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Les conditions de vie des personnes agées en Cote d'Ivoire: Regard sur la maltraitance à  Adjame Village

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par Ahou Clémentine TANOH épse SAY
Cocody - DEA de sociologie 2007
  

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Chapitre III : LA DEPENDANCE DES PERSONNES AGEES DE

LEURS FAMILLES ET LES FORMES DE

MALTRAITANCE

III.1 Dépendance des personnes âgées de leurs familles

III.1.1 Des revenus contraignants à la dépendance

Selon les données de notre enquête, dans la sous-population des hommes (14 personnes) 11 perçoivent une pension de retraite, 2 vivent des revenus de loyer, et 1 vit aux dépens de sa famille. Dans celle des femmes (12), 4 ont pour source de revenu le loyer et 8 dépendent de leurs grandes familles. Au total, ce sont 9 personnes âgées qui dépendent de leurs grandes familles.

C'est dire combien de fois, les conditions de vie de ces dernières sont tributaires de leurs grandes familles, précisément, pour ce qui est des conditions matérielles, nutritionnelles et économiques.

Par ailleurs, sur les 11 retraités, 8 perçoivent une pension allant de 10.000 à 30.000 francs CFA par mois. Parmi eux, 4 ont de 4 à 11 personnes à charge ; 2 ont plus de 12 personnes à charge  et 2, moins de 3 personnes à charge.

Pour tout dire, ces retraités ont au moins 4 personnes à nourrir, à soigner, à vêtir, à loger, à scolariser; alors que la pension de retraite (10.000 à 30.000 francs CFA / mois) que l'un d'eux qualifie de " bonbon glacé ", est loin de satisfaire ces besoins primaires.

Sur les 11 enquêtés retraités, 10 sont issus du secteur privé et 1 seul du secteur public. C'est ce dernier qui perçoit mensuellement, une pension comprise entre 90.000 et 110.000 francs CFA. En effet, en Côte d'Ivoire, la situation des retraités est différente selon qu'il s'agit d'un ex fonctionnaire ou d'un ex travailleur du secteur privé.  A titre d'exemple, selon Théodore Kacou40(*)

Un travailleur qui était payé à 200 000 FCFA dans le secteur public, perçoit à peu près 80% de cette somme, à la retraite et par mois. Ce même travailleur, s'il avait plutôt servi dans le secteur privé, ne toucherait au maximum que 70 000 FCFA par trimestre. Soit un peu moins de 25 000 FCFA par mois pour ce travailleur qui était rémunéré à 200 000 FCFA quand il était en activité. 

Pour confirmer ces faits, l'un de nos enquêtés nous a confié qu'il perçoit moins de 15 000 FCFA mensuellement alors que son salaire était de 150 000 FCFA par mois. Pour remédier à cette insuffisance économique notoire, certains d'entre eux transforment les devantures de leurs maisons en magasins. D'autres partagent leurs pièces avec des locataires commerçants. Tout ceci traduit la précarité des conditions de vie de notre population cible.

Avec de telles pensions qui s'avèrent insuffisantes pour les concernés mêmes, force est de constater que la prise en charge d'autres personnes les rend plus vulnérables. Dans ces conditions, le recours à la grande famille devient une nécessité pour ces personnes âgées ; d'où leur vie de dépendance.

III.1.2 Le logement et l'héritage

Chez les ébrié, le logement occupe une place primordiale, selon l'adage :

 « Les maisons des ébrié sont leurs café-cacao ».

Pour dire que, les logements constituent leurs principales sources de revenu. La plupart des tensions entre les générations ou les individus, dans ce contexte, ont pour cause, l'héritage immobilier. Comment se fait la transmission ?

« Si un homme meurt, ses biens propres reviennent à sa femme et à ses enfants. Les biens qu'il a hérités de la grande famille reviennent à la grande famille. Un an après l'enterrement, la femme est libérée et remise à sa famille d'origine. Si elle est encore jeune, elle peut se remarier. Au cas où elle est avancée en âge, elle retourne dans sa famille d'origine si son mari n'a pas fait de réalisation. »

Les personnes âgées trouvent dans la résolution des litiges fonciers et immobiliers salut ou désolation. Certaines sont des chefs de familles acceptés et ont, de ce fait, à leur possession l'héritage de la grande famille. Dans ce cas, elles sont responsables de la satisfaction de leurs besoins fondamentaux et au delà. Pour d'autres, ce n'est pas le cas. Ces dernières sont des chefs de familles contestés et dépossédés des biens familiaux ou continuellement traduits devant les juridictions coutumières et étatiques.

