Section 1 : Estimation de la relation entre le
développement financier et la croissance économique au
Cameroun
Le Cameroun occupe une position de leader dans
la zone CEMAC ; il bénéficie à lui tout seul de
près de la moitié de la masse monétaire qui y est en
circulation. Pendant les années 1980 il a subit une grave crise qui a
d'ailleurs participé de la mise en place des programmes triennaux
auxquels il s'est astreint jusqu'à nos jours.
Au cours de cette même période, son
système financier tout entier s'est effondré et la principale
question qu'a suscitée cette crise profonde a été celle de
la liaison entre les deux phénomènes.
Notre travail essaie d'apporter des
réponses à ce questionnement et cette section se charge
d'évaluer l'incidence du secteur financier sur la croissance
économique. Nous avons choisi pour des besoins de structuration de
donner dans un premier temps les résultats de l'estimation de la
relation de longue période prise en compte par la cointégration
(A) avant de d'estimer en second lieu la relation de courte période
formalisée dans le modèle à correction d'erreur (B).
A. L'estimation de la relation de long
terme
Les résultats du test de la trace de
Johansen entre les variables réelles et les variables financières
valident pour la plupart l'hypothèse d'existence d'une relation de
cointégration. La relation de long terme sera estimée à
l'aide de la méthode d'estimation en deux étapes de Engel et
Granger. Les tests effectués dans le chapitre précédent
nous amènent à considérer comme variables
financières pertinentes les ratios M2/PIB et quasi
monnaie/PIB qui sont respectivement intégrés d'ordre 2 et 1. Le
ratio crédit au secteur privé/PIB est lui aussi pertinent comme
instrument d'analyse, mais il n'est pas statistiquement en relation avec la
croissance économique. Nous essaierons de confirmer les résultats
des tests sur le modèle Croissance économique - Part du
crédit privé dans l'économie en testant la
stationnarité des résidus de cette régression.
Ainsi, dans cette sous-section nous aurons
à estimer la dynamique de longue période entre les variables en
différence du secteur réel et du taux de liquidité, puis
la dynamique de longue période entre les variables en niveau du secteur
réel et du taux de quasi liquidité de l'économie. Ces
différentes équations de cointégration seront
estimées par la méthode de moindres carrés ordinaires et
généralisés comme préconisés par Engle et
Granger.
Pour le modèle spécifique
Croissance - Part du crédit privé, la méthode des moindres
est en notre sens la plus appropriée, mais elle sera
complétée par le test de stationnarité des résidus
en vue de confirmer ou infirmer les résultats des tests de
cointégration et de causalité au sens de Granger qui y sont
associés.
Les résultats de nos estimations sont
donnés dans le tableau 4.1 ci-après :
Tableau 4.1 : Estimation des différentes
relations de long terme
Modèle
|
Méthode d'estimation
|
Nbre obs.
|
Estimations
|
R2
|
R2 ajusté
|
Croissance - Taux de liquidité
|
Moindres carrés ordinaires
|
39
|
Äln(pib)=0.008-0.076Äln(m2/pib)
(0.78) (-0.87)
La valeur critique du Student à 5% est de 1.96
|
0.02
|
-0.006
|
Croissance - Taux de quasi liquidité
|
Moindres carrés généralisés
|
40
|
ln(pib)=6.211+0.179ln(quasi/pib)
(133.17) (6.65)
Les valeurs ( ) représentent la statistique de Student
associée au paramètre estimé
|
0.538
|
0.526
|
Croissance - Part du crédit privé
|
Moindres carrés ordinaires
|
40
|
ln(pib)=5.586+O.318ln(crédit/pib)
(30.527) (4.929)
|
0. 39
|
0.374
|
source : calculs de l'auteur
Les résultats du test de
stationnarité qui sont spécialement mis en oeuvre pour le
troisième modèle sont donnés dans le tableau 4.2
ci-après :
Tableau 4.2 : Résultats du test de racines
unitaires sur les résidus du modèle Croissance - Part du
crédit au secteur privé dans l'économie
Variables
|
Nbre de retards
|
Statistique ADF
|
Modèle
|
Décision
|
calculé
|
Tabulé
|
Résidus
|
2
|
-0.97
|
-1.95
|
Modèle 1
|
Non stationnaire
|
source : calculs de l'auteur
Le coefficient de détermination
associé à l'estimation de la relation entre la croissance
économique et le ratio de liquidité de l'économie est
très faible et largement en dessous du seuil de significativité
qui est de 75% (R²=0.02). Le R² ajusté quant à lui est
négatif. Ces résultats nous confortent davantage dans notre
explication de l'autocorrélation résiduelle.
