Contribution des Ecoles Normales Primaires au processus de l'Education Pour Tous( Télécharger le fichier original )par Jean-Baptiste NDAGIJIMANA Université Catholique de l'Afrique de l'Ouest - Maîtrise 2005 |
CHAPITRE 8Propositions.Au début de notre travail de recherche, nous avons évoqué le problème lié à la non participation des acteurs internes(enseignants et institutions de formation des enseignants) du système éducatif dans l'élaboration des plans d'action en éducation, spécialement celui de l'EPT. Les résultats obtenus ont confirmé l'existence de ce problème. Nous avions supposé que le bilan de l'Éducation Pour Tous au Rwanda n'était pas satisfaisant, bien que la volonté d'y arriver soit exprimée dans le plan d'action. Les efforts fournis pour la réalisation de l'enseignement primaire universel sont louables bien que les lacunes du système concernant la qualité soient évidentes ( le surpeuplement des classes, la formation initiale des enseignants non adaptée, la formation continue des enseignants ainsi que la formation initiale des enseignants de préscolaire non assurées). Le taux d'alphabétisation n'a pas connu d'augmentation significative depuis la déclaration mondiale sur l'EPT (1990), puisque nous sommes passés de 50% à 52% en quinze ans. Suite à ces constats, nous avons voulu mener une recherche pour déterminer si les Écoles Normales Primaires (la seule structure actuellement chargée de la formation des enseignants de l'éducation de base, surtout du primaire) pouvaient contribuer au processus de l'EPT. Nous avons enquêté à l'intérieur de ces écoles et au Ministère de l'éducation. Les avis des uns et des autres nous ont prouvé que les Écoles Normales Primaires ont un impact positif et un grand rôle à jouer pour la réalisation des objectifs de l'EPT. Cela nous a permit d'identifier des réalisations des Écoles Normales favorables à l'EPT et d'analyser la mission possible des ENP. C'est à partir des lacunes constatées et des manquements observés que nous voulons proposer des remèdes et des solutions pratiques. Nos propositions se résument en cinq points : 1. Améliorer l'éducation pour le bien-être de la population 2. Attribuer aux ENP une place influente dans le processus de l'EPT 3. Encourager les initiatives pédagogiques dans le cadre de l'EPT 4. Renforcer la formation initiale dans le cadre de l'EPT 5. Planifier la formation continue des enseignants en faveur de l'EPT Proposition 1 : Améliorer l'éducation pour le bien-être de la population Notre proposition rejoint la demande de la société actuelle. Nous constatons que, de plus en plus, l'éducation est mise en avant pour trouver une solution à tous les problèmes ou combler un manque dans un domaine de la vie. On souhaite l'éducation à la paix dans les pays en guerre où la violation des droits de la personne est omniprésente. On insiste sur l'éducation à la justice quand une certaine injustice est exercée sur un groupe dans la société. Le gouvernement ne parle que de l'éducation à la citoyenneté quand les valeurs de la citoyenneté et de la patrie ne sont plus à l'ordre du jour. Tout le monde compte sur l'éducation sexuelle pour résoudre le problème de la pandémie du Sida qui ravage le monde, etc. Au début de ce troisième millénaire, l'Unesco parle de l'Éducation en vue du Développement Durable parce que l'éducation a montré ses limites au niveau du développement. Même si toute éducation vise à une transformation comportementale de la personne et de la société, toute éducation ne vise pas nécessairement à une transformation durable. Cette recherche d'une éducation adéquate n'a que le seul but : le bien être de la personne. L'éducation formelle est-elle une solution ? Devrait-elle avoir une recette toute faite pour tous temps et en tout lieu ? Les plans d'éducation ne sont-ils pas liés à un contexte donné ? En effet, dans la période que nous vivons, le monde entier s'est engagé à répondre aux besoins éducatifs fondamentaux, d'où la volonté de l'Éducation Pour Tous car toute personne a droit à l'acquisition des compétences indispensables et utiles. Concrètement, il revient à l'État d'assurer ce droit. Pour répondre aux besoins éducatifs et améliorer le bien-être de la population pour un développement durable, les résultats de recherche montrent que le système éducatif du Rwanda souffre d'un déficit dans l'apprentissage des compétences indispensables de base. La science et la technologie ne sont pas suffisamment développées dans l'enseignement. Dans l'effort de mobilisation des ressources humaines et financières de l'État, nous proposons au Gouvernement d'orienter le système éducatif dans le domaine de la science et de la technologie et d'assurer l'acquisition du minimum de compétences à toute la population telles que nous les présentons dans ce tronc commun des compétences de base selon l'UNESCO: Compétences de la vie courante Compter, écrire, comparer, comprendre