LE RETABLISSEMENT DE L'ETAT DE DROIT
DANS UNE SOCIETE EN RECONSTRUCTION
POST-CONFLICTUELLE :
L'exemple de la Sierra
Léone
Mémoire de fin d'études en Master 2 Recherche,
Histoire du Droit, Droit et Droits de l'Homme
Jukoughouo Halidou NGAPNA
Sous la direction de
Roger Koussetogue KOUDE
Professeur chargé de cours à l'Institut des
Droits de l'Homme de Lyon
TABLE DES MATIERES
DEDICACES ET REMERCIEMENTS
4
SIGLES ET ABREVIATIONS
6
INTRODUCTION GENERALE
8
CHAPITRE PRELIMINAIRE : COMPRENDRE LE
CONTEXTE SIERRA LEONAIS
11
I. Une décolonisation
progressive et pacifique
12
II. Des crises politiques
à répétition : coups d'Etat, parti unique et
socialisme (1961-1992)
12
III. Un conflit armé
d'une violence sans précédent
13
IV. De la violence
« effroyable » à la paix : 1999-2002
14
PREMIERE PARTIE : LA REPONSE PENALE DE
LA SIERRA LEONE AUX VIOLATIONS GRAVES DES DROITS DE L'HOMME COMMISES PENDANT LE
CONFLIT ARME
16
Chapitre Premier : UNE COUR ADAPTEE A
UN CONTEXTE PARTICULIER
19
Section I : Environnement global autour de
la création de la Cour Spéciale
20
I. Un contexte national et international
propice aux poursuites pénales
20
II. La Cour Spéciale et les autres
juridictions pénales internationales
27
Section 2 : La stratégie des
poursuites et son impact sur la crédibilité de la Cour
spéciale pour la Sierra Léone
35
I. La division tripartite des affaires
à juger
35
II. L'impression de travail
inachevé : la répression du mercenariat et la
responsabilité des chefs d'Etat en exercice
45
Chapitre II : LE MANDAT ET LE
FONCTIONNEMENT DE LA COUR SPECIALE POUR LA SIERRA LEONNE
50
Section 1 : Le procès devant la
Cour Spéciale
51
I. La composition de la Cour
51
II. Le déroulement de la justice
respectueux du modèle démocratique du procès
pénal
59
Section 2 : Juger ceux qui
« portent la plus grande responsabilité »
67
I. Une restriction pour concilier justice et
paix
67
II. Faits tombant sous la juridiction de la
Cour
74
DEUXIEME
PARTIE :
LES MECANISMES DE JUSTICE REPARATRICE ET LA
REFORME DES INSTITUTIONS
80
Chapitre III : LA RECHERCHE DE LA
VERITE ET LA PRISE EN COMPTE DES PREOCCUPATIONS DES VICTIMES
84
Section 1 : Mandat et pouvoirs de la
Commission Vérité et Réconciliation (CVR)
86
I. Organisation et fonctionnement
86
II. Une Commission chargée de
rechercher la vérité et de réécrire l'histoire du
pays
92
Section 2 : La réparation des
victimes des violations graves des droits de l'Homme
99
I. La philosophie du programme de
réparation
99
II. Modalités pratiques des
réparations
106
Chapitre IV : LES REFORMES
INSTITUTIONNELLES, LA DEMOCRATIE ET LA BONNE GOUVERNANCE
110
Section I : La promotion et la protection
des droits de l'Homme
111
I. Les réformes de la justice et des
secteurs de la sécurité et de défense
111
II. La promotion du pluralisme et la
garantie de l'indépendance de la justice
117
Section 2 : Renouer avec la bonne
gouvernance
121
I. L'indispensable lutte contre la
corruption
121
II . Une redistribution équitable des
richesses nationales
126
CONCLUSION GENERALE
132
INDICATIONS BIBLIOGRAPHIQUES
136
REMERCIEMENTS
Au moment où nous nous apprêtons à
présenter le fruit de notre recherche à l'appréciation du
jury, c'est l'occasion pour moi de témoigner de ma gratitude à
tous ceux qui, de près ou de loin, ont contribué à la
réalisation de ce mémoire.
Nous tenons particulièrement à remercier M.
Roger KOUDE, notre directeur de recherches pour sa disponibilité et sa
patience. Ses conseils et sa rigueur nous ont permis de progresser et de
fournir le meilleur de nous-mêmes.
Jonas MFOUATIE est certainement celui qui a le plus
contribué à notre réussite. Il a été pour
nous une source de conseils et d'orientation dans les choix de formation. Son
soutien financier et matériel depuis le tout début de nos
études nous ont permis de réussir au Cameroun, en Guinée
et en France. Son engagement dans la défense des droits de l'Homme en
Afrique et à travers le monde ont fait de lui le modèle qui nous
a déterminés à nous engager dans les mêmes
batailles.
Nous voudrions également remercier l'ensemble du corps
administratif et enseignant de l'Institut des Droits de l'Homme de Lyon pour
leur soutien, encadrement et disponibilité. M. Didier AGBODJAN et Mme
Pascale BOUCAUD pour leur aide dans la recherche bibliographique, MM. Laurent
GEDEON, Joseph YACOUB et Mme Frédérique LONGERE pour leurs
conseils éclairés.
Nous remercions finalement ceux dont le soutien, les
relectures et corrections nous ont permis d'avancer dans les recherches et la
rédaction du mémoire. Il s'agit notamment de Begoto MIAROM, Soule
MFOREN, Françoise EPANYA, Aïsha RAHAMATALI, Marie Astrid FERRAND,
Pierre BOUTEILLE, Emmanuel KONE, Sylvia BOURDIN, Komlavi KOKU, Patrick NGUENE,
Yvette NDJOMO, Marie-Françoise STEPHEN. Et Marthe EPANYA pour son
attention particulière sans laquelle nous aurions certainement
cédé au découragement face aux difficultés qui ont
jalonné le chemin de la rédaction de ce travail.
A Alassa MFOUAPON, mon regretté père
A Rebecca MAPON, pour son amour et sa tendre affection
SIGLES ET ABREVIATIONS
· AFRC : Armed Forces Revolutionary
Council
· APC : All People's Congress
· CDF : Civil Defense Force
· CEDEAO : Communauté
Economique des Etats de l'Afrique de l'Ouest
· CEDH : Cour Européenne des Droits
de l'Homme
· CIDE : Convention Internationale relative
aux Droits de l'Enfant
· CIJ : Cour Internationale de Justice
· CIVPOL : Police Civile de la Mission des
Nations Unies en Sierra Léone
· CPI : Cour Pénale
Internationale
· CVR : Commission Vérité et
Réconciliation
· DDR : Désarmement,
Démobilisation et Réinsertion
· ECOMOG : Economic Community of West
African States Cease-fire Monitoring Group / Brigade de surveillance de
cessez-le-feu de la CEDEAO.
· EO : Executive Outcomes
· HRW : Human Rights Watch
· ICTJ : International Center for
Transitionnal Justice / Centre International pour la Justice Transitionnelle
· IDH : Indice di Développement
Humain
· IMATT : Equipe Militaire
Internationale Consultative en Matière d'Instruction
· INTOSAI : Organisation Internationale des
Institutions Supérieures de Contrôle des Finances Publiques
· IPOA : International Peace Operations
Association
· JLSC : Judicial and Legal
Service Commission
· LURD : Libériens Unis pour la
Réconciliation et la Démocratie
· MODEL : Mouvement pour la
Démocratie du Libéria
· MRU : Mano River Union
· NCDDR : Commission Nationale pour le
Désarmement, la Démobilisation et la Réinsertion
· NPRC : National Provisional Ruling
Council
· ONG : Organisation Non Gouvernementale
· ONU : Organisation des Nations Unies
· OUA : Organisation de l'Unité
Africaine
· PHR : Physicians for Human Rights
· PIDCP : Pacte International relative aux
Droits Civils et Politiques
· PNUD : Programme des Nations Unies pour
le Développement
· PRIDE : Post-conflict Reintegration
Initiatives for Development and Empowerment
· RPP : Règles de Procédure
et de Preuves
· RUF : Front Révolutionnaire Uni
· SCSL : Cour Spéciale pour la
Sierra Léone
· SLPP : Sierra Leone People Party
· TPIR : Tribunal Pénal
International pour le Rwanda
· TPIY : Tribunal Pénal
International pour l'Ex-Yougoslavie
· TRC : Truth and Reconciliation
Commission
· UA : Union Africaine
· UNAMSIL-MINUSIL : Mission des Nations
Unies en Sierra Léone
· UNDDR : Commission de Désarmement,
Démobilisation et Réinsertion des Nations Unies
· UNICEF : Fonds des Nations Unies pour
l'Enfance
INTRODUCTION GENERALE
La justice transitionnelle, en tant que discipline, est une
branche du droit assez récente et méconnue du public. Pourtant,
elle a été pratiquée dans bien de sociétés
sortant d'un conflit armé ou de toute autre situation de troubles. Elle
peut être définie comme l'ensemble des mécanismes mis en
oeuvre par une société pour affronter un passé
marqué par des violations graves des droits de l'homme. Il peut s'agir
d'un conflit armé, d'une dictature ou d'un évènement assez
marquant auquel il faut donner des réponses.
D'abord, les pouvoirs publics, afin d'obtenir la paix sociale,
peuvent prescrire l'oubli de telles violations, d'assurer ainsi
l'immunité aux dirigeants afin qu'ils acceptent de quitter le pouvoir,
et de restaurer l'état droit. Cette immunité peut aussi
s'adresser aux groupes rebelles pour obtenir la cessation des
hostilités. C'est le choix qui est souvent fait par la plupart des
acteurs. C'est ainsi qu'en Argentine, au Chili ou dans d'autres pays sortant
des dictatures, des lois d'amnistie ont été votées avant
de nouvelles élections démocratiques.
La société internationale, les organisations de
la société civile et les défenseurs des victimes ont vite
trouvé cette parade insuffisante. Depuis la chute du mur de Berlin, une
nouvelle idée a germé : c'est celle de faire répondre
de leurs actes les responsables des violations graves des droits de l'homme.
Des requêtes ont été remplies par les associations des
victimes pour faire traduire devant les tribunaux tous ceux qui ont commis des
exactions1(*). Les Etats eux
aussi ont compris qu'ils ne pouvaient plus se satisfaire de la paix obtenue au
prix de l'impunité. La création des deux tribunaux pénaux
ad hoc2(*)
et l'adoption du Statut de Rome3(*) sont les exemples les plus significatifs.
Sortant d'une situation qui a été le
théâtre des violations des droits de l'homme, il n'y a plus de
raisons de prétendre à une immunité complète. Les
responsables des violations graves des droits de l'homme doivent donc
répondre de leurs actes, que ce soit devant une juridiction nationale ou
internationale. Pourtant, cette réponse purement pénale
s'avère insuffisante, lorsqu'il faut reconstruire un tissu social
détruit et restaurer la paix nationale. Les valeurs autrefois
bafouées par les atrocités doivent être rétablies.
La problématique de la réconciliation des groupes sociaux
autrefois ennemies et qui devront vivre ensemble nécessite des
mécanismes de guérison collective. Les victimes ont le plus
souvent besoin d'éprouver un sentiment de justice pour être
à mesure de pardonner à leurs bourreaux. La recherche de la
vérité et l'écriture de l'histoire commune sont
nécessaires pour identifier les causes profondes du conflit afin
d'éviter la répétition des faits et le retour du chaos.
C'est pourquoi, l'expérience sud-africaine est particulièrement
intéressante ; il faut créer un espace où les
victimes et les bourreaux pourront croiser leurs récits des faits. Qu'il
s'agisse d'une Instance Equité et Réconciliation comme
au Maroc, d'une Commission Vérité et Réconciliation
comme en Afrique du Sud et au Ghana et en Sierra Leone, les victimes et
les coupables doivent pouvoir disposer d'une tribune pour que chacun puisse
témoigner de son expérience afin d'établir la
vérité, voire que le pardon puisse en émerger.
La Sierra Léone, petit pays d'Afrique de l'Ouest
d'environ 6 millions d'habitants4(*), a connu depuis son indépendance obtenue le 27
avril 1961 une relative stabilité marquée par quelques crises
politiques de moindre ampleur. Mais la décennie 1991-2002 fut
particulièrement sanglante. Le pays traverse alors une guerre civile
sans précédent qui a fait de nombreuses victimes et a
été le théâtre de violations graves des droits de
l'homme et du droit international humanitaire. Tant du côté des
forces gouvernementales, des milices ou des rebelles, les combattants se sont
rendus responsables d'enlèvements, d'exécutions sommaires,
d'amputations, de viols systématiques, d'enrôlement forcé
d'enfants soldats, d'esclavage sexuel, de destruction ou d'appropriation
illicite de biens des populations civiles... causant ainsi de milliers de morts
et de déplacés vers l'extérieur et à
l'intérieur du pays. Certaines de ces exactions ont même
été attribuées à des membres des forces
internationales d'interposition5(*).
Le conflit prendra momentanément fin avec la signature
le 7 juillet 1999 de l'Accord de paix de Lomé entre le gouvernement et
le responsable de la principale force rebelle, le RUF6(*) sous les bons offices du
président togolais GNASSIMGBE Eyadéma, alors président en
exercice de l'Organisation de l'unité africaine (OUA). Cet accord,
signé en présence du Représentant spécial du
Secrétaire général des Nations unies précise les
conditions de retour à la paix, notamment le vote par le Parlement d'une
loi d'amnistie, l'organisation des élections, la refonte des
institutions et la participation des membres du RUF, transformé en parti
politique, à un gouvernement d'unité nationale7(*).
La loi d'amnistie prévoyait le pardon de toutes les
exactions commises par les protagonistes du conflit jusqu'à la
signature dudit accord8(*).
Le Représentant des Nations unies y a apposé une mention
précisant que l'Organisation ne reconnaîtrait pas une amnistie
couvrant les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité.
L'Accord de Lomé
prévoyait aussi la création d'une Commission
Vérité et Réconciliation9(*) (CVR) qui sera chargé de recueillir des
témoignages des victimes et des perpétrateurs d'atrocités
afin de mettre à jour la vérité historique sur les
violations graves des droits de l'homme et du droit international humanitaire
durant le conflit armé en Sierra Leone du début du conflit en
1991 à la signature de l'accord de paix de Lomé, de lutter contre
l'impunité, faire face aux besoins des victimes, de promouvoir la
réconciliation et de prévenir la répétition de
telles violations10(*).
L'Accord de paix de Lomé, à l'instar de celui
d'Abidjan de 1996, ne tiendra pas longtemps. Le kidnapping en mai 2000 de 500
soldats de la paix des Nations unies par les forces du RUF et les
désaccords au sein du gouvernement pousseront Foday SANKOH à
reprendre le maquis, intensifiant ainsi le conflit qui ne prendra fin qu'avec
la signature d'un ultime cessez-le-feu en novembre de la même
année suite à l'intervention des forces de la Royal Navy
britannique qui ont libéré les otages11(*).
Le 16 janvier 2002, le gouvernement
sierra léonais signe avec les Nations unies un accord prévoyant
la création d'une Cour spéciale pour la Sierra Leone
dont le mandat est de poursuivre ceux qui ont la plus grande
responsabilité dans les violations graves du droit international
humanitaire et de la législation sierra léonaise, sur le
territoire sierra léonais depuis le 30 novembre 199612(*), date marquant l'échec
de l'accord d'Abidjan. Le tribunal sera composé de juges sierra
léonais et internationaux et siègera à Freetown.
L'exemple de la Sierra Léone est à bien des
égards un modèle particulier de mise en oeuvre des
mécanismes de justice transitionnelle, autant dans la création et
la composition d'un organe répressif ad hoc que dans son
fonctionnement concurrent avec la Commission Vérité et
Réconciliation. Le choix de lutter contre le règne de
l'impunité est ici associé aux impératifs, d'une part, de
guérison et de réconciliation du peuple sierra léonais et,
d'autre part, de reconstruction d'une société de bonne
gouvernance et d'un Etat de droit.
Au moment où les efforts de la société
internationale en matière de lutte contre l'impunité portent
leurs fruits13(*) et que
l'Organisation des nations unies (ONU) est entrain de repenser ses
stratégies d'approche en matière de maintien de la paix et de
justice transitionnelle14(*) ; pendant que la plupart des pays africains en
phase de transition mettent en place leurs institutions, l'expérience de
la Sierra Léone, reconnue par la plupart des observateurs comme un
modèle de mise en oeuvre réussie, mérite une étude
critique pour en tirer les leçons.
Une société qui, comme la Sierra Léone
sort d'un conflit ayant particulièrement déshumanisé une
frange importante de la population a besoin de réponses adéquates
pour se reconstruire, assurer la sécurité des populations et
éviter la résurgence de nouvelles violences. Il est donc
indispensable de s'intéresser aux réponses qu'il faut apporter
à ce genre de situation pour fonder les bases d'un nouveau vivre
ensemble. En d'autres termes, que faut-il faire, dans une société
dont les valeurs morales ont été pendant plusieurs années
bafouées, pour retisser un lien social qui n'existe plus ? Quelles
mesures doit-on prendre pour assurer d'une part aux victimes et
déplacés une réintégration dans leur
société libérée de violences et empreinte de
justice et, d'autre part, de permettre à ceux qui se sont rendus
coupables d'exactions envers la population et l'Etat d'assumer leurs actes et
de participer aux cotés de leurs compatriotes à la
reconstruction ?
Seule la justice semble aujourd'hui capable de répondre
à toutes ces préoccupations car on ne peut en effet pas
prétendre à une paix durable sans justice. La justice à
mettre en place dans un processus de reconstruction post conflictuelle doit
être globale ; c'est-à-dire, qu'elle doit, autant que
possible, prendre en considération les besoins de la population dans son
ensemble.
En même temps que les
autorités s'attèlent à poursuivre ceux qui ont
perpétré des atrocités au moyen d'une
procédure de justice pénale (première partie), ils doivent
aussi permettre aux victimes et à l'ensemble de la communauté de
réintégrer une société saine et paisible au moyen
d'une procédure de justice réparatrice (deuxième
partie).
CHAPITRE PRELIMINAIRE : COMPRENDRE LE CONTEXTE SIERRA
LEONAIS
La Sierra Léone moderne, à l'instar du
Libéria voisin, est le résultat de l'abolition de l'esclavage au
XIXe siècle. Ce petit territoire de 71 740 Km² -
confiné entre la Guinée-Conakry au nord-ouest, le Libéria
au sud-est et ouvert à l'océan Atlantique au sud - a
été découvert en 1462 par l'explorateur Pedro DA CINTRA
qui lui donne le nom de Sierra Leone qui signifie en portugais
« montagne du lion » à cause des
formes montagneuses de la côte. Elle fut achetée par les
britanniques en 1787 où ils fondèrent Freetown (la ville
des hommes libres), pour y installer les esclaves affranchis qui voulaient
retrouver leurs racines africaines.
Ces anciens esclaves s'installeront tout au long de la
côte à côté des tribus mandingues15(*) installées
depuis le XVe siècle. Ces Krio16(*) qui représentent un peu plus de 10 %
de la population vont tout de suite s'imposer comme la classe dominante du pays
du fait de son niveau d'instruction17(*) et des privilèges qui leur sont
accordés par le colon anglais. Cette position dominante se traduira
après l'indépendance par des politiques économiques
défavorables aux autres parties du pays qui, malgré leurs
richesses en métaux précieux18(*), sont restées majoritairement agricultrices et
très pauvres.
La Sierra Léone, peuplée aujourd'hui d'environ 6
millions d'habitants, est l'un des pays les plus denses d'Afrique19(*). C'est aussi, en raison des
ravages de la guerre civile l'un des Etats les plus pauvres du monde20(*) et où
l'espérance de vie est la plus courte.
L'on peut se demander comment une société qui,
à l'indépendance comptait les cadres les plus compétents
et dont les richesses minières le prédestinaient à un
avenir prospère pouvait arriver à ce niveau de
développement économique aussi bas qui la pousserait dans des
affrontements aussi sanglants ? En d'autres termes, quelles sont les
conditions ayant présidé à la détérioration
des relations entre les populations qui vivaient, malgré les
différences, dans une relative fraternité et pratiquent pour la
plupart21(*) la même
religion ?
Le conflit de la décennie 1991-2000 (III) qui
atteindra son point culminant en 1999 (IV) semble être le résultat
logique d'une histoire marquée par des crises politiques à
répétition (II) alors que la république est issue d'une
décolonisation pacifique (I).
I. Une
décolonisation progressive et pacifique
La Sierra Léone devient en 1792 la première
colonie britannique d'Afrique de l'Ouest. La période coloniale sera
divisée en deux phases. La première partie, allant de 1792
à 1951 est marquée par une direction centralisée des
affaires du pays. C'est une colonie comme toutes les autres, administrée
par un gouverneur sous l'autorité directe du ministère des
colonies. De part l'histoire spécifique de ce
pays, la métropole sera particulièrement attentive à son
développement intellectuel et économique, accentué par
l'installation dans la ville de Freetown des centaines de colons qui
s'occuperont du petit commerce et des exploitations agricoles.
La seconde phase de la colonisation de la Sierra Léone
est fortement influencée par les mouvements de revendication
d'indépendance qui ont secoué les colonies et territoires sous
tutelle après la seconde guerre mondiale. Le gouvernement britannique
cède à la pression des Sierra léonais et leur octroie une
large autonomie en 1951. C'est à cette époque que l'actuelle
organisation administrative se met en place. Le pouvoir s'appuie sur les
chefferies traditionnelles qui rendent la justice, prélèvent les
impôts et exécutent les politiques en matière de
santé et d'hygiène. Les Paramount chieves ne sont en
revanche pas compétents pour l'éducation, la défense,
l'économie et les relations extérieures.
En 1954, Milton MARGAÏ est nommé Ministre en chef,
la première autorité indigène du pays. Il sera très
actif sur le plan national et international. Avec Sékou TOURE de la
Guinée-Conakry, Kwame NKRUMAH du Ghana et le président
Félix HOUPHOUËT BOIGNY de la Côte d'Ivoire, il sera l'un des
représentants de l'Afrique de l'Ouest à la conférence de
Bandoeng22(*). C'est donc
logiquement qu'il prend la tête du premier gouvernement local avec rang
de premier ministre délégué en 1958, conduira les
négociations d'indépendance avec le gouvernement britannique et
deviendra le premier Président de la République dès
1961.
II. Des crises politiques à
répétition : coups d'Etat, parti unique et socialisme
(1961-1992)
La plupart des pays africains ont connu les mêmes
difficultés aux lendemains des indépendances. L'application du
modèle occidental a souffert dans la plupart de ces pays d'une mauvaise
assimilation ou d'un manque de préparation des dirigeants. La corruption
et le tribalisme ont souvent été à la base des politiques
de gouvernement, ouvrant ainsi la voie aux divers détournements des
deniers publics et à la mauvaise répartition des richesses
nationales.
La relative stabilité de la jeune République
sierra léonaise ne survivra pas à la mort du président
MARGAÏ qui sera remplacé par son frère Albert MARGAÏ en
1964. Ce dernier est vite confronté à des sérieuses
difficultés ; le mécontentement des leaders non Krio
qui ont été écartées des rennes du pouvoir
commence à déstabiliser le pouvoir en place. Ayant de solides
attaches dans l'armée, ils conduiront pas moins de quatre coups d'Etat
qui emmèneront brièvement Siaka STEVENS à la tête du
pays entre 1967 et 1968.
Ce dernier reviendra au pouvoir en 1971 à la faveur
d'un énième coup d'Etat et installera un modèle
autocratique qui élimine progressivement toute opposition. La
création de l'All People's Congress23(*) (APC)
en 1978 viendra couronner cette démarche d'instauration d'un parti
unique qui définira la politique de l'Etat mise en oeuvre par le
gouvernement. C'est une administration à la socialiste.
L'Etat providence prôné par le président
STEVENS sera vite sujet à la corruption, aux détournements de la
part des ministres et aux trafics en tous genres. Tous ces facteurs
aggravés par l'inflation galopante due à la dette
extérieure exorbitante et à une masse monétaire sans cesse
en augmentation causeront de graves pénuries et une tension
considérable au sein de la population. Le mauvais état de
santé du président facilitera sa mise à l'écart par
Joseph MOMOH qui tentera de redresser l'économie et de rétablir
la démocratie. L'armée se fera l'écho de l'impatience de
la population et des appétits croissants des militaires. L'échec
du coup d'Etat de 1987 poussera le gouvernement à prendre des mesures
drastiques et à instaurer un « état d'urgence
économique » qui se terminera par le
rétablissement du multipartisme et l'organisation des élections
générales en 1992.
Mais entre temps, les multiples restrictions rigoureuses
imposées à la population de plus en plus miséreuse, qui
doit aussi supporter l'afflux massif des populations civiles du Libéria
voisin qui fuient la guerre civile, exacerbent les tensions. Pour punir la
Sierra Léone de sa participation à la force d'interposition dans
son pays, afin de s'assurer d'une base arrière solide et de
bénéficier des richesses du pays voisin, Charles TAYLOR24(*) facilitera en 1991 la
création d'un mouvement rebelle qui attaquera le pays par l'Est.
