Chapitre 3 : La théorie de la
représentation d'avenir
La théorie de la représentation d'avenir est une
des théories les plus adaptées pour décrire les choix
professionnels des adolescents et servir à l'orientation scolaire et
socioprofessionnelle. Les principaux auteurs qui ont développé
cette théorie sont Evola (1996, 2005) ; Ginsberg (1951) ; Guichard
(1993), Guichard et Huteau (2007) et Nuttin (1980).
La représentation d'avenir est une modalité
importante dans la relation qu'un individu, et particulièrement un
adolescent, entretient avec son avenir. La représentation d'avenir
suppose que l'adolescent se projette dans le temps social, pour anticiper son
statut social futur, de même que l'avenir socioprofessionnel qu'il
aimerait avoir. Les théoriciens de la représentation d'avenir
mettent en exergue les modalités de formation de projets d'avenir chez
les adolescents.
3.1. Fondements théoriques
Des auteurs ont montré que la représentation
d'avenir a des fondements socioculturels. D'après Guichard, (1993 :16),
la représentation d'avenir recouvre tant en pédagogie qu'en
sociologie, en psychologie sociale ou cognitive, l'ensemble des projets
d'avenir qui s'établissent « sur un futur qu'on souhaite
atteindre, c'est-à-dire sur un ensemble de représentations de ce
qui n'est pas encore là, mais que l'on juge pus souhaitable que ce que
l'on perçoit de la situation présente. Le projet s'appuie donc
aussi nécessairement sur des représentations de ce présent
qu'il s'agit sûrement de dépasser ».
Il apparaît, à la lecture de cette
déclaration, que la représentation d'avenir est
consécutive à une expérience passée, scolaire et
sociale, qui éclaire l'instant présent et permet aux sujets, de
se représenter le futur comme voulu, comme projet à atteindre.
Une telle entreprise renvoit nécessairement à la constitution
d'une histoire de la personnalité. Guichard (1993) note que la
représentation du choix d'avenir repose sur les caractéristiques
d'une personnalité, elle-même redevable d'une histoire
personnelle. L'interaction entre le sujet et son milieu de vie est importante.
La socialisation joue ici un rôle de premier plan. Une bonne
socialisation a pour conséquence de prédisposer l'enfant à
s'engager dans la réalité sociale à laquelle il
appartient, pour jouer un rôle au milieu de ses congénères.
On observe dans cette situation, selon Allport (1982) des
phénomènes de coopération, d'inhibition et d'influence.
Les adolescents peuvent s'engager dans des actions de compétitions et de
leadership. Ce qui montre déjà leur propension à jouer un
rôle social. A l'adolescence, observe Evola (1996), les sujets forment
des projets plus ou moins fantasmatiques des métiers fondés sur
le rôle social de leurs parents
ou des proches de la famille. Ces constitutions sont
d'ailleurs plus de l'ordre de l'imagination, que celui de la projection de
l'individu dans le futur. Les adolescents abandonnent
généralement cette rêverie primaire pour d'autres modes de
pensées, d'idéations et d'identifications. Guichard, (1993 :19)
va préciser que « le projet, réfléchi par
définition, ne peut ainsi éviter ni la question du sens de
l'existence, ni celle de l'identité. » Question que
manifestement ne peut se poser l'enfant à l'âge de la
socialisation. Il va donc admettre avec Evola (1996) : « qu'une
personne mature, est celle qui sait ce qu'elle fait, qui connaît ses
possibilités et ses limites qui est responsable devant ses choix, bref
qui est réaliste. » La représentation d'avenir inclut
donc entre autre chez les jeunes, le choix professionnel qui se construit bien
avant l'entrée des sujets dans la vie active.
Des auteurs ont décrit la maturation du choix
professionnel en étapes. Cette ontogenèse du choix professionnel
fera l'objet de la prochaine rubrique
3.2. Les stades de maturation du choix
professionnel
Sur la base des considérations énoncées
ci-dessus et en invoquant les travaux de Ginsberg (1951), cité par Evola
(1996, 2005), on peut distinguer différents stades de maturation du
choix professionnel :
· La période du choix
fantaisiste
Elle correspond, dans la classification de Ginsberg, aux classes
d'âges 6-7 7 et 7-11 ans, qui est représentée par deux
stades :
- Un stade qui va de 6 à 7 ans et correspond au choix des
activités liées aux besoins de l'enfant et rattaché
à son biotype et à son système écologique
Ce stade comprend des activités qui font plaisir à
l'enfant ou qui représentent des intérêts pratiques. Ces
activités sont visées par l'enfant sous un mode ludique.
