III.3.2 L'APPROCHE RÉGULATIONNISTE DE J-D
REYNAUD :
La théorie de la régulation sociale tient
à réunir et à synthétiser les différents
courants de la sociologie. A savoir l'école durkheimienne,
l'école de la sociologie des organisations de M.Crozier et de son
disciple Friedberg, l'habitus de Bourdieu... Cette théorie tente de
reformuler la problématique de la cohésion sociale, en essayant
de répondre à la question: << Quels sont les
mécanismes sociaux qui assurent la stabilité et
l'inertie des règles sociales ? »
[B.Grassineau : 03 :2004].
Pour répondre à ce questionnement, le cadre
théorique, développé par Reynaud, s'articule autour de
trois notions clefs: l'acteur, la règle et l'action collective. (i)
L'acteur : l'individu capable d'effectuer une action << raisonnable
>> qui, selon de R.Boudon, doit être justifiable et communicable.
(ii) La règle : Reynaud l'a définie comme un principe
organisateur où un modèle qui oriente l'action : << les
règles ne sont rien d'autre que leur capacité réelle
à régler des interactions sociales. Elle est bien une contrainte
et non une habitude >>. [Reynaud : 1997 : 18]. Il est clair que
la règle est importante, mais Reynaud précise que ce qui est
capital dans sa démarche c'est bien la régulation en tant que
processus. Cela n'exclut en aucun cas la règle, mais elle est introduite
de telle manière qu'elle soit <<instable>> et <<
modulable >> par les acteurs le long de la régulation. (iii)
L'action collective: élément d'analyse pertinent. Elle se
définit comme l'engagement d'un groupe en vue d'orienter les
finalités d'un projet à leurs profits. Ce regroupement d'acteurs
ne peut se faire que dans le partage d'un ensemble de règles
adoptées, voir crées collectivement : << les règles
sont propres à la vie sociale, mais elles sont d'origine collectives,
elles tirent leur caractère contraignant du fait qu'elles sont les
conditions d'une collectivité » [Idem : 96].
Pour le maintien et la cohérence des règles,
Reynaud proposes trois mécanismes interdépendants ; la sanction,
l'accord et la légitimité. Dans cette optique, l'action doit
chercher la légitimation. Il a signalé à maintes reprises
que la régulation formelle, dite de droit, se traduit souvent par un
décalage avec la régulation effective, qui, quant à elle
dépend de l'autonomie dont les acteurs (les habitants) peuvent en
disposer. Reynaud appelle cet affaiblissement de la régulation formelle
<<anomie>> [Idem : 266]. Elle se traduit par l'absence
<< objective >> des règles du au relâchement de la
régulation légitime, elle peut aussi se lire à travers le
degré d'enfermement de l'espace en question. En suivant cette
lignée, les acteurs peuvent adhérer à certaines
règles selon leurs stratégies pour légitimer leurs
conduites, et d'en rejeter d'autres qui s'opposent à leurs
intérêts. De ce point de vu, la règle est perçue
comme une << ressource >> permettant l'acquisition d'une <<
capacité d'action >> pouvant conférer aux acteurs qui
l'invoque des avantages et limite en même temps les possibilités
d'action d'autres acteurs. Elle (la règle) est une sorte de
contrôle social. Il s'agit alors de deux efforts de régulation,
l'un de contrôle, et l'autre autonome [Reynaud : 1989]. Ils ne s'opposent
pas en bloc mais le premier, dit de L'Etat (ou des collectivités locale)
cherche à régler son activité par un contrôle de
l'extérieur [idem : 5]. La régulation de contrôle
apparait facilement à l'observateur, parce qu'elle a une valeur
juridique, tandis que la régulation autonome, produite par les groupes
ne se révèle qu'après un examen in situ des
pratiques. Toutes les deux sont alimentées par un ensemble de valeurs et
de croyances. La première invoque une logique externe qui est celle du
coût et d'efficacité, et la seconde est <<interne>>
liée à l'affectivité et aux sentiments [idem :
6]. La régulation autonome peut s'opposer à la régulation
de contrôle en faisant appel au << droit de vivre ensemble
>>, à l'équité, à l'ancienneté...etc.
