Première Partie :
Maillage politico-administratif et espace
socio-économique : une adaptation en France de plus en plus
difficile.
Procéder à une remise en cause du maillage
politico-administratif français, nécessite auparavant d'expliquer
(dans la mesure du possible) les finalités de ce dernier, de le
définir et de décrire sa formation. De même, il est
nécessaire aussi de décrire et d'étudier
l'évolution des rapports (de force) qui se sont établis entre ce
dernier et l'espace socio-économique, ainsi que d'analyser, toujours
dans la mesure du possible, les différentes logiques qui sont à
l'origine de l'évolution de ces différents ensembles. Il
apparaît ainsi que les années 1960 constituent un tournant majeur
dans les rapports de force ainsi établis. Cette césure traduit
une inversion des tendances dans les logiques de contrôle et de gestion
de l'ensemble du territoire national, ainsi qu'une modification majeure dans
l'organisation et la structuration de l'espace socio-économique. La
perspective historique permet en effet un éclairage très
intéressant des problèmes que soulève l'évolution
des rapports de l'homme à l'espace, notamment ces dernières
décennies. L'articulation de nos deux sous-parties selon une
structuration "avant" et "après" la décennie 1960,
participe ainsi de cette logique.
"Pour une remise en cause du maillage
politico-administratif français ? - Exemple de la
limite départementale et régionale entre Pau et Tarbes."-
Lionel Dupuy, Mémoire de DEA, 1998.
Les rapports dialectiques qui découlent de la
confrontation des différentes logiques en présence s'inversent
eux aussi avec la décennie 1960, d'où les remises en cause
(actuelles) que ce mémoire se propose d'étudier.
Compte-tenu de notre choix et de notre terrain d'étude,
notre développement insistera surtout sur les circonscriptions
administratives (et peu sur les circonscriptions électorales, quand
l'espace étudié associe directement les deux) que constituent les
départements et les régions. Ces deux entités, l'une
ancienne et l'autre récente, sont très étroitement
liées. Leurs mailles respectives sont aujourd'hui criticables autant
dans leur processus de mise en place et d'évolution que dans leur forme,
ce qui constitue une autre forme de dialectique (celle du processus et de la
forme) qui sera abordée dans le développement qui suit.
A) - Le maillage politico-administratif français
: définition, formation et rôle jusqu'aux années 1960.
I - Qu'est-ce qu'un maillage ? Pourquoi mailler l'espace
?
Le terme de maillage est une notion polysémique :
polysémique car il présente plusieurs acceptions selon les
auteurs, et c'est une notion par conséquent (et non pas un concept)
puisqu'il est difficile de lui donner une définition unique admise par
tous. Dans le développement qui suit, nous allons tenter de mieux le
définir, afin de préciser quel sens nous lui donnons dans ce
mémoire.
Le maillage est donc l' "ensemble des filets qui situent les
lieux dans les mailles de l'appropriation et la gestion du territoire" ;
c'est aussi un "principe de partition opératoire et socialisé
de l'espace".
Cette définition de Roger Brunet (et des
co-auteurs), qui sous-tend de nombreuses implications et interrogations, est
essentielle dans le cadre de notre travail. Ainsi (et a fortiori
aujourd'hui), l'espace est fondamentalement maillé ou"parti".
De ce fait, les processus d'appropriation conduisent à une partition de
l'espace qui fait apparaître des mailles (maille :"espace
délimité, base d'un découpage du territoire pour
l'appropriation ou pour la gestion"). Le maillage constitue par
conséquent un relais et un outil du pouvoir dont le but est de
maîtriser une étendue donnée. Quand cette dernière
est de grande taille, l'État procède à une
délégation de pouvoir qui engendre une organisation
hiérarchique permettant le contrôle et la gestion du territoire
par et pour le pouvoir. Il s'agit donc tout simplement "de diviser
pour régner et pour coexister".
Dans cette perspective, nous traitons ici du maillage au sens
général du terme, sans procéder à des distinctions.
