiction13, la CourEDH a surpris par le sens et la portée
qu'elle a donnés à ces termes. En effet, elle a
considéré qu'il y a violation de l'article 6 lorsque l'avocat
général près la Cour de cassation participe au
délibéré, quoique seulement avec voix consultative, car
<<il y a disposé, fût-ce en apparence, d'une occasion
supplémentaire d'appuyer ses conclusions en chambre du conseil
>>14. Cette «théorie de l'apparence» illustre
l'originalité des interprétations de la Cour, qui
développe des notions européennes autonomes, différentes
de leurs homologues en droit interne.
8. Néanmoins, la Cour s'était jusque là
limitée à une interprétation large, voire extensive des
textes, dans le sens d'une exigence toujours accrue et d'un contrôle
approfondi du caractère équitable des procédures internes.
Or, récemment, elle a dégagé de l'article 6 une notion qui
n'y figure pas expressément et, par une interprétation cette
fois-ci véritablement constructive qui rajoute aux dispositions du
texte, elle a érigé l'immunité de parole en garantie
conventionnelle de l'équité. L'arsenal européen est
désormais doté d'un << droit de ne
11 CEDH 19 mars 1997, Hornsby c/ Grèce, JCP
G 1997, II, 22949.
12 ConvEDH, art 61.
13 Cf. art. 6§1 : << toute personne a droit
à ce que sa cause soit entendue (É) par un tribunal
indépendant et impartial >>.
14 CEDH 20 février 1996, Vermeulen c/ Belgique,
Rec., A, 1996, I.
Vème
pas contribuer à sa propre incrimination È,
équivalent européen du Amendement
américain15.
Fondé malgré tout sur des dispositions de la
Convention, ce droit s'impose à tous les Etats- membres et, si ceux-ci
connaissaient déjà l'immunité de parole, la notion est
désormais définie de facon autonome par la CourEDH qui en assure
l'application uniforme au sein des ordres nationaux.
9. Cependant, poser des définitions in abstracto
n'est pas le point fort de la Cour, qui ne veut pas se laisser enfermer
par sa propre conception contingente d'un droit. Aussi, plutôt que de
fixer a priori les règles à respecter, elle
considère que, puisque le droit de ne pas contribuer à sa propre
incrimination a été rattaché à l'article 6 ConvEDH,
son rôle revient à contrôler le caractère
équitable de la procédure dans son ensemble, et
d'apprécier in concreto si, dans cette optique, les exigences
découlant de ce droit ont effectivement été
violées. Ainsi, en matière de droit à l'immunité de
parole, dont on a vu que les enjeux se situent essentiellement sur le terrain
de la recherche de preuve en matière pénale, la CourEDH rappelle
régulièrement <<qu'aux termes de l'article 19 de la
Convention, elle a pour tâche d'assurer le respect des engagements
résultant de la Convention pour les Etats contractants.
Spécialement, il ne lui appartient pas de conna»tre des erreurs de
fait ou de droit prétendument commises par une juridiction interne, sauf
si et dans la mesure oü elles pourraient avoir porté atteinte aux
droits et libertés sauvegardés par la Convention. Si celle-ci
garantit en son article 6 le droit à un procès équitable,
elle ne réglemente pas pour autant l'admissibilité des preuves en
tant que telles, matière qui dès lors relève au premier
chef du droit interne. Il n'appartient pas à la Cour de se prononcer,
par principe, sur la recevabilité de certaines sortes
d'éléments de preuve, par exemple des éléments
obtenus de manière illégale, ou encore sur la culpabilité
du requérant. Il y a lieu d'examiner si la procédure, y compris
la manière dont les éléments de preuve ont
été recueillis, fut équitable dans son ensemble, ce qui
implique l'examen de l'<< illégalitéÈ en question
et, dans les cas oü se trouve en cause la violation d'un autre droit
protégé par la Convention, de la nature de cette
violationÈ16.
15 La notion est essentiellement inspirée de
la Common Law, môme si son contenu est adapté aux
particularités du droit européen. La Cour n'hésite
d'ailleurs pas à l'interpréter en reprenant à son compte
la jurisprudence de la Cour suprôme américaine et de la Cour
suprôme canadienne, cf. infra n° 31.
