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Les conditions de vie des personnes agées en Cote d'Ivoire: Regard sur la maltraitance à  Adjame Village

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par Ahou Clémentine TANOH épse SAY
Cocody - DEA de sociologie 2007
  

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Chapitre I : LES AINES SOCIAUX D'ADJAME VILLAGE

Dans ce chapitre, nous entendons mettre en exergue, les caractéristiques démographiques et socioculturelles des personnes âgées enquêtées. Elles prennent en compte le genre, la situation matrimoniale, la religion, le groupe d'âge, le niveau d'instruction, la catégorie socioprofessionnelle, l'alimentation, l'état sanitaire, les logements et le cadre de vie.

I.1 Genre et situation matrimoniale

Les modalités que nous avions retenues, liées à la situation matrimoniale des

enquêtés sont : Marié (tout individu dont l'union a été célébrée à l'état civil, religieusement ou coutumièrement), union libre ( tout individu non marié qui vit en concubinage), divorcé (toute personne dont le mariage a été rompu et qui ne s'est pas remariée), célibataire (personne qui n'a jamais été mariée et qui ne vit pas en union libre) et veuve ou veuf ( personne dont le mariage a été rompu par le décès du conjoint et qui ne s'est pas remariée).

A l'issu de l'enquête, force est de constater que nos enquêtées sont, soit mariées (9/26), soit veuves (17/26).

D'une manière générale, les conditions de vie des hommes (mariés ou veufs) et des femmes (mariées ou veuves) sont presque identiques. Cependant, la situation varie fonction du degré de dépendance de la personne âgée. En effet, une femme âgée de 70 ans environ, encore valide, est moins dépendante qu'un homme du même âge, aussi bien portant, en ce sens que cette dernière continue de vaquer à ses occupations domestiques. L'homme, quel que soit son âge, a toujours besoin d'une aide extérieure pour subvenir à ses besoins essentiels (cuisine, ménage, lessive...). C'est en cela qu'il est plus exposé aux mauvais traitements des servantes ou des petits enfants desquels il dépend, lorsqu'il est veuf.

I.2 Genre et religion

La Côte d'Ivoire est un Etat laïc. Elle autorise toutes les confessions religieuses. A Adjamé-village, les personnes âgées, dans leur ensemble, sont des croyants. Toutes celles que nous avons interrogées sont de la religion chrétienne. La majorité est catholique (17 sur 26). Elles sont en minorité évangéliques (1 personne), 6 d'entre elles sont protestantes et 2 sont harristes.

Toutes les femmes sont soit protestantes (3/12), soit catholiques (9/12).

La religion n'a pas d'influence directe sur les conditions de vie des personnes âgées. Au sein des différentes communautés chrétiennes précitées, il n'existe pas de structure particulière de prise en charge des personnes âgées. En effet, tous les chrétiens sont considérés et traités de la même manière. L'accession à un poste de responsabilité (membre du conseil paroissial chez les catholiques, prédicateur chez les méthodistes, ancien ou diacre chez les évangéliques, ...) n'est pas lié à l'âge mais, à l'ancienneté et au dynamisme au sein de l'église. C'est à ce titre qu'on rencontre des personnes âgées jouant des rôles précis au sein de leurs églises. Toutefois, au niveau de l'église évangélique à laquelle appartient le doyen d'âge du village, il existe un comité dit « comité du grand âge » qui regroupe toutes les personnes âgées d'au moins 50 ans. Au sein de ce comité, les membres se visitent mutuellement. Chaque semaine, ces derniers se retrouvent au sein de leur église pour se soutenir spirituellement dans la prière et pour s'entraider matériellement et financièrement, en cas de nécessité.

I.3 Genre et groupe d'âge

La population des personnes âgées que nous avons interrogée est en majorité composée de personnes du quatrième âge (75 ans ou plus) à savoir 14/26. Cette sous population se caractérise par une surpopulation féminine avec 9 femmes pour 5 hommes.