Vocabulaire, compréhension de la lecture, écriture Nombres entiers, décimales, fractions, tableaux, graphiques, figures Santé, hygiène, nutrition, vie quotidienne, environnement social et naturel Addition, soustraction, division et multiplication Proposition 2 : Attribuer aux Écoles Normales Primaire une place influente dans le processus de l'Éducation Pour Tous. Les résultats de la recherche nous ont prouvé que la planification de l'éducation est centralisée par le Ministère de l'éducation. Les plans d'action dans le domaine de l'éducation souffrent de la non-participation des acteurs techniques exécutants (Institutions de formation des enseignants du primaire et population enseignante). Ils ne sont ni impliqués, ni consultés au cours de la réalisation des plans d'éducation et de la prise de décisions relatives à l'enseignement. L'insuffisance d'informations sur la politique du Gouvernement en matière d'éducation est aussi un obstacle majeur pour la réalisation des objectifs de l'éducation pour tous. Les résultats de la recherche nous ont montré que les Ecoles Normales Primaires ont un impact positif sur le système éducatif et une influence auprès de la population enseignante. C'est dans ce contexte que nous proposons qu'on attribue aux ENP une place influente dans le processus de l'EPT. Cela exige que les ENP aient une place dans la structure institutionnelle sur l'éducation pour tous et la préparation des plans d'action. L'information sur le plan d'action et son exécution éventuelle sont importantes pour qu'elles puissent contribuer réellement au processus de l'EPT. Dans le processus de réalisation de l'Enseignement Primaire Universel, on n'omettra plus le rôle principal des écoles chargées de la formation des maîtres. Leurs avis seront sollicités. Tel est le souhait des personnes interrogées. Pour finir, les résultats de la recherche nous amènent à constater que le secteur de l'éducation n'a pas un système d'information adéquat; beaucoup d'enseignants n'ont pas assez d'informations sur la politique du Gouvernement concernant le l'Éducation Pour Tous. Il est souhaitable que le Ministère de l'éducation renforce son système d'information en utilisant les différents médias. Nous nous appuyons sur la vision de l'Unesco pour dire qu' « il faut utiliser au maximum les médias dans la marche vers les objectifs de l'EPT. La décentralisation, fondée sur le partenariat avec la presse (journaux et magazine), avec la radio, la télévision et le cinéma, peut s'avérer précieuse ». C'est par les médias qu'on peut informer un grand nombre de personnes à la fois et attirer l'attention du public. Les médias sont les moyens les plus efficaces pour transmettre au public des idées et des informations. D'autres moyens utilisables sont les campagnes d'affichages dans des lieux publics : églises, écoles, marchés, centres commerciaux, bureaux administratifs, centres de santé, hôpitaux, gares routières, ronds points, etc. C'est par une campagne de sensibilisation à l'Éducation Pour Tous et la publication du plan d'action de l'EPT auprès des enseignants et des ENP que les objectifs de l'EPT peuvent être compris. Il est souhaitable que ce plan d'action de l'EPT et la politique éducative soient disponibles dans toutes les langues utilisées au Rwanda (Kinyarwanda, Français et Anglais) pour permettre à tous les Rwandais d'y participer. C'est une des stratégies possibles pour mobiliser le peuple et susciter des initiatives. Proposition 3 : Encourager des initiatives pédagogiques dans le cadre de l'Éducation Pour Tous. Les résultats de la recherche nous indiquent que les ENP sont bien placées dans le diagramme du partenariat de l'EPT pour pouvoir participer activement au processus. En plus de la formation initiale qui est la première mission de l'école normale, son engagement dans la communauté locale en matière d'éducation est indispensable. C'est dans ce domaine que nous formulons nos propositions. Des initiatives pédagogiques en faveur de la population environnante sont possibles ; d'abord parce que l'Ecole Normale est outillée pédagogiquement ; ensuite les élèves-maîtres après une année de formation pédagogique, sont en mesure d'alphabétiser. Grâce au régime d'internat, ils disposent suffisamment de temps pendant le week-end; enfin, les activités parascolaires sont prévues dans l'emploi du temps de l'internat. En s'appuyant sur l'expérience de l'ENP Kirambo, nous proposons que les clubs d'alphabétisation soient généralisés dans les onze ENP et encouragés pédagogiquement et financièrement. Considérant les lacunes évoquées au sujet des centres d'alphabétisation, la nécessite d'ouvrir l'école à son milieu et d'en faire un milieu d'apprentissage, il est souhaitable que les écoles normales contribuent à la réalisation de l'EPT. Cette contribution doit se réaliser dans le cadre des formations initiale et continue des alphabétiseurs. A partir des résultats observés, nous