III. Un conflit armé d'une violence
sans précédent
Le 23 mars 1991, un ensemble de combattants burkinabés,
libériens et sierra léonais avec, à leur tête, Foday
SANKOH, ancien caporal de l'armée britannique, attaquent l'Est de la
Sierra Léone et prennent vite le contrôle de ces régions
riches en matières précieuses. Les revendications des rebelles
s'axent autour de la volonté de renverser un pouvoir qu'ils qualifient
de dictatorial et de corrompu, qui n'a jamais laissé la chance aux
populations des provinces de participer à la redistribution des
richesses dont leur sous-sol est pourvu. L'espoir que ce discours aurait pu
susciter chez certains s'est rapidement éteint car le RUF a tout de
suite commencé à commettre des exactions sur les populations
civiles.
De leur côté, le gouvernement et l'armée
sont loin de conjuguer leurs forces contre la rébellion. Les militaires
renverseront le Gouvernement à peine élu et installeront une
junte dirigée par Valentine STRASSER qui mettra en place
un National Provisional Ruling Council (NPRC)25(*) dont la lutte
armée contre les rebelles ne fournira pas de résultats probants.
Ceux-ci, mieux formés, plus organisés et motivés que les
militaires loyalistes ne cesseront de progresser vers la capitale. Julius MAADA
BIO26(*) décidera
d'organiser des élections générales au courant de 1996.
Cette période est la plus sanglante du conflit car les rebelles du RUF
entameront une campagne tristement célèbre d'amputation des
personnes afin de dissuader la population d'aller voter27(*). Ce qui n'empêchera pas
l'élection d'Ahmad Tejan KABBAH du SLPP28(*) à la tête du pays. Celui-ci entamera des
négociations avec les rebelles à Abidjan la même
année.
L'accord de paix signé le 30 novembre 1996 n'aura pas
le temps d'être appliqué. Des mutins, mécontents des
mesures de restructuration de l'armée que le président
était entrain d'entreprendre, déclenchent les hostilités
et libèrent le commandant Johnny Paul KOROMA qui prendra le pouvoir au
petit matin du 25 mai 1997. Ces affrontements assez sanglants forceront le
président KABBAH à l'exil à Conakry d'où il
dirigera les forces qui lui seront restées loyales29(*). La junte militaire au
pouvoir30(*) invitera le
RUF au gouvernement. Une résolution du Conseil de sécurité
imposera un embargo sur les importations des armes et du pétrole. C'est
le point de départ d'une série de tractations au sein du Conseil
de sécurité pour l'implication de l'ONU dans la résolution
des conflits en Afrique, malgré les échecs du Mozambique, de la
Somalie ou du Rwanda. Pour éviter ce que Kofi ANNAN appelle
« des massacres sanglants », le Royaume Uni
servira de catalyseur pour arracher des consensus au sein du Conseil, surtout,
faire face aux circonspections des Etats-Unis31(*).
La Communauté Economique des Etats d'Afrique de l'Ouest
(CEDEAO) enverra dès février 1998 sa force d'interposition qui
aidera les Kamadjors et les quelques militaires loyalistes à
rétablir le gouvernement démocratiquement élu. Dès
son retour, KABBAH affrontera les violences et mènera son pays vers une
paix définitive quatre ans plus tard.
IV. De la violence « effroyable » à
la paix : 1999-2002
Réclamant la libération de leur leader
détenu à Freetown après son transfert du Nigeria le 25
juillet 1998 où il était détenu depuis 199732(*), Sam BOCKARIE alias
Mosquito prend en 1999 la tête d'une expédition punitive
dénommée « Operation No Living Thing »
sur la capitale Freetown. Cette attaque est la plus sanglante car en
moins d'un mois, elle fera plus de cinq mille morts dans la population civile
et détruira presque totalement les infrastructures de la ville. Elle a
été repoussée grâce à l'aide des troupes de
l'ECOMOG qui, eux aussi, auraient commis des atrocités33(*).
Ces évènements n'empêcheront pas le
gouvernement d'entamer des négociations avec les rebelles à
Lomé. Le président du RUF, toujours en détention, fera le
déplacement. L'accord qui en sortira sera le plus contesté, car
il accorde une amnistie pour tous les crimes commis par les protagonistes au
conflit jusqu'au 7 juillet 1999, date de la signature de l'accord. Bien que les
Nations unies ne reconnaissent pas une amnistie portant sur les crimes
internationaux, l'opinion publique a considéré que cet accord
était une nouvelle voie ouverte vers l'impunité ; en plus,
les rebelles sont revenus à Freetown dans le gouvernement où ils
occupent la vice-présidence et ont la mainmise sur les ressources
stratégiques du pays34(*). Les institutions résultant de cet accord ne
fonctionneront pas efficacement. Le Comité des ressources
stratégiques que préside Foday SANKOH ne se réunit presque
pas, les décisions en conseil des ministres sont très difficiles
à obtenir avec la réunion autour de la même table d'anciens
ennemis. C'est alors que le RUF décide en mai 2000 de regagner le maquis
et d'enlever 500 militaires de la Mission des Nations Unies pour la Sierra
Léone (MINUSIL).
La communauté internationale ne pouvant plus rester
muette face à ces évènements, le Conseil de
sécurité a voté une résolution35(*) imposant un embargo de sur les
ventes d'armes au Libéria ainsi que des mesures de contrôle du
trafic illégal de diamants issus de la Sierra Léone et du
Libéria. L'intervention des militaires britanniques poussera le RUF
à libérer les otages et à signer un ultime cessez-le-feu
à Abuja en novembre 2000. Les conditions de stabilité minimales
étaient requises pour démarrer les opérations de DDR
(démobilisation, désarmement et réinsertion) des
ex-combattants pour permettre le déroulement des élections de
2002 qui ont conduit à la réélection de Tejan KABBAH
à la tête du pays et de l'obtention par son parti de la
majorité au parlement36(*).
Le nouveau gouvernement est mis au défi de la
reconstruction d'un pays dont les principales infrastructures ont
été détruites par un conflit qui a causé 200 000
morts, 800 000 réfugiés vers la Guinée-Conakry
(ci-après Guinée) et le Libéria ainsi que plus de la
moitié de la population déplacés à
l'intérieur du pays. L'enjeu principal est de relancer
l'économie, retisser le lien social et répondre aux attentes de
la population, notamment les réparations pour les victimes, la
réintégration des déplacés et autres personnes
affectées par le conflit comme les ex-combattants et la
réconciliation nationale. Les tâches incombant aux
autorités élues ne sauraient se faire sans l'appui de la
communauté internationale. Elle devrait l'aider à lancer un
signal fort aux Etats de la sous-région en répondant notamment
par des poursuites pénales contre les auteurs des violations graves des
droits de l'homme.
PREMIERE PARTIE
LA
REPONSE PENALE DE LA SIERRA LEONE AUX VIOLATIONS GRAVES DES DROITS DE L'HOMME
COMMISES PENDANT LE CONFLIT ARME Au sortir de dix années de conflit, la
société sierra léonaise est confrontée à un
contexte qui justifie particulièrement la mise en oeuvre des obligations
juridiques et morales de l'Etat. Le nombre élevé des victimes et
des perpétrateurs dépasse la capacité des structures
étatiques existantes pour répondre aux attentes du pays. Le
système juridique est en effet très faible autant en
qualité - le personnel qualifié ayant quitté le pays - et
doit s'appliquer à résorber la criminalité sans cesse
croissante à l'époque post conflictuelle. L'équilibre du
pouvoir est assez fragile car il y a des personnes qui, de par leurs
immunités, leur position actuelle au gouvernement ou le rôle
qu'ils ont joué dans le conflit, constituent un obstacle significatif
pour les poursuites pénales contre les responsables des violations des
droits de l'homme.
Outre ces obstacles
matériels, la Sierra Léone était soumise à des
obstacles juridiques qui ne lui permettaient pas de répondre de
façon efficace aux crimes de guerre. En plus de la loi d'amnistie de
2000, l'absence d'une mise en oeuvre des conventions internationales permettant
de traduire dans l'ordonnancement interne les qualifications de
« crime de guerre » et de « crime
contre l'humanité » instaurait ainsi un vide juridique
empêchant toute possibilité de poursuite sur ces bases au
pénal. De plus, les qualifications juridiques de meurtre, viol, pillage
ou coups et blessures seront pour la plupart couvertes par l'amnistie et les
prescriptions.
Pourtant, la Sierra Léone
comme tous les autres Etats a l'obligation de faire toute la lumière sur
les violations graves des droits de l'homme, d'identifier et de punir les
personnes responsables de ces violations, de réparer les victimes et de
prendre toutes les mesures nécessaires afin d'éviter la
répétition de tels évènements à l'avenir.
Ces obligations constituent une sorte de règle commune internationale
reconnue par les instances judiciaires internationales, les organes de
contrôle des conventions de la Charte des droits de l'homme des Nations
unies et consacrée par la plupart des conventions internationales
relatives aux droits de l'homme et au droit international humanitaire.
La question à se poser
n'était plus celle de savoir s'il fallait répondre
pénalement ou non aux violations graves des droits de l'homme. Il
fallait plutôt chercher à trouver les moyens et le timing
adéquats pour pouvoir poursuivre de manière efficiente les
responsables des pires crimes que le pays ait connus. En d'autres termes, le
contexte politique international de l'époque permettait-il la
continuité de l'impunité ; comment fallait-il associer aux
finalités répressives et préventives de la justice
pénale les besoins de réhabilitation et de consolidation de la
paix ?
Traditionnellement, il existe
plusieurs modèles de règlement judiciaire ou parajudiciaire des
violations graves des droits de l'homme et du droit international
humanitaire37(*). Il
s'agit notamment :
· Le
modèle judiciaire universel : il correspond à
la création d'une instance internationale permanente qui
compétente de poursuivre les responsables des crimes internationaux. Ce
modèle correspond à la Cour pénale internationale dont le
Statut a été adopté à Rome en 1998 ;
· Le
modèle transitionnel international judiciaire : il se
caractérise par la création des tribunaux ad hoc. Les
Tribunaux internationaux de l'Ex-Yougoslavie et du Rwanda appartiennent
à cette catégorie ;
· Le
modèle national : celui-ci nécessite des
capacités judiciaires locales performantes et à même
d'absorber l'ensemble des affaires extraordinaires sans préjudice pour
les crimes de droit commun interne. C'est le modèle de justice choisi
par l'Ethiopie ;
· Le
modèle quasi-judiciaire : c'est un modèle qui
allie les mécanismes judiciaires répressifs et les
mécanismes restaurateurs. C'est l'exemple de l'Afrique du Sud, du
Rwanda, et du Burundi ;
· Le
modèle judiciaire mixte : sa particularité est
de réprimer les violations graves des droits de l'homme par des
instruments et personnel internationaux et nationaux. Le procédé
peut consister à instituer une chambre spéciale au sein du
système judiciaire national comme c'est le cas au Timor Leste et au
Kosovo ou à la création d'une instance spéciale
hybride ; tel est le cas de la Sierra Léone.
La réponse pénale
aux atrocités du conflit sierra léonais nécessitait donc
un modèle de justice suis generis car il était à
l'époque peu évident de poursuivre, par aucune instance
judiciaire internationale ni nationale titulaire de la compétence
universelle et pouvant rendre justice au peuple sierra léonais. Le
contexte international et les opinions politique et publique internes de la
Sierra Léone sont favorables à la création d'une instance
pénale dont la mission sera de définir clairement la
portée matérielle, personnelle et temporelle de ces obligations
pour créer un précédent utile à destination des
autres sociétés en reconstruction post-conflictuelle (Chapitre
premier). Les fonctions classiques de prévention et de répression
de la justice pénale seront nécessairement couplées
à la réhabilitation des victimes et des responsables. Le mandat
et le fonctionnement de la Cour devront y veiller scrupuleusement (Chapitre 2).
Chapitre Premier : UNE COUR
ADAPTEE A UN CONTEXTE PARTICULIER
L'échec de l'Accord de paix de Lomé a sans doute
offert à la communauté internationale une occasion de
rétablir l'équilibre et de se doter des moyens de pouvoir engager
la responsabilité des auteurs des violations graves des droits de
l'homme pendant le conflit. La mise en place de la MINUSIL, qui stabilisera le
pays, permettra la bonne conduite des élections et l'ouverture des
consultations pour la mise sur pied de la Commission Vérité et
Réconciliation. Cependant, les attentes de la communauté
internationale et de la société sierra léonaise sont plus
grandes ; il y a un grand besoin de plus en plus palpable38(*) de procéder à la
traduction des responsables des exactions devant une instance pénale qui
complètera le travail que s'apprête à entamer la
Commission. Plusieurs arguments ont milité en faveur de la
création de la Cour sur le modèle actuel.
D'une part, les autorités sierra léonaises
craignaient que le jugement de Foday SANKOH et de ses complices par un tribunal
national manquerait de crédibilité et ouvrirait ainsi la voie
à une nouvelle déstabilisation du pays par les rebelles qui ne se
sont réellement pas encore démobilisés. Le
président Tejan KABBAH écrira donc au Secrétaire
général des Nations unies le 12 juin 2000 demandant l'assistance
de la communauté internationale pour juger les hautes
personnalités du RUF.
D'autre part, le Conseil de sécurité voyait en
la prise en otage des membres de la force des Nations unies par un groupe
armé une attaque dirigée contre la communauté
internationale toute entière39(*) et estimait qu'il était de l'obligation de
l'organisation de fournir son assistance au gouvernement dans la poursuite des
perpétrateurs. Le Secrétaire général sera alors
chargé de fournir un rapport sur le statut, le financement et le
fonctionnement de la Cour. Sur ces trois points, les avis étaient
différents. Le Secrétaire général souhaitait une
Cour dotées des pouvoirs issus de chapitre VII de la Charte,
chargé de poursuivre « ceux qui sont le plus
responsables » des violations des droits de l'homme et
financée par le budget des Nations unies. Le Conseil de
Sécurité quant à lui voulait une Cour indépendante
du budget de l'ONU, démunie des pouvoirs du Chapitre VII et
compétente pour juger « ceux qui portent la plus grande
responsabilité » des exactions. C'est finalement cette
dernière formule qui sera adoptée au moyen de la
Résolution 1315 du Conseil de Sécurité40(*), demandant « au
Secrétaire général de conclure un accord avec le
gouvernement de la Sierra Léone en vue de la création d'une Cour
spéciale (...) étant donné que la situation du pays est
une menace contre la paix et la sécurité dans la
région» 41(*).
Après 17 mois de négociations, le gouvernement
sierra léonais et le Secrétaire général signent
finalement en janvier 2002 l'Accord portant sur l'établissement de la
Cour spéciale pour la Sierra Léone42(*) auquel sera annexé un
statut.
La création et la mise en place de la Cour auront
suscité plein de débats qui relèveront des questions
juridiques dont l'analyse présente un grand intérêt. Il
était donc nécessaire de mettre en place une instance
répondant aux besoins des contextes interne et international et de lui
fournir des armes lui permettant d'accomplir sa mission de manière
adéquate afin d'inciter une plus grande adhésion des principaux
concernés, les populations sierra léonaises. Il conviendra donc,
avant de mesurer l'impact que la stratégie des poursuites aura eu sur
l'opinion (Section 2) de présenter l'environnement global autour de la
création de la Cour spéciale (Section 1).
Section I : Environnement global autour de la
création de la Cour Spéciale
La Cour spéciale sierra léonaise est un exemple
inédit d'instance pénale internationale. Elle intervient dans un
contexte international propice aux poursuites pénales (I) alors
même que la communauté internationale, par la création
d'autres juridictions ad hoc s'était dotée de moyens lui
permettant de répondre ponctuellement à d'autres violations
graves des droits de l'homme. Il sera alors utile pour notre étude de
confronter la nouvelle Cour avec ces deux instances pénales
internationales (II).
I. Un contexte
national et international propice aux poursuites pénales
Les crimes internationaux sont d'un genre particulier. Le
processus de victimisation va au-delà des victimes directes et
immédiates. La déshumanisation des victimes touche à
l'humanité tout entière, car c'est à l'ensemble de la
communauté des Etats qu'il appartient de garantir le respect des normes
impératives du jus gentium. Les développements de la
société internationale depuis la création des tribunaux
ad hoc en 1993 et l'adoption du Statut de Rome ainsi que la prise de
conscience de l'ampleur des atrocités développeront un consensus
global autour des poursuites (A) ce qui fera de la collaboration entre la Cour
et le gouvernement (B) un exemple.
A. Consensus autour des poursuites
La création d'une Cour pénale en Sierra
Léone répondait aux attentes de la population qui a besoin de la
justice afin de rétablir l'équilibre interne (1) et de
défendre les intérêts de la communauté
internationale (2).
1. Nécessité de rétablir
l'équilibre social interne
La justice internationale, comme l'indiquait le juriste
autrichien Hans KELSEN43(*) est une justice primitive qui a le plus souvent mis
l'accent sur la responsabilité collective de l'Etat ou des groupes plus
ou moins homogènes44(*). Or, depuis Nuremberg, la société
internationale s'est progressivement écartée de cette voie. Il
est nécessaire d'établir les responsabilités
individuelles. Autrement dit, les victimes et communautés qui ont
souffert sont moins disposées à se réconcilier si les
auteurs des crimes ne sont pas reconnus comme responsables, elles ont besoin
d'identifier les personnes individuellement responsables de leurs souffrances
pour mettre fin à la haine et au désir de vengeance. Il ne sera
plus question de stigmatiser ou de faire des amalgames à propos des
child soldiers, des bush followers, des Kamadjors,
des membres des forces armées ou bien d'autres groupes
abstraits et de les considérer comme étant tous responsables,
diluant ainsi la responsabilité réelle qui réside dans la
culpabilité. Il s'agira de trouver des noms, des circonstances
précises et des lieux pour identifier avec précision les
perpétrateurs et leur infliger des sanctions légitimement
proportionnelles à leurs actes.
Il y a quand même eu des réserves des populations
consultées quant à leur opinion sur la mise en place de la Cour.
Certains d'entre eux soutenaient que traduire les gens devant des juridictions
pour les fautes commises était une manière occidentale
d'affronter le passé. La tradition africaine45(*) privilégie le dialogue
et le pardon entre membres de la communauté, si possible sans la
présence des personnes étrangères. Pour eux, faire
comparaître des personnes avec qui ils vivent en communauté devant
un tribunal, de surcroît dirigé par des juges internationaux, qui
n'ont aucun lien historique, moral, idéologique ou religieux avec les
protagonistes du conflit, est peu propice à promouvoir la
réconciliation ; ce serait faire ressurgir les blessures du
passé, reparler des souffrances et humiliations que les femmes et
surtout les filles ont dû subir et cristalliser ainsi les haines
nées et entretenues pendant le conflit. Ceci est probablement dû
au manque de consultation préalable et au sentiment de mise à
l'écart des populations et des groupes de victimes. Les principales
associations ne pouvaient se rendre à New York où se tenaient les
négociations à propos de la Cour et n'assistaient pas toujours
aux réunions des experts des Nations unies lorsque ceux-ci venaient en
mission sur le terrain. Cette lacune sera corrigée par le greffe du
tribunal qui mènera dès les premiers jours de sa constitution une
campagne nationale d'information sur le mandat et le fonctionnement de la Cour
ainsi que de l'avantage dont les sierra léonais pouvaient en tirer.
L'autre raison de réserves par rapport à la Cour
était la précarité de la paix. Si jeune, celle-ci risquait
de voler aux éclats parce que les combattants, de peur d'être
confrontés à un procès, et d'éventuelles peines de
prison mettraient en péril les opérations de
démobilisation, désarmement et de réinsertion (DDR)
menées par les Nations unies et le gouvernement. Une étude
menée par l'organisation PRIDE (Post-conflict Reintegration
Initiatives for Developpement and Empowerment) pour le compte de l'ICTJ
montre46(*) qu'au
début, l'opinion favorable des ex-combattants variait en fonction d'une
part de la sensibilisation, et d'autre part de la milice à laquelle ils
appartenaient. Ainsi, avant d'être sensibilisés, les
ex-combattants de la CDF étaient enthousiastes à l'idée de
la création de la Cour, tant il est que l'opinion dominante en Sierra
Léone pensait que celle-ci servirait à poursuivre les miliciens
qui n'appartenaient pas à la mouvance favorable au gouvernement issu des
urnes. Après avoir été renseignés sur la
possibilité pour tous les protagonistes à être attraits
devant la juridiction, le pourcentage d'opinions favorables s'est
considérablement réduit47(*). En revanche, les soldats du RUF, très
méfiants au départ étaient plus favorables à la
Cour après sensibilisation48(*).
Les victimes, très nombreuses dans les banlieues de
Freetown et des autres grandes villes du pays sont pour la plupart pris en
charge par la famille ou les associations caritatives et les ONG
étrangères ou locales, vivent dans des conditions
miséreuses et ont besoin de voir les coupables de ces atrocités
répondre de leurs actes devant une instance pénale. En plus de la
recherche de la répression, il est important pour ces personnes
d'intégrer un système de responsabilité pour satisfaire
à la qualification juridique de victime et prétendre à
obtenir réparation. Car en effet, sans coupables, il n'y a pas de
responsables, donc pas de victimes. Elles veulent et doivent faire partie
intégrante du processus judiciaire, non de manière accessoire
mais entant que partie prenante à part entière. A ce propos, de
la conférence nationale de commémoration pour les victimes de
mars 2003 qui regroupait 350 délégués issus des
conférences régionales a émergé deux principales
idées : en premier lieu, la plupart, notamment les associations des
amputés demandaient réparation, ou plus précisément
un soutien des autorités dans leurs efforts de réhabilitation. En
second lieu, les femmes on apprécié la prise en compte de leurs
revendications, notamment en incriminant le viol et les autres violences
sexuelles et demandent plus de participation dans le processus de
réhabilitation judiciaire et voient en cette initiative un moyen
d'éducation des sierra léonais sur les droits de l'homme et le
respect des femmes et des filles. La protection des témoins était
aussi au centre des préoccupations des victimes. Elles craignaient des
représailles car bon nombre de perpétrateurs ou de leurs proches
vivaient encore dans les communautés.
Enfin, les attentes des groupes
socio professionnels comme la communauté des juristes et les membres des
forces armées nationales étaient opposés. Les premiers
voulaient une participation effective du barreau local tout au long du
processus. Ils souhaitaient participer et profiter pleinement de
l'évolution professionnelle que leur offrait cette opportunité
mais peu ont finalement été intégrés dans le
système, la plupart du personnel de la Cour étant composé
d'internationaux49(*). Les
militaires quant à eux voyaient en la création de la Cour un
outil de la politique extérieure des Etats-Unis qui ont signé
avec le gouvernement l'accord bilatéral de non extradition prévu
à l'article 93 du statut de Rome.
2. Intérêts pour la communauté
internationale
La communauté internationale a une
responsabilité dans la pérennité de l'impunité, car
les violations des droits de l'homme sont des infractions qui portent atteinte
au droit international, indépendamment qu'elles soient punies comme
crimes dans tel ou tel Etat. En ratifiant la Charte des Nations Unies de 1945,
la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948, le Pacte
international relatif aux droits civiques et politiques de 1966, les quatre
Conventions de Genève de 1949, le Statut de Rome de la Cour
Pénale Internationale de 1998, ainsi que les instruments
régionaux comme la Charte de l'OUA de 1963 ou la Charte africaine des
droits de l'homme et des peuples de 1981, la Sierra Léone a pris
l'engagement tant juridique que moral, de respecter et de faire respecter les
droits fondamentaux de l'homme.
La fin du conflit sierra léonais correspondait à
une période trouble dans la sous-région. En plus du conflit au
Libéria qui prenait une tournure particulièrement violente, la
Côte d'Ivoire s'embrasait et il était nécessaire de
traduire cette création en signal fort à la direction des acteurs
de la sous-région pour leur signifier qu'il n'était plus possible
d'obtenir l'impunité pour des violations graves des droits de l'homme.
La mise en place de cette juridiction pénale répond-elle à
un mouvement international vers l'établissement de la CPI ?
En tout cas, les avis divergent selon les observateurs :
certains, pensent que le Royaume Uni, qui s'est impliqué avec la France
dans tout le processus d'élaboration des instruments de la Cour au
Conseil de sécurité, soutenait l'initiative internationale vers
la concrétisation des acquis de Rome. Pour eux, il n'y a pas
d'incompatibilité entre le soutien à l'établissement d'une
institution ad hoc et les efforts en faveur de la CPI, la Sierra
Léone étant l'un des tout premiers pays à signer et
ratifier le Statut de Rome50(*). Pour les autres, l'implication des Etats-Unis
répondait à la volonté de l'administration de torpiller la
mise en place d'une juridiction permanente internationale en démontrant
la viabilité des méthodes alternatives51(*). Tout compte fait, il
n'était plus question pour l'ensemble de la communauté
internationale de laisser libre cours à l'impunité. Il fallait
aussi tirer les leçons du passé, notamment en matière
d'efficacité et d'économie financière.
De 1945 à 1993, l'idée de création d'une
instance internationale capable de juger en toute impartialité les
responsables des crimes internationaux est progressivement arrivée
à maturité. La possibilité même que les responsables
politiques ou militaires des Etats puissent être traduits devant une
juridiction jouissant de la compétence universelle aura
nécessité un temps extrêmement long. Pourtant, plusieurs
conventions adoptées dans le cadre des Nations unies avaient
envisagé l'éventualité d'un organisme de ce type :
l'article VI de la Convention pour la prévention et la répression
du crime de génocide52(*) prévoyait le jugement des personnes
soupçonnées d'avoir commis des actes contraires à la
convention devant les tribunaux nationaux « ou devant la Cour
criminelle internationale qui sera compétente » ;
l'article V de la Convention de 1973 sur l'élimination et la
répression du crime d'apartheid se référait
également à un « Tribunal pénal
international qui serait compétent ».