16 Cf. CEDH 5 octobre 2001, Allan c/ Royaume-Uni,
§ 42 ; CEDH 11 juillet 2007, Jalloh c/ Allemagne, § 95.
10. Il est certain que le Cour ne saurait, par ses
décisions, modifier le droit d'un Etat souverain. Néanmoins, il
ne fait pas de doute que sa jurisprudence exerce une influence
considérable sur le droit interne. En effet, lorsqu'en matière de
droit au silence, elle censure les dispositifs nationaux qui constituent un
Ç guet-apens >>17 visant à provoquer les aveux
d'un suspect, le législateur doit alors modifier la loi sous peine
d'encourir de nouvelles condamnations, et les juridictions internes doivent
reprendre à leur compte la jurisprudence européenne. La CourEDH
permet ainsi, sous couvert de rendre des solutions d'espèce,
d'identifier les dispositions nationales qui contrarient les exigences de la
Convention, et suggère à tout le moins les remèdes qu'il
conviendrait de leur substituer.
11. Il reste que sa jurisprudence est casuistique, souvent
discrétionnaire (arbitraire?) et parfois contradictoire. La Cour se
Çbornant aux faits de la cause >>18, il est très
difficile d'ordonner les espèces en un ensemble cohérent et d'en
tirer de grands principes concernant le droit de ne pas contribuer à sa
propre incrimination.
La doctrine ne s'y est pas essayée et rares sont les
tentatives de présenter une analyse claire et précise de la
jurisprudence de la CourEDH sur ce point particulier19. Les auteurs
envisagent la question dans le cadre plus général du droit
à un procès équitable consacré par l'article 6,
et
20
n'accordent que des développements succincts au droit
de ne pas s'incriminer soi -même . Ainsi, le recueil des grands
arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme n'y consacre
21
que deux p ages et se contente de rappeler les solutions
posées fil des espèces
au . Toutefois, il est probable qu'il n'existe pas, dans
l'esprit de la Cour elle-même, une construction particulièrement
élaborée et cohérente du droit de ne pas contribuer
à sa propre incrimination. Aussi faut-il apprendre à se contenter
d'indications confuses et d'obiter dicta disséminés
çà et là, pour tenter au final de dégager une
vision claire et complète du mécanisme mis en place.
12. La chose est d'autant plus difficile que les termes
mêmes employés par la CourEDH n'ont pas toute la précision
souhaitable. Les expressions désignant le droit en question sont
17 Arrêt Allan, précité.
18 CEDH 2 mai 2000, Condron c: Royaume-Uni, § 55;
CEDH 8 février 1996, John Murray c/ Royaume-Uni, §44.
19 Excepté l'exposé de L.-E. Pettiti,
Droit au silence, cité en bibliographie et qui
récapitule la jurisprudence de la Cour sans en proposer d'explication
particulière, il n'existe pas d'étude consacrée
exclusivement au droit de ne pas contribuer à sa propre
incrimination.
20 Ainsi de F. Sudre, dont les chroniques au
JCP intègrent en quelques lignes les arrêts sur cette
question dans une revue des Ç règles du procès
équitable >>. Cf., notamment, JCP G, 1998, I,
107.
21 F. Sudre et alii, Les grands
arrêts de la Cour européenne des droits de lÕhomme,
cité en bibliographie.
multiples mais ne se recoupent pas toujours parfaitement, la
conception de la Cour elle-même évoluant au fil des
espéces. Droit au silence, droit de ne pas contribuer à sa propre
incrimination, droit de se taire, droit de ne pas collaborer à son
accusation, droit de ne pas produire des preuves à chargeÉLes
expressions ne sont pourtant pas substituables et, sans développer une
construction nettement hiérarchisée, la Cour nÕaccorde pas
la même importance à toutes ces notions.
13. La formule initiale est la plus frequemment employee, qui
consacre le Ç droit de ne pas contribuer à sa propre
incrimination ». Il est navrant de constater quÕau moment
même oil la CourEDH crée une notion nouvelle et potentiellement
riche en consequences juridiques, elle la désigne par des termes
inappropriés sans rapport avec le sens quÕelle entend lui donner.
