Le pardon et la justice post conflits en Afrique. Etude comparative des dynamiques des acteurs et des institutions du dedans et du dehors (Afrique du Sud, Rwanda)( Télécharger le fichier original )par Alain-Roger Edou Mvelle Université de Yaoundé 2 - DEA 2008 |
C. Typologie des acteurs : étatisation et transnationalisationNotre hypothèse est qu'il y a eu plus d'acteurs internationaux de la justice au Rwanda75(*). Ceci pourrait s'expliquer par la contemporanéité du drame et son acuité, c'est-à-dire l'ampleur de la violence ethnicisée. En Afrique du Sud par contre, il y a eu plus d'institutions, ce qui semble se justifier par la tradition culturelle des pays du Commonwealth d'une part76(*), et la lassitude des acteurs extérieurs du fait des décennies d'Apartheid d'autre part. Les acteurs sont donc soit des Etats, soit des organisations internationales, soit des individus. En Afrique du Sud, l'on note une imposante présence des Etats-Unis d'Amérique, par le truchement de leur justice nationale. En effet, un groupe constitué des avocats Sud africains, avec à sa tête Charles Abrahams, a réussi à faire accepter l'idée d'une collectivisation des poursuites. Appuyés par leurs collègues américains spécialistes dans ce procès, les avocats Sud africains ont intenté un procès contre 23 multinationales et banques appartenant à six pays. La plainte déposée le 11 avril 2002 a été fondée sur la responsabilité indirecte des mis en cause, notamment du fait de leur soutien implicite au régime d'apartheid. Plus concrètement, il a été avéré que leur apport n'a pas été négligeable dans le soutien financier et logistique de la logique apartheid. Certaines firmes ont vendu au gouvernement des engins utilisés pendant les répressions brutales. Des banques occidentales ont tiré profit de ce système, entre autres arguments invoqués. D'autres acteurs sont : la Suisse, la Belgique, le Canada, et la France. Ceux-ci motivent leurs actions sur la base du principe de compétence universelle. En général, les tribunaux de certains de ces pays ont contribué à déterritorialiser la loi pénale internationalisée derechef. Nonobstant le lieu de commission du crime, la nationalité de son auteur, si une victime ou un intérêt sont établis comme ayant un lien national avec les pays affirmant cette compétence, alors l'action est engagée. Devant les pressions exercées par les Etats-Unis néanmoins, le principe de compétence universelle a été limité dans sa portée, à tel point que d'autres critères sont désormais exigés (par exemple la nationalité de la victime) des juridictions nationales étrangères, pour attraire en justice des non nationaux, pour des crimes commis en territoire étranger. Mais la Belgique s'est aussi investie au Rwanda à travers la construction de deux palais de justice dans le cadre du programme de restructuration de la justice après le génocide77(*). La Cour suprême a été rénovée avec, entre autres, le concours de ce pays78(*). Les tribunaux de France ont aussi connu plusieurs affaires liées au génocide. La plus médiatisée et sans doute la plus intriquée semble être celle qui aura suscité un jeu de ping-pong entre le TPIR et une Cour d'Appel française79(*). En outre, le Procureur de la République, ayant refusé d'ouvrir une enquête suite à quatre plaintes des Rwandais datées de 2005, se verra contredire par le juge d'instruction aux armées80(*). La Hollande a en outre offert son concours pour le financement de l'agrandissement des prisons. De nombreuses ONG internationales ont mené des actions pour la justice au Rwanda. Avocat sans frontière en est l'illustration. Créée en 1992 et basée à Bruxelles, elle est composée de magistrats, d'avocats et de juristes en général. Ses objectifs concourent à la réalisation des sociétés plus justes, équitables et solidaires devant le droit et la justice. Cette organisation a mis sur pied le Programme « Justice pour tous au Rwanda ». Le but visé était de pallier au nombre