Il se dégage donc, qu'à Adjamé-village, la population des personnes les plus âgées, est celle des femmes. Les deux femmes les plus âgées ont respectivement, 94 et 96 ans. Toutefois, dans le village, le doyen d'âge est un homme, bien qu'il soit moins âgé que ces femmes. Ceci s'explique par le fait que dans la société ébrié, ce sont les hommes qui assurent les fonctions politiques, administratives et culturelles. Le doyen d'âge actuel de ce village est ainsi âgé de 88 ans (avec un écart de 8 ans de la femme la plus âgée du village). Ce principe pose la problématique de la domination masculine chez les ébrié d'Adjamé-village. Ici, les femmes n'ont pas le pouvoir de décision. Elles ne peuvent siéger dans le conseil des anciens. Leur voix ne compte pas en public. Selon le doyen d'âge, la femme ébrié est essentiellement ménagère.

Elle s'occupe des enfants, fait le marché, fait le commerce si elle est courageuse. Les femmes font partie des générations mais n'ont pas le pouvoir de décision, elles ne peuvent devenir notables. Pendant les réunions, la femme n'est pas autorisée à prendre la parole en public

De la sorte, les femmes ébrié d'Adjamé-village n'ont pas de pouvoir politique ni administratif au sein de leur communauté. Plus loin, nous comprendrons pourquoi elles sont les plus, à la merci des chefs de famille et de ce fait, davantage sujettes à la maltraitance.

Poursuivant notre analyse, notons que le troisième âge (60-74 ans) s'affiche avec 12 personnes sur 26. Cette proportion compte plus d'hommes (9) que de femmes (3).

La structure de la population des personnes âgées interrogées, laisse apparaître une régression de l'effectif des hommes à mesure que l'on avance en âge (du troisième au quatrième âge), en comparaison à celui des femmes.

De ce qui précède, il ressort que dans ce village ébrié, les femmes vivent plus longtemps que les hommes. A la question de savoir ce qui a pu favoriser cette longévité, elles sont unanimes pour dire :

« C'est par la grâce de Dieu  que nous vivons jusqu'à ce jour ».

I.4 Genre et niveau d'instruction

Le niveau d'instruction, c'est le niveau le plus élevé qu'un individu a atteint dans ses études. Il est un facteur déterminant dans la vie sociale. Plus ce dernier est élevé, plus grandes sont les possibilités d'avoir accès à un emploi mieux rémunéré, en vue de mener une vie décente. Le niveau d'instruction peut être aussi un facteur d'ouverture au monde, tant intérieur (le village) qu'extérieur (la ville, le pays et le reste du monde). Par ailleurs, l'instruction permet d'éviter certaines formes de maltraitance telle que la maltraitance médicamenteuse (l'excès de médicaments, de neuroleptiques ou la privation de médicaments et de soins.)

Or à Adjamé-village, 11 enquêtées sur 26 sont analphabètes. Toutes nos enquêtées femmes sont dans ce sous ensemble avec 9 analphabètes contre seulement 2 hommes. 12 sur 26 ont fait l'école primaire. Cette situation est sans nul doute, le résultat de la faible scolarisation qu'a connu cette population. En effet, les personnes âgées dont l'enfance se situe à l'époque coloniale, ont bénéficié à peine de la scolarisation, faute d'infrastructures scolaires aussi variées et mieux réparties dans le pays, comme c'est le cas aujourd'hui. A cela, il convient d'ajouter le peu d'intérêt accordé par la population qui, en ce moment, ignorait le bien fondé de l'instruction importée de l'occident. Les parents, pour la plupart, préféraient se faire accompagner par leurs enfants au champ plutôt que de les laisser aller à l'école. Cette situation pourrait justifier, dans une large mesure, les très faibles taux d'alphabétisation et d'instruction observés dans cette frange de la population.

Sur les 26 personnes âgées que nous avons interrogées dans le cadre de notre étude, seulement 2 ont fait le secondaire et 1 le supérieur. Ces 3 enquêtés sont de genre masculin.

Des hypothèses précédentes, nous pouvons dire que la plupart des personnes âgées d'Adjamé-village, avec une grande proportion de femmes, sont plus rattachées à leur communauté villageoise qu'au reste du monde. Le niveau d'instruction de ces personnes a été l'un des facteurs constructeurs de leur vie de dépendance actuelle. Elles ont toutes, en effet, un faible niveau d'instruction. Ces personnes âgées ont toutes, de ce fait, eu accès à un emploi moins rémunéré. Cet état de fait ne leur permet pas de mener, une vie décente, dans leur vieil âge.

