Faculté de Droit, des Sciences Politiques, des
sciences économiques et de gestion
MASTER «DROIT-ECONOMIE-GESTION»
Mention : Droit Economique et des Affaires
Spécialité Recherche
DROIT ÉCONOMIQUE ANNÉE
ACADÉMIQUE 2008-2009
SUJET : L'ORDRE PUBLIC PÉNAL ET LES POUVOIRS
PRIVÉS ÉCONOMIQUES
Présenté le 03 Juillet 2009 par
KAMGA Joseph PRÉSIDENT DU JURY : Mr Jean
Baptiste RACINE
3tRIIWWFut 1C'8 (iMetWilp di N11116RSKIII$ (liSRCiW
DIRECTEUR DE RECHERCHE : Mr Marc DALLOZ
Maître de FR(Epti(ceW à C'8 (iMItWilp de
NTE116RSK111$ (liSRCiW
A la mémoire de mes grands parents
KAMGA Joseph et KOUKA Yvonne,
REMERCIEMENTS
Tous ceux qui m'ont fait profiter de leurs expériences
et de leurs suggestions, j'exprime ici ma profonde gratitude.
À dire vrai, tant de gens ont participé à
mon apprentissage au cours des années, qu'il me serait difficile de
préciser ce que je dois à chacun d'entre eux. Je ne peux les
nommer tous.
Je ne saurais pourtant passer sous silence ce que je dois aux
enseignants du Master 2 Recherche en droit économique et
particulièrement Monsieur Marc DALLOZ. M'ayant inspiré ce sujet,
ses critiques bienveillantes et toujours constructives m'ont permis
d'aboutir à ce travail.
Merci à mes parents et aux membres de ma famille pour
avoir su m'apporter leur soutien constant.
Que soient aussi remerciés mes amis qui ont lu ce
travail aux différents stades de sa composition.
Enfin, je tiens à remercier Monsieur le Professeur Jean
Baptiste RACINE pour avoir accepté de présider le jury de
soutenance et, plus généralement pour ses conseils
pédagogiques au cours de cette année de Master.
Principales abréviations
AFDI : Annuaire français du droit
international
AJDA : Actualités juridiques-droit
administratif
AMF : Autorité des Marchés
Financiers
Art : Article
Bull. civ. : Bulletin civil
Bull. crim. : Bulletin des arrêts de la
Chambre criminelle de la Cour de
cassation
CE : Arrr~t du Conseil d'État
Cf : Confère
CNIL : Commission nationale de l'informatique et
des libertés
COB : Commission des opérations de
bourses
Cons. Cont : Conseil constitutionnel
C. p : Code pénal
Crim . : Chambre criminelle de la Cour de
cassation
CSA : Conseil supérieur de
l'audiovisuel
DC : Décision du Conseil
constitutionnel
Éd : Édition
Gaz. Pal. : Gazette du palais JO
: Journal officiel
L. : Loi
LGDJ : Librairie générale de droit
et de jurisprudence
n° : Numéro
Obs. : Observations
OCDE : Organisation pour la coopération
et le développement économique ONG :
Organisation non gouvernementale
Op. cit. : Opere citato (ouvrage
précité)
P. : Page
P.A. : Petites affiches
PUF : Presses universitaires de France
Rev. Sc. Crim. : Revue de sciences criminelles
et de droit comparé Rev. Sociétés : Revue
des sociétés
RTD civ. : Revue trimestrielle de droit civil
RTD com : Revue trimestrielle de droit
commercial
s. : Et suivant
Somm. Sommaire
T.G.I. : Tribunal de grande instance
SOMMAIRE
Introduction 1
Première Partie : L'encadrement répressif
des pouvoirs privés économiques 7
Titre I : Les enjeux de l'encadrement répressif
des pouvoirs privés économiques 8
Chapitre 1 : t 1- IiRNFV O'NÇ1- P 1-Vll1-N(1-
SIRt1-FtVRÇ E1- lE IigNFtNr1- dN P
EUFKp«««««««10 Chapitre 2 : La
régulItVRÇ rpSI1-IiIiVY1- d1-Ii TFt1-NLIi dN P
lrFKp«««««««««««««18
Titre 2 : Une régulation pénale
déficiente des pouvoirs privés économiques 30
Chapitre 1 I t IRTEE1- SNElVF SpÇTl IiNEIit/ÇtV1-E
d1- 1p4NlatVRÇ (1-Ii SRNYRVrIi SIVYpIi pFRÇRP
VIN1-Ii««««««««««««««««««««««««««««««MMM
31
Chapitre 2 1 8 Ç 1-ÇFEG1-P 1-Çt SpÇIl
IRIP 1-l VÇ1-fI1-F\V/ ('1-ÇdrRVt G1-Ii SRNYRV1Ii SrVYpIi
pFRÇRP
VIN1-Ii«««««««««««««««««««««««««««««««
45
Conclusion de la Première partie 55
Deuxième Partie : Le nécessaire
redéploiement du droit pénal économique.
Titre I : Le redéploiement du contenu
.56
Chapitre I : t lVÇtp4IDVRÇ E1- lIRSSRrtNÇVtp
pFRÇRP VIN1- SEE l1- GERVt SpÇD«««MMM.. 57
Chapitre II : Le recentrage du droit pénal
économique face aux pouvoirs privés
pFRÇRP
VIN1-Ii«««««««««««««««««««««««««««««MMMMMM
69
Titre II : Le redéploiement de la mise en oeuvre
du droit pénal à l'encontre des pouvoirs privés
économiques 83
Chapitre I : t 1- r1-FIEra41- d1- lIRIIVF1- 1pSI1-IiIiV1 11-Ii
aNtRrVtpIi d1- 1p4NlatVRÇ«««««««M
84
Chapitre II : t
lVÇt1-lÇatVRÇUEVIiIIVRÇ dN URVt SpÇIlM
««««««««««««««««.92
Conclusion de la deuxième
partie««««««««««««««««««««««1Di Conclusion
générale«««««««««««««««««««««««««««MMIDI
INTRODUCTION.
Au contact des affaires, les interdits de nature
répressive ont été généralement ressentis
par les acteurs du jeu économique comme une agression des pouvoirs
publics. Destinés à renforcer les règles ordinaires
applicables au jeu économique, ils sont cependant fortement
influencés par l'ordre public économique autour duquel est
construit le droit économique et dont on doit la systématisation
à M. Gérard FARJAT1. L'ordre public économique
est la manifestation même de la place du droit en économie de
marché, fondée sur l'auto ajustement de l'offre et de la demande
par les prix. Pour assurer le respect effectif des dispositions de cet ordre
public économique, le législateur a fait recours aux dispositions
de nature pénale. C'est la raison d'être du droit pénal
économique. On en est arrivé à la coexistence de deux
ordres publics en droit économique : l'ordre public économique et
l'ordre public pénal. Ces deux catégories sont destinées
en économie de marché à l'encadrement d'une
catégorie particulière d'acteurs économiques : les
pouvoirs privés économiques. Ces derniers constituent l'un des
pôles les plus actifs de l'économie mondialisée.
L'ordre public économique est considéré
comme le siège des valeurs qui, en raison de leur caractère
fondamental, sont soustraites aux initiatives individuelles des acteurs du
marché2. C'est le moyen par lequel l'Etat intervient dans
l'économie en réprimant les conventions qui portent atteinte
à ses intérêts essentiels et à ceux du
marché, tout en faisant prévaloir l'intérJt
général économique sur les intérr~ts particuliers
des différents acteurs économiques. Il convient de noter que
l'ordre public économique revr~t le caractère d'une règle
d'exception en économie de marché. Le principe étant
toujours la liberté du commerce et de l'industrie consacrée par
le décret d'Allarde des 2 et 17 mars 1791 qui dispose qu' « il
sera libre à toute personne de faire tel négoce ou d'exercer
telle profession, art ou métier qu'elle trouvera bon ». #172;~
l'intérieur de cet ordre public, on distingue l'ordre public
économique de direction et l'ordre public économique de
protection. Le premier a pour objet l'orientation de l'activité
économique dans le sens qui paraît conforme à
l'utilité sociale3 et le second a pour finalité la
protection du contractant faible. L'ordre public économique consiste en
somme surtout à interdire l'organisation de l'économ ie par les
acteurs privés.
1 G. FARJAT, L'ordre public
économique, Paris, LGDJ. 1963
2 M. M. MOHAMED SALAH, Les transformations de l'ordre
public économique : vers un ordre public régulatoire ?, in
Mélanges FARJAT, Paris, éd. Frison-Roche, 1999, p.261
3 F. TERRÉ, Ph. SIMLER et Y. LEQUETTE,
Droit civil, spéc. n° 358, cité par M.M. MOHAMED
SALAH, op. cit., p.262
L'ordre public pénal quant à lui, est
considéré en droit économique comme le garant de
l'effectivité de l'ordre public économique. Il représente
l'ensemble des mesures prises par le législateur pour le maintien de cet
ordre public. C'est ainsi qu'il s'attache aux conséquences du non
respect des prescriptions de l'ordre public économique en sanctionnant
les écarts et les manquements préjudiciables à
l'économie. L'ordre public pénal se manifeste principalement
à travers le droit pénal économique dont il est donc
difficile de donner une définition synthétique. On le
considère comme la branche répressive du droit économique.
Le droit pénal serait donc un outil, un instrument du droit
économique. Mais le droit pénal est une branche autonome du
droit. Il faudrait que le droit économique renvoie lui même
à quelque chose de précis, à une prescription
impérative, pour que le droit pénal sanctionne les manquements y
relatifs.
Quant aux pouvoirs privés économiques,
expression qui n'est pas consacrée en droit positif et dont on attribue
la paternité à M. Gérard FARJAT, il s'agit en fait de
simples personnes privées disposant d'un pouvoir de décision
unilatéral, analogue au plan substantiel à celui de la puissance
publique4. Cette expression renvoie à l'ensemble des acteurs
du marché qui, par le truchement de l'outil contractuel et à la
faveur de la concentration du capital, organisent l'économie à
leur guise. Ce sont des acteurs organisateurs de l'économie de
marché, de l'économie mondialisée. On les reconnaît
par les instruments juridiques qu'ils utilisent pour encadrer leurs relations
avec leurs partenaires, professionnels ou non : les contrats d'adhésion
ou contrats dirigés5. Leur existence bouleverse, selon M.
Gérard FARJAT, les représentations juridiques traditionnelles,
notamment le statut juridique des personnes privées. Mais, actuellement,
c'est sur la scène internationale qu'ils paraissent sous le jour le plus
cru6. C'est ici que leur influence est irrésistible dans la
mesure où ils orientent le sens de la mondialisation et effritent la
souveraineté des États7. Le procès de Pretoria
en est la saillante illustration8. L'expression « pouvoirs
privés économiques » renvoie donc dans le
4 G. FARJAT, Droit économique,
1ère éd., Paris, PUF Thémis, 1971, p. 119
5 L. JOSSERAND, « Le contrat
dirigé », D.H. 1933.89
6 G. FARJAT, « Les pouvoirs privés
économiques » in Souveraineté étatique et
marchés internationaux à la fin du 20ème
siècle, Mélanges Ph. Kahn, Litec, 2001, p. 613
7 Nul ne peut nier aujourd'hui le fait que les
entreprises orientent le sens et le contenu des normes
juridiques, surtout les grands traités internationaux dont on pourra
prendre les accords ADPIC comme l'exemple le plus saisissant.
8 On se souvient, le 19 Avril 2001, 39 compagnies
pharmaceutiques avaient abandonné le procès intenté trois
ans plutôt au gouvernement sud-africain avec la volonté de faire
annuler la loi sud- africaine destinée à diminuer le prix des
médicaments afin de favoriser l'accès aux antirétroviraux
destinés à soigner la maladie du sida.
cadre de cette étude, aux entreprises multinationales,
aux entreprises transnationales et aux grands opérateurs
économiques disposant des capacités d'organisation et de
contrôle de l'économie. On pourra citer comme exemples, les
groupes pétroliers, les groupes de communication et d'information et
plus généralement les groupes de sociétés.
De mrme, il est constaté un déplacement de la
production, de l'émission des normes et de leur interprétation
vers cette catégorie d'acteurs. Les Codes de conduite privés, les
contrats de souveraineté ou contrat d'État et le recours
généralisé à la juridiction des arbitres en
matière de commerce international en sont une parfaite illustration. Les
pouvoirs privés économiques, en dépit du fait qu'il ne
leur est pas reconnu une personnalité internationale, se
présentent donc sur la scène internationale comme des partenaires
directs des États souverains. Le droit a été obligé
de trouver une catégorie particulière de contrat pour
régir leur relation avec les personnes publiques : le contrat
d'État. Généralement utilisé dans le cadre d'un
investissement international, c'est une convention entre un État et une
personne privée étrangère qui se caractérise par la
soustraction totale ou partielle à l'ordre juridique de l'État
contractant.9 C'est l'influence de ces nouveaux pouvoirs qui aurait
poussé M. Gérard F ARJAT à s'interroger sur leur
caractère hérétique10 .
En dépit de la robustesse et du statut de pouvoir des
acteurs économiques, il se trouve qu'ils sont des sujets de droit et
devraient en toute logique être assujettis à des interdits
sociaux, incarnés par le droit pénal dont il a été
précisé l'utilité en droit économique. Les pouvoirs
privés économiques sont donc des sujets de droit pénal,
d'où l'intitulé de ce sujet : « l'ordre public pénal
et les pouvoirs privés économiques ». Il a été
démontré que l'ordre public pénal est en fait l'ensemble
des dispositions de nature répressive qui s'applique en réaction
à la méconnaissance des prescriptions de l'ordre public
économique par un acteur du marché. Etant donné que les
pouvoirs privés économiques sont les acteurs du marché les
plus en vue, ils devront faire l'objet d'une attention particulière,
surtout en cette période de déterritorialisation des
activités de production et de mondialisation de l'économie.
Confrontés donc au droit pénal, les pouvoirs privés
économiques redeviennent des sujets de droit comme les personnes
physiques et sont par principe susceptibles d'rtre sanctionnés
pénalement. La règle étant la responsabilité
pénale générale des personnes morales.
9 J.-B. RACINE et F. SIIRIAINEN, Droit du
commerce international, Dalloz-Sirey, 2007, p. 138, n° 212
10 G. FARJAT, « Les pouvoirs privés
économiques » in Souveraineté étatique et
marchés internationaux à la fin du 20ème
siècle, Mélanges Ph. Kahn, Litec, 2001, p. 615.
L'auteur poursuit en disant qu'ils sont hérétiques dans le
système politique (la démocratie), dans le système
économique (le marché) et dans le système juridique
(l'autonomie de la volonté).
Toutefois, les faits ne révèlent pas une
application ordinaire des dispositions du droit pénal aux manquements de
ces acteurs particuliers aux impératifs posés par l'ordre public
économique. Il paraît que le droit pénal ne s'applique
à eux qu'exceptionnellement. La jurisprudence n'offre que quelques cas
définitivement jugés. Il semble que l'application du droit
pénal soit concurrencée par un autre mode de règlement des
différends beaucoup plus consensuel : la transaction. La transaction
serait le mode approprié d'évitement de la voie pénale, ce
qui permet de dire que l'action publique, à l'encontre des acteurs de
l'économie mondialisée n'a pas la mrme vigueur qui la
caractérise lorsqu'elle est à l'épreuve des personnes
physiques. Le problème est donc celui de la vigueur du droit
pénal à l'encontre des pouvoirs privés économiques.
Le droit pénal s'applique t-il aux pouvoirs privés
économiques de la mrme manière qu'elle se déploie à
l'encontre des personnes physiques ? Le droit pénal saisit-il les
agissements des entreprises opérant hors du cadre territorial de leur
siège social avec la même efficacité que celle qui
caractérise la répression des manquements aux dispositions du
droit interne ? Il se pose un problème : celui de l'efficacité du
droit pénal à l'endroit des agents privés de
l'économie mondialisée.
La juxtaposition des expressions « ordre public
pénal » et « pouvoirs privés économiques »
peut donc sembler paradoxale au vu du climat de défiance et
d'hostilité des acteurs du marché par rapport à la
répression, mais aussi au vu de leur aspiration à accéder
au statut de véritable pouvoir. Cette association se
révèle cependant indispensable au regard du rôle primordial
du droit pénal dans la régulation des comportements des sujets de
droit. Le rôle du droit pénal dans la construction de
l'État de droit n'étant plus à démontrer, il serait
mal venu que le droit pénal cède le pas à « la raison
du marché » corollaire contemporain de ce qui fut « la raison
d'État ». Les efforts ont déjà été
faits dans ce sens. La consécration de la responsabilité
pénale générale des personnes morales constitue une
avancée en droit interne, mais elle n'est pas encore la
panacée11. Les mr mes efforts doivent rtre faits à
l'échelle internationale. Certes, divers instruments internationaux ont
été adoptés pour réguler par la voie
répressive les pouvoirs privés économiques. Il en est
ainsi de la Convention internationale sur la criminalité transnationale
organisée, négociée et signée sous l'égide
des Nations-Unies le 15 novembre 2000, ouverte à signature et
signée par la France à Palerme le
11 Loi n°2004-204 du 9 mars 2004 portant
adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité
Voir aussi, J. PRADEL, Droit pénal
comparé, Dalloz, 2ème éd. 2002, p.357,
n°242, E. MATHIAS, La responsabilité pénale,
Gualino éds, 2005, p.194
12 décembre 2000 et réprimant plusieurs
infractions à l'instar du blanchiment d'argent12. Il en est
de même de la Convention de l'OCDE sur la corruption d'agents publics
étrangers signée à Paris le 17 décembre 1997 et la
Convention de l'Union africaine sur la prévention et la lutte contre la
corruption adoptée lors la conférence de l'Union à Maputo,
le 11 juillet 200313.
On constate donc en l'apparence, un foisonnement de
dispositifs répressifs destinés aux acteurs économiques,
pôle actif de l'économie mondialisée. Mais le défaut
d'existence d'une juridiction internationale, voire mondiale, chargée de
mettre en oeuvre les prescriptions de l'ordre public économique et donc
de sanctionner ou de faire sanctionner son inobservation affaiblit l'ordre
public pénal et le désarme de sa capacité à
construire une économie de droit. En plus, la globalisation de l'espace
économique et la progressive dilution des frontières revigorent
l'enjeu mrme d'un ordre public économique ordonné et donc d'une
sanction répressive coordonnée des inconduites des acteurs du
marché telles que les pratiques anticoncurrentielles, la corruption
transnationale et les infractions de droit commun telle les atteintes graves
à l'intégrité et à la santé des populations.
Ces dernières infractions, généralement commises à
l'occasion de la délocalisation des activités à risque
dans les pays à systèmes institutionnels et juridiques faibles,
semblent être un terrain privilégié sur lequel le droit
pénal pourrait réguler les pouvoirs privés
économiques. L'atomicité des acteurs et l'unification de l'espace
économique appelle donc à l'harmonisation des approches et la
coordination des sanctions. #172;~ défaut d'une sanction
coordonnée, le risque de développement de la délinquance
transnationale des acteurs économiques pourrait se multiplier. Les
régulations nationales semblent donc insuffisantes et ne pourraient, pas
par elles-mêmes, réguler l'espace économique qui,
progressivement, s'unifie. En ce sens, on aurait pu penser à la
compétence de la Cour pénale internationale, comme
compétence subsidiaire à défaut d'une compétence
nationale particulière. On se rend vite compte que cette juridiction ne
peut pas, en l'état actuel du droit, rtre d'un secours salutaire
à la régulation répressive des acteurs du marché
globalisé. Le repli sur des solutions de droit interne semble donc rtre
l'unique piste réaliste et praticable en l'état actuel du droit.
Mais pour que le droit pénal interne soit d'une efficacité
réelle, il faudrait qu'il intègre les réalités du
phénomène qu'il servira à réprimer. Le droit
pénal devra donc s'adapter pour affronter et réguler les pouvoirs
privés économiques.
12 Voir Rapport du Sénat pour la session
ordinaire de 2001-2002, annexé au procès verbal de la
séance du 31 janvier 2002, consultable sur
http://www.senat.fr/rap/l01-200/l01-2001.pdf
13
http://www.africaunion.org/Official_documents/Treaties_Conventions_fr/Convention%20sur%20la
%20lutte%20contre%20la%20corruption.pdf
Pour la régulation des pouvoirs privés
économiques, le droit pénal, discipline réaliste,
discipline des valeurs, paraît d'une importance particulière. Le
respect des valeurs en droit économique dépend donc de sa
capacité à sanctionner les écarts et les manquements des
acteurs du nouvel espace économique qu'offre la mondialisation. Le droit
pénal international économique14 semble plutôt
défaillant actuellement face à la réitération
constante des comportements économiques répréhensibles,
mais surtout avec le dévoiement de l'action pour l'application des
peines par la généralisation du règlement transactionnel
des préjudices qui trouvent leur siège dans les incriminations
pénales. Le présent travail a donc pour objet de
révéler les déficiences de l'ordre public pénal en
droit économique en général, mais surtout son inadaptation
à la répression des pouvoirs privés économiques.
Ainsi, il convient de dévoiler les insuffisances du
droit pénal lorsqu'il est mis à l'épreuve des pouvoirs
privés économiques tout en essayant de démonter qu'il y a
cependant des satisfactions à certains points, même si elles
restent à parfaire. Cependant, le statut des acteurs qu'il doit
réguler et les implications de la mondialisation semblent obliger le
droit pénal à faire sa mue et à s'adapter, au risque
d'rtre inefficace. Il convient donc d'ébaucher les différentes
pistes de repositionnement de l'ordre public pénal dans le même
contexte que les pouvoirs privés économiques.
Il convient donc de faire un examen de l'état de
l'encadrement répressif des pouvoirs privés économiques
(Partie I) avant celui de l'opportunité d'un
redéploiement du droit pénal en réponse au statut de cette
nouvelle catégorie de délinquants (Partie
II).
14 G. GIUDICELLI-DELAGE, Droit pénal des
affaires en Europe, PUF Thémis Droit, 2006.
Première Partie : L'encadrement
répressif
des pouvoirs privés
économiques.
La mondialisation et la concentration favorise l'accroissement
de la taille des entreprises et la diminution corrélative de leur nombre
ou la concentration des pouvoirs de décision au sein des centres de
décision. On assiste à l'émergence des pouvoirs
privés économiques, disposant des prérogatives similaire
à celles jusque là reconnues aux seules personnes publiques. En
dépit de cet émergence, le principe reste le même :
l'État seul est irresponsable pénalement. Même ses
démembrements sont responsables à certaines conditions au regard
du plan pénal. La conséquence en est que toutes les personnes de
droit privés sont responsables au regard du droit pénal : les
pouvoirs privés sont eux aussi responsables au regard du droit
pénal et le sont pour toutes les infractions depuis la
généralisation de la responsabilité des personnes morales
depuis la loi n°2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice
aux évolutions de la criminalité dite loi PERBEN II. Les
personnes morales, à l'exception de l'Etat, sont responsables
pénalement (en tant qu'auteurs ou complices) toutes les infractions
commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants.
Les pouvoirs privés économiques entrent dans le
champ d'application de cette loi en ce sens qu'outre les fait qu'ils ont dans
un grands nombre la personnalité juridique, donc une existence
juridique, condition de la responsabilité pénale, ils pourraient
être mis en cause par l'établissement de la complicité de
commission d'une infraction. Dès lors, même sans
personnalité juridique, le droit offre des possibilités au juge
répressif d'établir la responsabilité pénale des
pouvoirs privés économiques.
Cette généralisation de la responsalité
pénale des groupements traduit donc une certaine méfiance du
législateur à l'endroit de cette catégorie d'acteurs. Il
convient alors, de montrer les enjeux liés à l'encadrement
répressif des pouvoirs privés économique (Titre
I). Ces enjeux permettront de mesurer l'ampleur du déploiement
du droit pénal à l'encontre des personnes morales en
général et des pouvoirs privés économiques en
particulier. Ce qui permettra de cerner le cadre, le domaine de l'encadrement
répressif des pouvoirs privés économiques (Titre
II).
Titre I : Les enjeux de l'encadrement répressif
des pouvoirs privés économiques.
Le développement exponentiel de la délinquance
économique, favorisé par la dérèglementation du
système économique et la mondialisation des échanges
commerciaux, porte gravement atteinte au système économique et
financier tel qu'il fonctionne dans l'économie libérale,
caractérisée par la toute puissance du marché.
L'économie de marché est alors un système
économique dans lequel les mécanismes naturels du marché
assurent une auto ajustement de l'offre et de la demande par les prix. Les
économistes l'opposent à l'économie planifiée. Le
rôle ou l'intervention de l'Etat doit rtre la plus réduite
possible. Le droit doit se limiter à veiller au respect des conditions
nécessaires au bon fonctionnement du marché. Les principaux
acteurs du marché sont alors des agents économiques privés
avec une prédominance des personnes morales sur les personnes
physiques.
Le développement de ces acteurs leur a permis de
s'octroyer la quasi-totalité des prérogatives de puissance
publique, tel le commandement, l'unilatéralisme et les pouvoirs
d'organisation de l'économie. Ce qui a permis à un auteur de les
qualifier de pouvoirs privés économiques15. A l'image
des pouvoirs publics, ces acteurs constituent aujourd'hui le pôle
le plus attractif de l'économie mondialisée. Avec les
concentrations de ces dernières décennies, les entreprises sont
devenues transnationales alors que les régulations restent
principalement nationales. Leur puissance économique leur ont permis de
s'affranchir de la conception traditionnelle de certaines catégories
juridiques telle la libre concurrence, l'autonomie de la
volonté16. C'est pourquoi une branche particulière du
droit, le droit de la concurrence, s'est, selon M. Gérard FARJAT,
développé contre eux17.
Ainsi, avec le retrait de l'Etat de la sphère
économique et le rayonnement de la loi du marché, il devenait
alors indispensable que les règles du marché soient strictement
appliquées et que toutes les violations soient fermement
sanctionnées et au besoin par les moyens
15 G. FARJAT, Pour un droit
économique, PUF, 2004, p. 25
16 M.-A. FRISON-ROCHE, Remarques sur la distinction de
la volonté et du consentement en droit des contrats : RTDCiv.,
1995, pp. 573 et s.
17 G. FARJAT, op. cit., p. 68
répressifs. La délinquance économique est
devenue un fléau et le législateur a opté pour les moyens
répressifs comme garantie d'effectivité des règles
ordinaires.
Présentée comme un mal qui aurait pour effet de
décourager l'esprit d'entreprise et de faire perdre le goût du
risque, moteurs du développement économique et financier pour les
entreprises18, la pénalisation du droit des activités
économiques n'a jamais autant été
dénoncée19. Pourtant son principe même ne semble
pas remis en cause en ce sens que le droit pénal est le seul gage
d'effectivité et d'efficacité20 de l'ordre public
économique face à la recherche illicite du profit : motif
fondamental de la délinquance économique de certains grands
groupes. De par sa fonction dissuasive, l'ordre public pénal participe
à l'affirmation des valeurs en droit économique. Valeurs qui sont
par hypothèse subjectivement extérieures aux acteurs21
mus par leurs intérêts égoïstes. C'est en incriminant
les atteintes et les manquements caractérisés à
l'honnr~teté, à la transparence, à
l'intégrité, à la probité et à la
loyauté (valeurs fondamentales de l'économie de marché)
que l'ordre public économique sera mieux garanti. Vecteur de valeur
éthiques, l'ordre public pénal participe d'une meilleure
protection du marché (chapitre 1) et de la
moralisation des acteurs du marché (chapitre
2) bien que d'aucuns le considèrent d'ailleurs aujourd'hui
comme anormalement envahissant22 .
18 J.-P. DINTILHAC, La pénalisation de
l'activité économique et financière, In « la
justice pénale face à la délinquance économique et
financière », Dalloz, 2001, p. 3
19 Voir la littérature abondante favorable
à la dépénalisation du droit des affaires et le discours
du chef de l'Etat, Nicolas Sarkozy, du 06 septembre 2007 à l'occasion du
bicentenaire du Code de commerce au tribunal de commerce de Paris. Ce discours
peut être consulté sur
www.elysee.fr/documents
20 M.-A. FRISON-ROCHE, Avant propos de «
Les enjeux de la pénalisation de la vie économique
», Dalloz, 1997, p.2, « Le droit pénal est la plus formidable
des portes et il ne faut pas craindre de l'ouvrir à deux battants. Elle
débouche sur l'ensemble du système juridique, sur ses
dysfonctionnements profonds, sur les cassures du droit des
sociétés, sur les faiblesses de l'institutions judiciaire civile
»
21 C'est A. SMITH qui à travers sa
théorie de la « main invisible » caractérise
les acteurs économiques en ces termes : « Ce n'est pas de la
bienveillance du boucher, du marchand de bière ou du boulanger que nous
attendons notre dîner, mais bien du soin qu'ils apportent à leurs
intériJts. Nous ne nous adressons pas à leur humanisme, mais
à leur égoïsme... »
22 Y. GUYON, « De l'inefficacité du droit
pénal des affaires », Revue Pouvoirs, 1990, N°55,
P.41
Chapitre 1 : Le souci d'une meilleure protection de
la
structure du marché.
Le droit de la répression des comportements
économiques néfastes tire sa légitimité des failles
de l'encadrement de la structure concurrentielle du marché par les
prescriptions du droit du marché. La répression est donc un
instrument de réalisation des fins que le législateur assigne au
marché. En effet, le principe de non ingérence de l'Etat dans les
affaires, lui-même imposé par l'Union européenne dès
le milieu des années 1970 l'empr che d'intervenir a priori. Ne
pouvant plus intervenir de manière préventive, l'Etat est en
droit de se rabattre sur la sanction pénale a posteriori pour
imposer aux échanges commerciaux un minimum de moralité.
Garant de la pérennité de l'économie de
marché, l'Etat, émetteur exclusif des normes pénales et
détenteur exclusif du monopole de la contrainte et de la
violence23 est en devoir de sanctionner, et ce, au moyen du droit
pénal, les comportements déviants des opérateurs du
marché dont les pouvoirs et la taille ne cessent de croître du
fait de la concentration. Ceux d'entre eux qui abusent de la liberté du
commerce et de l'industrie en enfreignant les règles de jeu de
l'économie de marché (l'auto-ajustement de l'offre et de la
demande). La nécessité de la dissuasion pénale est
d'autant plus actuelle que le pouvoir des opérateurs économiques
est devenu suspect et échappe à l'emprise juridique d'un Etat
pris isolément. Disposant de techniques sophistiquées pour
organiser l'économie, certains grands acteurs économiques se
dissimulent derrière la façade de la personnalité
juridique des différentes entités du groupe et des techniques
d'intégration économique pour échapper à la
répression. Le droit pénal protège les pouvoirs
privés économiques en ce que les infractions commises à
leurs endroits sont sanctionnées au même titre que celles commises
au détriment d'une personne physique. Mais, il s'attache aussi aux
infractions commises à leur bénéfice ou
commanditées par eux. C'est ainsi que pour protéger la
concurrence, le droit pénal réprime les pratiques restrictives de
la concurrence et encore plus sévèrement les pratiques
anticoncurrentielles. Le déclin de la Loi, et le respect spontané
que chacun doit en avoir, est sans doute la cause
première d'un recours
23 M. WEBER définit l'État moderne
par le monopole de la violence physique légitime. Cela signifie qu'en
interdisant l'usage privé de la violence, l'État se
réserve l'exclusivité du recours à la violence, ou
à la contrainte justifiée, tant à l'intérieur
qu'à l'extérieur de ses frontières, Le Savant et le
Politique, 1919, trad. Freund, « 10/18 », 1963, p. 124-126.]
au droit pénal pour protéger la structure du
marché. Le marché devient ainsi une valeur sociale
protégée au mrme titre que la vie, l'intégrité
physique des personnes et des biens. Le droit pénal est donc un moyen,
plus efficace que d'autres, pour obtenir des acteurs économiques,
rationnels et maximisateurs, le respect de l'ordre public économique et
partant les règles du jeu de la libre concurrence.
L'ordre public pénal apparaît donc comme un ordre
public subsidiaire à l'ordre public économique en ce qu'il permet
de lutter contre les dérives de la macro-spéculation
(sect. 1) et les fraudes de toute sorte au détriment de
la collectivité publique (sect. 2).
Section I-- La lutte contre la
macro-spéculation.
Il est un principe en économie de marché que les
prix sont le fruit du rapport entre l'offre et la demande, donc fixés
librement. Affirmée solennellement par l'ordonnance du 1 er
décembre 198624 en son article 1er , la
liberté des prix n'a de sens que dans un marché à
structure concurrentielle. Or, le marché est de nos jours
contrôlé par les ensembles économiques
disséminés en multiples entités juridiquement autonomes,
mais obéissant à une même orientation industrielle et
économique : celle du centre de décision. Celui-ci peut
être la société mère pour ce qui est des filiales
dans le cadre des groupes de sociétés ou le pôle
intégrateur, pour ce qui est des réseaux commerciaux et de
sous-traitance. Autant dire qu'au lieu d'avoir face à face plusieurs
concurrents, le marché se caractérise de nos jours par la
concentration et la diminution substantielle du nombre des acteurs
économiques, ce qui favorise les risques d'ententes
délictueuses et d'abus de marchés (abus de position
dominante et de dépendance économique). Dépourvus de
personnalité juridique nationale et internationale, les pouvoirs
privés économiques dont les sociétés
transnationales sont l'emblème, jouissent d'une capacité
économique leur permettant de contrôler les prix, voire de les
imposer tout comme il a été démontré à
travers la théorie de la filière inversée que ce sont les
entreprises qui imposent les produits aux consommateurs et non
l'inverse25 .
24 L'Ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre
1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence.
25 J. K. Galbraith, Le Nouvel État
industriel, essai sur le système économique
américain, Gallimard, 1967, cité par L. BOY, Droit
économique, Lyon, L'Hermès, 2002, p.26, n° 35
Pour remédier aux dérives et excès de
certains de ces acteurs économiques, le droit doit, et en particulier le
droit pénal, sévir contre la pratique des prix illicites
(§ 1) et des prix faussés (§
2).
§1- La répression des prix
illicites.
Les prix illicites, objet de l'incrimination de l'article L.