proposons que des ENP puissent mener les actions pédagogiques suivantes: · former les alphabétiseurs et un groupe des volontaires pour l'encadrement. · former un groupe cible de formateurs d'alphabétiseurs. Ces actions peuvent être réalisées avec l'aide du Ministère de l'éducation avec celle d'autres ministères ayants dans leurs attributions l'éducation et le bien-être de la population ainsi qu'avec le pouvoir décentralisé dans les Provinces. Proposition 4 : Renforcer la formation initiale dans le cadre de l'Éducation Pour Tous. Les résultats de notre recherche en concordance avec la vision de l'UNESCO en matière d'Éducation Pour Tous affirment que la formation initiale des enseignants du primaire a besoin d'une réforme puisque le programme actuel ne répond pas aux attentes de l'éducation en vue d'un développement durable. Les stratégies traditionnelles d'enseignement et d'apprentissage appliquées à la formation initiale des enseignants ont besoin des nouvelles orientations et de nouveaux contenus. Nos propositions dans ce domaine prennent en considération l'histoire de l'éducation. L'enseignement était conçu comme un transfert de connaissances entre l'enseignant et l'enseigné. L'acte pédagogique en classe consistait à faire acquérir par l'apprenant un ensemble de savoirs organisés en séquences ou en objectifs. L'apprenant bien formé était celui qui obtenait la meilleure note puisqu'il suivait convenablement l'enseignant pendant l'acte pédagogique. Cependant, ces acquis scolaires planifiés en dehors de l'apprenant, sont parfois passagers et souvent peu utiles. Cela a été prouvé par des recherches en apprentissage et en pédagogie cognitive. Il est souhaitable que le système éducatif soit orienté vers un apprentissage qui permette à l'apprenant d'apprendre pour comprendre, pour construire lui-même son savoir en faisant quelque chose qui l'intéresse et le motive. Pour stimuler les potentialités de l'apprenant, il est souhaitable que le système éducatif favorise les compétences qui intègrent les savoirs et les savoir-faire plus complexes et plus autonomes. Dans ce contexte, nous proposons que les ENP adoptent l'Approche par compétences dans la formation initiale comme modèle de formation. Nous proposons que cette approche soit appliquée en relation avec le modèle de formation béhavioriste. En l'utilisant nous suggérons qu'on tienne compte des points essentiels du modèle de formation scientifique pour remédier aux désavantages constatés dans le modèle de formation béhavioriste (voir chapitre 4). Il est important de savoir que l'approche par compétences prônée par les objectifs de l'Éducation Pour Tous doit conduire à des modifications pédagogiques importantes, concernant les programmes d'études, le rôle et les tâches de l'enseignant auprès des apprenants, les contenus et orientations des programmes de formation initiale et continue des enseignants. L'apprenant doit être l'acteur principal, les stratégies d'apprentissage devenant plus importantes que les méthodes d'enseignement. La psychologie de l'apprentissage doit accorder la priorité aux activités de formation qui permettent aux enseignants de mieux connaître les façons d'apprendre de l'élève. La pratique de l'évaluation formative permet à l'enseignant de mieux évaluer l'élève et de l'accompagner dans ses progrès. La didactique interdisciplinaire favorise une meilleure conception des activités pédagogiques. L'approche par compétences est la seule démarche qui est appliquée dans des programmes de formation des enseignants des systèmes éducatifs162(*) plus avancés dans des pays riches comme USA, Angleterre, Japon, etc. Dans ces pays, le futur enseignant doit être capable de mobiliser son savoir et son savoir-faire dans des situations pédagogiques réelles. Le nombre des grandes compétences touche les éléments essentiels du savoir faire d'un enseignant : concevoir des situations d'apprentissage, aider et évaluer les élèves dans l'apprentissage, donner le goût d'apprendre et de produire, animer et communiquer efficacement, résoudre les difficultés pédagogiques, intégrer les technologies de l'information, travailler avec l'équipe éducative et les parents, continuer à se perfectionner, etc. C'est dans ce contexte que nous proposons que la formation initiale des enseignants soit élargie dans le cadre de l'éducation de base. Depuis le début de l'histoire de l'éducation au Rwanda, bien que la formation des enseignants du programme de rattrapage (réinsertion des enfants déscolarisés ou non scolarisés) soit centralisée au ministère de l'éducation, aucune structure formelle ne se charge de la formation des enseignants du préscolaire. Considérant que ce sont des lauréats des Ecoles Normales Primaires qui sont le plus souvent engagés dans ce niveau de formation, il est souhaitable qu'on introduise ces programmes dans la formation dispensée par des ENP. En général, le préscolaire fait partie intégrante