Comme le relate cet enquêté :

 « J'ai déjà été traduit devant les tribunaux par ma nièce pour un problème d'héritage. Cela fait cinq ans que le problème est à la justice. Pour elle, ce n'est pas moi qui devrais hériter des biens de la grande famille ».

En général, ce sont les hommes âgés qui sont victimes de ce traitement, de par leur statut de chef de famille. Quant aux femmes, leur sort dépend le plus souvent des décisions de la grande famille.

III.1.3 La grande famille et la prise en charge de ses personnes âgées

La société tchaman est composée de sept grandes familles, selon l'expression de nos enquêtés. Ce sont : les Lokoman, les Fiedoman, les Tchadoman, les Godouman, les Kouèdouman, les Gbadoman et les Abromando. Chacun de ces matriclans ou mando est subdivisé en plusieurs lignages.

Pour Laburthe-Tolra et Warnier (1994:97),dans ce mini-Etat qu'est la famille étendue ou le lignage, le chef de famille remplit à la fois quatre fonctions principales d'autorité : religieuse, politique, juridique et économique.

Au niveau religieux, il est le prêtre du culte domestique.

Au niveau politique, il est le mandataire de la communauté domestique dans les relations politiques, auprès du conseil du village.

Au niveau juridique, il a juridiction à l'intérieur de la famille : donne des ordres, prononce des sanctions, résout les litiges.

Au niveau économique, il est l'administrateur du patrimoine de la communauté, dont il doit assurer la conservation et l'accroissement.

En ce qui concerne Adjamé-village, c'est l'homme le plus âgé du matriclan qui est le chef de famille et qui remplit également les quatre fonctions sus citées. C'est lui qui est chargé de la gestion des biens familiaux qui sont le plus souvent, immobiliers et terriens. C'est de la vente de ces biens ou de leur mise en location que proviennent les revenus de la famille. La famille procède également à des cotisations individuelles pour constituer son budget.

L'une des obligations du chef est d'être le soutien moral et financier des personnes âgées de la famille. Néanmoins, ce n'est pas toujours le cas dans toutes les familles. Ici trois groupes se dégagent, suivant l'assistance familiale aux personnes âgées.

Dans le premier groupe, les chefs de famille donnent de l'argent à leurs personnes âgées, surtout aux femmes, chaque fin de mois. Cette aide peut être également matérielle, sinon immobilière. Par conséquent, la grande famille peut mettre à la disposition de son parent âgé, une maison dont le loyer mensuel lui revient, pour son entretien.

L'assistance de la grande famille peut être également nutritionnelle. Il y a des cas où  les épouses de chefs de familles apportent un repas au parent âgé, quotidiennement. 

Dans le second groupe, cette assistance financière et matérielle des grandes familles aux parents âgés, est irrégulière et insuffisante. Certains de nos informateurs disaient : 

« La grande famille est large. Chacun s'occupe de ses propres affaires. »

ou encore

: « L'aide vient de la grande famille. Les temps sont durs, ce qui est sûr, on lui donne quelque chose. »

Ces personnes âgées vivent ainsi dans une logique du contentement en ce sens qu'elles ne se plaignent pas du manque malgré l'insatisfaction de leurs besoins, souvent primaires. C'est ce que disent ces propos :

 « Elle se contente de ce qu'on lui apporte. Elle n'est pas satisfaite mais elle se contente du peu qu'elle reçoit »

  « Elle se contente de ce qu'on lui donne, ne sachant d'où d'autres aides peuvent lui venir. »

ou encore

En outre, le témoignage ci-après de ce vieil homme de 86 ans, caractérise le troisième groupe de famille.

Dans des familles, l'on ne s'occupe pas des personnes âgées. On enferme certaines, dans des maisons. Au niveau des familles, il y a ainsi des personnes âgées négligées. C'est mon cas. J'ai perdu ma première femme, ma seconde aussi. Il y a de nombreuses filles dans la famille qui sont veuves. Je leur ai demandé de venir vivre avec moi pour s'occuper de moi, mais elles ont toutes refusé. Je suis obligé d'employer des servantes qui ne s'occupent pas bien de moi. Elles me font toujours manger à 14 heures. Je parle mais elles ne changent pas.