La Cour internationale de justice (CIJ) dans son arrêt
Barcelona Traction53(*) relevait l'importance supérieure des Etats
à protéger les droits fondamentaux de l'homme. Il s'agit pour
elle d'obligations erga omnes, c'est-à-dire, l'obligation en
toute circonstance d'enquêter, de poursuivre, de juger et de sanctionner
les responsables des violations des droits de l'homme ainsi que de prendre des
mesures législatives, règlementaires et administratives
adéquates pour prévenir la répétition de tels
actes. Mais ces références étaient restées lettre
morte, bien qu'à de nombreuses reprises dans le monde, des violations
graves des droits de l'homme aient montré l'existence dans ce domaine
d'une faillite considérable du droit international. Etonnamment, la
création des tribunaux pénaux pour l'Ex-Yougoslavie et le Rwanda
et finalement celle de la Cour spéciale, des instances au Cambodge, au
Timor Leste et au Kosovo sont intervenues après des processus
relativement rapides.
En ce qui concerne la Cour Spéciale pour la Sierra
Léone, sa création intervient dans un contexte international
marqué par un scepticisme grandissant vis-à-vis des deux
tribunaux ad hoc à Arusha et La Haye. Le TPIR et le TPIY font
l'objet de critiques à propos de leur lenteur, du coût exorbitant
de leurs opérations, la distance, voire le manque de connaissance de
leurs personnels des réalités des victimes dont ils traitaient
les dossiers54(*). Les
experts des Nations unies ont souligné ces lacunes55(*) en tant que leçons
à tirer par la nouvelle juridiction. C'est donc la Résolution
1315 du Conseil de sécurité du 14 août 2000 qui a
enclenché le processus d'établissement. Dans cette
résolution, le Conseil déplorait que les crimes et violences
graves commis sur le territoire de la Sierra Léone contre les citoyens
sierra léonais et les membres du personnel des Nations unies et d'autres
organisations soient restés impunis. Il ne fallait donc ménager
aucun effort pour traduire les responsables de ces atrocités devant une
juridiction respectant les principes contemporains du procès
équitable. Ce processus devrait, pour le cas particulier de la Sierra
Léone, concourir à la consolidation de la paix et faciliter la
réconciliation56(*). En outre, le conseil rappelait son attachement aux
résolutions issues de l'accord de paix de Lomé, de sa
volonté d'appuyer celles-ci mais relevait aussi « que le
Représentant spécial du Secrétaire général a
assorti sa signature de l'Accord de paix de Lomé d'une
déclaration selon laquelle il était entendu, pour l'Organisation
des Nations Unies, que les dispositions de l'Accord concernant l'amnistie ne
s'appliquaient pas aux crimes internationaux de génocide, aux crimes
contre l'humanité, aux crimes de guerre et autres violations graves du
droit international humanitaire57(*) ». Certains observateurs58(*) y ont vu un revirement
spectaculaire par rapport aux positions de l'ONU prises dans la
résolution 1216 de l'année précédente. Elle
soutenait en effet les efforts du gouvernement dans l'application de l'accord
de Lomé qui prévoyait une amnistie comme monnaie de change contre
la paix. Avril Mc DONALD59(*) voit aussi en cette résolution la
volonté des Nations unies de créer un précédent
important : celui de répondre avec une extrême
sévérité aux attaques contre son personnel, car il en va
de la crédibilité et de l'intégrité des missions
sur les théâtres d'opérations dans le monde.
Elle répond enfin à l'initiative du gouvernement
sierra léonais qui, dès l'accession au pouvoir du
président KABBAH a sollicité l'aide de la communauté
internationale pour procéder au jugement équitable des personnes
incarcérées dans les prisons de Freetown60(*). Les conditions de
sécurité dans le pays ne permettaient pas au gouvernement de
tenir des procès dans des conditions sereines, le pays dépendant
encore fortement des casques bleus et de l'armée britannique pour
maintenir une stabilité minimale. De plus, le manque de confiance des
populations en la justice de leur pays, les capacités nationales
limitées en termes de personnel, de moyens financiers et
d'infrastructure ainsi que le vide juridique, dû à l'absence de
qualification juridique adéquate dans le corpus pénal interne
rendaient impossible, sans soutien extérieur de mener des poursuites
efficaces à l'égard des personnes présumées
responsables des crimes de guerre.
Le Conseil de sécurité demandera donc au
secrétaire général d'entamer des négociations avec
le gouvernement sierra léonais pour mettre sur pied d'une Cour dont les
compétences ratione materiae et ratione personae sont
respectivement61(*)
« les crimes contre l'humanité, les crimes de guerre et
autres violations graves du droit international humanitaire, ainsi que les
crimes, au regard des règles pertinentes du droit sierra-léonais
commis sur le territoire de la Sierra Leone (...) » et le
jugement de « (...) ceux qui portent la responsabilité la
plus lourde des crimes... notamment les dirigeants qui, en commettant de tels
crimes, ont compromis l'établissement et la mise en oeuvre du processus
de paix en Sierra Leone » ; la compétence
ratione temporis quant à elle fera l'objet d'un rapport que le
Secrétaire général présentera après la
désignation d'une mission d'experts sur le terrain.
Il s'en suivra le rapport du Secrétaire
général du 4 octobre 200062(*) auquel sera annexé un projet de statut qui
présentera les principaux contours de la Cour tenant compte des
recommandations du Conseil de sécurité. Des échanges de
lettres ultérieures éclairciront les points relatifs au
financement, aux pouvoirs de la Cour et de la compétence
personnelle.
La création de la Cour répond, ainsi que
l'indique la lettre du gouvernement aux Nations unies au besoin de
rétablissement de l'équilibre social interne, étant
donné que le Conseil de sécurité a reconnu dans la
résolution 1315 que tant que certaines personnes resteront en
liberté, la situation en Sierra Léone constituerait une menace
contre la paix et la sécurité dans la sous-région.
B. Les rapports avec l'Etat sierra léonais
La Sierra Léone a toujours
été citée en exemple lorsqu'il s'agit de
coopération avec une instance judiciaire internationale. Elle a
gardé un profil bas pour assurer l'indépendance de la cour (1)
qui apportait des bénéfices remarquables à l'appareil
judiciaire national (2).
1. Un profil bas des
autorités garant de l'indépendance de la Cour
La coopération entre le
gouvernement sierra léonais et la Cour découle juridiquement de
la loi de 2002 portant sur la ratification de l'accord signé entre le
Secrétaire général des Nations unies et le
président KABBAH auquel a été annexé statut de la
Cour. En effet, la partie IV intitulée « Assistance
mutuelle entre la Cour spéciale et la Sierra Léone63(*)» prévoit des
obligations positives des autorités sierra léonaises pour
exécuter toutes les demandes d'assistance de la Cour. Etant donné
que les mandats de la Cour ont une force exécutoire équivalente
à celle des tribunaux sierra léonais (partie V article 20), une
demande d'assistance transmise à l'Avocat général doit
être traitée sans délai. Il peut s'agir, comme le
prévoit l'article 15 de l'identification et de la localisation des
personnes recherchées (témoins ou inculpés), la recherche
et la transmission des documents, l'arrestation et la transmission des
inculpés à la Cour. Sur ce dernier point, la Cour spéciale
a bénéficié de la coopération de la police,
notamment lors de l'arrestation de cinq suspects en l'espace de quelques heures
en mars 2003.
L'assistance peut être
fournie à la Cour sous plusieurs formes dans le respect des lois de
Sierra Léone, notamment de la loi de procédure criminelle de 1965
(paragraphes 15 et 16). De manière confidentielle ou informelle,
l'avocat général doit utiliser la procédure
recommandée par la Cour et l'informer des résultats des
premières mesures prises pour y répondre. En cas de
confidentialité, l'Avocat général doit suivre les
prescriptions émanant du juge de la Cour, en moins que la publication
d'une information ou d'un document ne soit absolument nécessaire pour la
réussite de l'opération. Une telle décision doit
être prise de commun accord avec la Cour.
Seules les autorités de la
Cour sont en mesure de juger de l'opportunité d'une mesure
d'enquête et des moyens à mettre en place pour arriver à
leur réalisation. La requête adressée à
l'autorité judiciaire locale ne concerne que la phase
d'exécution. Dès lors, en cas d'impossibilité pour
l'Avocat général d'exécuter une décision ou un
mandat de la Cour, celui-ci doit motiver sa décision en expliquant les
motifs du refus ou de report de la mise en place des telles mesures. Même
en cas d'informations concernant la sécurité interne de l'Etat,
un mécanisme est prévu pour la transmission des documents
sensibles sans nuire à ces impératifs. Quels que soient les
motifs de refus de coopération, la décision de la Cour s'impose
car elle est d'une force supérieure à celles des juridictions
locales.
Contrairement aux autres cas
(Etats de l'ex-Yougoslavie et Rwanda), l'Etat sierra léonais a
exprimé une volonté politique de coopération avec la Cour.
Le gouvernement a été prudent et s'est tenu à
l'écart du travail de la Cour. Il est représenté au
comité de management qui a pour fonction de rechercher les ressources
nécessaires au fonctionnement, de pourvoir les postes vacants et de
définir les lignes budgétaires. Les autorités politiques
se sont abstenues jusqu'ici de tout commentaire car ils craignaient
d'influencer les choix et les méthodes de travail des organes de la
Cour. Certains ont pensé que le manque de réaction des
autorités était une preuve que la Cour était
imposée aux Sierra léonais par les occidentaux64(*), mais, le Président de
la République65(*)
n'a cessé de rappeler que l'initiative de la création d'une Cour
vient de lui et de son Gouvernement et que celle-ci a été
crée et ne peut fonctionner efficacement sans coopération avec
l'appareil judiciaire local.
Cette coopération
louée par le Président conduira incontestablement des
résultats importants quant aux bénéfices que l'appareil
judiciaire national pouvait en tirer.
2. Les bénéfices
à tirer par l'appareil judiciaire national
A la signature de l'ultime accord
de cessez-le-feu entre les rebelles et les forces gouvernementales, les
institutions judiciaires de la Sierra Léone avaient perdu tout leur
crédit. L'expatriation massive du personnel qualifié, la
déliquescence des infrastructures et surtout la mauvaise
réputation qu'avaient les juges étaient les principaux obstacles
à la mise en place d'une justice compétente et digne de foi.
L'établissement d'une juridiction hybride était une occasion pour
la justice Sierra léonaise de redorer son blason et de faire profiter
son personnel de l'avantage que cela pouvait consister.
En ce qui concerne les
infrastructures, la Cour laissera un complexe judiciaire important en termes de
bureaux et d'équipements. Le système juridique
bénéficiera en plus d'un établissement
pénitentiaire ultra moderne qui remplit les exigences internationales
d'incarcération, des salles d'audience qui permettront de pallier aux
désagréments que causent les commodités actuellement
utilisées par les juges de Freetown.
Le travail dans le sens des
reformes du système légal dans son ensemble s'est fait sans
implication directe de la Cour entant que telle. Néanmoins, certains
membres du parquet ont participé à l'initiative pour la
réforme légale66(*) financée par le PNUD et qui ont conduit
à l'adoption d'un nouveau Code de procédure pénale et d'un
nouveau code de conduite des juges. L'Initiative pour les réformes
légales consistait aussi en un soutien aux 14 Cours des districts
administratifs pour faciliter l'accès à la justice dans les zones
rurales à travers une aide budgétaire et la formation du
personnel judiciaire et parajudiciaire qui a bénéficié
d'un appui considérable de la part de la section de management de la
Cour.
Du point de vue du
développement professionnel, la Cour a représenté une
opportunité d'évolution pour les juges et fonctionnaires, qui, de
près ou de loin concourraient à l'exécution des mandats de
la Cour. Cependant, cette procédure était limitée dans le
temps et l'envergure qu'on a voulu lui donner n'a finalement pas apporté
les résultats escomptés. La police quant à elle a su tirer
profit de cette évolution car la plupart des fonctionnaires qui ont
participé aux missions d'investigation ont tout de suite
été promus.
Enfin, dès la
création et l'installation progressive de la Cour, les autorités
Sierra léonaises ont crée avec le concours de la Cour
créé une chaine de radio régionale67(*) qui, propose des
émissions de sensibilisation au bien fondé de la Cour et surtout
dans le domaine des droits de l'Homme. Considérant que le principal
moyen d'information du public Sierra léonais est la radio, l'impact d'un
tel outil pour la Cour spéciale et plus tard pour l'information de la
population en termes de droits et de la santé.
La création de la Cour
spéciale intervient dans un environnement caractérisé par
les efforts de lutte contre l'impunité, notamment la mise sur pied de la
Cour pénale internationale et surtout des tribunaux ad hoc.
II. La Cour Spéciale et les autres juridictions
pénales internationales
La Cour spéciale pour la
Sierra Léone, bien que créée suivant un processus suis
generis n'intervient pas ex nihilo. Elle vient dans un contexte
où la communauté internationale a commencé à faire
ses preuves sur le chemin de la lutte contre l'impunité en
Ex-Yougoslavie, au Rwanda et plus généralement avec l'adoption du
Statut de Rome. La rédaction du statut et des règles de
procédure et de preuve de la nouvelle Cour pour la Sierra Léonne
devrait « s'inspirer de ceux des tribunaux pénaux
internationaux pour le Rwanda et l'Ex-Yougoslavie68(*) » et
s'adapter aux circonstances spécifiques du cas sierra léonais.
Contrairement aux autres tribunaux ad hoc, la Cour est crée par
accord spécial entre le gouvernement sierra léonais et les
Nations unies (A) et siège sur les lieux où les exactions qu'elle
punit ont été commises (B).
A. Une Cour créée par accord spécial
Les principales parties prenantes
au sein du Conseil de sécurité voulaient une Cour
économique et indépendante de l'administration onusienne (1). Sa
création par accord spécial et non par une résolution
concourt à la réalisation de ce premier objectif et surtout
privera des pouvoirs importants liés à l'application du Chapitre
VII de la Charte de San Francisco (2).
1. Une Cour
indépendante de l'administration onusienne
L'indépendance de la Cour
par rapport à l'administration onusienne peut revêtir deux
aspects : l'aspect financier et l'aspect fonctionnel. Concernant les
finances, l'un des principaux facteurs, nous l'avons dit pour la
réussite de la Cour était de savoir si elle pouvait remplir sa
mission de manière plus efficace que les autres tribunaux ad hoc
sans coûter aussi cher à la communauté internationale.
Le budget annuel de la Cour est en moyenne de 25 millions de dollars, une
moindre somme par rapport aux 120 millions que coûtent chacun des deux
tribunaux69(*) ad
hoc précités. Ce budget ne correspond pas à
l'évaluation première de 114,6 millions opérée par
le Secrétaire général70(*). Cette évaluation réduite ayant obtenu
l'adhésion des membres du Conseil de sécurité
réunis en séance informelle n'a cependant pas vu un très
grand enthousiasme dans les contributions.
En effet, la création de la
Cour par un accord spécial conduit à l'impossibilité que
son financement puisse dépendre du budget global des Nations unies.
C'est pourquoi les problèmes que les autres tribunaux n'ont pas
rencontrés dès leur mise sur pied allaient se
révéler handicapants pour la Cour. Le Conseil de
sécurité a demandé au Secrétaire
général71(*)
de déterminer « le montant des contributions volontaires,
en tant que de besoin, les fonds, le matériel et les services, notamment
les services d'experts, que les États, les organisations
intergouvernementales et les organisations non gouvernementales pourront
être appelés à fournir au Tribunal
spécial ». Contrairement aux Tribunaux Pénaux
Internationaux pour l'Ex-Yougoslavie et le Rwanda qui sont financées par
les contributions obligatoires des membres des Nations unies72(*) et la Chambre spéciale
du Kosovo qui dépend de la Mission des Nations Unies au Kosovo,
c'était donc la première fois qu'il fallait qu'une instance
judiciaire recherche ses moyens de financements en faisant recours aux
contributions volontaires des Etats pour assurer le financement. Le
Secrétaire général accordera une particulière
attention à la collecte des fonds ; il aura d'ailleurs à cet
effet lancé un appel le 18 juin 2001 aux Etats pour leur demander
d'indiquer quelles seront leurs contributions financières,
matérielles et en personnel à la mise sur pied et au
fonctionnement de la Cour pour les trois premières années. Le
résultat de 15 millions de dollars pour la première année
(1,8 millions de moins que nécessaire) et 20,4 millions pour les deux
autres années (soit 19,6 millions de moins) avec des contributions en
mobilier et pas de mise à disposition de personnel73(*). Ce manque d'enthousiasme
à participer plus activement au financement de la Cour décrit le
sentiment de lassitude des Etats face aux coûts exorbitants engloutis par
les deux tribunaux.
D'un point de vue fonctionnel, la
Cour est complètement autonome par rapport à l'administration
onusienne. Bien que rendant compte au Conseil de sécurité via
le Secrétariat général, elle est tout à fait
indépendante de l'appareil administratif et politique de l'ONU.
Contrairement aux TPI pour le Rwanda et l'Ex-Yougoslavie, la nomination du
personnel de la Cour spéciale ne dépend pas exclusivement du
bureau des affaires juridiques du Secrétariat général des
Nations unies ; elle est partagée entre le Secrétaire
général et le gouvernement sierra léonais. Au premier
incombe la nomination de sept des onze juges de la Cour ainsi que du Procureur.
Le président Sierra léonais quant à lui a à sa
charge la nomination du Procureur adjoint et des quatre autres juges. Le
personnel administratif quant à lui est composé aussi bien de
nationaux qu'internationaux74(*). Certains bureaux comme celui des relations publiques
sont occupé à 100 %, au moment de la création de la Cour,
par les nationaux qui pratiquent la langue courante de la Sierra Léone
(le Krio) et qui ont joué un rôle important dans la
mission d'information et de sensibilisation sur la Cour à travers le
pays.
Le Secrétaire général des Nations unies
avait aussi prévu un procédé de
coopération75(*)
avec la Mission des Nations Unies en Sierra Léone. Le Conseil de
sécurité prend en compte ces recommandations dans la
résolution 1400 (2002) dans laquelle il « espère
que le Tribunal entamera bientôt ses activités et autorise la
MINUSIL à assurer au Tribunal spécial, sur la base du
remboursement des frais, et sans préjudice pour son potentiel, l'appui
administratif et l'appui connexe nécessaires76(*)». La mission lui
fournira donc une aide en matière d'administration financière,
logistique, notamment en ce qui concerne les outils informatiques et de
télécommunications et en personnel pour les premiers mois de
fonctionnement, en attendant la mise sur pied progressive du budget et du
personnel propres de la cour. Kofi ANNAN prévoyait aussi la mise
à disposition de la mission d'une partie de ses locaux à la Cour
pour lui permettre d'abriter les bureaux du procureur dans les premiers mois.
Ce rapport et la résolution ne seront pas suivis d'effet notable dans la
mise en place effective de ces objectifs. Pire, il y est allégué
dans un premier temps77(*)
une certaine rivalité entre les deux institutions. En effet, les
officiels de la mission avaient une certaine hésitation à mettre
sur pied une plate forme de coopération avec la Cour Selon les
recommandations du Secrétaire général et du Conseil de
sécurité car selon eux, la mission de pacification du pays
risquait d'être sérieusement mise à mal par les
activités de la nouvelle Cour. Il y a quand même eu deux domaines
où la MINUSIL a apporté son soutien : la
sécurité et les droits de l'homme. En effet, la CIVPOL (police
civile des missions des Nations unies) et les troupes militaires ont
apporté une aide indispensable pour que la Cour puisse remplir sa
mission en toute sérénité. La section des droits de
l'homme quant à elle lui a apporté toute l'expérience de
son équipe dans l'élaboration des premiers documents de base et
la formation du personnel national.
Le fait que la Cour soit indépendante de
l'administration onusienne et financée par des contributions volontaires
lève la question du rôle du Secrétaire
général dans la gestion des contributions et l'utilisation des
fonds. Un comité de gestion formé d'un groupe
d' « Etats intéressés78(*) » a
été mis sur pied par celui-ci pour assurer le contrôle de
la gestion des fonds. Le comité sera entre autres chargé de:
· Assister le Secrétaire général
pour s'assurer de la disponibilité permanente des liquidités pour
le fonctionnement de la cour ;
· Assister les Nations unies et le gouvernement sierra
léonais dans la mise sur pied de la Cour, notamment le recrutement et la
formation du personnel ;
· Examiner le rapport moral du président et le
rapport financier du greffier de la Cour et faire des recommandations au
Secrétaire général;
· Faire un rapport au groupe des Etats pourvoyeurs de
fonds et rechercher d'autres contributeurs au fonctionnement de la Cour.
Bien que les contributions volontaires aient suscité
l'intérêt des membres du Conseil de sécurité et des
pays donateurs, la mise en place de cette commission soulève la question
de l'indépendance de la Cour. L'on ne peut s'assurer d'un manque de
pressions des Etats qui siègent dans cette commission pour influer sur
le fonctionnement de la Cour. Plus, les risques de marchandages politico
diplomatiques79(*) autour
d'une institution dont la mission est de punir les violations graves des droits
de l'homme risquent de dénaturer sa mission en détournant
l'attention vers son but principal. Ainsi, certains observateurs on vu au
financement de la Cour par les Etats-Unis une tentative de saborder les efforts
de mise en place de la CPI qui souffre de son hostilité. Pourtant, comme
c'est le cas pour les autres tribunaux ad hoc, le financement
dépend uniquement de la répartition budgétaire des Nations
unies. Les Etats participeront indirectement à leur financement en
versant leurs contributions obligatoires au financement du budget annuel de
l'organisation.
Outre les conséquences liées au financement et
au fonctionnement administratif de la Cour, une conséquence juridique
qui influera sur la coopération des Etats avec celle-ci est l'absence de
pouvoirs relatifs au Chapitre VII de a Charte de San Francisco.
2. Absence de pouvoirs relatifs au chapitre VII da la
Charte des Nations unies
Le Chapitre VII de la Charte des Nations unies relatif aux
actions à prendre en cas « menace contre la paix, de
rupture de la paix et d'acte d'agression » confie au Conseil de
sécurité la responsabilité principale du maintien de la
paix et de la sécurité internationales. En effet, il
« constate l'existence d'une menace contre la paix, d'une rupture
de la paix ou d'un acte d'agression et fait des recommandations ou
décide quelles mesures seront prises (...) pour maintenir ou
rétablir la paix et la sécurité
internationales » ces mesures ne comportent pas dans un premier
temps l'emploi de la force80(*) et dans un second temps, au cas où les mesures
pacifiques n'ont pas conduit à la cessation de la menace, des mesures
coercitives impliquant l'emploi de la force armée prévues aux
articles 42 et suivants peuvent être prises.
Les violations graves du droit international humanitaire dans
les territoires de l'Ex-Yougoslavie et les actes de génocide commis au
Rwanda ont été interprétées par le Conseil de
sécurité comme des menaces contre la paix et la
sécurité internationales. La résolution 827 du 25 mai 1993
estimait que « la création d'un tribunal international et
l'engagement des poursuites contre des personnes présumées
responsables de telles violations du droit international humanitaire
contribueront à faire cesser ces violences81(*)... » et
à contribuer au maintien de la paix et de la sécurité
internationales82(*). Pour
faire respecter les résolutions du Conseil de sécurité
prises dans le cadre de l'exécution de son mandat, le Chapitre VII de la
charte prescrit une coopération étroite et obligatoire des Etats
(article 43 § 1). En appliquant ce principe à la création
des deux TPI, les Etats sont tenus de respecter les mandats et
d'exécuter les requêtes ainsi que de fournir toute l'assistance
nécessaire à la collecte des preuves et à l'arrestation
des suspects ou accusés. La création de la Cour spéciale
pour la Sierra Léone répond aux mêmes objectifs de lutte
contre l'impunité et du maintien de la paix et de la
sécurité internationales mais ne correspond pas au même
contexte que les deux précédents. Les membres de la
communauté internationale n'ont pas voulu - ceci plus pour des raisons
plutôt financières - mettre sur pied une autre juridiction
greffée aux Nations unies.
La création de la Cour spéciale par un accord
spécial entre le gouvernement de Sierra Léone et le
Secrétaire général des Nations unies la dépouillera
des pouvoirs relatifs à l'exécution du Chapitre VII de la Charte.
L'absence de ces pouvoirs influera considérablement sur la
coopération des Etats tiers car, seul l'Etat sierra léonais est
tenu par les stipulations de l'accord et les dispositions de la loi de
ratification. Les autres n'encourent aucune sanction en cas de refus
d'exécution des demandes et mandats des autorités de la Cour.
Deux circonstances remarquables sont révélatrices de cette
lacune.
