Démarche méthodologique
La démarche méthodologique adoptée dans
le cadre de cette étude est une combinaison des approches qualitative et
quantitative.
A l'issue de la phase exploratoire, qui a permis entre autres,
l'établissement de la base de sondage par recensement, un
échantillon de 120 individus a été constitué pour
les entretiens standardisés à base de questionnaire. La taille de
l'échantillon par village a été déterminée
en appliquant un taux d'échantillonnage de 0,62 aux données
issues du recensement.
Pour le traitement des informations collectées, nous
nous sommes servis des logiciels Excel pour la saisie des données et
pour les graphiques. Les données saisies sont analysées avec le
logiciel SAS.
Plusieurs outils d'analyse statistique ont été
utilisés dans cette étude.
Par rapport à la première hypothèse, pour
réaliser la typologie, nous avons utilisé le « cluster
analysis ». Le modèle Logit binomiale d'analyse des choix
individuels, a été utilisé pour tester la deuxième
hypothèse de recherche. Des tests de khi-deux et de Student ont aussi
effectués pour étudier les liens entre les variables explicatives
et la variable expliquée.
Le Logit associe à l'individu i, la probabilité
Pi qui est lié à la variable expliqué.
Avec Pi = F (Ii) = 1 / 1 +
e-Ii et Ii = 0 + 1xi1
+2xi2 +3xi3 + .... +
mxim
Ii est le vecteur caractéristique des conditions du
ménage étudié ; les Xi sont les variables
explicatives et les i en sont les coefficients.
Enfin, pour la troisième hypothèse, des tests
d'indépendance de khi-deux ont été effectués.
Résultats et discussions
La pauvreté en zone de pêche maritime à
Grand-Popo
Les variables considérées dans la typologie sont
celles qui ont été indiquées par les populations comme
étant les déterminants du bien-être. Les principales
dimensions de la pauvreté selon la conception locale sont :
L'alimentation, le niveau d'éducation, la santé, le logement, la
possession de biens et équipements divers, le revenu, l`accès
à l'eau et à l'électricité, le loisir et
l'habillement.
La figure 2 montre le dendrogramme obtenu à la suite du
« cluster analysis ». L'analyse du dendrogramme nous permet
de constater que nous sommes en mesure de constituer quatre (4) classes de
ménages relativement homogènes en termes de bien-être, tout
en conservant environ 50% des informations des variables de départ. Les
variables ou déterminants de départ discriminent donc
effectivement les ménages à près de 50% : Le milieu
des pêcheurs n'est pas donc uniforme en termes de bien-être.
Le tableau 1 indique par catégorie, le profil
socio-économique de chaque classe de bien-être

Figure n°2 : Dendrogramme des
ménages étudiés suivant leur niveau relatif de
bien-être
Source : Enquête Grand-Popo,
2007
Catégorie
|
Type d'habitation
|
Patrimoine
|
Ratio de dépendance (moyenne)
|
Taux de scolarisation (% moyen)
|
Sources de revenu et de financement des
activités
|
Nombre de mois de disponibilité alimentaire
(moyenne)
|
Nombre de repas fondamentaux journalier
|
Source d'eau de consommation
|
effectif
|
Très pauvre
|
le mur n'est pas en ciment, le toit n'est pas en tôle, il
n'y a ni fosses septiques ni électricité
|
nombre moyen de filets < 1
|
1,85
|
12,25
|
activités liées à la pêche 14% font du
manoeuvrage agricole
|
6,09
|
2,92 en période d'abondance et 2,17 en période de
soudure avec en plus une réduction des quantités servies
|
plan d'eau ou puits en saison sèche et en saison
pluvieuse
|
14
|
Pauvre
|
le mur n'est pas en ciment, le toit n'est pas en tôle, il
n'y a ni fosses septiques ni électricité. 1/4 vivent dans des
maisons où les murs sont en ciment et le toit en paille
|
½ ménage possède une radio. Le nombre moyen
de filets est 1,65.
|
2,27
|
51
|
activités liées à la pêche ; 23%
font du manoeuvrage agricole
|
7,18
|
3,02 en période d'abondance et de 2,25 en période
de soudure
|
plan d'eau ou d'un puits en saison pluvieuse. En saison
sèche l'eau de pompe est la plus utilisée.
|
62
|
Moins pauvre
|
le mur est en ciment, la toiture est en tôle, il y a
rarement une fosse septique et de l'électricité
|
50% possèdent 1 radios, 1 /10 possèdent de
barques, 1 /10 possède de terres cultivables. Le nombre moyen de
filets est d'environ 3,17. 90% ont de vélos
|
2,04.
|
62
|
activités liées à la pêche ;
maraîchage. 1 ménage sur 5 participe à un groupe de
tontine.
|
9,23
|
3,16 en période d'abondance et 3,14 en période de
soudure
|
pompe chez 90% des ménages quelle que soit la
période de l'année.
|
26
|
Non pauvre
|
le mur est en ciment, la toiture est en tôle, il y a
souvent de fosses septiques et d'électricité
|
90% ont de radios 10% ont 1 postes téléviseurs.