La non significativité des
paramètres du modèle nous amène à penser qu'il
n'existe pas à long terme de relation entre le développement de
l'activité financière mesuré par le ratio
M2/PIB et celui de l'activité réelle. Seulement nous
nous gardons de tirer des conclusions aussi hâtives et nous proposons
d'améliorer ce résultat en rajoutant quelques variables à
notre modèle.
En ce qui concerne la relation entre la
croissance économique et le ratio de quasi liquidité,
l'estimation par la méthode des moindres carrés
généralisés nous donne des résultats satisfaisants.
En effet, le coefficient de détermination associé à cette
régression se situe au de-là de 50% ; et l'ajustement de ce
coefficient ne change rien à l'analyse.
Les coefficients estimés de cette
relation sont tous significatifs. Ce résultat confirme bien le test de
causalité que nous avons effectué au chapitre 3. Le coefficient
de corrélation entre le développement de l'activité
financière et la croissance économique est de 0.18. Un
accroissement du taux de quasi liquidité de 1% entraîne une
augmentation du niveau de l'activité économique de 0.18%.
A partir de cette équation nous pouvons
conclure que dans une optique de long terme, le développement du
système financier agit positivement sur la croissance économique.
Bien que le coefficient de détermination
associée à l'estimation de la relation soit suffisamment
élevé (39%), le modèle doit être
amélioré conformément aux résultats du test
d'omission des variables explicatives. Néanmoins les paramètres
de cette régression sont statistiquement non nuls (la valeur
calculée de Student est supérieure à 1.96) et le signe de
la relation est positive.
Autrement dit, le développement de
l'activité financière a une incidence positive sur
l'activité économique. Lorsque la part du crédit au
secteur privé dans l'économie augmente d'un point, l'indicateur
de croissance économique s'améliore de 0.318 point.
Cependant, nous ne pouvons pas considérer
cette relation comme une relation de long terme, dans la mesure où les
résidus de cette régression sont non stationnaires. Ces
résultats confortent non seulement les résultats de nos tests de
cointégration et de causalité de granger mais aussi l'analyse
graphique du chapitre 1.
Le rajout des variables théoriquement
pertinentes dans notre premier modèle ne change rien au résultat
initial. Le modèle reste globalement peu satisfaisant et les
paramètres de ce nouveau modèle sont tous non significatifs.
Par contre la prise en compte de ces nouvelles
variables améliore la relation entre la croissance économique et
le niveau de développement de la sphère financière
mesuré par l'indicateur crédit au secteur privé/PIB. En
effet, bien que les coefficients associés à ces nouvelles
variables sont tous non significatifs, le paramètre associé
à notre indicateur de développement financier est positif et
significatif.
De surcroît, les résidus de cette
nouvelle estimation sont stationnaires. Et d'après la littérature
de Engle et Granger (1987) reprise par Lardic et Mignon (2002), la relation
Finance-Croissance estimée représente une relation statique de
long terme.
En d'autres termes, une fois les nouvelles
variables considérées dans le modèle, il devient possible
de trouver une relation de long terme significative et satisfaisante.
Les variables que nous avons rajoutées
pour cette nouvelle estimation sont le niveau de la dépense
intérieure, l'épargne nationale et la formation de capital. Pour
toutes ces variables, les séries débutent en 1965. C'est pour
cette raison que le nombre total d'observation est égal à 36. Les
propriétés statistiques de ces variables sont
récapitulées dans le tableau 4.3 et la nouvelle estimation dans
le tableau 4.4.