Pour commencer, dès les premières arrestations
des inculpés, les conditions de sécurité n'étaient
pas encore jugées suffisantes pour les maintenir en prison en Sierra
Léone. Leur lieu de détention était tenu secret en
attendant la conclusion d'un accord entre la Cour et les autorités
tanzaniennes pour permettre la détention de ces derniers dans les locaux
du TPIR à Arusha. Cet accord ne sera jamais conclu et les prisonniers
ont dû attendre l'inauguration de la nouvelle prison de Jomo Kenyatta
road pour qu'ils puissent être transférés. Le caporal Foday
SANKOH y arrivera affaiblit par la maladie et par les mauvaises conditions de
détention de la prison nationale de Freetown. Le greffier de la Cour a
aussitôt entamé des négociations avec les gouvernements du
Ghana, du Nigéria, des Pays Bas et de Grande Bretagne pour
procéder à son évacuation sanitaire. Evoquant des raisons
techniques, le gouvernement ghanéen refusera la délivrance d'un
visa d'entrée à l'intéressé. Les Hollandais et
Britanniques eux aussi, peu enclins à l'accueillir sur leurs sols, ne
répondront pas favorablement aux demandes car, selon eux, il pourrait
profiter de l'occasion pour demander l'asile. Ces arguments sont aussi
surprenants parce qu'il n'avait aucune chance de voir sa demande
aboutir83(*) à
cause de son statut d'inculpé devant la Cour.
Le deuxième cas concerne les péripéties
de l'affaire TAYLOR. Son inculpation a été rendue publique lors
de son voyage à Accra pour les négociations avec les rebelles
libériens du LURD et du MODEL. Au lieu de procéder à son
arrestation, les autorités ghanéennes mettront à sa
disposition un avion pour qu'il puisse regagner Monrovia sans être
inquiété jusqu'au 11 août 2003, date à laquelle il
acceptera finalement l'exil au Nigéria. Quelques mois après,
INTERPOL décidera de délivrer un mandat d'arrêt
international à son encontre. Cependant, les mandats de la police
internationale n'ont pas valeur juridique contraignante. Il faut une
volonté politique des Etats vers qui ils sont délivrés
pour espérer une exécution efficace. La Cour maintiendra le
contact avec une coalition d'ONG composée de Human Rights Watch, Amnesty
International, Justice Initiative, the Coalition for International Justice,
Open Society Institute qui ont continué à faire pression sur les
gouvernements des Etats-Unis et du Nigéria. Une action a même
été intentée contre TAYLOR par des associations
nigérianes devant les juridictions locales pour deux motifs : la
violation des règles de l'asile du fait qu'il continuait à
interférer dans les affaires de son pays et pour les crimes qu'il a
commis contre les citoyens nigérians. Cette procédure judiciaire
débouchera finalement sur un échec qui traduisait bien la
volonté du président OBASANJO de maintenir le statu quo.
Le président de la Cour a écrit au
Secrétaire général des Nations unies lui demandant de lui
faire attribuer par le conseil de sécurité les pouvoirs relatifs
au chapitre VII de la Charte. Suite au rapport du Secrétaire
général84(*), ce point sera inscrit à l'ordre du jour de la
session du 30 juin 2005. Curieusement, la résolution85(*) qui en découlera ne
fera pas état des pouvoirs à accorder à la Cour. Elle se
contentera de soutenir « qu'il importe de s'assurer que toutes
les personnes accusées par le Tribunal soient
déférées à celui-ci » avec pour
seule garantie que tous les Etats soient enclins à
« coopérer pleinement avec le Tribunal86(*) ». Une
résolution ultérieure (S/RES/1638 du 11 novembre 2005) du Conseil
de sécurité ordonnera à la mission des Nations unies au
Libéria d'arrêter TAYLOR et de le livrer à la Cour s'il
retourne dans son pays.
Le manque des pouvoirs relatifs au Chapitre VII de la Charte
influant sur les rapports de la Cour avec les autres Etats aura certes des
incidences sur le fonctionnement de la Cour mais ces limites n'auront permis
que dans la plupart des cas - sauf pour Foday SANKOH qui mourra avant de
trouver un pays d'accueil- de retarder le cours de la justice. Les
accusés on été tenus au secret dans une prison d'une
île aux larges de Freetown jusqu'à leur incarcération
définitive à la Cour pendant que Charles TAYLOR sera
finalement extradé vers La Haye où il attend d'être
jugé. Contrairement aux autres tribunaux ad hoc qui peinent
à obtenir la coopération des Etats où les violations des
droits de l'homme jugés par eux ont été commises, la Cour
a bénéficié des autorités sierra léonaises
de la plus large coopération possible. Ceci est probablement dû au
fait que la Cour siège sur le territoire sierra léonais.
B. Une Cour siégeant in loco et les éventuels
conflits de compétence
Contrairement au TPIR et au TPIY
qui siègent respectivement à Arusha et La Haye, la Cour
spéciale siège in loco, c'est à dire sur les
lieux où les atrocités ont été commises, ce qui
représente des risques non négligeables en matière de
sécurité (1). Le domaine d'exercice de la Cour étant le
même que celui des autres juridictions, des conflits de compétence
doivent aussi être envisagés (2).
1. Les contraintes
sécuritaires de la Sierra Léone au moment de la création
de la Cour
La création d'une Cour
chargée de juger des criminels de guerre présumés
soulève toujours des questions relatives aux conditions de
sécurité, car les personnes qui seront jugées sont des
anciens dignitaires des régimes, ceux qui avaient le pouvoir ou qui
exerçaient un contrôle plus ou moins grand sur une partie de la
population. Bien que défaits, ceux-ci ont presque toujours un bon nombre
de sympathisants qui risquent de déstabiliser le cours de la
procédure. Les contraintes d'ordre sécuritaire sont plus accrues
lorsque, comme pour la Sierra Léone, les jugements se font sur le
territoire même du pays. Ainsi, l'impact d'une mission de maintien de la
paix comme la MINUSIL s'avère capital, car les problèmes de
sécurité auxquels la Sierra Léone était
confrontée au moment de la création de la Cour spéciale
relevait de deux ordres : au niveau interne et surtout au niveau de
l'espace sous-régional.
Au niveau interne, les
recrutements des miliciens se faisaient souvent par cooptation à travers
les réseaux familiaux ou amicaux et surtout au cours des attaques sur
les villages et autres contrées habitées. La tactique de
désocialisation des soldats consistait à éliminer
physiquement toutes les personnes pouvant avoir de lien de parenté avec
eux pour éviter tout éventuel retour dans les
sociétés d'origine. Se créaient ainsi des liens
étroits entre les nouvelles recrues et leur hiérarchie qui
étaient caractérisés par une certaine loyauté car
ceux-ci sont leur famille de substitution et seuls à même de leur
fournir des moyens de survie (nourriture et drogue par exemple). Ces partisans
des personnes inculpées devant la Cour restaient dans des camps dans une
certaine oisiveté et soumis à personne suffisamment charismatique
pour les remobiliser87(*),
ce qui consistait une épée de Damoclès pendue sur les
procès. Les Kamadjors de la CDF étaient revenus dans
leurs régions d'origine après la guerre et recevaient encore de
la part du gouvernement - indirectement par leur chef Hinga NORMAN membre du
gouvernement pendant son inculpation - des fonds et vivres nécessaires
à leur survie ainsi que celle de leurs familles. L'inculpation
controversée de leurs leaders était cause de rumeurs qui ont
conduit à leur transfert dans des cellules de haute
sécurité dont la localisation a été maintenue
sécrète jusqu'à leur transfert à la prison de la
Cour spéciale.
Au niveau externe, le
« Triangle de la Mano River88(*) » est une région limitrophe commune
au Libéria, à la Sierra Léone et à la Guinée
et couverte par une forêt dense qui facilite les trafics en tous genres.
Les guerres civiles que ce soit au Libéria, en Sierra Léone ou en
Côte d'Ivoire se sont toujours exportées dans les pays voisins,
les territoires des uns étant utilisés par des rebelles comme
bases arrière, souvent avec le soutien plus ou moins direct des
autorités étatiques. La fin de la décennie 1990 et le
début des années 2000 ont été pour très
tendues dans cette région. Les populations civiles fuyant les exactions
des rebelles au Libéria et en Sierra Léone ont emmené
dissimulés avec elles des rebelles qui ont tenté de
déstabiliser la Guinée. En plus, les groupes du même genre
sont rentrés en rébellion en Côte d'Ivoire et continuaient
de soutenir l'effort du LURD et du MODEL engagés contre TAYLOR au
Libéria. La résolution des problèmes et le
rétablissement de la paix en Sierra Léone n'auraient pas de
viabilité à long terme si des mesures globales ne sont pas prises
pour permettre la sécurisation globale des frontières. Mais, pour
le court terme l'entrée des personnes susceptibles de nuire au processus
judiciaire en Sierra Léone devrait être empêchées.
C'est pourquoi la stratégie de la MINUSIL, comme l'a rappelé le
Secrétaire général des Nations Unies dans son rapport de
décembre 200089(*)
était la combinaison des efforts entre les forces armées des pays
de la CEDEAO, de la Grande Bretagne et des troupes de la MINUSIL pour
répondre de façon globale et immédiate aux besoins de
sécurité des frontières et des populations. L'appui de la
MINUSIL sera capital dans le maintien de l'intégrité des
frontières. La formation des militaires et des policiers Sierra
léonais par les officiers britanniques a favorisé la mise sur
pied d'une armée et d'une police républicaines. Dès
juillet 2002, la CIVPOL (police civile de la mission des Nations unies)
s'occupera avec les contingents armés de la sécurité des
bâtiments et du personnel. Après le retrait de la mission, le
Secrétaire général a prévu un contingent suffisant
pour appuyer les efforts de la nouvelle police sierra léonaise dans sa
mission de sécurisation des débats de la Cour.
Il est vrai que les contraintes de
sécurité sont énormes lorsqu'une Cour siège sur les
lieux où les atrocités ont été commises et qu'il
nécessite des efforts constants de la communauté internationale
en matière diplomatique et financière pour permettre de minimiser
les risques. La Cour spéciale siègera aussi en cohabitation avec
d'autres juridictions qui sont aussi compétentes pour connaître
des crimes internationaux, ce qui pourrait présager un risque de conflit
de compétence.
2. La règle de
non bis in idem ou le règlement des conflits de
compétence entre juridictions
La règle non bis in
idem qui provient de la maxime romaine « Nemobis in idem
debet vexari » est une garantie de sécurité
juridique, empêchant la double sanction imposée à la
même personne, en raison des mêmes faits et avec un fondement
identique.
Si la question de non bis in
idem est facilement traitée dans l'ordre interne, elle est plus
difficile lorsqu'il s'agit de deux Etats souverains et à systèmes
juridiques différents. Ainsi, la conduite affectant un Etat peut
être reconsidérée par un autre Etat sous une autre
qualification. C'est ce que José Luis DE LA CUESTA appelle
« la concurrence horizontale nationale90(*) ». Pour ce
qui est de l'ordre international, il est d'opinio juris que les
décisions prononcées à l'étranger doivent
être prises en compte lorsque les mêmes faits font l'objet de
nouvelles poursuites devant la juridiction nationale91(*). Ce principe doit être
considéré « comme un droit humain à part
entière92(*) » et gouverner les rapports entre
les juridictions internationales d'une part et les juridictions nationales
d'autre part qui auraient une compétence concurrente à
l'égard des mêmes faits et personnes. A cet effet, le Pacte
international relatif aux droits civils et politiques en son article 14 §
7 stipule : « Nul ne peut être poursuivi ou puni en
raison d'une infraction pour laquelle il a déjà été
acquitté ou condamné par un jugement
définitif93(*) ». Cette concurrence verticale
entre une juridiction nationale et une juridiction internationale a
commencé à se poser après la deuxième guerre
mondiale. La Charte du Tribunal militaire international de 1945 prévoit
en son article 11 l'impossibilité de bis in idem relative au
traitement des activités criminelles d'un groupe ou d'une organisation.
La compétence des tribunaux nationaux (notamment ceux des pays
alliés) était éclipsée au profit de ceux de
Nuremberg et de Tokyo94(*).
Les problèmes de conflit de
compétence se sont posés lors de la création des TPI pour
l'Ex-Yougoslavie et le Rwanda dans les années 1990 et de l'entrée
en vigueur du Statut de la CPI le 1er juillet 2002. A cause de la
compétence grandissante des juridictions nationales pour les violations
des crimes de guerre et autres violations graves des droits de l'Homme et du
droit international humanitaire, le problème de conflit vertical de
compétence se posera encore avec plus d'acuité qu'en 1945.
Les articles 8 et 9 des statuts
des TPIY et TPIR prévoient respectivement qu'à tout moment, un
juge peut demander à une juridiction nationale de « se
dessaisir en faveur du Tribunal international ». Certains Etats
ont adopté des textes de coopération avec les deux Tribunaux,
lesquels textes régissent les modalités de mise en oeuvre du
principe non bis in idem. La France, par exemple, prévoit dans
sa législation que les juges internes doivent obligatoirement
prévenir les juges internationaux de toute affaire qui pourrait faire
l'objet de sa compétence pendant que l'Autriche opte pour sa part pour
un examen ex officio de l'éventuelle compétence de la
Cour. Dans tous les cas, les tribunaux nationaux attendront que le Tribunal
international leur demande de se dessaisir. Le Président de la Cour
spéciale95(*), s'il
reçoit des informations selon lesquelles une juridiction nationale de
quelque pays que se soit a ouvert une instance sur une affaire relevant de sa
compétence, peut lui demander de se dessaisir et de transmettre toutes
les pièces en sa possession à Freetown pour que la juridiction
internationale s'empare du dossier. En cas de demande de dessaisissement, la
juridiction internationale examine l'affaire de façon exclusive
jusqu'à la décision définitive, les décisions
interlocutoires (affaire Tadic) ne pouvant pas être
considérées comme étant définitives. Même
lorsque la juridiction internationale a rendu une décision
d'acquittement en raison du manque de preuves suffisantes, comme c'était
le cas dans l'affaire NTUYAHAGA96(*), une juridiction nationale peut ouvrir un
procès sur une qualification de droit commun, car les Tribunaux
pénaux internationaux97(*) ne sont compétents que pour les crimes
internationaux.
L'autorité négative
de la chose jugée joue aussi dans l'autre sens, c'est-à-dire en
ce qui concerne les affaires déjà connues par les juridictions
nationales et susceptibles de l'être à nouveau par les tribunaux
ou cours internationaux. Les articles 10-II et 9-II respectifs des Statuts du
TPIY et du TPIR prévoient que ces tribunaux peuvent se saisir d'une
affaire si elle a été jugée au plan national sous une
qualification de droit commun, ce que l'article 9 du Statut de la Cour
spéciale appelle « crime ordinaire », ou
encore dans le cas où le tribunal interne a manqué de diligence,
d'indépendance ou si le procès était destiné
à soustraire l'accusé de la juridiction internationale98(*). Le manque de diligence et
d'impartialité du tribunal s'examine de manière objective et ne
nécessite pas nécessairement l'exécution de la
décision99(*).
Les conflits de compétence
peuvent aussi concerner les juridictions internationales entre elles. Les
concurrences de compétences horizontales supra nationales n'ont pas
encore eu lieu depuis 1994 mais il y a de plus en plus de risques
depuis l'adoption du Statut de Rome instituant une juridiction internationale
permanente compétente pour juger des crimes internationaux (ceci depuis
2002) et la création d'autres juridictions comme la Chambre
spéciale pour la Cour criminelle du Timor Leste et la Cour
spéciale pour la Sierra Léone.
Evidemment, le TPIY ne
prévoit pas une autre juridiction internationale avec laquelle il
pourrait avoir de conflit de compétence. La CPI et la Cour
spéciale non plus ne fournissent une réponse à
l'application du principe de non bis in idem entre deux juridictions
internationales. Dans l'hypothèse d'une telle éventualité,
la compétence de la CPI ne serait vraisemblablement que secondaire. En
effet elle peut être considérée, de par sa
compétence complémentaire des juridictions nationales, comme leur
prolongement. Il serait donc logique que la Cour pénale internationale
n'intervienne que lorsque les TPI ou la Cour spéciale n'est pas capable,
notamment en raison de leurs moyens limités, de poursuivre les personnes
soupçonnées de crimes graves100(*). Il est donc nécessaire, pour la
création d'une future juridiction ad hoc dont la
responsabilité serait de poursuivre les responsables des crimes
internationaux (crimes de génocide, crimes de guerre, crimes contre
l'humanité101(*))
prévoir expressément une hiérarchie de compétences
entre cette nouvelle juridiction et la Cour pénale internationale.
Section 2 : La stratégie des poursuites et son
impact sur la crédibilité de la Cour spéciale pour la
Sierra Léone
Définir une stratégie des poursuites
transparente et efficace permet à une juridiction pénale de
gagner la confiance de la population pour laquelle elle travaille. Lorsqu'il
s'agit d'une juridiction pénale internationale dont les résultats
sont attendus à la fois par la communauté internationale et le
peuple de Sierra Léone, la contrainte et les exigences sont doubles. Il
fallait donc, pour la Cour spéciale palier aux principaux points de
désenchantement des TPI à savoir la fluidité et
l'économie judiciaire. La division tripartite des affaires à
juger (I) participera à l'atteinte de cet objectif même si le
processus global donnera une impression de travail inachevé (II).
I. La division
tripartite des affaires à juger
Il est nécessaire, pour des
besoins d'économie et d'efficacité, de réduire le nombre
d'audiences, de centraliser les inculpations des personnes en des affaires
communes. Ce procédé s'appelle la jonction d'instances. Elle peut
se faire pour des affaires présentant les mêmes
caractéristiques, soit en raison de la nature, du lieu de commission de
l'infraction ou encore de la personnalité des accusés. La
jonction d'instances est une mesure d'administration judiciaire par lequel un
tribunal décide d'instruire et de juger en même temps deux ou
plusieurs affaires unies par un lien de connexité. Ce
procédé, largement utilisé par les juridictions
nationales, est prévu dans le Statut de Rome et les Tribunaux
Pénaux Internationaux (TPI) ainsi que la Cour spéciale, qui y
font largement recours.
La Cour spéciale n'a pas
dérogé à la tradition des juridictions dont est
inspiré sont statut (A) et a divisé en trois grandes affaires les
onze inculpations retenues (B).
A. Une jonction d'instances conforme à la pratique
judiciaire internationale
La jonction d'instances
obéit à des règles particulièrement strictes. Il
faut à la fois que les affaires comportent des particularités en
raison de leur nature, de la qualité des personnes poursuivies et que
leur jonction ne nuise pas aux principes du procès équitable et
de l'individualisation des peines. Successivement seront abordées les
deux principales jonctions d'instances, à savoir la jonction des chefs
d'accusation pour un même accusé (1), la jonction d'instances de
plusieurs accusés (2) et d'évaluer l'ampleur du contrôle du
juge qui est le véritable maître de la jonction d'instances (3).
1. Jonction des chefs
d'accusation concernant le même accusé
En ce qui concerne les faits, l'on
peut réunir en une seule instance des faits commis lors de la même
opération, et par le même accusé (règle 48 du
Règlement de Preuve et de Procédure102(*) des TPI). Il peut aussi
s'agir d'un certain nombre d'actions ou d'omissions survenant à
l'occasion d'un seul évènement ou de plusieurs
évènements, en un seul endroit ou en plusieurs, faisant partie
d'un plan, d'une stratégie ou d'un dessein commun (RPP des TPI, art 2).
Les TPI ont interprété de manière large les notions
d'espace géographique et de période. Le tribunal a ainsi
considéré qu'au vu des documents parvenus au procureur, il
était légitime, en vertu de la position hiérarchique de
l'accusé, de conclure que les faits se sont produits conformément
à l'exécution d'un même plan et de les réunir en une
seule et même instance103(*). Le TPIR a réunit
quant à lui l'ensemble des actes génocidaires d'avril 1994 et a
considéré dans sa décision du 29 juin 2000104(*) que les faits commis au
Rwanda pendant cette période répondaient à un plan et
dessein unique, étaient exécutés par des personnes
organisées et regroupés sous un commandement connu et
identifiable, les lieux et la période étant eux aussi clairement
définis dans les messages.
En effet, joindre les faits
évite à la justice d'entamer contre la même personne des
procès successifs et différents pour de nombreux crimes commis
dans des situations différentes. C'est donc une économie
considérable pour les parties, car la défense et l'accusation
disposeront d'un seul dossier. La durée de la procédure sera
réduite car les faits de même nature seront évoqués
en même temps, les preuves à charge et à décharge
échangées dans un même flux. La jonction d'instances influe
aussi sur la détermination de la peine ; il n'y aura donc qu'une
seule peine pour la totalité des crimes, évitant ainsi la
superposition des peines successives.
La Cour spéciale a quant
à elle formulé de manière simple sa jonction d'instances.
La règle 49 de ses RPP stipule que, dès lors que les conditions
de fond sont réunies, les crimes peuvent faire l'objet d'une seule et
même instance s'ils font l'objet des charges contre un même
accusé105(*).
C'est dans cette optique que le Procureur (David CRANE à cette
époque là) a décidé d'inclure dans les inculpations
environ une vingtaine d'inculpations en moyenne pour chacun des accusés.
Ces règles de
procédure prêtent une attention particulière aux jonctions
d'instances ratione personae qu'elles précisent dans le
détail.
2. Jonction d'instances de
plusieurs accusés
La nature particulière des
crimes internationaux a pendant longtemps commandé une
responsabilité collective. La plupart du temps, ces crimes ne
résultent pas de l'action criminelle des individus mais constituent une
manifestation de la criminalité collective : les crimes sont
souvent commis par des groupes d'individus agissant dans un dessein criminel
commun. Même dans le cas où un petit nombre seulement des membres
du groupe peuvent physiquement perpétrer un acte criminel (meurtre,
extermination, enlèvement ou tortue, etc.), la participation et la
contribution des autres membres du groupe est souvent vitale dans la
facilitation de la commission lesdits crimes. Ce qui entraîne à
dire que la gravité morale n'en est pas moins grande ou
différente de ceux qui commettent l'acte en question. Dans ces
circonstances, tenir criminellement responsable la seule personne qui a
matériellement commis l'acte illicite minimisera le rôle de
co-perpétrateur joué par ceux qui, usant d'un quelconque moyen
ont facilité la perpétuation de l'infraction.
La jonction d'instances de cette
manière a été faite pour la première fois par les
tribunaux militaires de Nuremberg où les procureurs ont
rédigé un seul acte d'accusation pour tous les accusés.
Ils ont tenu compte de la participation volontaire de chacun d'eux dans la
commission au moins d'un acte matériel d'une des infractions (par
exemple infliger des coups à une personne, fournir un soutien
matériel, logistique ou financier aux autres membres du groupe) et de
l'élément intentionnel, c'est-à-dire, que les
accusés aient eu le même objectif même si la participation
des uns et des autres peut être évaluée à des
degrés différents.
Ce que le TPIY106(*) appelle « la
criminalité collective » prend aussi en compte
l'appartenance à un groupe. Il peut s'agir du caractère
privilégié de la place que l'accusé occupait dans la
hiérarchie de l'organisation. Il suffirait donc que les accusés
soient au courant de la nature du système auquel ils ont appartenu et
qu'ils aient participé à sa perpétuation. La position
d'autorité objective moins que la participation est prise en compte pour
sanctionner la situation. Ce processus aurait le mérite de réunir
des accusés qui ont participé à des opérations
autour de la même affaire et permettra de faire la lumière
nécessaire sur l'ensemble des faits pertinents et d'obtenir la
manifestation complète de la vérité.
La rège 48 des RPP de la
Cour spéciale intitulée « Joinder of accused or
Trials » a suivi la tradition judiciaire en joignant les
instances des accusés dont les affaires avaient des similitudes. La
première condition de jonction d'instances de deux ou plusieurs
accusés est l'instant ou l'opération pendant laquelle le ou les
crimes ont été commis. Le paragraphe (A) de la règle 48
prévoit notamment que « Persons accused for the same or
different crimes committed in the course of the same
transaction may be jointly indicted and tried ». C'est
dire que l'élément d'appréciation ici est le
théâtre des opérations ; le lien entre les
accusés étant les lieux et la période, des personnes des
groupes armés différents peuvent faire l'objet de mêmes
instances. Ce procédé conduirait à une sorte de
contradictoire entre les accusés, ce qui aurait le
bénéfice d'établir d'une manière efficace la
vérité sur des évènements précis. Ceci
aurait néanmoins le désavantage que la Cour se détourne de
son objectif principal qui est d'établir les responsabilités
personnelles et de répondre aux attentes des victimes car elle
risquerait de servir de second lieu d'affrontement entre les idéologies
des différents protagonistes.
Pour éviter ce
fâcheux inconvénient, la Cour a décidé de mettre en
avant, non pas la participation des protagonistes à la même
opération de guerre, mais leur appartenance à des groupes
armés différents. C'est donc dire que le critère de
connexité entre les lieux et le temps a été
écarté. La partie responsable des poursuites ne pouvait le faire
sans l'accord du juge qui est le maître de la jonction d'instances.