D'autres reçoivent de la visite des membres de leur famille. Malgré cela, ils ne s'occupent pas d'elles comme il le faut. Ce qui fait qu'elles ont des soucis. Avant, il y avait l'amour pour les vieux, on leur faisait des cadeaux, ce qui n'est pas le cas de nos jours où les personnes âgées sont livrées à elles mêmes. Les villageois cultivaient l'igname, le palmier à huile et pratiquaient la pêche et l'esprit de partage régnait dans le village. Les personnes âgées en bénéficiaient. Aujourd'hui, même si tu demandes, on ne te donne pas.

De ces témoignages, découle l'abandon physique et / ou moral de plusieurs personnes âgées, à Adjamé-village.

II1.1.4 Traitement familial des personnes âgées

Les aînés sociaux du village sont à la charge de leurs familles respectives. Ils y occupent la position de grands parents. Ils vivent ainsi avec leurs descendants et les descendants de ces derniers, proches ou lointains.

Nous avons constaté que, d'une manière générale, les aînés sociaux sont beaucoup plus en contact avec leurs petits enfants. Certes, nous avons rencontré quelques cas où c'est la fille qui s'occupe de sa mère, ou la petite nièce de sa grande tante. Même dans ces différents cas, la petite fille intervient, bien qu'elle ne soit pas seule à le faire.

Dans la plupart des cas donc, ce sont les petites-filles qui s'occupent de leurs grands parents. Elles sont déscolarisées, filles mères, divorcées, veuves, ou chômeuses, ou en quête d'un premier emploi. Ce sont soit des jeunes filles, soit des jeunes femmes. Outre la surveillance de leurs " mémé " ou  " pépé ", elles sont chargées de faire la cuisine, la lessive et le ménage. Dans certains cas d'invalidité (liée au poids de l'âge ou à la maladie), l'entretien de la personne âgée va jusqu'à la toilette et au port de couches jetables. Dans ce cas, il s'agit d'une dépendance totale car la personne âgée n'a plus les capacités mentales et physiques pour vaquer à ses occupations (se lever, se laver, manger...).

Exacerbés à la longue par cette charge que constituent les personnes âgées, les petits enfants transforment les relations grandes parentales, en maltraitance.

Comment en arrive-t-on là ?

Le plus souvent, comme nous l'avons mentionné plus haut, ce sont les petites filles qui restent en charge de leurs grands parents. La plupart d'entre elles nous ont confié qu'elles le font délibérément. Elles s'occupent de leurs grands parents parce qu'elles les aiment. Elles le font également en reconnaissance de ce que ceux-ci leur ont été très utiles et les ont beaucoup aimées, pendant que ces derniers étaient encore adultes. Il n'est donc pas question de les abandonner présentement, à leur vieil âge. Seulement, c'est que pour une personne âgée donnée, il ne se trouve qu'une seule personne (souvent sa petite fille), véritablement, à ses côtés.

Prendre soin d'une personne âgée demande beaucoup de précaution, d'attention et de compréhension. Les petits enfants ne sont pas formés à cela. Avec le temps, la lassitude apparaît. C'est ce que Robert Hugonot appelle :

« l'épuisement de la tolérance ».

C'est par cet épuisement que l'on arrive à la violence à l'égard des personnes âgées. Face aux exigences de ces dernières et quand leurs comportements atteignent un tel niveau répétitif ou démesuré, elles épuisent la tolérance de l'autre et le découragement s'installe. L'on parvient alors à se demander : 

« à quoi sert tout cela, et s'il mourait pour que je sois enfin libre ? »

C'est alors que les négligences s'étalent. Les violences psychologiques avec leurs lots de paroles infantilisantes, dévalorisantes et d'insultes font vite place aux violences physiques, des plus subtiles, aux plus dramatiques.

A ce manque de formation préalable, s'ajoute la situation socioéconomique de ces petites filles qui ont la charge de leurs grands parents. En effet, leurs besoins personnels (vêtement, argent de poche, scolarité de leurs enfants, pour les filles mères) ne sont pas pris en charge par la grande famille. Elles se retrouvent de ce fait dans un dénuement total. C'est pour remédier à cette situation que certaines abandonnent leurs grands parents de nuit comme de jour, pour aller vendre. Lors de nos entretiens, une jeune femme, mère de 2 enfants, divorcée et chômeuse, nous a avoué abandonner toutes les nuits (de 19h à 23h) sa grande mère invalide, pour aller vendre devant la pharmacie Saint Michel d'Adjamé.

