CONCLUSION GENERALE ET RECOMMANDATIONS DE POLITIQUE
ECONOMIQUE
Rendu à l'issue du travail, il convient de
rappeler qu'il s'agissait de répondre à la question de savoir si
l'utilisation du Franc CFA en Zone CEMAC est un atout dans le processus de
l'intégration par le marché ou plutôt un facteur de
spécialisation de cette zone. Cette étude a été
menée en intégrant l'impact des réformes
macroéconomiques et institutionnelles de la décennie 90. Ce
questionnement, qui a débouché sur une issue dialectique au
courant des années 90 en deux principales conclusions
(endogénéité et spécialisation des ZMO), a
été vérifié en la Zone CEMAC. La
méthodologie a consisté à utiliser en deux parties, des
outils à la fois documentaires, statistiques et
économétriques.
La première partie qui a dressé le bilan des
réformes sur le processus d'intégration en Zone CEMAC, a
livré un résultat principal selon lequel les réformes ont
eu un impact mitigé. Cet impact mitigé se justifie par le fait
que sur les plans financier et institutionnel, il y a eu plusieurs
résultats (assainissement et modernisation du système financier,
stabilité monétaire, dispositif de convergence des pays,
création de la CEMAC). Mais, il a fallu une deuxième
génération de réformes pour atteindre significativement
ces résultats. En ce qui concerne le volet de l'intégration par
le marché, les réformes n'ont pas apporté les
résultats probants. Ainsi, la part du commerce intra-zone est largement
restée en deçà des 10% du total du commerce international
jusqu'à nos jours.
La deuxième partie quant à elle visait à
vérifier les deux conclusions de la théorie des ZMO
(endogénéité et spécialisation), théorie qui
étudie le lien entre la monnaie unique et le commerce. Cette partie
s'est imposée car il fallait, après avoir montré la
suppression de l'effet frontière monétaire suite au bilan de
réformes, détecter la direction que cette suppression a prise
(renforcement du marché commun ou spécialisation des pays).
Ainsi, la question de savoir si les pays de la CEMAC commercent davantage entre
eux parce qu'ils utilisent la même monnaie et vice-versa débouche
sur la conclusion selon laquelle le Franc CFA n'a pas joué le rôle
attendu sur le processus d'intégration par le marché. Ce
résultat infirme ainsi quoique faiblement la deuxième
hypothèse de cette étude, à savoir
l'endogénéité. La troisième hypothèse qui
teste la spécialisation des pays est, elle aussi faiblement
confirmée, car elle débouche sur une spécialisation
relative pour le Cameroun et à une spécialisation
absolue (hyperspécialisation) pour les autres pays. En ce qui
concerne la nature de la spécialisation, faute d'avoir des
données désagrégées par branches, les
résultats montrent que les pays obéissent à une
spécialisation intra-branche dans le secteur des marchandises et
inter-branche dans le secteur des services. En plus, un détour sur le
potentiel commercial des pays de la CEMAC montre que ce potentiel se trouve
à un niveau faible, expliqué à son tour par la faiblesse
du capital spatial.
Des deux parties, il ressort toujours des résultats
mitigés, montrant ainsi le caractère atypique de la
Communauté. Mais il serait souhaitable que ces résultats soient
plutôt mis à l'actif d'une transition des pays de la
coopération vers l'union, transition appuyée par les
récentes mutations entreprises lors du Sommet de N'djaména en
avril 2007 et qui doivent se poursuivre.
Ce travail recèle quelques limites notamment sur le
plan empirique : tout d'abord la non prise en compte de la dimension
temporelle lors de l'estimation du modèle de gravité, la
spécification adoptée ne permettant pas d'entreprendre des tests
de diagnostique; la seconde limite a trait au caractère
extrêmement agrégé des données qui ont servi au
calcul de l'indice de Grubel et Lloyd, ce qui ne permet pas de connaître
exactement dans quelles branches ou dans quels secteurs spécifiques de
l'économie les pays sont spécialisé.
Somme de tout ceci, quelques recommandations de politique
économique en guise d conclusion s'avèrent
nécessaires :
1. sur le plan de la politique
monétaire, il faut renforcer l'indépendance de la
BEAC afin qu'elle puisse poursuivre librement et sans pressions politiques les
réformes macro-financières et institutionnelles, dont elle a
été chargée par les chefs d'Etat. Cette
indépendance doit être comprise de façon large, surtout sur
les plans instrumental, institutionnel et budgétaire. Mais il faut au
préalable veiller à consolider les acquis relatifs à
l'implémentation de ces réformes. Cette autonomie aura
nécessairement pour pendant la confortation de la suppression de l'effet
frontière monétaire et le renforcement du rôle de la
monnaie unique dans l'augmentation du commerce sous-régional. Cette
situation pourra enfin favoriser l'optimalité monétaire de cette
sous-région. Pour y parvenir, l'agence de restriction externe (la
France) qui joue le rôle de gendarme au sein des organes de la BEAC doit
être maintenue, car l'existence d'une telle agence a contribué
à plus d'un titre à la réussite de la coopération
monétaire et financière dans la sous-région.