Tableau 4.3 : Récapitulatif des
propriétés statistiques des variables omises
Variables
|
Niveau de stationnarité
|
ADF calculé
|
ADF tabulé
|
Ln(épargne/pib)
|
En différence première
|
-4.51
|
-1.95
|
Ln(dépense/pib)
|
En différence première
|
-5.90
|
-1.95
|
Ln(formation capital/pib)
|
En différence première
|
-6.72
|
-1.95
|
Tableau 4.4 : Estimation de la relation entre la
croissance économique et le développement du système
financier avec prise en compte des variables omises
Modèle
|
Méthode d'estimation
|
Nbre obs.
|
Estimation
|
R²
|
R² ajusté
|
Croissance - Taux de liquidité
|
Moindres carrés ordinaires
|
35
|
Äln(pib)=-6.46-
0.09Äln(m2/pib)+1.34ln(dépense/pib)
(-1.035) (0.93)
+0.21ln(épargne/pib)
(0.26)
-0.11ln(formation capital/pib)
(-0.39)
|
0.27
|
0.17
|
Croissance - Part du crédit privé
|
Moindres carrés ordinaires
|
36
|
ln(pib)=9.241+
0.13ln(crédit/pib)-
(1.983)
1.02ln(dépense/pib)
(-0.345)
+0.338ln(épargne/pib)
(0.622)
+0.21ln(formation capital/pib)
(-0.350)
|
0.72
|
0.69
|
sources : calculs de l'auteur
Pour le modèle Croissance
économique - Taux de liquidité, les résultats de la
nouvelle estimation sont en conformité avec l'analyse de la
causalité effectuée dans le chapitre précédent qui
aboutit en conclusion à l'absence de causalité entre le
développement de la sphère financière mesuré par le
ratio de liquidité et la croissance de l'activité
économique.
Par contre pour le modèle Croissance
économique - Part du crédit privé dans l'économie,
les résultats de la nouvelle estimation contredisent les
résultats de tous les tests que nous avons préalablement obtenus.
Le coefficient de détermination associée à cette nouvelle
régression est plus que satisfaisant (72%). Et conformément
à la théorie économique et à notre hypothèse
fondamentale, le développement de l'activité financière a
une incidence positive à long terme sur la croissance économique.
Lorsque cet indicateur augmente de 1%, le niveau de l'activité
économique s'améliore de 0.13%.
Ce résultat est d'ailleurs similaire
à celui de Joseph et ses coauteurs (1998) qui recommandent au
gouvernement camerounais d'oeuvrer dans l'amélioration des conditions de
crédit ; ceci dans le but de faciliter l'octroi des crédits
et de catalyser les relations entre les établissements de crédit
et leur clientèle.
En définitive, les seules relations de
long terme validées dans notre travail sont celles qui existent entre
le taux de croissance et le ratio de quasi liquidité, et, le taux de
croissance et la part du crédit privé dans l'économie.
Essayons à présent de voir si ces
différentes relations de longue période tiennent aussi une fois
qu'elles sont transposées dans la dynamique de courte période.
L'examen de la relation à court terme est
appréhendé à travers un modèle à correction
d'erreurs. Celui-ci nous permet d'étudier les fluctuations des
phénomènes en tenant compte de leur sentier d'expansion.
B. L'estimation de la relation de court terme :
le modèle à correction d'erreurs
L'estimation du modèle à
correction d'erreurs constitue la deuxième étape de la
méthode de Engle et Granger de l'analyse de la cointégration.
Cette étape est la plus importante, car elle fait ressortir les
variations périodiques du phénomène étudié
une fois l'équilibre déterminé. Les résultats de
l'estimation de ces différents modèles sont donnés dans le
tableau suivant :
Tableau 4.5 : Résultats de l'estimation des
modèles à correction d'erreurs
Modèle
|
Méthode d'estimation
|
N
|
Estimation
|
R²
|
R² ajusté
|
Croissance -Taux de quasi liquidité
|
Moindres carrés ordinaires
|
38
|
Äln(pib)=0.003-0.1387z+0.365Äln(pib)(-1)
(0.28) (-2.07) (2.30)
-0.06Äln(quasi/pib)+0.06Äln(quasi/pib)(-1)
(-0.84) (1.004)
|
0.22
|
0.13
|
Croissance-Part du crédit privé
|
Moindres carrés ordinaires
|
34
|
Äln(pib)=0.006-0.322v+0.125Äln(pib)(-1)
(0.58) (-3.67) (0.81)
+0.08Äln(crédit/pib)
(1.18)
|
0.39
|
0.31
|
Dans le premier modèle la variable z
représente le résidu de la relation de long terme
décalé d'une période. La statistique de Student
associé au coefficient qui lui est affecté est supérieure
à sa valeur critique au seuil de 5%, soit 1.96. La constante, tout
comme les variations du ratio (quasi monnaie/pib) qu'elles soient
instantanées ou décalées, est non significative. Seule la
variation décalée du PIB a une incidence significative sur le
niveau de la croissance économique.