En effet, ÒlÕincriminationÓ désigne Ç
lÕacte officiel de reprobation du législateur »22
qui determine les comportements quÕil convient dÕériger en
infraction pénale. Il sÕagit dÕune operation
essentiellement politique. ÒContribuer à sa propre
incrimination» signifie donc littéralement participer à la
déterminat
ion des infractions, ce qui, dans un regime
représentatif, consiste principalement à élire les
représentants du peuple. Il est bien evident que ce nÕest pas
cette operation qui est visée par la Cour et que le droit quÕelle
consacre doit etre appréhendé dans sa dimension judiciaire et
notamment procédurale. Ce qui est en jeu, cÕest la façon
dont la procedure pénale est susceptible de nier la liberté de
parole du justiciable, de lÕamener à reveler contre son
gré des faits ou des actes qui permettent dÕétablir
quÕil est lÕauteur dÕune infraction. Ce faisant,
lÕintéressé fait le jeu du ministére public et, au
lieu de se défendre, contribue à stayer sa propre accusation.
14. Il semble donc plus approprié de designer le droit
dont il sÕagit par lÕexpression Òdroit de ne pas
contribuer à sa propre accusation», ou plus simplement de parler du
Òdroit de ne pas sÕautoaccuserÓ. DÕautant que
lÕarticle 6 ConvEDH, lorsquÕil définit le champ
dÕapplication des regles du procés equitable, dispose notamment
que ces regles sÕappli quent à toute procedure dÕÇ
accusation en matiére pénale È. En consequence, et pour la
clarté du propos, le droit de ne pas contribuer à sa propre
incrimination, tel quÕil est consacre par la CourEDH, sera le plus
souvent désigné par lÕexpression Òdroit de ne pas
sÕautoaccuserÓ.
22
Cf. Yves Mayaud, Droit pénal
général.
De plus, selon les termes mêmes de la Cour, Ç la
notion dÕaccusation en matiére pénale revêt un
caractére autonome ; elle doit sÕentendre au sens de la
Convention, dÕautant quÕen son texte anglais lÕarticle 6-1
se sert dÕun mot Ð charge Ð de portée fort vaste
È23. Par suite, le terme ÒaccuseÓ sera entendu
au sens autonome que lui confére la ConvEDH 24 et
désignera aussi bien la personne accusée dÕun crime que le
prévenu poursuivi du chef dÕun délit et, dÕune
façon plus générale, toute personne suspectée
d'être lÕauteur dÕune infraction.
Enfin, les requérants et la Cour elle-même
transforment lÕarticle 6 en une sorte de fourre-tout servant de
fondement aux requêtes, sans distinguer entre les différents
droits quÕil consacre au titre du procés
équitable25. Aussi, dans les développements qui
suivent, essentiellement consacrés au Òdroit de ne pas
sÕautoaccuserÓ, lÕexpression «violation de
lÕarticle 6Ó sera employee, sauf precision contraire, comme
synonyme de «violation du droit de ne pas sÕautoaccuserÓ.
15. Saisie dÕune requête en violation du droit de
ne pas sÕautoaccuser, la Cour procéde toujours selon le
même raisonnement, dont les grandes étapes sont
synthétisées dans une formule type, rappelée à
titre préliminaire avant tout examen au fond de lÕaffaire. Ce
modéle subit parfois de légéres modifications mais il
reste une constante, si bien que la Cour, dans les arrêts plus
récents, se contente de renvoyer à sa propre jurisprudence et ne
reprend
plus
lÕénoncé dans son intégralité
:
Ç Même si l'article 6 de la Convention ne les
mentionne pas expressément, le droit de garder le silence et le droit de
ne pas contribuer à sa propre incrimination sont des normes
internationales généralement reconnues qui sont au cÏur de
la notion de procés equitable. Elles tendent à mettre le
prévenu à l'abri d'une coercition abusive de la part des
autorités, donc à éviter des erreurs judiciaires et
à garantir le résultat voulu par l'article 6. Le droit de ne pas
contribuer à sa propre incrimination concerne en premier lieu le respect
de la determination d'un accuse à garder le silence et presuppose que
l'accusation cherche à fonder son argumentation sans recourir à
des éléments de preuve obtenus par la contrainte ou les
pressions, au mépris de la volonté de l'accusé. Pour
rechercher si une procedure a anéanti la
23 CEDH 27 fevrier 1980, Deweer c/ Belgique, Rec.
Série A, n35 .
