La problématique du contrôle de l'Etat sur les collectivités territoriales décentralisées au regard de la loi constitutionnelle du 18 janvier 1996( Télécharger le fichier original )par John Richard KEUDJEU DE KEUDJEU Université de Douala Cameroun - DEA 2008 |
Paragraphe 3 : La garantie de la légalité et la protection des droits des administrés
La protection des droits des administrés est une nécessité absolue dans l'action de contrôle de l'Etat (B) ; ce qui justifie d'emblée l'existence de la garantie de la légalité des actes locaux (A). A) La garantie de la légalité. La garantie de la légalité en tant que finalité du contrôle de l'Etat sur les collectivités locales est justifiée par plusieurs éléments (2), lesquels permettent de s'attarder sur les implications de la garantie (1). 1) Les implications de la garantie de la légalité
Suivant la théorie de la pyramide des normes développée par le Pr. Hans KELSEN197(*), l'on en vient avec le Pr. CHAPUS à mettre en exergue le rapport de compatibilité. Il exprime un lien lâche entre l'action de l'administration et la norme juridique suprême. Ce rapport implique simplement que l'administration doit s'inspirer de ce qu'a voulu exprimer la règle de droit198(*). Ce rapport peut parfois se ramener à celui de conformité pour lequel il est imparti à l'administration le devoir de faire en sorte qu'il y ait une quasi similitude entre son action et l'esprit de la norme juridique qui s'impose à elle199(*). Ainsi, l'administration locale dans son agir doit conformer son action aux différentes normes étatiques qui lui sont supérieures, car les collectivités locales ne sont pas indépendantes. A cet effet, elles ne disposent pas d'un véritable pouvoir normatif200(*). Dans l'optique de garantir cette légalité, est instituée une cour suprême - matérialisant le pouvoir judiciaire - dont la chambre administrative comporte une section compétente en matière de contentieux de l'annulation des questions diverses201(*). En plus de cette cour suprême est institué un conseil constitutionnel qui statue souverainement sur la constitutionnalité des lois, des traités et des accords internationaux202(*) et devant lequel le président du conseil régional, jouit d'un locus standi, lorsque les intérêts de la région sont en cause203(*). 2) Les justifications du contrôle de légalité sur l'action locale Sur le plan strictement juridique, la garantie peut se justifier en tant qu'une des finalités du contrôle de l'Etat sur les collectivités locales à plus d'un titre. Tirant son fondement de la loi constitutionnelle du 18 janvier 1996, qui en son article 58, institue un délégué nommé par le Président de la République dans la région et à la charge duquel se trouve : le contrôle administratif, le respect des lois et règlements de la République. Cet article est repris mutatis mutandis par l'article 67 de la loi d'orientation de la décentralisation. Ce qui permet d'étendre cette charge à la commune, compte tenu de la tutelle qu'exerce le préfet sur les communes. L'on peut en déduire que garantir la légalité reviendrait à assurer le respect des lois et règlements de la République par les autorités locales dans l'exercice de leurs fonctions d'une part et d'autre part à réaliser l'harmonie et l'uniformité juridico-institutionnelle de l'Etat dans toutes les parties de son territoire ; ceci conformément au principe de l'unité et de l'indivisibilité de la République. Ce principe de l'unité et de l'indivisibilité de la République se caractérise par l'unité politique - matérialisée par l'unité du pouvoir d'Etat et l'unité du peuple - d'une part et d'autre part l'unité du territoire204(*). Ainsi, sans le contrôle de l'Etat, la libre administration présenterait le risque d'accentuer les particularismes locaux au dépend des constances nationales ; et au pire des cas, une telle évolution conduirait à la rupture d'avec les grands principes républicains à l'instar de l'égalité de tous devant la loi et les charges publiques. B) La protection des droits des administrés Le contrôle qu'exerce l'Etat sur les actes et les organes locaux porte au-delà de la régularité