CHAPITRE I : LA DOMINATION
DANS LA PENSEE POLITIQUE DE HABERMAS
I. 0. Prétexte
Plus que tout autre vocable intervenant dans la
réflexion politique de Habermas, celui de domination a
derrière lui une histoire déjà longue. Le concept de
domination dérive donc directement chez lui de la réappropriation
d'une tradition multiple. L'enjeu est d'importance et détermine
déjà à lui seul une large part de la perspective
particulière de sa réflexion : il s'agit d'assumer autant que
faire se peut la critique de la modernité politique et sociale
inaugurée par Karl Marx et Max Weber. Cependant, il ne s'agit pas pour
Habermas de se contenter d'évaluer l'apport de chacun à une
hypothétique histoire de la philosophie post-moderne, mais bien de se
réapproprier dans le même mouvement critique la pensée de
ses prédécesseurs. On peut en ce sens lire ici Habermas comme le
continuateur d'un projet ou d'un point de vue élaboré par ses
maîtres de Francfort. De cette lecture à deux niveaux, on
découvrira chez Habermas une précision de la position qu'il
entend tenir : réaffirmer la dénonciation critique de la
domination comme fait historico-politique tout en prenant ses distances
vis-à-vis de la condamnation radicale de la modernité que
celle-ci a pu induire. En effet, aux yeux de Habermas, l'appréhension de
la figure de la domination recèle un enjeu tout à fait primordial
quant au sens de son projet philosophique d'ensemble. Qu'il s'agisse de Marx ou
de Weber, ou encore des théoriciens francfortois, tous ont, de
façons très différentes, à un moment ou à un
autre, étendu leur dénonciation de la domination à une
critique fondamentale du système politique et social et, avec elle,
à une critique de la raison dont Habermas veut dénoncer
les risques et l'inanité.
Ainsi lancée, la réflexion va s'articuler autour
de deux références primordiales : Karl Marx et Max Weber.
Cependant, chez l'un comme chez l'autre, la pensée de la domination -
loin d'être abstraite - prend place dans une appréhension
dynamique de l'évolution sociale : la rationalisation. C'est cette
même optique qui guidera Habermas, et donc notre réflexion. Pour
une large part, la pensée de Habermas s'inscrit au coeur de ce
projet : la critique de la domination et le défi pratique de
l'émancipation comme fondement d'une réflexion novatrice sont au
centre de ses préoccupations. Mais avec Marcuse, la critique se heurte
en se développant à des apories qu'il entend dénoncer. La
critique de la domination les a, en effet, poussés à une critique
de la raison à laquelle, lui, se refuse. Celle-ci, doit donc être
réamorcée à partir du lieu où cette voie pourtant
féconde est devenue une impasse. C'est dans la confrontation avec
Marcuse que Habermas met un terme provisoire à cette réflexion
critique de la domination. Habermas préconise alors une discussion
politiquement efficace qui établisse des liens rationnels valables entre
les citoyens, pour déterminer dans quelle direction orienter la marche
de la société.
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