420-1 du Code du commerce, sont à l'ère contemporaine, l'apanage
des pouvoirs privés économiques. Par leur capacité
à contrôler le marché de la production, des investissements
en passant par les débouchés et les sources d'approvisionnement,
les pouvoirs privés économiques sont une menace potentielle pour
le consommateur et pour les concurrents moins lotis. Les prix illicites sont
des prix obtenus par des procédés étrangers au jeu de
l'offre et de la demande. Pour anéantir au mieux le concurrent en effet,
tous les moyens ou presque sont utilisés. Le législateur ne
pouvait évidemment pas rester insensible : le « laisser-faire
» étant la pire des politiques. Les entreprises les plus puissantes
ayant réussi à éliminer tous les concurrents vont finir
par soumettre le marché à leurs diktats. Ce qui met en
péril non seulement l'équilibre économique, mais fragilise
aussi l'indépendance du pouvoir politique et institutionnel. Afin de
parer tout risque d'abus, l'arme pénale serait la meilleure dissuasion
possible.
Toutefois, dans un système à dominante
libérale, le champ des interdits doit être sérieusement
dosé et mesuré. C'est ainsi que le droit répressif
français, dans une optique de protection de la libre concurrence au
profit des consommateurs, a incriminé la pratique des prix
imposés. C'est par l'article 34 de l'ordonnance n° 86-1243 du
1er décembre 1986 intégré au Code de commerce
sous l'article 442-5 que le législateur punit cette pratique d'une
amende de 15 000 € toute personne qui impose, directement ou
indirectement, un caractère minimal au prix de revente d'un produit ou
d'un bien, au prix d'une prestation de service ou à une marge
commerciale. Cette infraction est d'une utilité importante dans un
marché à structure de plus en plus oligopolistique, voire
monopolistique. Ceci se comprend si on se souvient de l'origine et du fondement
de l'incrimination. A la fin de la 2ème Guerre mondiale, de
nombreux fabricants ou grossistes imposaient aux détaillants les prix de
revente de leurs produits. De ce fait, la concurrence était
muselée dans sa détermination des prix, sans compter un frein
à toute baisse de ceux-ci.
Malgré la précision de cette incrimination, les
pouvoirs privés économiques, centrales d'achats et autres grands
distributeurs ont trouvé une autre parade pour imposer les prix aux
détaillants. C'est par la pratique des « prix conseillés
», non incriminé formellement, que les opérateurs dominants
du marché maintiennent artificiellement les prix à un niveau leur
assurant une rentabilité maximale. En fait, les prix dits
conseillés sont généralement un masque des prix
imposés et peuvent dans certaines circonstances constituer de
véritables stratégies d'ententes
prohibées26.
Les manoeuvres artificielles de maintien de prix sont
substantiellement constitutives d'atteintes au bien-être des
consommateurs. Le législateur se doit d'r~tre attentif et réactif
d'autant plus que le nombre de concurrents a tendance à
dégringoler et le marché se concentre à un rythme
irréversible27.
Si le droit pénal n'appréhende que les prix
imposés sous l'empire des prix illicites, il se déploie beaucoup
plus contre les prix faussés.
§2 - La répression des prix
faussés.
Toujours dans la logique de protéger le consommateur,
maillon terminal de l'échange économique, et de méfiance
à l'endroit des opérateurs dominants du marché, le droit
pénal est tout aussi sévère quant aux altérations
artificielles et spéculatives relatives aux prix. C'est ainsi que toute
manoeuvre spéculative destinée à troubler la
détermination des prix par le jeu d'un rapport normal entre l'offre et
la demande tombe sous le coup de la loi pénale. A cet effet, l'article
52-1 de l'ordonnance de 1986 érige en délit l'altération
des prix ou l'action illicite sur le marché
Ainsi qu'il a été démontré
à la lumière de la théorie de la filière
inversée de l'économiste John Kenneth Galbraith, le
résultat du jeu des prix échappe substantiellement au
consommateur. Les hausses ou baisses artificielles des prix sont l'apanage
exclusif du distributeur, procédant d'une altération des prix
intervenant au-dessus ou au-dessous des prix qu'aurait déterminé
le résultat du jeu naturel de l'offre et de la demande. De telles
manoeuvres constituent des comportements économiques frauduleux et
blâmables dont s'est saisi le droit pénal.
26 V. ainsi Crim. 25 nov. 1991, G.P. 1992, 1, somm.
166, obs. Doucet, à propos des prix conseillés sous peine de
rétorsions commerciales.
27 Par exemple, dans le secteur des conserves de
légumes en France, 185 entreprises se partageaient le marché en
1985 ; cinq ans plus tard elles n'étaient plus que huit.
C'est pour cela que l'article 52- 1 de l'ordonnance de 1986
précitée incrimine quatre types de comportements. Il en va des
informations mensongères ou calomnieuses, des offres jetées sur
le marché destinées à troubler les cours et ce dans un but
spéculatif, des suroffres faites aux prix demandés par les
vendeurs. C'est ainsi qu'il avait été jugé que constitue
des suroffres punissables le fait pour un laitier d'avoir offert aux
producteurs de lait cinq centimes par litre de plus que le prix pratiqué
dans sa région et d'avoir ainsi déterminé une hausse
nullement demandée par les producteurs28.
Toutefois, les prix peuvent être faussés aussi et
surtout par des procédés tels les ententes abusives et les
positions dominantes abusives, manoeuvres contre lesquelles le droit
pénal se déploie de manière très
énergique29. C'est pourquoi l'analyse des enjeux de
l'encadrement répressif des pouvoirs privés économiques
tenant aux atteintes aux intérêts de la collectivité
publique sera utile.
28 Crim. 17 dec.1931, G.P. 1932, 1, 430.
29 Cf. infra
Section 2- Le souci de préserver le financement
public.
« La manière la plus simple de gagner de l'argent
est de ne point en perdre30». Ce propos est largement
vérifié et semble être le maître-mot des pouvoirs
privés économiques. Obnubilées par la recherche
effrénée du profit et de la croissance, les grandes entreprises
ont une tentation généralisée à enfreindre les
règles du marché. En procédant à des
externalisations des activités du groupe tout en intégrant les
sous-traitants et aux délocalisations, les pouvoirs privés
économiques manifestent leur désir d'échapper aux charges.
Il arrive généralement que des infractions soient commises au
cours de ces opérations d'évitement des charges.
C'est ainsi que les fraudes tant fiscales
(§1) que douanières (§2)
sont commises par les grandes entreprises au quotidien.
§1 : Les fraudes fiscales.
Disposant de nombreuses entités liées
économiquement à leur centre de décision, mais
juridiquement autonomes et disséminées dans des systèmes
juridiques différents, les grands groupes multiplient les
procédés d'évitement fiscal. C'est ainsi qu'en
conférant à certaine de leurs entités la
nationalité d'un pays à fiscalité complaisante voire
inexistante, les grands groupes participent d'une véritable
opération d'évasion fiscale qui n'est en soi pas interdite. Le
fait pour chaque pays d'évaluer en permanence ses régimes fiscaux
et ses dépenses publiques en vue de procéder, si
nécessaire, à des ajustements pour améliorer
l'investissement incite les pouvoirs privés économiques à
des délocalisations d'activités. Lorsqu'elles ne sont pas faites
dans les pays où le droit social est largement attrayant, les
délocalisations sont faites dans les pays à fiscalité
avantageuses communément désignés « paradis
fiscaux ». Dans la pratique, les activités de production sont
localisées dans les pays à « mains d'oeuvre bon
marché » et les activités financières dans les
pays dits « paradis fiscaux ». Ainsi, dans les transactions
du groupe, les procédés répréhensibles tels que
ceux énoncés par l'article 1741 du Code général des
impôts peuvent être réalisés. Il s'agit d'omettre
sciemment de souscrire la déclaration fiscale dans les délais
prescrits, de dissimuler volontairement une partie du
30 W. JEANDIDIER, Droit pénal des
affaires, Dalloz, 4ème éd, 2005, p. 189
chiffre d'affaires ou des bénéfices
réalisés et passibles de l'impôt , d'organiser son
insolvabilité ou faire obstacle par d'autres procédés au
recouvrement de l'impôt, d' achats et ventes sans factures, de
délivrer ou présenter des factures se rapportant à des
opérations fictives et tenter d'obtenir de l'Etat des remboursements
injustifiés.
Toutefois, lorsque les éléments
d'appréciation d'une fraude fiscale sont avérés, la
responsabilité pénale du groupe devrait être engagée
en ce sens que l'entité coupable, juridiquement autonome, mais
substantiellement subordonnée par son obligation de répondre
à la politique du groupe, n'a agi que dans le cadre d'une action
concertée. Le fait de se soustraire ou de tenter de se soustraire
à l'impôt, dans un but exclusivement fiscal ou avec l'intention de
frauder, peut être sévèrement sanctionné dans le
cadre du groupe, il suffit juste de procéder par une analyse des faits
en fonction des suggestions du groupe. La répression des fraudes
fiscales des groupes de sociétés est d'autant plus actuelle dans
le contexte de la mondialisation de l'économie que les échanges
transfrontaliers entre filiales d'entreprises multinationales, souvent
désignés sous le nom d'échanges « intra-groupe »
ou « entre sociétés apparentées »,
représentent une part importante des échanges internationaux de
marchandises, encore que des données globales ne soient disponibles que
pour un petit nombre de pays, notamment les États-Unis et le Japon. Les
échanges intra-groupes représentent près d'un tiers des
exportations de marchandises du Japon et des États-Unis, et une
proportion similaire des importations de marchandises des États-Unis et
un quart de celles du Japon.31
Les manquements devraient donc être
réprimés dans le cadre du groupe et non par la prise en compte de
l'entité autonome juridiquement sur la tête de laquelle les
éléments de la fraude sont réunis. C'est ce qui a
certainement motivé l'ouverture des enquêtes préliminaires
contre les groupes Total, Adidas et Michelin par la justice française
pour fraude fiscale32.
Le fait est que l'économie mondiale a embrassé un
cycle irréversible de dilution des espaces et le droit pénal
fiscal devrait en tenir compte tout comme le droit pénal douanier.
31 Source OCDE 2002
32 Le quotidien Le Point du 01 Avril 2009,
édition électronique consultée le 01 avril 2009 sur
http://www.lepoint.fr/actualites-economie/2009-04-01/elf-michelin-adidas-ouverture-d-une-enquetepreliminaire/9
16/0/330959
§ 2- Les fraudes douanières.
Se situant dans le prolongement de la lutte contre la fraude
fiscale, la lutte contre la fraude douanière a ceci de particulier
qu'elle protège aussi les intérrts financiers de l'Union
européenne. C'est ainsi que L'article 280 du Traité CE
prévoit que les États membres sont tenus, pour combattre la
fraude au budget communautaire, de prendre les mêmes mesures que celles
prises pour combattre la fraude portant atteinte à leurs propres
intérêts financiers. Dans ce contexte, l'enjeu économique
lié à la lutte contre la fraude se décline dans plusieurs
domaines : un enjeu en termes de contrôle de la réglementation
économique communautaire, un enjeu fiscal, un enjeu en matière de
lutte contre la criminalité organisée qui prend de nos jours
diverses facettes, en termes de protection du consommateur et en matière
d'économie souterraine.
Dans un contexte d'économie dirigée par les
grands groupes et les centres d'intérrts économiques, la lutte
contre la criminalité organisée par voie douanière
revêt des grands enjeux. Tout d'abord, en tant qu'administration
spécialisée, la douane dispose des moyens d'investigations dont
ne dispose pas le juge répressif, ce qui milite en faveur d'une
coopération fructueuse entre les deux institutions. C'est ainsi que,
conscient des enjeux d'un encadrement répressif des échanges et
respectueux des principes du droit pénal pour pallier cette carence, le
législateur, par la loi du 6 août 1975, a confié les
affaires de cette nature à des juges spécialement formés
regroupés au sein de juridictions spécialisées en
matière économique et financière. Les difficultés
de mise en oeuvre de cette loi ont entraîné à la fin des
années 1990 le recours à des assistants
spécialisés. Ce qui fait de l'institution de la douane un acteur
privilégié de la justice pénale. Cela est justifié
par le soutien que la douane apporte au juge répressif dans le
contrôle de la loyauté des flux commerciaux des pouvoirs
privés économiques. Notamment en luttant contre les contrebandes,
importations et exportations sans déclaration, les services de douanes
contribuent à lutter contre les blanchiments de capitaux.
Toutefois, pour que les infractions puissent rtre
constituées, l'intention délictuelle, c'est-à-dire la
mauvaise foi, doit être caractérisée. Cela relève
d'une loi du 8 juillet 1987 qui est venue modifier l'article 369 du Code des
douanes (Le régime ancien énoncé à l'ancien article
369 du Code des douanes n'exigeait aucune faute particulière,
c'est-à-dire aucune intention délictuelle. Les infractions
étaient alors « matérielles » : la
matérialité des faits suffisait à caractériser
l'infraction. Désormais, la mauvaise foi est nécessaire à
la constitution
de l'infraction. La bonne foi pourra ainsi rtre prouvée
en cas d'erreur sur la matérialité des faits (par exemple le
conducteur d'un véhicule ignore qu'il transporte des marchandises devant
être déclarées) ou bien sur la licéité des
faits (erreur de droit).
En cas d'infraction douanière, la mauvaise foi de
l'auteur est alors présumée, c'est-à-dire que
l'autorité de poursuite n'aura pas à la démontrer
(à l'inverse des infractions de droit commun). Cela est justifié
par les nécessités de la répression bien que remis en
cause par l'article 6 § 2 de la convention européenne de sauvegarde
des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Mais cela reste une
présomption simple et le prévenu pourra ainsi prouver sa bonne
foi.
Selon l'article 439 du Code des douanes, lorsqu'un même
fait constitue plusieurs infractions douanières, seule la plus haute
qualification pénale doit être prise en compte. Ceci en
application du principe de la plus haute expression pénale. Cependant,
lorsqu'un même fait constitue une infraction douanière et une
infraction de droit commun, une infraction fiscale ou cambiaire, il y a alors
cumul de qualifications et donc cumul de sanctions.
Le droit pénal douanier pourra donc constituer un
important levier de contrôle des pouvoirs privés
économiques en ce sens que les tendances sont plutôt à la
faveur d'une intensification des échanges entre les entités d'un
mrme groupe situé dans les espaces juridiques différents.
L'encadrement répressif de la structure du marché ne pourra rtre
efficace que si les acteurs eux-mêmes sont régulés
Chapitre 2 : La régulation répressive des
acteurs du marché.
La question de la régulation répressive des
acteurs du marché renvoie à l'épineuse question de la
responsabilité pénale des acteurs du marché. Il a
été signalé le jeu auquel se prêtent ces acteurs.
Rationnels et maximisateurs selon l'expression de Gary Becker, les agents
économiques excellent dans l'exploitation abusive des failles des
législations pour faire du profit, ce au mépris des
considérations éthiques et morales33. Lorsque le
rapport coût-avantage est en leur faveur, ils n'hésitent pas
à violer les textes, voire à commettre des infractions.
Moins compliquée lorsqu'il s'agit des personnes
physiques, la responsabilité pénale des personnes morales est
plus que jamais une question d'actualité. D'autant plus qu'elle est
consacrée en France et est générale, les mutations de
l'économie semblent orienter vers l'élargissement de son champ.
Les pouvoirs privés économiques, nouveaux acteurs réels de
la sphère économique, semblent être diversement
encadrés par le droit pénal. Il faut d'entrée de jeu
préciser que nulle part les incriminations pénales ne les visent
expressément. Toutefois, les éléments utilisés par
le législateur pour renforcer la nécessité de la
répression permettent de conclure que le droit pénal
s'intéresse, certes imparfaitement, à eux.
Cela est perceptible lorsque le législateur
répressif entend moraliser les acteurs- décideurs du
marché (section 1) et protéger d'acteurs faibles
(section 2).
Section 1- La moralisation des décideurs du
marché par le droit pénal.
Il s'agit non seulement des acteurs personnes morales
(§1), mais aussi des acteurs personnes physiques
(§2).
33G.-S. BECKER, « Crime and punishment : An
Economic Approach », Journal of political Economy, vol. 76, 1968,
pp. 169-217, cite par T. KIRAT, F. MARTY, Économie du Droit et de la
Réglementation, Gualino Eds, 2007, p. 25
§ 1- Les personnes morales.
Véritables instruments de commission de nombreux
délits, l'admission de la responsabilité pénale des
personnes morales est encore loin d'rtre universelle34. C'est ainsi
que dans un grand nombre de pays, cette responsabilité est exclue
à titre de règle générale35. Il convient
tout de même de signaler que partout les personnes morales sont
civilement responsables des dommages causés par leur fonctionnement
mrme. Mais cela n'intéresse pas le droit pénal.
Longtemps en Europe, seule l'Angleterre a connu ce type de
régulation des entreprises36. Aujourd'hui, ce principe
connaît un regain de vitalité37. Même si la
généralisation de la responsabilité pénale des
personnes morales ne résout que partiellement le problème de la
responsabilité pénale des pouvoirs privés
économiques, il s'agit tout de mrme d'une avancée dont la
société se satisfait et sur laquelle elle devrait s'appuyer pour
combler les lacunes au regard des mutations économiques.
Dépassant le vieux débat de la
réalité ou de la fiction des personnes morales avec lesquelles
Gaston JÈZE est réputé n'avoir jamais
déjeuné, le législateur pénal a entendu
responsabiliser les acteurs économiques par la dissuasion
répressive. Sur divers fondements, les législations consacrant la
responsabilité pénale des personnes morales les encadrent soit
directement soit indirectement38. Dans les systèmes
procéduraux opportunistes (à poursuites facultatives), les choses
semblent moins satisfaisantes pour la répression dans la mesure
où le poursuivant peut soit choisir de ne poursuivre que les personnes
physiques surtout s'il s'agit d'une infraction intentionnelle soit de ne
poursuivre que la personne morale. C'est ce qui ressort de l'article 121-2 du
Code pénal français qui consacre la responsabilité
pénale des personnes morales pour les « infractions commises, pour
leur compte, par leurs organes ou
34 J. PRADEL, Droit pénal
comparé, Dalloz, 3ème éd. 2008, p. 164
35 C'est ainsi que sur des fondements divers, les
législations des pays comme l'Allemagne, l'Italie, l'Espagne et la
Russie, voy, J. PRADEL, op. cit, p. 165
36 partir d'un arrrt important de 1842, Rv.
Birmingham and Gloucester Railway Co. 3 KB 223, arrêt ne concernant
que les infractions règlementaires (regulatory offences).
37 C'est le cas de la France en 1994 (art. 121-2
CP), de la Hollande en 1953 (art.51 CP), Norvège en 1991 (art. 48-a et
48-b CP), Finlande en 1995 (chapitre 9 CP), Estonie en 1998, Belgique en 1999
et Suisse en 2002 et dans beaucoup de pays de l'espace OHADA tel le
Cameroun.
38 La thèse du ricochet soutient
que la personne morale est responsable pénalement, mais
indirectement de la faute pénale commise par une personne
physique, « pour leur compte, par leurs organes ou représentants
».
La thèse de la faute autonome,
quant à elle voudrait que les personnes morales soient
responsables pénalement et directement sur la seule base de leurs vices
d'organisation et de fonctionnement, mrme si nulle personne physique n'a
préalablement été reconnu responsable ou tout simplement
identifiée.
représentants »39. Ici, les personnes
physiques sont une alternative de la répression. Ce qui n'est pas le cas
dans le système de la responsabilité directe où l'accent
est mis sur la seule personne morale, responsable indépendamment de tout
individu. L'article 51 du Code pénal néerlandais rappelle que la
poursuite peut viser soit la personne morale, soit ceux qui ont ordonné
ou laissé commettre l'infraction soit les deux à la fois.
Dans toutes les hypothèses de responsabilité
pénale, l'objectif du législateur est d'éviter que les
entrepreneurs puissent évaluer le risque pénal a priori.
C'est ce qui justifie que le cumul de responsabilité entre personne
physique et personne morale soit présent dans les deux systèmes
de responsabilité pénale des groupements. Toutefois, le
législateur ne procède que par touches ponctuelles. Il ne vise
pas directement les groupes.
Faire abstraction de la responsabilité pénale
des groupes de sociétés auxquels la loi ne confère aucune
personnalité juridique est justifié dans la forme, mais au fond
cette démarche est de nature à dénuer le principe
même de la responsabilité pénale des personnes morales de
toute efficacité. Ainsi qu'il a été
démontré, les pouvoirs privés économiques sont en
général des groupes de sociétés et des centres
d'intérrts économiques dont l'emblème est le défaut
de personnalité juridique40. A la lecture du droit
répressif français, les pouvoirs privés économiques
ne sont pénalement responsables que s'ils jouissent d'une
personnalité juridique. C'est le cas des grandes sociétés
qui comme des sociétés de taille moyenne sont responsables
pénalement.
Les pouvoirs privés économiques sont mieux
encadrés par les droits répressifs
néerlandais41 et anglais42 en ce sens qu'en plus
de rechercher la faute dans les agissements des organes (l'assemblée
générale, le conseil d'administration, le directoire, le conseil
de surveillance) ou des représentants (ce sont des individus comme le
directeur général de l'rtre moral ou son gérant), le juge
répressif pourra remonter au point central de décision.
Il a été démontré que dans les groupements, les
dirigeants, bien que juridiquement autonomes, sont substantiellement
subordonnés au centre de décision du groupe. Au nom du
réalisme du droit pénal, la responsabilité pénale
du centre de décision devrait être engagée, en ce sens que
la capacité réelle d'engager les entités du groupement, de
définir la politique du groupe,
39 Voir Loi n° 2000-647 du 10 Juillet 2000 :
« la responsabilité pénale des personnes morales n'exclut
pas celle des personnes physiques auteurs ou complices des mêmes faits,
sous réserve des dispositions du quatrième alinéa de
l'article 121-3. »
40 G. FARJAT, Pour un droit
économique, op. cit., p.77
41 L'article 51 § 3 CP décide que sont sur
le même pied la personne morale et « la société qui
n'a pas la personnalité juridique »
42 L'IÇerpretation Act de 1978
décide que le mot groupement désigne non seulement les personnes
morales, mais aussi tout unincorporated association (groupement
n'ayant pas la personnalité morale).
appartient aux responsables qui occupent les postes les plus
élevés en général, au détenteur du pouvoir
de contrôle du groupement. Celui là même qui définit
la politique du groupe. Cette démarche est déjà celle
adoptée par le droit pénal administratif à l'instar du
droit de la concurrence43. En prenant l'exemple de la participation
d'une filiale dÇn groupe à une entente économique, il est
normal que ce soit le groupe auquel appartient l'entité qui paye les
amendes sur son chiffre d'affaire annuel mondial.
La prise en compte des centres de décision des pouvoirs
privés économiques permettrait de faire la jonction entre les
vrais décideurs et les acteurs immédiats d'une infraction
pénale portant atteinte aux valeurs du marché44. Cela
participe d'une logique à la fois dissuasive et rétributive.
Toutefois, la moralisation des pouvoirs économiques n'est
réellement efficace que si les personnes physiques sont
pénalement visées.
§ 2- Les personnes physiques.
Les personnes physiques sont des agents qui animent et
agissent dans l'intérr~t et pour le compte des êtres moraux que
sont les personnes morales. Ces personnes physiques sont donc une
catégorie particulière de délinquants au regard des
délinquants ordinaires. Ce qui leur vaut la qualification de «
délinquants à col blanc ». C'est l'américain
Edwin Hardin SUTHERLAND qui a le premier employé l'expression «
White-collar crimes »45. Le langage savant utilise
l'expression « crime en col blanc » pour le distinguer du
crime ordinaire appelé « crime en col bleu » par
référence aux infractions commises par les travailleurs
subalternes. Il s'agit d'infractions subtiles commises par des personnes que
leur statut social éminent place a priori au dessus de tout
soupçon. Elles devraient être réprimées avec la plus
grande rigueur, dès lors qu'elles sont le fait de personnes ayant
abusé de leur situation privilégiée. Elles sont en
général des personnes d'un niveau social assez
élevé mettant à profit leurs connaissances
théoriques et professionnelles pour commettre des infractions d'astuce.
C'est surtout contre
43C'est ainsi que pour réprimer les
atteintes aux règles de la concurrence, les autorités de la
concurrence prennent en compte le chiffre d'affaire non de l'entité
incriminée, mais celui du groupe tout entier.
44 G. Farjat, op cit. p. 68
45Ed.H. SUTHERLAND, White Collar Crime, 2007,
New York, Holt-Rinehart-Winston
eux que le droit pénal économique se
déploie. Profitant de leur connaissance de la législation et de
l'ignorance des victimes, les délinquants à col blanc profitent
des défaillances de la législation pour commettre des infractions
et organiser leur impunité. Malins par hypothèse, les
délinquants d'affaires ne se dressent pas ouvertement contre l'ordre
public ; ils l'utilisent insidieusement.
Ainsi dans le cadre des personnes morales dont elles ont en
charge la gestion quotidienne, les personnes physiques sont portées
à commettre des infractions, qui, comme celles commises par les
délinquants classiques, doivent être réprimées
pénalement. C'est ce qui fait dire que leur responsabilité
pénale est la rançon de leur puissance
économique46. La responsabilité pénale des
personnes physiques pour des infractions commises dans le cadre
économique est justifiée par le souci d'efficacité de la
sanction pénale. C'est pour cela que le législateur concentre
tout l'arsenal de la sanction pénale sur la personne du chef
d'entreprise en sa qualité de mandataire de la personne morale.
C'est contre le chef d'entreprise et toute personne ayant un
pouvoir dans la gestion de l'entreprise que le livre quatrième du Code
de commerce se dresse. C'est par la menace des peines d'emprisonnement et
d'amende que le législateur entend moraliser et rendre vertueux les
personnes physiques qui font profession d'agents économiques. Il le fait
en incriminant les vices de création, de fonctionnement et de
dissolution des sociétés à responsabilité
limitée, des sociétés anonymes, des sociétés
en commandite, par actions simplifiées, des sociétés
européennes et aux valeurs mobilières émises par les
sociétés par actions. Mais il est tout aussi important de relever
que la responsabilité pénale des personnes physiques a
été atténuée par la loi Fauchon en date du 20
juillet 2000, qui a restreint la responsabilité pénale en cas de
délits involontaires en modifiant l'article 121-3 alinéa 3 et 4
du nouveau Code pénal concernant les délits d'imprudence.
Toutefois, fidèle à sa logique de
répression, le législateur a par le biais de l'article 245- 16 du
Code de commerce, manifesté son voeu de ne pas favoriser
l'impunité dans la vie économique47.
Pour ce qui est de l'appréhension répressive des
personnes physiques dans leur rôle de pouvoirs privés
économiques, le législateur ne vise que leur participation
frauduleuse,
46 W. JEANDIDIER, op cit.
47 Art. 245-16 du Code de commerce : « les
dispositions du présent chapitre visant le président, les
administrateurs, les directeurs généraux et les gérants de
sociétés par actions sont applicables à toute personne
qui, directement ou par personne interposée, aura, en fait,
exercé la direction, l'administration ou la gestion desdites
sociétés sous le couvert ou au lieu et à la place de leurs
représentants légaux ».
déterminante et personnelle dans la conception,
l'organisation ou la mise en oeuvre des infractions48. C'est ainsi
qu'un dirigeant49 ou un simple salarié50 qui a
fait montre d'un comportement frauduleux actif tombe sous le coup de
l'incrimination. Les sanctions pénales sont, comparées aux
sanctions administratives, plus dissuasives. Ceci vaut particulièrement
pour les peines privatives de liberté, peu de directeurs ou
d'employées étant enclin à courir un risque
d'emprisonnement pour leurs entreprises. Par une interprétation
substantielle et constructive du texte précité de l'article 245-1
6 du Code de commerce, le juge répressif pourra remonter au centre de
décision du groupe auquel appartient l'entité incriminée
et engager la responsabilité pénale des vrais décideurs
fondée sur la complicité. Cette démarche permettra de
mieux protéger la vie économique de la délinquance
économique. C'est en cela que le droit pénal est protecteur des
consommateurs et des petits investisseurs.
48 Voir Art. 420-6 du Code de commerce : « est
puni d'un emprisonnement de quatre ans et d'une amende de 75 000 € le
fait, pour toute personne physique, de prendre frauduleusement une part
personnelle et déterminante dans la conception, l'organisation ou la
mise en oeuvre de pratiques visées aux articles L. 420-1 et 420-2...
»
49 Crim. 9 Nov. 1 995, à propos d'une entente
tendant à une soumission concertée à une offre de
marché public.
50 TGI Albertville, 23 oct. 2000, cité par
Claudel : RTD com. 2003. 80
Section 2- La protection d'acteurs faibles.
Les pouvoirs privés économiques s'adressent aux
divers acteurs de taille et d'importances variées. Ils s'adressent en
premiers aux destinataires de leurs prestations : les consommateurs (§1).
Ils s'adressent en second lieu aux divers investisseurs (§2).
§1- La protection des consommateurs.
Les consommateurs sont pour les pouvoirs privés
économiques ce que sont les contribuables pour les pouvoirs publics. Le
postulat économique est celui de la « souveraineté du
consommateur », ce qui en substance n'est que de l'affichage51.
Mais ne disposant pas formellement de prérogatives de
prélèvement autoritaire que l'on attache aux caractères de
l'impôt, les pouvoirs privés économiques vont avoir recours
aux mécanismes d'incitation à la consommation. C'est ainsi que
l'essentiel de leur budget est consacré à la publicité et
au marketing en tout genre destinés à susciter l'adhésion
des consommateurs à leurs produits. En un mot, ils créent des
besoins de consommation.
Mais ces procédés sont régulés
pour éviter toute dérive, tout abus. Car les abus ne manquent
pas. Le consommateur étant un acteur fragile et faible du droit
économique, il n'est pas excessif de le comparer à un enfant
émerveillé par tout ce qui lui est proposé, étourdi
par la multitude des produits et la rutilance de leur présentation,
anesthésié par l'envie de posséder tout ce qui lui est
offert52. Mal ou non informé, le consommateur se procurera
des denrées ou des services inadéquats, voire complètement
inutiles. Le meilleur moyen de lui faire garder raison est de l'informer
correctement : il n'y a de vrai consentement que parfaitement
éclairé. À cet effet, le droit pénal vient au
secours du Code de la consommation en sanctionnant les abus portant atteinte
à l'obligation positive d'informer et surtout l'obligation
négative de ne pas mal informer.
Cette obligation d'informer est d'autant plus importante que
le cadre contractuel tel que le voulaient les rédacteurs du Code civil
n'est plus substantiellement le mrme. Les contrats de consommation ont de nos
jours tous les caractères d'un règlement administratif.
Véritables contrats d'adhésion, les consommateurs ne font
qu'adhérer aux conditions préfixées par les prestataires
sans aucun pouvoir de renégociation des clauses. C'est pour
52 W. JEANDIDIER, op. cit., p 471.
prévenir tout abus que le droit pénal punit
d'amendes dissuasives les pratiques de nature à vicier le consentement
du consommateur53. C'est le mrme souci qui anime le
législateur quand il sanctionne l'inobservation de
l'obligation de ne pas mal informer. Car ce n'est pas tout d'informer le
consommateur, il faut en outre le faire correctement et surtout ne pas lui
nuire.
C'est par une loi du 3 janvier 2008 « pour le
développement de la concurrence au service des consommateurs», dite
loi Chatel, transposant la directive 2005/29/ CE du 11 mai 2005, modifiant
ainsi les articles L 121-1 et suivants du Code de la consommation que le
législateur a sévi pour assainir les pratiques publicitaires des
pouvoirs privés économiques. Aussi dans la même logique, la
loi du 4 Août 2008 dite « loi LME » vient de créer une
série de pratiques commerciales trompeuses. Ces deux textes ont pour
conséquence d'élargir le champ de la répression
pénale et constitue une protection accrue pour le consommateur contre
les pratiques abusives.
Le résultat de ces deux textes en est que le
délit de publicité mensongère disparaît au profit
d'une incrimination plus vaste. L'expression « publicité fausse
ou de nature à induire en erreur » disparaît pour une
incrimination plus vaste : les « pratiques commerciales
trompeuses». La loi nouvelle opère une distinction entre deux
manières de tromper : celle résultant d'une action (article
L121-1, I) et celle consécutive à une omission (article L121-1,
II).
Dans la première catégorie on retrouve trois
types d'infractions trompeuses : celles qui créent une confusion avec un
autre bien ou service, celles qui reposent sur des allégations,
indications ou présentations fausses ou de nature à
induire en erreur et celles où la personne pour le compte de laquelle
elle est mise en oeuvre n'est pas clairement identifiable. La
seconde est constituée par l'omission ou la dissimulation d'informations
essentielles. Autrement dit, aujourd'hui comme par le passé, l'acte
incriminé continue de pouvoir être constitué, au premier
chef, par une publicité, même si, en outre, l'incrimination peut
s'étendre à d'autres pratiques. Le délit de pratiques
commerciales trompeuses reste une infraction non intentionnelle,
constituée par une imprudence ou négligence, sans qu'une
volonté de tromper soit requise. À la suite de l'article L. 121-1
du Code de la consommation qui définit les pratiques commerciales
trompeuses, la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de
l'économie a créé un article L. 121-1-1 du Code de la
consommation décrivant vingt-deux situations constituant des
présomptions de telles pratiques. Sont visés, notamment, le
fait
53 Art. L.214-2, al.1 du Code de consommation
d'afficher un certificat, un label de qualité ou un
équivalent sans avoir obtenu l'autorisation nécessaire, le fait
de déclarer faussement qu'un produit ou un service ne sera disponible
que pendant une période très limitée ou qu'il ne sera
disponible que sous des conditions particulières pendant une
période très limitée afin d'obtenir une décision
immédiate et priver les consommateurs d'une possibilité ou d'un
délai suffisant pour opérer un choix en connaissance de cause, le
fait d'affirmer d'un produit ou d'un service qu'il augmente les chances de
gagner aux jeux de hasard ou encore le fait d'affirmer, dans le cadre d'une
pratique commerciale, qu'un concours est organisé ou qu'un prix peut
être gagné sans attribuer les prix décrits ou un
équivalent raisonnable. Toutes ces interdictions visent à
restaurer la morale et le sens de la responsabilité dans
l'activité spéculative en tant que celle-ci a comme levier le
consommateur.
Dans la même logique protectrice du consommateur,
l'incrimination de l'abus de faiblesse a pour objectif de protéger le
consommateur des abus des pouvoirs privés économiques. Ainsi,
s'appropriant l'incrimination de l'article 223-15-2 du Code
pénal54, le code de la consommation punit
sévèrement l'abus de faiblesse : « Quiconque aura
abusé de la faiblesse ou de l'ignorance d'une personne pour lui faire
souscrire, par le moyen de visites à domicile, des engagements au
comptant ou à crédit sous quelque forme que ce soit sera puni
d'un emprisonnement de cinq ans et d'une amende de 9 000 euros ou de l'une de
ces deux peines seulement , lorsque les circonstances montrent que cette
personne n'était pas en mesure d'apprécier la portée des
engagements qu'elle prenait ou de déceler les ruses ou artifices
déployés pour la convaincre à y souscrire, ou font
apparaître qu'elle a été soumise à une contrainte
»55.