3. Le juge, maître de la
jonction d'instances
Il est possible de procéder à des jonctions
d'instances avant ou après la publication des inculpations,
c'est-à-dire que le procureur peut juger nécessaire de
réunir les accusés et/ou les faits pendant la rédaction
des inculpations originelles. Dans ce cas, la contestation éventuelle de
cette décision par les accusés se fera dès le début
des audiences préparatoires. Le paragraphe (B) de la règle 48
prévoit aussi que « Persons accused who are
separately indicted, accused of the same or different crimes committed in the
course of the same transaction, may be tried together, with leave granted by a
trial Chamber », c'est à dire que le Procureur
obéit à une demande du juge qui, après la réception
des inculpations aurait estimé nécessaire, pour une bonne
administration de la justice, de réunir les instances des accusés
différents. Dans le cas de la Cour spéciale, les premières
inculpations ont été produites séparément en mars
2003 et comportaient pour chacun des 13 accusés environ vingt chefs
d'accusation. Suite à la mort de Foday SANKOH, de Sam BOCKARIE et de
Johnny Paul KOROMA, le président de la Cour a demandé que les
inculpations soient réunies en trois groupes. C'est ce que le Procureur
fit en janvier 2004107(*).
Le juge est donc seul habilité à ordonner la
réunion des instances après que les inculpations aient
été publiées. En tant que maître de son instance, le
juge, aussi nécessaire qu'il le pense, peut réunir de
manière circonstancielle des instances de plusieurs cas disjoints si les
faits évoqués ne peuvent être compris sans l'attrait des
accusés dont les instances ne sont pas communes.
L'économie judiciaire et
l'uniformisation des peines recherchées dans les jonctions d'instances
ratione personae et ratione materiae pratiquée par les
juridictions pénales, peuvent toute fois heurter le respect des droits
des accusés notamment, le droit au procès dans un
délai raisonnable. Il est donc nécessaire d'établir des
garanties efficaces contre les éventuelles violations des droits de la
défense que la jonction d'instances peut provoquer. La première
garantie est liée aux principes d'individualisation et de
personnalisation des poursuites et des peines qui sont au centre du droit et de
la procédure pénales. Il faut donc, malgré le fait que les
instances soient jointes, que les accusés bénéficient des
mêmes droits que s'ils étaient jugés
séparément108(*) et qu'ils répondent personnellement et
individuellement de la totalité et rien que des actes qu'ils ont
effectivement commis. L'on ne pourra pas imputer la responsabilité d'un
fait commis par un accusé à un autre sous le prétexte que
leurs instances ont été jointes.
La seconde garantie des droits de
la défense est judiciaire. En effet, la décision de la Chambre de
première instance de demander au Procureur de joindre les instances est
une décision à caractère juridictionnel et est donc
ouverte à l'appel devant la Haute Chambre. Cet appel doit se faire
in limine litis, c'est-à-dire au seuil de l'instance dans le
cas où la jonction s'est faite en amont ou dès la prochaine
audience regroupée dans le cas où la jonction est intervenue au
cours du procès109(*) Les personnes qui verraient en la jonction
d'instances une décision leur faisant grief auront la charge de la
preuve devant la Chambre d'appel. Elles devront prouver que les disjonctions
préviendront les conflits d'intérêt110(*) et ne constituent pas un
obstacle à la bonne administration de la justice. S'ils arrivent
à le prouver, les affaires seront disjointes et les procès
individuels reprendront.
La Cour Spéciale pour la
Sierra Léone a donc fait preuve de conciliation entre les
intérêts des parties et de la justice. La bonne administration de
la justice aura permis de produire des inculpations regroupées en
fonction de l'appartenance à un groupe armé. Quelle auront
été les répercussions de ce choix sur les
procès ?
B. Les accusés devant la Cour
La Cour Spéciale pour la
Sierra Léone, crée pour poursuivre ceux qui portent
« la plus grande responsabilité » dans les
crimes commis dans ce pays n'aura finalement procédé qu'à
treize inculpations qui permettront l'ouverture de trois procès. La
volonté du Procureur de remplir pleinement sa mission a surpris un bon
nombre d'observateurs quant il a décidé d'inculper les membres de
la CDF (1) alors que les inculpations édictées contre les membres
de la RUF (3) et de l'AFRC ont sucité un certain soulagement (2) au sein
de la population.
1. La surprise et la
controverse autour de l'inculpation des membres de la CDF
Une certaine stupeur s'est
emparée des populations de Freetown lorsque l'inculpation de Chief Sam
Hinga NORMAN a été rendue publique le 7 mars 2003 par le
Procureur de la Cour. La tension était intense dans les rangs des
chasseurs traditionnels lorsque les deux dernières inculpations, celles
de Moinina FOFANA et Allieu KONDEWA ont été publiées le 26
juin. Le 28 février 2004, la Chambre de jugement a ordonné au
Procureur de joindre ces trois instances en une seule111(*). Les audiences ont
commencé le 3 juin 2004, le procureur a fini avec la présentation
de ses preuves et témoins le 20 septembre 2006 pendant que celles
réservées aux avocats112(*) de la défense se termineront en novembre. Les
premières solutions sont en cours de mise en état.
Il faut dire que les Kamadjors sont jusqu'à
présent considérés comme des véritables
héros qui ont défendu la capitale contre les assauts des milices
de l'AFRC, et surtout des rebelles du RUF. La plupart des Sierra léonais
ne comprenaient pas pourquoi le vice-ministre de la défense était
inculpé alors que son supérieur hiérarchique, le ministre
de la défense qui a ordonné la création de l'entité
qui est en cause restait en liberté. Or, il est important de bâtir
une société juste pour les victimes car, comme le dit l'actuel
Procureur de la Cour spéciale, « ... même si l'on
combat aux cotés des anges, l'on est soumis à des règles
qu'on ne doit transgresser. Les populations civiles sont sacrées :
on ne doit pas les prendre pour cible, quelle que soit la
situation113(*) »
L'origine de la CDF remonte au
coup d'Etat du 1997, lorsque le président KABBAH a dû quitter le
pays pour de réfugier à Conakry. C'est alors, qu'il décide
de solliciter la participation des chefs traditionnels dans la lutte contre la
junte AFRC au pouvoir. Leur implication dans le conflit était sous la
responsabilité à la fois des forces restées loyales au
président en exil et des militaires de l'ECOMOG. Les CDF étaient
déployées dans les régions du Sud-Est (des Kamadjors
de la tribu des Tamaboros), au Nord avec les Gbettis et
à l'Est chez les Donsos. Le gouvernement en exil les pourvoyait
en logistique, armes, nourriture et formation. A leur tête, se trouvait
Chief Hinga NORMAN, l'un des chefs Kamadjors du Sud qui a toujours
apporté son soutien au président KABBAH et occupait avant le coup
d'Etat le poste de vice-ministre de la défense. Selon certains
témoins au procès de NORMAN, la formation de la CDF avait obtenu
le soutien financier et la caution morale des grandes puissances comme la
Grande Bretagne, les Etats-Unis et le Nigéria. Les champs de bataille
ont été visités à plusieurs reprises par le
conseiller militaire du Haut commissariat de Grande Bretagne en Sierra
Léone114(*).
Les membres de la CDF
étaient les derniers remparts qui protégeaient la population
civile contre les assauts du RUF. Ils sont encore considérés
comme des libérateurs par la population, et, selon les rapports des ONG
comme Human Rights Watch, ils ont commis peu d'exactions et surtout
des crimes sexuels contre les populations civiles. Il y a plusieurs raisons
à cet état de fait :
En premier lieu, la formation des
membres de la milice comprenait un module relatif au traitement des populations
civiles et interdit les mauvais traitements à leur égard. Les
nouvelles recrues étaient obligées de prêter le serment de
respecter cet engagement avant d'obtenir les bénédictions des
anciens qui faisaient d'eux des Kamadjors à part
entière. Lors de cette cérémonie, ceux-ci recevaient des
fétiches sensées les protéger contre toutes les attaques,
les rendant ainsi invincibles et immortels. C'est en second lieu la crainte de
la perte de ces pouvoirs surnaturels qui explique que les soldats de la CDF ne
se livraient pas à des violences sexuelles. Selon ces mêmes
règles, les Kamadjors, n'ont pas le droit d'entretenir des
rapports sexuels ni avec leurs femmes, ni avec une quelconque autre personne
avant ou pendant les opérations militaires. Si l'un d'eux enfreignait
cette règle, celui-ci perdrait ses pouvoirs115(*).
Cependant, les Kamadjors qui s'éloignaient de leurs
communautés respectives devenaient de moins en moins respectueux des
règles et s'adonnaient à des violences contre la population
civile. Lors de l'intervention des forces de l'ECOMOG, les miliciens de la CDF
considéraient que les membres des tribus Temne et Lembas
étaient des soutiens de la junte RUF / AFRC et s'empennaient
à eux. Selon certaines interviews menées par l'organisation
Human Rights Watch, des témoins affirment avoir assisté,
en mars 1998 dans la ville de Kenema à un viol suivi des mutilations et
du meurtre d'une femme dénommée Djenaba qui était
considérée comme épouse d'un membre des rebelles. Certains
autres dires rapportés par la même organisation faisaient
état d'actes de cannibalisme car, certaines croyances soutiennent que
manger les organes vitaux de l'ennemi attribuait au consommateur les pouvoirs
de la victime116(*). Ces
actes, lorsqu'ils faisaient l'objet de plaintes devant les chefs
supérieurs de ces soldats, donnaient lieu à des jugements
sommaires et conduisait, en cas d'établissement de la
culpabilité, à une condamnation à l'emprisonnement ou
à subir l'épreuve de Walking the Higway117(*).
L'inculpation des membres de la
CDF a fait craindre de vives désapprobations voire de nouvelles
violences dans le but de les libérer. C'est pourquoi les lieux de leur
détention ont été tenus secrets pendant la construction
des nouveaux locaux pénitentiaires du centre-ville. Tel n'a cependant
pas été le cas lors de l'annonce des inculpations des membres de
l'AFRC. Au contraire, la plupart des populations ont éprouvé un
certain soulagement.
2. L'inculpation des membres
de l'AFRC : une évidence
La publication des inculpations
des anciens membres de l'AFRC a semblé pour beaucoup être logique
vu les exactions dont ceux-ci se sont rendus coupables et la mauvaise
réputation qu'ils avaient à cause de leurs relations avec les
rebelles du RUF. Suite à la fuite et au
décès présumé de Johnny Paul KOROMA sur les autres
fronts en Côte d'Ivoire ou au Libéria118(*), la Cour a constaté
l'extinction des poursuites contre ce dernier et n'a finalement retenu que
trois personnes à inculper des 17 chefs d'inculpation constitutifs de
crimes de guerre et de crimes contre l'humanité. C'est ainsi que Alex
Tamba BRIMA sera inculpé le 7 mars 2003, Brima Bazzy KAMARA le 28 mai
2003 et Santigie Borbor KANU le 16 septembre 2003. Comme pour les deux cas
précédents, les juges de la première Chambre de jugement
demanderont au Procureur de joindre ces instances en raison de leur
connexité évidente et des besoins de la bonne administration de
la justice119(*). C'est
ce qui sera fait le 28 septembre 2003. L'instruction du dossier prendra deux
ans et les audiences commenceront le 7 mars 2005 avec les présentations
des preuves et des témoins à charge par la partie poursuivante.
L'équipe de la défense120(*)a quant à elle commencé à
plaider devant le tribunal en mai 2006 et finira probablement en
décembre.
L'AFRC est arrivé au
pouvoir par le coup d'Etat du 25 mai 1997 qui a suscité de vives
condamnations de la part des grandes puissances (Grande Bretagne, France et
Etats-Unis) et a fait l'objet d'un rapport sévère de
Secrétaire général devant le Conseil de
sécurité. Le 19 mai, une déclaration du président
du Conseil de sécurité a « vivement
déploré la tentative de renversement du Gouvernement élu
et demandé instamment que soit immédiatement rétabli
l'ordre constitutionnel ». Cette condamnation rapide et
solennelle témoigne de l'intérêt par le Conseil de
sécurité au cas sierra léonais. Ce coup d'Etat, selon le
rapport de la Commission vérité et réconciliation
était prévisible121(*)à cause de la purge que le président
KABBAH avait entamé dans son armée après son
arrivée au pouvoir122(*). Il avait aussi décidé, pour des
raisons économiques, de réduire les rations des miliaires.
S'étant mis à dos l'armée et dépourvu du soutien
militaire qu'auraient pu lui apporter les Sud-africains de la Executive
Outcomes dont il s'est séparé, le président KABBAH ne
pouvait que prendre la route de l'exil après que des mutins, soutenus
par le RUF aient attaqué l'ECOMOG, causé l'évacuation des
civils occidentaux et la fuite de dizaines de milliers de Sierra léonais
vers la Guinée.
Johnny Paul KOROMA est
nommé à la tête de la junte qui prendra le nom de AFRC
(Armed Forces Revolutionnary Council) le 7 juin 1995 avec, comme vice
président Foday SANKOH du RUF. La plupart de pays ont
éprouvé un certain mépris pour ce gouvernement d'ailleurs
jamais reconnu comme représentant légitime de la Sierra
Léone. Le Nigéria et les Etats-Unis ont à plusieurs
reprises tenté de convaincre ceux que les Britanniques
qualifiaient123(*)
« d'assez naïfs, un peu dépassés par les
évènements et dénués d'idées
précises » de quitter le pouvoir, mais en vain. Ces
efforts seront repris par les ministres des affaires extérieures de la
CEDEAO réunis en session extraordinaire à Conakry qui proposeront
le 26 juin un programme de rétablissement de l'ordre constitutionnel en
trois phases : d'abord le dialogue, ensuite les sanctions, y compris le
recours à l'embargo et enfin l'emploi de la force armée.
Face au refus de la junte
militaire de tenir compte de ces propositions qui ont reçu l'appui de
l'ONU124(*), le
président du Conseil de sécurité125(*) fera une déclaration
pour le moins ferme qui juge « inacceptable que la junte
militaire cherche à fixer des conditions au rétablissement du
gouvernement démocratiquement élu (...) et lui demander de
renoncer à son intension déclarée de rester au pouvoir et
de reprendre sans tarder les négociations (...) » Il
rappellera que le Conseil est prêt à prendre « des
mesures voulues » pour rétablir l'ordre constitutionnel
si la junte n'apportait pas de réponses satisfaisantes. Les mesures ont
dès alors commencé à être évoquées par
les représentants des délégations africaines et
Britannique à New York. Ce n'est qu'au sortir du sommet d'Abuja du 26 au
28 août 1997 que les chefs d'Etat de la CEDEAO établissent des
sanctions régionales contre la Sierra Léone. En
résumé, ces sanctions portent sur l'interdiction de voyage des
autorités dirigeantes de la junte et l'embargo sur la vente d'armes,
munitions et de produits pétroliers. La déclaration finale du
sommet précise en outre que « les forces
sous-régionales emploieront tous les moyens nécessaires pour
imposer l'application de la décision ». Cette
décision pour le moins ferme et radicale suscitera des réserves
de la part de certaines délégations aux Nations Unies.
La Suède, le Costa-Rica, la
Russie et le Brésil déploreront le manque d'information dont la
CEDEAO a fait preuve avant de prendre ces sanctions et étaient surtout
préoccupés par l'effet catastrophique qu'elle aurait sur la
situation humanitaire qui était pour le moins dramatique. Cette
décision à été prise non sans la violation de la
Charte des Nations Unies. En effet, lorsqu'il s'agit du maintien de la paix et
de la sécurité internationales, toute sanction prise par une
organisation régionale doit l'être avec l'accord du Conseil de
sécurité126(*). Cette lacune sera comblée par la
résolution du 8 octobre 1997127(*) qui réaffirme le besoin de respecter le
Chapitre VIII de la Charte et le soutien à accorder aux efforts de la
CEDEAO dans la résolution de la crise et confirme les sanctions prises
au sommet d'Abuja128(*).
Les modalités de mise en oeuvre de ces sanctions seront
précisées dans l'accord de Conakry qui prévoyait en outre
un cessez-le feu immédiat, la poursuite des négociations et la
mise en place des mécanismes de DDR pour toutes les factions
armées du pays. L'accord de Conakry sera
vain et les exactions continueront de la part des membres de l'AFRC. L'effort
combiné des Kamadjors et de l'ECOMOG permettra la reprise de
Freetown le 13 février 1998. Le président KABBAH reviendra dans
son pays le 10 mars et le Conseil de sécurité votera une
résolution129(*)
qui lèvera l'embargo sur les produits pétroliers et le
maintiendra pour ce qui est des armes et des munitions.
L'AFRC a commencé à
commettre des exactions sur les populations civiles dès le début
du coup d'Etat de 1997 et ces exactions ont continué au-delà de
leur éviction avec la création d'une nouvelle unité
baptisée les West Side Boys qui utilisait les mêmes
procédés que le RUF.
3. L'inculpation des membres du
RUF : un soulagement
Dans l'esprit des autorités
Sierra léonaises, le demande d'aide à la communauté
internationale pour établir un tribunal en Sierra Léone
était destinée au jugement des membres de l'ex-rébellion
et de la junte militaire autrefois au pouvoir qui étaient soit en
cavale, soit en prison à Pademba Road130(*). L'opinion était aussi plus favorable aux
poursuites contre les membres du RUF et des sobels131(*) qui
s'étaient rendus célèbres pour leurs exactions
systématiques sur les populations civiles.
Le 7 mars 2003, le Procureur David
CRAINE a publié les inculpations contre quatre anciens leaders pour 17
chefs d'accusation constitutifs de crimes de guerre et crimes contre
l'humanité : Foday SANKOH, Sam BOCKARIE, Issa Hassan SESSAY et
Morris KALLON. Augustine GBAO, quant à lui, a été
inculpé le 16 avril. Avec l'aide de la police Sierra Léonaise,
trois inculpés ont été appréhendés et ont
rejoint leur ancien leader SANKOH en prison. Sam BOCKARIE quant à lui
est resté introuvable car il avait, aux derniers jours du conflit,
trouvé refuge au Libéria aux côtés de Charles TAYLOR
avec qui il continuera l'effort de guerre. Son corps sera retrouvé
à la frontière ivoirienne et son décès
officiellement constaté le 2 juin 2003. Le tribunal siègera donc
le 8 décembre pour constater l'extinction des poursuites contre lui pour
raison de mort132(*) Les
poursuites contre Foday SANKOH133(*)s'éteindront également à la
même date suite à son décès constaté le 2
août 2003 de suite de maladie.
Comme pour les autres affaires, la
chambre de jugement a demandé que les instances soient jointes. Le
procureur a procédé à cette jonction le 28 février
2003 et les audiences pour ce qu'il convient maintenant d'appeler les
procès du RUF ont commencé le 7 juillet 2004. Le
Procureur a terminé sa part des débats en 2006 et l'équipe
de la défense134(*) a entamé la présentation de ses
preuves et témoins à décharge le 2 mai 2006 et les
premières décisions sont attendues pour le second semestre de
2007.
Le RUF a été
créé dans les premiers mois de l'année 1990 par le caporal
Foday SANKOH, vétéran de l'armée britannique, reconverti
dans la photographie. Ses déplacements le conduiront en Libye où
il fait la connaissance de TAYLOR qui lui aura été par la suite
d'un grand soutien tout au long de la décennie qu'a duré le
conflit. Le recrutement et la formation des combattants de la rébellion
se firent de concert avec le Libéria qui leur servira de base
arrière135(*).
C'est ainsi que le 23 mars 1991, une troupe d'environ 100 soldats (sierra
léonais, libériens et burkinabè) attaquent l'Est (les
districts de Kailahun et Pujehun) du pays et réclament le départ
du président Joseph MOMOH, qui, selon eux, était l'incarnation
des maux des populations délaissées du pays, de la corruption et
des détournements de deniers publics. Ces réclamations trouveront
pendant un moment un écho au sein des populations qui vont rapidement
déchanter face à la violence avec laquelle les soldats vont
commettre des exactions sur la population civile. Même si les mobiles et
objectifs politiques du RUF changeront au fur et à mesure que le conflit
durera, la cible principale de ses opérations restera la population
civile qui est considérée comme un moyen de pression et de
représailles légitime affin d'obtenir soit une coopération
de leur part, soit des avantages sur les forces adverses, ou encore s'assurer
des moyens d'approvisionnement.
Le RUF est une force armée
composée pour la plupart des enfants-soldats qui ont été
enlevés ou enrôlés de force. Les
« officiers » rebelles les préfèrent aux
adultes car ils sont plus dociles et enclins à obéir aux ordres
sans poser de questions. Cyniquement, les « recruteurs »
arguent que ceux-ci de par leur petite taille se déplaçaient
mieux dans la jungle et pouvaient ainsi échapper aux balles qui
pouvaient leur passer par-dessus la tête. Ils étaient
formés au maniement des armes et drogués afin d'avoir plus de
courage pour tuer sans la moindre pitié des civiles, y compris leurs
proches pour éliminer tout lien avec leurs communautés, les
rendant ainsi dépendants du contingent auquel ils pouvaient appartenir.
Il faut aussi reconnaître que bon nombre des combattants se sont
engagés dans le RUF volontairement, en réponse aux politiques
d'exclusion et des détournements des fonds des dirigeants en place.
La guerre menée par le RUF
peut être divisée en deux phases : la première qui
correspondrait à la période 1991-1993 et s'apparentait à
ce que les membres de la Commission qualifient de « guerre de
front » et la seconde, de 1993 à 1997 correspondrait à
une « guérilla ». Quel que soit le type de tactique
de guerre utilisé, les exactions restent les mêmes. Les rebelles,
sous le commandement de Mohamed TARAWALLIE dans le Nord se déguisaient
en soldats de l'armée régulière et commettaient toutes les
exactions qui étaient reprochées aux forces loyalistes. Cette
pratique fréquente entre 1994 et 1996 a aidé à
discréditer profondément les forces de la SLA auprès des
populations civiles.
L'année 1996 sera quant
à elle marquée par une campagne d'amputation
dénommée « Opération stop
elections » pendant laquelle les rebelles, surtout les enfants
procédaient aux amputations des mains afin d'empêcher la
population d'aller voter. Il en est résulté des milliers
d'amputation sur les modèles « manches longues ou manches
courtes » 136(*) qui étaient même appliquées sur
des enfants. Le « succès » de cette campagne
est aussi dû au fait qu'elle était confiée à des
enfants qui ne manquaient pas de zèle et qui craignaient les
représailles impitoyables de leurs chefs Sam BOCKARIE et Foday
SANKOH137(*).
Les violences sexuelles ont fait
partie du programme de terreur engagée vis-à-vis des populations
civiles. C'est un plan dirigé contre les filles en vertu de la fameuse
« virgination », une sorte de ciblage des femmes
encore vierges qui subiront des violences sexuelles pour les exclure de leurs
sociétés car une fille qui n'est pas vierge ne peut plus
être mariée138(*). Les viols étaient le plus souvent commis en
groupe et pouvaient consister en l'introduction d'objets les plus divers
(bouteilles, mortiers, fils de fer, crosse de fusil...) dans les organes
génitaux féminins, ce qui entraînait de graves
lésions musculaires et des complications traitées par les centres
de santé régionaux.
La seconde opération de
tristement célèbre est engagée par Sam BOCKARIE en 1999,
dénommée «opération pas âme qui
vive» était destinée à faire pression pour
obtenir la libération de leur leader emprisonné au
Nigéria. Cette opération dura des semaines et détruisit
toute la partie Est de la capitale, faisant entre 5 000 et 6 000 morts parmi la
population civile. Des milliers de déplacés et des
enlèvements de jeunes filles. Cette campagne, couplée avec
l'enlèvement de 500 Casques bleus en 2 000, entraînera
l'intervention de l'armée britannique qui mettra fin aux
hostilités et permettra la continuité de l'opération DDR.
La mission de la Cour de juger
« ceux qui portent la plus grande
responsabilité » dans le conflit est entrain d'être
remplie par les juges et tout l'appareil judiciaire mis en place. Le dernier
accusé vivant qui manquait à l'appel est désormais en
procès à La Haye. Pourtant, il reste un nombre de questions qui
donnent l'impression d'un travail inachevé.
II. L'impression de travail inachevé : la
répression du mercenariat et la responsabilité des chefs d'Etat
en exercice
Au milieu des années 1990,
le conflit sierra léonais a connu une mutation à cause de la
participation des mercenaires (A). Cette participation a été
favorisée par Charles TAYLOR dont le cas est traité de
façon exceptionnelle (B).
A. La participation des mercenaires au conflit Sierra
léonais
Les mercenaires ont occupé
dans l'histoire une place particulière dans les cours des conflits
armés. Ils ont souvent, aussi bien que les soldats-citoyens
influencé le cours des évènements. La définition de
mercenaire a évolué avec le temps (1) et leur participation aux
conflits armés a connu une interdiction récente, tant en droit
international qu'en droit interne (2).
1. La définition de
l'acception « mercenaire » par le droit international
Aymeric PHILIPON fait une
différence entre les mercenaires classiques et les mercenaires
modernes139(*). Le
mercenaire moderne est celui qui fournit à une partie au conflit une
assistance matérielle, un savoir faire militaire ou des protections de
sécurité privée. C'est une assistance fournie par des
entreprises telles Executive Outcomes (EO) qui, avec leur
participation directe de 1995 à 1997, ont pu influer
considérablement dans les rapports de force entre le gouvernement et les
rebelles du RUF. EO est à l'avant-garde des grandes
sociétés lancées à la conquête des richesses
minérales d'Afrique. Après ses missions pour le moins fructueuses
en Angola140(*), elle
s'est engagée avec la junte militaire au pouvoir en 1995 par un contrat
de 21 mois dont l'estimation s'élève à 35 millions de
dollars. La mission d'EO était essentiellement liée à la
lutte antiguérilla, notamment, au soutien aérien
sérieux141(*) et
financée par l'intermédiaire de la compagnie Heritage
qui avance les fonds en échange des concessions
minières142(*).