I.5 Genre et catégorie socioprofessionnelle

Toutes les personnes âgées de genre féminin enquêtées sont des ménagères. Parmi les hommes, nous avons 11 ouvriers retraités sur les 14 interrogés. Cette situation a nécessairement un rapport avec les conditions de vie de nos enquêtés.

L'analyse de ces faits révèle que le genre constitue le premier élément de discrimination face à l'emploi.

I.6 Alimentation

La façon de se nourrir compte beaucoup chez les personnes âgées, car la qualité de l'alimentation permet de ralentir le vieillissement naturel, de retarder l'apparition de certaines maladies liées à l'âge, et donc de vieillir en ayant une bonne qualité de vie.

Selon Béatrice Carraz38(*), du point de vue nutritionnel, le risque majeur chez les personnes âgées est un risque lié à la dénutrition et aux carences, et pas vraiment à la pléthore : les points importants à vérifier restent l'apport énergétique, l'apport en protéines, en calcium et en acides gras indispensables. La dénutrition protéino-énergétique favorise l'apparition de la dépendance, en fragilisant les défenses naturelles de l'organisme. Pour cet auteur, le besoin de la personne âgée est identique à celui de l'adulte : ni plus, ni moins. Cependant les consommations alimentaires diminuent : moins de viande, moins de vrais repas, des restrictions alimentaires sévères liées à des problèmes de santé (cholestérol, sel, sucre...). Et ce type de comportement joue sur la qualité de vie et l'évolution vers les dépendances.

Les aînés sociaux d'Adjamé-village, suivant leur culture, se nourrissent essentiellement de l'attiéké (Agbodjama) fait à base de manioc, mais aussi de foutou ou de foufou (cocotcha) d'igname ou de banane plantain. Ces plats sont accompagnés de sauce "claire", de sauce "graine" ou de sauce "N'tro" avec du « bon » poisson propre aux lagunaires tels que le broché, le machoiron, le capitaine, pêchés directement dans la lagune. Or, avec la pollution actuelle de la lagune, la pêche ne se pratique plus par les villageois. Dans cette logique, parlant des pouvoirs politiques, les personnes âgées d'Adjamé-village, s'exclament en ces termes :

« Depuis 1946, ils ont ramassé nos terres. Nous n'avons plus rien. Avant cette date, chacun de nous allait au bord de la lagune avec son épervier pour pêcher. Aujourd'hui, vas au bord de la lagune, tu ne peux plus pêcher ; avec les casses de véhicules, les pneus usagers, tous les autres déchets, tout cela dans la lagune ; peut-on pêcher dan ces conditions ? Plus de pêche, alors que nous vivons de la pêche. Avant, également, nous avions des champs de caféiers, de cacaoyers. Maintenant, tout n'est que constructions, habitations.

Au lieu de nous dédommager, ils ne le font pas. Avec nos dirigeants, les choses sont devenues pires qu'avec les blancs. L'Etat prend de force nos portions de terre. Dans de tel cas, comment manger à sa faim ? Aujourd'hui, nous ne pouvons plus pêcher par manque d'eau. Nous sommes obligés de manger du poisson congelé. Mêmes les fruits que nous consommons sont à base d'engrais. Tout cela est à la base de toutes les maladies que nous avons. Quant au manioc et à l'igname, nous ne disposons plus de terre pour les cultiver. Nous sommes obligés de tout acheter. C'est ce qui fait que nous mangeons mal 

Qu'est ce qui va arriver sans la nourriture ? Quand on ne mange pas bien, quand on vit mal, on tombe malade et c'est la mort. Vous aller mourir seuls. »

Cette plainte pose le problème de la qualité et de la quantité de l'alimentation des personnes âgées. Si la sous-alimentation pose la question de la quantité de nourriture, la malnutrition souligne, celle de sa qualité. Pour les personnes âgées interrogées, elles "mangent mal " et ne "mangent pas à leur faim". Ceci se justifie en ce sens qu'à cet âge, le besoin des personnes âgées se trouve essentiellement dans l'apport en calcium. C'est pour cette raison majeure qu'elles doivent consommer moins de féculents (manioc, igname, banane...) qui contiennent les glucides. A l'opposé, leur alimentation doit comporter plus de fruits et de légumes, qui sont très riches en sels minéraux (calcium, magnésium, fer, potassium), en oligo-éléments et en vitamines.