On constate que la répression pénale par des
peines d'emprisonnement est à la mesure de l'ampleur des abus dont se
rendent régulièrement coupables certains pouvoirs privés
économiques. La répression pénale de ces abus est
l'expression, à n'en point douter, d'un
54Cf., (Loi n° 2001-504 du 12 juin 2001 art. 20
Journal Officiel du 13 juin 2001)
Est puni de trois ans d'emprisonnement et de 375 000 euros
d'amende l'abus frauduleux de l'état d'ignorance ou de la situation de
faiblesse soit d'un mineur, soit d'une personne dont la particulière
vulnérabilité, due à son âge, à une maladie,
à une infirmité, à une déficience physique ou
psychique ou à un état de grossesse, est apparente et connue de
son auteur, soit d'une personne en état de sujétion psychologique
ou physique résultant de l'exercice de pressions graves ou
réitérées ou de techniques propres à altérer
son jugement, pour conduire ce mineur ou cette personne à un acte ou
à une abstention qui lui sont gravement préjudiciables. Lorsque
l'infraction est commise par le dirigeant de fait ou de droit d'un groupement
qui poursuit des activités ayant pour but ou pour effet de créer,
de maintenir ou d'exploiter la sujétion psychologique ou physique des
personnes qui participent à ces activités, les peines sont
portées à cinq ans d'emprisonnement et à 750000 euros
d'amende..
55 Pour une application jurisprudentielle, Crim.,
1er Fév. 2000, Gaz. Pal. N° 217, pp. 18-19
encadrement répressif des pouvoirs privés
économiques. Même si la portée territoriale de
l'incrimination est un signe de l'essoufflement du droit pénal dans une
économie de plus en plus mondialisée. Mais la loi pénale
reste le dernier rempart contre les atteintes à la confiance,
plate-forme sur laquelle repose le marché et en particulier
l'investissement.
§ 2- La protection des investisseurs.
Les personnes morales sont des instruments
privilégiés de l'économie en ce sens qu'elles mobilisent
l'épargne et l'investissement. L'importance du phénomène
de mobilisation du capital, qui semble irréversible au regard de la
concentration croissante des entreprises, est l'emblème même des
pouvoirs privés économiques. En effet, la liberté de
constitution et de fonctionnement des sociétés a permis de
mobiliser l'épargne des particuliers au service de la grande
entreprise56. L'épargne ainsi mobilisée a permis la
croissance des entreprises et provoqué des changements tant qualitatifs
que quantitatifs dans la gestion des entreprises. C'est ainsi que certains
actionnaires, contrôlaires, ont accaparés la gestion de
l'entreprise disposant de toutes les prérogatives de
propriétaire. C'est pour cela qu'on a pu parler de véritables
pouvoirs privés économiques disposant d'un pouvoir de
décision unilatéral comparable à celui de la puissance
publique.
Gestionnaires attitrés du patrimoine d'autrui, les
pouvoirs privés économiques représentent un risque
réel pour les épargnants. C'est pour cela que le droit
pénal s'est intéressé à eux, notamment en
réprimant les abus de marché. En effet, la prolifération
des entreprises sous forme de réseau et la propension des
sociétés autonomes à s'intégrer dans les groupes de
sociétés ne facilitent pas la protection des épargnants
par le droit commun du marché. C'est à cette fin que le
législateur a entendu doter de sanctions répressives les
règles de formation, de fonctionnement, de financement et de dissolution
du droit des sociétés, mais surtout la diffusion de fausses
informations aux investisseurs et la manipulation des cours boursiers par les
initiés. Bien que décrié par une doctrine dominante et les
milieux d'affaires, il ne faudrait pas perdre de vue l'objectif de ces
incriminations. Le législateur a entendu parer par la dissuasion
pénale toute tentative de fraude préjudiciable aux
épargnants, ici apporteurs en sociétés ou obligataires.
56 L. Boy, Droit économique,
1ère éd.2002. L'Hermès, p. 101
Le législateur américain a eu recourir pendant
longtemps à la sanction pénale pour répondre à la
tromperie des investisseurs57. De même, en 2002, afin de
restaurer la confiance des investisseurs après la débkcle
d'Enron, le Congrès des Etats-Unis a adopté la loi
Sarbanex-Oxley (SOX) qui s'applique à toutes les
sociétés cotées en bourse aux États-Unis. Cette loi
punit de lourdes peines de prison la présentation de comptes frauduleux
en prévoyant jusqu'à 20 ans d'emprisonnement dans certains
cas.
C'est ainsi qu'en garantissant la transparence dans la
constitution, le fonctionnement, le financement et même la dissolution
des entreprises, le droit pénal se présente comme le gage de la
confiance58 et l'instrument ultime dont disposent les pouvoirs
publics pour faire en sorte que le marché ne soit pas une jungle. Au
cours des dernières années, de nombreux crimes à col blanc
ont eu lieu dans le monde des affaires et les montants des fraudes se sont
avérés très importants, se chiffrant en termes de
milliards de dollars. Tous ces crimes nuisent à l'efficacité des
marchés financiers et rendent les investisseurs plus craintifs. À
un certain moment, on croyait que les fraudes dans le cadre des entreprises
d'envergure internationale étaient limitées à
l'Amérique du Nord, avec d'énormes scandales tels qu'Enron,
Worldcom et Nortel. Certains dirigeants obnubilés par le pouvoir et la
richesse manipulent les chiffres comptables pour embellir les états
financiers de leurs entreprises, sans penser aux conséquences
désastreuses à long terme pour les investisseurs. Sans une
dissuasion répressive, les épargnants ne seraient jamais à
l'abri de tels scandales dont le plus récent est celui du financier
Bernard MADOFF59.
Ces développements attestent que les pouvoirs
privés économiques, quelles que soient leurs formes, groupes de
sociétés ou entreprises multinationales représentent des
risques potentiels pour les investisseurs. La preuve en est donnée par
le comportement de certains dirigeants qui se rendent coupables des
délits d'initié en utilisant les informations
privilégiées
57 C'est ainsi qu'en réponse au crash boursier de 1929
et à la grande crise qui s'ensuivait, le congrès américain
a adopté la première loi relative aux titres immobiliers : le
securities act de 1935
58C. FRIED, Libéralisme et droit
pénal, In « Les enjeux de la pénalisation de la vie
économique » sous la direction d'A.-M. FRISON-ROCHE, Dalloz
1997, p. 101. Pour le professeur de la Harvard Law school, la
confiance est le sol fertile sur lequel le marché prospère,
permet l'accumulation de la richesse et assure la promotion des conditions de
son échange. La loi garantit la confiance parce qu'elle est la
plate-forme sur laquelle repose le marché. Et l'utilisation de la
coercition, afin d'assurer les conditions de la liberté ne
contrevient pas à la liberté, mais le sert en mrme temps qu'elle
est requise par elle.
59 L'escroquerie dont le financier Bernard MADOFF
est accusé aurait coûté entre 25 et 50 milliards de dollars
à ses clients. Des investisseurs parmi les plus riches et puissants de
la planète auraient été dupés, pendant des
années parfois, par le gérant financier le plus en vue de New
York, est accusé d'avoir mis en place une gigantesque fraude pyramidale.
Il a été condamné à 150 ans d'emprisonnement ferme
en instance le 29 juin 2009. Il a écopé de la peine maximale.
pour faire prévaloir leurs intérêts
personnels sur ceux des épargnants60. L'article L. 465-3 du
Code monétaire et financier stipule que les personnes morales peuvent
être aussi déclarées responsables pénalement de
délit d'initié dans les conditions prévues par l'article
12 1-2 du Code pénal. Les affaires en cours tout comme celles
définitivement jugées témoignent de l'importance de la
protection pénale des épargnants61. Le droit
pénal est une fois de plus l'ultime voire l'unique gage de la
transparence et de la confiance dans les marchés financiers et de OE
mobilisation de l'épargne populaire au service de la grande
entreprise.
Ces enjeux justifient à suffisance que le domaine
d'encadrement répressif des pouvoirs privés économiques
soit judicieusement défini.
60 Voir art. L. 465-1 du Code monétaire et
financier « est puni de deux ans d'emprisonnement et d'une amende de 1
500 000 € dont le montant peut rtre porté au-delà de ce
chiffre, jusqu'au décuple du montant du profit éventuellement
réalisé sans que l'amende puisse rtre inférieure à
ce mrme profit pour les dirigeants d'une société
mentionnée à l'article L 225-109 du Code de commerce, et pour les
autres personnes disposant à l'occasion de l'exercice de leur profession
ou de leurs fonctions d'informations privilégiées sur les
perspectives ou la situation d'un émetteur dont les titres sont
négociés sur un marché réglementé ou sur les
perspectives d'évolution d'un instrument financier admis sur un
marché réglementé, de réaliser ou de permettre de
réaliser, soit directement, soit par personne interposée, une ou
plusieurs opérations avant que le public ait connaissance de ces
informations... »
61 Un exemple d'affaire en cours, celle dans
laquelle certains dirigeants de AEDS sont poursuivis pour «
délit d'initié recel de délit d'initié et
diffusion d'informations fausses trompeuses au marchés financiers
». Il convient aussi de citer l'affaire Péchiney pour
illustrer ce risque pour les investisseurs.
Titre 2 : Une régulation pénale
déficiente des pouvoirs privés économiques.
Le droit pénal des affaires, création
relativement récente, s'est développé à partir de
la fin des années 1960 sous l'influence conjuguée d'un certain
nombre de facteurs qui ont abouti à la situation actuelle. La
tradition colbertiste et interventionniste de l'Etat
français a conduit le législateur à pénaliser un
certain nombre de pratiques et comportements économiques inadmissibles.
C'est reconnaissant in fine les pouvoirs privés
économiques sous l'appellation « d'acteurs transnationaux »,
que les Etats ont par divers techniques régulé sur le plan
répressif leur nouveau cadre d'activité : le marché
mondial.
Soucieux de doter d'un minimum d'efficacité les
interdictions qui ont été imposées à ces acteurs
nouveaux de ce cadre nouveau, les Etats ont choisi la voie pénale pour
réprimer toute inobservation. Mais la tâche et les
résultats ne s'annoncent toujours pas satisfaisants, l'analyse
révèle des insuffisances dans la régulation
répressive de ces nouveaux acteurs.
Quoiqu'il en soit, ces insuffisances se manifestent moins sur le
plan matériel (chapitre 1) que formel (chapitre 2).
Chapitre 1 : L'ordre public pénal substantiel de
régulation des pouvoirs privés économiques.
Au point de vue matériel, le droit pénal encadre
les pouvoirs privés économiques sous l'angle des atteintes
à la libre concurrence, qui sont des pratiques nuisibles aux valeurs du
marché (section 1), mais aussi réprime les atteintes aux valeurs
non marchandes commises par les acteurs du marché (section 2).
Section 1 : Une répression perfectible des
atteintes à la libre concurrence.
Ici plus qu'ailleurs, le droit pénal se montre
très méfiant à l'endroit des pouvoirs privés
économiques dans ce qu'ils ont de dangereux pour leurs principaux
destinataires : les consommateurs et les contribuables. Les enjeux d'un
encadrement accru sont réels et vitaux pour la
communauté62. Plus que la répression des manquements
relatifs au droit des sociétés ou du travail, le droit
pénal saisi et révèle les pouvoirs privés
économiques en réprimant les pratiques anticoncurrentielles
(§1) et la corruption internationale63 (§2).
§1- Une répression effective des pratiques
anticoncurrentielles.
Le droit de la concurrence est révélateur
même des pouvoirs privés économiques. De l'avis du
Professeur Gérard FARJAT, il a été inventé contre
eux. Pour le démontrer, il convient d'étudier la position du
droit pénal au regard des pratiques anticoncurrentielles. Le but
visé par la répression ici est d'augmenter l'efficacité du
droit de la concurrence.
Le choix de la voie pénale est motivé par les
arguments contredisant ceux avancés en faveur de la sanction par voie
administrative, jugée peu efficace. Comparées à celle-ci,
les sanctions pénales sont plus dissuasives. Ceci vaut
particulièrement pour les peines privatives de liberté, peu de
directeurs ou d'employés étant enclins à courir un risque
d'emprisonnement pour leur entreprise. Cette dissuasion peut-être mise en
évidence tant droit anglo-saxon qu'en
62 Voir supra, chap. 1 du titre 1
63 F. Jenny, Corruption et pratiques
anticoncurrentielles, in Pratiques et contrôle de la corruption,
Association d'économie financière, J. Cartier Bresson, p. 195 et
s.
droit français. C'est ainsi que la UK Enterprise
Act de 2002 a introduit des sanctions pénales pour les personnes
physiques seulement-et non pour les personnes morales-qui ont convenu des
pratiques anticoncurrentielles avec d'autres personnes physiques. De
même, par le Sherman Anti-trust Act du 2 juillet 1890, le
législateur américain a tenté de limiter les comportements
anticoncurrentiels des entreprises. La première section du Sherman Act
prohibe les ententes illicites qui restreignent les échanges et le
commerce, la seconde section sanctionne les monopoles et les tentatives de
monopoliser plus connues sous l'expression d'abus de position
dominante64.
Les contraventions aux dispositions du Sherman Act donnent
lieu à des poursuites pénales et les coupables sont passibles
d'une amende de 5 000 dollars américains et/ou d'une peine de un an
d'emprisonnement. Mais, les peines prévues par le Sherman Act
ont été progressivement augmentées pour atteindre 100
millions de dollars d'amende pour une entreprise et à dix ans
d'emprisonnement pour une personne physique, notamment les dirigeants, ce qui
est de nature à renforcer l'efficacité du droit de la
concurrence. Le Sherman Act est codifié à l'article 15 (§ 1
à § 7) de l'United States Code (U.S.C.)65.
C'est ainsi qu'à partir de 1982, IBM fit l'objet d'une instruction sur
le fondement du Sherman Act, mais les poursuites furent
abandonnées. Microsoft fut également poursuivie pour infraction
au Sherman Act à partir de 1991. Les poursuites furent aussi
abandonnées après une transaction en 1994 sous la
présidence de George Hebert Walker Bush.
Pendant longtemps, la Cour suprême a
considéré que le Sherman Act ne prohibait pas toute restriction
de la concurrence, mais seulement celles qui s'avèrent
déraisonnables, car tout partenariat peut être perçu comme
étant une restriction à la concurrence, ce qui peut conduire
à une atteinte à la liberté des commerçants. Par
ailleurs, certains actes sont systématiquement considérés
comme étant nuisibles à la concurrence. Il peut s'agir des
ententes, qui ne peuvent, lorsqu'elles sont établies, échapper
à la sanction. Toutefois, les poursuites pénales sont en
général limitées aux violations intentionnelles et
64 La loi américaine porte le nom du
Sénateur John Sherman de l'Ohio qui s'éleva contre le pouvoir
émergent de certaines entreprises constituées en quasi-monopoles
: « Si nous refusons qu'un Roi gouverne notre pays, nous ne pouvons
accepter qu'un Roi gouverne notre production, nos transports ou la vente de nos
produits. » L'expression d'"anti-trust" vient du fait que la proposition
de loi visait à contrer les agissements d'un groupe pétrolier, la
Standard Oil, qui était constitué en "trust" et non sous la forme
d'une société dont les droits étaient, à
l'époque, limités. Ironiquement, lorsque la Standard Oil fut
démantelée, elle avait pris déjà la forme d'une
société et le Sherman Antitrust Act ne s'appliqua plus
guère aux trusts. Il est complété par le Clayton Antitrust
Act de 1914.
65 U.S. Department of Justice: Division Antitrust -
Texte du SHERMAN ANTITRUST ACT, 15 U.S.C. §§ 1-7
flagrantes notamment lorsque les concurrents fixent les prix
en commun accord. C'est dans la même visée que les
États-Unis, tout comme le Japon par l' « Anti-monopoly act
», sanctionne pénalement la personne morale pour infraction
anticoncurrentielle. La France quant à elle punit par l'article L. 420-6
du Code de commerce les pratiques anticoncurrentielles. Les personnes physiques
ayant pris frauduleusement une part personnelle et déterminante dans la
conception, l'organisation ou la mise en oeuvre de telles pratiques encourent 4
ans d'emprisonnement et une amende de 75 000 €. Mais à
l'observation, cette incrimination n'a pas reçu une application
abondante comme en atteste l'affaire des ententes illicites des
opérateurs de réseaux mobiles66. Ce texte n'a
reçu que de rares applications. C'est assurément pour enrayer ces
divergences dans la mise en oeuvre des mesures destinées à
débusquer les ententes injustifiables que l'OCDE estime que les pays
devraient chercher des moyens d'accroître encore les amendes
imposées aux entreprises, et envisager d'introduire des sanctions contre
les individus y compris des sanctions pénales. C'est sans doute l'un des
fondements sur lequel les États-Unis font pression depuis longtemps pour
obtenir l'harmonisation des lois antitrust, particulièrement avec les
pays qui partagent leurs objectifs antitrust et qui sont dotés de
tribunaux connaissant bien ce domaine du droit. Le Royaume- Uni, l'Union
européenne et les pays du Commonwealth (notamment l'Australie et le
Canada) collaborent dans le cadre d'initiatives visant à
coordonner les poursuites visant les cartels internationaux.
Cette démarche a pour objectif de rendre plus vertueux
les opérateurs du commerce international et de préserver une
saine concurrence entre acteurs de taille et d'importance
inégales. Un effort en vue d'assainir le commerce transfrontalier et
de faire de la loyauté le socle de la compétition commerciale
débarrassée de toute corruption.
66 Décision 05-D-65 du 30/11/2005
Le Conseil de la concurrence a sanctionné les trois
opérateurs mobiles, Orange France, SFR et Bouygues Télécom
pour avoir mis en oeuvre deux types de pratiques d'entente ayant restreint le
jeu de la concurrence sur le marché, révélées par
une enquête réalisée à la suite d'une auto saisine
du Conseil du 28 août 2001 et d'une saisine de l'UFC-Que Choisir du 22
février 2002. Le montant total des sanctions prononcées est de
534 millions d'euros : Orange France 256 millions d'euros, SFR : 220 millions
d'euros, Bouygues Télécom : 58 millions d'euros.
§ 2-Une répression de la corruption
transnationale en devenir.
Tout comme les pratiques anticoncurrentielles, la corruption
est constitutive de fraude à la saine concurrence, elle porte atteinte
aux règles du jeu du marché. Elle est chargée de beaucoup
d'autres vices au regard du droit pénal. Portant gravement atteinte
à la libre et égale compétition entre opérateurs
dans le commerce international, la corruption apparaît de nos jours comme
le plus grand fléau du commerce international : « il
apparaît désormais que les besoins du commerce international
demandent davantage d'égalité entre les concurrents
»67. Ce phénomène n'est plus exclusivement
national, il trouve un écho dans les relations économiques tant
nationales que transnationales.
La multiplication des échanges, fruit de
l'internationalisation de la vie des affaires, donne lieu à
une véritable guerre économique. Les arguments de vente ne
correspondent plus qu'en partie aux règles du marché :
échange des contrats contre la protection militaire et diplomatique,
corruption des dirigeants d'entreprise, de l'administration et de
l'élite politique. Les opérateurs du commerce international en
avaient fait un véritable mode de gestion des relations commerciales
internationales, les pots-de-vin à l'étranger étant
même déductibles fiscalement dans certains pays exportateurs. Le
contexte juridique jusqu'ici n'était que national puisque ce
n'était que par le biais des législations nationales que la
corruption pouvait être réprimée.
Trouvant un terrain d'élection favorable dans la
compétition commerciale internationale, caractérisée par
l'importance des gains pour lesquels bataillent les grandes entreprises entre
elles, la corruption nuit gravement au jeu concurrentiel censé
départager les acteurs. Et James Wolfensohn de déclarer : «
la corruption détourne l'argent vers les plus riches, accroît le
coût de toutes les activités, provoque de graves distorsions dans
l'utilisation des ressources collectives et fait fuir les investissements
»68. Ce propos est fondé sur le fait que dans les
rapports entre les investisseurs et les responsables des pays d'accueil des
investissements, les entrepreneurs ne sont plus en situation de concurrence
permettant à chacun de donner le meilleur de lui-même afin de
remporter le marché, ce dernier étant tronqué par un
intermédiaire, des pots-de-vin, des versements sur un compte à
l'étranger.
67 M. Delmas-Marty, "Les figures de
l'internationalisation en droit pénal des affaires : aplanir le terrain
de jeu", in : Rev. sc. crim., octobre-décembre 2005, n° 4,
doctrine, p.735-738.
68
http://www.rfi.fr/Kiosque/Mfi/Economie/Developpement
C'est certainement parce qu'elle entrave gravement le
développement du commerce international, en faussant la concurrence, en
majorant les coûts de transactions et en sapant les fondements des
marchés libres et ouverts, que ce fléau constitue l'un des axes
dans lequel le droit pénal a révélé les pouvoirs
privés économiques. En effet, la corruption a fait peur aux
Etats, en termes de coût, notamment aux États-Unis. Suite aux
scandales, parmi lesquels l'affaire Lockheed, les américains
ont mis en place une législation relative à la corruption dans
les affaires internationale s69. La prise de conscience initiale fut
donc américaine avec en 1977 l'adoption du « Foreign Corrupt
Pratice act »70.
Des progrès ont été récemment
faits au sein de l'organisation pour la Coopération et le
Développement Économique (OCDE) avec la signature le 17
Décembre 1997 d'une convention réprimant la
corruption d'agents publics étrangers entrée en vigueur le 15
février 1999. En effet, étant dans une situation délicate,
les Etats-Unis ont de ce fait à plusieurs reprises fait pression sur
l'Europe à agir dans le domaine de la corruption. Ce n'est qu'au niveau
de l'OCDE que les mesures ont pu voir le jour. Sans doute, l'OCDE a
constaté que dans leurs relations avec les pays du Sud ; les entreprises
se battant pour obtenir des contrats importants ne s'interdisent
rien71.
A l'évidence, les conséquences de la corruption
sont donc graves pour la société internationale en ce que les
entreprises vertueuses seraient évincées de la compétition
si rien n'est fait. C'est pourquoi, les autorités de différents
pays ont réaffirmé leur volonté d'enrayer ce fléau.
Et comme pour tout ce qui touche au commerce international, les mesures
énergiques ont été prises sous la pression des
États-Unis. C'est ainsi que l'OCDE s'est donnée pour cheval de
bataille la lutte contre une forme particulière de corruption : la
corruption d'agents publics étrangers en vue d'obtenir ou de conserver
un marché. Elle s'adresse à tous les partenaires commerciaux en
ce sens que désormais toute corruption en vue d'obtenir un marché
à l'étranger sera un délit passible des mrmes types de
peines que la corruption d'agents publics nationaux. Et l'originalité de
la convention réside mrme au niveau de la
69 En 1975, il a été
révélé que la société américaine
Northrop a versé 45 millions $ de commissions à Adnan Kashoggi
pour obtenir des contrats d'armements en Arabie Saoudite. Suite à cette
affaire, le patron de Lockheed avait reconnu avoir versé 100 millions de
$ de commissions dont les principaux bénéficiaires étaient
des agents publics saoudiens.
70 Motivé par l'idée selon laquelle
la corruption est un frein au développement du commerce
américain, qu'elle est un frein au développement du tiers monde,
mais surtout qu'elle est un obstacle à l'appropriation par les
entreprises américaines des marchés à l'étranger.
Une estimation évaluait à 65 milliards de $ le total des
commissions versées sur 169 contrats internationaux. Trente six de ces
contrats auraient échappé aux entreprises américaines pour
une valeur de 11 Milliards de $ à cause des commissions qui auraient
versées par leurs concurrents et les auraient rendu « hors course
».
71 L'OCDE s'attaque à la corruption, in
l'Observateur de l'OCDE, n° 216, Mars 1999, p51-52.
définition large d'agents publics étrangers : ce
pourra être une personne investie de l'autorité publique au sens
strict et au sens large. C'est ainsi que sont assimilés aux agents
publics étrangers, les dirigeants d'entreprises publiques ou d'un
monopole désigné par une autorité publique, mais aussi les
responsables de toute entreprise dans laquelle une autorité publique
exerce une influence dominante.
La spécificité de cette convention est
le fait qu'elle soit la seule à disposer de nos jours
d'un mécanisme de suivi chargé expressément du respect de
sa mise en oeuvre72. Un mécanisme de suivi qui s'est
donné tous les moyens pour remplir les objectifs
d'efficacité73 . Rapidement transposée en droit
positif français, l'incrimination de la corruption d'agents publics
étrangers fait l'objet de l'article 435-4 du Code pénal qui
réprime de 10 ans d'emprisonnement et de 150 000 € d'amende «
le fait de proposer sans droit, à tout moment, directement ou
indirectement, des offres, des promesses, des dons, des présents ou des
avantages quelconques pour obtenir d'un magistrat, d'un juré ou de toute
autre personne siégeant dans une fonction juridictionnelle, ou
d'un arbitre ou d'un expert nommé soit par une juridiction, soit par les
parties, ou d'une personne chargée par l'autorité au sein d'une
organisation internationale publique, qu'il accomplisse ou s'abstienne
d'accomplir un acte de sa fonction de sa mission ou de son mandat, en
vue d'obtenir ou de conserver un marché ou un autre avantage indu
du commerce international... Toutefois, pour éviter que cette
disposition ne soit instrumentalisée pour déstabiliser les
concurrents et servir de fondement aux constitutions de parties civiles
abusives, les poursuites ne peuvent rtre exercées qu'à la
requête du ministère public. C'est ce qui ressort de l'article
435-6 du Code pénal (issu de la loi n°1598-2007 du 13 novembre 2007
en matière de corruption d'agents publics nationaux et internationaux)
qui prévoit que « la poursuite des délits mentionnés
aux articles 435-1 à 435-4 ne peut être engagée qu'à
la requête du ministère public, sauf lorsque les offres,
promesses, dons, présents ou avantages quelconques sont soit
proposés ou accordés à une personne qui
72 P. Cavalerie, La Convention OCDE du 17
décembre 1997 sur la lutte contre la corruption d'agents publics
étrangers dans les transactions commerciales internationales, in AFDI
1997, p. 609-625
73 epuis l'entrée en vig ect et de l'application de
la Convention par les Parties, ainsi que la formulation de recommandations
d'action spécifiques destinées à faire avancer les travaux
de lutte contre la corruption transnationale des Parties se sont
déroulées en deux phases. La première phase de ce
processus a été la législation des Parties sur la lutte
contre la corruption : à savoir les lois d'application afin de
déterminer si elle satisfaisait aux normes définies dans la
Convention. La deuxième phase du suivi, ouverte en 2001, rend compte des
structures mises en place pour faire respecter cette législation et
évalue leur efficacité. La Phase 2 a également
élargi le champ du suivi afin de tenir compte plus pleinement des
aspects de la lutte contre la corruption transnationale qui ne relèvent
pas du droit pénal, notamment les exigences en matière de
comptabilité et de vérification des comptes et la
non-déductibilité fiscale des pots-de-vin.
exerce ses fonctions dans un des Etats membres de l'Union
européenne ou au sein ou auprès des Communautés
européennes ou d'un organisme créé en application du
traité sur l'Union européenne, soit sollicités ou
agréés par une telle personne en vue de faire obtenir une
décision favorable, ou d'accomplir ou de s'abstenir d'accomplir un acte
de sa fonction ou facilité par ses fonctions ». Le point faible de
cette incrimination est le fait qu'elle ne vise pas le fonctionnaire
étranger d'un Etat non membre de l'Union européenne. Par
conséquent, le législateur a exclu que des poursuites soient
engagées contre des fonctionnaires par exemple des pays africains,
parfois coupables de faits de corruption préjudiciables pour
l'économie et le bien-être des populations locales74.
La convention de l'OCDE ne se déploie que contre la corruption
passive.
Pour ce qui est de la mise en oeuvre de cette interdiction de
corruption d'agents publics, la jurisprudence française n'a pas encore
d'affaire définitivement jugée. Néanmoins, une
retentissante affaire est en cours, encore au niveau de l'information
judiciaire et concerne le géant pétrolier Total75.
L'entreprise est mise en cause dans plusieurs affaires de corruption d'agents
publics étrangers dans l'obtention des contrats d'exploitation de
gisements pétroliers en Irak, en Iran et au Cameroun76.
Le droit pénal n'est pas en reste à l'endroit
des pouvoirs privés économiques sur d'autres terrains à
l'instar de l'écologie et des droits de l'homme. Cette fois le droit
pénal vient au secours de valeurs non marchandes.
74 Voir W. Bourdo, Entreprises multinationales, lois
extraterritoriales et droit international des droits de l'Homme, Rev. Sc.
Crim. n° 4, 2005, p. 747-752
75 Selon l'édition électronique du
journal L'expansion, l'
Expansion.com du 17 Janvier 2007
76
www.rfi.fr/actufr/articles/087/article_50475.asp,
www.rfi.fr/actufr/articles/086/article_49645.asp,
selon un article signé par Myriam Berber et publié sur ce dernier
lien, en octobre 2006, Christophe de Margerie a été mis en examen
pour «complicité d'abus de biens sociaux et de corruption d'agents
publics étrangers». Total doit également affronter une
enqur~te sur des faits «d'abus de biens sociaux» dans le cadre de ses
activités au Cameroun. S'y ajoutent une autre affaire concernant ses
activités en Iran, plus d'éventuels soupçons de corruption
intervenus lors de la conclusion d'un contrat gazier, en 1997, avec la
société pétrolière nationale iranienne NIOC.
Section 2 : La répression pénale
insatisfaisante des atteintes par les pouvoirs privés
économiques aux valeurs non marchandes.
Le droit pénal constitue également une
véritable arme dissuasive à l'égard des entreprises
multinationales et grands groupes de sociétés au sujet de la
protection de l'environnement (§1) et des droits de l'homme (§2). Il
s'agit ici de l'ordre public pénal de direction.
§1 : Une sanction pénale encore
mitigée des atteintes transnationales
à l'environnement.
C'est particulièrement sur le terrain de la pollution
que la responsabilité pénale des pouvoirs privés
économiques est retenue. Dans leur jeu d'instrumentalisation des
systèmes juridiques, les grands acteurs privés, familiers des
paradis fiscaux, sont passés maître de la consommation du droit
a minima. C'est alors qu'ils tentent d'exploiter les failles et les
faiblesses de ses différentes branches du droit qui protègent
l'environnement pour optimiser leurs résultats comptables tout en
minorant les coûts de leurs activités. Le résultat en est
que la criminalité environnementale est toute aussi rentable que la
criminalité concurrentielle (fraudes sur les prix) faute de cadre
dissuasif efficace.
C'est la raison pour laquelle des mesures ont
été prises par des Etats pour criminaliser les atteintes graves
au droit de l'environnement. Toutefois, parmi plus de 500 traités et
autres accords internationaux relatifs à l'environnement, dont 300
environ ont un caractère régional, seuls ceux concernant les
thèmes tels les déchets et substances dangereuses et la pollution
marine ont une répercussion pénale pertinente à l'endroit
des pouvoirs privés économiques. C'est ainsi que les
différents systèmes juridiques reconnaissent leur
compétence pour connaître au pénal des affaires dans
lesquelles il a été porté atteinte à
l'environnement et présentant un lien avec leur for.
Le procès Erika en est une illustration
française. Le groupe Total et trois autres personnes physiques et
morales ont été condamnés à des amendes et un total
de 192 millions d'euros de réparations pour "pollution maritime" aux
victimes, Total SA, comme les autres condamnés, a été
condamné à l'amende maximale, soit 375 000 euros pour les
personnes
morales Total SA et Rina, la société de
classification, une première dans le droit français77.
Dans cette affaire, la 11ème chambre du tribunal
correctionnel de Paris a dans sa sentence en date du 16 janvier 2008, reconnu
un préjudice écologique. L'originalité de ce verdict se
trouve dans la reconnaissance du préjudice écologique qui est en
fait un avertissement très sévère, une mise en garde
dissuasive, qui est donné aux transporteurs inconséquents, aux
bateaux-poubelles qui sillonnent les mers pour le compte des grands acteurs
économiques souvent en totale impunité. Reste que le groupe Total
a fait appel et que la décision définitive n'est pas encore
intervenue.
Autre affaire à travers laquelle le droit pénal
participe de la régulation des acteurs, est le scandale
écologique survenu en République de Cote d'Ivoire impliquant la
société néerlandais Trafigura78. Les faits de
cette espèce non encore définitivement jugée sont
saisissants : il s'agit d'un cas de transport de déchets hautement
toxiques d'Europe vers la Côte d'Ivoire. La décision de
transporter ces déchets est prise par la branche anglaise de la
société hollandaise, le navire russe battant pavillon
panaméen, « probo Koala », veut décharger sa
cargaison à Amsterdam, ce que lui refusent les autorités
portuaires, si des mesures de précaution ne sont pas
préalablement prises. Le navire repart sans avoir pris aucune mesure de
précaution et décharge sa cargaison à Abidjan, dans une
décharge sauvage à l'air libre et à proximité des
maisons d'habitation. Bilan : contamination causant 16 morts et plus de 100 000
victimes doublée de dommage environnemental et à la santé
par le déversement de déchets hautement toxiques79.
77 C'est le verdict du tribunal correctionnel de Paris
en date du 16 janvier 2008.
78
www.trafigura.com : extrait de la
page de présentation du site officiel du groupe : « Trafigura est
aujourd'hui l'une des plus grandes sociétés indépendantes
de négoce international de matières premières. Trafigura
gère l'ensemble des étapes de l'achat à la livraison de
pétrole brut, de produits pétroliers, d'énergies
renouvelables, de métaux, de minerais et de concentrés
métalliques pour nos clients et fournisseurs du secteur industriel. Nos
1 900 employés travaillent dans 37 pays à travers le monde afin
de nous apporter l'expertise locale nécessaire pour anticiper et
réagir aux fluctuations de l'offre et de la demande à
l'échelle mondiale ».
79 Selon un article de COULIBALY, Moussa, «
Pollution : affaires des déchets toxiques : le scandale a-t-il
coûté 4 milliards de francs ? », Le Patriote,
n° 2080 du 5 septembre 2006. Les faits : le 2 juillet 2006, le Probo
Koala, un cargo affrété par la société
britannique Trafigura, spécialisée dans le courtage de
matières premières et notamment, de pétrole, qui
pèse 28 milliards de dollars, battant pavillon de complaisance
panaméen, arrive dans le port d'Amsterdam. Le cargo est vide. Dans ses
soutes, il ne lui reste que des déchets, déchets dont il aurait
dû se débarrasser, selon les Conventions internationales, avant de
pouvoir repartir. Mais avant de commencer la vidange des cuves, les agents
maritimes constatent que les déchets, appelés slops,
contiennent des éléments hautement chimiques (de
l'hydrogène sulfuré responsable de l'odeur, de la soude et des
mercaptans). Or dans ce cas, la procédure de déchargement et de
traitement de ces déchets toxiques s'avère plus complexe et
surtout plus coûteuse. La société Amsterdam Port Services
(APS), en charge des opérations, exige alors 1000€ par tonne
collectée au lieu des 30€ prévus dans le contrat. Le montant
de la facture s'élève alors à un demi-million de dollars.