insuffisant d'avocats dans ce pays81(*) et d'apporter une assistance judiciaire aux victimes et aux coupables pendant les procès82(*). L'action menée par Amnesty international et Reporter sans frontière est tout aussi déterminante. Leur problème était de lutter pour la modernisation des procédures usitées par les « gacacas ». Ces justices étaient dénoncées par ces ONG dans le sens du non respect des critères internationaux définissant un procès équitable. Le respect du principe de non discrimination, les arrestations arbitraires et les règlements de compte des pontes du RPR sont des pratiques qui ont été dénoncées par ces organisations. L'international rescue Committee a mis en oeuvre un programme pour réhabiliter les parquets détruits par les violences inter ethniques. Les financements y relatifs ont été octroyés par l'USAID. Son action se rapproche de celle du Haut Commissariat pour les réfugiés, qui a eu à fournir à ces mêmes parquets «l'équipement mobilier de base. Ceux de Kibungo, Byumba et Gisenyi ont reçu une première livraison en 1995. A Byumba, les meubles sont arrivés avant que le bâtiment calciné soit réhabilité... »83(*). Nous avons choisi de les présenter dans la catégorie des acteurs ; car se sont d'abord des organisations non gouvernementales. En tant que telles, elles mobilisent plus directement des individus, acteurs des relations internationales, pour accomplir, à leur nom certes, des missions précises. Signalons l'action des militants Suisses et Allemands en 1998. Ceux-ci ont en effet rédigé un rapport sur les bénéfices excessifs tirés par les banques suisses et allemandes pendant le régime ségrégationniste. Ils ont, pour cela, rejoint ceux qui pensent qu'il faut rendre justice aux Sud africains, en annulant la dette contractée par le régime apartheid du fait de son caractère inique. La plupart de ces acteurs ont considérablement influencé les institutions ; ce qui renforce la relativité de la perspective néo institutionnaliste s'agissant des figures de la justice. Aussi, bien que le transnationalisme ne fasse pas partie de notre armature théorique, doit-on relever la désétatisation des actions et programmes visant la recomposition des deux sociétés. La transnationalisation du processus de réconciliation fait indubitablement écho à la théorie transnationaliste des relations internationales. Au demeurant, quel est l'apport des institutions du dehors dans le système judiciaire du dedans ? * 75 En Afrique du Sud, la société civile avait des connexions externes qui ont favorisé son plaidoyer dans la réconciliation. * 76 Dans bon nombre de ces pays en effet, ce qui est en jeu ce ne sont pas des hommes forts, mais plutôt des institutions fortes. En plus, ces pays ont une riche tradition de respect des institutions internationales, chargées de collectiviser leurs intérêts. Ceci ne revient pas à postuler que les pays de tradition française n'ont pas suffisamment ritualisé l'institutionnalisation dans leurs habitus démocratiques. * 77 Des procès y ont aussi eu lieu. C'est le cas de l'affaire Ntuyaga du 19 avril 2007. Mais deux autres procès ont lieu plus tôt, à savoir celui de 2001 dit des `'Quatre de Butare'' et celui de 2005 impliquant Etienne Nzabonimana et Samuel Ndashyikirwa. * 78 Ce pays s'est fixé pour objectif, par ailleurs, de poursuivre les auteurs du meurtre de 9 casques bleus belges, ainsi que les auteurs du génocide se trouvant sur son sol. C'est ainsi que, s'agissant du premier objectif, Bernard Ntuyahaga, un officier rwandais, a été condamné à 20 ans de prison. * 79 Affaire Wenceslas Munyeshyaka, et Laurent Bucyibaruta. * 80 Cf l'ordonnance du 16 février 2006. Les mis en cause étaient des civils et militaires impliqués dans l'opération Turquoise. * 81 Voir supra * 82 Htpp://fr.wikipedia.org/wiki/Avocats_sans_fronti, consulté le 20 septembre 2009. * 83 Jean-François Dupaquier et alie, op. cit ; p. 40. |
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