Cela ressort l'idée d'une <<construction>>: << c'est
une organisation souvent élaborée, qui est enseignée au
nouveaux venus et en partie imposée >> [idem : 10]. Aussi
Reynaud invoque << l'habitus >> de Bourdieu pour expliquer la
relation qui lie l'habitant à son lieu de vie. Réciproquement, La
régulation de contrôle n'est pas toujours exprimée d'une
façon adéquate dans la réglementation officielle. C'est
son orientation stratégique qui fait sens : << peser de
l'extérieur sur la régulation d'un groupe sociale >>
[Ibidem].
Reynaud, comme Friedberg, prône l'idée qui
stipule que le pouvoir est au centre de la relation qui lie la
régulation autonome et de contrôle. La stabilité (bien
qu'elle soit jamais finie) de cette relation de pouvoir passe par ce que
Reynaud appelle <<régulation conjointe >>, qui elle se
traduit concrètement par les voies de participation <<
organisée >>. Cette relation a l'ambition de résoudre les
<< conflits >> par la << négociation >> qui
énonce << l'accord >> et le cristallise sous forme de
règle. La règle produite serait <<normative>> parce
qu'elle est
<<cognitive>>: << Celui qui l'invoque invite
à une action en lui proposant un sens >> [Reynaud : 1997 :68]. La
régulation conjointe peut, ajoute Reynaud, renforcer une règle
autonome. Et stipule qu'elle est l'expression de la démocratie
même. Cela suppose l'établissement d'un << choix conscient
>> selon la formule de M.Crozier [1976 :17].
EN GUISE DE SYNTHESE : LA REGULATION SOCIALE COMME
HOMEOSTASIE DE PROJET URBAIN ?
Nous avons montré dans cette partie les principes de
l'action collective ainsi que les différentes approches qui pourront
éclairer le rôle que peut jouer un habitant. Nous avons
commencé par les deux approches [A.Bourdin] qui pourront décrire
le rapport que noue un habitant avec son espace de vie. Dans l'approche du
local cognitif, Bourdin met en exergue le rôle du <<capital
culturel >> et <<l'identité individuelle et
collective>> dans la construction et la représentation de <<
l'espace d'appartenance >>. Et à travers la démarche
interactionniste, il a voulu attirer notre attention sur l'importance de
<< l'héritage >> d'un espace par un groupe qui l'approprie
sous une forme de << mémoire collective >>, qui, elle, est
maintenue par un ensemble de pratiques et de représentations <<
immuables>>, mais communicables et transmissibles aux nouveau venues
comme aux nouvelles générations ce qui assure sa
continuité. Ces deux méthodes nous permettent
l'appréhension des <<modes d'appropriation >> de l'espace de
vie par les habitants, c'est ce que s'appelle dans le langage de Freidberg et
J-D Reyanaud <<régulation informelle >> ou <<
régulation autonome >>.
Figure 4: La régulation globale. Source:
Auteur.
Dans un souci fonctionnel, les pouvoirs publics tendent, selon
leurs stratégies de territoire, (global) à lier, par
<<régulation de contrôle >>, les différentes
localités en modifiant l'ordre local qui devient << l'objet de
la négociation et de marchandage >>.Cette volonté de faire,
se lit
dans les rapports, les règlements produits pour cet
objectif. Tandis que la <<régulation autonome » qu'on ne peut
la cerner que par une exploration in situ. Le local subit alors un
concours de régulation, qui pour l'appréhender, Friedberg pose le
pouvoir au centre des interactions, en le définissant comme <<
capacité d'action » visant la négociation des faits en
faveur des acteurs qui l'utilisent. Les acteurs qui exercent le pouvoir,
entendu comme processus de négociation explicite voire implicite,
passent par les << règles » pour figer << l'accord de
l'échange ». L'anticipation des acteurs s'appuie sur les <<
règles » formelles, de droit, << informelle ou autonome,
produit de la localité » en grignotant la règle formelle
pour pousser les pouvoirs publics à la négociation autour d'une
régulation << conjointe » qui peut remplacer ou renforcer des
règles autonomes en créant d'autres. Dans cette optique, la
règle devient une ressource d'action et de légitimité, et
la régulation comme un enjeu social. Voir schéma ci-dessus.
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