Trafigura refuse, fait remonter les déchets qui avaient
déjà été débarqués, et
En réaction à cette tragédie
reprochée au groupe Trafigura, les enquêtes ont
été ouvertes en côte d'Ivoire débouchant sur une
procédure. Mais à la stupéfaction générale,
la procédure pénale ivoirienne est close depuis le 22 octobre
2008 par le verdict de la cour d'assise d'Abidjan innocentant la
Société Trafigura. Il faudrait rappeler que pour assurer
son impunité, la multinationale a déboursé 100 milliards
de FCFA (152 millions d'euros) en février 2007 pour indemniser l'Etat de
Côte d'Ivoire dans le cadre d'un accord amiable. Accord par lequel les
autorités ivoiriennes ont renoncé à toute poursuite contre
Trafigura et qui a permis que les trois cadres de la multinationale
incarcérés à Abidjan soient libérés le
lendemain de l'accord80. Toutefois, les autres procédures de
nature pénale ont été ouvertes en France, en Grande
Bretagne et en Hollande contre la société Trafigura. Ces trois
procédures sont encore pendantes81. Cette affaire
démontre à suffire comment les multinationales sont
invulnérables pénalement dans les pays à faible
système juridique. Achetant leur honorabilité et impunité
à coup de millions d'Euros. Or ces déchets en question tombent
sous la convention de Bkle qui interdit les transferts des
déchets des pays de l'OCDE vers les pays non membres de l'OCDE. Cette
dernière hypothèse pose le problème du trafic des
déchets du Nord vers le Sud qui risque de s'intensifier dans les
années à venir compte tenu de l'augmentation exponentielle des
déchets électroniques, chimiques et autres déchets
dangereux générés en grande partie par les
activités et les modes de vie des pays du Nord. Les pays du Sud sont-ils
destinés à devenir les « poubelles à déchets
des pays riches ?82 »
Reste que ces grands acteurs économiques ne sont toujours
pas à l'abri de toute poursuite, surtout lorsqu'il leur est
reproché les atteintes aux droits de l'Homme.
repart. Le PDG de Trafigura, Eric de Turckheim,
prétendra après le scandale, que le prix était exorbitant
et que la société APS n'offrait pas toutes les garanties
certifiant qu'elle était capable de traiter effectivement les
déchets. Le cargo se dirige ensuite vers l'Estonie puis rejoint les
côtes du Golfe de Guinée où il a des livraisons à
effectuer. Que ce soit en Guinée, au Libéria, en Sierra Leone ou
au Nigeria, le navire ne peut pas débarquer ses déchets du fait
de leur nature toxique. Le 18 août, il entre dans le port d'Abidjan,
où il va enfin pouvoir se débarrasser de ses slops,
malgré les informations que le Nigeria avait fait parvenir aux
autorités maritimes abidjanaises.
80
LEXPRESS.fr, publié le
23/10/2008
81 La procédure française est
fondée sur la corruption, homicide involontaire blessures ayant
entraîné la mort tandis que celle hollandaise, ouverte par le
ministère public, est fondée sur le non respect des engagements
internationaux sur le transport des déchets toxiques. La
procédure anglaise est fondée sur la class action.
82 Hoda Saliby, « Afrique et Asie, poubelles
à déchets des pays riches », Courrier
International, 10 mars 2007
§ 2 : La responsabilité pénale des
pouvoirs privés économiques pour atteinte aux droits de
l'Homme à construire.
Le caractère sacré des droits de l'homme est
l'un des fondements des actions répressives contre les puissants acteurs
du marché. En fait comme tout droit subjectif justiciable, les victimes
des atteintes aux droits de l'homme ont le droit de recourir à un «
tiers impartial et désintéressé » selon l'expression
consacrée par Alexandre Kojève pour obtenir réparation ou
la sanction. Ce tiers est en principe un juge de l'État dans lequel la
violation a eu lieu.
En principe donc, lorsqu'une entreprise multinationale viole
les droits de l'homme, l'Etat ayant sous sa juridiction les victimes des
violations aura l'obligation de la sanctionner et d'ordonner une
réparation. Le droit international établit fermement que les
États ont le devoir de protéger leurs ressortissants contre les
violations des droits de l'Homme par des acteurs non-étatiques dans
leurs juridictions, et que ce devoir s'étend à la protection
contre des violations commises par des entreprises. En pratique, une entreprise
multinationale sera sanctionnée pour les graves atteintes à
l'environnement, la violation des normes sociales les plus fondamentales ou la
violation des droits de l'homme en général lorsqu'elles sont
commises sur le territoire de l'Etat du siège ou à l'égard
de personnes relevant de la juridiction de l'Etat du siège. Toutefois,
on observe que lorsqu'elles exercent leurs activités commerciales sur le
territoire d'un Etat faible ou autoritaire ou dont l'appareil juridictionnel
est aux ordres du pouvoir politique, les entreprises multinationales
bénéficient généralement d'une impunité de
fait pour les violations des droits de l'homme qu'elles commettent ou dont
elles se rendent complices. Cette impunité de fait est le
résultat d'une combinaison de deux phénomènes. D'une part,
en principe, la territorialité du droit pénal exclut
juridiquement la compétence de l'Etat du siège pour condamner ce
type de fait83. D'autre part, l'Etat d'accueil #177;
c'est-à-dire l'Etat sur le territoire duquel se déroulent les
activités commerciales dans le cadre desquelles les violations ont
été commises #177; ne pourra pas ou ne voudra pas sanctionner ces
violations s'il est faible ou autoritaire. C'est ainsi qu'il est
fréquent que les États commettent des abus et violations
caractérisées de droits de l'Homme, tel le recours aux travaux
forcés ; souvent avec la complicité des entreprises
multinationales, ou tout au moins à leur bénéfice. La
complicité de violations des droits de l'homme est invoquée
lorsque l'État d'accueil des investissements bénéficie des
recettes générées grkce à l'opération
économique
83 Pour plus de précision, voir infra, chapitre
2 Titre 2
de l'entreprise multinationale pour commettre les exactions.
C'est généralement le cas des contrats liant une
société étrangère à un pays dont la
destination n'est pas recommandée pour les investissements au motif de
graves violations de droits de l'Homme.
C'est ainsi que, faute de demander réparation devant
les juridictions du pays qui viole les droits de l'homme avec la
complicité ou au bénéfice des sociétés
étrangères, les victimes se tournent souvent vers les fors des
autres pays avec lesquels l'entreprise multinationale a des liens
économiques et juridiques importants. C'est la solution qui
est en train de se dessiner avec plus ou moins de succès en
droit pénal contemporain. Les victimes se plaignent
généralement aux juridictions des pays d'origine de
l'investisseur ou dans un pays où il est coté en bourse et
dispose des intérrts économiques importants. C'est dans cette
démarche que le 26 août 2002, l'avocat William BOURDON, fondateur
de l'association Sherpa, agissant au nom et pour le compte de deux
ressortissants birmans alléguant avoir été victimes de
travail forcé de la part de l'entreprise Total sur le chantier de
construction de son gazoduc Yadana en Birmanie, a déposé
auprès du doyen des juges d'instruction du tribunal de Nanterre, une
plainte avec constitution de partie civile84. Les victimes invoquent
des chefs d'enlèvement et de séquestration, infraction de droit
commun, à l'encontre de Thierry Desmarest (de nationalité
française, directeur de la division Exploration et Production de la
compagnie Total de 1989 à 1995 et Président Directeur
général de Total à partir du 31 mai 1995, soit au moment
des faits dénoncés), d'Hervé Madeo (de nationalité
française, directeur de la filiale de
84 L'association française Sherpa a
été créée en 2001 sur l'initiative de l'avocat
français William BOURDON. Sherpa a pour objet essentiel de mobiliser des
compétences et des savoir-faire afin d'appuyer des procédures
civiles ou pénales à l'encontre d'entreprises responsables
d'infractions dans les pays du Sud dès lors que la compétence de
la juridiction du lieu du siège ou du principal établissement de
l'entreprise peut effectivement rtre soutenue. Parmi les principales actions
menées par Sherpa depuis sa création, il faut mentionner
essentiellement la plainte contre l'entreprise Rougier et celle contre
l'entreprise Total.
En mars 2002, l'association a déposé, au nom de
sept villageois camerounais, une plainte avec constitution de partie civile
à Paris, du chef de destruction de biens appartenant à autrui,
faux et usage de faux, escroquerie, recel, corruption de fonctionnaire,
à l'encontre des dirigeants de la société SF ID
société de droit camerounais d'une part, et à l'encontre
de sa maison mère la société française ROUGIE R SA,
d'autre part. L'organisation non gouvernementale, les Amis de la Terre- France,
s'est constituée partie civile. En août 2002, comme il sera
démontré en détail, l'association a déposé
une plainte au nom de quatre Birmans, victimes du travail forcé sur le
Chantier Yadana, dirigé par la société française
TotalFinaElf et sa filiale en Birmanie, pour crime de séquestration. Ces
plaintes devant les tribunaux français ont constitué une
première en France. Elles visent à démontrer que les
activités commerciales des agents privés sur le territoire
d'Etats autoritaires ou faibles n'est pas la garantie systématique de
l'impunité.
Le site Internet de l'Association Sherpa peut rtre
consulté à l'adresse suivante :
http://association.sherpa.free.fr.
Il offre, outre une présentation générale de l'association
et de ses actualités récentes, des dossiers de presse sur les
actions judiciaires en cours.
Total en Birmanie, Total Myanmar Exploration Production) et
contre X. Six autres birmans se sont ultérieurement constitués
parties civiles85.
Les plaignants invoquent l'article 113-6 du Code pénal
français dispose que « la loi pénale française
est applicable à tout crime commis par un Français hors du
territoire de la République. Elle est applicable aux délits
commis par des Français hors du territoire de la République si
les faits sont punis par la législation du pays où ils ont
été commis » (principe de la compétence
personnelle active). Les plaignants invoquaient cet article pour fonder la
compétence des juridictions françaises.
Conscient de l'effet néfaste que la
médiatisation de ce procès devait avoir sur son image et partant
sur ses cours boursiers, l'entreprise Total a signé, le mardi 29
novembre 2005, une transaction amiable avec les huit Birmans qui se trouvaient
à l'origine de l'enquête ouverte, le 9 octobre 2002, à son
encontre au tribunal de Nanterre pour crime de « séquestration
». Selon les termes de l'accord, dont certains éléments
ont été rendus publics sur le site du groupe, Total s'engage
à verser une indemnisation de 10 000 euros par plaignant contre le
désistement de leur plainte. Cet accord précise qu'un «
guichet » est ouvert pendant six mois afin de répondre
à toute demande que formuleraient les victimes des mêmes faits
dans treize villages de la région86. L'affaire avait
été réglée par une ordonnance de non-lieu. Autre
cas de procédure contre les entreprises multinationales pour atteinte
aux droits de l'homme est l'affaire qui oppose l'ONG global Witness
à la firme britannique Afrimex pour complicité de crime
de guerre. En effet, l'entreprise multinationale est accusée d'avoir
pratiqué le commerce de minerais dans des conditions qui ont
contribuées à perpétuer le conflit en République
Démocratique du Congo (RDC). De mrme, il lui est reproché d'avoir
clairement enfreint les Principes directeurs de l'OCDE à l'intention des
entreprises multinationales en versant des « impôts » aux
partis protagonistes du conflit depuis le début du conflit. Global
Witness a pu démontrer comment les pratiques commerciales
d'Afrimex ont directement contribué au financement de groupes
rebelles armés pendant le conflit et partant aux graves violations des
Droits de l'homme dans l'est de la République Démocratique du
85 Les plaignants sont des villageois birmans de la
région du Tenasserim que traverse le gazoduc reliant le gisement de
Yadana en Birmanie à la Thaïlande. Ils soutiennent avoir
été contraints de « travailler sous la menace permanente
de violences de la part des bataillons qui les encadraient s'ils
n'exécutaient pas les tk~ches qui leur étaient assignées
et affirment avoir été témoins de mauvais traitement et de
violences commis par ces bataillons à l'égard d'autres
travailleurs sur ce mrme chantier ». Or, ce chantier était
sous la responsabilité directe de Total, notamment par le biais de sa
filiale locale (Total Myanmar Exploration Production) et les
militaires, auteurs des violences dénoncées, étaient,
selon la plainte, engagés et rémunérés par
l'entreprise multinationale Total.
86
http://www.total.com/fr/press/press_releases/pr_2005/051128_myanmar_accord_sherpa_8204.htm.
Congo87. Pour l'instant, l'affaire est encore en
cours88. Les exemples des hypothèses où les victimes
des exactions des multinationales dans les pays à systèmes
répressifs ineffectifs utilisent le droit pénal pour demander que
justice soit rendue et que les responsabilités soient établies
sont légions89. Une autre affaire dont les faits ne seront
développés que plus tard est l'affaire Shell/Royal Dutch
à travers sa filiale Shell Petroleum development company of
Nigeria. Cette affaire a été éteinte par une transaction
au terme de laquelle le groupe Shell s'est engagé à
indemniser les victimes des faits dont il est reproché en qualité
de complice à hauteur de 15.5 millions €90.
L'insatisfaction ressentie à l'étude de
l'encadrement répressif substantiel des pouvoirs privés
économiques s'illustre davantage lorsque ceux-ci sont confrontés
au droit pénal formel.
87 Global Witness est une Organisation Non
Gouvernementale britannique qui fait campagne pour mettre un terme aux liens
entre l'exploitation des ressources naturelles, les conflits et la corruption.
La plainte déposée par l'ONG affirme que la société
Afrimex, qui s'est livrée au commerce du coltan et de la
cassitérite (minerai d'étain) pendant toute la durée du
conflit en RDC depuis 1996, a versé des impôts au Rassemblement
congolais pour la démocratie-Goma (RCD-Goma), un groupe rebelle
armé connu pour ses graves violations des droits de l'homme, responsable
de massacres de civils, d'actes de torture et de violences sexuelles. Au cours
du conflit, le RCD-Goma contrôlait de grandes parties des provinces du
Nord-Kivu et du Sud-Kivu, dans l'est de la RDC, où se trouvent des mines
de coltan et de cassitérite.
88
http://www.globalwitness.org/media_library_detail.php/510/fr/global_witness_enjoint_le_gouverne
ment_britannique
89 On notera entre autre l'affaire Chevron au
Nigeria où un village, dont les habitants étaient hostiles aux
activités de la firme, avait été attaqué par
l'armée avec du matériel financé par Chevron. Attaque qui
avait occasionné plusieurs morts.
90
http://www.jeunesafrique.com
consulté le 09/06/09
Chapitre 2 : Un encadrement pénal formel
ineffectif à l'endroit des pouvoirs privés
économiques.
Le droit pénal a la réputation d'r~tre une
branche délicate, en ce sens que son arme principale est l'atteinte aux
libertés. C'est cette influence sur la liberté individuelle qui a
conduit le législateur à entourer sa mise en oeuvre de
très grandes précautions. C'est qui a justifié le recours
aux grands principes pour entourer son application. Elaborés et
motivés à un moment où le délinquant était
l'individu et enfermé dans un territoire, les grands principes du droit
criminel sont aujourd'hui pris au dépourvu lorsqu'ils sont à
l'épreuve de l'internationalisation de la délinquance. Et la
situation se complique lorsqu'il s'agit de la délinquance d'affaire. Or
tous les acteurs du marché sont très attachés à la
liberté et à l'honneur, voire à l'image de marque. Ces
derniers se sont au quotidien attachés les services des grands
stratèges pour exploiter les failles du droit répressif et
maîtriser le risque pénal.
Si on assiste à la timide naissance d'un droit
pénal de fond à l'adresse des puissants acteurs du marché
devenu global, au niveau formel, les choses semblent plutôt se gripper.
C'est ce qui sera étudié en confrontant les grands principes du
droit répressif aux acteurs centraux de l'économie de
marché (section 1) et en les mettant à l'épreuve des
critères de compétence du juge répressif (section II)
Section I : L'infléchissement des principes
directeurs du droit pénal par les pouvoirs privés
économiques.
L'analyse du principe de légalité (§ 1) sera
faite avant celle su principe de la personnalité des peines (§
2).
§ 1 : L'insuffisance du principe de
légalité.
Depuis la Révolution française il est admis que
le principe de légalité en droit criminel, tel qu'il est
énoncé par l'article 8 de la Déclaration des droits de
l'Homme du 26 août 1789 (« nul ne peut rtre puni qu'en vertu
d'une loi établie et promulguée antérieurement au
délit et légalement appliquée »),
représente la garantie minimale pour tout citoyen de tout
pays civilisé. Selon la jurisprudence du conseil
constitutionnel, « il en résulte la nécessité
pour le législateur de définir les infractions en termes
suffisamment clairs et précis pour exclure l'arbitraire
»91. La version actuelle du Code pénal français
réaffirme l'adhésion du législateur à ce principe :
« nul ne peut être puni pour un crime ou pour un délit
dont les éléments ne sont pas définis par la loi, ou pour
une contravention dont les éléments ne sont pas définis
par le règlement Nul ne peut rtre puni d'une peine qui n'est pas
prévue par la loi, si l'infraction est un crime ou un délit, ou
par le règlement si l'infraction est une contravention
»92. La légalité juridique en matière
pénale implique donc que la responsabilité pénale des
pouvoirs privés économiques ne soit engagée que si
l'infraction qui leur est reprochée est prévue par un
texte93.
Quelques observations deviennent alors urgentes. La
signification traditionnelle du principe de légalité en droit
pénal comme symbole de la civilisation juridique n'est-elle pas une
construction tout à fait propre à une civilisation
dépassée ? Cette interrogation qui serait mal venue si on la
confrontait à la liberté individuelle trouve son fondement devant
une autre forme de criminalité : la délinquance transnationale.
La légalité des délits et des peines semble
essoufflée parce qu'elle n'offre plus une meilleure protection des
individus (destinataires des prestations des pouvoirs privés
économiques). La délinquance en col blanc est toujours en avance
sur le législateur qui ne peut la prévoir d'avance. Dans la
plupart des hypothèses, c'est toujours après coup que le
législateur agit pour incriminer, il ne peut tout incriminer dans ce
domaine au regard de l'importance de l'innovation et des mutations
économiques.
Mais en droit pénal économique, ce principe
paraît toujours rendre service aux pouvoirs privés
économiques. D'autant plus que ce principe s'applique tant aux sanctions
pénales qu'aux sanctions administratives94. Justifié
par le souci de prévenir l'arbitraire dans le prononcé de la
peine, le principe de légalité des délits et des peines
implique que les éléments constitutifs de l'infraction soient
définis de façon précise et complète. C'est ainsi
que ne seront pas punies, les infractions qui ne sont pas prévues par la
loi en raison de l'interprétation stricte de la loi
pénale95.
91 Décision n° 80-127 DC des 19 et 20
janvier 1981, loi sécurité et liberté
92 Article 111-3 du Code pénal
93 Nul ne peut être puni pour un délit
dont les éléments ne sont pas prévus par la loi. Crim. 5
Mars 2002 : Bull. crim. N° 56
94 CE, 9 oct. 1996. IR. 237 ; Dr. Adm. 1997, N°
2, note D. P.; Gaz. Pal. 1998. 2. 521 (à propos du pouvoir
réglementaire de la COB)
95 C'est sur ce fondement que le procureur de la
République avait requis le non-lieu dans le procès Total
précité au motif que l'infraction de séquestration ne
pouvait rtre étendue aux travaux forcés dont le géant
pétrolier était accusé d'avoir fait recours par
le biais de sa filiale locale (Total
Cette dernière expression du principe de
légalité des délits et des peines est inscrite dans le
Code pénal à l'article 111-4 : « la loi pénale
effligei.SiPUiRgniiel » et protégée par le Conseil
constitutionnel96. Ce principe, expression de la conception
hautement formaliste de la légalité des délits et des
peines n'offre pas la meilleure protection des individus contre les abus des
pouvoirs privés économiques. La preuve en est que les
incriminations ne sont pas les mêmes dans tous les espaces
économiques dans lesquels opèrent les acteurs économiques
déterritorialisés. Aussi, lorsque leurs agissements tombent sous
le coup d'une incrimination dans un Etat faible et ne représentent pas
une infraction dans le pays d'origine de l'entreprise, l'impunité de
fait est assurée. La légalité des délits et des
peines interdisant qu'une peine soit prononcée sans avoir
été prévue par un texte. Le positivisme sous-tendu
à la notion du nullum crimen sine lege emprche la mise en
oeuvre efficace d'une meilleure protection des libertés individuelles.
Ce qui fait que l'accueil du principe nullum crimen sine lege n'est
pas non plus une condition suffisante pour atteindre des garanties efficaces
contre les abus des centres d'intérrts économiques dans le
domaine pénal.
De même, l'exigence de la
non-rétroactivité de la loi pénale empêche que le
législateur intervienne a posteriori pour sanctionner certains
comportements économiques inadmissibles, mais non incriminés. Ce
principe a valeur constitutionnelle97. Ce qui fait dire que les
agents économiques de cette trame, disposant d'un véritable
appareil de maîtrise du risque pénal, ont toute
l'opportunité de commettre des infractions quitte à ce que leurs
agissements soient incriminés par la suite. L'infraction aura
été déjà commise et l'impunité pénale
assurée en raison du principe de légalité.
Cette interprétation formaliste de la
légalité des délits et des peines n'est pas
partagée par les droits d'inspiration anglo-saxonne. Ici, c'est la
conception « réaliste » qui est de mise, et qui appartient
à la tradition juridique du common law. Le juge anglais
s'accorde donc le pouvoir de « découvrir » de nouvelles
infractions criminelles en dehors de tout texte législatif. Et cela se
vérifie chaque fois qu'il est question de punir un comportement
contraire aux bonnes moeurs ou bien nuisible pour la collectivité. Ceci
est lié au fait que le système anglais n'a jamais accepté
que toute infraction criminelle soit d'origine légale : en effet, il
connaît des infractions d'origine jurisprudentielle (common law
crimes), c'est-à-dire des infractions qui ne
Myanmar Exploration Production), avec la complicité du
régime Birman, pour la construction de son oléoduc.
96 Décision n° 96-377 DC du 16 juillet
1996
97 Con. Cons., 19 jan. 1980, D., 1980, 249, note Auby,
Crim. 17 Juin 2003, B., n°122 ; D., 2004, 92, note Daniel
trouvent pas leur siège dans un texte de loi, mais qui,
jadis créées, continuent d'exister et d'r~tre appliquées.
La règle du précédent appliquée aux pouvoirs
privés économiques, confèrerait au droit pénal un
levier important de régulation des organisateurs de l'économie.
Reste qu'en pratique c'est toujours la légalité formelle qui est
en vigueur dans les systèmes répressifs de droit continental.
Quid du principe de la personnalité des peines ?
§ 2 : Le Principe de la personnalité des
peines à l'épreuve des centres d'intérêts
économiques.
Les pouvoirs privés économiques sont
caractérisés par la diversification des activités,
l'autonomisation juridique des entités du groupe en charge de ces
diverses activités et la concentration du pouvoir de décision au
centre de décision du groupe. Or le droit pénal procède
par individualisation. Et on sait le droit positif hautement attaché
à la forme. Et en droit pénal en particulier, tout est forme.
D'ailleurs, la règle en droit pénal, qui découle des
articles 8 et 9 de la Déclaration de 1789, est que « nul n'est
punissable que de son propre fait »98.
D'évidence donc, le droit pénal de forme rend
plutôt service aux centres de décision économiques,
véritable firme globale éclatée en une multitude
d'entités. Principalement parce que conformément à l'un
des principes centraux de la discipline, l'audace n'est pas permise. L'exemple
le plus saisissant est l'absorption des sociétés par les autres,
les fusions- acquisitions. L'absorption d'une société, personne
morale, fait disparaitre de jure sa personnalité juridique et
lui fait échapper à la répression, car l'entité
absorbée perd du fait de la fusion la personnalité juridique. Or
en droit pénal, la perte de la personnalité juridique est une
cause d'extinction de l'action publique tant chez la personne physique que chez
la personne morale. La reprise de l'entité par une autre personne ne
s'accompagne pas de l'héritage des délits commis par les anciens
propriétaires. Les faits ne peuvent de droit lui être
imputés. C'est pourquoi, le procureur général Pierre
Truche parlait déjà d'un « suicide sans risque de
personnes morales »99. Le juge ne peut réprimer que
les comportements qui ont été préalablement
défendus et les imputer à son ou ses auteurs : le principe est
celui de la personnalité des peines. Or la complex ification de
l'activité économique fait que
98 Con. Cons., décision n°99-411 DC du 16
juin 1999
99 P. TRUCHE, Introduction au colloque sur la
responsabilité pénale des personnes morales, Rev.
Société 1993, p.231
l'identification des comportements nocifs et leur imputation
sont une véritable gageure dans le contexte des groupes de
sociétés ou encore des groupes de fait qui procèdent par
intégration contractuelle. Pour une efficace répression des
excès des pouvoirs privés économiques, le principe de la
personnalité des peines mériterait d'rtre revisité. Cette
nécessité se sent déjà dans les décisions
des juges du fond qui opposent une résistance à
l'interprétation stricte de ce principe en cas d'absorption des
personnes morale100. Mais reste qu'il est de droit positif.
Quoiqu'il en soit, les affaires ayant mis en cause la responsabilité
pénale des entreprises globales ont contribué à une prise
de conscience plus aiguë de la fragilité, dans un monde ouvert, du
caractère inopérationnel de ce principe à l'endroit des
entreprises ayant le statut d'acteur mondial et central de
l'économie101. Ces derniers ont dans leur portefeuille une
multitude d'entités juridiquement autonomes, donc personnellement
responsable des crimes et délits dont elles peuvent servir d'instrument
de commission.
La personnalité juridique faisant défaut
à certains organisateurs de l'économie, un encadrement
répressif d'ensemble n'est pas possible à cause de la
personnalité des délits et des peines. En effet, les pouvoirs
privés économiques dépourvus de personnalité
juridique ne seront qu'exceptionnellement sanctionnés pénalement.
Ce sera le cas lorsqu'il sera démontré une sorte de confusion de
pouvoir dans les rapports économiques du pôle intégrateur
et de l'intégré, généralement coupé du
marché. Il en sera aussi de même en cas de gestion de
fait102. Il est peu commode qu'une entité
intégrée, économiquement dépendante, conserve par
devers elle le risque pénal. Ne disposant d'aucun pouvoir de
décision autonome, réduit à un rôle
d'exécutant, la responsabilité pénale du pôle
intégrateur devrait rtre retenue si l'infraction est commise dans le
cadre normal de ses rapports de dépendance à l'égard de
son partenaire dominant. Comme en droit de la responsabilité civile,
la responsabilité pénale pour risque- profit devrait
être explorée comme piste de moralisation des pouvoirs
privés économiques dépourvus de personnalité
juridique.
Pour ce qui est des groupes intégrés, la
position du droit pénal semble souple soit qu'elle justifie soit qu'elle
punit une infraction commis dans le cadre des activités du
groupe103. Ici, la jurisprudence prend en compte l'intérrt du
groupe pour justifier une
100 Voir I. URBAIN-PARLÉANI, note sous Cour de cassation
(crim.), 20 Juin 2000, Rev. Sociétés, oct.-déc.
2001
101 Il convient de citer entre autre les affaires Bhopal en Inde,
Shell/Royal Dutch au Nigéria, Chevron au Nigéria
102 Article 245-16 du Code de commerce
103 Arrêt Rozenblum du 4 février 1985.
L'existence d'un groupe résulte de la constatation «
d'un lien logique minimal, en vue de la réalisation,
selon une stratégie bien définie au préalable, d'un
objectif économique commun, profitable à l'ensemble et par
là-même à chacun de ses éléments mis dans
une
infraction complètement constituée. Mais
l'intérrt du groupe reste un aléa qui ne permet
qu'exceptionnellement de justifier la commission d'une infraction. Ce qui a
comme effet que la règle reste la responsabilité pénale de
l'entité juridiquement autonome, mrme si elle sera substantiellement
dépendante du centre de décision du groupe. La
responsabilité pénale du centre de décision, de la maison
mère est une responsabilité d'exception, par défaut. Ce
n'est pas encore la règle.
Toutefois, sous d'autres fondements, tels les critères de
compétence répressive, le juge peut toujours connaître des
faits reprochés à une entreprise délinquante.
Section II : L'affaiblissement des critères de
compétence répressive par les pouvoirs privés
économiques.
L'examen des critères qualifiés d'autarciques sera
fait séparément (§ 1) de celle des apports des autres
critères (§ 2).
§ 1 : Les critères autarciques
bouleversés.
Ils sont au nombre de deux : la territorialité et la
personnalité. La compétence territoriale, compétence
générale, sera étudiée en premier lieu.
Traditionnellement fondée sur l'article 3, alinéa 1, du Code
civil (« les lois de police et de sûreté obligent tous
ceux qui habitent le territoire »), le principe est aujourd'hui
consacré par l'article 113-2 Code pénal : « La loi
pénale française est applicable aux infractions commises sur le
territoire de la République». L'alinéa suivant
précise que l'infraction est réputée commise sur le
territoire de la République dès lors qu'un de ses faits
constitutifs à eu lieu sur ce territoire. Ce principe est
justifié par l'idée de la souveraineté d'un Etat, en ce
sens que l'efficacité d'un jugement est d'autant plus grande que
l'infraction est jugée au lieu où le trouble social a
été le plus durablement ressenti. Aussi les exigences de la bonne
administration de la justice militent en faveur de la compétence des
tribunaux proches du lieu de commission des faits. Ceux-ci étant les
mieux placés pour rechercher les preuves et apprécier
l'importance du trouble causé à l'ordre public.
structure juridique, financière et économique
suffisamment précise et apparente pour faire ressortir une
véritable entité »
D'autres questions plus précises se posent par ailleurs
selon la législation pénale française. Les articles 113-6
et 113-12 du Code pénal, qui règlent l'application extra
territoriale des lois pénales aux infractions commises à
l'étranger, distinguent les crimes et les délits. Selon les cas,
lorsque le crime est commis par un Français, la responsabilité
pénale se prolonge hors des frontières. La compétence
française est alors exclusive et sans condition (Article 113-6 CP). En
revanche, si l'auteur français commet un délit, le droit
français prévoit la triple condition suivante : que l'infraction
soit également prévue dans le droit du pays étranger
où a été commis l'acte, qu'il y ait une
dénonciation officielle des autorités étrangères ou
une plainte de la victime et que le Ministère Public français
prenne l'initiative de saisir la juridiction française. C'est alors une
compétence subsidiaire de celle des juridictions
étrangères. (Article 113-8 CP). La condition de double
incrimination est problématique dans la mesure où les pratiques
contestées sont souvent conformes au droit local, ou ne sont pas
nécessairement bien réprimées par l'Etat hôte.
L'exposé du texte et des motifs de cette
compétence générale, confrontés à la
réalité même des pouvoirs économiques, permet de
relativiser son sens et sa portée. Les pouvoirs privés
économiques, favorables à plus de dérégulation et
partant à un droit sans Etat, sont plutôt hostiles à
l'emprise territoriale d'un système répressif sur le
contrôle de leurs activités104. Les règles de
compétence répressives leur sont plutôt favorables. C'est
ainsi que la délocalisation des activités de production dans les
territoires « des Etats faibles », plus porteuses de risque donc de
probabilité de commission des fautes répréhensibles
pénalement, fait échapper à la loi française sa
compétence générale. En fait, la mondialisation et la
déterritorialisation de l'économie mondiale affectent
foncièrement les critères de compétence répressive
en commençant par le critère phare qu'est la
territorialité. Le fait est que les entreprises globales,
organisées juridiquement en une mosaïque d'entités
juridiquement autonomes et disséminées dans les territoires
différents, se sont données les moyens d'échapper à
l'emprise du juge répressif de l'Etat d'origine au moins sur le plan du
principe. Les « infractions commises sur le territoire de la
République » en tout ou en partie ne représentant qu'une
proportion négligeable des infractions commises dans le cadre des
groupes. Qu'il soit de droit ou de fait, on se rend compte que tout est fait
dans le cadre du groupe ou des centres d'intérr~ts pour neutraliser la
compétence territoriale des Etats à systèmes
répressifs efficaces. Confronté à un groupe comme
Shell qui est en fait un amalgame de plus de mille sept cents
sociétés différentes, actives sur les cinq continents, la
compétence
104L. COHEN-TANUGI, Le droit sans l'Etat,
PUF, 2007
\MIERLIElD N'EWkil limitée G'pWIG1QFl105. La
délocalisation des activités risquées N'EFFRP SEI Qe GI CE
GplRFEIiNEtiRQ Ge lE FRP P iNNiRQ GIN EQfIEFYRQN. S IQNi IXK E ptp
démontré, certaines entreprises qui, vertueuses au Nord où
le système juridique est effectif, deviennent déliQquEQteN
lRrNqu'elleN GplRFEliNeQt leurN EFtiWitpN Eu SNG FEEEFtpeiNp en
général SEr l'EQHIIFtiWllp Ge son système juridique et de
son système répressif en particulier106. En
conclusion, il se trouve Tu'j 1'pS111We GeN SROWRirN SUWpN pFRQRP l1ueN, 0
Fritkre de compétence territoriale semble inadapté en
dernière analyse.