juridique, de la garantie de la légalité, la marque de la protection des droits des administrés. Ce contrôle vise en effet le développement harmonieux de toutes les collectivités locales, la préservation des deniers publics locaux. Ce qui permet au contribuable de jouir du fruit de ses sacrifices. Le contrôle vise de même à préserver ses droits en ce sens que malgré le taux élevé de scolarisation, les populations restent encore peu initiées quant à la chose juridique, à l'intérêt général et au fonctionnement local. Ce qui permet de garantir les droits des administrés en puissance. Ce d'autant plus qu'avec la naissance du déféré qui peut être spontané ou provoqué205(*), l'on pourra éviter l'introduction des recours contentieux inutiles ou prématurés contre des actes administratifs locaux.. CONCLUSION DU CHAPITRE
Au regard de la rénovation des modalités et finalités du contrôle de l'Etat sur les collectivités locales, compte tenu de l'amoindrissement des pouvoirs de l'autorité locale sur les actes locaux et du raffermissement du contrôle juridictionnel et de l'émergence d'un véritable contrôle budgétaire et financier dévolu au juge des comptes, l'on peut affirmer que la libre administration des collectivités locales connaît actuellement un essor perceptible. Toutefois, il n'en demeure pas moins que beaucoup reste encore à faire ; et qu'au delà de l'aspect textuel, il reste que cela soit transcrit de manière concrète dans la pratique. L'on peut déjà relever l'absence de nombreux textes qui restent encore attendus. C'est le cas des décrets d'application des lois du 22 juillet 2004 sur la décentralisation. Ce qui tend à ternir cette évolution et à souligner l'application partielle de grands nombre de nos textes206(*).
CONCLUSION DE LA PREMIERE PARTIE
L'appréhension de la réalité de la libre administration des collectivités territoriales décentralisées au travers des conditions de la décentralisation, de la rénovation des modalités et finalités du contrôle de l'Etat, a permis de relever l'évolution qu'a connu le statut des collectivités territoriales décentralisées d'une part et d'autre part de l'amenuisement des pouvoirs de tutelle sur les collectivités locales. Mais, malgré cette analyse, peut on affirmer qu'au pragmatisme timoré a succédé une volonté de rupture ? L'adoption de nouveaux textes en matière de décentralisation, la création de nouveaux organes d'assistance ont-ils réellement contribué à changer les comportements et les mentalités ? Le Cameroun a-t-il réellement changé de religion en adoptant avec une ferveur nouvelle la foi décentralisatrice après s'être, pendant près d'un demi siècle adonné avec passion à la vénération centralisatrice ? Ces questions, non des moindres lèvent un pan de voile sur les faiblesses actuelles de cette libre administration des collectivités territoriales décentralisées. Ces limites à la libre administration des collectivités locales permettent de faire état du difficile devenir de cette libre administration. DEUXIEME PARTIE : LE DIFFICILE DEVENIR DE LA LIBRE ADMINISTRATION DES COLLCTIVITES LOCALES AU REGARD DU POIDS DU CONTROLE DE L'ETAT
L'on se doit de revenir sur la question de savoir si le Cameroun a vraiment changé de religion en adoptant avec une ferveur nouvelle la foi décentralisatrice207(*), après s'être pendant des années adonné avec passion à la vénération centralisatrice ? Certes l'on relève la consécration constitutionnelle de la décentralisation territoriale au Cameroun208(*), de même qu'un rapprochement notable entre les conditions d'application de la décentralisation et l'aspect conceptuel de la libre administration des collectivités locales. Mais au-delà de ce postulat reluisant de l'évolution des collectivités territoriales décentralisées au Cameroun, le contrôle qu'exerce l'Etat sur ces collectivités ne souffre-t-il pas toujours d'entraves qui justifient ce difficile devenir de la libre administration locale au Cameroun ? L'appréciation des faiblesses de cette libre administration passe d'abord par la mise en lumière de ses limites (chapitre 1), ensuite par les enjeux de ce contrôle de l'Etat sur les collectivités territoriales décentralisées (chapitre 2). CHAPITRE I : LA LIMITATION DE LA LIBRE ADMINISTRATION DES COLLECTIVITES TERRITORIALES DECENTRALISEES