Par ailleurs, les protéines d'origines animale et végétale, nécessaires au renforcement du système immunitaire, s'avèrent indispensables aux personnes âgées eu égard à la fragilité de leur organisme.

Or, l'alimentation des personnes âgées d'Adjamé-village, est principalement focalisée sur les féculents, le sucre (qui est en partie à la base du diabète) et les lipides (le cholestérol surtout) qui sont en général à la base de l'hypertension artérielle et des maladies cardio-vasculaires.

I.7 Etat sanitaire

Lors de notre enquête, il nous a été fait cas de maladies dont souffrent plusieurs personnes âgées, à Adjamé-village. Ecoutons ces enquêtées :

 « Ma mère parle seule. Quand on lui pose une question, elle répond, mais elle ne parvient pas à répéter ce qu'elle vient de dire. En plus, elle souffre d'incontinences urinaire et fécale depuis des années. Son entretien nous coûte excessivement cher. Vous voyez ces couches jetables ? Elles nous reviennent à 80 000 francs par mois, alors que mon mari et moi ne travaillons pas ».

« Cela fait deux ans qu'elle ne peut plus se déplacer. Elle reste à la maison.  Son état de santé est fragile. Elle pense que cela est dû au fait qu'elle a beaucoup travaillé pendant sa jeunesse. » ;

« Cela fait 8 ans qu'elle est malade et qu'elle est à ma seule charge. Le chef de famille ne me vient pas en aide. Ce n'est qu'en mars 2007, qu'il a apporté 100 000 francs comme aide. Depuis, plus rien et j'attends toujours. Mon mari est à la retraite et mon petit salaire de dactylographe, à la Fonction Publique ne suffit pas. J'ai treize enfants et des petits enfants à charge. Les week-ends, je suis obligée de me priver de repos, pour préparer de l'attiéké que je vend au service

En somme, ces aînés sociaux souffrent en général de troubles de mémoire, d'incontinences fécale et urinaire, de rhumatisme, de diabète, de lombalgie, d'hypertension artérielle et de maladies de nerfs, pour ne citer que celles là.

La prise en charge de ces maladies nécessite de gros moyens financiers. L'on comprend aisément les plaintes plus ou moins inexprimées qui traduisent la souffrance financière de ceux qui ont à charge les personnes âgées. Du coup, elles deviennent budgétivores, pour ceux-ci.

Pour leurs soins médicaux, les personnes âgées d'Adjamé-village se rendent à l'Institut National de Santé Publique (INSP), dans les Centres Hospitaliers et Universitaires (CHU) ou dans les infirmeries privées du quartier.

Autrefois, ces personnes se soignaient à base de plantes (médecine naturelle). Mais de nos jours, avec l'urbanisation, ces plantes ne leur sont plus accessibles.

C'est la raison pour laquelle elles ont recours à la médecine occidentale et orientale (chinoise) qu'elles jugent d'ailleurs inefficaces, pour leurs maux.

I.8 Logements et cadre de vie

Adjamé-village est un village moderne. La plupart des logements appartiennent aux familles autochtones de cette cité. C'est ainsi que toutes les personnes âgées que nous avons interrogées, déclarent être propriétaires de leurs logements.

Les hommes sont entièrement propriétaires. Les femmes, quant à elles, sont soit chez leurs époux, dans la famille de ce dernier, soit dans leurs propres familles, suivant leur situation matrimoniale présente et surtout passée.

Au total, quel que soit son genre, aucune personne âgée interrogée n'est locataire de la maison dans laquelle elle vit.

Toutefois, ces propriétaires questionnés se plaignent de l'exiguïté de leurs logements, résultante de l'urbanisation. Les cours sont peuplées. Et c'est pour remédier au problème de la promiscuité que ceux qui ont les moyens, construisent en hauteur.

A cela il faut ajouter les bruits provenant des véhicules, des commerces, des passants, des établissements scolaires, qui rendent impossible le repos de ces personnes âgées. C'est le lieu de mentionner la pollution de l'environnement et les visites inopportunes des bandits, Adjamé étant un " centre commercial ".

* 38 Béatrice Carraz, « L'alimentation des personnes âgées »; [en ligne] http// www.alimentation-et-sante.com

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"Nous voulons explorer la bonté contrée énorme où tout se tait"   Appolinaire