1 /5 possèdent de barques. 1/4 possède de terres
cultivables. Le nombre moyen de filets est 3,77. 1/5 possèdent de
barques et des vélos ou motos
|
1,86.
|
64
|
maraîchage location de barques et filets activités
liées à la pêche. tontine épargnes auprès des
institutions de micro finance
|
10,88
|
3,98 en période d'abondance et de 3,85 en période
de soudure
|
pompe quelle que soit la période de l'année.
|
18
|
Tableau 1 : Profil
socio-économique par catégorie de bien être.
Source : Enquête Grand-Popo,
2007.
La migration des pêcheurs marins artisans :
déterminants socio-économiques et effets sur le
bien-être
La migration des pêcheurs s'inscrit dans le cadre plus
global des liens séculaires entre les communautés du littoral
d'Afrique de l'Ouest et du Centre, fruits de nombreuses migrations dans
l'histoire et toujours rythmées par les saisons de pêche. Les
arrangements socio-économiques des migrations concernent le type de
décision (individuelle ou collective) et le mode de financement de la
migration (fonds propres ou préfinancement ou type mixte). Plusieurs
constats ont découlé de nos investigations et illustrent bien les
liens entre les relations de genre et les comportements migratoires. Par
exemple, les hommes sont beaucoup plus indépendants dans la migration,
ils migrent souvent seuls mais après quelques années, font venir
leurs femmes qui s'insèrent dans l'économie locale de la
pêche.
Les déterminants de la décision de
migration
Les résultats du modèle Logit
présentés dans le Tableau 2, permettent de connaitre les
déterminants de la migration.
Tableau n° 2 : Résultats de la
régression logistique
Variable
|
coefficient
|
erreur type
|
Wald
|
significativité
|
Signes attendus
|
Significativité des signes
observés
|
exmigrnr
|
-1,2492
|
1,1145
|
1,2563
|
0.2623
|
+
|
NS
|
clbe
|
0,9311
|
0.4240
|
4.8212
|
0.2460
|
-
|
NS
|
Village
|
0,9268
|
0.5030
|
3,3947
|
0.0654
|
+
|
*
|
rtmta
|
0,5045
|
0,2469
|
4,1756
|
0.0281
|
+
|
**
|
tsco
|
- 5,6611
|
1,2587
|
20,2271
|
0.0001
|
-
|
***
|
Percent Concordant 78.9 Somers'
D 0.596
Gamma
0.607
Tau-a 0.29
c
0.798
NB : *, ** et *** = significatif respectivement à
10%, 5% et 1% ; NS = Non Significatif
-2 Log L 163.645
Test Chi-Square Pr >
ChiSq
Likelihood Ratio 40.5824
<.0001
Score 33.6405
<.0001
Wald 24.4623
<.0001
Source: Résultats empiriques du modèle Logit
binomial avec le logiciel SAS.
· Qualité du modèle : Le ratio de
vraisemblance s'est révélé hautement significatif. Par
conséquent, le modèle est globalement significatif à 1%.
· Pouvoir de prédiction : Les prédictions
sont vérifiées dans 79.8 % des cas. Les estimations du
modèle de régression ont donné les pseudos r2
de Somer's, de Gamma, de Tau-a et de c qui sont respectivement de 0,596, 0,607,
0,29 et de 0,798. On peut donc, à partir du modèle, faire des
prévisions sur la modalité de la variable dépendante
connaissant celles des variables indépendantes avec une
probabilité allant à 79.8% d'avoir une prédiction
juste.
· Variables déterminantes : Les variables qui
déterminent le choix de la migration sont: l'environnement ou le village
de résidence (village), le taux de dépendance (rtmta) et le taux
de scolarisation (tsco). Les pêcheurs du village Avloh sont plus enclins
à migrer, de même que ceux qui sont peu scolarisés et ceux
qui ont beaucoup de personnes à charge par actif. Les autres variables
qui se sont révélées non significatives dans le
modèle ne sont pas sans effet sur la décision de migrer. Mais
leur influence aurait été cachée soit par celle des
variables révélées significatives par le modèle
(cas de la variable « catégorie de
bien-être ») soit par l'étroite corrélation
entres elles et le choix de la migration (cas de la
variable « existence de migrant non
récent »).
La migration des pêcheurs marins de Grand-Popo trouve
son explication dans deux modèles théoriques :
Ø Le modèle explicatif centré autour du
« réseau migratoire », concept
développé par Boyd, (1989); Guilmoto et Sandron, (2000) ; Kritz
et col. (1992) : les migrants non récents favorisent la
transmission des ressources informationnelles et relationnelles à
l'intérieur d'une structure à forte cohésion (le
ménage ou la famille). Les liens reliant les migrants et les
non-migrants ont alors pour fonction de minimiser les coûts et risques de
la migration. Les migrants non récents constituent des ressources pour
les candidats à l'émigration ; les réseaux qu'ils
constituent forment un « capital social » sur lequel les
candidats à l'émigration s'appuyent pour connaître
les possibilités d'hébergement, de gains et d'emploi, existant
dans la zone d'accueil.
