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Le pardon et la justice post conflits en Afrique. Etude comparative des dynamiques des acteurs et des institutions du dedans et du dehors (Afrique du Sud, Rwanda)

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par Alain-Roger Edou Mvelle
Université de Yaoundé 2 - DEA 2008
  

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B. L'internalisation des interactions entre institutions en Afrique du Sud

De manière originale, la CVR en Afrique du Sud va afficher sa spécificité par rapport à la Commission chilienne dont elle s'en était pourtant inspirée. Celle-ci est observable au moins à trois niveaux : Au Chili l'option fut faite pour une justice rétributive. En Afrique du Sud par contre, elle est réparatrice178(*). Ici, les victimes ont une place centrale dans l'édifice de la réconciliation179(*), alors que ce sont les bourreaux à punir qui l'avaient dans le cas latino américain. Enfin, l'amnistie n'est pas décrétée par le pouvoir central de manière collective. Elle est octroyée individuellement à ce qui en font la demande et de manière conditionnelle.

L'originalité de l'initiative sud africaine est aussi rattachable à son niveau de neutralité. Les rapports de l'élite ANC avec cette structure pourtant donnée proche d'elle n'ont pas été lisses. Par exemple, quelques mois avant la sortie officielle du rapport, l'ANC tente de faire supprimer des passages négatifs qui mettent en évidence sa responsabilité dans les violences, en vain. Le traitement des violations des droits de l'homme se faisant de la même manière, 60% des activistes de ce parti durent formuler des demandes d'amnistie au même titre que 18% des éléments des forces de sécurité, auteurs des répressions policières.

La CVR a été un espace d'auto légitimation des actions par des acteurs et de délégitimation de celles des adversaires. Les blancs y étaient en majorité hostiles et justifiaient leurs forfaits par l'iniquité générale du système. Le Rapport de la Commission est d'ailleurs évocateur sur ce point : « La communauté blanche a souvent paru indifférente, sinon explicitement hostile au travail de la commission... »180(*). Appelés à y témoigner, certains hauts responsables de IKP ont décliné l'invitation. La justification donnée par les mis en cause de l'ANC est la `'guerre juste'' menée en réaction aux abus qu'ils subissaient de la part de la minorité blanche. Quant aux forces de sécurité, elles affirmaient leur impuissance devant les ordres de la hiérarchie et la nature des lois lors même qu'ils étaient personnellement opposés aux violences. Quelquefois, ils exprimaient des remords plats, sans véritablement y croire, avec le seul but de bénéficier de l'amnistie.

La relation que le peuple entretient avec la Commission est un peu plus chaleureuse. Considérée à bien des égards comme le tribunal des larmes, la Commission a, selon l'historien politique Stephen Ellis « exhumé les corps des victimes des escadrons de la mort, enterré dans des tombes anonymes. Elle a captivé l'imagination de millions de citoyens, par exemple lors de la télédiffusion du témoignage public de Winnie Madikizela-Mandela »181(*). L'institution qu'est la CVR va ainsi davantage interagir avec d'autres institutions comme la famille, les corporations professionnelles à l'instar des forces de sécurité, les partis politiques. L'enjeu consiste pour chacune de ces composantes à faire triompher « son » sens de la vérité. Les institutions du dehors s'effacent un temps soit peu devant les dynamiques internes suffisamment complexes pour laisser s'imposer le pardon et la réconciliation comme figures dominantes. Il s'opère de ce point de vue une déjuridicisation du processus de sortie de l'ère apartheid de manière générale. Ceci ne revient pas à invalider l'existence d'une justice dans le pays. Il s'agit plutôt d'une relative mise en hibernation de son côté punitif à des fins de compromis politique. Cette expérience informe le caractère emblématique de la trajectoire sud africaine et invite l'ensemble des chercheurs, politistes, et autres, à la réinventer comme possible modèle exportable dans d'autres pays africains. Il ne s'agira pas d'une transposition, mais bien d'une appropriation des leviers et de l'idée. A l'observation du cas rwandais, il est structurant de noter une certaine coopération entre le dedans et le dehors en matière d'institutions judiciaires. Toutefois, cette coopération comporte en elle-même des phases de défi.

* 178 Lire Mahmoud Mamdani, « Reconciliation without justice », South Africa Review of Books, nov-dec 1996.

* 179 Voir la sociologue Laeticia Bucaille, « Vérité et réconciliation en Afrique du Sud. Une mutation politique et sociale », Politique étrangère, Eté 2007/2, pp. 313-325.

* 180 Voir le Rapport de la CVR, vol 6, p. 4.

* 181 Stephen Ellis, « Vérité sans réconciliation en Afrique du Sud », Critique internationale, n°5, 1999, p127.

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