La qualité de mercenaire
classique a été définie par le droit international
à partir de 1977 au moyen du Protocole additionnel I aux Conventions de
Genève. Cette définition comporte, comme celle de la Convention
de l'OUA sur l'élimination du mercenariat en Afrique trois
éléments : l'élément personnel,
l'élément matériel et le mobile. S'adonne à une activité mercenaire celui
qui est spécialement recruté dans son pays ou à
l'étranger pour combattre dans les rangs d'une des parties au conflit
dont il n'est pas ressortissant et qu'il ne soit pas envoyé en mission
par l'armée régulière de son propre pays143(*). Il faut, pour valider
l'élément matériel participer directement aux
hostilités. La Convention de l'OUA ajoute même que les personnes
morales, du fait qu'elles « abritent, organisent, financent,
assistent, entraînent, forment, soutiennent ou emploient de quelque
façon que ce soit les mercenaires » peuvent être
considérées elles-mêmes comme tel. L'élément
moral quant à lui est relatif au mobile du mercenaire. C'est celui qui
participe directement dans le conflit avec le mobile de recherche d'un avantage
personnel « qui est effectivement promise par une partie au
conflit ou en son nom ou d'une rémunération supérieure
à celle qui est promise ou payée à un combattant ayant un
rang comparable dans la force armée de cette partie144(*) ». Le
mercenaire doit avoir pour autre but la déstabilisation du Pays,
c'est-à-dire qu'il intervient directement pour renverser un gouvernement
ou porter atteinte à l'ordre constitutionnel de l'Etat145(*) et l'opposition à un
mouvement de libération nationale146(*). L'appui d'EO aux forces gouvernementales sierra
léonaises a eu un très grand succès dont Doug BROOKS, le
président de l'IPOA, une des plus grandes entreprises de guerre en
Afrique du Sud, fait largement écho lors de ses conférences dans
le pays147(*).
Les définitions du
mercenaire, que ce soit par les conventions à vocation universelle que
la convention africaine, manquent de précision148(*). Les critères
contenus dans les trois éléments (personnel, matériel et
mobile) constitutifs de l'infraction sont cumulatifs et difficilement
atteignables par les personnes susceptibles de mener une activité
criminelle. Ces données influent énormément sur la
répression de la participation des mercenaires au conflit
armé149(*).
2. La répression de la
participation des mercenaires à un conflit armé
L'article 47 du Protocole
additionnel I aux Conventions de Genève définissant le mercenaire
ne lui attribue pas un régime répressif. L'intérêt
de cette définition réside dans l'exclusion du mercenaire
à l'accès aux droits, privilèges et avantages liés
à la qualité de combattant. Ce qui implique qu'il ne soit pas
possible en droit, lors d'un conflit armé, d'appliquer la qualité
de prisonnier de guerre aux mercenaires capturés, le mercenariat
étant considéré comme un crime de droit commun. La
criminalisation du mercenariat en droit international s'inspirera de cette
initiation astucieuse du Protocole I pour édicter des prescriptions aux
Etats.
L'article 6 in fine de la
Convention de l'OUA relative à l'interdiction du mercenariat stipule que
les Etats doivent prendre toutes les mesures notamment législatives,
règlementaires, administratives et judiciaires, pour empêcher la
formation, le transfert, le soutien ou le financement des mercenaires sur leur
territoire. Les Etats doivent coopérer et s'échanger des
informations pour faciliter les enquêtes affin de retrouver et mettre
hors d'état de nuire d'éventuels mercenaires. Le mercenariat
étant érigé à l'article 9 comme crime de droit
commun, les Etats doivent infliger les peines les plus sévères
à ceux qui s'adonnent à cette pratique. Au niveau de la
coopération judiciaire internationale, les Etats doivent extrader les
mercenaires présumés vers les pays agressés afin que leur
jugement puisse se faire. A défaut, un jugement équitable doit
leur être accordé dans le pays en question (art. 10 et 11).
La Convention internationale
contre le recrutement, l'utilisation, le financement et l'instruction des
mercenaires abonde dans le même sens avec l'édiction d'obligations
internationales vis-à-vis des Etats. Cependant, son faible taux
d'adhésion150(*)
limite considérablement sa portée. Une grande marge est donc
laissée à la volonté politique des Etats qui, bien qu'en
signant les conventions internationales, doivent les préciser
après ratification, par l'adoption des mesures plus concrètes et
claires qui définissent les modalités d'application par les
autorités internes des normes définies en termes
généraux dans les conventions.
Au plan interne, l'un des
éléments majeurs est l'adoption d'un dispositif répressif
en Afrique du Sud, principale puissance africaine dans la fourniture de
services militaires privés. La Loi sud-africaine avait pour vocation
première de réhabiliter l'image de marque du pays qui a longtemps
été réputé pour le laxisme des autorités
face aux activités des compagnies de sécurité privé
dans les pays de la sous-région et ailleurs en Afrique et dans le monde.
La Regulation Foreigh Military
Assistance Act du 26 février 1998 dite loi anti-Executive Outcomes
interdit (art. 2) « à tout citoyen ou résident
d'Afrique du Sud de recruter, entraîner des personnes en vue
d'activités mercenaires151(*) ou de financer ces activités ».
A l'exception des opérations humanitaires (déminage
humanitaire par exemple), l'article 3 prohibe le « principe
d'assistance militaire à l'étranger »,
c'est-à-dire, la fourniture, sous les bases privées, de la
logistique, du support en sens de personnel et de finances, des services de
renseignement, d'assistance opérationnelle, des conseils, de la
formation, du recrutement, des services médicaux et paramédicaux,
l'acquisition de matériel, des moyens de sécurité
destinés à renverser l'ordre constitutionnel,
l'intégrité et la souveraineté d'un Etat.
Ce principe d'interdiction est
tempéré par les dérogations prévues aux articles 4
et 5 qui prévoient la possibilité pour les entreprises
privées d'obtenir une habilitation d'exercer auprès des
autorités et solliciter leur agrément à chaque fois qu'ils
sont entrain de vouloir signer un nouveau contrat. Le Comité national de
contrôle des armes conventionnelles vérifie la conformité
de chaque opération commerciale dans le domaine des prestations
militaires ou paramilitaires avec les intérêts de l'Etat
sud-africain. Le régime de sanction relatif à la violation de
cette Loi est relativement sévère. En effet, tout contrevenant
s'expose à un million de rands (125 000 €) et/ou 10 ans
d'emprisonnement. Si les mercenaires sont des
aventuriers qui recherchent un gain matériel dans la participation des
hostilités, les membres des forces armées de maintien de la paix
recherchent au contraire à préserver les intérêts de
la communauté internationale. Bien que combattant pour une interposition
sous la bénédiction de la communauté internationale, ils
sont néanmoins responsables d'éventuelles atrocités qu'ils
ont commises.
Aux côtés des mercenaires sud africains qui ont
participé au conflit en Sierra Léone Charles TAYLOR a
été considéré comme le principal acteur dans la
crise. Mais l'attraire devant la Cour spéciale na pas été
chose facile.
B. Le cas exceptionnel de Charles TAYLOR
Charles TAYLOR est reconnu comme
le plus grand criminel de guerre africain encore vivant152(*) à la fois pour les
crimes qu'il a commis dans son propre pays que pour ceux qu'ont subi les
populations civiles des pays limitrophes du Libéria. Cet ancien
haut-fonctionnaire de l'administration libérienne est un né en
1948 d'un ancien esclave américain et d'une native153(*). Il suivra une
formation militaire en Libye dans la fin des années 1980 après
son évasion invraisemblable d'une prison aux Etats-Unis. Il y
rencontrera le Caporal SANKOH avec qui il s'alliera plus tard pour
déstabiliser la Sierra Léone, ce qui lui vaut aujourd'hui des
poursuites pénales devant le Cour spéciale. C'est lors du
déplacement de l'ancien chef de guerre, devenu Président de la
République, à Accra pour les pourparlers de paix avec les
rebelles du Mouvement pour la Démocratie au Libéria (MODEL) et
des Libériens Unis pour la Réconciliation et la Démocratie
(LURD) que le Procureur décide de profiter de cette opportunité
en publiant l'inculpation de TAYLOR. Pourtant, l'acte d'inculpation a
été rédigé comme celui de la plupart des
accusés le 7 mars 2003. Cette inculpation mettra brusquement fin aux
discussions et au retour précipité du président dans son
pays154(*) qu'il
quittera définitivement en août pour un exil au Nigéria.
Le Nigéria est d'abord
resté sourd face aux demandes des Etats-Unis, de l'ONU et des ONG de
défense des droits de l'homme. Ceux-ci ont instamment exigé
l'extradition de TAYLOR pour qu'il réponde des accusations devant la
Cour. Le Nigéria craignait quant à lui que l'extradition ne
constitue un précédent pour les futures négociations de
paix155(*) et la
déstabilisation que son jugement à Freetown pouvait causer
à la fois au Libéria (qui était encore entrain de mener
une transition dont l'issue ne se définissait pas clairement) et en
Sierra Léone. Olusegun OBASANJO a tout de même signalé que
son gouvernement était prêt à répondre à
d'éventuelles demandes d'un nouveau gouvernement démocratiquement
élu. Le 17 mars 2006, la présidente Ellen JOHNSON-SIRLEAF demande
l'extradition de TAYLOR. Celui-ci tente alors de quitter le pays mais est
arrêté à la frontière camerounaise et sera remis aux
autorités de son pays d'où il rejoindra une cellule à Jomo
Kenyatta Road156(*) le
29 mars 2006.
Lors de sa première
comparution devant le juge Richard LUSSICK le 3 avril 2006, TAYLOR confirmera
la demande qu'il avait faite par la motion envoyée157(*) par l'intermédiaire
de son avocat à la Cour à laquelle il demandait de se dessaisir
à cause de son immunité entant que chef d'Etat158(*). Cet argument ne sera pas
retenu par la Cour car il n'était plus possible d'invoquer des
exceptions de compétence. L'accusé invoque aussi les
décès de Foday SANKOH et de Slobodan MILOSEVIC survenus
respectivement dans la prison de Freetown et au pénitencier du TPIY
à La Haye ; il dira craindre pour sa santé et demandera
à la Cour de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer
son intégrité physique et mentale. Evoquant son indigence, TAYLOR
sollicitera une aide juridictionnelle pour lui permettre de se défendre
de manière adéquate. Le transfert de l'instance à La Haye
suscite des interrogations sur son impact sur l'intégrité du
procès.
L'un des principaux obstacles au
transfert de TAYLOR à Freetown était lié à la
déstabilisation que l'ouverture de son procès pouvait causer dans
les deux pays voisins. La nouvelle présidente du Libéria et les
autorités sierra léonaises craignaient que les partisans de
TAYLOR encore disséminés dans les forêts de Côte
d'Ivoire, au Libéria et en Sierra Léonne puissent tenter de le
libérer par la commission d'exactions contre la population civile ou en
enlevant du personnel civil des missions de la paix. C'est d'ailleurs parce
qu'un accord préalable a été signé entre les deux
institutions judiciaires (la Cour spéciale et le TPIY) et le
gouvernement Hollandais pour tenir le procès à La Haye que Mme
JONHSON-SIRLEAF a demandé au Nigéria d'extrader TAYLOR. Cette
extradition a été contestée par l'avocat de la
défense dès le premier jour d'instance car l'accusé
voulait être jugé « en Sierra Léone et nulle
part ailleurs (...) car c'était la seule garantie du maintien de
l'équité du procès (...) et de bénéficier du
soutien moral de sa famille159(*) » Ce transfert à La Haye
nécessite des moyens logistiques importants pour notamment assurer la
comparution des témoins, le transfert des éléments de
preuve et le déplacement de la famille de l'accusé pour assurer
son droit à recevoir leurs visites160(*). Toutes ces considérations influeront enfin
sur la durée de tous les procès devant la Cour car ce sont les
mêmes juges qui s'occuperont des affaires à Freetown et à
La Haye.
Chapitre II : LE MANDAT ET LE
FONCTIONNEMENT DE LA COUR SPECIALE POUR LA SIERRA LEONNE
La création d'une
institution judiciaire internationale, par un accord entre un Etat et les
Nations unies, est révélatrice de la volonté
affichée par la communauté internationale dans la recherche et la
punition des responsables des crimes contre l'humanité. La lutte contre
l'impunité répond aussi bien aux besoins des victimes d'obtenir
justice et réparation qu'à celui des perpétrateurs qui
doivent réintégrer leur environnement d'origine. Non moins
important, le rôle stabilisateur de la justice pénale qui
s'évalue à travers sa fonction préventive doit être
associé à la répression et à la réparation
des dégâts causés par les atrocités. Du point de vue
de la formation d'une pareille institution, le mandat tiendra compte de toutes
ces exigences. La création de la Cour spéciale, bien que suis
generis intervient dans un contexte judiciaire international dans lequel
elle s'intègre parfaitement. Le fait qu'elle s'inscrit dans le maintien
de la paix, de la sécurité et du bien-être du monde la
distingue plus encore des tribunaux nationaux. Les instances de la Cour se
caractérisent aussi par leur hybridité, c'est-à-dire qu'en
plus des infractions internationales (crimes de guerre, crimes contre
l'humanité et violations graves du droit international humanitaire),
cette instance jugera également d'autres violations du droit interne
sierra léonais. Cette double exigence requiert une composition hybride,
c'est-à-dire qu'elle sera composée des juges internationaux
représentant la répartition des différentes cultures
juridiques dans le monde, d'une part et, d'autre part, des juges nationaux pour
tenir compte de l'environnement, de l'ordre juridique dans lequel il
s'intègre.
Du point de vue de la pratique
procédurale internationale, elle est caractérisée par une
prééminence du système accusatoire sur le système
inquisitoire. Il est révélateur du Common Law qui veut
que l'instance soit le lieu d'une « confrontation entre les
parties161(*) » qui ont les mêmes droits
et les mêmes moyens devant un juge impartial qui se contente d'arbitrer
les débats et de contrôler la validité des preuves. Quant
au caractère contradictoire de la procédure, il ne s'observe
vraiment qu'à l'audience proprement dite, car l'enquête et le
rassemblement des preuves à charge appartiennent au Procureur. Pour ce
faire, celui-ci a des pouvoirs considérables qui ne sont pas toujours
soumis au contrôle juridictionnel, la personne poursuivie étant
plus ou moins laissée à la merci de l'autorité
poursuivante. La seule protection est la possibilité de demander au juge
de refuser les preuves illégalement recueillies. Le ministère
public n'assume aucune charge en ce qui concerne la recherche des preuves
à décharge, ce sont les autres parties au procès qui en
ont l'obligation.
Le caractère hybride de la
Cour spéciale est un challenge à l'observation des règles
internationales. Bien que le statut consacre la supériorité des
règles internationales sur celles du droit interne, quelle sera la dose
du droit interne dans le cours du procès ? En d'autres termes, le
procès devant la Cour est-il point par point calqué sur ceux des
autres tribunaux ad hoc (TPIR et TPIY), sur celui de la Cour
pénale internationale ou des autres tribunaux hybrides comme au Kossovo
et au Timor Leste ?
Dans tous les cas, le
procès devant la Cour spéciale est emménagé de
façon à concilier la liberté de l'accusé, les
intérêts et la sécurité des victimes et de la
société (Section 1). L'harmonisation de tous ces
intérêts par le statut passe par la satisfaction d'un autre but de
la justice transitionnelle qui est la réconciliation en ne jugeant que
ceux « qui portent la plus grande
responsabilité » dans les atrocités (Section 2).
Section 1 : Le procès devant la Cour
Spéciale
L'équilibre des droits des
parties (ministère public, victimes et accusés) suppose une
composition équilibrée de la Cour (I), garante d'un procès
respectueux du modèle démocratique de justice pénale (II).
I. La composition de
la Cour
La Cour spéciale pour la
Sierra Léone est composée162(*) d'un organe juridictionnel à double
degré chargé de la direction des procès (A), d'un organe
d'instruction et de poursuites chargé de rassembler les preuves à
charge et à conduire les poursuites (B) et d'un organe d'administration
judiciaire (C) chargé de servir de trait d'union administratif entre les
autres organes de la Cour - sur le plan interne - et entre la Cour et les
autres institutions - sur le plan externe -.
A. L'organe juridictionnel
La Cour spéciale pour la
Sierra Léone est une Cour hybride : ses membres sont nommés
de manière conjointe par le gouvernement sierra léonais et le
Secrétaire général des Nations unies. La procédure
de nomination des juges internationaux respecte les principes et standards
internationaux. Elle est organisée de manière hiérarchique
(1) et a deux types de fonctions (2).
1. Une composition hybride
à prédominance internationale
La Cour spéciale
était composée à l'origine d'une Chambre de
première instance comprenant trois juges et d'une chambre d'appel de
cinq juges. Une seconde chambre de jugement a été
créée sous la demande du président163(*) de la Cour et le Bureau des
affaires juridiques des Nations unies mettra un an pour procéder
à la nomination de nouveaux juges164(*). Cette nomination tardive a eu des
répercussions sur le début des auditions préliminaires car
la première chambre était surchargée de motions tandis que
les juges n'habitaient pas encore à Freetown165(*). Chaque chambre de
première instance comprend donc deux juges166(*) nommés pour trois ans
renouvelables (article 13 § 3 du statut) par le Secrétaire
général des Nations unies167(*) et un autre nommé par le gouvernement sierra
léonais. Pour ce qui est de la Chambre d'appel, elle est composée
de cinq juges dont trois sont nommés par le Secrétaire
général des Nations unies. La répartition des juges en
fonction des différents systèmes juridiques dans le monde est
nécessaire, bien que la proposition de Kofi ANNAN de tenir compte de
l'équilibre des genres et de privilégier les juges ressortissants
des pays du Common Wealth et de la CEDEAO ait été
retenue168(*).
Parmi les juges nommés par le gouvernement sierra
léonais169(*),
deux étaient internationaux, ce qui a fait ressentir le caractère
plutôt international qu'hybride de la Cour.
Selon les critères de
nomination retenus par la plupart des juridictions internationales, les juges
sont choisis parmi des « personnes jouissant d'une haute
considération morale, connues pour leur impartialité et leur
intégrité170(*) ». Ce sont des personnes qui
possèdent des qualifications requises dans leurs pays pour siéger
entant que magistrats ; ils sont totalement indépendants dans
l'exercice de leurs fonctions, c'est-à-dire qu'ils ne doivent solliciter
ni obéir à aucune instruction de leur gouvernement d'origine ou
de toute autre source. La position de juge à la Cour requiert aussi des
connaissances suffisantes en droit, notamment le droit international, le droit
international humanitaire, les droits de l'Homme et surtout en justice des
mineurs171(*).
Les juges doivent donc faire
preuve d'indépendance et d'impartialité ;
l'indépendance s'analyse de manière organique,
c'est-à-dire que le tribunal, en tant qu'organe ne reçoive aucune
instruction d'une autre institution dans son fonctionnement. Il est
indispensable que le tribunal puisse exercer sa mission de jugement en toute
liberté, sans entrave de quelque pouvoir que ce soit.
L'indépendance organique suppose aussi qu'il n'existe aucun lien de
subordination entre les juges et le gouvernement Sierra léonais ou
l'ONU, même si leur nomination est exercée par ces deux
entités. L'inamovibilité des juges devrait normalement garantir
cette indépendance.
L'impartialité du juge est
la traduction juridique d'une exigence de neutralité, gage de sa
crédibilité. Cette notion, qui s'examine de manière
objective et subjective, n'est pas définie juridiquement. Les
règles de procédure et de preuve de la Cour se contentent de
stipuler qu' « un juge ne peut siéger en
première instance ou en appel dans le cas où son
impartialité peut être raisonnablement mise en
doute172(*) » ; une requête de
disqualification d'un juge peut être introduite par toute partie au
procès (règle 15 B).
Subjectivement, il s'agit de
déterminer ce qu'un juge pense dans son for intérieur et s'il
abrite en lui quelque raison ou intérêt de favoriser une partie
plutôt qu'une autre. La chambre d'appel du TPIY173(*) a précisé que
cet intérêt peut consister en ce que le juge soit partie à
l'affaire ou qu'il ait un intérêt financier à en tirer. Les
avocats de Sam Hinga NORMAN on voulu récuser la juge WINTER pour ses
fonctions précédentes à l'UNICEF. Cette organisation
occupe les fonctions d'amica curiae pour les questions relatives au
recrutement des enfants soldats ; ce qui pourrait, selon les avocats de la
défense, altérer l'impartialité de la juge. Cet argument
n'a pas été jugé suffisant pour consacrer un
éventuel parti pris174(*) ; les membres de la Cour peuvent avoir une
conviction, mais cela ne veut pas dire nécessairement qu'ils sont
partiaux.
L'impartialité peut aussi
s'évaluer de manière objective, c'est-à-dire qu'il faudra
déterminer si le juge ne s'est pas exprimé de telle sorte qu'il
soit déjà convaincu de la culpabilité de l'accusé.
La Chambre d'appel a eu à examiner cette question, lorsque l'avocat du
RUF avait déposé une motion pour récuser le juge ROBERTSON
pour le raisonnement qu'il tient dans son ouvrage « Crimes
Against Humanity : the Struggle for Global Justice ». Les
arguments de l'avocat étaient que les opinions du livre traduisaient les
préjugés que le juge pouvait avoir à l'égard des
accusés du RUF. Il y aurait conflit d'intérêt car le juge
gagnerait beaucoup à ce que les accusés du RUF soient coupables
pour valider ses hypothèses175(*). Le Procureur abondera dans le même sens en
soutenant que cet élément aurait dû être pris en
compte par le Secrétaire général de l'ONU dans la
nomination du magistrat. Ces moyens ont été retenus et le juge
ROBERTSON a été récusé pour les affaires des
accusés du RUF176(*). L'absence de préjugé dans la
procédure repose aussi sur le principe de séparation des
autorités de poursuite et de jugement qui veut que les
différentes étapes de la procédure pénale soient
confiées à des autorités différentes. L'inculpation
des accusés, la recherche des preuves et leur présentation en
audience publique appartient au Procureur qui défend les
intérêts de la communauté internationale tandis que la
validation définitive des inculpations, la conduite des débats,
l'appréciation des preuves et le jugement au fond relèvent du
domaine des juges du siège. Bien que l'inculpation soit officiellement
approuvée par le juge du siège, cette action ne constitue pas
pour lui un préjugé qui le disqualifierait de toute participation
à la connaissance ultérieure du dossier, notamment à
l'audience et au délibéré pour la décision sur le
fond de l'affaire (RPP Cour spéciale, règle 15 D).
Le statut de la Cour ne
prévoit pas de circonstances objectives dans lesquelles le juge ou tout
autre membre de la Cour peut être démis de ses fonctions. Pour
parer à une telle éventualité, l'on pourra se
référer à l'amendement des RPP de la Cour (Règle 15
bis) qui s'inspire des provisions de l'article 46 du Statut de Rome de
1998. Le président de la Chambre d'appel qui a, entre autres, la
qualité de Président de la Cour, convoque les juges en
congrès lorsque des éléments pertinents et raisonnables
permettent de douter de son impartialité ou qu'il ait commis une faute
lourde incompatible avec la poursuite de ses fonctions. La procédure de
démission d'un juge est contradictoire : c'est-à-dire que le
juge en question est appelé à faire ses observations sur le
dossier et se défendre. Si le congrès considère qu'il y a
des éléments suffisants à penser que le juge a
manqué à son serment177(*), il adopte un ensemble de recommandations
adressées à l'organe qui a procédé à sa
nomination pour qu'elle prenne des dispositions adéquates.
La composition de l'organe
judiciaire de la Cour spéciale respecte le double degré de
juridiction, notamment lors de l'exercice de ses fonctions judiciaires.
Certains observateurs178(*) ont tout de même déploré le
caractère interventionniste de la Haute chambre qui privilégiait
le modèle inquisitoire au détriment de l'accusatoire qui devait
servir de référence.
2. Des fonctions
articulées entre administration judiciaire et fonctions purement
juridictionnelles
Le principal rôle de
l'organe judiciaire est de juger les personnes qui sont traduites devant lui.
Pour atteindre cet objectif avec efficacité, il doit remplir des
fonctions administratives179(*), c'est-à-dire qu'il doit édicter des
règles qui encadrent tout le processus judiciaire. L'organe judiciaire
est donc responsable de la création d'un corpus de règles
d'administration interne (Statut CPI article 52), des règles relatives
à l'indépendance, à la récusation des juges et
à la nomination des greffiers. L'article 14 du statut de la Cour
spéciale stipule que les Règles de procédure et de preuve
du TPIR s'appliqueront mutatis mutandis et que les juges réunis
en congrès procèderont à l'amendement progressif180(*) de ce corpus juridique en
fonction des spécificités de la Cour et procéder à
l'adoption de nouvelles règles selon les nécessités
circonstancielles. Pour ce faire, ils devront s'inspirer des règles de
la loi de procédure criminelle de Sierra Leone de 1965. L'introduction d'une proposition d'amendement
appartient concurremment à un juge, le Procureur, le Greffier, le chef
du bureau de la défense, le barreau sierra léonais ou toute autre
personne mandatée par le président de la Cour181(*). L'amendement du 29 mai 2004
de la règle 6 prévoit que l'adoption d'une proposition
d'amendement peut se faire en assemblée plénière de la
Cour spéciale mais qu'elle pourrait aussi se faire par d'autres moyens
comme l'échange des lettres des juges. S'il y a unanimité,
l'amendement entrera en vigueur immédiatement après publication
par le greffe.