Quant aux enfants nés de ces personnes âgées, ils vivent généralement dans leurs foyers, hors du village. Alors que quelques uns ont accepté de recueillir leurs parents âgés dans leurs foyers, d'autres par contre, ont préféré les abandonner dans la cour familiale et se contenter de visites périodiques, comme pour soulager leur conscience. Dans ces cours, tandis que certains membres de la famille, à l'image des petites filles, font l'effort de subvenir aux besoins quotidiens des parents âgés (cuisine, ménage...), d'autres, par contre, leur rendent la vie difficile. Les personnes âgées sont de la sorte à la merci des autres membres de la grande famille qui habitent la cour. C'est dans cet autre contexte qu'elles sont victimes de plusieurs types de violences.

III.2 Formes de maltraitance des personnes âgées

Une personne est susceptible d'être victime de violence à pratiquement toutes les étapes de sa vie : enfance, adolescence, début de l'âge adulte, âge moyen et vieillesse. Mais, la nature et les conséquences de cette violence peuvent varier en fonction de sa situation. A Adjamé-village, la violence commise à l'égard des personnes âgées est liée à leurs conditions de vie. Ici, ces dernières vivent avec des membres de leurs familles ou avec d'autres personnes telles que les servantes.

A travers nos recherches, nous pouvons signaler trois formes de violences :

La violence psychologique ;

L'exploitation ou la manipulation financière ;

La violence physique.

III.2.1 La violence psychologique à l'égard des aînés sociaux

Dans ce cas, l'âge avancé est victime d'insultes, de blasphèmes, d'injures ou d'abandons comme en témoignent les textes suivants :

« Ma mère a déjà eu des différends avec les enfants de son frère, sur un terrain que son frère lui avait donné. A la mort de ce dernier, ses fils se sont révoltés et sont venus réclamer le terrain, disant que c'est pour leur père. »

« Elle faisait le commerce. Avec le poids de son âge, elle a tout arrêté. Son fils qui s'occupait d'elle est décédé. Depuis son décès, personne ne lui donne de l'argent. Ses autres enfants ne lui viennent pas en aide. »

Dans le premier cas, les réactions des neveux ont profondément choqué cette personne âgée qui s'est sentie humilier, au sein de la communauté villageoise.

Dans le deuxième, la personne âgée, victime d'abandons moral et physique, est devenue taciturne, depuis le décès de son fils. Elle s'enferme régulièrement dans sa chambre pour pleurer, tout en réclamant la mort.

Par ailleurs, lors de nos entretiens, des informateurs nous ont confié que plusieurs personnes âgées invalides sont enfermées dans les maisons. Ecoutons l'un d'eux: 

«  Il y a des enfants qui trouvent que leurs parents âgées les emmerdent. Chaque matin, c'est eux qui doivent être à leurs petits soins. C'est pour tout cela qu'ils les laissent à la maison sachant qu'à telle heure, ils doivent aller aux toilettes, pour leurs besoins. Seuls à la maison, ils font leurs besoins sur eux. Quand leurs enfants reviennent, ils se plaignent et ils crient sur eux. Vous voyez, ce n'est pas bien ! »

De telles personnes âgées sont en proie à la solitude, aux frustrations, aux humiliations et ne se sentent pas suffisamment aimer par les membres de leur famille.

III.2.2 La maltraitance financière

Il s'agit de l'utilisation, à des fins répréhensibles, de l'argent ou des biens appartenant aux personnes âgées ou du fait de ne pas les utiliser, pour leur bien-être. Ceux qui exploitent financièrement le grand âge, agissent sans son consentement, sinon, à leur propre profit. Cette exploitation financière peut prendre les formes suivantes : le vol de son argent ou d'autres biens, la vente de sa maison ou d'un autre bien sans sa permission, l'utilisation frauduleuse d'une procuration, le fait de ne pas lui rembourser l'argent qui lui a été emprunté lorsqu'elle le demande.

