Section 2 : La corrélation entre le
développement financier et la croissance économique au
Cameroun
La plupart des études théoriques
menées sur le développement financier depuis Goldsmith (1969)
portent à croire que celui-ci constitue une variable déterminante
dans l'explication de la croissance économique.
Dans le cadre du Cameroun, très peu
d'études ont essayé de valider ou d'invalider cette assertion.
Une analyse graphique conjointe des deux phénomènes dans ce pays
nous permettra probablement d'émettre quelques hypothèses quant
à l'existence d'un lien de corrélation entre les deux types de
variables.
source : banque mondiale, 2002
Le graphique 1.4 nous montre qu'autour de la
crise du système bancaire camerounais de 1989, on observe une
décroissance du PIB par habitant. La question que suscite en nous cette
observation est celle de savoir si l'évolution de la croissance du
secteur réel a une incidence quelconque sur le système financier
ou plutôt existe-t-il une relation entre l'évolution de la
sphère financière et celle de la sphère
réelle ?
Cette section s'atèle à
répondre à ces questions qui sont toutes aussi essentielles que
la durée de la relation.
Ainsi, nous envisagerons dans notre
première sous-section la liaison entre les phases du cycle
économique et la fragilité du système financier en
général et du secteur bancaire en particulier. Notre seconde
section s'épandra sur l'existence d'une corrélation à long
terme entre les deux phénomènes.
A. Récession économique et
fragilité du système bancaire
A la suite des deux chocs pétroliers, les
pays en développement lourdement endettés voient leur service de
la dette extérieure augmenter de façon exponentielle en raison de
la mise en oeuvre de la nouvelle politique anti-inflationniste
américaine. La chute des cours des produits de base vient s'ajouter
à cette situation déjà déplorable pour un pays
comme le Cameroun. Le début des années 1980 est marqué par
une allocation totale des fruits de la croissance au remboursement du service
de la dette.
source : banque mondiale
Le graphique 1.5 illustre bien cette assertion.
Il nous montre que malgré un accroissement régulier du PIB, le
revenu national brut croît à taux décroissant ; les
fruits de la croissance ne sont pas redistribués aux populations.
Au cours de la même période, les
dépôts bancaires de l'Etat ont considérablement
diminué tandis que les crédits accordés à l'Etat
ont augmenté. Ceci pourrait laisser supposer qu'ils étaient eux
aussi utilisés pour le paiement du service de la dette qu'elle soit
extérieure ou intérieure.
source : BEAC
Le graphique 1.6 nous montre qu'à partir
de 1983, l'Etat réduit ses avoirs bancaires et augmente son endettement
intérieur et ceci jusqu'en 1987, date à laquelle le gouvernement
camerounais décrète de façon officielle la crise
économique. A cette date, L'Etat est asphyxié et n'arrive plus
à honorer ses engagements.
Le retrait des fonds publics et l'accumulation
des créances compromises déstabilisent le système
financier déjà très fragilisé par la fermeture de
quelques grandes banques commerciales et des petites banques
financièrement peu structurées qui survient quelques
années avant la crise systémique de 1989.
Cette crise est caractérisée par
une généralisation dans le système d'une mauvaise position
bilancielle bancaire. Ainsi sur les 7 banques encore en activité en
1989, seules les grandes multinationales à savoir SGBC, BIAO, BICIC et
SCB Crédit Lyonnais subissent des restructurations, toutes les autres
sont liquidées.
La crise du système bancaire est à
l'origine de la création de la SCR (Société Camerounaise
de Recouvrement) dont la mission principale est le recouvrement des
créances douteuses et dans une moindre mesure la liquidation des banques
en difficulté.
La crise du système bancaire qui survient
au lendemain de la récession économique démontre bien
combien le système financier camerounais est fragile et instable. Cette
instabilité se perçoit aussi bien à travers les effets
positifs et négatifs que peuvent avoir les chocs extérieurs sur
l'évolution des agrégats du développement financier.
Tout comme la crise économique influence
le système financier, les politiques libérales mises en oeuvre
à la suite de la dépression survenue dans le système
affectent son évolution. Le graphique 1.7 nous montre qu'au lendemain de
la libéralisation et surtout à l'issue de la restructuration, le
système financier camerounais s'est enrichi. Les dépôts et
les placements bancaires ont tous augmenté ; et ceci
conformément à une évolution positive du PIB (cf graphique
1.1).
source : BEAC
Au total, le système financier
camerounais évolue de façon colinéaire par rapport
à l'activité réelle. Il serait par conséquent
opportun de poser quelques hypothèses quant à l'existence d'une
corrélation entre les deux phénomènes.
B. La corrélation à long terme entre le
développement financier et la croissance économique au
Cameroun
L'étude que nous menons sur la
corrélation à long terme entre le développement de
l'activité financière et celui de l'activité productive
constitue une ébauche d'un travail plus élaboré sur le
sens de la causalité entre l'amélioration du système
financier et la croissance économique.
Aussi, dans cette deuxième sous-section,
nous nous intéresserons à la signgificativité des
différents coefficients de corrélation de la relation de long
terme Finance-croissance. Nous prendrons la peine de les calculer pour une
simple régression entre le taux de croissance du PIB par tête et
nos indicateurs de développement financier. Nous procéderons pour
ainsi dire à une estimation simple des modèles symétriques
qui prennent en compte les variables financières retenues plus haut.
y=1.27X-2.7
(0.543905)
R²=0.007725
source : banque mondiale et calculs de
l'auteur
Le graphique 1.8 nous montre que dans le long
terme, il est difficile d'appréhender la relation entre le
développement financier et la croissance économique à
partir de la droite de régression. Le coefficient de corrélation
calculé entre la croissance du PIB par habitant et le logarithme du
ratio crédit au secteur privé/PIB soit 1.27 n'est significatif ni
aux seuils de 5% et 10%, ni même au seuil statistique de 20%. En effet,
la valeur de la statistique de Student calculée (0.54) est
inférieure aux valeurs critiques respectivement égales à
1.96, 1.64 et 1.28.