Ø La théorie des causes cumulatives (Massey et
col.1993 ; Massey et col. 1998) : Les transferts et les
réalisations liés aux « gains de migration »,
transforment les structures sociales et économiques, augmentent les
inégalités de revenus et intensifient le sentiment de privation
chez les non-migrants. L'expérience que les migrants accumule dans les
pays d'accueil est susceptible de modifier, dans les communautés
d'origine, les perceptions et les valeurs, en créant ce que Schoorl et
Col. (2000) appelle une « véritable culture de la
migration»
Les effets de la migration sur les actifs des
ménages
Le résultat du test de khi-deux par rapport à
l'effet de l'existence des migrants de retour sur le bien-être des
ménages, montrent qu'il n'existe pas de différence significative
entre le bien-être des ménages qui ont des migrants de retour et
ceux qui n'en ont pas. Le résultat du test de khi-deux par rapport
à l'effet de l'existence des migrants non récents sur le
bien-être des ménages s'est révélée lui aussi
non significatif : nous en déduisons donc que le niveau de
bien-être d'un ménage ne dépend pas de la migration de ses
membres.
· Effets de la migration sur le capital physique du
ménage
Les migrants investissent leurs revenus primordialement dans
leur alimentation personnelle, viennent ensuite les aides à la famille
restée au village, l'acquisition des moyens de production (filets,
barques, pagaies, moteur hors bord) et l'achat de parcelles ou terre
cultivable, puis la construction de bâtiments. La plupart des migrants de
retour sont parvenus à augmenter le nombre de filets dans le
ménage. Mais seulement 5% des migrants de retour ont pu s'acheter une
barque, 20% ont pu construire des bâtiments d'habitation en
matériaux définitifs. Globalement donc, la migration
améliore mais faiblement le capital physique des ménages.
· Effets de la migration sur le capital humain et le
capital social du ménage
La migration affecte le capital humain du ménage. Le
migrant pêcheur est toujours un membre actif du ménage. La
migration de ce membre a un effet négatif sur la force productive du
ménage. Les personnes qui migrent sont souvent des personnes instruites,
capables de mener des activités permettant aux ménages de
diversifier les risques auxquels sont soumis leurs revenus. La migration
enlève aux ménages ces membres actifs et instruits qui sont les
plus susceptibles de contribuer efficacement au bien-être du
ménage.
Il est important de souligner ici que dans le cadre de la
migration internationale surtout, les cas de décès des migrants
de retour et des migrants non récent sont fréquents (environ 75%
des personnes enquêtées ont répondu avoir perdu au moins un
membre de leur famille élargie suite à une maladie
contractée lors d'une migration).
La migration, surtout internationale, rehausse le prestige
social du migrant ; mais ce prestige social ne rejaillit sur le
ménage qu'en cas de succès de la migration (à travers les
transferts d'argent et les diverses réalisations). Les ménages
ayant des membres en migration, subissent des bouleversements sociaux et
démographiques préjudiciables à leur bien-être.
· Effets de la migration sur le capital financier du
ménage
De l'avis des personnes enquêtées, les revenus en
situation de migration sont toujours plus consistants qu'en situation de non
migration. Malheureusement, l'analyse statistique montre que la contribution
des transferts d'argent aux revenus des ménages reste faible au niveau
de toutes les catégories de ménages. Les migrants participent
donc très faiblement au capital financier des ménages. De l'avis
des personnes enquêtées, la contribution des migrants nationaux
aux revenus des ménages est plus élevée que celle des
migrants internationaux. Cet état de chose pourrait s'expliquer par les
types de contrat dans lesquels s'insèrent les migrants internationaux et
où les gains ne sont rendus qu'à la fin du contrat. Aussi, le
manque de réseau de transfert fiable dans le cadre de la migration
internationale pourrait expliquer les faibles taux d'envois des migrants
internationaux.
· Effets de la migration sur le capital naturel du
ménage
La pression démographique associée au fort taux
d'immigration de pêcheurs (ghanéens) engendre une pression sur les
ressources naturelles. Cette pression sur les ressources naturelles est l'un
des principaux motifs de la migration. Ainsi, en migrant les pêcheurs
diminuent la pression sur les ressources naturelles dans les zones de
départ. La migration peut être considérée de ce fait
comme une pratique de gestion de ressources naturelles. Mais l'acquisition des
moyens de production par les migrants de retour, les transferts de technologie
et le souci de combler la part de revenus qui était assurée par
le migrant augmente encore la pression sur les ressources naturelles et conduis
à une exploitation plus intense de ces ressources.
Au total, le pêcheur qui migre diminue les actifs
humain, social et naturel de son ménage sans pour autant contribuer de
façon durable aux actifs financier et physique. La migration ne permet
pas d'améliorer le bien-être des ménages. Elle reste une
stratégie de diversification de risques (Stark et Levhari 1982, Azam et
Gubert 2002) pour les ménages avec sa contribution au capital financier
et au capital physique mais aussi une stratégie individuelle
d'amélioration du revenu pour le migrant. Pareils résultats ont
été obtenus au Chili et au Mexique en 2002 par Daniel Delaunay.
La figure 3, résume l'ensemble des interactions entre pauvreté,
migration et ressources naturelles.
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