A Adjamé-village, certaines personnes âgées sont victimes d'exploitation financière. Des pressions sont exercées sur elles pour qu'elles quittent leurs maisons contre leur gré. C'est surtout le cas des veuves. Toujours sous l'effet des pressions, des membres de leurs familles les dépossèdent de leurs maisons, terrains et autres biens. D'autres ont aussi signé des documents juridiques sous la pression, en vue de les dessaisir des biens patrimoniaux qu'ils héritent. Il existe également des personnes qui, malgré leur âge avancé, gèrent encore des activités lucratives (plantations à Songon, ateliers de couture, ...) en vue de subvenir aux besoins matériels et financiers des leurs.

Des informateurs nous ont fait part des cas de maltraitance financière des personnes âgées dans les familles. Écoutons leurs témoignages :

« Mon frère aîné a toujours refusé de s'occuper de notre mère, bien qu'il ait en sa possession l'héritage de notre père. »

« La famille a arraché la maison à notre maman après le décès de notre père pendant près de 15 ans, alors qu'ils étaient mariés légalement. C'est tout dernièrement qu'on lui a rendu la maison en raison des impôts impayés. Mes frères qui devaient lui apporter quelque chose, n'y pensent même pas. »

Dans ces deux cas, les biens des parents âgés sont confisqués par des tierces personnes (fils aîné, belles familles) qui refusent par la suite de s'occuper d'eux. Aussi, leurs droits sont-ils bafoués. L'on ne tient pas compte du fait que les femmes, par exemple, héritent de leurs maris par le biais du mariage légal. Malgré cela, elles sont dépossédées de tous leurs biens et abandonnées, après le décès de leurs conjoints. En effet, l'organisation sociale des tchaman repose essentiellement sur la filiation matrilinéaire. L'héritage se fait toujours dans la grande famille maternelle et c'est l'homme le plus âgé qui hérite des biens successoraux. La femme n'a pas droit à l'héritage. Cela justifie la dépossession de la veuve, des biens de son défunt mari (biens qui reviennent directement à la famille maternelle de ce dernier) et son renvoi dans sa famille à elle, un an après le décès intervenu.

En outre, il convient de noter que la plupart des personnes âgées d'Adjamé-village, ont à charge d'autres personnes. En fait, comme nous l'avons mentionné plus haut, leurs proches sont leurs petites-filles, chargées de prendre soins d'elles. Ces dernières sont des filles-mères pour la plupart.

Sans emploi et sans revenu, certaines vivent avec leurs enfants, aux dépens des personnes âgées qu'elles assistent. En général, les petites-filles, tout comme les filles, qui s'occupent de leurs parents âgés, sont dans cette situation, comme nous le dit cette dame :

«  Je vis chez ma mère avec mon mari et mes six enfants. Mon mari ne travaille plus, mais il se débrouille. »

Ce genre de cas ne manque pas dans le village ébrié d'Adjamé. C'est une forme de maltraitance financière. Ici, la personne âgée est subtilement obligée de s'occuper de ses enfants, de ses petits-enfants, de son gendre et d'autres membres de sa famille.

Des enquêtés ont aussi fait mention de certains membres de la famille qui refusent de quitter la maison des parents âgés lorsqu'ils le demandent. C'est le cas de ce petit-fils qui refuse de libérer la maison de sa grande mère, malgré plusieurs insistances. D'autres aussi qui habitent ces maisons, refusent de participer aux dépenses du ménage. De plus, des cas d'agressions physiques de la part des petits-enfants, sous l'effet de l'alcool et des stupéfiants, ont été signalés. De la sorte, de nombreux cas de maltraitances physiques des personnes âgées, existent à Adjamé-village.

III.2.3 La violence physique à l'égard des aînés sociaux

Dans ce point, deux témoignages, parmi tant d'autres, nous interpellent.

Témoignage 1

Dans le village, tout dernièrement, il y a un jeune qui a poussé sa grande mère dans le couloir. Et quand son oncle, aussi âgé, est arrivé, il a envoyé un coup à son oncle. Son oncle est tombé et il s'est blessé. Il a fuit par la suite. Et pourquoi il a fait cela ? Parce que sa grand-mère a refusé de lui donner de l'argent.

Témoignage 2

Mes grandes soeurs et moi vivions avec notre grand-mère, après le décès de nos deux parents. Mes soeurs refusaient de faire le marché pour notre grand-mère. L'une d'entre elles, la plus jeune, frappait notre grande mère sous prétexte qu'elle était sorcière. Quand la vieille les envoyait, elles refusaient d'aller. C'est d'autres personnes qui partaient faire le marché pour la vieille. Et tout cela les énervait.