Or, il en est une fondamentale pour nous : celle qui distingue les logiques
politico-administratives des logiques socio-économiques.
Les premières engendrent un maillage
(politico-administratif) dont le but est de diviser et d'organiser l'espace, de
contrôler ce dernier ainsi que les hommes qui le peuplent, et cela de la
manière la plus optimale possible. Les mailles qui en résultent
sont ainsi nettes et claires, objectives et objectivées, et bien
définies dans l'espace. Elles sont aussi relativement statiques,
notamment à l'échelle d'une vie humaine (cf par exemple les
limites qui sont
"Pour une remise en cause du maillage
politico-administratif français ? - Exemple de la
limite départementale et régionale entre Pau et Tarbes."-
Lionel Dupuy, Mémoire de DEA, 1998.
dessinées sur les cartes topographiques, et que nous
retrouvons d'une édition à l'autre, alors que de par et d'autre
de ces mêmes limites la physionomie d'ensemble a parfois fortement
évolué).
Les secondes, à l'inverse, engendrent plus de gradients
que de mailles. En effet, la partition de l'espace qui résulte des
logiques socio-économiques entre pôles (de part et d'autre d'axes,
de frontières, etc...), met en évidence des mailles floues,
incertaines, évanescentes (nous avons donc plutôt affaire à
des gradients, à des formes transitionnelles, et non pas à des
discontinuités ou des mailles bien affirmées), difficilement
objectivables, mais pourtant réelles et objectives. Ces gradients, quant
à eux, sont essentiellement dynamiques, à la fois dans l'espace
et dans le temps (cf par exemple la difficulté à définir
les limites des espaces urbains, celles des espaces périurbains et
celles des espace ruraux ; il en est de même pour les aires d'influences
des villes : jusqu'où s'étendent-elles réellement, quelles
sont leurs formes précises ?...).
Les relations qui s'établissent entre le maillage (en
général), les mailles qui le constituent, et les gradients
résultant des logiques développées
précédemment, sont de type dialectique, les uns
influençant les autres, et inversement. De même, il ne faut pas
perdre de vue qu'une maille (et ce, quelle que soit la logique qui en est
à l'origine) est à la fois un contenant et un contenu. Partant de
là, d'autres relations dialectiques s'établissent ici, en
l'occurrence entre le processus et la forme des mailles
considérées.
Plus largement, il s'agit ainsi de la dialectique de la forme
et du fond, de la forme et du processus (donc de celle du contenant et du
contenu) : "il ne s'agit pas (...) de concevoir l'espace comme un contenant
(un cadre statique) à l'intérieur duquel gigoteraient des hommes
contenus, comme des mouches dans un bocal. La dialectique du contenant et du
contenu est plus riche. C'est le rapport du fond et de la forme".
Si les espaces et les gradients socio-économiques sont
dynamiques dans l'espace et dans le temps, le maillage et les mailles
politico-administratives ne sont pas cependant complètement statiques,
figés pour toujours. En effet, il arrive parfois à ces derniers
d'évoluer, même de disparaître, quand le pouvoir en place le
décide et que les dynamiques socio-économiques mettent en
évidence la nécessité d'une réforme, d'une
révision ou au moins d'une modification (comme dans le cadre d'un Plan
d'Occupation des Sols, par exemple).
Le maillage constitue donc un des éléments
clé de l'organisation de l'espace géographique, espace sur lequel
se confrontent de nombreuses logiques telles que celles que nous venons de
développer et de mettre en évidence. Jusqu'aux années
1960, et depuis plusieurs siècles, le maillage politico-administratif
français n'existait que par et pour le pouvoir en place (l'État),
dont le but était de gérer, de contrôler et d'organiser
l'espace (français). Instrument et outil donc du pouvoir, il se
décomposait en quatre niveaux hiérarchiques (avant que ne soit
formée la région) emboîtés dont nous allons
décrire maintenant la formation.
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