3- Les techniques de valorisation des eaux de ruissellement
dans la zone d'étude
3.1- La technique des Jessours
C'est l'une des plus importantes techniques hydro-agricoles
traditionnelles du sud tunisien. C'est une très ancienne technique
datant de l'époque romaine. Cette technique, on la trouve au Libye dans
les Djebels Nefzaoua (continuation des monts de Matmata).
3.1.1- Descriptions et typologie des jessours
3.1.1.1- Description : Les
différentes parties du jesr
Le jessr est, en fait, une petite hydraulique typique des
régions montagneuses arides du sud tunisien, comportant les parties
suivantes : un barrage, une terrasse et un impluvium.
Ces jessours constituent une technique basée sur
l'utilisation des eaux de ruissellement pour une exploitation agricole
(cultures arboricoles et céréales) dans les terrains à
fort ruissellement et pour créer des surfaces agricoles en retenant les
eaux de ruissellement et les sédiments transportés.
* Le barrage
La Tabia ou Ketra est le barrage que l'homme
construit à travers le talweg ou sur le versant à pente
douce, perpendiculairement à la pente. C'est un mur en pierres ou en
terre tassée pouvant avoir une longueur dépassant cent
mètres. Une coupe transversale de mure montre une forme plus ou moins
trapézoïdale, la grande base est face du talweg. Le rass
ou Tbagua correspond à la petite base.
Les deux autres côtés du trapèze forment
le gfa (renté vers l'aval) et le oujah (orienté
vers l'amont). La hauteur de la Tabia varie entre 0,5m à 5m. La
plupart du temps, ces barrages présentent des discontinuités dans
leur profil longitudinal. Il s'agit des déversoirs (Masraf et
Menfess) qui servent à évacuer les surplus d'eau vers
les jessours situés à l'aval. Cette évacuation peut
être assurée par un ou deux déversoirs :
- Le déversoir latéral Menfess, qui
joue le rôle d'un trop plein, est aménagé à l'une ou
aux deux extrémités du Tabia au point de contact avec
les versants. Il consiste, en général, en une saignée
incurvée. La culée verticale du déversoir qui s'appuie
contre la Tabia est souvent formée par un mûr en pierres
sèches. Mais, il arrive aussi qu'elle ne soit pas
protégée.
Dans bien des cas également, le seuil déversant est
armé par une couche de grosses pierres afin d'éviter
l'érosion ravinant.
- Le déversoir central Masraf, est un seuil
déversant, limité par deux culées en pierres sèches
ou en maçonnerie. La partie orientée vers l'aval est
constituée d'escaliers en pierres taillées.
D'après BONVALLOT, 66% des barrages sont
équipés de déversoirs type Menfess et 30% de
déversoirs type Masraf dans la chaîne de Matmata.
* La terrasse
Derrière le barrage (coté amont) s'étend
le Klis, qui présente une surface sub-horizontale portant les
cultures et les arbres fruitiers. Dans les talwegs, cette terrasse est souvent
plus étendue que sur les pentes de collines et de glacis. C'est sur
cette surface plane que s'accumulent les eaux de ruissellement et la
sédimentation.
*L'impluvium
Il constitue le bassin versant du jesr. Souvent, il est
délimité naturellement par la ligne du partage des eaux entre les
différents Jessours. Mais, il arrive que cet impluvium naturel soit
étendu grâce à des rigoles appelées Hammala
ou des murettes en pierres pour déviation des eaux.
Terrasse
L'impluvium
Menfess
Tabia
Photo 1 : Les différentes parties du
Jesr
3.1.1.2- Typologie des jessours
Ces jessours occupent deux sites bien distincts :
- Les talwegs des vallées et des ravins ;
- Les surfaces des glacis et le versant à pentes douces
des collines.
Dans certains endroits la construction du barrage du jesr a un
seul but : la rétention de l'eau. Ce cas est très répandu
dans la région de Matmata et de Beni Khédache. Là,
où les loess constituent d'importants sols profonds couvrant de vastes
surfaces.
Dans d'autres endroits le barrage du jesr est construit pour
retenir l'eau et les produits de l'érosion qui constituent le sol du
jesr. Ce type de jessours est répandu au sud de la région de Beni
Khédache (Ghomrassen, Tataouine). C'est une zone
caractérisée par l'existence d'une couche des loess peu
épaisse et souvent érodée.
3.1.2- Le rôle hydro-morphologique des
jessours
Le Jesr a pour vocation la rétention des eaux de
ruissellement et les produits de l'érosion : 3.1.2.1-
Rétention des eaux de ruissellement
La conception des jessours est faite pour retenir une
quantité plus au moins importante d'eau de ruissellement. Cette
rétention à pour effet une baisse de coefficient de ruissellement
de bassin (CHAHBANI, 1984). Cette quantité d'eau retenue derrière
ces barrages à pour conséquence une réduction du nombre de
crues et de leur débit.
3.1.2.2-Rétention des produits de
l'érosion
Les eaux de ruissellement sont toujours chargées
d'éléments plus ou moins fins provenant de l'érosion
hydrique des limons. Une fois arrivées au jesr, ces eaux s'accumulent et
forment un petit lac artificiel derrière le barrage. Dans ce lac, les
molécules d'eau ont perdu tout mouvement de turbulence qui favorise le
dépôt de la charge. Ainsi, il se forme à la surface du
jesr, une couche plus ou moins épaisse d'alluvions plus ou moins
stratifiées. A la base, on a des éléments grossiers
(graviers ou sables) et au sommet des éléments très fins
(argiles) fig 8.