Pour ce qui est de la compétence personnelle, il convient
de dire qu'elle eNt eQFRIF lE P EQiIINtEtERQ Ge 1E NR0WeEEiQeip G'uQ EtEa
NOr NeN rINNRLIINNEQtN. Cette compétence est dite personne@D EFtiWI
lRrNIXH3e GpFRule Ge lE QEtiRQElitp frEQçEiN1 G} 1Euteur Ge l'iQfIEFtERQ
e- SENNiWe lRTNIMHON INt ERQGp1 Nur lE QEtIRQElitp TIEQçEiNI Ge NE
WIFtiP If Manifestation extraterritoriale de la compétence
répressive de la loi française, ce chef de
compétence FRQNEFrp SEU l'ErtiFO 1M-6 Code pénal E SR01 Dt
G'pW1311 De lDN ptrEQg11N Qi NRilQt victimes de déni de justice ElRrN
qDIFEeN RQt NRXIIIII GIN FRP SR1IMP 1QtN iQEGP iNNiFIDN Ge lE part des
ressortissants français. Sur ce point, la loi française
du 24 juillet 1966 (article 3 alinéa 1er) prévoit
que « les sociétés dont le siège social est
situé sur le territoire français sont de nationalité
française ». Celles-ci sont donc soumises aux exigences des
articles 113-6 et 113- 12 du Code pénal sus-évoqués. Le
siège social correspond au « lieu où se produisent,
par pGIERI GWIN UTEMY 1310 ETIMERQN SIKFLSDIDN GI NRQ lq
IIMITIMIIIGEDE107
» . En conséquence, cela signifie que seules les
Sociétés transnationales qui entrent dans ces critkreN NerRQt
NRuP iNeN j fiE lRI frEQçEiN1 1Q FEN G'eq EFtiRQN FRP P iNeN j
l'ptrEQE-1
La responsabilité pénale des personnes morales
étant générale depuis la loi Perben II du 9 mars 2004, les
pouvoirs privés économiques, du moins ceux qui ont la
personnalité morale, peuvent être poursuivis au pénal sur
le fondement de ce critère de compétence. A IEnalyse, il ressort
1)1j l1pSIeuWe GeN SRuWRELN SUWpN pFRQRP ETXeN, Fe FIEkre
NeP ECe SluN efficace que celui de la territorialité lQ Fl NeQN qDIil
FNt GpEELIENNp GiN exigences de mise en ° uWre GF lE FRP
Sp\MQFe IMMRrEElD. Ce critère gEIQIIEit eQ eIITFEFitp N'il allait plus
loin dans NRQ GRP EiQe et N'iQtpreNNEit j l'entreprise qui déploie
même une partie de ses activités sur le
105 J. ZIGLER, /ElKErglilell'oeerilelt, Albin Michel,
2008, p. 168
106 La
preuve en est que la grande partie des procès au
pénal intentée contre les multinationales dans ON SE) N Gu NRrG,
SE) N G'Rllalne ou un pays ou le défendeur a des intérêts
économiques conséquents, NRQt fRQGpN NuI GeN IEitN P EtprIHN FRP
P IN GEQN leN SE) N Gu S uG. 841Nt EiQNi lue l'lQtUSIiNe :7RtEl E
été poursuivie au pénal en France pour les faits
matériels commis en Birmanie par sa filiale locale. /
1Ef1E1LI N'plEQt ptliQte SEE uQ QRQ-lieu ayant suivi une transaction
entre Total et ses présumées victimes.
107 Com. 16 décembre 1958 Bull. civ. III,
n°438
territoire français108. Reste que son
application est encore rendue difficile par l'article du 113- 8 du Code
pénal qui prévoit que la poursuite des délits commis par
les français à l'étranger ne peut rtre exercée
qu'à la requ te du ministère public. Cette disposition
apparaît à l'aune de la globalisation et de la
déterritorialisation des activités économiques comme un
anachronisme quand on sait que le principe d'opportunité permet au
Parquet de poursuivre ou non des délits commis à
l'étranger.
En effet, la majorité des procès intentés
au pénal contre les multinationales l'ont été devant le
juge répressif du pays d'origine de la maison mère qui exerce le
contrôle économique et substantiel sur la filiale
délinquante. L'observation révèle que la compétence
générale sur le plan répressif dans le contexte d'une
économie de plus en plus mondialisée est en passe de devenir la
compétence personnelle, à condition qu'il y ait
réciprocité d'incrimination lorsque les faits reprochés
sont constitutifs de délit.
Quid des autres critères de compétence ?
§ 2 : L'apport des autres critères de
compétence à systématiser.
Les autres critères dont il s'agit sont le
critère de la compétence universelle et le critère de la
compétence réelle. Ce dernier système de compétence
est celui selon lequel un Etat confie à ses tribunaux la poursuite des
atteintes portées à l'étranger à ses
intérr~ts supérieurs, car lui seul a le pouvoir de
déterminer et de défendre lesdits
intérêts109. Ce critère de compétence est
sapé par l'émergence d'un droit conventionnel
préoccupé de solidarité internationale et de
développement dÇn droit pénal international plus soucieux
d'efficacité répressive. Ce critère ne semble pas d'un
grand secours pour ce qui est de l'encadrement répressif des puissants
acteurs économiques par le droit pénal.
Alors que contient le critère de compétence
universelle ? Le critère de l`universalité du droit de punir
donne compétence aux tribunaux de l'Etat sur le territoire duquel se
trouve, même passagèrement, le suspect. Il n'est pas un
critère nouveau du droit de punir, ce fondement fut défendu avec
ferveur par Hugo GROTIUS : « les rois et ceux qui ont un pouvoir
égal à celui des rois, ont le droit d'infliger des peines non
seulement pour les injures commises contre eux ou leurs sujets, mais encore
pour celles qui ne le touchent pas
108 M. HENZELIN, Le principe de l'universalité en
droit pénal international. Droit et obligation pour les États de
poursuivre et juger selon le principe de l'universalité, Bruylant,
Bruxelles, 2000, p. 185
109 A. HUET et R. KOERING-JOULIN, Droit pénal
international, PUF, 2005, p. 233
particulièrement et qui violent à
l'excès le droit de la nature ou des gens à l'égard de qui
que ce soit »110. Admise originellement pour des
infractions très graves « lésant la communauté
internationale », il s'agit d'une compétence exceptionnelle dont la
mise en oeuvre est difficile111, surtout lorsque l'Etat de
l'infraction se trouve éloigné de l'Etat de jugement. Trouvant
son fondement en matière de protection des droits de l'homme, ce
critère est aujourd'hui en pleine expansion, mais soulève aussi
des controverses en matière de politique internationale. Certains Etats
y voyant l'expression d'un impérialisme judiciaire et partant d'atteinte
à leur souveraineté.
Mise à l'épreuve des centres d'intérr~ts
économiques, la compétence universelle serait une puissante arme
entre les mains du juge répressif, surtout avec la
généralisation de responsabilité pénale des
personnes morales. D'abord le fait que la loi Perben II
généralise la responsabilité des personnes morales
permettant que toutes les infractions de droit commun comme de droit
économique leur soient reprochées fait des pouvoirs privés
économiques ayant une personnalité juridique des cibles
potentielles de procès. Ainsi, un groupe dont la filiale située
dans un autre pays a commis une infraction, pourra se voir poursuivre devant un
juge répressif d'un Etat avec lequel il ne dispose d'aucun lien
juridique voire économique. C'est ainsi que dans l'affaire Total
précitée, une plainte a été déposée
par quatre birmans en Belgique sur la base de la loi de la compétence
universelle contre X, Total et ses dirigeants pour complicité de crimes
contre l'humanité. Mais les hésitations juridiques des magistrats
quand à la portée mr me de cette loi de compétence
universelle n'ont pas permis de donner une suite procédurale favorable
à cette saisine.
Toutefois, la simple menace d'une inculpation des acteurs
économiques personnes morales comme personnes physiques sur le fondement
de la compétence universelle est de nature à rendre vertueux les
pouvoirs privés économiques. Or ces derniers sont très
attachés à leur image de marque et ont tout intérêt
à éviter les préjudices économiques que peut leur
valoir une médiatisation d'une procédure pénale
intentée contre eux au fond.
Le bilan de la régulation répressive des
pouvoirs privés économiques est celui d'un résultat
contrasté. Sous le bénéfice de ces constats
insatisfaisants, il semble logique de rallier la thèse qui soutient un
redéploiement du droit pénal économique.
110 H. GROTIUS, Le droit de la guerre et de la paix (De
jure belli ac paces, 1625), L. II, Ch. XX, XL, PUF, 1999 cité par
M. DEMAS-MARTY In « le droit pénal comme éthique de la
mondialisation », Rev. Sc. Crim., 2004, p. 7
111G. STÉFANI, G. LEVASSEUR et B. BOULOC,
Procédure pénale, Dalloz, 19e éd.,
2004, n° 524
Conclusion de la Première partie.
Manifestement, la généralisation de la
responsabilité des personnes morales est apparue comme montrant ses
limites. Cela a pour conséquence l'exposition des consommateurs et des
investisseurs aux risques d'abus des pouvoirs privés économiques.
Si la personne morale est pénalement responsable, l'application en
principe territoriale et personnelle du droit pénal ne permet pas un
encadrement adéquat de ces acteurs qui, à la faveur de la
mondialisation, se caractérisent substantiellement par l'apatridie et la
déterritorialisation de leurs activités. De même, la
déconnection entre le lieu de commission des infractions et celui de la
prise de décision de la commettre renforce encore plus les
difficultés du droit pénal positif à réguler les
pouvoirs privés économiques.
La répression et les régulations nationales ne
sont guère adaptées à la protection du marché et
des acteurs qui, à cause de l'asymétrie informationnelle qui
caractérise la vie économique, ne sont pas toujours armés
pour faire face aux stratégies des puissants acteurs du marché.
De mrme, les nouveaux défis et les formes nouvelles de commission
d'infractions ont montré les limites du droit pénal positif,
taillé à la mesure du délinquant ordinaire, personnes
physique. De plus les condamnations aux amendes ne sauraient permettre à
la répression des délits économiques d'atteindre son but.
Les délinquants économiques auront toujours les moyens financiers
pour s'acquitter du paiement de leur condamnation. Leur surface
financière le leur permet, surtout que les montants d'amendes sont
toujours inférieurs à leur possibilité financière.
Seule leur honorabilité en est affectée.
Une protection efficace des acteurs présumés
faibles et peu renseignés, tels les consommateurs et les investisseurs,
exige la prise en compte de la dimension transnationale dans la sanction des
abus commis par les pouvoirs privés économiques. Une dissuasion
efficace des abus des organisateurs et décideurs du marché semble
devoir dépendre de la capacité du droit pénal à se
redéployer afin d'éviter la paralysie de la sanction
répressive par les stratégies et les moyens des pouvoirs
privés économiques.
Deuxième Partie : Le nécessaire
redéploiement du droit pénal
économique.
Assailli de critiques en droit interne, le droit pénal
économique est sur la sellette. Accablé de tous les maux par les
thèses avant-gardistes de l'impuissance des Etats et de l'hyper
puissance du marché, l'ordre public pénal a plus besoin d'un
redéploiement que d'un repli. Pour faire face à la globalisation
de l'économie et partant de la délinquance économique, le
droit pénal économique doit aussi s'adapter. Réponse
sociale à une délinquance qui perturbe l'ordre public
économique tant interne que transnationale, le droit pénal
économique est consubstantiel à l'ordre public économique
dont M. Gérard FARJAT a montré la dualité en distinguant
l'ordre public de protection et l'ordre public de OEection112. L'en
chassé du marché contribuerait à affaiblir le rôle
du droit dans l'espace marchand. Garant et gage de l'effectivité et de
l'efficacité de l'ordre public économique, l'ordre public
pénal a pour objet les conduites considérées comme
répréhensibles et devant être évitées par un
opérateur respectueux des règles.
Extérieur aux manifestations des pouvoirs qu'il saisit,
le droit pénal économique a donc besoin de s'adapter aux
exigences de l'environnement dans lequel il se déploie. Face à la
concurrence sans cesse croissante des autres systèmes de sanction, le
droit de la répression des comportements économiques
inadmissibles devra sa survie et son efficacité à un
nécessaire redéploiement de son contenu (titre I) et de sa mise
en oeuvre (titre II).
Titre I : Le redéploiement du contenu.
Ce redéploiement passe nécessairement par la
reconsidération du rôle, mais surtout des manières du droit
pénal. Le contexte ayant changé tant dans le fond que dans la
forme, les relations et les frontières du droit pénal et des
autres modes de sanctions en ont été affectées. Le
redéploiement du contenu de l'ordre public pénal devrait donc
privilégier l'intégration de l'opportunité
économique par le droit pénal (chapitre I) et partant favoriser
une incrimination qualitative, donc recentrée des abus des pouvoirs
privés économiques (chapitre II).
112 G. FARJAT, Droit économique, PUF,
2e éd., 1982, p. 49 et s
Chapitre I : L'intégration de
l'opportunité économique par le droit pénal.
L'émergence du marché et surtout l'importance
des responsabilités de ses acteurs majeurs ont rendu
désuètes les motivations de certaines incriminations. Autrefois
motivé par l'intérr~t général alors incarné
par la personne publique, certaines incriminations justifiées en elles-
mêmes perdent de plus en plus leurs fondements dans le contexte de
l'économie de marché113 . Aussi, le contexte
économique oblige à bien des égards les entreprises
à prendre des risques pour assurer leur survie. Lesquels ne sont pas
toujours autorisés par le droit pénal. Le droit pénal
positif ne s'attachant encore qu'à la société pris
isolément, l'intérr~t immédiat de l'entité
économique qu'est la société, personne morale sujet direct
du droit pénal, est plus que jamais lié à celui du groupe
qui symbolise l'intérr~t commun de l'entreprise. Ces mutations de
l'économie s'accompagnent aussi de la mutation dans le mode de gestion
des entreprises. Or on se rend compte que les nouvelles visions de l'entreprise
ne sont pas toujours en adéquation avec le droit et le droit
pénal en particulier. Certaines branches du droit se sont
déjà adaptées aux mutations économiques. C'est
ainsi que le droit fiscal saisit l'entreprise dans sa vision globale à
travers le « compte consolidé », le droit du travail à
travers « le comité de groupe » et le droit de la concurrence
à travers « le chiffre d'affaires consolidé ». Cette
prise en compte des mutations du cadre économique devraient avoie
écho en droit répressif en favorisant un repositionnement du
droit pénal économique.
Pour combler ce vide législatif occasionné par
l'évolution de la structure du marché et la concentration des
acteurs, les juridictions ont crée un droit prétorien permettant
d'adapter certains délit aux groupes de sociétés.
L'existence des pouvoirs privés économiques est donc un fait
justificatif de l'infraction économique, mais il faut relever que cette
exonération n'est pas en droit positif un principe
général, mais un aléa. C'est la raison pour laquelle, les
milieux d'affaires, hautement soucieux de la sécurité juridique,
et une frange dominante de la doctrine appellent de tous leurs voeux à
une dépénalisation du droit économique. Toutefois, au vue
de l'efficacité des mesures de substitution de la sanction pénale
telles les sanctions alternatives (section II), il semble plutôt opportun
de reconfigurer le champ pénal (section I).
113 La jurisprudence Rozenblum le démontre suffisamment,
certaines infractions qui hier étaient réprimées en soi,
se justifie de nos jours dès lors qu'elles ont été
commises dans le cadre du groupe.
Section I : La prise en compte de la logique
économique par le droit pénal.
Les pouvoirs privés économiques ont pour
l'accroissement de leur taille besoin d'un droit flexible. Le droit
pénal économique en l'état actuel ne leur rend pas service
dans ce sens. C'est la raison pour laquelle des voix s'élèvent de
toute part pour réclamer une importante dépénalisation de
l'activité économique. Le législateur reste vigilant et
prudent au regard de telles réclamations, car agir pour satisfaire sans
précautions des acteurs aussi mouvants que les pouvoirs privés
économiques n'est pas sans risque. L'intérrt social est de droit
positif apprécié en prenant en compte l'entité
juridiquement autonome qu'est la société. L'intérrt du
groupe n'est qu'une exception. Mrme d'exception, l'intérrt du groupe
démontre à quel point les pouvoirs privés
économiques bouleversent les catégories fondamentales du droit
pénal. Les rapports de forces sont tels que c'est plutôt le droit
qui est forcé de s'adapter.
C'est particulièrement autour de la fameuse
incrimination de l'abus des biens sociaux que l'intérrt de groupe
présente tout son intérêt juridique. L'intérrt
social devant rtre apprécié au regard de l'intérrt du
groupe, l'infraction « phare » du droit économique, l'abus de
biens sociaux devrait intégrer l'opportunité économique
(§ 1), même si cette intégration doit être
limitée (§ 2).
§ I : Le paradigme de l'abus des biens
sociaux.
Le droit pénal est connu comme un instrument de
contrôle des pouvoirs privés économiques, mais sert aussi
de gage d'effectivité de l'ordre public économique. Les mutations
internes du droit économique devraient en toute logique déteindre
sur le droit pénal économique. Celui-ci doit rtre sensible aux
exigences, aux défis de l'environnement qu'il encadre de
l'extérieur. Aussi, les incriminations et les sanctions doivent
être le résultat de la confrontation des fins du droit
pénal et de l'intérrt des acteurs économiques.
Sans passer en revue toutes les infractions de droit
économique, une attention particulière sera attachée
à l'abus des biens sociaux dont il convient de rappeler que sa
rédaction était faite à une époque où la
notion même de groupe de sociétés ou de pouvoirs
privés économiques était largement ignorée. A
l'épreuve des pouvoirs privés économiques donc,
l'infraction « phare » du droit pénal des
sociétés commerciales prévue et réprimée par
l'article 341-3 (4°) du Code de commerce nécessite une
reconsidération, mieux une
adaptation. La généralisation de
l'adhésion aux groupes de sociétés, de fait ou de droit,
est un phénomène décisif du droit économique ainsi
qu'en atteste les prises de contrôle et de participation. En faire
abstraction serait défavoriser certaines entreprises au profit des
autres qui n'ont pas les mrmes contraintes dans un contexte économique
marqué par la concurrence même des législations. Certaines
législations étant jugées plus favorables à la
croissance plus que d'autres114 .
Pour faire en sorte que l'application du droit pénal
économique ne soit pas un « désavantage compétitif
», le législateur devrait s'assurer de l'actualité
et de l'application homogène de l'infraction d'abus de biens
sociaux par les législations pénales des autres Etats en
matière économique. Ainsi, en prenant l'exemple de l'Allemagne
où le droit des groupes de sociétés a été
consacré depuis la loi du 6 septembre 1965, on constate, que le
traitement pénal des infractions commises dans le cadre du groupe n'est
pas le même en Allemagne qu'en France. L'intérrt du groupe n'est
pas ici un fait justificatif de l'infraction reconnu par le législateur.
Toutefois, face au silence du droit positif, la jurisprudence s'est
efforcée à dégager des circonstances permettant de
justifier a priori, les actes de gestion accomplis dans un groupe de
sociétés donné. L'acte de gestion est donc
apprécié en vertu d'une certaine jurisprudence, par la
combinaison de l'intérrt du groupe et de l'intérrt social de
l'entité économique considérée.
C'est ainsi que plutôt que de dépénaliser
l'abus de bien sociaux il semble plus loisible de l'adapter dans le cadre des
pouvoirs privés économiques. La présence de cette
infraction est de nature à dissuader la commission des abus de gestion
qui prendraient une proportion non négligeable dans le cadre des groupes
de sociétés. L'existence de cette incrimination aurait
certainement un effet préventif dans le cadre des groupes, qu'il soit de
fait ou de droit, mais à condition qu'elle soit adaptée à
la réalité qu'elle entendrait saisir.
Les concours financiers accordés au sein du groupe
seraient systématiquement soupçonnés d'abus de biens
sociaux sans une prise en compte de la spécificité des relations
entretenues par les sociétés qui le composent en application
stricte de l'article 341-3 (4°) du Code pénal. Le droit
pénal étant en principe d'interprétation stricte,
l'intérrt social protégé par l'incrimination de l'abus de
biens sociaux, les pouvoirs privés économiques seraient
constamment sous le coup des poursuites pénales alors qu'ils ont agit
dans l'intérrt du groupe. De même, la possibilité de
financement interne résultant de la désintermédiation
financière
114 Voir Le Rapport Doing Business 2009, Doing Business
est un rapport annuel sur les réglementations qui facilitent la
pratique des affaires et celles qui la compliquent. Ce rapport est
établi par les services du groupe de la banque mondiale.
des années 1980 et l'accélération de la
mondialisation de l'économie justifient que les entités du groupe
se financent entre elles115. Le droit pénal devrait se saisir
de ces mutations économiques et s'adapter à la
réalité économique du groupe par la consécration
législative de l'intérr~t du groupe. La Chambre criminelle de la
Cour de cassation, jouant le rôle de « législateur de
réserve »1 16 , a élaboré une
théorie pénale du groupe depuis l'arrit Rozenblum du 4
février 1985 en vertu de laquelle l'existence d'un groupe est de nature
à justifier un concours financier entre deux sociétés s'il
répond à certaines conditions tenant à l'existence d'une
contrepartie, à l'absence de rupture d'équilibre entre les
engagements et au non- dépassement des possibilités
financières de la société sollicitée.
On constate que la haute juridiction procède par
touches prudentes et entoure la prise en compte de l'intérêt du
groupe de conditions restrictives et sévères. Le verrouillage des
conditions d'admission de l'excuse du groupe n'est pas toujours favorable
à la prise de risque par les entrepreneurs, une évaluation fiable
du risque pénal n'est pas possible. Une telle menace risque d'entraver
l'esprit d'initiative et paralyser la prise de certaines décisions
nécessaires au développement du groupe. La
prévisibilité du risque pénal dépend du
caractère plus ou moins compréhensif des incriminations et
surtout de la bienveillance du juge à l'apprécier souverainement.
Une telle situation marquée par le manque de prévisibilité
et de visibilité constitue un obstacle à la gestion satisfaisante
du risque pénal pesant sur les dirigeants sociaux du groupe.
Il serait opportun au législateur de repositionner
l'abus de biens sociaux dans le cadre des entreprises liées en utilisant
l'incrimination comme un instrument de protection de l'intériJt social
immédiat de l'entité dominée ou contrôlée
pour empêcher que les entités sollicitées ne supportent les
sacrifices énormes dépassant leurs capacités
financières au profit des entités soeurs.
L'abus de biens sociaux pourrait aussi servir comme un
important levier de contrôle des pouvoirs privés
économiques en matière de répression de la corruption
transnationale. Les actes de gestion des différentes entités pris
globalement permettraient de détecter et de mieux prévenir la
corruption ou mieux les actes illicites117. Cela permettrait
d'imputer par exemple à
115 Le financement intra-groupe est développé de
nos jours au point où certains d'entre eux ont une banque du groupe
destinée à financer les entités du groupe. On a par
exemple le Toyota Financial Services consultable sur
www.toyotafinancial.com et
la General Motors Financial Services consultable sur
www.gmacfs.fr
116 K. J. HOPT, Le droit des groupes de sociétés,
expérience allemandes, perspectives européennes, Rev.
Sociétés, 1987, p.371-390
117 Arrêt Carpaye du 24 Avril 1992 et arrêt Carignon
du 27 Octobre 1997
la société mère les actes anormaux de sa
filiale qui tombent sous le coup d'une incrimination pénale.
Si l'on prend en compte l'objectif l'incrimination de
l'article 341-3 (4°), on se rend compte que le patrimoine social, que le
délit d'abus de biens sociaux est censé protéger, est dans
le cadre des pouvoirs privés économiques intégré au
patrimoine du groupe. Ici, l'intérrt du groupe prime sur
l'intérrt immédiat de l'entité prise isolément.
Logiquement l'abus de biens sociaux entre les filiales d'un mrme groupe ne sera
pas caractérisé si les conditions posées par la
jurisprudence Rozenblum sont réunies. Cela est perceptible en droit
fiscal qui reconnaît l'intérêt du groupe par la
reconnaissance aux groupes intégrés d'un statut fiscal
intégré118. Pour cela, le préalable serait de
consacrer un droit des groupes de sociétés. Cela permettrait au
juge de ne plus avoir à discerner selon les critères qui ne sont
pas toujours objectifs, les groupes non artificiellement structurés
ayant une politique clairement élaborée pour l'ensemble du groupe
de ceux qui ne profitent que de la séparation juridique des
entités pour limiter leur responsabilité. Les premiers seraient
traités favorablement par rapport aux seconds, à l'exemple des
groupes de droit et de fait consacrés par le législateur
allemand.
Sur un plan technique, l'admission de l'intérrt du
groupe permettrait d'assouplir le régime de l'infraction d'abus de biens
sociaux. D'abord, le caractère non intentionnel de l'incrimination en
sera affecté, car l'existence d'un groupe confère aux
incriminations en cause un particularisme modifiant l'élément
moral de l'infraction119 et partant la présomption de
mauvaise foi du dirigeant serait assouplie. De même sa répression
se fera dans le cadre du groupe et la responsabilité des dirigeants
sociaux du groupe en sera affectée.
La reconfiguration de l'incrimination de l'abus de biens sociaux,
bien que nécessaire pour l'encadrement du groupe, devrait toutefois rtre
encadrée.
118 S'agissant notamment de l'abandon de créances et de
déductibilité des aides apportées à une filiale en
difficulté. De même, dans son Rapport sur le projet
de loi de finances pour 2006, M. Philippe Marini, rapporteur
général de la commission de finances du Sénat,
considérait ainsi que le nouveau régime de lutte contre la
sous-capitalisation tendait « à privilégier
opportunément la logique de groupe intégré par rapport
à celle de l'individualisation des situations de sous-capitalisation
», et représentait « un pas important vers
l'émergence d'un véritable droit des groupes ».
119 B. Bouloc, Droit pénal et groupes d'entreprises,
Rev. Sociétés. 1988, p. 181 et s.
§ 2 : les limites de la flexibilité de
l'incrimination d'abus de biens sociaux au regard des pouvoirs privés
économiques.
Parler des limites de la flexibilité de l'abus de biens
sociaux au regard des pouvoirs privés économiques c'est se poser
la question de savoir jusqu'à quel point la prise en compte de ces
nouveaux acteurs de l'économie pourra influencer la
reconsidération de certaines infractions de droit économique. La
question n'est pas aisée, mais il est permis de dire qu'une
définition claire et précise des conditions d'admission de
l'excuse de groupe constituera un principe général permettant de
ne pas aller au-delà de certaines limites.
En considérant l'incrimination d'abus de biens sociaux,
la jurisprudence a posé des conditions sévères en
l'absence desquelles les agissements en cause tombent sous le coup de la loi
pénale. L'objectif poursuivi par cette jurisprudence est sans doute le
souci d'éviter que l'excuse de groupe puisse profiter aux groupes
clandestins qui ne sont pas structurellement liés et n'ont pas un
intérêt économique commun apprécié au regard
d'une politique élaborée pour l'ensemble du groupe. Le droit
pénal devrait toujours avoir en priorité ses fins et servir comme
instrument de dissuasion et de prévention de la commission des
délits, surtout en ces temps de crise imputée aux «
comportements gravement inconséquents » de certains chefs
d'entreprise120. La Chambre criminelle de la Cour de cassation
n'admet le fait justificatif de groupe que s'il n'entre pas en conflit avec le
but poursuivi par le droit pénal. La révélation du fait
justificatif tend à restituer la logique de l'incrimination,
c'est-à-dire à déterminer quelle est la valeur
protégée par l'incrimination et à éluder son
application lorsque la valeur protégée n'existe plus ou qu'une
valeur supérieure s'impose. Dans le cadre du groupe cette protection n'a
plus de raison d'r~tre car l'intérr~ t social est transcendé par
l'intérr~t commun du groupe auquel la société appartient.
L'intérr~t commun devient la contre-valeur protégée par le
fait justificatif. Cette démarche permet de restituer au droit
pénal son but, ce qui est d'autant plus important en la matière,
que l'incrimination pénale doit rtre strictement nécessaire et
justifiée au titre du principe de légalité pénale
et plus largement de la théorie de l'incrimination121 .
Ainsi qu'il a été démontré,
l'excuse de groupe devrait plutôt profiter au groupe structuré
contractuellement pour ce qui est de l'appréciation de l'incrimination
d'abus de biens sociaux. En outre, elle pourra servir comme instrument de
contrôle des groupes de fait en permettant de sanctionner les
déviations suspectes de la société dominante qui, sans
120 D. Rebut, Où en est le rapport Coulon, In les Echos,
24 octobre 2008, p.12
121M.-E. Boursier, « Le fait justificatif de
groupe dans l'abus de biens sociaux, entre efficacité et
clandestinité (analyse de 20 ans de jurisprudence criminelle) »,
Rev. Sociétés. 2005, p.273 et s.
contrat, commanderait dans son propre intérêt les
délibérations ou les actes de la société
dominée. On pourra appliquer cela dans les relations entre entreprises
intégrées et le pôle intégrateur, les premiers sont
coupés du marché par le second et ne sont pas
matériellement autonomes. Leur pratique commerciale est dictée
par le pôle intégrateur et il pourra arriver que des actes de
gestion leur soient imposés par celui-ci à leur détriment.
Cela permettrait que la société dominante respecte
l'intérrt social de la société dominée à
défaut de contrat d'affiliation. De même, la
sévérité de la sanction pénale des abus de biens
sociaux commis dans le cadre des groupes de fait au bénéfice du
pôle intégrateur et au préjudice de l'entité
dominée est un facteur d'encouragement des pouvoirs privés
économiques à se structurer et à s'intégrer pour
bénéficier de la bienveillance du juge dans
l'interprétation de l'incrimination de l'article 241-3 (4°) du Code
du commerce.
Une telle démarche pourra être utilisée
pour reconfigurer et réadapter certaines incriminations qui s'illustrent
mieux dans le cadre du groupe. C'est ainsi que le droit de la consommation
pourra être reconfiguré en prenant en compte le cadre du groupe
pour mieux ajuster les sanctions pénales aux pratiques commerciales
trompeuses ou agressives.
Quel que soit le mode de réadaptation choisi par le
législateur, il va sans doute s'avérer que certaines sanctions
pénales ne soient plus adaptées et par conséquent
devraient rtre remplacées par les sanctions d'une autre nature.
Section II : L'opportunité des mesures de
substitution à la sanction pénale.
Face à l'inadéquation de certaines sanctions
pénales en matière de groupes, notamment en droit de la
consommation, il serait loisible d'opter pour les autres types de sanction,
civile ou administrative. La responsabilité civile pourrait être
substituée à la responsabilité pénale, à
l'égard des actes qui constituent plus des erreurs de gestion que des
actes délibérément malhonnêtes et des fautes non
intentionnelles. Le droit pénal serait recentré sur des actes
malhonnêtes et graves. Les fautes non frauduleuses pourraient relever de
la responsabilité civile.
C'est ainsi que l'action de groupe pourrait convenir à
sanctionner certaines inobservations du droit de la consommation (§ 1) et
que certaines sanctions de natures administratives pourraient être
revigorées (§ 2).
§ 1 : L'introduction de l'action de groupe au profit
du consommateur.
La particularité de l'action publique, action pour la
mise en oeuvre du droit pénal, est qu'elle a pour objet de
rétablir le trouble qu'a souffert la société, les victimes
directes de l'infraction ne sont prises en compte par la procédure
pénale qu'à titre subsidiaire. Or, il a été
démontré que les agissements inadmissibles des pouvoirs
privés économiques contre lesquels se déploie le droit
pénal portent gravement atteinte au bien-être individuel et
collectif des consommateurs, destinataires directs des prestations des acteurs
économiques. De même, les sanctions pénales, bien que
dissuasives et exemplaires à l'endroit des opérateurs
économiques, ne sont pas toujours à la mesure des
préjudices soufferts par les consommateurs. C'est le problème de
l'efficacité mrme de la sanction pénale qui ne remplit pas la
fonction expiatoire du droit pénal lorsqu'elle s'attache aux
délits économiques.
L'introduction des recours de nature civile, mais de nature
expiatoire, serait plus efficace pour la répression de certains types de
comportements inadmissibles et la réparation des préjudices
sanitaires du fait des produits délictueux préjudiciables aux
consommateurs. Les recours de nature civile seraient même plus
appropriés pour la sanction des infractions non intentionnelles. Le
droit pourrait céder le terrain à ce niveau à ces types de
sanctions ou réguler concurremment avec elles, pour ne pas laisser en
marge de la réprobation pénale certains comportements dont le
caractère frauduleux peut être avéré. Il a
été démontré que la décision des agents
économiques, rationnels et maximisateurs, de recourir aux comportements
injustifiables et inadmissibles pour faire du profit repose sur une analyse
coût-avantage entre le coût certain de la condamnation et
l'espérance de gain liée à une
non-condamnation122. Or si les consommateurs avaient une action leur
permettant de rétablir par voie contentieuse l'équilibre entre
eux et les professionnels rompu par les contrats d'adhésion, la
dissuasion serait accrue. C'est ainsi que l'introduction de l'action de groupe
en droit français constituerait l'aboutissement nécessaire et
logique de la législation favorable au consommateur entamée par
la Loi n° 78-23 du 10 janvier 1978 dite « loi Scrivener ».
L'action de groupe ou « class action » dans la
terminologie américaine, est une voie de droit ouverte par la
procédure civile, permettant à un ou plusieurs personnes
d'exercer, au nom d'une catégorie de personnes (classe) une action en
justice. Il a pour but d'organiser le rééquilibrage par la voie
judiciaire, des rapports entre le faible et le fort. A ce titre, elle
122 T. KIRAT et F. MARTY, Economie du droit et de la
règlementation, Gualino Eds, 2007, p. 90
constitue un nouvel instrument de régulation des
puissants acteurs économique, qu'il convient de placer parfois devant
leurs responsabilités. De nombreux pays européens comme
l'Angleterre, le Portugal, le Pays de Galles ou la Suède disposent
déjà d'une action de groupe qui a fait ses preuves.
L'action de groupe permet ainsi à un ensemble de
victimes de comportements fautifs, illégaux ou contraires aux contrats
conclus, d'obtenir la juste réparation du préjudice subi. Le
formalisme du droit pénal ne permet pas au juge répressif de
prendre en considération le préjudice subi par tous les
consommateurs ou une partie importante d'entre eux. Il est limité dans
son action par les principes de proportionnalité, de
légalité, de personnalité de la peine. Il ne peut pas
s'autoriser l'audace nécessaire de réparer les préjudices
subis par les milliers, voire les millions de consommateurs, victimes de
comportements fautifs des professionnels, ce qui a pour effet de laisser entre
leurs mains le bénéfice des comportements illégaux. Cela
est justifié par l'objet mrme de l'action publique. De mrme, l'absence
d'accès gratuit à la justice, la complexité de la
procédure, le coût de la justice et la technicité des
règles juridiques conduisent généralement le consommateur
isolé à renoncer à toute action, abandonnant ainsi au
professionnel le bénéfice de son infraction. Ce qui constitue une
atteinte inacceptable à l'état de droit.
L'exemple de l'entente anticoncurrentielle et illégale
entre les opérateurs de téléphonie mobile est
éclairant. Cette entente a été sévèrement
condamnée par voie d'amende par le Conseil de la concurrence puisque
près de 20 millions de personnes ont été
déclarées victimes par cette Autorité administrative
indépendante. L'association de consommateurs UFC-Que Choisir a
engagé une action au nom de l'intérrt collectif des consommateurs
et a proposé aux victimes de se joindre à sa procédure.