- Le stade du goût héroïque (7-11 ans)
Ce stade est également caractérisé par
des activités ludiques pendant lesquelles l'enfant cherche par le moyen
du jeu, à manifester des actes héroïques à accomplir
des exploits. D'après Ginsberg, ces activités permettent à
l'enfant de revêtir des personnalités idéalisées ou
fantasmées, des personnages que Wallon met sous le syncrétisme,
c'est-à-dire dans la non dissociation Moi/non Moi. Pendant le stade du
syncrétisme il n'existe pas de distinction entre le fondamental et
l'accessoire.
Ces deux premiers stades sont caractérisés par
l'imitation où, au travers du jeu, l'enfant mime différents
rôles sociaux.
· La période des choix
provisoires
Cette période recouvre deux stades qui sont repartis
entre 11 et 12 ans et 17 -18 ans. C'est généralement une
période qui se termine par l'achèvement des études
secondaires et l'entrée dans le cursus universitaire.
Pendant cette période, le préadolescent imite
des modèles qui correspondent à la réalité. Il a un
progrès dans la connaissance de lui-même et des facteurs externes.
Les besoins, les désirs et les intérêts se
précisent. Adolescent, il intègre progressivement de façon
de plus en plus précise, sa perspective professionnelle future.
La période des choix provisoires comprend chez Ginsberg
quatre stades :
- Le stade des intérêts
Ce stade recouvre la période de 11 à 12 ans et
est caractérisé par l'adoption par le préadolescent d'une
attitude de réalité et d'une attirance vers « une
certaine catégorie d'objet ». Il y a introduction des
paramètres temps et espaces à la réalisation des
désirs.
- Le stade des capacités
Ce stade recouvre la période qui va de 13 à 14
ans et est caractérisé non seulement par l'émergence des
facteurs externes, mais aussi par des possibilités de réalisation
des désirs de l'adolescent. Le sujet s'interroge sur ses
possibilités et potentialités. Il y a émergence là,
selon l'expression de Freud, de l'épreuve de réalité.
- Le stade des valeurs
Il recouvre la période de 15 à 16 ans et se
caractérise par la formulation des buts et objectifs fondés sur
des projets précis. L'adolescent prend conscience que la
réalisation de ses projets passe par de « nombreux
éléments qui obéissent à certaines exigences
définies par l'environnement et la société. »
- Le stade transitoire
Ce stade « est marquée par la recherche de
l'efficacité ». A ce stade, l'adolescent prend conscience non
seulement des conditions subjectives de la réalisation d'un projet dans
ses capacités personnelles, mais aussi des conditions objectives
socialement et temporairement situées. Il y a donc évaluation des
possibilités et des limites. Pour Ginzberg, cité par Evola
(1996), c'est un stade qui marque la fin de la période transitionnelle
du choix professionnel et constitue « un stade de spécification
où les jeunes énoncent clairement leur choix sans
ambiguïté (...) il semble qu'à ce moment là les
représentations professionnelles engendrent auprès de la personne
des comportements dynamiques qui conduisent à la réalisation de
son projet, lequel se rectifie et se confirme sans toutefois remettre en cause
l'essentiel du choix initialement effectué » (Evola, 1996 :
52).
· La période des choix
réalistes
Cette période succède directement au stade
transitoire, dernier stade de la période des choix transitionnels.
L'individu se fait une idée claire de ce qu'il voudra être demain
et du rôle social qu'il devra jouer. C'est la période du
développement vocationnel qui « apparaît alors comme le
résultat d'un processus interactionniste » qui s'opère
entre la personne et les facteurs externes sur la base des mécanismes
cognitifs (imitations, exploration, cristallisation, spécification,
etc.), mécanismes eux-mêmes sous-tendus par des comportements
motivationnels, par exemple, le besoin de réussir.
Une bonne orientation scolaire doit donc articuler la
perspective temporelle et la préparation des jeunes à jouer un
rôle
3.3. Perspective d'avenir et préparation des
adolescents aux choix professionnels
Cette section abordera la notion de perspective temporelle et
montrera comment elle doit aider à orienter les apprenants pour susciter
la plus grande motivation.
3.3.1. la perspective temporelle
La perspective temporelle est une notion assez ancienne, elle
prend son origine dans les sciences physiques et désigne d'après
Nuttin (1980) l'impression de profondeur des formes graphiques sur une surface
plane. D'après le dictionnaire encyclopédique Larousse,
la perspective désigne « l'aspect des objets vus de
loin, représentation de ces objets suivant leur apparence. »
Ce même dictionnaire, dans une tentative d'explication psychologique de
la notion de perspective, définit celle-ci comme : projection «
visuelle de la structure du champ d'un objet. » partie des
considérations spatiales et temporelles, la notion de perspective va
évoluer considérablement et entrer dans le champ social avec des
auteurs comme Nuttin (1980), Rodriguez et Bariaud (1987), qui vont lui ajouter
une valeur personnelle et projective, pour théoriser la perspective
temporelle.
