I. Une collaboration dans la pratique
Le
Tribunal international pour le Rwanda et les juridictions nationales sont
concurremment compétents pour juger les personnes
présumées responsables de violations graves du droit
international humanitaire commises sur le territoire du Rwanda et les citoyens
rwandais présumés responsables de telles violations commises sur
le territoire d'États voisins188(*). C'est en ces termes que l'article 8 du Statut du
TPIR est libellé, en son premier alinéa. Cette compétence
conjointe est nécessaire dans la mesure où, malgré son
bilan relativement positif, le TPIR ne pouvait pas à lui seul juger
l'ensemble des génocidaires189(*). Au titre de ce bilan, 70 personnes accusées,
60 arrêtées et transférées, en 2002. Au rang des
grandes figures inculpées, Jean Kambanda, Premier Ministre du
Gouvernement Rwandais, lors des événements de 1994. En outre 14
ministres de son Gouvernement sont détenus, plusieurs hauts
gradés de la gendarmerie, parmi lesquels 3 officiers
généraux, des hauts fonctionnaires, des hommes d'affaires, des
religieux, etc.
Pour
cela, il a fallu la coopération de 19 Etats dont 12 Africains, au rang
desquels le Rwanda190(*). La résolution 978 du Conseil de
Sécurité constitue le fondement immédiat de cet appui des
Etats. Elle a notamment indiqué :
-
les autorités nationales compétentes d'arrêter et de mettre
en détention, conformément à leur législation
nationale et aux normes applicables du droit international, les personnes
trouvées sur le territoire contre lesquelles il existe des preuves
suffisantes qu'elles se sont rendues coupables d'actes entrant dans la
compétence du tribunal international pour le Rwanda ;
-
les Etats qui mettent en détention des personnes
soupçonnées de crime qui entrent dans la compétence du
tribunal international sont tenus d'informer le Secrétaire
Général et le Procureur du tribunal international pour le Rwanda
de l'identité des personnes détenues, de la nature des crimes
dont elles sont soupçonnées, des éléments de preuve
réputés constituer des motifs raisonnables et suffisants de
détention, de la date à laquelle les intéressés ont
été détenus et du lieu de leur détention. Un
accès libre aux détenus doit être assuré aux
enquêteurs du TPIR.
La
coopération entre les deux niveaux de juridictions est
exemplifiée, par ailleurs, par des échanges d'expériences.
C'est ainsi que des stages de formations ont eu lieu au Rwanda en faveur des
magistrats, sur des thématiques telles que la coopération
judiciaire internationale. Des visites de ces derniers à Arusha ont
également été programmées191(*). En octobre 1999, le Rwanda
désigne un représentant auprès du TPIR192(*). A son arrivée
à ce poste, il déclara qu'au départ, « les
relations entre le gouvernement rwandais et le TPIR avaient été
mauvaises...mais le tribunal a accompli des progrès
remarquables... »193(*). Cette collaboration a été
jugée trop étroite par un collectif d'avocats qui a estimé
que la justiciabilité des membres du FPR devant le TPIR ne permettait
pas qu'il soit représenté. En réaction, l'organisation
réagira par le canal de son porte-parole, en affirmant que le TPIR est
garant de son indépendance et que tout Etat au monde,
représenté à l'ONU, peut avoir un représentant
auprès du TPIR.
Conclusion
de chapitre
Il
était question de mettre en lumière les interactions des acteurs
et institutions dans les sociétés post conflits sous revue.
Parvenu au terme de cette entreprise, il est éclairant de noter que ces
relations de face-à-face sont décryptables entre les acteurs
internes194(*), entre
les acteurs internes et les acteurs externes, entre les institutions internes,
entre celles-ci et les institutions internationales, entre les acteurs et les
instituions du dedans et du dehors. L'étude des interactions a permis de
mettre en exergue la variété des rapports. Ceux-ci sont fortement
imprimés par les valeurs et l'identité des différentes
parties engagées aux plans interne et externe. Aussi peut-on à
présent affirmer qu'il y a eu influence réciproque dans ces
interactions. Qu'elles soient marquées du sceau de la
complémentarité ou de la concurrence, les relations de
face-à-face informent à suffisance le dynamisme de la
construction des sociétés post conflits en Afrique. Par
là, les postulats de l'interactionnisme symbolique sont
vérifiés, dans la mesure où les interactions sociales
décrites ont été non seulement dynamiques, mais aussi
négociées. Mais jusqu'où ces échanges peuvent-ils
servir la coexistence pacifique inscrite dans le temps long entre d'anciens
groupes ennemis ?
* 188 Pour aller plus loin,
lire O. Dubois, « Les juridictions pénales nationales au
Rwanda et le Tribunal pénal international pour le Rwanda »,
RICR, n° 828, 1997, pp. 769 et ss.
* 189 Le premier acte
d'accusation émis par ce tribunal date du 8 novembre 1995, notamment
contre 8 personnes.
* 190 Les noms des huit
personnes arrêtées n'ont pas été
révélés. Néanmoins, il est établi qu'ils
l'ont été pour avoir participé à des massacres dans
quatre sites de la Préfecture de Kibuye entre avril et juin 1994. Deux
hommes détenus aujourd'hui en Zambie ont fait l'objet des mandats
d'arrêt : Georges Anderson, deuxième vice-président du
Comité national des milices Interhamwe, a participé à des
massacres dans une école à Kigali et dans une carrière
à Nyanza. Il était reproché à Jean-Paul Akayezu
d'avoir ordonné des massacres, et commis d'autres actes similaires. Une
autre mise en accusation a été faite contre Alfred Musena,
détenu en Suisse.
* 191 Philippe
Mégret, op.cit ; p. 87.
* 192 Il s'agit de Martin
Ngoga.
* 193 Propos
rapportés par Joseph Garambe, « Le génocide Rwandais
devant la justice internationale », in :
http://aircrigeweb.free.fr,
consulté le 25 août 2009.
* 194 L'une des
illustrations fortes concerne la collaboration entre les
« gacacas» et les tribunaux classiques. La catégorisation
instituée par la loi organique du 30 août 1996 entraîne
un échange entre les deux structures dans la pratique. La
catégorie 1 concernait les organisateurs, planificateurs du
génocide et des crimes contre l'humanité, les personnes qui ont
agi en position d'autorité, les meurtriers de grand renom qui se sont
distingués par leur zèle ou leur méchanceté
excessive. La catégorie 2 comprenait les auteurs ou complices
d'homicides volontaires ou d'atteintes graves contre les personnes ayant
entraîné la mort. La catégorie 3 distinguait les personnes
coupables d'autres atteintes graves contre les personnes. La catégorie 4
enfin regroupait des personnes ayant commis des infractions contre les
propriétés.
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