L'Etat de droit: entre la domination et la rationalité communicationelle( Télécharger le fichier original )par Raphaël BAZEBIZONZA Faculté de Philosophie Saint Pierre Canisius de Kimwenza - Maîtrise 2007 |
II.4.2. La discussionChez Habermas, la discussion est la pratique qui rend possible l'universalisation des intérêts. En effet, la discussion n'est-elle pas dans la raison même cette pratique consensuelle qui permet de concilier des intérêts au départ conflictuels ? Sans doute faut-il entendre ici la discussion dans le sens fort d'une discussion rationnelle ou, tout simplement, la concevoir comme une vraie discussion. La « vraie » discussion est celle qui ne connaît que les raisons (Gründe) ou, si l'on préfère, les seuls arguments du discours, et non les « faux » arguments de l'autorité, de l'intimidation, de la menace ou de la contrainte. Car seuls peuvent être retenus dans une discussion véritable les arguments dignes de ce nom, c'est-à-dire ceux qui ne sont invoqués qu'au titre de ce qui serait susceptible d'être admis par chacun et par tous comme étant valables. De là, on peut envisager l'élaboration d'un droit résultant de l'universalisation des intérêts dans la discussion rationnelle et l'argumentation publique pratique. Nous voyons là resplendir, en quelque sorte, le modèle démocratique de Habermas : le consensus. Un modèle qui n'est pas le modèle libéral du compromis. Car le premier exprime les intérêts sociaux dans l'universalisation d'une discussion, tandis que le second ne fait que régler ces intérêts par l'application de principes universalistes. Mais, quand on regarde la configuration géopolitique actuelle, on se rend compte que les sociétés sont divisées, et que les individus sont très différents entre eux. Dans cette turbulence, les politiques unanimistes ont pu engendrer les « démocraties totalitaires »64(*), tandis que les sociétés libres ont opté pour la logique pluraliste. La démocratie véritable ne trouve-elle pas alors son fondement dans ce qui est précisément dénié par les idéologies totalitaires : la division, le dissensus, le conflit même ? N'est-ce pas dans ce fait que résiderait précisément l'essence du social ; et ne devrait-on pas alors en faire un droit normant les représentations politiques comme l'antidote le plus sûr contre la domination ? C'est dans ce contexte que la vision politique de Habermas fait valoir sa force. Il ne s'agit pas en effet de fuir la domination et sa cohorte de malheurs. La reconnaissance juridique de ce fait, qui est un fait démocratique ou politique, est ce qui donne justement aux sociétés de se représenter politiquement avec une certaine authenticité. Mais il nous semble cependant que les représentations politiques ne sauraient avoir pour seule fin de réfracter en somme la réalité sociale ; encore moins devraient-elles figer cette réalité en s'érigeant au rang de représentations normatives pour la régulation d'une pratique. Peut-être même qu'en posant la représentation de la division et du conflit à l'horizon du sens de la pratique on instaure une véritable contradiction. En effet, même si elle est conflictuelle dans son motif, la pratique sociale et politique n'est-elle pas cependant consensuelle dans sa raison ? N'a-t-elle pas de sens que pour autant qu'elle doive coordonner la particularité factuelle des intérêts en direction d'un universel, à vrai dire déjà présent dans l'esprit même du droit moderne ? Et, dans ce cas, n'est-ce pas l'universel qui doit être la représentation normative, afin que la pratique sociale et politique puisse avoir un sens ? Or c'est là la vision politique de Habermas : l'universel doit être posé à l'horizon du sens. Cependant, il est question ici d'un discours sur le politique. L'idéologie peut s'y produire dans la mesure où le point de vue des « faits » observables et mesurables tend à s'universaliser en une sorte de « vision du monde », qui devient du coup normative en imposant comme une loi sa propre interprétation de la réalité. * 64 TALMON, Les origines de la démocratie totalitaire. |
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