Les fonctions judiciaires ou
juridictionnelles de la Cour peuvent quant à elles être
exercées avant, pendant et après le procès. Bien que le
Procureur soit le responsable de la partie d'instruction, le juge valide
officiellement les actes d'inculpation et est emmené à produire
des actes afin de procéder les intérêts de la
défense et des victimes. Au vu de l'importance de ces décisions,
les institutions judiciaires internationales privilégient la
collégialité.
Selon le Statut du TPI, les juges
ne doivent pas intervenir avant le procès. Ils ne peuvent ni
vérifier, à la demande d'une partie intéressée, ou
de leur propre initiative, les actes du Procureur ou de lui demander de rendre
compte. Le juge ne peut intervenir que lorsque le procès a
commencé. Il peut alors récuser les preuves illégales
voire relâcher les inculpés quelles que soient les charges
retenues contre eux182(*). A contrario, la CPI prévoit
l'intervention de la chambre préliminaire avant l'ouverture de
l'enquête en travaillant avec le Procureur. La décision, a
priori discrétionnaire, du Procureur d'ouvrir une enquête ou
de poursuivre est soumise à l'autorisation de la Chambre
préliminaire. Ce contrôle s'exerce à la demande de l'Etat
qui a saisi la Cour ou du Conseil de sécurité183(*). La Chambre peut aussi
demander au Procureur ainsi que le stipulent les articles 15 § 4 et 57
§ 2 du statut de Rome et la règle 46 des RPP d'ouvrir une
enquête qui lui semble nécessaire à la manifestation de la
vérité. Plus, les actes du Procureur visant à la recherche
des preuves doivent préalablement être autorisés par les
juges de la Chambre préliminaire qui peut demander un sursis à
enquêter (article 18 § 6) et dans le cadre de l'enquête,
prendre des initiatives pour assurer, déjà à ce stade, le
respect des droits de la défense (art. 56). Enfin, le juge doit
vérifier si l'éventuelle décision du Procureur
d'abandonner les poursuites ou certains actes de procédure servent les
intérêts de la justice.
Au stade des poursuites, seul le
juge a compétence d'émettre des mandats d'arrêt, des
ordonnances de confirmation des inculpations en l'absence de
l'accusé184(*)
comme ça a été le cas pour tous les accusés de la
Cour spéciale avant la publication des inculpations. Cependant, les
audiences ou conférences préparatoires serviront à revenir
sur les différentes inculpations et permettront à tous les
accusés de contester les charges retenues contre eux et de
présenter les motions préliminaires que la Chambre d'appel
examinera avant l'ouverture du procès proprement dit.
Pendant le procès, la
chambre de jugement composé de trois juges veille au respect de
l'équité du procès, à la protection des victimes et
des témoins. Les juges délibèrent, fixent les peines et
assurent le respect des droits des victimes185(*) le cas échéant. Les dernières
fonctions juridictionnelles s'exercent au stade d'appel. Les décisions
des chambres de jugement sont connues en appel après les pourvois des
condamnés ou du Procureur. Il peut aussi avoir révision en cas de
constatation d'une erreur manifeste qui aura permis la condamnation fautive des
personnes mises en examen.
La Cour spéciale comme les
autres instances internationales ne disposent pas de véritables cours
d'appel, le double degré de juridiction est assuré au sein d'un
seul et même organisme. Il est donc nécessaire d'assurer
l'indépendance et l'étanchéité des deux chambres.
La Chambre d'appel doit s'abstenir, lorsque l'affaire est encore en examen
devant les chambres basses, de se saisir du dossier ou d'interférer dans
le cours de la justice. En vertu de la maxime « qui a jugé
ne peut rejuger » il est interdit aux juges de connaître
des dossiers qu'ils ont connu en première instance lorsque ceux-ci sont
entrain d'être examinés en appel.
Bien que les juges de l'organe
judiciaire exercent leurs fonctions en collaboration avec le Procureur, le
principe de séparation des autorités de poursuite et de jugement
reste consacré. La phase de jugement confiée à
l'administration des juges est précédée par une phase
déterminante dont s'occupe l'organe s'instruction et des poursuites.
B. Organe d'instruction et de poursuites
Le Procureur reçoit les
informations relatives aux crimes relevant de la compétence de la Cour,
conduit les enquêtes et soutient l'accusation devant l'organe
juridictionnel. Il jouit des immunités et des avantages liés
à l'exercice de ses fonctions. Le Procureur est la tête visible de
l'organe d'instruction au point où l'évocation des fonctions cet
organe ramènent souvent à la seule personne du Procureur.
Pourtant, l'organe de poursuites et d'instruction jouit d'une organisation
particulière (1) et a des attributions touchant aux droits et à
la liberté des personnes (2).
1. L'organisation
hiérarchique de l'organe d'instruction et de poursuites
L'organe d'instruction d'une
institution judiciaire internationale est organisé de manière
hiérarchique. Le procureur est à la tête et est
secondé par un vice-procureur qui doit être de nationalité
différente que lui (art. 42 § 2 du Statut de Rome, art. 13 § 3
Statut du TPIR). En ce qui concerne la Cour spéciale, le Procureur est
nommé, en vertu de l'article 15 du statut de la Cour spéciale par
le Secrétaire général des Nations unies pour un mandat de
trois ans renouvelables. Le Procureur doit jouir d'un très grand niveau
de compétence en matière de droit international des droits de
l'Homme et du droit international humanitaire et d'une expérience accrue
en ce qui concerne la conduite des opérations de poursuite et
d'instruction des affaires criminelles. Il est choisi parmi des personnes qui
font preuve d'une grande moralité et intégrité ; il
est indépendant des autres organes de la Cour, ne reçoit aucune
instructions des Nations unies, de son gouvernement d'origine ou de quel autre
gouvernement que ce soit. Le Procureur bénéficie des avantages et
immunités liées à l'exercice de ses fonctions. Par contre,
le Procureur adjoint quant à lui est nommé par le gouvernement de
Sierra Léone. Il seconde le Procureur dans ses fonctions et assure la
vacance en cas d'absence et d'incapacité et sous
délégation expresse de la part du Procureur186(*). Il jouit des mêmes
avantages et immunités que lui.
Le bureau du Procureur est
constitué d'un certain nombre d'experts et d'agents juridiques qui, en
raison de la diversité des crimes qui tombent sous la juridiction de la
Cour doivent détenir des compétences en matière du droit
international humanitaire et des droits de l'Homme, mais aussi des
procédures psychologiques de recueil des témoignages des enfants
et d'autres personnes victimes des crimes particuliers comme les violences
sexuelles. L'article 15 du statut de la Cour in fine donne comme
attributions au bureau du Procureur l'initiation des programmes de
réintégration et de réhabilitation des enfants. Cet
ensemble de fonctionnaires sont soumis aux mêmes exigences
d'indépendance que le Procureur et son adjoint187(*).
La Cour spéciale pour la
Sierra Léone a connu depuis 2002 trois procureurs successifs188(*). David CRANE, le tout
premier Procureur a été très efficace au lendemain de sa
nomination. Neuf mois après cette nomination, il produira ses sept
premières inculpations et aura parcouru le pays pour mener des campagnes
de sensibilisation des populations rurales sur son rôle et l'importance
que la poursuite des responsables des crimes de guerre représentait pour
la pérennité de la paix en Sierra Léone. Il était
secondé dans ses fonctions par Desmond De SILVA qui le remplacera au
bout de son premier mandat. M. De SILVA est un britannique inscrit au barreau
sierra léonais depuis 1968. Sa nomination par le gouvernement sierra
léonais a causé des remous au sein de la communauté des
juristes sierra léonais car le statut prévoir expressément
que le Procureur adjoint soit sierra léonais189(*). En 2003, le bureau du
Procureur comptait 65 agents dont les trois cinquièmes sont sierra
léonais190(*). Il
y avait des experts en droits de l'Homme et compte tenu du fait que le mariage
forcé était constitutif de crime de guerre, une section
spéciale était consacrée aux questions de crimes sexuels.
Le bureau du Procureur ne dispose pas d'agents de force suffisants pour
conduire l'arrestation des inculpés. L'assistance des membres de la
police civile de l'UNAMSIL, de la police nationale de Sierra Léone et
des autres Etats est nécessaire à la conduite de ces objectifs. A
cet effet, les officiers de la section de recherches de la police sierra
léonaise ont été particulièrement motivés
pour apporter leur soutien aux investigations du Procureur.
2. Attributions de l'organe
chargé de l'instruction et des poursuites
Les attributions de l'organe des
poursuites et de l'instruction sont principalement de rechercher les preuves
destinées à soutenir l'accusation devant l'audience de fond, la
présentation de ces preuves devant un juge impartial et les
réquisitions des peines. Selon la règle 39 (i) des RPP de la
Cour, le Procureur peut rechercher, procéder aux auditions et
interrogations des témoins et suspects. Les textes fondamentaux de la
Cour font du Procureur le responsable de la mise en place des mécanismes
de protection des victimes et surtout des témoins. Il devra alors
prendre, en relation avec l'organe d'administration judiciaire, des mesures de
désintéressement et de réinstallation à
l'étranger de ceux dont la sécurité serait menacée
pour leur témoignage devant la Cour. Il recherchera autant que possible
la coopération des Etats191(*) concernés, - en vertu de la
coopération judiciaire - ainsi que de tout organisme de
coopération policière internationale comme INTERPOL. Les mesures
d'enquête se font selon deux principales approches : l'approche
interventionniste et une autre plus respectueuse de la souveraineté des
Etats. Les TPI, conformément à l'application des pouvoirs
découlant du Chapitre VII de la Charte, agissent directement sans
autorisation étatique préalable ou de contrôle
juridictionnel. Il peut demander à l'organe juridictionnel de prendre
toutes les ordonnances utiles pour faciliter l'enquête.
Le Procureur jouit des pouvoirs
exorbitants en ce qui concerne les droits et surtout la liberté des
personnes soumises à l'enquête, notamment en ce qui concerne les
mesures provisoires. Il s'agit, selon la Règle 40 des RPP de la Cour
qu'en cas d'urgence, le Procureur peut demander à un Etat
d'arrêter et de placer en détention des personnes susceptibles
d'être suspectées, ceci conformément aux règles de
procédure de l'Etat en question. Il peut aussi demander au juge de
prononcer la mise en détention provisoire (règle 40 bis)
d'un suspect dans les cellules du tribunal. Le Procureur doit exercer ces
compétences touchant à la liberté des personnes
poursuivies en toute conformité avec les RPP car, selon les principes
d'Habeas Corpus, tout accusé qui serait détenu
irrégulièrement obtiendrait immédiatement sa
liberté dès que le juge reconnaîtra cette
illégalité, quelle que soit la gravité des faits retenus
contre lui. Par principe, le procureur bénéficie d'un pouvoir
illimité dans la recherche des preuves. Ce pouvoir doit rester dans une
éthique pour que les preuves recueillies soient validées par le
juge à l'audience. C'est-à-dire que la garantie judiciaire du
respect de l'intégrité de la preuve se fait a posteriori
par le juge qui écarte les preuves recueillies
irrégulièrement.
La réussite d'une juridiction pénale
dépend de la coordination entre les différents organes ses
rapports avec l'extérieur. C'est précisément ce dont doit
s'assurer l'Organe d'administration judiciaire.
C. Organe d'administration judiciaire
Il est chargé de
l'administration des organes de la juridiction. Il assure les tâches qui
incombent au greffe ordinaire, lesquelles tâches étant relatives
à l'exercice des droits et des intérêts des parties au
procès, la protection et l'assistance aux victimes et témoins et
enfin l'administration pénitentiaire. L'organe d'administration
judiciaire de la Cour spéciale est composée de deux sous-organes
placés sous l'autorité d'un Greffier (1) et exerce, en plus de
ses fonctions classiques, d'autres fonctions dites exceptionnelles (2).
1. Un organe placé sous
l'autorité d'un Greffier
Le Greffier est l'autorité
hiérarchique de l'Organe d'administration judiciaire et est nommé
par le Secrétaire général des Nations unies après
consultation du Président de la Cour spéciale (Règle 30
des RPP de la Cour spéciale et Statut TPIY article 17 § 3 et TPIR
article 16 § 3). Personne jouissant d'une haute intégrité,
il est assisté d'un adjoint dont la nomination obéit aux
mêmes conditions que les autres membres du staff. Les conditions de
révocation du Greffier sont les mêmes que celles des autres hautes
personnalités de la Cour, notamment, en cas de faute lourde et
d'incapacité. Pendant que les TPI et la Cour spéciale ne
prévoient rien en ce qui concerne la procédure de constatation de
ces manquements, l'article 46 § 1 et suivants du Statut de Rome
prévoit que ce soit l'Assemblée plénière des juges
qui soit compétente pour voter sur ces questions.
Depuis sa création, la Cour
spéciale a été administrée par deux
greffiers : le premier, Robin VINCENT nommé en juin 2002, a
particulièrement été efficace dans l'établissement
de la Cour. Cet ancien administrateur des juridictions pénales
britanniques, a su gérer les premiers problèmes d'infrastructure
et surtout de communication autour des activités de la Cour. Bien que les RPP de la Cour spéciale
(règle 34) ne prévoient que l'unité d'aide, de soutien et
d'assistance aux victimes et témoins, l'on peut tout de même lui
rattacher l'unité d'aide à la défense, organe
indispensable au fonctionnement d'une justice équitable et dont
l'administration dépend du greffe.
L'aide et l'assistance aux
victimes et témoins consiste à le mise sur pied d'un ensemble de
professionnels qui fourniront une assistance matérielle et psychologique
aux témoins et victimes qui auront accepté de participer au
processus judiciaire. La relocation à l'étranger et la protection
physique de ceux-ci occupent une place importante. Des accords avaient
été signés avec INTERPOL le 3 novembre 2003 et avec la
MINUSIL pour le détachement du personnel de sécurité et
des moyens logistiques pour la Cour. Ainsi, le transfert de TAYLOR de Monrovia
à Freetown, ainsi que le cours du procès ont été
efficacement protégés par la police de la mission.
L'unité d'aide à la
défense est quant à elle chargée de mettre à la
disposition des accusés sans moyens de se défendre une
équipe de conseils commis d'office qui sont salariés par la Cour,
conformément à le règle 45 des RPP de la Cour
spéciale192(*).
Pour accorder à un accusé le bénéfice de l'avocat
commis d'office, il faut prendre en compte les signes extérieurs de
richesse et l'estimation de sa fortune193(*). Les services du greffier fixent aussi les
honoraires des avocats et veillent à ce que ceux-ci ne cherchent pas
à se livrer à des manoeuvres ou incidents de procédure
affin d'avoir plus de rémunération. Bien que l'attribution d'un
conseil gratuit se fasse de manière discrétionnaire,
l'accusé qui s'est vu refuser cette facilité peut faire appel
devant le Président de la Cour dès après la
première audience194(*).
L'Organe d'administration
judiciaire de la Cour spéciale, pour sa composition inspiré des
autres instances pénales internationales mais a fait preuve d'une
certaine originalité dans la définition de ses attributions.
2. Attributions de l'Organe
d'administration judiciaire de la Cour spéciale.
L'Organe d'administration
judiciaire est la porte d'entrée et de sortie de la juridiction. Elle
est responsable des rapports entre la Cour et les autres entités
(juridictions nationales et internationales, autorités sierra
léonaises, organes des Nations unies et Etats tiers). C'est le lieu de
transit des mandats, ordonnances et décisions des Chambres de jugement
et d'Appel. Il coordonne avec les Etats les ordonnances d'arrestation, de
transfert des suspects et accusés ainsi que de l'exécution des
peines.
En plus de sa mission
diplomatique, le Greffe assure aussi les relations publiques de la Cour. Il
s'agit pour lui d'assurer la communication et la dissémination
d'information émanant des autres organes de la juridiction. La
publication des jugements et décisions, les communiqués de
presse, les lettres, etc. Dès les premiers jours de la Cour, et à
cause de la difficulté particulière que présentait la
cohabitation de la Cour spéciale avec la Commission vérité
et réconciliation, il était nécessaire pour éviter
la confusion au niveau des populations sierra léonaises de mettre sur
pied un programme de sensibilisation et d'information. La création d'une
chaine de radio, les voyages répétitifs du greffier et de
l'équipe de sensibilisation composée pour la plupart de nationaux
parlant les langues locales dans toutes les régions du pays pour
renseigner la population et éviter l'amalgame entre le mandat de la Cour
de celui de Commission.
La troisième tâche
dite classique qui incombe au greffe de la Cour concerne l'administration
pénitentiaire. La Cour dispose d'une prison moderne pour accueillir les
9 inculpés actuellement en procès. Il est alors sous la
responsabilité du greffe d'assurer que la détention se passe dans
de bonnes conditions. La restauration, le repos, les divertissements, les soins
de santé, les conditions d'hygiène et surtout les rapports entre
les détenus et leurs proches à l'extérieur doivent
être assurés. Ces exigences sont garanties par les visites du
Comité International de la Croix Rouge (CICR) et autres organisations de
défense des droits de l'Homme auxquelles se plient les autorités
de la Cour. Le Greffier de la Cour spéciale a essayé, pour
assurer un bon état de santé à l'accusé Foday
SANKOH, de conclure un accord avec le gouvernement Ghanéen pour lui
permettre de bénéficier d'une visite médicale dans les
hôpitaux d'Accra. Cette initiative a été infructueuse, les
ghanéens ne voulant pas recevoir un criminel de guerre sur leur
territoire.
La Cour spéciale, nous
l'avons dit plus haut est une juridiction indépendante
financièrement du budget des Nations unies. Son financement
dépend des contributions volontaires des Etats. Sans revenir sur les
avantages et inconvénients de ce procédé, il convient ici
de relever le rôle important que joue le greffe dans la recherche des
financements. Actif au comité de management de la Cour, il organise des
rencontres informelles entre les ambassadeurs des pays donateurs
présents à Freetown et a créé un réseau de
coopération avec les ONG internationales qui militent dans le domaine de
la justice internationale. La création d'une
cour hybride comme la Cour spéciale pour la Sierra Léone suppose
la prise en compte de plusieurs facteurs liés à l'harmonisation
des compétences relativement aux différentes familles juridiques
d'une part, et d'autre part, des éléments concernant la
participation du personnel national. Cependant, ces contingences ne doivent pas
ignorer le déroulement de la justice qui doit être respectueux du
modèle démocratique du procès pénal.
II. Le déroulement de la justice respectueux du
modèle démocratique du procès pénal
La Cour spéciale, comme les
autres juridictions pénales internationales (TPIR, TPIY et CPI)
privilégie un modèle mixte de procédure. Elle prend en
compte des éléments caractéristiques de la
procédure accusatoire qu'elle allie à ceux de la procédure
inquisitoire. Cette mixité se remarque à la phase
préalable au procès qui est plutôt de type inquisitoire (A)
et au procès proprement dit, qui lui, est de type accusatoire (B).
A. La phase préalable au procès : une
procédure inquisitoire dominée par le Procureur
Bien que la procédure
utilisée par les juridictions pénales internationales soit
dominée par les principes du Common Law, la phase de
l'enquête préalable est exclusivement confiée au Procureur
(1) et doit être clôturée par une instruction à
charge et à décharge (2).
1. Une enquête
préalable sous le contrôle exclusif du Procureur
La phase préalable au
procès peut être considérée comme le stade de la
procédure située entre l'inculpation et la première
comparution au procès de fond devant l'organe juridictionnel. C'est la
période où le dossier d'accusation est composé et
où le Procureur mène la plupart de ses enquêtes. Il est responsable des enquêtes et de
l'instruction des procès195(*). Il a un large pouvoir d'initiative et
d'appréciation, ce pouvoir n'a aucune limite : il ouvre
l'enquête, entreprend des mesures d'enquête et décide de la
poursuivre ou non les personnes qu'il soupçonne. Pour ouvrir
l'enquête, celui-ci doit vérifier s'il a en sa possession des
éléments suffisants lui permettant de soupçonner une
personne d'avoir participé à la commission des violations graves
des droits de l'Homme. Il n'appartient donc pas à la victime d'intenter
une action populaire pour attraire devant une juridiction toute personne
soupçonnée d'avoir commis des crimes de guerre, de même
qu'aucune autosaisie n'est possible de la part des juges de l'organe
judiciaire.
Les mesures d'enquête sont
de plusieurs ordres : ce sont des mesures attentatoires à la
liberté et à la vie privée des personnes ; il s'agit
de actions précises en vue de recueillir, obtenir ou conserver des
éléments de preuve qui serviront à démontrer la
responsabilité ou l'innocence de la personne poursuivie.
Traditionnellement, l'on distingue deux sortes d'approches en matière de
mesures d'enquête entreprises par les procureurs des institutions
pénales internationales : une approche interventionniste qui
consiste en une action directe du Procureur sans contrôle juridictionnel
ou autorisation étatique. C'est celle qui est utilisée par les
Tribunaux pour l'Ex-Yougoslavie et pour le Rwanda. La seconde approche quant
à elle est respectueuse de la souveraineté étatique, elle
s'inspire de la pratique de coopération judiciaire internationale. Elle
est utilisée par le Procureur de la CPI. La Cour spéciale quant
à elle opère une synthèse entre les deux approches,
c'est-à-dire que le Procureur, à travers l'Organe
d'administration judiciaire196(*) requiert la coopération des Etats (en
occurrence les Etats tiers) et des organismes de coopération
policière internationale (comme INTERPOL par exemple) en même
temps qu'utilise une approche interventionniste.
Les mesures d'enquête
proprement dites consistent, comme le prévoit la Règle 39 des RPP
de la Cour spéciale, en l'interrogatoire des suspects, l'audition des
témoins et des victimes, la collecte des preuves et la conduite des
investigations sur le site197(*). Il peut, dès qu'il juge nécessaire,
prendre des mesures nécessaires en vue de préserver
l'intégrité des personnes poursuivies et des preuves ; ces
mesures peuvent consister à demander à l'organe juridictionnel de
prendre toutes les ordonnances et mandats nécessaires à la
poursuite de son enquête. En ce qui concerne les mesures d'enquête
interventionnistes, la Cour siégeant in loco et jouissant d'une
supériorité sur les juridictions locales, les demandes du
Procureur doivent être traitées sans délai et les mandats
de la Cour exécutées avec le concours de l'Avocat
général près la Cour suprême de Sierra Léone.
Les mesures d'enquête sont prises sans contrôle juridictionnel
préalable.
La décision de mise en
détention provisoire des personnes soumises à l'enquête
peut être prise par le Procureur. A ce stade, elles
bénéficient des garanties fondamentales qui peuvent
s'élargir au fur et à mesure que leur inculpation et leur mise en
accusation se produisent. Pendant que les TPI ne se bornent qu'à la
prise en compte des droits des suspects et accusés, la Cour
spéciale et la CPI intègrent d'autres degrés de
protection. Il s'agit entre autres le droit pour les accusés à ne
pas être obligés de s'auto incriminer ou de s'avouer coupables, de
leur droit à ne pas être soumis à la menace, la moindre
coercition ni à la torture, aux traitements cruels inhumains ou
dégradants198(*),
de leur droit à être assistés d'un avocat de leur choix,
lequel avocat sera présent à chaque fois que le Procureur
décide de les entendre et enfin de leur droit d'être
assistés par in interprète gratuit199(*).
Conformément à la
Règle 40 (A) des RPP de la Cour spéciale, le Procureur peut, en
cas d'urgence, demander à un Etat de procéder à
l'arrestation d'un suspect et de le mettre en détention. Cette mise en
détention obéit à des règles très strictes.
Toute personne est privée de liberté si celle-ci peut lui servir
à empêcher la justice de suivre son cours. C'est-à-dire que
la mise en détention se justifie lorsque l'on craint raisonnablement que
le suspect puisse fuir, soustraire des éléments de preuve, faire
pression ou influencer les témoins. La demande de mise en
détention est adressée par le Procureur au juge compétent
dans un délai de dix jours après l'arrestation du suspect. Le
juge peut décider de ne pas mettre cette personne en détention
lorsqu'il juge que l'incarcération est inappropriée et si le
délai de dix jours est dépassé [Règle 40 (C)].
Lorsque le Procureur juge nécessaire de maintenir en détention
plus longtemps la personne suspectée et qu'il y a assez
d'éléments permettant sa mise en détention provisoire, le
Procureur fait la requête au juge de siège dans les 30 jours qui
suivent sa transmission au pénitencier de la Cour spéciale, ou
d'une autre prison agrée[Règle 40 bis (C)]. Si la
demande de mise en détention provisoire est accordée par le juge,
celle-ci ne peut excéder 90 jours. Passé ce délai, la
partie poursuivant décide, soit de libérer le suspect soit de
l'inculper définitivement. Après l'inculpation, l'accusé
est présenté aux juges pour l'audience de première
comparution, marquant ainsi le début de la seconde étape avant le
début de la procédure au fond.