2. sur le plan financier, il faut
militer en faveur de l'assainissement du climat des affaires, facteur d'attrait
des IDE et générateur de commerce. Ensuite, cet assainissement
pourrait restaurer la confiance entre la sphère financière et la
sphère réelle, afin que des crédits soient accordés
en faveur des projets intégrateurs et en capital spatial. Il convient de
souligner que la BDEAC à elle seule ne peut pas financer tous les
projets sous-régionaux, qui requièrent souvent des montants
énormes. Il faut donc à ce niveau impliquer tout le
système bancaire de la zone et surtout miser sur un marché
financier sous-régional performant, qui pourra facilement transformer
des ressources en emplois longs. Dans cette optique, la Bourse des Valeurs
Mobilières d'Afrique Centrale (BVMAC) à un rôle capital
à jouer et son entrée en vigueur s'avère
nécessaire, malgré le conflit d'objectifs et de leadership qui
l'attend face à la Douala Stocks Exchange (DSX), qui a vue le jour
depuis 2003.
3. en ce qui concerne le renforcement de
l'intégration sous-régionale, deux principaux volets
doivent être privilégiés : commerciale et
monétaire. Sur le plan commercial, l'intégration dans la CEMAC ne
sera couronnée d'un succès que s'il se développe en son
sein un véritable Marché. La réussite à ce niveau
passe par une base productive, dont la nature est déterminante. Elle
doit être diversifiée, afin de permettre des demandes
croisées entre les partenaires à l'intégration. Pour y
parvenir, il faut se déconnecter de la logique de la monoculture et
développer au sein des pays membres de véritables politiques
nationales d'ouverture à vocation sous-régionale, plutôt
que de subir une ouverture naturelle qui alimente l'intégration
verticale. En ce qui concerne le volet monétaire, il faut militer pour
le respect des critères traditionnels des ZMO au sens de Mundell (1961).
Pour cela, il est urgent de faciliter la libre circulation des facteurs et
surtout des personnes à travers la mise en vigueur du passeport CEMAC,
bien que ce point connaisse encore quelques écueils dans la
sous-région, avec des expulsions fréquentes en Guinée
Equatoriale. Aussi, il ne faut pas oublier le renforcement des conditions de
convergence, qu'elle soit nominale, réelle ou structurelle. Sur ce
point, la discipline des pays en ce qui concerne le respect du critère
monétaire (inflation) de convergence doit être étendue aux
critères de dépenses, bien que pilotés sur le plan
national. Un contrôle strict du respect des critères de
convergence passerait par l'application et le suivi rigoureux des sanctions, la
mise en place d'un bouclier efficace de compensation en cas de pertes
budgétaires et la coordination des politiques nationales.
4. sur le plan institutionnel, il faut
renforcer les institutions sous-régionales, et la priorité doit
être accordée à la Commission nouvellement
créée lors du dernier sommet des chefs d'Etat en avril 2007
à N'Djaména. Pour une action efficace de cette dernière,
tous ses mécanismes de financement doivent être obligatoires et
restructurés. La proposition à ce niveau est la formation des
agents régionaux chargés du recouvrement de la Taxe Communautaire
d'Intégration (TCI), dotés d'un esprit communautaire et
protégés par des pouvoirs supranationaux. En outre, les
versements doivent être directs dans les comptes de la Commission. Cette
dernière doit marquer une rupture nette avec l'ancien Secrétariat
Exécutif qui s'est avéré être une simple chambre
d'enregistrement. Pour ce faire, la nomination du Président doit
être issue d'un processus concurrentiel en fonction de ses
caractéristiques propres et ce poste doit être rotatif, ce qui
permettrait d'assurer l'égalité des partenaires. Enfin, il faut
éviter des conflits entre les différents organes, les
différentes Institutions et surtout entre la Commission et le Conseil
des chefs d'Etat. Pour y parvenir, il faut clairement définir les
frontières existantes entre ces différents organes à
travers une application rigoureuse des textes. Une situation conflictuelle
à ce niveau illustrerait une fois de plus le manque de volonté
politique des dirigeants, car c'est une partie de leurs pouvoirs qui doit
être transférée à la Commission.
Enfin, concluons avec Eboué (2004) pour dire que ce
n'est qu'à ces conditions que l'Union Monétaire CEMAC pourra
devenir un espace de croissance tirée par le commerce extérieur
et sous-régional.
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