Elle a affecté un personnel spécifique pour aider les
consommateurs à constituer leurs demandes de réparation. 300.000
personnes se sont inscrites sur le site Internet créé à
cet effet ; après 10 mois de travail, et 500.000 euros de frais de
gestion, seulement 12.521 dossiers ont pu rtre finalisés et
acheminés par camion jusqu'au tribunal chargé de trancher
l'affaire. 12.521 demandeurs sur près de 20 millions de victimes, c'est
0,06 % des victimes qui seront peut-rtre indemnisées. C'est une rente
inacceptable accordée aux opérateurs économiques ne
respectant pas volontairement l'état de droit123.
Mis à part les effets pervers que cette action seraient
susceptible d'engendrer et son impact négatif sur la
compétitivité des firmes et l'incitation à l'innovation,
elle présente
123 Voir exposé des motifs de la proposition de Loi
N° 324 enregistrée à la présidence de
l'Assemblée Nationale le 24 Octobre 2007 et relatif à
l'introduction en France de l'action de groupe, présenté par le
député Arnaud Montebourg et le groupe socialiste.
l'avantage d'inciter les consommateurs s'estimant victimes
d'un comportement fautif de la part d'un professionnel et inefficacement
réprimé par le droit pénal, d'ester en justice et de faire
condamner le professionnel. L'action de groupe serait une voie ouverte aux
consommateurs pour rééquilibrer leurs rapports avec les
professionnels, déséquilibrés du fait de nombreux contrats
d'adhésion qui ne sont en substance pas des contrats, mais des «
règlements privés ». L'équilibre mis à mal
pourrait rtre rétabli grkce aux larges pouvoirs qu'offre cette action au
juge. Il exerce généralement un contrôle étroit sur
la procédure et dispose d'une importante marge de manoeuvre sur la
recevabilité de l'action et exerce un contrôle sur les
transactions qui peuvent être conclues, le plus souvent par une
procédure d'homologation. Le droit pénal devrait prendre en
considération ces expériences pour se repositionner et
céder certains terrains aux procédures plus efficaces, surtout
que cette procédure contraint les pouvoirs privés
économiques à respecter la loi mrme en l'absence d'incrimination
pénale.
De même, face à la lenteur de la justice
pénale et l'absence d'incrimination suffisante en d'autre matière
importante comme le droit de l'environnement, les sanctions de nature
administratives devraient être utilisées pour faire cesser
certains agissements condamnables que n'appréhende pas le droit
pénal.
§ 2 : L'opportunité du recours aux sanctions
administratives régulatoires.
Les sanctions administratives ont la particularité de
revêtir les véritables caractères d'une sanction
répressive, mais administrées par une autorité non
judiciaire. Elles se sont développées ces dernières
années avec la multiplication des autorités administratives
indépendantes et la sectorisation de l'économie. C'est le souci
d'efficacité et de célérité dans la réaction
sociale qui semble avoir motivé les autorités à
développer l'empire des sanctions administratives. De même, le
Conseil constitutionnel a admis « qu'aucun principe ou valeur
constitutionnelle ne fait obstacle à ce qu'une autorité
administrative, agissant dans le cadre des prérogatives de puissance
publique, puisse exercer un pouvoir de sanction »124.
Une sanction administrative est une mesure répressive.
Dans le cadre de leur application aux pouvoirs privés
économiques, les sanctions administratives seraient adaptées aux
infractions dont les sanctions prévues par les textes ne sont pas
assorties de mesures
124 Décision n° 89-260 DC du 28 juillet 1989
privatives de liberté. Elle intervient pour «
punir » un comportement et en éviter la
réitération125. Ainsi qu'il a été
démontré, une finalité essentiellement répressive
caractérise la sanction126. Le fait qu'elles soient
infligées sans saisine préalable, immédiatement
exécutoires, sans délai et selon une procédure plus facile
à mettre en oeuvre que la procédure pénale rend la
sanction administrative plus respectueuse des intérêts des
professionnels en ce sens qu'elle est discrète, facilement
acceptée et moins traumatisante que la sanction pénale.
On découvre aussi peu à peu que plus
l'application des sanctions administratives se judiciarise, conformément
aux principes constitutionnels et européens, plus les voies
parallèles se développent au détriment de la voie
strictement pénale qui connaît aujourd'hui un nombre limité
de délits économiques. Depuis trente ans, le domaine des
sanctions administratives s'est considérablement
développé, occasionnant le repli du droit pénal strict,
car les autorités en charge des secteurs particuliers de
l'économie jouent tantôt le rôle d'autorité
administrative, tantôt, par la sanction par voie d'amende pénale
des acteurs fautifs des secteurs dont elles ont la charge, celui d'une
quasi-juridiction répressive127. Cela a marqué
l'émergence d'un véritable droit pénal administratif.
Le redéploiement du droit pénal ne voudrait pas
dire repli du droit pénal, mais appropriation par le droit pénal
des autres modes de sanctions adaptées à l'environnement qu'il
entend réguler. Il ne fait pas de doute que seule la menace
pénale parvient, en fait, à faire renoncer à certaines
tentations les pouvoirs privés économiques. Le grand avantage des
sanctions de nature administrative apparaît dans le fait qu'elles se
situent entre la prévention et la répression, qu'elles se
déploient plus efficacement contre les infractions d'une
technicité excessive. De mrme, l'autre avantage des sanctions
administratives réside dans le fait que son régime est plus
souple que celui des sanctions pénales stricto sensu en ce sens
qu'une définition précise de l'infraction sanctionnée
n'est pas imposée, tout comme la part réduite de
l'élément moral, essentiel en matière pénale. Les
sanctions administratives peuvent donc constituer une alternative
répressive pour combler et compenser les lacunes du droit pénal
économique trop dépendant du principe de la
légalité. Elles se développent dans les missions
assignées aux autorités administratives indépendantes en
charge des secteurs important de l'économie128 .
125 CE Avis, 27 Septembre 1999, Rouxel, Rec., p. 280
126 CE, 20 Décembre 2000, Sté A conseil finance
127 Cette qualification de quasi-juridiction est due au fait que
les droits de la défense sont respectés, voir CE, S., 5 mai 1944,
Dame veuve Trompier-Gravier, Rec. Lebon p. 133
128 Voir Infra, Titre II, Chapitre I
/ IrYp1EFDpreIrl'efIIFIFllprGes autres modes de sanctions
développés plus haut pose le SIRECP erP r P erGiXrGRP
11QerGiXrGrRitrSpQaIreQrGIRBrpFRQRP lliXe.r/ 'RE rYDERQrSHP HrGe r plaider en
faveulrG'iXQrIIFeQtragerGiXrGURIIrSpQTl économique autour des
infractions intentionnelles et frauduleuses et dans le domaine où
\arQpF1M13prQ'EstrS11r1 rr1P InirlQ r question.
Chapitre II : Le recentrage du droit pénal
économique face aux pouvoirs privés économiques.
Les développements ci-dessus ont
révélé l'affaiblissement de l'ordre public pénal
dû à sa capture par les pouvoirs privés économiques
et son inadaptation à réguler le marché au moyen de ses
mécanismes traditionnels. Le droit pénal à l'état
actuel est d'une utilité limitée pour dissuader les acteurs
délinquants du marché. #172;~ l'épreuve des agents
privés de la mondialisation, il est un outil, parmi tant d'autres, de
dissuasion et de prévention contre le développement de la
délinquance transnationale, mais son efficacité est
grippée par ses contradictions internes. L'inadaptation de certains de
ses principes directeurs et la concurrence des autres systèmes de
sanction jugés plus efficaces sont autant d'éléments
militant en faveur de son recentrage. L'efficacité affichée des
autres modes de sanction (dommages et intérêts punitifs et amendes
pénales) est à relativiser dans la mesure où, ce sont les
détenteurs d'actions ou les consommateurs qui assument les frais des
condamnations records auxquelles sont condamnées les grandes
entreprises. La dissuasion pénale demeure donc utile, mais pour
être efficace, le droit pénal devrait se recentrer.
Afin de faire face aux nouveaux défis que sont la lutte
contre l'impunité organisée des pouvoirs privés
économiques à l'échelle transnationale et la
rééquilibrage des rapports entre les valeurs marchandes et celles
qui ne le sont pas, le droit pénal pourrait tirer avantage des
engagements et des failles de la soft Law, des techniques
d'organisation du marché pour se refaire un nouveau visage et renforcer
son efficacité sans trop bouleverser ses fondements. Puisque
l'intériJt que le droit pénal protège dépasse les
frontières, la norme pénale devrait aussi en tenir compte. Les
agissements inadmissibles des acteurs du marché obligent le droit
pénal à renoncer à l'approche auto-centrée qui
limite son champ d'application à la seule protection des
intérêts protégés nationaux. La preuve en est que la
répression pénale effective des agents privés
économiques par l'application des règles nationales aboutit
rarement au prononcé d'une sanction pénale. S'il est admis que
l'incrimination et la sanction remplissent une fonction d'intimidation en ce
sens qu'elles assurent la prévention de certains comportements, la
rareté des poursuites tend, avec d'autres facteurs, à ruiner
l'effet dissuasif escompté et à dévaloriser le droit
pénal comme outil de régulation des acteurs du marché
global.
Ainsi qu'il a été démontré,
à l'épreuve des pouvoirs économiques, le droit
pénal se revigorerait en s'accentuant sur la répression des
infractions graves, révélatrices de fraudes,
qui mettent en cause la pérennité du
marché et les valeurs auxquelles le marché doit se soumettre.
C'est en revigorant donc les catégories telles la complicité, le
recel que l'ordre public pénal pourrait avec ses moyens actuels
réprimer efficacement les fraudes imputables aux pouvoirs privés
économiques. Il en sera ainsi en matière de répression
effective de toutes les infractions graves (section I) et d'atteintes aux
intérêts publics (section II).
Section I : Le recentrage autour des infractions
graves.
Il s'agira ici de systématiser les conditions dans
lesquelles les puissants agents économiques peuvent être mieux
régulés pénalement dans le contexte aussi mouvant de la
mondialisation. Dans sa définition générale, « le
droit pénal est l'ensemble des normes juridiques qui règlementent
le recours de l'État à la sanction pénale
»129. On perçoit à travers leurs manifestations
que les pouvoirs privés économiques sont des formes de pouvoirs
« dangereuses » qu'il faut canaliser et placer sous la
tutelle pénale des infractions tant de droit commun (§ 1)
qu'économique (§ 2) , afin d'obtenir d'eux un comportement vertueux
en tout lieu.
§ 1 : Le recentrage autour des infractions de droit
commun.
Il ne s'agira pas de reprendre ou de faire un inventaire des
infractions portant atteinte à l'intériJt des destinataires
directs ou indirects des acteurs économiques de la mondialisation et
susceptibles de leur être imputées. Il sera question ici de
s'interroger sur les conditions d'une efficacité réelle du droit
pénal contre les abus des entreprises en réseau, notamment les
moyens dont dispose le juge répressif pour lutter contre
l'impunité des acteurs transnationaux. La généralisation
de la responsabilité pénale des personnes morales est la marque
de la prise en compte par le législateur du fait que les
activités des entreprises mettent en jeu le bien-être de millions
de personnes. C'est ainsi que toutes les infractions peuvent leur être
reprochées et imputées. Mais à l'analyse, le droit
pénal ne s'impose pas à cette catégorie de
délinquants comme il s'impose aux infracteurs de droit commun,
malgré le fameux principe de l'égalité des tous devant la
loi. A dire vrai, le caractère sophistiqué des faits qui leur
sont généralement
129 J.-H. ROBERT, Droit pénal
général, 5e éd., PUF 2001, p. 50
reprochés désarme le droit pénal, qui est
d'après l'article 111-4 du Code pénal, «
d'interprétation stricte ». Le fait que tout soit de droit
étroit en matière pénale empêche aussi au juge
d'avoir une audace qui lui permettrait d'assurer une répression efficace
des atteintes graves aux valeurs sociales
protégées130. De même, le droit pénal est
dévoyé par le fait que ces acteurs ont trouvé une nouvelle
parade pour mettre fin aux actions tant publiques que civiles intentées
contre eux devant le juge répressif131.
Pour mettre un terme à ces stratégies
d'évitement du droit pénal, le juge répressif devrait
pouvoir donner un contenu matériel adapté aux infractions
reprochées aux pouvoirs économiques dont ils ne sont
généralement pas les auteurs directs, mais en sont
généralement bénéficiaires. Il en est ainsi de la
mise en oeuvre de la complicité définie par l'article 121-7 du
Code pénal comme le fait de la personne qui sciemment, par aide ou
assistance, a facilité la préparation ou la consommation d'un
crime ou d'un délit. Est également complice la personne qui par
don, promesse, menace, ordre, abus d'autorité ou de pouvoir aura
provoqué à une infraction ou donné des instructions pour
la commettre.
La lettre de cette disposition du droit pénal positif
est dénuée de toute ambigüité. De portée
générale, ce texte s'applique à toutes les infractions
à moins qu'un texte spécial n'en ait ordonné
autrement132. Or il a été rapporté dans les
développements précédents que les multinationales sont
généralement accusées de complicité de commission
d'infraction de droit commun par leurs partenaires, personnes publiques ou
privés133. La lecture de la jurisprudence relative à
la répression des faits reprochés à ces acteurs
déçoit et donne l'impression d'une justice de classe. La raison
peut aussi être trouvée dans le fait que le juge
130 Le juge doit se soumettre aux principes directeurs et doit
veiller à leur respect par les autorités de poursuite. Il est le
gardien des libertés.
131 Les acteurs transnationaux, sujet de droit pénal
selon le principe de la responsabilité des personnes morales,
échappent à la répression en transigeant avec les parties
poursuivantes, présumés victimes de leurs agissements. L'exemple
en a été donné avec l'affaire des présumés
travailleurs forcés contre la multinationale Total. Cette
dernière a d€~ débourser 5 millions € pour obtenir de
ses présumés victimes, la renonciation aux poursuites. L'affaire
a été réglée par une ordonnance de non-lieu. Dans
une autre espèce aux faits similaires mettant en cause le géant
pétrolier Shell, la firme a déboursé 15.5 millions $ pour
obtenir de ses accusateurs la renonciation aux poursuites. Voir infra
132 Crim. 24 nov. 1980, Bull. Crim . n° 314
133 Affaire Total précitée et surtout l'affaire
Afrimex, accusé de complicité de crimes de Guerre en
République Démocratique du Congo. Cette firme est accusée
par l'ONG Global Witness de verser des « impôts » aux
différents protagonistes du conflit armé qui déstabilise
ce pays pour assurer l'exploitation des minerais dont elle est concessionnaire.
Les « impôts » qui servent au financement du conflit.
De même, dans l'affaire de la firme anglo-hollandaise
Shell, accusée de complicité dans l'élimination par
pendaison d'un écrivain et leader écologiste nigérian et
le massacre des villageois de l'ethnie Ogoni par le régime du dictateur
Sani Abacha en 1995, les exactions ayant abouti au massacre auraient
été perpétrées avec le soutien logistique de la
filiale nigériane du groupe selon Global Witness.
répressif ne se saisit pas lui-même, il est saisi
selon les cas soit concurremment par la ou les victimes et le ministère
public soit exclusivement par le ministère public. Celui-ci a le
monopôle de poursuites des infractions commises hors du territoire de la
République : « dans les cas prévus aux articles 113-6 et
113-7, la poursuite ne peut rtre exercée qu'à la requrte du
ministère public Elle doit rtre précédée d'une
plainte de la victime ou de ses ayants droit ou d'une dénonciation
officielle par l'autorité du pays où le fait a été
commis »134. Ce texte confronté à la
réalité des faits reprochés aux pouvoirs privés
économiques, a tout d'un véritable anachronisme judiciaire en ce
sens que le sort du droit dépendrait de la volonté du pouvoir
politique auquel le ministère public est hautement subordonné. Le
Parquet garde la haute main sur les conditions d'une réelle et efficace
répression des délits susceptibles d'r~tre imputés aux
acteurs privés de la mondialisation dans la mesure où même
une constitution de partie civile ne pourra pas obliger le juge à
statuer et dire le droit135. Aussi, le fait que les victimes sont
souvent des citoyens anonymes et généralement sans ressources
combiné avec l'impossibilité matérielle dans de nombreux
cas de dénonciation officielle par l'autorité du pays où
le fait a été commis, rend encore plus illusoire la poursuite des
faits répréhensibles dont les pouvoirs privés
économiques peuvent être auteurs ou complices.
La solution idéale serait de donner la qualité
aux Organisations Non Gouvernementales spécialisées de pouvoir
mettre en mouvement des actions devant le juge répressif contre les
acteurs économiques transnationaux, surtout en matière de droits
de l'Homme. Cela nécessite un assouplissement des conditions de
recevabilité des actions répressives fondées sur des
dispositions à caractère extraterritorial comme les articles
113-6 et 113-7 du Code pénal. Si ces obstacles de procédures
pourraient être transcendés, la responsabilité de
construire un droit international pénal des multinationales reviendrait
au juge de fond. Celui-ci devrait, comme il l'a fait en matière
d'encadrement du pouvoir politique, encadrer le pouvoir économique par
sa jurisprudence. Il devrait oeuvrer manifestement pour la construction d'une
économie de droit comme il a oeuvré en matière de
construction de l'Etat de droit. La « raison du marché
», tout comme la raison politique autrefois, ne devrait pas
prospérer face à la mise en oeuvre sereine et dynamique des
dispositions actuelles du Code pénal.
Le droit serait respecté par les multinationales
partout de la même manière, dans les pays d'origine ou de
siège de la maison-mère comme dans les pays d'accueil des
investissements destinés à leurs activités de production
plus porteuses de risque et donc de
134 Article 113-8 du Code pénal
135 Crim. 7 avril 1967: Bull. crim. N° 107
commission d'infractions. L'infraction reprochée
à la filiale pourrait rtre reprochée directement à la
maison mère si le système judiciaire du pays d'accueil des
investissements est laxiste et inefficace, mais à condition que la
personnalité juridique du groupe soit consacrée. Cette
dernière question est le défi auquel est confronté le
législateur répressif. Le sort de la répression des
atteintes de dimension transnationale aux droits fondamentaux dépend de
la volonté et de la capacité du législateur à
saisir le phénomène de délocalisation de la
criminalité transnationale.
§ 2 : Le recentrage autour des infractions
d'affaires.
Il a été démontré dans la
première partie les déficiences du droit pénal
économique, dues au caractère si changeant du monde des affaires
et à l'apparition des nouveaux acteurs et des nouveaux territoires de
délinquance économique. Ainsi, les acteurs privés
économiques qui méconnaîtraient les exigences
légales et règlementaires favorables à la protection de la
santé des populations ou au bien-être du consommateur devraient en
payer le prix devant le juge répressif. Mrme s'il est admis que le droit
pénal n'a qu'une vocation subsidiaire, il est souhaitable que
pour assurer l'égalité de tous devant la peine, le droit
pénal commun s'applique chaque fois qu'un régime
spécifique ne paraît pas justifier l'efficacité de la
répression. Or le régime spécifique de droit pénal
économique ne semble pas efficace face à la délinquance
des pouvoirs privés économiques.
Il a été démontré que les
règles formelles, en l'occurrence la personnalité de la peine, ne
permettaient pas la répression effective des pouvoirs privés
économiques, véritables mosaïques de sociétés
disposant chacune de la personnalité juridique. On est donc ici en face
d'un être économique qui a plusieurs visages juridiques, ce qui
lui permet de maitriser son « risque pénal » tout en tirant
une plus-value de l'activité criminelle de son entité juridique
délinquante.
Les pistes d'une adaptation pouvant permettre de pallier cette
déficience sont nombreuses. Au-delà de la complicité qui
peut toujours être établie pour passer outre le principe de la
personnalité de la peine et remonter au centre de décision en
retenant la responsabilité pénale du groupe, le juge
répressif dispose d'autres techniques. C'est ainsi, peut-il faire
recours à la mise en oeuvre du recel pour punir les vrais responsables
de la délinquance économique. Par exemple dans le cas des
infractions commises par des filiales, la
responsabilité du centre de décision, la
maison-mère qui contrôle la filiale, pourrait être retenue
sur le fondement de recel de produit d'XQeIiQIIrFtERQ. ,CrifeléP
RQtréaXe les rJeQte économiques sont des êtres rationnels
et P ri IP IsrMXIV,ITO Q'rJBM-QtMXFIXIDWJriQs SERIL sont supérieurs au
cRMXQeTFRQGrP Qr11RQ.12 UESrrRDMIKIrOWIlM JrRXSIVS1XCeQt, après une
analyse économique du coût et des gains de leurs actions ou
omissions, commettre des délits ou des crimes tout en exposant
pénalement la filiale, mais en tirant un avantage plus grand dans le
cadre du groupe. 2 Q SRXrrrLSIIQPRegi IP Sall'XQ JIRXS11qXESrr XQe1110rlD
située sur un marché dominé par un concurrent, choisit de
porter atteinte à la structure du marché en procédant
à des pratiques de prix non conformes aux usages de commerce et
constituant des P R\1Qs d'rttrrFtiRQ et de SIgrtERQ.E,CEI'rJ Dilà 3- la
pratique des prix abusivement bas SIRsFIEMSrMrLIFlD11. 420-5 du Code de
commerce: « sont prohibées les offres de prix ou pratiques de
prix de vente aux consommateurs abusivement bas par rapport aux coûts de
production, de transformation et de commercialisation, dès lors que ces
offres
RXE SrDtiqXIsERntE SRXrERbjItERXE SIXYIntEDYRirE
SRXrEIffItEO'pliminer O'XnE P DEFNpERX E OUI P Sr PNILEOfDccpOI1E1 EX(E P
DUNpEX(IEIQrI SLisIERXElIX(EOIEIIiE STROXli* ». On se rend compte que
par une filiale, un groupe peut par des pratiques peu orthodoxes évincer
son concurrent du marché et y régner en position de monopole. Le
droit de la concurrence saisit mieux cette stratégie des pouvoirs
privés économiques que le juge pénal à travers la
répression de la revente à perte136. Le droit
pénal quant à lui réprime également de tels
agissements qui tombent sous le coup des dispositions pénales, mais ne
tient pas compte de la destination des profits de cette pratique
délictueuse. Les profits tirés de telles activités sont
constitutifs de bénéfice de la société qui est
redistribué par la suite aux actionnaires en terme de dividendes. La
maison-mère qui, en pratique, donne les ordres et définit la
politique économique du groupe, donc de ses entités, recueille
donc sous forme de dividende le fruit C'XQPrFUllieliliFtXEXsIU
Au lieu de poursuivre la filiale délinquante, on se
rend compte que la mise en cause du centre de décision pour recel est
possible, prr XQe11QtIISIItrtERQ d QrP iqXe de l'article 321-1 du Code
pénal qui dispose : « le recel est le fait de dissimuler, de
détenir ou de transmettre
XnIEFNRII,ERXEOIEfDirIERfficIEO11ntI1 P pOlaire afin de la
transmettre, en sachant que cette
136 $ IQsi, eMrSXQi3srEOBr reNFQt14 SIDI dHSIRdXit SrE XQe
FIQtrrlW31rFKrt à NINIUrlOEs, F11st ce qui a
été retenu par la Chambre criminelle de la CRXr 11Frs4r11RQ,:3rQs
l'rFIrRI Drrty dX 21 jXin 1993, où elle a approuvé la
CRXMrSSHX113rIB qXIrvrit rFjefé l'rrJXP eQtrtlRQ d'XQeIFeQerlDEIrFKrt
qXi IMP rBMXMIQtlKiF\iRQ 1111rMlQt14 S1131 Qe11Xi erit Srs rSSaFrE0111s
lRUeqXegileffllQ3r13Y une autre société du même groupe.
Crim., 23 juin 1993, Bull., n° 219 (2) (cassation partielle)
chose provient d'un crime ou d'un délit Constitue
également un recel le fait, en connaissance de cause, de
bénéficier, par tout moyen, du produit d'un crime ou d'un
délit Le recel est puni de cinq ans et de 375 000 euros d'amende
». La mise en oeuvre stricte de cette incrimination dans les groupes
de sociétés aura pour effet de remonter aisément au centre
de décision et engager la responsabilité pénale du groupe.
L'expression « en connaissance de cause » ne ferait aucun
obstacle dans l'administration de la preuve dans la mesure où, par
hypothèse, la politique du groupe est élaborée par le
centre de décision du groupe. Une fois encore l'exemple des
multinationales est saisissant. Prenant l'exemple de l'affaire Shell dont la
filiale nigériane était poursuivie devant le juge
répressif nigérian pour complicité de graves violations de
droit de l'Homme avec l'Etat nigérian (la firme avait été
innocentée par la justice nigériane), on se rend compte que les
profits générés par cette activité fortement
contestée servant de base à des violations de droits de l'Homme
reviennent à la maison-mère sous forme de dividende. Une analyse
et application stricte du texte sur le recel permettrait de mettre en cause le
centre de décision pénalement.
On se rend compte qu'avec les moyens de droit pénal
général, le juge répressif pourrait aisément
réguler les pouvoirs privés économiques, mais à
conditions que les obstacles tenant à la forme s'estompent un peu et que
le ministère public s'y implique comme c'est le cas en matière de
fraude aux financements public.
Section II : Le recentrage autour des fraudes aux
intérêts publics.
On approuve tout à fait l'importante croissance des
acteurs économiques privés dans le sens d'une croissance
économique, mais à condition que les intérêts
publics ne soient pas sacrifiés à des intérêts
privés et particuliers, et que les intérêts publics ne
soient non plus dépendants de la puissance désormais
réelle des pouvoirs privés économiques. C'est
désormais une évidence que pour ces derniers, le droit
pénal est avant tout un risque qu'il faudrait contourner, car ils
n'apprécient pas la rigidité du droit pénal et souhaitent
être libérés de toute entrave. Reste que les
finalités du droit pénal ne permettent pas que les
intérêts de la communauté cèdent devant ceux d'une
catégorie d'acteurs.
C'est dans son rôle de répression des fraudes aux
intérêts de la communauté que le droit pénal
s'attachera à sévir contre les atteintes à la transparence
et au libre accès aux marchés publics (§ 1) et à
loyauté dans la pratique des affaires (§ 2).
§ 1 : La répression effective des atteintes
à la liberté d'accès aux marchés publics.
Les marchés publics « sont les contrats
conclus à titre onéreux entre les pouvoirs adjudicateurs
définis à l'article 2 et les opérateurs économiques
publics ou privés, pour répondre à leurs besoins en
matière de travaux, de fournitures ou de services ». Telle est
la définition qui ressort de l'article 1 du Code des marchés
publics dans sa version de 2006. On se rend compte qu'il s'agit d'une
opération dans laquelle la personne publique renonce à son
pouvoir unilatéral et se situe sur le champ contractuel face à un
opérateur économique public ou privé en vue de conclure un
contrat répondant à ses besoins de travaux, de fournitures ou de
services. Malgré la précision de la qualité publique ou
privée de l'opérateur économique, dans les faits, les
soumissionnaires aux marchés publics sont généralement des
opérateurs privés, des entreprises. L'opération de
marché public requiert une attention particulière de la part de
la communauté des citoyens tant il est vrai que c'est elle qui la
finance à travers l'impôt. C'est la raison pour laquelle, toute
atteinte aux exigences de concurrence et de libre accès ou de
transparence doit être réprimée.
Les marchés publics mettent en jeu les deniers publics,
le montant global de la commande publique dans la Communauté
européenne représentait 720 milliards d'euros en
137biens et service dans l'Europe des quinze, soit
11.5% du PIB des quinze pays réunis, et attirent les convoitises.
Certaines entreprises peu scrupuleuses sollicitent les acheteurs publics pour
obtenir des marchés et faussent les règles du jeu en la
matière. De mrme, l'accès aux marchés publics est un enjeu
majeur dans la mesure où les opérateurs économiques
dominants tels les pouvoirs privés économiques auraient tendance
à en priver les petites et moyennes entreprises par des pratiques
contestables. Pourtant, l'une des vocations des marchés publics est de
contribuer à la satisfaction de l'intérrt général
pour lequel le droit pénal est utilisé afin de sanctionner les
atteintes. Ceci passe généralement par une mise en concurrence
des candidats potentiels. Or les grandes entreprises sont suspectées par
les petites et moyennes entreprises de les écarter de l'attribution des
marchés en recourant aux pratiques contestables qui tombent sous le coup
des délits de favoritisme et de corruption. Celles-ci seraient fortement
intéressées par l'obtention des marchés publics dans la
mesure où elles procèdent généralement à la
sous-traitance toujours dans le cadre du groupe, à la faveur de la
diversification de leurs activités.
La pénalisation des marchés publics est donc un
moyen d'encadrer les pouvoirs privés économiques et d'emprcher
qu'ils ne spéculent au détriment des contribuables et n'utilisent
leur puissance financière pour constituer des « barrières
à l'entrée » pour la soumission aux marchés publics.
Les manquements au devoir d'impartialité et de transparence dans la
dévolution des marchés publics a une conséquence grave
dans la mesure où le seul perdant est en fait le contribuable,
car c'est lui qui finance les marchés et paie les «
pots-de-vin » dans les prix des adjudications faussées ou dans la
diminution de la qualité des travaux ou prestation attendus
l'opérateur. C'est la raison pour laquelle le champ de la
répression est large et atteint à la fois la personne
privée économique par l'incrimination de la corruption et le
fonctionnaire par l'incrimination du favoritisme. Cette répression ne
concerne pas seulement l'auteur ou le coauteur de l'infraction, mais
également toutes les personnes qui, à des degrés divers
(complice ou recel), ont commis les faits constitutifs des délits de
favoritisme, de prise illégale d'intérrts ou de
corruption138.
137 F. GESCAUD, Livre vert de la Commission : les
marchés publics doivent jouer l'ouverture, MOCI 19/26 décembre
1996, p. 15, cité par P. REIS, La concurrence et les marchés
publics, Thèse Nice, 1999, p. 9
138 Voir article 432-14 du Code pénal réprimant
le favoritisme: « Est puni de deux ans d'emprisonnement et de 30000 euros
d'amende le fait par une personne dépositaire de l'autorité
publique ou chargée d'une mission de service public ou investie d'un
mandat électif public ou exerçant les fonctions de
représentant, administrateur ou agent de l'Etat, des
collectivités territoriales, des établissements publics, des
sociétés d'économie mixte d'intérêt national
chargées d'une mission de service public et des sociétés
d'économie mixte locales ou par toute personne agissant pour le
compte
ans le cadre d'un marché globalisé, où un
opérateur peut approvisionner plusieurs personnes publiques sur des
espaces territoriaux différents, les risques sont encore plus grands et
les probabilités de commissions des infractions aux règles de
passation des marchés publics s'accroissent. C'est ainsi que dans le
cadre de l'OCDE, les Etats membres ont décidé
d'incriminer la corruption d'agents publics étrangers. Or les
marchés publics étrangers constituent l'essentiel des parts de
marché des grandes entreprises et l'enjeu majeur du commerce
international. Mais il semble que la convention de Paris du 17 décembre
1997 sur la répression de la corruption d'agents publics
étrangers ne résolve pas tout le problème dans la mesure
où elle n'incrimine que la corruption active et ne vise pas la
corruption passive du fonctionnaire étranger. Le fonctionnaire
étranger est jouit d'une certaine impunité dès lors que
l'acte se produit en dehors de la communauté européenne. Ce qui
peut faire dire que les risque pour les entreprises de se faire prendre sont
minces et que la convention n'est pas suffisante, mais les conséquences
pour l'entreprise qui se fait prendre sont énormes.
Il paraît opportun que la compétence du juge
répressif soit renforcée dans le domaine du contrôle des
actes de l'achat public afin de mieux encadrer les grandes entreprises par la
répression de leurs abus et favoriser l'accès des petites et
moyennes entreprises à la commande publique. Les marchés publics
peuvent donc être un domaine dans lequel le droit pénal pourrait
se focaliser à l'encontre des pouvoirs privés économiques
dans la mesure où les infractions qui y sont commises ne
requièrent pas généralement l'appréciation
concurrente d'une autre autorité : elles sont constituées
dès lors que l'acte matériel est caractérisé.
Investies d'une plénitude de compétence renforcée par
l'article 111-5 du Code pénal, les juridictions répressives ne
sont pas tenues de renvoyer les questions préjudicielles au juge
administratif et ont, par conséquent, le pouvoir de qualifier les
marchés publics à l'origine des poursuites.
Toutefois, pour que la répression pénale frappe
véritablement les personnes à l'origine des comportements
fautifs, le juge pénal, face aux pouvoirs privés
économiques devrait procéder par touches techniques, en puisant
dans le droit pénal les mécanismes pouvant lui permettre de
désigner le vrai responsable. Ainsi en sera-t-il lorsque le juge
pénal fera recours à la caractérisation de la
complicité pour sanctionner les centres de décision,
généralement la maison-mère du groupe. Dans ce domaine, la
justice américaine est en avance sur celle du
de l'une de celles susmentionnées de procurer ou de
tenter de procurer à autrui un avantage injustifié par un acte
contraire aux dispositions législatives ou réglementaires ayant
pour objet de garantir la liberté d'accès et
l'égalité des candidats dans les marchés publics et les
délégations de service public ». Voir aussi l'article 432-11
du Code pénal sur la corruption passive et l'article 432-12 du
même Code sur la prise illégale d'intérêts.
reste des pays de l'OCDE dans la mesure où elle
réprime efficacement les entreprises américaines pour des faits
commis par leurs filiales à l'étranger alors, que dans d'autres
pays de l'espace OCDE, l'efficacité du droit pénal tarde à
se dévoiler. La pauvreté du contentieux dans le domaine des
marchés publics internationaux est le signe mrme de l'inadaptation du
droit des marchés publics à l'espace économique
transnational. Le renforcement de la compétence du juge répressif
en la matière viendrait remédier à la défaillance
ou à la carence des contrôles administratifs dans les
marchés de cette dimension. La pénalisation est donc un
instrument de dissuasion et de moralisation du processus de dévolution
des marchés publics. Il ressort donc de ce qui suit que le droit
pénal peut avoir pour champ de prédilection les marchés
publics et pourrait utiliser les qualifications de recel et de
complicité pour réprimer les pouvoirs privés
économiques. Mais le juge pénal pourrait aussi recourir à
d'autres procédés pour réguler les pouvoirs privés
économiques dans les domaines où les principes du droit
pénal ne facilitent pas la répression automatique des
comportements illicites : il pourra s'approprier les Codes de conduite
privés.
§ 2 : L'appropriation pénale des manquements
graves aux Codes de conduite privés des pouvoirs privés
économiques.