Je partais à l'école et quand ma grand-mère me voyait à midi, elle se mettait à pleurer en me racontant ce que mes soeurs lui avaient fait.

De mon côté, voilà comment les gens ont maltraité ma grande mère.

Il apparaît clairement dans le premier témoignage, que cette femme âgée est victime à la fois de maltraitance financière et physique. Du second, il ressort que des personnes âgées sont brutalisées, battues, violentées. C'est ainsi que pendant notre entretien, l'une des enquêtées, âgée d'environ 75 ans, a fondu en larmes, à l'idée de toutes les agressions verbales et physiques qu'elle subit, de la part de son petit-fils.

A l'image de toutes les sociétés ivoiriennes, la société ébrié est en pleine mutation, c'est alors que l'on observe des comportements anomiques, dans une proportion grandissante. Certes, l'organisation sociale ébrié est conservée, dans sa totalité ou dans l'essentiel de ses composantes. Toutefois, les profondes mutations socioculturelles et économiques en cours, associées aux influences externes (eu égard au site géographique d'Adjamé-village), expliquent le fait que de plus en plus, les jeunes affichent des comportements déviants. Ces comportements soulèvent la problématique des rapports sociaux entre les jeunes générations, et celles des aînés ; les traditions de respect à l'égard des personnes âgées étant menacées par suite de l'évolution des moeurs.

Ces comportements peuvent également constituer des réactions de subversion à la logique de structuration et de fonctionnement de la société ébrié. Ici, ce sont les aînés qui possèdent les capitaux (culturel, symbolique, économique, social). Ce sont eux qui les distribuent. Ils sont les seuls à dirent ce qui est légitime et ce qui ne l'est pas. En un mot, ils détiennent les ressources et le pouvoir. En réaction, les jeunes qui vivent dans le dénuement, dans une certaine mesure, développent des stratégies de riposte à ce qu'ils pensent être une injustice.

III.3 Réactions des personnes âgées face aux maltraitances

Face aux actes de maltraitance, les personnes âgées répondent de deux manières essentielles.

La première, concerne celles qui pratiquent " l'exclusion refuge ": elles se cloîtrent chez elles. Elles préfèrent rester " dans leur coin " comme le dit l'un de nos informateurs. Elles restent muettes, pensives et solitaires. C'est par ce comportement taciturne que ces personnes âgées répondent à la maltraitance, de leur entourage. Certaines pleurent fréquemment leurs enfants affables, décédés ; ceux qui s'occupaient véritablement d'elles, dans la mesure où, ceux qui sont encore vivants, les négligent ou les abandonnent.

A Adjamé-village, c'est aussi le cas de celles qui sont marginalisées, parce qu' accusées de sorcellerie. Certaines se réfugient dans un silence de résignation : elles donnent l'impression de consentir, parce qu'elles se taisent, alors que leur silence n'est que celui de la résignation.

Ce témoignage d'une dame, petite-nièce d'une femme âgée de 75 ans, confirme ce fait :

Lorsque je viens voir ma grande tante, je la trouve le plus souvent assise sur son lit à coucher, entrain de pleurer tout en réclament la mort. Sa propre fille est dans la cour, mais elle ne s'occupe pas d'elle. Elle l'accuse de sorcière qui a " mangé " ses deux grands enfants qui s'occupaient d'elle. Aujourd'hui, elle est abandonnée par sa fille et par son fils. D'ailleurs, c'est le fils de cette dernière qui a tenté plusieurs fois de battre la vieille avec des menaces du genre " il faut mourir maintenant pour libérer la famille, c'est à cause de ta sorcellerie que nous souffrons tous, que nous ne travaillons pas." En plus de ces menaces, il a plusieurs fois bousculé la vieille et l'a fait tomber

En ce qui concerne la seconde manière de réagir à la maltraitance, quelques personnes âgées se plaignent des comportements de ceux qu'elles ont jadis, aidés. Ici, celles ayant encore un pouvoir de décision (de par leur statut social), privent leurs maltraitants d'assistance financière et matérielle.

A Adjamé-village, certains grands parents, ont expulsé de leur maison, des petits- enfants et neveux et les ont convoqués devant la chefferie.

* 40 Théodore Kacou, président de l'union nationale des retraités en Côte d'Ivoire (UNARCI), http// www. Ouestafriqueeconomie.com.

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