24 Sur le sens autonome de lÕexpression
Òaccuse en matière penaleÓ, cf. infra, n77.
25 Seul lÕarticle 6§1 a trait au proces
equitable ; le 2 concerne la presomption dÕinnocence et le 3 les droits
de la defense. Mais le proces equitable tantTMt absorbe les autres notions,
tantTMt se combine avec elles, et sÕil est inapproprie de parler de
violation du droit à un proces equitable pour designer lÕensemble
de ces textes, il est acceptable de parler plus generalement de violation de
lÕarticle 6 sans preciser le paragraphe dont il sÕagit, pour
designer une violation du droit de ne pas sÕautoaccuser. DÕautant
que la Cour fonde les applications de ce droit aussi bien sur le 1 que sur les
deux paragraphes suivants. Sur ces developpements, cf. infra, n 33 et
suivants.
substance même du droit à ne pas contribuer
à sa propre incrimination, la Cour doit examiner la nature et le
degré de la coercition, l'existence de garanties appropriées dans
la procédure et l'utilisation qui est faite des éléments
ainsi obtenus ».
16. Cet énoncé est facile à comprendre et
a le mérite de résumer les grandes étapes dans la mise en
oeuvre in concreto du droit de ne pas s'autoaccuser. La CourEDH en
délimite d'abord les contours : elle identifie l'origine de ce droit et
sa finalité. Elle rattache ensuite la notion à un fondement
juridique, car la Cour doit avant tout appliquer le texte de la Convention.
Enfin, elle en précise la portée, en identifiant les enjeux du
droit de ne pas s'autoaccuser et les éléments principaux qui
feront l'objet de son contrTMle.
Il faudra donc dans un premier temps situer ce droit dans son
contexte, ce qui impose d'en étudier les sources (premier
chapitre). Jusque là inédit dans l'ordonnancement
juridique européen, le droit de ne pas s'autoaccuser est rattaché
par la CourEDH à un fondement textuel qui en détermine le champ
d'application. Il faut donc, dans un deuxième temps, étudier son
domaine (second chapitre). Enfin, le mécanisme mis en
place est particulierement complexe, ce qui rend sa lecture malaisée. Il
convient donc de remettre un peu d'ordre au sein de la jurisprudence de la Cour
et de dégager, de ses applications aux différents cas d'espece,
la portée concrete du droit de ne pas s'autoaccuser (troisiime
chapitre).
PREMIER CHAPITRE : LES SOURCES DU DROIT DE NE PAS
S'AUTOACCUSER
17. Le droit de ne pas s'autoaccuser puise sa source dans des
considérations intellectuelles qui lui confèrent à la fois
une légitimité et un but. Une légitimité d'abord,
parce que ce droit n'est pas consacré par la Convention elle même,
mais correspond à l'esprit du texte qui vise à protéger
les «droits de l'homme» et les «libertés
fondamentales». L'inspiration philosophique confère au droit de ne
pas s'autoaccuser une touche de jusnaturalisme qui l'intègre
parfaitement dans l'ordonnancement juridique européen. Un but ensuite,
parce que le mécanisme mis en place devra permettre d'assurer, au niveau
de chaque Etat-membre, le respect des exigences posées par la CourEDH.
Celle-ci s'inspire des systèmes connus (le droit de ne pas s'autoaccuser
n'est une nouveauté qu'au niveau européen) pour élaborer
finalement une construction assez originale.
Ces développements feront l'objet de la section
première.
18. Le droit de ne pas s'autoaccuser ne peut toutefois se
satisfaire d'une simple légitimité théorique. Pour pouvoir
être invoqué par les requérants, il doit être
doté d'une assise juridique, plus précisément d'une assise
conventionnelle. Usant de ses prérogatives en tant qu'organe
chargé de la mise en Ïuvre uniforme des dispositions de la
Convention, la CourEDH a prétendu découvrir un droit enfoui au
coeur des textes, ce qui lui a permis de mettre en place un mécanisme
doté d'une assise juridique stable et incontestable. Le fondement
textuel du droit de ne pas s'autoaccuser fera l'objet d'une section
deuxième .
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