Il s'agit de la réponse du droit pénal à
la soft Law. L'intervention pénale dans ce domaine vise
à sanctionner les manquements les plus graves aux obligations souscrites
dans les Codes de conduites destinés aux partenaires de l'entreprise et
à préserver l'éthique minimale au sein d'un système
qui s'auto-régule et dont les Codes de conduite constituent une des
manifestations du pouvoir. Il est d'actualité que la majorité des
pouvoirs privés économiques, du moins celles qui disposent d'une
personnalité juridique ou présentent une structure
intégrée, ont élaboré un Code de conduite
destiné à encadrer les activités de leurs
différentes entités dans les différents espaces et
contiennent des prescriptions de comportements positifs139. Par
exemple, la firme Royal Dutch Shell rend obligatoires les
139 C'est ainsi que l'on trouve des Codes de conduite ou
chartes éthique, selon la terminologie employée par l'entreprise,
qui ont vocation à réguler les comportements de l'entreprise en
tout lieu et à s'appliquer à l'ensemble de ses activités.
Voir, M. BRAC, « Codes de bonne conduite : Quand les
sociétés jouent à l'apprenti législateur »,
dans E. CLAUDEL et B. THULLIER (dir.), Le droit mou : une concurrence faite
à la loi, Paris, Travaux du CEDCACE, 2004. Disponible à :
http://www.glose.org/cedcace.htm,
voir aussi, G. FARJAT, « Nouvelles réflexions sur les Codes de
conduite privée », dans J. CLAM et G. MARTIN (dir.), Les
transformations de la régulation juridique, Paris, L. G. D. J.,
1998, p. 15 1-164,
prescriptions énoncées dans son Code de conduite
à toutes ses entités140. Les Codes de conduites
privés à travers lesquels les entreprises proclament leurs
prédispositions à respecter la législation et à
mieux faire, en respectant par exemple les droits de l'Homme et
l'environnement, pourraient inspirer le juge répressif à prendre
les pouvoirs privés économiques aux mots pour réprimer
certains manquements graves à leurs engagements et ce, nonobstant le
lieu où le délit est commis.
L'appropriation pénale des Codes de conduites des
grandes entreprises a pour avantage qu'elle permettrait d'appréhender
pénalement les agissements qui échappent à la
répression par la stricte application ordinaire des principes directeurs
du droit pénal. Par exemple, l'application du principe de la
personnalité de la peine ne permet pas de réprimer
pénalement le groupe pour les activités de sa filiale
située dans un autre pays, à moins qu'il soit prouvé une
gestion de fait de la part de la maison-mère. Or, dans les Codes de
conduite, les groupes s'engagent à tout faire pour respecter au minimum
la règlementation et au mieux promettent de mieux faire. En
s'intéressant aux entreprises dont l'activité se déploie
ordinairement hors du territoire d'un Etat, les banques par exemple, on se rend
compte que certaines ne respectent pas à la lettre leurs engagements.
Prenant l'exemple de l'incrimination du blanchiment d'argent, il paraît
difficile de contrôler l'origine des fonds déposés dans
certaines filiales des banques de grandes renommées situées dans
les pays à faible système juridique ou dans certains paradis
fiscaux.
S'il est avéré que les groupes respectent la
législation dans les pays à systèmes économique et
juridique intégrés, les doutes sont permis lorsque les
mêmes activités se déploient dans les pays à faibles
systèmes juridiques. D'ailleurs, c'est dans ces pays que la plupart des
délits environnementaux et de corruption transnationale sont
reprochés aux pouvoirs privés économiques. L'appropriation
pénale des Codes de conduite aura pour effet de tenir pour
pénalement responsable le groupe pour les activités
délictueuses commises par ses filiales ou ses sous-traitants
intégrés dans la mesure où le Code de conduite,
émanation de
140 On peut y lire : « Nos valeurs fondamentales
d'honnrteté d'éthique et de respect d'autrui s'appliquent
à toutes nos activités et sont le fondement mrme des Principes de
conduite de Shell. Toutes les sociétés Shell doivent mener leurs
activités dans le respect de ces principes. Nous sommes jugés
d'après nos actes et notre réputation sera confirmée si
chacun d'entre nous agit dans le respect de la législation et des
principes éthiques énoncés dans nos Principes de conduite.
Chacun chez Shell doit respecter ces exigences qui s'appliqueront bien str
à différentes personnes à différents moments en
fonction de leur travail. La violation du Code peut conduire à des
mesures disciplinaires. Nous nous engageons à faire tout notre possible
pour vous aider à observer le Code ».
la volonté de l'entreprise de se comporter en
entreprise responsable interdisent de telles pratiques. Au civil, on se
souvient de l'affaire Nike où la multinationale s'était fait
condamnée pour non respect de la législation sur le travail des
enfants du fait de ses sous-traitants intégrés en Asie du
sud-est.
Le juge répressif pourrait s'inspirer de cette
jurisprudence civile pour réguler pénalement les grandes
entreprises qui manquent à leur promesse de se comporter de
manière responsable. Il pourra se fonder sur l'article L.121-1 du Code
de la consommation tel que modifié par la Loi n°2008-776 du 4
août 2008 portant modernisation de l'économie. Les articles 121-2
à 121-7 de ce même Code instituent une série de mesures
visant à réprimer et sanctionner les pratiques commerciales
trompeuses. La cessation de la pratique commerciale trompeuse peut être
ordonnée par le juge d'instruction ou par le tribunal saisi des
poursuites, soit sur réquisition du ministère public, soit
d'office. La pratique commerciale trompeuse est punie d'un emprisonnement de
deux ans au plus et d'une amende de 37 500 euros au plus, cette amende pouvant
être portée à 50 % des dépenses de la
publicité ou de la pratique constituant le délit.
Il est clair que si le juge répressif venait à
faire application de ce dispositif pour réprimer les manquements aux
prescriptions d'un Code de conduite d'une grande entreprise, les chefs
d'entreprise seraient à l'avenir plus respectueux des engagements qui y
sont contenus. Par exemple dans les affaires mettant en cause les entreprises
ayant souscrit de tels engagements, le fondement de la condamnation à
une peine pourrait être l'interprétation combinée de la
pratique commerciale trompeuse et de la volonté affichée du
défendeur à respecter certaines prescriptions et publiée
dans un document qui tient lieu de loi à son encontre. Par exemple,
l'article L. 121-1-1 (n° 3) du Code de la consommation réprime le
fait « d'affirmer qu'un Code de conduite a reçu l'approbation
d'un organisme public ou privé alors que ce n'est pas le cas
». Il s'agit d'une infraction formelle, qui ne suppose aucun
résultat. Une telle démarche pourrait être utile en
matière de répression de la délinquance environnementale
transnationale ou même de corruption d'agents publics étrangers
par une filiale d'un groupe.
De même, le juge répressif pourrait utiliser les
Codes de conduite comme un instrument pour rechercher les vrais
décideurs auxquels il faudrait imputer la responsabilité de
l'infraction. Dans le cadre des infractions trouvant leur source dans
les activités d'une grande complexité, l'exploitation des
Codes de conduite des différents associés de l'entreprise
présumée délinquante pourrait permettre de désigner
le véritable responsable ; l'entreprise au
profit de laquelle l'infraction est consommée ou
à la charge de laquelle elle sera imputée. Par exemple, dans le
Code de conduite l'entreprise Royal Dutch Shell, il est écrit à
propos des personnes qui doivent appliquer le Code : « Chaque
salarié, directeur ou responsable de chaque société
détenue entièrement par Shell et de chaque joint-venture
contrôlée par Shell doit appliquer le Code de Conduite. Le
personnel contractuel doit aussi observer le Code. Les sous-traitants ou les
consultants qui nous représentent ou qui travaillent pour notre compte
ou en notre nom, par I' externalisation de services, de processus ou de toute
activité commerciale, doivent se conformer au Code lorsqu'ils agissent
pour notre compte. Les sous- traitants et les consultants indépendants
doivent prendre connaissance du Code, puisqu'il s'applique aux relations que
notre personnel entretient avec eux Nous appliquons le Code dans toutes les
joint-ventures contrôlées par Shell. Lorsque nous participons
à une joint- venture qui n'est pas contrôlée par Shell,
nous encourageons la coentreprise à adopter des principes et des normes
similaires».
Les Codes de conduites s'avèrent donc comme un
véritable document pouvant rendre service au juge répressif pour
une répression efficace en droit économique
caractérisé par l'émergence des nouveaux pouvoirs qui
bouleversent la mise en oeuvre des règles pénales en
matière économique. L'émission d'un Code de
conduite devrait tenir lieu de loi à l'égard de son
auteur et permettre au juge de déterminer le contenu de l'obligation
à laquelle s'est engagé son souscripteur. Tout manquement
à ce contenu et qui heurterait une valeur sociale protégée
pourrait inspirer le juge répressif à réguler les pouvoirs
privés économiques. Le redéploiement efficace de la mise
en oeuvre du droit pénal à l'encontre des pouvoirs privés
économiques est dépend aussi de l'appropriation de ces normes
d'origine privée.
Titre II : Le redéploiement de la mise en oeuvre
du droit pénal à l'encontre des pouvoirs privés
économiques.
La recomposition du champ pénal imposée par les
impératifs d'adaptation des dispositions du droit pénal à
la qualité des acteurs et à leur territoire d'activité
appelle aussi une recomposition du champ de l'administration de la justice
répressive. Les insuffisances révélées de
l'administration traditionnelle de la justice pénale par
l'émergence des nouveaux pouvoirs, pouvoirs privés
économiques, appellent une reconsidération de l'application du
droit pénal économique. La qualité, mais surtout le statut
des nouveaux acteurs du droit pénal économique ne permettent plus
à un ordre juridique national donné de prétendre les
réguler, même aux moyens des règles pénales
extraterritoriales.
En outre, il a été constaté que des
nouveaux systèmes de sanctions concurrencent de plus en plus la vocation
naturelle du juge répressif à appliquer la peine. Les garanties
de procédure qui autrefois n'étaient assurées que par le
juge répressif ont été progressivement imposées par
la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme à
ces nouveaux modes de sanctions para-pénales. Aujourd'hui, le droit
pénal économique s'est enrichi d'une nouvelle notion : « la
matière pénale »141. Les exigences du droit
à un procès équitable ont judiciarisé les autres
modes de sanctions au point où on en est arrivé à une
dilution de l'intervention du juge répressif en matière de
répression de la délinquance économique des acteurs
privés économiques.
On constate donc que le droit pénal au sens strict ne
suffit plus pour la régulation des acteurs aussi mouvants que sont les
pouvoirs privés économiques. Les juridictions pénales
n'ont plus le monopole de la répression et maints organismes
spécifiques ont éclos, participant à l'oeuvre de justice
répressive : Conseil de la concurrence, AMF, CSA. Une meilleure
régulation répressive des agents privés du droit
économique passerait donc par le renforcement de l'office
répressif des autorités indépendantes de régulation
(chapitre I) et par une nécessaire internationalisation du droit
pénal (chapitre II).
141 Sur cette notion, voir. S. VAN DROOGHENBROECK, la
Convention européenne des droits de l'Homme- Trois années de
jurisprudence de la cour européenne des droits de l'homme
(2002-2005) vol. 1, Les dossiers du Journal des
Tribunaux.,n° 57, Bruxelles, Larcier, 2006, pp 96-99.
Chapitre I : Le recadrage de l'office répressif
des autorités de régulation.
IO s'agit là d'une nécessité
contemporaine déjà ressentie dès 1978 avec la
création et l'autonomisation mrme de ces autorités de
régulation communément désignées «
autorités administratives indépendantes
»142. Ayant pour origine les « agences »
anglo-saxonnes, elles ont de nos jours la gestion des secteurs sensibles de
l'économie et sont une fois de plus l'expression de la mondialisation
mrme du droit. De statut mixte, elles ont pour fonction la régulation de
l'économie de marché et ont été
créées en réaction à la toute puissance des
pouvoirs privés économiques. C'est ainsi que l'AMF s'occupe de la
régulation des marchés financiers, l'Autorité de la
concurrence pour la régulation du marché concurrentiel, la
Commission des clauses abusives, la Commission bancaire, le CSA et la CNIL.
Ces autorités régulatrices fonctionnent comme
l'administration fiscale, dotées de larges compétences
répressives et ne respectent pas la distinction des fonctions de
poursuite, d'instruction et de jugement. Elles ont en commun la confusion des
pouvoirs, dès lors que l'infraction est constatée, la poursuite,
l'instruction et le prononcé de la sanction ne sont pas
séparées. C'est ce qui à motivé certains auteurs
à parler de « punir sans juger » en ce sens que
l'administration « punit » sans qu'iOy ait eu « jugement »
au sens traditionnel du terme143. Ces instances exercent une sorte
de répression para-pénale. Toutefois, l'influence et le
rayonnement de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de
l'homme ont eu pour effet la juridictionnalisation du contentieux devant ces
autorités régulatrices. Les exigences du procès
équitable posées par l'article 6 § 1 de la Convention
européenne de sauvegarde des droits de l'Homme imposent le respect des
garanties procédurales et des droits de la défense. Ces
autorités sont donc devenues des véritables instances de justice
répressive, voire des instances spécialisées de justice
pénale en ce sens que chacune d'elle est dotée d'une
compétence spéciale dans un domaine précis et que les
griefs portés contre leurs décisions sont adressés
à une juridiction de second degré. Leur spécificité
institutionnelle répond mieux aux exigences de la mission
régulatrice qui leur est confiée. Mission qui consiste à
réaliser un arbitrage entre intérêts en présence,
préciser les règles de jeu, s'assurer de leur respect, tout cela
dans le but de protéger les libertés. Les destinataires de ce
type de répression dans
142 Elles sont apparues pour la première fois dans la loi
informatique et liberté du 6 janvier 1978 instituant la CNIL,
confère L. BOY, Droit économique, Hermès, 2002,
p. 79, n° 141
143 M. DELMAS-MARTY et C.TEITGEN-COLLY, Punir sans juger ? De
la répression administrative au droit administratif pénal,
Economica, 1992, p. 9
l'économie de marché sont en principe les
pouvoirs privés économiques en ce sens que ces autorités
qualifient leurs abus et y attachent des conséquences de droit qui
s'imposent.
Toutefois il semble qu'à l'épreuve des pouvoirs
privés économiques et dans un contexte d'économie
mondialisée, les pouvoirs traditionnels de ces autorités de
régulations ne permettent pas d'assurer une répression efficace
de ces acteurs mouvants de l'économie. De même, il semble que
l'atomicité des organes de régulation à caractère
économique et la forte concentration des acteurs économiques
rende insuffisante la répression en ce sens que certaines pratiques sont
réprimées par certaines autorités et
tolérées par d'autres alors qu'une coopération aurait
permis une répression effective et efficace. Par exemple, en
matière d'atteinte à la libre concurrence, il a été
constaté une grande divergence d'approche du traitement répressif
des infracteurs144.
Fort de ce constat, il est souhaitable pour un meilleur
encadrement des pouvoirs privés économiques par les instances de
régulation, que d'aucun qualifie de « magistrature
particulière », que soit recadré leur domaine de
compétence (section I) et qu'il y ait une redéfinition des
rapports entre elles et la justice pénale (section II).
Section I : Le recadrage du domaine de
compétence des instances de régulation.
Le souci du recadrage du champ de compétence des
autorités de régulation face aux acteurs privés
économiques naît du constat de « colonisation » du champ
pénal traditionnel par l'activité progressivement envahissante de
ces « nouveaux magistrats ». De même, la
généralisation des pratiques transactionnelles a pour effet de
dévoyer le principal caractère de l'action publique : il est
admis qu'on ne transige pas sur l'action publique. Or, on constate que peu de
dossiers sont transmis à la justice répressive par ces
autorités régulatrices. Par exemple, les statistiques de
transmission de dossiers au Parquet par l'Autorité de la concurrence
sont peu reluisants par rapport au nombre d'affaires que connaît cette
autorité et au nombre de condamnation qu'elle prononce. La conclusion
qui se dégage est que ces autorités sont devenues pour ce qui est
de la mise en oeuvre du droit pénal économique, les
144Dans la majorité des Etats à
économie de marché, la répression des comportements
anticoncurrentiels révèle une différence par rapport
à la manière dont le même comportement est traité
dans d'autres pays. Ainsi en Allemagne par exemple, on constate une
prédominance de la répression adm issions pour l'obtention des
marchés publics sont réprimées pénalement alors
qu'en Grande Bretagne, on allie répression administrative et
répression pénale.
véritables « juge de la poursuite », dans la
mesure où ils ont le pouvoir de décider du sort à donner
aux faits qu'ils ont le privilège de connaitre prioritairement en
qualité d'expert. Ce qui contribue à affaiblir le droit
pénal. Cette tendance est particulièrement observée en
droit de la concurrence (§ 1) et en droit des marchés financiers
(§ 2).
§ 1 : Le recadrage de l'office de
l'autorité de la concurrence.
L'Autorité de la concurrence est l'instance qui a
succédé au Conseil de la concurrence. D'après l'article
L.461-1 du Code du commerce dans sa dernière version issue de la loi de
modernisation de l'économie du 4 aoEt 2008, elle est une autorité
administrative indépendante. Elle veille au libre jeu de la concurrence.
Elle apporte son concours au fonctionnement concurrentiel des marchés
aux échelons européen et international. Sa vocation principale
n'est donc pas d'appliquer le droit pénal, mais d'assurer et de veiller
au fonctionnement harmonieux du marché. Toutefois, elle a recours aux
procédés du droit pénal pour rendre effectives ses
décisions. De même, elle a compétence pour
caractériser les infractions commises en matière de concurrence,
ce qui a comme effet que le juge répressif ne connait de contentieux en
la matière que lorsqu'elle l'estime opportun. L'autorité de la
concurrence est donc un juge d'opportunité de la répression
pénale des comportements anticoncurrentiels. C'est pourquoi certains
auteurs en sont venus à parler d'un « droit administratif
pénal »145. « C'est aux autorités
de la concurrence qu'il revient de faire le départ entre les
comportements qui sont légitimes parce qu'ils peuvent renforcer la
concurrence et ceux qui lui nuisent »146.
On se rend compte qu'à l'épreuve des pouvoirs
privés économiques, ce mécanisme affaiblit plutôt
l'ordre public pénal en ce sens que la préoccupation de
l'autorité de la concurrence semble être plutôt le chiffre :
la condamnation au payement des amendes record en est l'ex
pression147. Ce qui fait croire que le droit de la concurrence
s'affranchit de certains principes du droit pénal économique. On
se rend compte que le législateur a voulu dessaisir le
145M. DELMAS-MARTY et C.TEITGEN-COLLY, Punir sans
juger ? De la répression administrative au droit administratif
pénal, op. cit, p. 29
146 C. BABUSIAUX, la répression et le contrôle
administratif de la régulation concurrentielle, « In Les enjeux
de la pénalisation du droit économique », op. cit, p.
116
147 Par exemple, dans l'affaire des escalators et ascenseurs,
le montant de l'amende a frôlé le milliard d'euro : 992.312.200
Euros. De même, le 13 mai dernier, la Commission européenne a
infligé une amende record de 1,06 milliard d'euros au géant
américain de microprocesseurs Intel, reconnu coupable d'abus de position
dominante.
juge pénal de l'important contentieux des comportements
anticoncurrentiels, contrairement d'autres pays qui, comme le Canada, les
États-Unis, le Japon et l'Autriche, ont opté pour la sanction
pénale pure. Le juge répressif n'est compétent en cette
matière que de manière exceptionnelle et pourtant une disposition
de droit positif, l'article 40 du Code de procédure pénale fait
obligation à toute autorité de révéler sans
délai au procureur de la République les faits délictueux
dont il a connaissance dans le cadre de sa fonction, de transmettre à ce
magistrat tous renseignements, procès verbaux et actes qui y sont
relatifs. Les autorités de la concurrence se seraient impunément
affranchies de cette disposition hautement d'ordre public alors que
l'Autorité des marchés financiers a l'obligation selon l'article
L.621-20-1 alinéa 1er du Code monétaire et financier d'informer
le Parquet tant en cas de délit pénal simple qu'en cas de
délit boursier.
Il est souhaitable, pour plus de dissuasion à l'endroit
des acteurs économiques, que soient reconsidérées les
compétences de l'Autorité de la concurrence en matière de
qualification de l'infraction susceptible d'r~tre poursuivie devant le juge
pénal. Le législateur pourrait incriminer des comportements
répréhensibles qui portent gravement atteinte à la libre
concurrence et ne laisser à l'Autorité de la concurrence que le
soin de les constater à l'occasion de sa saisine et de transmettre sans
appréciation d'opportunité le dossier aux autorités de
poursuite pour la mise en oeuvre de l'action publique. Ce déficit
d'incrimination précise ne permet pas une juste répression de la
délinquance économique orchestrée par les pouvoirs
privés économiques. Par exemple, dans l'affaire des ententes de
la téléphonie mobile, le fait que les auteurs n'aient
été condamnés qu'au payement des amendes sans qu'aucune
mesure punitive de nature pénale ne soit prononcée contre ses
initiateurs comme le veut l'article 420-6 du Code du commerce, donne un
sentiment d'impunité des pouvoirs privés économiques
favorisée par l'état du droit pénal de la concurrence
français. A titre de droit comparé, on rappellera que si cette
affaire avait été réglée au moyen du droit
américain ou anglais, les personnes physiques qui y étaient
impliquées auraient écopé de très lourdes peines
d'emprisonnement et des condamnations aux amendes et les personnes morales
devraient aussi payer plus cher que la somme à laquelle elles ont
été condamnées.
Aussi, l'article L.420-6 du Code du commerce qui
réprime en matière de concurrence toute personnes physique
qui, frauduleusement, aura pris une part personnelle et déterminante
dans la conception, l'organisation ou la mise en oeuvre des pratiques
visées aux articles 7 et 8 de l'ordonnance de 1986 semble
plutôt sanctionner un comportement délictueux, extérieur
à l'ordre public économique que l'ordre public pénal
viendrait renforcer.
Cela semble vrai parce que parmi les éléments
constitutifs de l'infraction figurent, outre les pratiques
anticoncurrentielles, l'exigence que la personne incriminée ait
participé à l'entente en usant des moyens ou des
procédés frauduleux.
Quoiqu'il en soit, un heureux dosage des dispositions
existantes et des nouvelles incriminations qu'il serait souhaitable d'adopter
permettrait de mieux saisir les grandes entreprises et toutes les entreprises
ayant les moyens de neutraliser la loi et d'instrumentaliser les dispositions
juridiques. Il en sera de même en droit des marchés financiers.
§ 2 : Le recentrage de l'office du
régulateur des marchés financiers.
Le droit des marchés financiers ou droit boursier est
l'un des points où la cohabitation, voire la collaboration entre la
répression administrative et la répression pénale
s'illustre pleinement. Suscitant moins de controverses quant à son
opportunité et son efficacité, le bilan de cette harmonie entre
les deux systèmes de répression est moins reluisant pour la
répression pénale et plutôt favorable à la
répression administrative. Bien que les deux systèmes de sanction
soient déployés pour contrer les appétits de certains
pouvoirs privés économiques par la sanction des « abus de
marché », il semble que lorsque les procédures distinctes
sont engagées parallèlement, l'office du juge répressif se
trouve habituellement diminué148. L'observation du
contentieux du droit boursier permet de conclure qu'ici le pénal ne
tient pas en l'état la répression administrative. La
décision rendue par l'autorité de marché est en pratique
exécutoire alors même que le juge pénal n'a pas encore
rendu sa décision ou n'a pas encore achevé son
instruction149.
Le rôle de l'Autorité des marchés
financiers est en principe la prévention des abus de marché tels
que les manquements d'initiés, les manquements de manipulation de cours
et les manquements de diffusion de fausse nouvelles150. Elle
protège les épargnants dans le cadre des entreprises faisant
appel public à l'épargne ou dans le cadre d'une
introduction d'un
148 V. pour une opinion plus nuancée, J.-H. ROBERT, Unions
et désunions des sanctions du droit pénal et de celles du droit
administratif, AJDA, n° spécial annuel, 20 juin 1995, p.
76
149 F.-L. SIMON, Le juge et les autorités du
marché boursier, LGDJ, 2004, 240, n°430
150 Selon l'article L.621-1 du Code monétaire et
financier, modifié par l'Ordonnance n° 2008-1271 du 5
décembre 2008, l'Autorité des marchés financiers,
autorité publique indépendante dotée de la
personnalité morale, veille à la protection de l'épargne
investie dans les instruments financiers et tous autres placements donnant lieu
à appel public à l'épargne, à l'information des
investisseurs et au bon fonctionnement des marchés d'instruments
financiers. Elle apporte son concours à la régulation de ces
marchés aux échelons européen et international. Elle
veille également à ce que les entreprises soumises à son
contrôle mettent en oeuvre les moyens adaptés pour se conformer
aux Codes de conduite homologués mentionnés à l'article L.
61 1-3-1du même Code.
instrument financier sur les marchés financiers.
Toutefois, compte tenu des impératifs de protection de l'investissement,
de l'épargne, mais aussi de l'investisseur, les autorités
administratives en charge du marché boursier ont été
dotées d'importants pouvoirs de sanction qui empiètent sur le
terrain de compétence du juge répressif. Ce qui a comme
conséquence l'effritement des pouvoirs du juge pénal en la
matière. Toutefois, il faut se réjouir de l'état actuel du
droit de répression des abus de marché, car à la
lumière du droit comparé, la France fait une très grande
place à la justice pénale dans ce genre de contentieux
réputé technique. Par exemple, en Grande Bretagne, le
régulateur cherche et poursuit lui- même les infractions, à
charge pour lui de saisir le Parquet et de se constituer partie civile quand il
estime que les faits sont d'une gravité exceptionnelle et que la
réponse par la sanction administrative qu'il est susceptible de
prononcer est insuffisante. En d'autres termes, le régulateur de la
place de Londres est le juge de l'opportunité de poursuite en
matière d'infraction relevant des abus de marché.
Le droit français des marchés financiers est
donc l'un des outils répressif les mieux adaptés de
régulation des pouvoirs privés économiques en ce sens que
la cohabitation entre les deux instances chargés de l'appliquer et de le
mettre en oeuvre se passe dans l'harmonie. Toutefois, le fait que tout
dépende des autorités du marché financier n'est pas tout
aussi satisfaisant pour les autorités judiciaires. Il serait souhaitable
que dès le moment où les autorités du marché
financier détectent un fait susceptible de recevoir une qualification
pénale, elles en informent sans délai le Parquet pour que les
enquêtes soient menées soit conjointement, soit
séparément, mais au même moment. Le Parquet mènerait
ses enquêtes sur les délits boursiers et l'autorité de
régulation du marché financier sur les manquements. De
même, pour les cas d'abus de marché les plus graves, la voie
pénale devrait être privilégiée.
La collaboration entre le juge répressif et les
autorités du marché ont pour résultat l'efficacité
de la répression des infractions boursières. Cette collaboration
fructueuse devrait inspirer les autres instances de régulation et le
législateur afin que l'ordre public pénal en droit
économique ait des effets attendus, surtout en temps de crise.
Section II : La nécessaire redéfinition
des rapports entre les autorités de régulation et la justice
répressive.
Les relations entre les autorités de régulation
et la justice pénale ne sont toujours pas cohérentes en
matière de régulation répressive des pouvoirs
privés économiques. Tantôt on constate des rapports de
défiance, comme en droit de la concurrence, tantôt des rapports de
complémentarité comme en droit des marchés financiers. Il
a été démontré que la dissuasion pénale mise
en oeuvre par la justice pénale était le meilleur instrument de
contrôle des acteurs- organisateurs du marché que sont les
pouvoirs privés économiques. Or le droit de la concurrence est
considéré comme le coeur mrme du droit
économique151 , la « constitution du marché
», mais on constate que dans un bon nombre de pays dont la France, la
répression des atteintes à la libre concurrence échappe
à l'empire du droit pénal contrairement aux pays de l'espace
anglo-saxon. La marge de manoeuvre qui est attribuée au juge
pénal dans cet important contentieux à travers lequel les
pouvoirs privés économiques sont mieux encadrés est
insignifiante relativement à l'importance des enjeux en la
matière. En plus, le fait que les autorités de la concurrence ne
transmettent que rarement les dossiers au juge pénal est à
déplorer.
Il serait judicieux, comme en matière de contentieux
d'abus de marché, que les autorités de la concurrence aient la
même obligation de communication de dossier et de
révélation des faits délictueux au Parquet que le
régulateur des marchés financiers. Cela permettrait à la
justice pénale de mieux cerner les pouvoirs privés
économiques et de diminuer la marge d'impunité dont ils
bénéficient à cet effet, car, ce sont les consommateurs et
les actionnaires qui supportent en réalité les frais des
condamnations au payement des amendes prononcées par les
autorités de la concurrence. La place du droit pénal devrait
être revalorisée dans le contentieux des pratiques
anticoncurrentielles en ce sens qu'il est un outil adéquat de
moralisation des décideurs. Une collaboration entre les autorités
de la concurrence viendrait gommer une telle marginalisation voulue par le
législateur. On se souvient que le Code de commerce ne contient aucune
disposition visant directement les pratiques anticoncurrentielles. L'article
420-6 de ce Code ne vise que les cas de fraude imputables aux personnes
physiques. Les pratiques anticoncurrentielles en elles-mêmes ne sont pas
appréhendées pénalement en droit français
151 G. FARJAT, Droit économique, PUF Thémis 1982,
p. 468 et s.
Il serait convenable que le législateur fasse
obligation à l'Autorité de la concurrence de collaborer avec les
autorités judiciaires pour permettre une meilleure répression
pénale des infractions à la libre concurrence, mais il faudra
auparavant définir les infractions à la libre concurrence. Il a
été révélé précédemment le
rôle congru que joue le droit pénal en matière d'infraction
à la libre concurrence en France. Les pouvoirs privés
économiques ne devraient pas être invulnérables sur le
terrain concurrentiel. Quoiqu'il en soit, une collaboration étroite est
nécessaire entre les autorités de régulation et les
autorités judiciaires pour mieux encadrer les pouvoirs privés
économiques.
Les autorités de régulation pourraient dans une
perspective de répression efficace des pouvoirs privés
économiques, opérer comme une autorité d'enqur~te et
d'instruction pour ce qui est des infractions graves et complexes, chacun dans
son domaine. Pour cela, le juge pénal ou le Parquet pourraient leur
confier des missions spéciales afin d'avoir des informations claires et
précises pouvant lui permettre de mettre en mouvement l'action publique.
On se rend directement compte qu'il s'agit dans ce cas d'une coopération
internationale entre les autorités de régulation et les
autorités de justice répressive. Ainsi, un juge d'instruction
français pourrait demander aux autorités des marchés
financiers de la place de Shanghai de lui donner les informations
précises sur une cotation et les modalité d'acquisition des
actions en questions si cela est nécessaire pour le sort de la
procédure ouverte devant lui.
On peut aussi concevoir l'hypothèse où le juge
pénal pourrait être le contrôleur des autorités de
régulation, raison pour laquelle elles doivent communiquer avec lui. La
compétence de l'autorité de régulation ne devrait pas
priver le juge pénal de la sienne. L'autorité de
régulation devrait saisir le juge pour le conforter dans son rôle.
Ainsi, on pourrait envisager le régulateur comme le complément du
juge, son expert.
On constate les réelles difficultés que pose
l'articulation des autorités de régulation entre eux et dans
leurs relations avec le juge répressif. On pourrait être modeste
et concevoir la possibilité de répondre à tous ces soucis
par les moyens du droit interne. Pour cela, la solution de
l'internationalisation du droit pourra être explorée.
Chapitre II : L'internationalisation du droit
pénal.
Le développement des acteurs économiques au
statut désormais global oblige le droit pénal de sortir de son F
I I ELIPMEtRU I I lISRM \I I I SSCLUEZ I I u-delà. &RQfIRQtp 1I I I
IEM I I LIESH5 aisé des valeurs hautement contradictoires telles
le\31RB\ 1-1l1Homme et le marché, le marchand et le non
marchand, le droit pénal économique traditionnel se
révèle moins adapté poulnpLIuOLUD\ I I FUZ\ELIlRE I I u{
EGEMpFRQRP Te : les pouvoirs privés économiques. Et pourtant, il
semble être un puissant instrument de régulation internationale
des acteurs pFRQRP LIue\, 1 FRQMIRQ MCIQtgLIIHRI\' I I SSIRSIERe\ rp I I litp\
II l I I LI aRl I I litp I I Ftuelle.
/ 'iQtMQ I I tIRQ I I li\ I I IIRQ dMIR111SpQ I I l I\tIeQ f I
I EMQ processus par lequel le droit pénal lQterQe iPQ I( t I I t iRQQp
pAlQd \ I I FRP SpteQFe I I u{ II I I it\ qui naturellement lui
échappent et qui RQt vRF I I IIRQ S î\MTrpLIi\I\RMS I I
rADRIR1INE'uQ I I Ftre I( t I I t, \Rit par le droit international. Cette
internationalisation ou mondialisation des juges « conduit à
une extension de leur compétence
j 111F1Di is 1 21DyD 1 2 iIDucu 1 2 III 1 2 TIRID
i iDclePh 1 2 iFDMFil#2 iD i (1Di is PRPPLi j Gin ifD 1 2I -113Dr
des
étrangers, sur des victimes
étrangères)152 . Elle a des fondements divers,
soit le souci 011P SrFKELMRDUHP SuQi3p,1\RIIVO \RuFi
GFUSIRtpLIILF\I\ II\\RLIi\\ I I Qt\. I( QP I I 31g11 économique,
elle peut aussi se fonder sur le souci de moraliser les agents
économiques qui ont un lien avec II( t I I OMI I I Qçais ou le
marché français. La relative inefficacité du droit
pénal pFRQRP lTXFIIQterQ I I tERQ I I lEMDfldpIlFiWCpQeilpLIN I I
tERQUpSII\\IMM-\ SRMROE\ SULp\ économiques assurée par un organe
international FRQIRDMI I I OKg\HEFIIIQterQ I I tIRQ I I li\ I I tIRQ du droit
SpQ I I l1pFRQRP lTXF11QterQe 1l1encontre des acteurs du
marché. Dans un contexte de « crimes globalisés » et de
« risques globaux »TOLFKRI{ MED'iQterQ I I tIRQ I I li\ I I IIRQ
3MR1W interne pour réguler efficacement les acteurs économiques
au statut international peut sembler réducteur153.