Néanmoins, le signe positif de la
relation nous amène à penser que dans une étude plus
élaborée, l'accroissement de la part du crédit au secteur
privé dans l'économie contribue à l'amélioration de
la production du secteur réel.
De plus, la faiblesse de coefficient de
détermination (0.007) nous suggère déjà que le
modèle tel que spécifié ne saurait permettre une analyse
pertinente. Il est indispensable pour une estimation ultérieure de
considérer d'autres variables théoriquement significatives dans
notre modèle.
Parallèlement relation inverse entre la
part du crédit privé et la croissance du PIB par habitant n'est
non plus possible. Le coefficient de corrélation pour cette relation est
de 0.006 et la valeur calculée de la Statistique de Student qui lui est
associée reste la même.
y= -11.72X+ 31.66
(-2.842464)
R²= 0.175340
source : banque mondiale et calculs de
l'auteur
En revanche, le graphique 1.9 nous montre qu'il
est toujours possible à long terme de trouver une corrélation
entre le développement de l'activité financière et la
croissance économique à travers le ratio de liquidité. Le
coefficient de corrélation calculée pour cette relation est de
-11.72. Ce coefficient est significatif au seuil de 5%, car la valeur de la
statistique de Student qui lui est associée soit en valeur absolue 2.84
est supérieure à sa valeur critique au seuil de 5%. La relation
inverse elle aussi reste possible. D'après nos calculs, lorsque la masse
monétaire augmente de 1%, le taux de croissance du produit par
tête diminue de 0.015%.
Le signe négatif qui affecte cette
relation trouve une explication dans la formulation du taux de liquidité
de l'économie. En effet, le taux de liquidité de
l'économie est un rapport entre deux types d'agrégats : un
agrégat réel et un autre financier.
En général l'agrégat
monétaire soit M2 est utilisé par les autorités
étatiques comme instrument de politique économique. Aussi, le but
recherché est l'incidence de celui-ci sur le niveau de l'activité
réelle.
En théorie économique, les effets
sont souvent étudiés une fois que la
clause « cétéris paribus » est
évoquée. Autrement dit, les effets ne sont étudiés
que dans un environnement statique.
Ainsi l'incidence d'une évolution
positive du PIB sur le ratio de liquidité est étudiée sous
l'hypothèse forte « toute chose égale par
ailleurs ». Et, puis que cet agrégat se trouve au
dénominateur de notre ratio, ce dernier diminue lorsque le PIB
augmente.
Au total, l'évaluation du
développement financier mesuré par le ratio crédit au
secteur privé sur PIB n'est pas corrélée à la
croissance économique. Ce résultat empirique souffre quelque peu
de robustesse. Pour cette raison, cette analyse doit être
complétée par une étude plus approfondie sur la
causalité entre l'amélioration du système financier et le
développement de l'activité réelle dans notre
troisième chapitre. Cette étude nous permettra de vérifier
de façon statistique et empirique les résultats de nos
observations.
A l'inverse, le développement financier
mesuré par le taux de liquidité de l'économie est
négativement corrélé avec la croissance du produit par
tête. Il faut néanmoins noter que ce résultat est
donné « cétéris paribus ». En effet,
l'analyse de la corrélation n'intègre pas la
simultanéité de l'évolution des variables
considérées. Tout se passe comme si seul le PIB à
l'instant t se modifie. Son incidence est par la suite mesurée sur le
taux de liquidité et vice-versa.
Cependant dans la réalité la
plupart des phénomènes ne sont pas statiques. On observe a
contrario une évolution dynamique des phénomènes de telle
sorte que les résultats que nous trouvons sont a priori en contradiction
avec la réalité des faits. Pour cette raison, notre travail ne se
limitera pas à une analyse statique de la relation à
estimer ; il se consacrera davantage à l'étude dynamique de
la relation entre les deux phénomènes.
Conclusion
L'économie de l'intermédiation
financière de manière générale a beaucoup
évolué au cours du temps. A la suite de multiples chocs, on est
progressivement passé des systèmes répressifs aux
systèmes libéralisés. Ces chocs ont été
à l'origine de la remise en cause du paradigme fondamental
keynésien sur le contrôle et la surveillance étatique. Dans
les pays africains et en particulier au Cameroun, la mise en oeuvre d'un tel
paradigme a conduit à une forme plus exacerbée de
l'interventionnisme étatique qui a entraîné un
ralentissement du processus de développement financier enclenché
dans la décennie 1970.
La colinéarité des
phénomènes d'approfondissement financier et de croissance de
l'activité économique a donné une orientation
précise à notre analyse. L'existence d'une corrélation
possible entre les variables financières et les variables réelles
nous suggère de nous intéresser désormais au sens de la
causalité entre les deux phénomènes. Bien plus elle nous
exige d'identifier la nature de la relation causale ainsi que sa
durée.
Mais avant, il est crucial pour nous
d'établir le cadre théorique d'une telle relation en situant
notre travail dans un paradigme. L'analyse néoclassique de la croissance
nous semble la plus pertinente même si elle reste très normative.
Ainsi, la question à laquelle nous essaierons de répondre dans
notre deuxième chapitre porte sur la dualité de la dynamique
Finance-croissance.
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