Le coefficient associé à la force
de rappel z est négatif et significatif (-0.139) ; il existe donc
bien un mécanisme à correction d'erreurs : à long
terme, les déséquilibres entre le développement du
système financier et celui de la sphère productive se compensent
de sorte que les deux phénomènes ont une évolution
similaire.
De façon similaire, la variable v
représente le résidu de la relation de long terme
décalé d'une période et associé au second
modèle. La statistique de Student du paramètre de la force de
rappel est largement supérieure à sa valeur critique au seuil
statistique de 5%. Pour ce modèle aussi, il existe un mécanisme
de correction des erreurs qui à long terme ramène les deux
phénomènes étudiés sur un même sentier
d'expansion.
En revanche, les paramètres
associés aux fluctuations de courte période sont tous non
significatifs. Cependant la valeur du Student calculée pour le
paramètre de notre indicateur financier est supérieure à
l'unité. Et, nous suggérons une analyse plus approfondie de cette
relation afin de tirer des conclusions plus appropriées. Nous
émettons l'hypothèse forte selon laquelle sur une plus grande
période d'observation, les fluctuations du ratio crédit au
secteur privé/PIB ont une incidence positive sur les fluctuations de
l'activité réelle.
Conformément à l'analyse de Joseph
et al (1998), la relation de long terme entre les deux phénomènes
nous conduit à considérer que les autorités de
contrôle et de surveillance du système financier en
général et du secteur bancaire en particulier doivent faire
davantage d'effort pour renforcer leur crédibilité.
Ce renforcement aura pour effet dans une optique
de long terme de stimuler les dépôts longs, facilitant ainsi
l'octroi des crédits à moyen et long terme, source importante de
croissance économique.
On constate en outre que le taux de croissance
de la production intérieure brute dépend positivement de sa
valeur retardée. Lorsque celle-ci augmente de 1%, le taux de croissance
de la période étudiée s'accroît d'environ 0.14%.
Ce résultat trouve des fondements dans
l'analyse de l'équilibre offre globale - demande globale. En effet,
l'accroissement de la production de la période précédente
entraîne un accroissement des revenus et par conséquent une
augmentation de la demande la période suivante. Cette augmentation de la
demande est à l'origine de celle de la production de la période
suivante.
La non significativité des
paramètres associés à la variable quasi monnaie/PIB
(retardée et actuelle) est sans doute due au fait que les fluctuations
à court terme de ce ratio ne sont pas importantes. Ceci se justifie par
le fait que dans le court terme, les agents économiques cherchent
à améliorer leurs conditions de vie.
Dans un contexte où une grande partie de
la population vie en dessous du seuil de pauvreté, l'accroissement des
revenus alimente la consommation plutôt que les placements, comme c'est
le cas dans les pays développés. L'épargne individuelle y
est peu consistante ne saurait être constituée à court
terme que pour des motifs de précaution.
Par conséquent, le système
financier ne bénéficie pas à court terme des
retombées de l'accroissement des revenus. Cette conséquence peut
être aussi justifiée par le fait que le Cameroun est un pays
économiquement vulnérable. Les chocs extérieurs affectent
significativement son appareil productif de telle sorte que les acteurs
économiques ont une préférence pour les actifs liquides
plutôt que pour les actifs quasi liquides.
En définitive, les dynamiques de court
terme et de long terme entre le développement financier et la croissance
économique perçues à travers le modèle à
correction d'erreurs sont rendues possibles dans le contexte camerounais avec
la modification du modèle théorique AK.
Alors qu'à court terme, les habitudes de
consommation et les décisions des ménages sont rigides de telle
sorte que la croissance économique est perçue comme un processus
autorégressif ; à long terme, l'incidence de l'accroissement
du taux de quasi liquidité est positive sur le niveau de
l'activité économique.
Une fois le sens et le signe de la relation
établis, les questions qui restent à notre avis sans
réponse sont celles relatives aux implications de politiques
économiques.
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