INTRODUCTION
Pendant les trois dernières décennies, le
capitalisme industriel a été affecté par plusieurs
changements, dont l'un des plus marquants est la crise du Fordisme. De nombreux
économistes ont tenté d'expliquer les mutations qui sont à
l'origine de la crise du Fordisme : pour certains, la crise du Fordisme
marque à la fois l'épuisement du capitalisme industriel et la
transition vers un nouveau capitalisme fondé sur la connaissance ou
encore capitalisme cognitif. C'est-à-dire que, la montée en
puissance du capitalisme cognitif correspond à une modification des
piliers du capitalisme industriel, dans laquelle le savoir, la connaissance et
l'immatériel sont des éléments principaux de la valeur au
niveau des facteurs travail et capital, mais aussi en termes d'innovations
(Lebert, Vercellone 2004). Deux faits importants pour expliquer le passage du
capitalisme industriel à l'économie de la connaissance doivent
être retenus :
- L'augmentation de la part du capital intangible (brevets,
dépenses de r&d, éducation, formation...) par rapport au
capital tangible dans le capital total ;
- La montée en puissance des NTIC, qui a permis
d'étendre le champ de diffusion de la connaissance, de faciliter son
accessibilité, et aussi d'augmenter sa vitesse de diffusion et de
transmission (Vercellone, 2003 ; Foray, 2000).
Cette nouvelle économie de la connaissance à
tendance à modifier la division internationale du travail notamment en
ce qui concerne les logiques et les déterminants de la localisation des
activités intensives en connaissance comme par exemple la R&D. Face
à la montée du poids des pays émergents dans la production
mondiale des biens et aussi des services, la R&D et l'innovation sont
souvent présentées comme une réponse possible des pays
développés pour conserver leurs avantages comparatifs et leurs
écarts technologiques. Cependant on parle de plus en plus de la
création de centres de R&D au sein des pays émergents et de
transferts de technologies. Aussi, les pays émergents semblent-ils
s'intègrent rapidement dans les réseaux mondiaux de R&D et
d'innovation. Il se pose donc la question de savoir quelle est la place
réelle des pays émergents dans le tableau de la R&D dans le
monde ? Question à laquelle ce mémoire se propose
d'apporter une réponse en prenant comme exemple le cas de la Chine et
de l'Inde.
La littérature économique est très
partagée sur cette question, certains auteurs pensent que les
activités d'innovation restent très largement concentrées
dans les pays de la Triade (Union Européenne, USA, Japon) et celles qui
sont délocalisés dans les pays émergents sont uniquement
consacrées au développement et non à la recherche, ceci
dans le but de d'adapter les produits à la demande locale (Mouhoud,
2003). D'autres développent plutôt une analyse basée sur
une logique d'acquisition des savoirs mondiaux et d'accès aux centres
d'excellences (Kuemmerle, 1997). Ainsi, la délocalisation de la R&D
aurait surtout pour objectif de permettre aux entreprises de profiter de
l'offre croissante en ingénieurs et scientifiques de qualité,
employables à moindre coût dans les pays émergents (OCDE,
2005). Il ne s'agirait pas que d'un processus incrémenté
d'adaptation à l'innovation pour des activités déjà
existantes, mais aussi de mettre en place un programme d'innovation plus
ambitieux qui consiste à créer et produire de nouvelles
connaissances (Hatem, 2006).
Ce mémoire sera composé de trois parties :
la première sera consacrée à une revue critique de la
littérature, où on présentera les différentes
analyses et les critiques. Cette revue critique de la littérature
permettra d'une part d'apporter des éclaircissements à des
questions comme : Pourquoi et dans quelle mesure peut-on parler de polarisation
au sein de la Triade ? Par quelles voies et de quelle manière cette
polarisation s'effectue-t-elle ? Et d'autre part est - ce - que ce
constat prend en compte tous les paramètres économiques ?