&WilrKg\HT\HP FOLIRQ:p11d I I Q\ l I I P e\uZHIRE1l'iQtRQ I I tERQ I I E\ I
I tERQ13 ·DIR1W interne comme solution au désordre et au vide
répressif qui semble caractériser les activités
transnationales des acteurs économiques est porteuse de risquHi'lP SpLI
I I lI\P HjDIICIqDE,ffRire judiFi I I ire de\ I( t I I t\ le\ Slu\ fRrt\
à l'eQdrRit de\ I( t I I t\ f I I ible\. 7 RutefRi\, dev I I Qt l' I I
b\eQFe 1'uQ droit international pénal économique et la dilution
croissante des frontières entre les différents territoires, le
droit nHERit S I I \1tre eQ re\te. &'e\t SR011)Rl le droit pénal
économique interne
152 M. DELMAS-MARTY, Le droit pénal comme
éthique de la mondialisation », Rev. Sc. Crim., 2004, p.
6
153 M. DELMAS-MARTY, /117orFIF/PDH 1 2D 1 2
ieffliTIRi iMWD iif e i lpi 1 2ivlisel, collection La Couleur des
Idées, Editions du Seuil, Paris, 2004, p. 241
devrait se servir des leviers du droit pénal interne
pour pacifier l'ordre international, ne serait- ce qu'à défaut.
La difficulté que connait le droit pénal international
économique des personnes morales obligerait le droit interne à
prendre ses responsabilités sous peine de déni de justice.
L'ordre public pénal en droit économique ne saurait se satisfaire
d'une analyse décontextualisée, les nouveaux sujets du droit
pénal économique étant des acteurs mouvants et capables de
se défaire aisément des liens qu'ils ont avec un for. #172;~
l'épreuve des mutations économiques, le droit pénal
interne doit s'adapter et avoir une réponse à la
délinquance économique à l'échelle
internationale.
Toutefois, pour rtre efficace à l'endroit des agents
privés de la mondialisation, le droit pénal interne devra s'en
donner les moyens. C'est la raison pour laquelle les conditions précises
doivent être réunies (section I) pour une mise en oeuvre efficace
(section II).
Section I : Les conditions d'une internationalisation
effective.
Il est question ici de scruter les moyens qui seront utiles au
droit pénal interne pour réguler effectivement les pouvoirs
privés économiques. Il a été démontré
les défaillances du droit pénal traditionnel et ses
difficultés à encadrer effectivement les acteurs
économiques même sur le plan interne. La spécificité
des acteurs à l'endroit desquels il se déploie hors de son cadre
naturel devrait avoir une influence sur le contenu même du droit
pénal appelé à s'internationaliser. C'est pourquoi les
acteurs mrme de l'action publique mettant en cause ces nouveaux sujets du droit
pénal devraient rtre redéfinis (§ 1) et le personnel de
l'appareil juridictionnel répressif spécialisé (§
2).
§ 1 : La redéfinition des acteurs de
l'action publique.
Traditionnellement, il est admis que le sujet principal de
l'action publique est le ministère public, représentant du corps
social dont l'ordre a été troublé par les agissements du
délinquant. L'action publique est elle-même une action
exercée au nom de la société, en principe par les soins
d'un corps spécial de magistrats (le ministère public) qui a pour
objet l'application de la loi pénale à l'auteur du fait
réputé délictueux, et à la réparation du
dommage causé à la société154. Il
ressort de cette définition que le ministère public a le monopole
de l'exercice de l'action pour l'application des peines, mrme s'il est
concurrencé
154 G. CORNU, Vocabulaire juridique, Association Henri
Capitant, PUF, 2003, p. 23
dans sa mise en mouvement par des personnes pouvant justifier
d'un intérêt, à l'instar de la victime ou des groupements
agréés. Ces acteurs peuvent obliger le ministère public
à poursuivre, donc à exercer sous son contrôle une action
publique, du moins en droit interne. Le constat ne vaut pas lorsque l'action
trouve son fondement dans une cause présentant des
éléments d'extranéité. Ici, le ministère
public retrouve son monopole de mise en oeuvre155 .
Il se dégage de ce qui précède que le
seul sujet actif à même de poursuivre efficacement les pouvoirs
privés économiques en droit positif est le ministère
public. Or, il est admis que le ministère public n'a pas l'obligation de
mettre en mouvement l'action publique. Son activité est gouvernée
par le principe de l'opportunité des poursuites et non pas par la
légalité de poursuite. Déjà en droit interne, il ne
poursuit pas toutes les infractions et les statistiques des poursuites d'office
des faits commis à l'étranger sont faibles. La majorité
des actions publiques contre les personnes privées économiques
pour des faits commis hors du territoire de la République l'ont
été à l'initiative des personnes privées
(association, victimes). Par exemple, ce sont les associations qui sont
à l'origine des rares poursuites qui ont été mises en
oeuvre contre les grandes sociétés exerçant à
l'étranger, arrêtées dans leur soif de justice par les
prérogatives du Parquet156. Dans l'affaire des
présumés travailleurs forcés birmans contre Total, on a
comme sujet actif de l'action l'association Sherpa ; dans l'affaire de
complicité de crime de guerre reproché à la firme anglaise
Afrimex, le sujet actif est l'Organisation Non Gouvernementale Global
witness.
Il serait souhaitable pour une efficacité dans
l'application des incriminations relevant du droit pénal
économique international, qu'on reconnaisse aux associations, victimes
étrangères, Organisation Non Gouvernementale justifiant d'un
intérit, la qualité de mettre en oeuvre l'action publique contre
les sociétés transnationales. Ainsi, ces nouveaux acteurs
pourraient poursuivre une société transnationale au pénal
devant un for avec lequel l'entreprise mise en cause présente des liens
juridiques ou économiques solides. Que ces nouveaux sujets de l'action
publique puissent obliger le ministère public à poursuivre une
entreprise dès lors que leurs actions sont recevables, même si
pour des raisons d'opportunité, le ministère public pourrait
conserver les prérogatives de contrôle de l'exercice de
l'action.
155 Article 113-8 du Code pénal : « Dans les cas
prévus aux articles 113-6 et 113-7, la poursuite ne peut ttre
exercée qu'à la requr~te du ministère public. Elle doit
rtre précédée d'une plainte de la victime ou de ses ayants
droit ou d'une dénonciation officielle par l'autorité du pays
où le fait a été commis».
156 W. BOURDON, Entreprises multinationales, lois
extraterritoriales et droit international des droits de l'homme, Rev. Sc.
Crim., 2005; (4), l'auteur rapporte ici les propos du représentant
du Parquet qui justifie le refus de poursuivre par le fait que « les
dommages subis par les villageois camerounais ne justifient pas d'encombrer un
juge français lui-même déjà saturé, de
tâches et de missions ».
Cette consécration aura comme un effet
bénéfique sur la lutte contre l'impunité transnationale
des entreprises. Il a été démontré les
difficultés qu'ont les victimes de la délinquance transnationale
à traduire leurs bourreaux devant les juridictions des États dans
lesquels les faits reprochés ont été commis. Par exemple,
dans l'affaire des paysans camerounais contre l'entreprise Rougier,
l'association Sherpa qui représentait les victimes avait soutenu son
action par l'impossibilité matérielle de poursuivre une
multinationale devant la justice camerounaise réputée corrompue
et non autonome157. Cette action avait été
rejetée pour défaut de production d'une décision
étrangère définitive sur le même fait condamnant
l'auteur principal158. On se rend compte que les textes regorgent
des obstacles de droit empêchant une poursuite effective des
délits transnationaux reprochés aux entreprises transnationales.
De mrme, dans l'affaire des travailleurs forcés birmans contre Total, le
ministère public avait multiplié des obstacles de
procédure pour emprcher que l'action n'aboutisse. Il serait souhaitable
qu'une réforme soit faite pour adapter les actions publiques de source
transnationale intentées devant le juge pénal aux
caractéristiques de l'ordre économique international et
éviter que « les frontières passées soient autant
de protection pour les délinquants »159. Par
exemple, il ressort de la convention de l'OCDE que la corruption d'agents
publics étrangers est réprimée, mais seul la corruption
active l'est lorsque le fait est commis en dehors des pays de la
communauté européenne. Or, la non incrimination de la corruption
passive lorsqu'elle implique un fonctionnaire hors communauté
européenne a pour effet de diminuer les efforts de répression de
ce fléau. Les associations locales qui détiendraient les preuves
qu'un fonctionnaire a été corrompu par une entreprise
transnationale n'auraient pas légalement intérêt de faire
poursuivre devant le for du pays d'origine de l'entreprise à l'origine
de la corruption.
De mrme, lorsque l'action trouve sa source dans le droit
économique international, il faudrait que les magistrats qui
connaîtront des actions répressives contre les pouvoirs
privés économiques aient la compétence nécessaire
pour bien juger les faits et parer ainsi la dérive des expertises qui
mine l'efficacité mrme du droit pénal.
157 Le Cameroun est reconnu par l'ONG Transparency International
comme l'un des Etats le plus corrompus du Monde et sa Justice vient en
tête des institutions publiques les plus corrompues
158 W. BOURDON, op. cit., « Il s'agissait là
d'un véritable obstacle de droit si tant est le climat de corruption
généralisée au Cameroun rend impossible que soit
engagée une quelconque poursuite à l'encontre de l'un des
principaux opérateurs du marché du bois »
159 M-A. FRISON-ROCHE, Le droit des deux mondialisations,
Archives et philosophie de droit n° 47, 2003, p. 17-23
§ 2 : La nécessaire spécialisation
des magistrats.
Le repli du droit pénal économique et la
montée en puissance de la justice pénale des experts est
imputable à la non spécialisation des magistrats en charge
d'appliquer le droit pénal en général et le droit
pénal économique en particulier. Les pouvoirs privés
économiques sont une catégorie de délinquants particuliers
dans la mesure où les infractions qui leur sont reprochées
portent généralement sur les inobservations des règles
spécifiques, des prescriptions relevant de l'ordre public
économique, mise en oeuvre par des autorités spécifiques :
les autorités administratives indépendantes. Le déficit de
la justice répressive en matière de droit pénal
économique pourrait être aisément comblé par la
spécialisation des magistrats en matière économique. Les
efforts sont déjà en vue dans ce sens. Par exemple le Parquet de
Paris dispose d'un pôle économique et financier avec des
magistrats compétents en matière économique. Ce pôle
financier s'est illustré dans la poursuite des infractions constitutives
d'abus de marché telles le délit d'initié et aussi dans la
poursuite des cas de corruption internationale à l'exemple de la
corruption d'agents publics étrangers160. Cette
spécialisation est d'autant plus importante aujourd'hui que les
infractions économiques sont généralement commises
à la faveur de la dérèglementation et de la
mondialisation, mais surtout de la concentration des activités de
production, de distribution et de service entre les mains des groupes. Une
capacité d'appréciation souveraine des faits reprochés aux
acteurs économiques dépend de la compétence des magistrats
à pouvoir oeuvrer utilement à la manifestation de la
vérité et à avoir une bonne connaissance du monde de
l'entreprise et du droit économique, de mieux cibler les axes de
répression et de limiter les non-lieu à cause des transaction
conclues entre les victimes et les acteurs économiques mis en cause.
Cette spécialisation permettrait au juge répressif de reprendre
son rôle dans le contentieux répressif impliquant les pouvoirs
privés économiques et de veiller à l'application des
principes mrme du droit pénal et des caractères de l'action
publique. Une action menée effectivement et sous le contrôle des
magistrats spécialisés et compétents permettrait de
remédier au dévoiement des caractères de l'action publique
comme en attestent les différentes affaires évoquées au
160 On peut citer parmi les différentes affaires
connues par les magistrats de ce Parquet, l'affaire de délit
d'initié des cadres d'AEDS qui a connu son premier règlement avec
la condamnation de M. Imad LAHOUD. On peut aussi évoquer la tonitruante
affaire Clearstream qui est actuellement en phase d'instruction et implique
certaines personnalités politiques. En matière de corruption, on
peut évoquer le cas du géant pétrolier Total dont le
patron avait même été gardé à vue dans les
locaux dudit Parquet pour les besoins d'enqurte au sujet des pots-de-vin
versés à l'étranger.
cours de ce travail : l'action publique est éteinte
pratiquement par la transaction et le Parquet y renonce parfois, ce qui est
dommageable.
La spécialisation des magistrats chargés
d'appliquer le droit pénal aux pouvoirs privés économiques
n'est qu'un alignement de la France à un mouvement qui a gagné
tous les pays industrialisés. C'est ainsi qu'aux Pays-Bas, le
ministère public dispose d'un Parquet spécialisé à
compétence nationale pour les affaires économiques et
financières, composé de cinquante procureurs
spécialisés et deux cent cinquante collaborateurs. Les
juridictions de jugement sont également différentes des
juridictions de droit commun. En Espagne, une division
spécialisée du Parquet de Madrid a également une
compétence nationale pour certaines infractions économiques ou
lorsque l'affaire présente une grande complexité. En Allemagne,
les procureurs bénéficient de formations spécifiques dans
le domaine comptable et économique. Au Royaume-Uni, enfin, le service
des poursuites de la Couronne (Office of Public Prosecution) dispose d'une
branche indépendante et spécialisée, le bureau des fraudes
graves (Serious Fraud Office)161. Cette spécialisation
devrait rtre mise en oeuvre pour toute la chaine pénale, du Parquet qui
initie les poursuites au juge de jugement en passant par le juge d'instruction.
C'est une condition sine qua non d'une mise en oeuvre efficace de
l'action publique à l'encontre des pouvoirs privés
économiques.
Section II : Les moyens d'une mise en oeuvre efficace
du droit pénal.
C'est de la mise en oeuvre efficace du droit pénal
économique à l'encontre des acteurs économiques de
l'espace global que dépendra l'équilibre recherché entre
le marché et les droits de l'Homme. Le juge devra montrer son
indépendance à l'égard des pouvoirs économiques et
politiques pour réussir sa mission de régulateur effectif et
parer à toute velléité d'instrumentalisation du droit par
les acteurs les plus puissants économiquement ainsi qu'en attestent les
transactions qui éteignent de facto l'action publique, qui par
nature et par définition est d'ordre public. Les efforts
déployés par les différents droits nationaux pour mettre
un terme à l'impunité des politiques doivent inspirer le juge
répressif sollicité pour connaître d'une action contre les
acteurs économiques. Toutefois, il semble que la condition d'une mise en
oeuvre efficace du droit pénal à l'encontre des agents
économiques de la mondialisation est l'harmonisation des règles
de fond et le renforcement des entraides judiciaires (§ 1), mais aussi la
reconsidération des caractères de l'action publique (§
2).
161 Voir Rapport Coulon sur la dépénalisation du
droit des affaires
§ 1 : La nécessité de
l'harmonisation efficiente des règles de fond et
le développement des entraides judiciaires.
Il s'agit d'une nécessité imposée par la
globalisation mrme de l'espace économique mondial. Les acteurs
économiques de statut mondial, potentiels sujets de droit pénal
sont considérés différemment par les droits nationaux, ce
qui attenue l'efficacité des actions hardies menées par certains
fors pour lutter contre l'impunité. De mrme, la diversité des
statuts juridiques des acteurs au regard du droit pénal est un obstacle
à une répression efficiente des pouvoirs privés
économiques. Certains pays n'admettent toujours pas le principe de la
responsabilité pénale pour les personnes morales. Les tendances
sont toutefois favorables à la généralisation de cette
responsabilité pénale des entreprises comme en attestent les
instruments internationaux portant sur les délits réprimés
à l'échelle internationale. Cette harmonisation est d'autant plus
nécessaire pour le droit pénal économique que les efforts
de répression de la délinquance transnationale des entreprises
sont mises à mal et brouillés par « l'opacité des
liens financiers qui unissent et/ou capitalistiques qui unissent la filiale,
opérateur agissant sur place, et la maison-mère, lieu où
s'orchestrent les grandes décisions »162.
Des efforts notables ont été déjà
faits à cet effet au niveau international par la définition des
infractions communes. C'est ainsi que dans le domaine économique et
financier, deux formes particulières de criminalité ont
été appréhendées : le blanchiment et la
corruption163. Mais le domaine des pratiques anticoncurrentielles
est toujours à l'appréciation souveraine des différents
droits nationaux et pourtant il constitue l'un des points majeurs sur lequel la
régulation répressive des pouvoirs privés
économiques aurait produit des effets notables. Cela pourrait rtre
expliqué par les difficultés qu'éprouvent les États
mrme à s'accorder sur un droit mondial ou international de la
concurrence. En attendant, les mêmes pratiques continuent de recevoir des
traitements différenciés selon qu'on est dans un marché
régulé par un droit d'inspiration anglo-saxon ou d'inspiration
germano-romaniste164.
162 W . BOURDON, Entreprises multinationales, lois
extraterritoriales et droit international des droits de l'homme, op. cit. p.
748
163 Par exemple la Convention des Nations-Unies de 2000 sur la
criminalité organisée condamne avec force les deux pratiques
164 Les anglo-saxons privilégient la voie pénale
pour réprimer les comportements anticoncurrentiels alors que les pays
d'Europe continentale privilégient la voie administrative,
para-pénale pour réprimer les mêmes faits.
Un autre domaine sur lequel l'harmonisation devrait être
privilégiée est le terrain de la responsabilité
pénale de droit commun. Il serait nécessaire que la
communauté internationale, sous l'égide des Nations-Unies
élabore un instrument dans lequel serait définies les infractions
graves pouvant être imputables aux centres de décisions
économiques lorsqu'il peut rtre rapporté la preuve qu'elles ont
été commises par l'une de ses filiales ou de ses sous- traitants
intégrés et coupés du marché. Une telle
stigmatisation internationale aurait pour effet de mieux responsabiliser les
centres de décisions des groupes. Par exemple, les infractions à
la santé et à l'intégrité des populations commis
dans le cadre des groupes de sociétés sont
généralement réprimées sur la tête des
sous-traitants ou des filiales165. Lorsqu'elles ne sont pas
réprimées, elles servent de fonds de commerce entre les mains des
États du sud pour faire chanter les multinationales et obtenir de
l'argent qui ne servira généralement pas à
l'amélioration du sort des victimes166. Une harmonisation des
règles pénales de fond protégeant la santé,
l'intégrité des populations et l'environnement, et en
général les Droits de l'Homme même aura à coup
sûr pour effet de limiter l'instrumentalisation du droit pénal par
les protagonistes du contentieux répressif mettant en cause les pouvoirs
privés économiques.
De mrme, l'accent devrait aussi rtre mis sur la
coopération et l'entraide judiciaire entre les différents
systèmes judiciaires pour une poursuite efficiente des infractions
reprochées aux pouvoirs privés économiques. L'existence
d'un droit pénal harmonisé ne suffit pas, la difficulté
majeure semble se trouver sur le terrain du recueil des preuves dans le
contexte des infractions mettant en relation plusieurs fors. L'entraide
judiciaire pourrait donc se développer à cet effet tant au niveau
international que régional. Mais à l'épreuve de la
165 Par exemple, dans l'affaire Trafigura
précité, c'est le sous-traitant local de la firme qui a
finalement été condamné à 20 ans d'emprisonnement
ferme alors que la maison-mère du groupe Trafigura a acheté son
honorabilité à coup de centaines de millions d'euros et a obtenu
la libération des cadres incarcérés de sa filiale
ivoirienne, Puma, tout juste au lendemain du versement de la rondelette somme
et ce, sans aucune autre forme de procès.
166 Par exemple, dans l'affaire des enfants cobayes de Kano,
au Nigéria dont les faits sont les suivants : en 1996 ; une
épidémie de méningite avait frappé le Nigeria et
10.000 personnes avaient contracté la maladie. Pfizer, une firme
pharmaceutique américaine, en aurait profité pour tester sur des
enfants, un nouveau médicament, pas encore autorisé. Une dizaine
d'enfants ayant participé à cette étude sont morts,
d'autres sont devenus sourds, aveugles ou handicapés, mentaux. En 1997,
L'État du Nigéria porta plainte contre la firme pharmaceutique
comportant 29 chefs d'accusation allant d' « abus de pouvoir »,
« escroquerie » au « meurtre ». Dans la foulée,
l'État fédéré de Kano dans lequel le groupe
pharmaceutique a fait des tests meurtriers a aussi porté plainte.
Réclamant 2.75 millions de $ selon le quotidien en ligne l'
expansion.com (consulté le
05/06/2007), et selon un article publié sur le site de la Radio
France Internationale et consultable à l'adresse suivante,
http://www.rfi.fr/actufr/articles/112/article_79828.asp,
le groupe Pfizer a accepté de verser 75 millions $ à cet
État pour clore la procédure pénale qui y était
intentée contre elle. Mais l'État fédéral du
Nigéria réclame pour sa part 6.5 milliards $ de dommages pour les
mêmes faits et l'action publique qu'il a intenté contre le groupe
devant le juge répressif nigérian est toujours pendante.
réalité cela risque d'rtre une tk~che ardue.
Pourtant, le renforcement des caractères de l'action pour l'application
des peines en dépend.
§ 2 : La nécessaire reconsidération
des caractères de l'action publique face aux pouvoirs privés
économiques.
Il est réputé que l'action publique ne peut
faire l'objet d'une transaction excepté les cas où la loi le
prévoit expressément. Le développement de la transaction
entre les pouvoirs privés économiques et leurs victimes est
révélateur de la crise que connait l'action pour l'application
des peines. L'action publique se révèle à l'épreuve
des pouvoirs privés économiques comme une action intentée
devant un juge répressif cantonné dans le rôle dÇn
arbitre et dont les parties conservent la maîtrise de son
déroulement, mais surtout celle de son sort. Les affaires qui ont
été examinées dans le cadre du présent travail et
impliquant ces acteurs ont été réglées par la
même voie : la transaction. Ce qui emprche l'émergence d'une
jurisprudence répressive propre à cette catégorie de
délinquants et par conséquent, la construction d'une
économie de droit.
En principe, en dehors de certains cas exceptionnels
limitativement prévus par la loi où la poursuite revêt un
caractère mixte (moitié répression, moitié
réparation), les affaires pénales ne sont pas susceptibles de
transaction. Elles doivent être obligatoirement
jugées167. L'article 2046 du Code civil ajoute
qu'il est possible de transiger sur les intérrts civils qui
résultent d'un délit, mais cette transaction si elle
intervient entre le délinquant et la victime n'emprche
pas la poursuite du ministère public168. La transaction sur
l'action publique est donc impossible à l'exception des cas où la
mise en oeuvre de cette action dépend de l'attitude de certaines
administrations169. Or il apparaît que les restrictions qui
atteignent mrme l'action du ministère public sont mises à
l'épreuve par les pouvoirs privés économiques. Par
exemple, dans l'un des exemples évoqués ici, en l'occurrence
l'affaire des enfants cobayes de Kano au Nigéria, on voit comment les
grands groupes échappent à la responsabilité pénale
pour des infractions graves de droit commun moyennant de
l'argent170. Cette situation est moralement
167 Le ministère public ne peut renoncer à une
action lorsqu'il est demandeur au procès pénal, il n'est pas
propriétaire de l'action publique. Sous réserve des cas
prévus par la loi, il ne peut prendre l'engagement de ne pas poursuivre
le délinquant, ni transiger avec celui-ci.
168 Crim. 4 juin 1998, Bull. n° 183
169 B. BOULOC, Procédure pénale, Dalloz,
21 ème éd. 2007, p.1 67, n° 198
170 Courrier international - n° 891 - 29 nov. 2007
choquante en ce sens qu'il suffit d'avoir une bonne surface
financière pour commettre des crimes en toute impunité.
Il serait souhaitable que le législateur ou les juges
lorsqu'ils sont saisis des affaires impliquant cette catégorie de sujet
de droit, reconsidèrent les caractères mrme de l'action publique
et définissent exactement la portée des transactions intervenues
entre la victime et le délinquant au regard de l'action pour
l'application des peines qui ne devrait pas être à la disposition
des personnes privées. Elle appartient à la société
et ne saurait faire l'objet d'une quelconque transaction entre personnes
privées. L'habileté de quelques agents économiques et leur
surface financière ne doivent en aucun cas désarmer la puissance
publique face à une forme de délinquance qui met à
l'épreuve les instruments traditionnels de répression de
l'État. L'application de la justice pénale aux acteurs
économiques de la mondialisation doit être faite dans le respect
d'un principe sacré : celui de l'égalité entre les
citoyens et son corollaire de l'égalité devant la loi
pénale. Les sujets de droit pénal ne devraient pas être
traités différemment de façon flagrante. L'objectif mrme
de l'action publique étant le bien de la Justice
Conclusion de la deuxième partie.
Il a été démontré que
l'efficacité du droit pénal économique international
dépend de l'ampleur de son redéploiement. Les acteurs deviennent
de plus en plus ancrés dans le processus irréversible qu'est la
mondialisation. Ils sont désormais présents sur plusieurs
territoires étatiques et deviennent de plus en plus sophistiqués,
grâce aux moyens que leur offre leur nouvel espace d'activité
économique.
La sanction des abus de dimension transnationale
témoigne du souci de protection des consommateurs et des populations
vulnérables. La relative inefficacité des sanctions purement
nationale par le juge répressif a conduit le législateur à
opter pour l'extra-territorialisation de loi pénale nationale, devant
permettre au juge national d'appréhender afin de réprimer les
infractions commises par les sociétés multinationales ou dans le
cadre des groupes de sociétés. Cette solution est la meilleure
qui puisse exister, en l'état actuel du droit, pour réguler les
pouvoirs privés économiques dont le caractère
extrêmement mouvant a été démontré. Le
recours au juge répressif pour la sanction des abus relevant du droit
pénal commun est une voie idoine, car il est réputé
être le garant des libertés, donc il est le mieux placé
pour la répression des abus qui y sont portés.
Seulement, face aux défaillances institutionnelles et
juridictionnelles de certaines « États faibles », le juge
répressif devrait s'appuyer sur l'internationalisation du droit
pénal pour renforcer son office. De même, face à la
technicité des infractions reprochées aux pouvoirs privés
économiques, le juge répressif devrait être secondé,
mais pas concurrencé, dans sa mission par les instances
spéciales, constituées des personnes choisies pour leur
compétence. Celles-ci devront collaborer avec le juge répressif
pour déboucher sur une répression efficace des infractions
transnationale.
A cet effet, les sanctions devraient s'adapter à la
nature et à la dimension des infractions commises par les
décideurs du marché. Aussi devrait-on étudier
l'opportunité de la substitution de certaines sanctions punitives, mais
de nature civile ou administrative, aux condamnations aux peines d'amendes,
réputées inefficaces faces à cette catégorie de
délinquants aux moyens impressionnants.
Reste que l'urgence est de reconsidérer les
caractères de l'action pour l'application des peines, qui est, lorsqu'il
est à l'épreuve des pouvoirs privés économiques,
dévoyée par la pratique devenue générale
d'extinction de l'action publique par la conclusion d'une transaction entre les
firmes transnationales et leurs présumées victimes.
Conclusion Générale
La répression efficace des abus imputables aux pouvoirs
privés économiques que symbolisent les sociétés
multinationales et les groupes de sociétés sur le plan
international et les grandes entreprises sur le plan interne ne peut être
garantie sans, d'une part, la mise en place des critères effectifs de
responsabilité pénale des acteurs transnationaux et des donneurs
d'ordre et sans, d'autre part, le renforcement de la répression des abus
portant atteinte aux principes de libre concurrence et de l'obligation
d'information des destinataires des pouvoirs privés
économiques.
La répression ne doit pas, en effet, être
cantonnée, comme c'est aujourd'hui le cas, sur les seuls abus portant
atteintes aux intérêts du commerce international. Le droit
pénal véhicule des valeurs qui sont supérieures aux seuls
intérêts marchands. Le droit pénal protège la
santé, l'intégrité et le bien-être des populations.
Sa mise en oeuvre ne doit pas ttre à géométrie variable.
Elle ne doit pas rtre efficace à l'encontre des délinquants
ordinaires, personnes physiques, et excessivement clémente à
l'endroit des délinquants d'affaires, personnes physiques et personnes
morales. Le droit pénal dans sa mise en oeuvre à l'encontre des
pouvoirs privés économiques ne doit pas s'affranchir d'un des
principes supérieurs du monde civilisé : l'égalité
de tous devant la loi.
Ceci implique que la sanction des abus reprochés aux
pouvoirs privés économiques et portant gravement atteinte aux
intérêts moraux de la communauté internationale soit
renforcée. Cependant, les sanctions ne visant que les auteurs directs et
immédiats sont insuffisantes. Une sanction spécifique telle
l'engagement de la responsabilité pénale des donneurs d'ordre
dans le cadre des sous-traitances se justifiera par l'exemplarité de la
sanction. De même, pour ce qui est des abus commis par des groupes
faisant appels publics à l'épargne, il pourrait rtre
envisagé l'opportunité de l'interdiction de faire recours
à l'épargne des tiers pour financer leurs activités. Cette
sanction pourrait rtre mise en oeuvre pour réprimer les graves atteintes
à l'environnement et aux droits humains imputables aux entreprises
multinationales.
La répression efficace par la voie pénale exige,
pourtant, une meilleure prise en compte des caractères de l'action pour
l'application des peines, qui en règle générale,
n'appartient qu'à la société et non aux partie mises en
cause. La reconsidération des caractères de l'action publique est
urgente et semble rtre l'un des impératifs du redéploiement du
droit pénal appelé à internationaliser et à se
mondialiser.
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BOULOC
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Conseil d'État
CE, 5 mai 1944, Dame veuve Trompier-Gravier, Rec. Lebon p. 133 CE
Avis, 27 Septembre 1999, Rouxel, Rec. Lebon, p. 280
Tribunaux
TGI Albertville, 23 oct. 2000, cité par Claudel : RTD com.
2003. 80
TABLE DE MATIERES Introduction 1
Première Partie : L'encadrement répressif
des pouvoirs privés économiques.
Titre I : Les enjeux de l'encadrement répressif
des pouvoirs
privés économiques..............................................................................8
Chapitre 1 : Le souci d'une meilleure protection de la
structure du marché...............10
Section I-- La lutte contre la
macro-spéculation.................................11
§1- La répression des prix
illicites..................................................................1
2 §2 - La répression des prix
faussés................................................................13
Section 2- Le souci de préserver le financement
public.......................................15 §1 : Les
fraudes
fiscales.............................................................................15
§ 2- Les fraudes
douanières........................................................................17
Chapitre 2 : La régulation répressive des acteurs du
marché..............................19
Section 1- La moralisation des décideurs du marché
par le droit pénal..................19
§ 1- Les personnes mor al
es........................................................................20
§ 2- Les personnes
physiques......................................................................22
Section 2- La protection d'acteurs
faibles......................................................25 §1-
La protection des
consommateurs...........................................................25 §
2- La protection des
investisseurs..............................................................28
Titre 2 : Une régulation pénale
déficiente des pouvoirs privés
économiques...............31 Chapitre 1 : L'ordre
public pénal substantiel de régulation des pouvoirs
privés économiques.............................................................................................32
Section 1 : Une répression perfectible des
atteintes à la libre
concurrence...............32 §1- Une répression
effective des pratiques anticoncur
rentielles.............................32 § 2-Une
répression de la corruption transnationale en
devenir..............................35
Section 2 : La répression pénale
insatisfaisante des atteintes par les pouvoirs
privés économiques aux valeurs non mar
chandes.......................................................39 §1
: Une sanction pénale encore mitigée des atteintes
transnationales
à l'environnement.......................................................................................39 §
2 : La responsabilité pénale des pouvoirs privés
économiques pour atteinte aux droits del'Homme à
construire.............................................................................42
Chapitre 2 : Un encadrement pénal formel
ineffectif à l'endroit des pouvoirs
privés économiques..............................................................................................46 Section
I : L'infléchissement des principes directeurs du droit pénal par
les
pouvoirs privéséconomiques.....................................................................................46 §
1: L'insuffisance du principe de
légalité.........................................................46 §
2 : Le Principe de la personnalité des peines à l'épreuve
des centres
d'intérêts économiques..............................................................................................49 Section
II : L'affaiblissement des critères de compétence
répressive par les
pouvoirs privéséconomiques.....................................................................................51
§ 1 : Les critères autarciques boulever
sés.........................................................51
§ 2 : L'apport des autres critères de
compétence à
systématiser.............................54
Conclusion de la Première
partie....................................................................56
Deuxième Partie : Le nécessaire
redéploiement du droit pénal
économique. Titre I : Le redéploiement
du contenu 57
Chapitre I : L'intégration de l'opportunité
économique par le droit pénal 58
Section I : La prise en compte de la logique
économique par le droit pénal...............59
§ I : Le paradigme de l'abus des biens
sociaux...................................................59
§ 2 : les limites de la flexibilité de l'incrimination d'abus de
biens sociaux au regard des pouvoirs privés économ
iques........................................................................63
Section II : L'opportunité des mesures de
substitution à la sanction pénale.
«.............64 § 1 : L'introduction de l'action
de groupe au profit du consommateur 65
§ 2 : L'opportunité du recours aux
sanctions administratives régulatoires................67
Chapitre II : Le recentrage du droit pénal
économique face aux pouvoirs
privés économiques.............................................................................................70
Section I : Le recentrage autour des infractions gr
aves.......................................71
§ 1 : Le recentrage autour des infractions de
droit commun.................................71
§ 2 : Le recentrage autour des infractions
d'affaires..........................................74
Section II : Le recentrage autour des fraudes aux
intérêts pu bl ics........................77
§ 1 : La répression effective des atteintes
à la liberté d'accès aux marchés
publics....77
§ 2 : L'appropriation pénale des
manquements graves aux Codes de conduite privés des pouvoirs
privés économ
iques.....................................................................
.80
Titre II : Le redéploiement de la mise en oeuvre
du droit pénal à l'encontre des pouvoirs privés
économiques 84
Chapitre I : Le recadrage de l'office répressif
des autorités de régulation .85
Section I : Le recadrage du domaine de compétence
des instances de régulation
|
86
|
§ 1 : Le recadrage de l'office de l'autorité
de la concurrence
|
.87
|
§ 2 : Le recentrage de l'office du régulateur
des marchés financiers
|
89
|
Section II : La nécessaire redéfinition des
rapports entre les autorités de régulation et la
justice répressive
|
.91
|
Chapitre II : L'internationalisation du droit
pénal.
|
.93
|
Section I : Les conditions d'une internationalisation
effective
|
.94
|
§ 1 : La redéfinition des acteurs de l'action
publique
|
94
|
§ 2 : La nécessaire spécialisation des
magistrats
|
97
|
Section II : Les moyens d'une mise en oeuvre efficace du
droit pénal.
|
98
|
§ 1 : La nécessité de l'harmonisation
efficiente des règles de fond et le développement des
entraides judiciaires ..99
§ 2 : La nécessaire reconsidération
des caractères de l'action publique face aux pouvoirs privés
économiques 101
Conclusion de la deuxième partie 103
Conclusion Générale 104
Bibliographie 105
|