du système d'éducation primaire.163(*) Dans l'objectif de la protection et d'éducation de la petite enfance, l'Unesco affirme que l'apprentissage précoce a un fort effet positif sur les apprentissages ultérieurs dans le primaire et au-delà. Nous proposons que les écoles primaires d'application des ENP intègrent aussi deux ans de préscolaire. Cela est le grand souhait exprimé par des personnes interrogées. L'objectif pédagogique est de permettre aux élèves maîtres de faire leur stage dans cette partie de l'éducation de bas âges, dans laquelle ils sont engagés à la sortie de l'École Normale. Quant au programme de rattrapage, il a pour but de réinsérer les enfants déscolarisés et d'insérer les enfants non scolarisés dans le système éducatif. Cet objectif est dans la mouvance de l'Unesco qui recommande aux pays de prévoir des programmes destinés à répondre aux besoins éducatifs fondamentaux des groupes défavorisés, des jeunes non scolarisés et des adultes n'ayant pas ou ayant difficilement accès aux services de l'éducation fondamentale. Suite aux résultats de la recherche, nous proposons que chaque ENP ait un programme de rattrapage à l'exemple de l'ENP Kirambo (11 centres sur 70 centres prévus au niveau national dans le Plan Stratégique du Secteur de l'Éducation). Cela permettra aux élèves-maîtres de bénéficier de la formation pédagogique et du stage pédagogique dans cette partie de l'éducation de base. Il faudrait souligner que la formation continue des enseignants du programme de rattrapage est assurée par le Ministère, bien que la formation des enseignants du primaire n'est pas planifiée. Proposition 5 : Planifier la formation continue des enseignants en faveur de l'Éducation Pour Tous. Il est universellement reconnu que le stage pédagogique et la formation continue devraient être au centre de la formation des enseignants, d'autant plus que le stage forme l'idéal de développement et de démonstration des aptitudes pédagogiques et des connaissances professionnelles. Les résultats de la recherche nous montrent une autre réalité de la formation en rapport à ce que nous avons dit dans le cadre théorique sur la formation continue. Nous constatons que la formation continue ne doit pas servir seulement au développement des enseignants, elle doit servir surtout à améliorer la réussite scolaire des élèves et à augmenter le rendement pédagogique de l'école. Nous proposons que la formation continue soit planifiée dans le but de la réussite scolaire. Ce qui exige la planification des activités qui développent la capacité des enseignants dans le but d'apprendre à travailler ensemble au sein de l'équipe éducative et de s'engager dans une démarche de recherche conceptuelle pédagogique. Cela permettra de développer l'esprit d'analyse rationnel et d'échange sur l'amélioration des pratiques pédagogiques. La formation continue doit considérer la nouveauté dans l'approche pédagogique. La Technologie de l'Information et de la Communication a beaucoup influencé les changements de conception des sociétés. Elle a diversifié les sources d'apprentissage de l'élève. Les enseignants n'ont plus le monopole de la transmission du savoir. C'est dans ce contexte que le rôle de l'enseignant doit être redéfini. Dans ce sens, nous proposons que les enseignants soient formés pour acquérir de nouvelles compétences dans le domaine des nouvelles approches en méthodologie (ou stratégies d'enseignement), des disciplines enseignées au primaire et de la fabrication du Matériel Didactique. La formation initiale doit tenir compte aussi du changement de la famille rwandaise. La cellule familiale a éclaté et nombreux enfants ne vivent plus avec leurs parents ou n'ont plus de parents. Le génocide a laissé des traces douloureuses et des questions sans réponses. Les jeunes se tournent vers l'école pour chercher à se situer eux-mêmes et à comprendre le pays dans lequel ils vivent. Or, les enseignants n'ont pas été préparés à répondre à ces questions, ils n'ont ni préparation, ni compétence. Dans ce contexte nous proposons que des enseignants aient une formation adéquate en psychologie de traumatismes et dans l'accompagnement des enfants traumatisés. L'enseignant doit être formé pour pouvoir aider les élèves à trouver la solution aux problèmes de la vie courante tels que : l'intolérance, la violence, l'agression et la discrimination sexuelle, la drogue, le VIH/Sida, le manque de respect, etc. Ainsi les compétences à développer chez les enseignants, aussi bien en formation initiale que continue, ne sont donc pas uniquement pédagogiques, loin de là. * 162 Il est actuellement difficile de réaliser ce système éducatif dans un pays pauvre comme le Rwanda, mais cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas commencer un processus. * 163 Cela est souligné dans le rapport de voyage d'étude des Directeurs des ENP en Tanzanie |
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