La perspective temporelle, est développée par
Nuttin (1980) pour mettre en évidence l'importance du temps dans les
choix professionnels et l'engagement social des individus. Elle va concerner
essentiellement la manière dont un sujet vit son passé et
entrevoit son futur. L'idée ici est que le passé et le
présent de l'individu sont capitalisés pour anticiper le
futur.
La psychologie de la temporalité qui a connu une
très grande expansion ces dix dernières années, essaye de
mettre en valeur l'importance de la temporalité sur le comportement des
individus. Le jeu et l'action se faisant dans le temps, les individus sont
fortement influencés par les considérations du temps et les
conceptions vivaces de leur environnement socioculturel. La projection
temporelle induit donc un projet temporel, une
vision particulière du temps comme espace de
réalisation de soi. De cette vision est née l'idée du
temps comme grandeur, mais surtout comme grandeur psychologique, issue d'un
vécu ayant un début et une fin, réalisant des
comportements et des actions. C'est pourquoi Tomé et Rodriguez et
Bariaud (1987 :16) définissent la perspective temporelle comme «
une participation de la personnalité totale de la conception que
chacun se fait, aujourd'hui de sa propre histoire et de son devenir, les
repères significatifs qu'il y reconnaît, l'appropriation qu'il
réalise d'un passé et d'un avenir qui dépasse les
frontières de sa propre histoire, le sentiment qu'il a du présent
fugace et de l'irréversible marche vers la mort. » Ces auteurs
montrent ici avec beaucoup de profondeur, une signification du temps comme lieu
de projet et comme lieu de réalisation ; du temps comme lieu de
déroulement, comme déterminant du déroulement de l'action
sociale. En tant que tel le temps appelle à des actions et à des
comportements. Rodriguez et Bariaud (Op. Cit.), citant Fraisse (1967),
déclarent que « la perspective temporelle `se situe' au niveau
supérieur des conduites d'adaptation qui impliquent évocation,
représentation, conceptualisation. »
On voit profiler dans cette conception de la perspective
temporelle l'idée d'un projet temporel et d'une représentation.
Lewin (1931 :36) soulignera que la perspective temporelle est «
l'extension temporelle à côté de l'extension spatiale,
du monde comportemental. » Sans utiliser spécifiquement la
notion de perspective temporelle, Lewin parle d'une extension construite chez
l'enfant, de ce qu'il appelle « les trois raisons du présent
dans ses directions spatiales, sociales et temporelles. » Cette
même notion est reprise par Fraisse (1967) dans la Psychologie du temps
où il parlera de l'influence de la personnalité. En 1939, dans le
même sillage que Lewin, Lawrence Frank dans un article de philosophie
culturelle, parlera de « perspectives temporelles. » Plus tard,
Leshan (1952), ramènera le singulier en parlant d'orientation
temporelle, pour caractériser la qualité qu'a le temps de marquer
la conscience et d'orienter le comportement ultérieur des sujets. C'est
lui le véritable auteur de la perspective temporelle vue comme «
l'élaboration cognitive du besoin en terme d'objets/buts et de
projets qui, chez l'homme, naît l'orientation future. Grâce
à la souplesse des constructions cognitives et la disponibilité
quasi illimitée des objets symboliques, l'objet/but se présente
à l'esprit avant d'être réalisé ou d'avoir atteint
le niveau réel. »
Il existe actuellement dans les lycées et
collèges du Cameroun, un corps de professionnels de l'orientation
scolaire. Il y a encore quelques années le counseling scolaire se
limitait à l'inventaire des différentes filières et
à leur mise en relation avec les potentialités de l'enfant. Il
s'agissait alors d'évaluer les compétences d'un
élève et de l'orienter vers les filières scientifiques,
littéraires ou techniques. Mais aujourd'hui, la complexification du
monde
professionnel et du statut social du travailleur rendent
caduque cette approche. Orienter actuellement un élève, c'est
réussir « l'articulation entre les attentes de l'individu et la
nécessité économique et sociale » Guichard (1963
: 21). Dans cette perspective, apparaît une nécessité
d'intégrer la psychologie des aptitudes.
La psychologie du conseil scolaire tiendra donc compte de la
complexification des réalités sociales qui peuvent justifier une
performance, mais aussi et surtout les besoins et aspirations de
l'élève, dans un monde professionnel de plus en plus exigeant.
Deazc~me fta~tie :
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