Fig. 8 : décantation des produits de
l'érosion (loi de stock)
Argiles
Limon
ooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooo
Sables
ooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooo
Cette couche peut atteindre 1 à 2 mètres
d'épaisseur dans les jessours à grandes hauteurs
de rétention (1,5 à 3m). Dans certains jessours à
déversoir type Manfes (à Zammour). Cette
rétention des produits de l'érosion a pour
conséquence de diminuer la quantité de limons mis à la
disposition du vent dans les vallées, les dépressions et les
plaines d'accumulation.
3.1.3. Les Insuffisances des jessours
Malgré le rôle morphologique, les jessours souffrent
de plusieurs défauts qui sont à l'origine de leur destruction
lors des fortes pluies telles que :
* Disproportion entre la surface du jesr et la
surface de son impluvium
Chaque jesr a son propre impluvium. Cet impluvium a toujours
une surface beaucoup plus grande que celle du jesr. Le rapport de ces deux
surfaces peut varier de 1 à 1/100 voir 1/200 surface du jesr par rapport
à la surface de l'impluvium.
Cette grande disproportion constitue un problème pour
la construction des barrages. En effet, si un jesr à une surface de 500
m2 et son impluvium est de 100 000 m2, pour retenir le
volume d'eau ruisselé sur l'ensemble de l'impluvium par une lame d'eau
de 20mm, il faudrait un ouvrage de rétention totale de 4m de haut ceci
sans tenir compte des eaux de déversement des autres jessours.
* La disproportion entre la capacité de
rétention du jesr et le volume d'eau y arrivant
(ruissellement de l'impluvium et déversement).
La majorité des barrages des jessours sont
équipés de déversoirs situés en moyenne à 50
cm au-dessus de la surface du jesr. Ces déversoirs limitent la
capacité de rétention du jesr. Ainsi, un jesr ayant une surface
de 200 m2 et une hauteur de rétention de 50 cm, avec un
impluvium de 10 000m2, aura une capacité de rétention
de 100m3. Cette capacité est atteinte après un
ruissellement de 10mm sur l'ensemble de l'impluvium. Une telle lame d'eau
ruisselée est fréquente et même souvent
dépassée dans les djebels de Beni Khédache.
* La faible infiltration dans le
jesr
L'eau retenue par le barrage n'arrive pas à bien
s'infiltrer dans le jesr. Cette infiltration est de l'ordre d'un quart de la
hauteur d'eau retenue (Chahbani, 1984). Cette faiblesse de l'infiltration est
essentiellement due au dépôt des produits de l'érosion. Les
strates supérieures de ces déposés sont essentiellement
formées de limons très argileux et d'argiles. Cette strate peut
atteindre parfois 10cm d'épaisseur, elle constitue un danger pour la vie
des cultures et des arbres en bloquant toute aération dans les horizons
supérieurs du sol.
3.2- La technique des Fesguias et Mejels
Il s'agit de réservoirs construits en maçonnerie
dans une excavation dans le sol. La capacité de stockage varie entre 20
et 100m3. Deux versions sont prévues : une pour un usage domestique et
une pour un usage agricole.
Les réservoirs à usage domestique
reçoivent souvent leur eau des toits de la maison et/ou d'un impluvium
en maçonnerie. Les réservoirs à usage agricole
reçoivent leur eau d'un impluvium naturel. Dans ce cas, chaque
réservoir dispose d'un ou deux bassins de décantation des
produits d'érosion, afin d'éviter le comblement rapide du
réservoir par ces produits.
Les eaux stockées dans les réservoirs à
usage agricole, sont destinées essentiellement pour l'irrigation
d'appoint des arbres (lors de leur jeune âge) des Jessours, et /ou pour
l'abreuvement des animaux. Les réservoirs traditionnels de collecte et
de stockage d'eau de ruissellement pour usage agricole, jouent un rôle
non négligeable dans la sauvegarde des jeunes arbres plantés dans
les terrasses des Jessours.
3.2.1.Techniques de Majels
La tradition de la région de Zammour Béni
Khédache, a fait que presque chaque ménage dispose d'au moins 1
Majel chez lui. Les volumes de ces réservoirs varient en fonction de
l'impluvium faisant partie de l'ensemble du système de collecte d'eau de
ruissellement. Cet impluvium possède une superficie moyenne de 200 m2.
Pendant les années de sécheresse, les Majels sont remplis
à partir d'achat d'eau.
Le coût de construction d'un Majel est variable selon les
volumes.
3.2.2.Techniques de Fasguias
Sont également des réservoirs pour le stockage
d'eau mais ayant une forme de parallélépipède. Le volume
moyen de stockage de ces techniques est d'environ 90m3. Le coût de
construction de ces citernes est relativement plus élevé, que les
techniques de Majels, ils s'élèvent à environ 2500 DT
(Fetoui, 2003).
Vue d'une coupe d'une Fesguia.
Vue d'une coupe d'un Majel.
Bassin de décantation des produits de
l'érosion Bassin de stockage de l'eau
Orifice d'exhaure de l'eau manuellement L'impluvium de la
citerne
Limite de l'impluvium
Surface topographique
Fig 9 : Technique de Majel et de
Fesguia (Réservoirs de stockage d'eaux de ruissellement)
Bassin de décantation des produits de
l'érosion
Orifice d'exhaure de l'eau manuellement
Margelle de la citerne souterraine
Photo 2 : Citerne type Fesguia
Bassin de décantation des produits de
l'érosion
Orifice d'exhaure de l'eau manuellement
Toit voûte de la citerne souterraine
Photo 3 : Citerne type Majel
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