La libre administration constitutionnellement consacrée trouve les germes de sa propre limitation dans la constitution. Certes dispose-t-elle que les collectivités territoriales décentralisées sont des personnes morales de droit public, jouissant de l'autonomie administrative et financière et s'administrant par des conseils élus209(*). Mais, dans le même temps, c'est cette même constitution qui affirme que l'Etat assure la tutelle sur les collectivités territoriales décentralisées mais aussi qu'un délégué nommé par le Président de la République représente l'Etat, qu'il a la charge des intérêts nationaux, du contrôle administratif, du respect des lois et règlements, du maintien de l'ordre public210(*). Cette limitation constitutionnelle de la décentralisation territoriale au Cameroun dénote des prérogatives constitutionnelles des organes étatiques en matière de décentralisation (section 1) d'une part et d'autre part la résistance d'un contrôle de tutelle fort (section 2). * 197« il n'est pas, dit-il un système de normes juridiques placées toutes au même rang mais un édifice à plusieurs étages superposés, une pyramide ou hiérarchie formée (pour ainsi dire) d'un certain nombre d'étages ou de couches de normes juridiques » Cf. WANDJI K. (J. F.), « Le contrôle de constitutionnalité au Cameroun et le modèle africain de justice constitutionnelle », in POLITEIA, Revue semestrielle de droit constitutionnel comparé, n°11, Paris, A.F.A.A.J.D.C. Printemps 2007, p.306, * 198 CHAPUS (R.), Droit administratif général, Tome 1, 13ème éd, Paris, Montchrestien, Août 1999, Pp.1037-1040 * 199 Ibid, Pp.967-969 * 200 Lire sur la question JOYAUX (M.), De l'autonomie des collectivités territoriales françaises : Essai sur la libre administration du pouvoir normatif local, Bibliothèque de droit public, Tome 198, Paris, LGDJ, Février 1998 * 201 Art. 3, Loi n° 2006/016 du 29 décembre 2006fixantb l'organisation et le fonctionnement de la cour suprême * 202 Art. 47, Loi n° 96/06 du 18 janvier 1996 portant révision de la constitution du 02 juin 1972 * 203 Art. 47 al.2, Loi n° 96/06 du 18 janvier 1996 * 204 MERLEY (N.), Conception et administration du territoire en France métropolitaine, Presses de l'Université d'Aix-Marseille, 1998. Lire de même MARCOU (G.), « Le principe d'indivisibilité de la République », in La République, Coll. « Pouvoirs », Revue française d'études constitutionnelles et politiques, N°100, Novembre 2000, Pp. 45-65 * 205 MORAND - DEVILLER (J.), Cours de droit administratif, 7e éd., Paris, Montchrestien, Septembre 2001, p. 187 * 206 Lire sur le caractère duale de la constitution du 18 janvier 1996, ONDOA (M.), « La constitution duale ; Recherches sur les dispositions constitutionnelles transitoires au Cameroun », in, Revue africaine des sciences juridiques, Yaoundé, Vol. 1 et 2 (2000), Pp. 20-56 * 207 Se référé a la constitution du 18 janvier 1996 ( titre X : relatif aux collectivités territoriales décentralisées), aux lois du 22 juillet 2004 sur la décentralisation,( loi n°2004-17 du 22 juillet 2004 d'orientation de la décentralisation, Loi n°2004-18 du 22 juillet 2004 fixant les règles applicables aux communes, Loi n°2004-19 du 22 juillet 2004 fixant les règles applicables aux régions), aux décrets relatifs à la décentralisation (décret n°2008/013 du 17 janvier 2008 portant organisation et fonctionnement du Conseil National d la décentralisation, le décret n°2008/14 du 17 janvier 2008 portant organisation et fonctionnement du comité inter ministériel du suivi d la décentralisation). * 208 GUIMDO D. (B.-R), « Constitution et décentralisation au Cameroun depuis la réforme constitutionnelle du 18 janvier 1996», in Revue juridique et politique des Etats francophones, n°2, Avril - Juin 2005,Pp. 205-223 * 209 Art. 55 al. 2, Loi n°96/06 du 18 janvier 1996 portant révision de la constitution du 02 juin 1972 * 210 Art. 58, Loi n°96/06 du 18 janvier 1996, op.cit |
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