L'Etat de droit: entre la domination et la rationalité communicationelle( Télécharger le fichier original )par Raphaël BAZEBIZONZA Faculté de Philosophie Saint Pierre Canisius de Kimwenza - Maîtrise 2007 |
II.5. Le concept de communicationLors du débat avec Marcuse, le diagnostic de Habermas était clair : la domination est un fait politique avéré mais qui n'est nullement rattaché à la rationalité instrumentale ; elle est une figure historique, non une catégorie politique. L'enjeu pratique de l'émancipation n'est donc pas à chercher dans une critique de la raison mais dans un remède à ce qui n'est qu'une forme politique déréglée dont il faut se départir. La communication apparaîtrait alors comme une porte de sortie, un recours face à une institution politique à transformer, comme une pacification nécessaire des relations interindividuelles empreintes de violence. La pensée de Habermas pourrait ainsi être réduite ou assimilée à une analyse - certes critique - de nos sociétés politiques qui, ayant identifié la violence et la domination comme des contraintes et des entraves à l'interaction, proposeraient de les subvertir par une communication répétée entre des sujets raisonnables. Bien entendu, il n'en est rien ! Le concept de communication est d'abord issu d'une réflexion sur le langage dans son aspect dit « performatif » - c'est-à-dire lorsqu'une parole peut être perçue par ceux qui l'entendent, comme une action émanant de celui qui la profère -. La communication désigne donc, en un sens, un usage social ou même politique du langage, à savoir la prise de parole qui, comme action, produit une entente entre les locuteurs. Pour autant, Habermas n'y voit qu'un modèle qu'il envisage au moins autant comme un « ce qui est nécessairement souhaitable » que comme un « ce qui n'est jamais véritablement atteint ». A la limite, on pourrait même aller jusqu'à dire que l'agir communicationnel est impossible ! En fait, il faut plutôt dire que l'agir communicationnel est pensé comme une virtualité dont l'appréhension critique du réel fonde la nécessité. La rationalité est donc pour Habermas un « potentiel » qui donne son sens à l'émancipation conçue comme une rationalisation à accomplir. C'est ici que l'agir stratégique prend tout son sens d'activité sociale : comme tel, il désigne aussi, en partie, un usage dévoyé du langage, une communication systématiquement déformée, qui, dès qu'on le projette sur le politique, laisse le champ libre à la domination. Dès lors, l'autre rationalisation, nécessaire celle-là, que réclame Habermas s'appuie autant sur l'agir stratégique que sur l'agir communicationnel : « En l'occurrence, la rationalisation signifie là l'élimination des rapports de domination qui sont intégrés de façon inaperçue au sein des structures de communication et qui empêchent la gestion consciente des conflits et un règlement consensuel de ces conflits en mettant des obstacles à la communication (...). La rationalisation signifie que sont dépassées les formes de communication systématiquement déformée dans le cadre desquelles n'est maintenu qu'en apparence (...) le consensus porteur de l'action relatif aux exigences de validité (...) ». Pour le professeur Onaotsho, « le concept de communication ou de la discussion est l'un des traits caractéristiques du nouveau paradigme, celui du langage, que [Habermas] considère comme l'instaurateur d'un cadre propice à l'émancipation de la société. Pour Habermas, la discussion libre et rationnelle offre l'avantage de soustraire les décisions et les pratiques politiques à l'arbitraire de la réflexion monologique du sujet solipsiste. Au contraire, elle les soumet à un cadre qui leur permet d'être universellement reconnues sur fond d'arguments rationnellement motivés. Pareil cadre de validation des décisions présuppose un ensemble de mécanismes que Cusset résume dans ce qu'il nomme « l'espoir de la discussion »71(*). Dès lors, la refondation de la communication pervertie par les rapports de domination s'avère nécessaire. La théorie de l'agir communicationnel sert de potentiel qui donne son sens à l'émancipation comme une rationalisation à accomplir. * 71 J. ONAOTSHO, « entretien sur Jürgen Habermas », p. 114. |
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