N'est-il pas exagéré de parler de polarisation au sein de la
Triade, alors que l'économie actuelle est globalisée ? Quels
sont donc les éléments de la théorie économique que
l'on peut apporter pour relativiser le constat selon lequel il existe une
polarisation des activités de recherche et d'innovations au sein des
pays de la Triade ? Dans la seconde partie, nous présenterons le
cas de la Chine et de l'Inde, nous essaierons, à partir d'analyses
théoriques et empiriques, de tirer les enseignements qui nous
permettront d'évaluer de manière précise et objective la
place de ces deux pays dans les réseaux mondiaux d'innovation et leur
positionnement dans la division internationale du travail pour les
activités intensives en connaissance. En effet, la Chine et l'Inde sont
deux pays émergents qui essaient chacun à sa manière de
s'insérer dans les réseaux mondiaux d'innovation. Ces deux pays
possèdent des atouts qui leurs sont propres et ont
amélioré leurs performances scientifiques ces dix
dernières années de manière remarquable. Les politiques
d'ouverture engagées dans les années 80 pour la Chine et 90 pour
l'Inde ont permis à ces deux pays de développer des avantages
comparatifs dans différents domaines technologiques. La Chine est
reconnu aujourd'hui comme le premier exportateur de produits TIC (Technologie
de l'Information et de la Communication) (Sachwald, 2007) et l'Inde comme le
premier exportateur de logiciel et services informatiques (Chauvin et Lemoine,
2003) et de médicaments génériques.
Malgré des faiblesses structurelles que l'on peut
déplorer, il n'en demeure pas moins que la course est lancée pour
le rattrapage technologique, et les réformes s'accentuent dans ce
sens : amélioration des systèmes nationaux d'innovation,
renforcement de la coopération entre les universités et les
entreprises, augmentation considérable de l'effort de recherche,
l'innovation est mise au centre de la politique économique, mise en
place de politiques favorisant l'arrivée des investissements directs
étrangers, renforcement des droits de propriété
intellectuelle, mise en place de politiques d'incitation au retour des
chercheurs expatriés dans les grands pays développés
etc.
La Chine et l'Inde ne disposant pas des mêmes
spécificités (en termes d'ouverture et d'investissements directs
étrangers) et des mêmes atouts, leur positionnement dans la
division internationale du travail se situe à des degrés et
à des niveaux différents (Chauvin et Lemoine, 2004). Le premier
dispose d'une main d'oeuvre abondante, lui permettant de réaliser des
économies d'échelles par l'exportation de biens technologiques.
En effet, la Chine importe principalement de ses voisins asiatiques des
pièces et composants de haute intensité technologique,
destinés à l'assemblage, pour ensuite exporter les produits finis
vers ses clients basés aux USA, en Europe et au Japon (Lemoine et
Unal-Kesenci, 2002). Le second à cause de son vivier de talents
composés d'ingénieurs et scientifiques de hauts niveaux, attire
des projets de R&D d'une grande intensité technologique. Cette
présence de scientifiques et ingénieurs qualifiés est
d'ailleurs à l'origine de son avantage comparatif créé de
manière « accidentelle » (Singh, 2003) dans le
domaine des logiciels et des services informatiques.
L'Inde et la Chine ont pris conscience de leurs
potentialités et souhaitent jouer un rôle de premier plan dans
l'économie mondiale. La science et la technologie sont les deux axes
privilégiés par chacun de ces deux pays pour favoriser leur
montée en puissance technologique et concrétiser leur
développement. Cependant, même si le rattrapage technologique est
en cours, pour l'instant on ne peut pas affirmer qu'il pourrait être
effectif dans le court terme.
Cette deuxième partie consacrée à la
Chine et l'Inde sera composée de deux chapitres, le premier portera
principalement sur les performances de la Chine dans l'économie dite de
la connaissance et sera composé de quatre sections : Dans la
première nous présenterons le système d'innovations
chinois : Ses évolutions, ses performances et ses faiblesses. Dans
la seconde nous évaluerons la contribution de la Chine à la
production scientifique mondiale et la place qu'elle occupe. La
troisième section nous permettra de positionner la Chine dans la
division internationale des processus productifs, principalement dans les
activités intensives en connaissance. Et enfin la quatrième
permettra de faire un bilan à la fois sur les facteurs permettant le
renforcement du potentiel technologique chinois, les obstacles à
l'avancée technologique et les perspectives à venir.
Le deuxième chapitre examinera dans une première
section les contours de la politique nationale de R&D indienne. La seconde
évaluera comme pour la Chine, le niveau de participation de l'Inde dans
les travaux d'ordre scientifique à travers des indicateurs comme les
brevets, les publications, la coopération scientifique internationale
etc. Dans la troisième section nous présenterons quelques
pôles d'excellence de la recherche scientifique en Inde. Dans la
quatrième qui sera consacré aux atouts qui pourraient permettre
le développement technologique indien, nous établirons une
analyse du secteur des TI (Technologie de l'Information) dans le but de
dégager des voies et moyens par lesquels ce secteur pourrait jouer le
rôle d'entraînement et élargir l'impact de son
développement à d'autres secteurs de l'économie nationale.
Et enfin la dernière section sera consacrée aux contraintes
liées au retard de l'Inde en matière de technologie et
d'innovation.
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