La seconde phase de l'instruction
intervient après l'inculpation formelle de la personne
soupçonnée ; celle-ci quitte la position de simple
témoin ou de témoin assisté200(*) à celle
d'accusé ou de mise en examen. La personne mise en examen est
présentée dans les plus brefs délais devant le juge
compétent. Pendant cette audience, le juge vérifie que les droits
de l'accusé sont jusqu'à ce stade respectés et
procède à la lecture des chefs d'inculpation qui sont retenus
contre lui. Cette lecture doit être faite de telle sorte que
l'accusé comprenne de quoi il s'agit, c'est-à-dire que la
traduction doit être faite de manière instantanée lorsque
l'accusé ne comprend pas l'Anglais. L'accusé aura alors, la
possibilité de plaider « coupable » ou
« non coupable » pour chacun des chefs
d'accusation (Règle 61 iii). Le juge de fond demandera au Greffier de
fixer une date pour le procès dans le cas où l'accusé
plaide « non coupable ».
Si l'accusé plaide
« coupable », le juge doit s'assurer que cette
déclaration est éclairée, c'est à dire si
l'accusé a bien compris les faits qui lui étaient
reprochés et qu'il ait reçu préalablement le conseil de
son avocat. La déclaration doit être faite librement, sans aucune
contrainte et sans équivoque. La Chambre de jugement pourra alors, se
réunir et déterminer la recevabilité de cette
déclaration et le cas échéant, fixer une date pour le
prononcé de la sentence201(*).
L'ouverture de la phase
d'instruction se traduit juridiquement par une nouvelle garantie des droits de
la personne poursuivie et des obligations incombant au Procureur en ce qui
concerne la recherche et la transmission des preuves.
2. Une instruction
menée à charge et à décharge
Le degré de protection des
personnes en relation avec les juridictions pénales évolue au fur
et à mesure que l'étape des audiences au fond approche. En effet,
les personnes soumises à l'enquête ne disposent que des garanties
relatives à leur intégrité physique et ne disposent pas
généralement du droit à disposer d'un conseil. Cependant,
dès l'inculpation, chaque interrogatoire de l'accusé est
filmé et enregistré et ne peut se faire en l'absence de son
avocat202(*). La
Règle 43 des RPP de la Cour spéciale règlemente
strictement les interrogatoires : elle prévoit que le Procureur
doit impérativement avertir l'accusé que son interrogatoire est
filmé et enregistré (Règle 43 § 1), lui fournir une
copie de la cassette qui sera transcrite et dont l'original sera mis dans une
enveloppe scellée par le sceau du Procureur et sa signature
(Règle 43 § 2 et suivants).
Le système juridique du
Common Law, par son caractère accusatoire, ignore l'existence
d'un magistrat instructeur qui serait chargé de mener l'instruction
à charge et à décharge. Il appartient à chacune des
parties de réunir ses éléments de preuve pour les
présenter devant le juge en audience au fond. Toutefois, eu vu des
moyens considérables dont dispose le ministère public, il peut
lui arriver d'être en possession des éléments qui
pourraient servir à disculper l'accusé, ou du moins, pourraient
lui être d'un apport capital dans sa défense. Etant donné
que le système accusatoire s'apparente à un duel judiciaire entre
deux adversaires203(*),
l'on serait tenté de penser que le Procureur puisse opérer un tri
entre les éléments de preuves et ne conserver que celles qui
iront dans l'intérêt de ses arguments. A vrai dire, il n'en est rien, car, le Procureur a
l'obligation de transmettre tous les éléments de preuve en sa
possession aux avocats de la défense. La section 3 des RPP de la Cour
spéciale intitulée « Production of
Evidence » règlemente cette transmission du dossier qui
concerne aussi bien la partie défenderesse que la poursuivante.
En ce qui concerne le
Procureur204(*), il
doit, trente jours au moins avant la première audience, transmettre
à la partie adverse tous les actes, noms des témoins et copie des
documents qu'il compte utiliser. Pour toutes les autres preuves qui seront
recueillies après la première transmission, le Procureur a
l'obligation de les faire suivre pas plus tard que dans un délai de 60
jours avant l'ouverture de la prochaine audience. Dans le cas où
l'intervalle entre les audiences serait inférieur à ce
délai, le juge de fond décidera de fixer un délai
raisonnable pour que tous les éléments soient transmis par le
Procureur à la partie défenderesse. En ce qui concerne les
informations qui pourraient mettre en péril la sécurité de
l'Etat, l'intérêt d'autres enquêtes en cours ou tout
simplement l'intérêt général205(*), le juge siège
à huis clos sous la demande du Procureur pour maintenir ces
informations au secret.
Pour sa part, l'accusé a
l'obligation de transmettre au Procureur un dossier qui comporte tous les
éléments (témoins, preuves matérielles, documents,
etc.) qu'il compte présenter à l'audience de fond pour sa
défense206(*). Si
l'accusé, lors de la transmission de ce dossier au Procureur,
« omet » d'y inclure une ou plusieurs pièces, il ne
peut être empêché de les présenter devant la Cour.
Ensuite, les avocats de la défense doivent, dans un délai que les
RPP ne précisent pas [Règle 67 (C)], transmettre au Procureur un
« Defense Case Statement207(*) », document qui comporte qui
présente en termes généraux la défense de
l'accusé, l'indication des éléments de l'accusation qu'il
conteste et les raisons de cette contestation. Cette présentation
sommaire de la défense de l'accusé est nécessaire pour la
préparation des conférences préliminaires aux audiences et
à la transmission des documents à décharge par le
Procureur.
Les preuves à
décharge son transmises par le Procureur à la défense au
plus tard 14 jours après la réception du « Defense
Case Statement » ; il s'agit des éléments que
le procureur juge pertinents pour la présentation de la défense
de l'accusé (Règle 68), c'est-à-dire des
éléments à sa disposition et « dont il
estime qu'ils disculpent l'accusé ou tendent à le disculper ou
à atténuer sa culpabilité, ou sont de nature à
atténuer la crédibilité des éléments de
preuve à charge208(*) ». L'obligation permanente de
transmission des éléments de preuve n'est pas une obligation
synallagmatique209(*)
dont l'omission par l'une des parties déchargerait l'autre partie de les
remplir. Cette exigence pèse avec plus d'acuité sur le Procureur
qui doit transmettre les preuves y compris pour les audiences en appel et peut
jouer sur l'appréciation de la recevabilité de la preuve
concernée par le juge du fond210(*). Plus encore, la non transmission des
éléments de preuve qui s'avèrent cruciales pour la
disculpation de l'accusé peuvent conduire à la réouverture
du procès211(*).
Soumettre la pertinence ou la
nécessité d'une preuve pour l'accusé à
l'appréciation du Procureur pourrait être considéré
comme une rupture grave du principe de l'égalité des armes entre
les parties devant le juge. En effet, suspendre la présentation des
éléments de preuve à décharge à l'arbitraire
du Procureur est un risque de voir ce dernier retenir de manière
déloyale certaines preuves qui pourraient entraver le
développement de ses arguments devant la juridiction au fond. Il aurait
été plus judicieux pour les rédacteurs des RPP de la Cour
de prévoir une transmission complète de toutes les trouvailles du
Procureur à la partie défenderesse. L'on éviterait alors,
des omissions volontaires ou involontaires, de bonne ou de mauvaise foi du
Procureur qui ne serait pas en mesure de prévoir la stratégie de
la défense à la seule lecture du Defense Case Statement.
L'obligation de transmission
réciproque des preuves, témoins et autres moyens de
défense avant l'ouverture de l'audience est une expression de la
protection des droits de la défense et du principe de
l'égalité des armes, gages d'un procès
équilibré.
B. Une procédure accusatoire au fond et respectueuse
des droits de l'accusé
Le juge est le maître de
l'instance : c'est lui assure la sécurité et
l'intégrité du cours du procès. Pour ce faire, les textes
constitutifs des juridictions pénales internationales font de lui le
garant des droits de la défense (1) et l'arbitre impartial et
indépendant (2).
1. Les garanties des droits de
la défense
Les caractéristiques du
procès devant la Cour sont révélatrices des droits de la
défense. C'est-à-dire que c'est à travers le
caractère public, oral et contradictoire de la procédure que les
droits de la partie poursuivie trouvent toute leur expression. L'article 17 du
statut de la Cour spéciale présente de manière
détaillé ce quelle entend par The Rights of the Accused.
Il s'agit, pour les droits les plus pertinents du droit à
l'égalité et à la présomption d'innocence, du droit
à l'information et à l'examen équitable de sa cause.
· Le droit
à l'égalité et à la présomption
d'innocence : il s'agit de n'accorder aucun privilège
à un accusé par rapport aux autres. Les juges doivent tous les
traiter de façon équitable, leur accorder les mêmes droits
et attendre d'eux les mêmes obligations présentes dans les Statuts
et les RPP de la Cour. Le droit à la présomption d'innocence est
affirmé par l'article 11 de la déclaration universelle des droits
de l'homme qui stipule : « toute personne accusée
d'un acte délictueux est présumée innocente jusqu'à
ce que sa culpabilité ait été légalement
établie au cours d'un procès public où toutes les
garanties nécessaires à sa défense lui auront
été assurées » et réaffirmé
par le pacte international des droits civils et politiques (art 14 § 2).
Cette exigence veut que l'accusé soit traité de manière
à ce que rien ne puisse préjuger de sa culpabilité ;
il est donc nécessaire de procéder à une gradation
précise de statuts évoquée au stade de la procédure
d'enquête et d'instruction.
· Le droit
d'être pleinement informé : c'est le premier
des droits opposables devant une juridiction. L'accusé a le droit de
savoir ce qui lui est reproché, de connaître et de comprendre ce
qui justifie sa mise en accusation. C'est la condition sine qua none
du respect des autres doits de la défense car si l'on ne sait pas
ce qui fait l'objet de l'accusation, l'on n'est pas en mesure de se
défendre convenablement. Ce droit est consacré par la plupart des
textes internationaux relatifs aux droits de l'Homme212(*) et les juridictions
pénales internationales. Les TPI213(*) prévoient qu'une personne inculpée
doit « être informée dans le plus court
délai, dans une langue qu'elle comprend et de façon
détaillée, de la nature et des motifs de l'accusation
portée contre elle ».
Il ressort donc de toutes ces
dispositions que l'accusé doit être confronté aux
faits qui lui sont reprochés, et pour ce faire, il a droit à la
compréhension. La différence linguistique doit être
surmontée par la mise à disposition d'un traducteur, d'un
transcripteur en braille ou d'un interprète en langage des signes le cas
échéant. Bien que le Statut de Rome ne prévoie aucune
prescription en ce qui concerne l'information de l'accusé, l'article 3
des RPP des TPI et surtout, en ce qui concerne la Cour spéciale, la
règle 3 règlementent la garantie du droit à la
compréhension de l'accusé. L'interprète doit être
gratuit, les éléments de preuves soumis doivent lui être
traduits en sa langue, si elle est différente de l'Anglais. Le Greffe de
la Cour spéciale a mis à disposition des accusés devant la
Cour d'interprètes capables de traduire simultanément de
l'Anglais aux langues nationales. Ces interprètes ont été
nécessaires pour les auditions des témoins et victimes, car, tous
les accusés maîtrisent la langue officielle de la Cour.
Une fois que l'accusé est
entré en possession des éléments qui lui sont
reprochés et des arguments et preuves que le Procureur compte utiliser
contre lui, l'accusé doit pouvoir disposer du temps nécessaire
à la préparation de sa défense. C'est pourquoi, les
éléments de preuve sont transmis soit 14, 30 ou 60 jours, selon
les cas, avant l'ouverture du procès (Règle 66 des RPP de la Cour
spéciale).
· Le droit de
présenter une défense : il se
révèle dans le caractère oral, public et contradictoire de
l'audience au fond. L'accusé a le droit que sa cause soit entendue
publiquement ; cette publicité n'est pas seulement un droit pour
l'accusé, c'est aussi un droit pour la communauté internationale
d'être informée des poursuites engagées devant la Cour
(Affaire TADIC), d'en comprendre le travail et la réalisation
du mandat. La publicité des débats est une garantie pour
l'accusé contre les abus de la justice et sert à protéger
les droits, intérêt, sécurité et dignité des
victimes et témoins. Ainsi, le huis clos est requis lorsque
l'on a affaire à des victimes de crimes sexuels ou des mineurs214(*).
· Le droit de
subir une peine juste et équitable, arrivant à la
fin du procès a aussi un double avantage, pour les victimes et les
personnes poursuivies. Une fois le procès au fond arrivé à
son terme, les collectivités auront profité de la
dénonciation des accusés et des crimes qu'ils ont commis, de les
punir et de dissuader ainsi les personnes qui seront tentées de troubler
la paix sociale. La peine doit être exemplaire et respecter les
règles de justice et d'équité pour le condamné. Celui-ci doit bénéficier d'une peine
juste, proportionnée et obtenue selon une procédure
équitable. Les juridictions pénales internationales n'ont pas
prévu de gradation de peines dans leurs textes fondateurs, encore moins
en ce qui concerne les textes relatifs aux violations graves des droits de
l'Homme215(*). Le
principe de légalité des peines prévu dans la plupart des
textes pertinents en matière des droits de l'Homme216(*) est respecté et,
comme le prévoit l'article 19 du Statut de la Cour, doit être
inspirée de celui des TPI. La règle 101 des RPP de la
Cour217(*)
prévoit que « les personnes reconnues coupables devant la
Cour seront condamnées à des peines d'emprisonnement pour un
nombre d'années spécifiques, à l'exception des
mineurs ».
Cette règle suppose donc
que les condamnées ne peuvent subir qu'une peine de prison
limitée dans le temps, excluant ainsi la peine de mort ou
l'emprisonnement à vie. Autre élément important,
l'exclusion des peines d'emprisonnement contre les mineurs dans le cas
où leur culpabilité serait établie.
· Une fois sa
culpabilité reconnue et la peine infligée, la garantie du droit
du condamné à l'exercice d'un recours ou le
droit à ce que la décision le concernant soit
réexaminée en appel rentre en force. Il s'agit pour
lui de demander à ce que la Chambre d'appel réexamine la
décision de la Chambre de première instance s'il a des
sérieuses raisons de croire qu'il y a eu « une erreur
procédurale, une erreur de droit déterminante ou une erreur de
fait (...)218(*) » déterminante dans le
rendu de la décision qui lui porte grief. Le procès est alors
réexaminé dans son ensemble, les conférences
préparatoires (règle 109), les preuves additives (règle
115) et les mesures d'enregistrement du procès sont
réactivées. Lorsque de nouveaux
éléments inconnus pendant l'examen de l'affaire au fond (en
première et seconde instance) et que leur connaissance auraient
considérablement influencé la décision rendue par les
juges et dans un délai de 12 mois, le Procureur peut introduire une
requête en révision auprès de la Cour (règle 120 RPP
de la Cour spéciale).
Le juge est garant du respect des
droits de la personne poursuivie, laquelle mission trouve son expression la pus
large, selon les règles de procédure du Common Law,
au stade de l'examen de l'affaire au fond.
2. Le juge : un
témoin actif, impartial et indépendant
Nous l'avons dit, le procès
au fond s'apparente à un duel judiciaire réglé devant le
juge qui arbitre les débats. C'est lui le maître de l'instance,
l'administrateur de la preuve et le garant du respect de la procédure.
En premier lieu, la maîtrise de l'instance se
caractérise par la protection du cours de la justice. Le juge a en effet
le pouvoir de sanctionner toute conduite qui obstrue le cours de la justice.
Cette protection se fait à la fois in facie,
c'est-à-dire dans le prétoire ou ex facie, à
l'extérieur de la Cour219(*). L'outrage à la Cour peut se manifester par
la manipulation, l'intimidation, le harcèlement, l'agression ou la
corruption des témoins, la présentation de la version des faits
que le conseil savait fausse ou d'utiliser tous les moyens lui permettant
d'agir « de façon scrupuleuse pour faire gagner à
tout prix son client220(*) ». Le juge de la Cour
spéciale sanctionne tous les témoins qui refusent de
répondre aux questions, toutes les personnes qui refusent de
procéder à l'exécution des mandats de la Cour ou de
transmettre les informations et documents demandés par la Cour. Le refus
de se présenter au procès après convocation ou assister un
accusé dans son évasion ou sa cavale sont également punis
par les juges.
La règle 77 (C) de la Cour
spéciale édicte la procédure à suivre lorsque le
juge constate un outrage à la Cour. Il peut donc gérer le
problème lui-même, en référer aux autorités
compétentes de la Sierra Léone pour qu'elles prennent les mesures
répressives à l'encontre des responsables ou nommer un expert
indépendant qui mènera des enquêtes sur le sujet. Si les éléments de preuve constitutifs
de l'outrage à la Cour sont suffisants, le juge peut ouvrir in
procès à juge unique où toutes les Règles de
procédure et de preuve s'appliquent. La protection du cours de la
justice se fait aussi par la dissuasion que la sévérité
des sanctions présente. Les personnes encourent les peines pouvant aller
jusqu'à 6 mois de prison et 2 millions de leones (environ 600 €),
voire l'exclusion de l'équipe de la défense de la Cour lorsqu'il
s'agit d'un avocat.
En second lieu, le juge a la
responsabilité de protéger le caractère équitable e
la justice : c'est en cela que la garantie des droits de l'accusée
est assurée. Il doit veiller à ce que l'accusé soit
représenté et que le Procureur n'use pas de moyens abusifs qui
pourraient pousser l'accusé à s'auto incriminer. Le juge est le
garant du principe de l'égalité des armes, c'est-à-dire
qu'il intervient activement dans la production des preuves par les parties. Il
jouit de toute l'autorité nécessaire pour invalider les preuves
obtenues par des moyens illégaux, procède à des appels
à témoins et surtout ordonner la recherche des preuves
supplémentaires. Il s'assure aussi que les accusés comprennent
bien les faits qui leur sont reprochés et peut même aller contre
la volonté d'un accusé de plaider coupable. En effet, les RPP des
TPI (article 98) prévoient que le juge, dès qu'il
considère qu'un procès au fond, c'est-à-dire une
présentation plus complète des faits peut servir les
intérêts de la justice, ordonner au Greffier de fixer une date
pour le procès normal même si l'accusé a plaidé
coupable.
Le fonctionnement de la Cour,
respectueuse des standards internationaux du procès équitable est
un gage essentiel pour la recherche et le jugement de tous ceux qui
« portent la plus grande responsabilité ».
Section 2 : Juger ceux qui « portent la plus
grande responsabilité »
L'élément qui
caractérise le mieux la justice transitionnelle et la différencie
des autres types de justice plus classique est le compromis dont elle fait
preuve. Mettre en oeuvre les mécanismes de justice transitionnelle, plus
encore lorsqu'il s'agit des poursuites pénales nécessite de
prendre en compte les buts ultimes qui sont : la prévention
d'autres violations graves des droits de l'Homme dans le futur et la
construction d'une société paisible et respectueuse du droit. En ce qui concerne la Sierra Léone, il
était important de réserver le processus de répression
pénale à un nombre restreint de personnes en se concentrant sur
ceux qui sont le plus responsables des violations des droits de l'homme. Si
cette restriction vise à concilier justice et paix (I), la
définition des faits tombant sous la juridiction de la Cour devrait
être rigoureuse (II).
I. Une restriction
pour concilier justice et paix
La conciliation de la justice et
de la paix passe dans un premier temps par la définition de la notion de
plus grande responsabilité (A) et de la restriction des mesures
d'amnistie (B).
A. Notion de plus grande responsabilité
Lors de l'adoption des Statut de
la Cour spéciale, il y a eu un débat très important autour
de deux terminologies : « la plus grande
responsabilité » et « les plus
responsables221(*) ». Ces débats auront permis de
définir la responsabilité en fonction de la position qu'ils ont
occupée (1) avec tout de même une nuance pour les enfants soldats
(2).
1. La position occupée
par le poursuivi
La droit pénal, et plus
encore au niveau international a pour but d'établir les
responsabilités individuelles. L'application du principe
d'individualisation des peines et des situations nécessite une
définition des grandes responsabilités des personnes ayant
participé au conflit. Si l'on se réfère aux textes
d'inculpation des accusés devant la Cour, l'on remarque qu'en l'absence
de jurisprudence en la matière, le Procureur s'est inspiré de
celle des Tribunaux pénaux pour l'Ex-Yougoslavie et le Rwanda. La plus
grande responsabilité peut donc se définir à deux points
de vue : pour ses actes personnels en vertu de la position
hiérarchique occupée dans le groupe armé d'une part, et
d'autre part, pour les faits commis par les subordonnées. C'est donc la
responsabilité pour ses faits personnels et la responsabilité
pour ceux des tiers.
La responsabilité
pénale pour ses fait personnels est en ce qui concerne les
inculpés devant la Cour spéciale est déterminée de
prime abord par le fait qu'ils ont occupé une position leur permettant
d'exercer un contrôle sur les hommes et les opérations militaires.
Le Statut de la Cour spéciale précise que, sont notamment
responsables ceux qui »planned, instigated, ordered, committed or
otherwise aided and abetted in the planning, preparation or execution of a
crime222(*)»
Sam Hinga NORMAN était pendant le conflit armé le
Coordinateur national des activités de la CDF. Il a joué un
rôle important dans leur mise en place, la direction, le ravitaillement
et surtout la définition des stratégies de guerre. La direction
se remarque par le pouvoir effectif ou apparent que les personnes
incriminées ont eu sur les hommes ; l'on retient notamment la
capacité de donner des ordres, de recevoir des rapports, y compris les
rôles de recrutement et d'instruction. En ce qui concerne les CDF, Allieu
KONDEWA en plus de ses fonctions de chef de faction, en était le
principal instructeur. C'est lui qui décidait des programmes et des
techniques à enseigner aux nouveaux soldats, procédait à
leur initiation et décidait s'ils étaient aptes à
posséder une arme ou pas. Être responsable de ses propres actes
réside aussi dans le pouvoir que l'on a à diriger effectivement
les opérations militaires. Moinina FOFANA s'occupait de ces missions
pour le compte des CDF ; en sa qualité de Coordonateur national
adjoint et chef de la stratégie militaire, c'est lui qui décidait
en collaboration avec Hinga NORMAN de l'opportunité des attaques et des
opérations qu'il fallait mener.
Pour ne retenir que deux des
opérations les plus sanglantes des membres du RUF, il est clairement
établit que Foday SANKOH a initié l'opération Stop
Elections en ordonnant à ses partisans de trancher les bras des
populations civiles affin de les empêcher d'aller voter. Les
rétributions des enfants soldats étaient proportionnelles au
nombre de bras et de mains coupés223(*). L'objectif affiché était de chercher
à empêcher les électeurs d'accomplir leur devoir de
citoyen, l'ordre de déclencher cette opération émanait
directement de SANKOH selon qui les élections ne pouvaient se tenir dans
les conditions de l'époque. Il imputait même la
responsabilité de ces faits au Gouvernement. L'opération No
Living Thing quant à elle a causé des milliers de morts dans
la ville de Freetown et sa banlieue. L'objectif de Sam BOCKARIE était de
faire pression sur le Gouvernement pour qu'il exige la remise en liberté
de leur chef incarcéré au Nigéria. Des ordres
précis on été donnés aux combattants pour
terroriser la population et les empêcher ainsi de collaborer avec le
gouvernement par la suite.
L'excuse du commandement de
l'autorité supérieure n'est pas ici recevable car les personnes
poursuivies n'ont pas le droit d'exécuter un acte manifestement
illégal. S'il est tout de même établit que les crimes
contre l'humanité ont été commis en exécution des
ordres d'un supérieur, les Statuts de la Cour spéciale
préconise la prise en compte de cette donnée dans le calcul de la
peine en déterminant le seuil de responsabilité de chacun dans
les opérations incriminées224(*).
L'on peut aussi être
responsable des atrocités commises dans le cadre d'un conflit
armé si l'on a participé au financement et a tiré des
profits considérables dans les opérations militaires
incriminées. Les leaders du RUF avaient pour principal but d'avoir un
contrôle effectif sur le territoire sierra léonais, surtout les
zones diamantifères. Pour ce faire, Foday SANKOH avec ses lieutenants et
alliés avaient prévu un contrôle sur les populations par
des actes de terreur systématiques. Charles TAYLOR est celui qui a le
plus profité des fruits financiers des opérations militaires du
RUF et plus tard de la junte AFRC/RUF. Il a été avec le soutien
la Côte d'Ivoire et du Burkina Faso225(*), à l'origine du RUF qu'il a financé
en échange des retombées financières en matière de
trafic de diamants principalement.
La responsabilité pour le
fait des tiers se caractérise par les propres omissions des
inculpés. Porter la plus grande responsabilité consiste ici
à avoir été au courant des agissements de ses
subordonnées, les a encouragés ou n'a pas pris des mesures
adéquates pour les réprimer ou les faire cesser226(*). Au début de leurs
opérations, les membres de la CDF respectaient les règles
minimales de protection des populations civiles. Cependant, lorsqu'ils
s'éloignaient de leurs régions d'origine, ils devenaient de plus
en plus incontrôlables et commettaient des atrocités. Les leaders
de ce groupe armé comme ceux des autres groupes ne sauraient
s'exonérer car ils étaient forcément au courant des
agissements de leurs subordonnées et n'ont pas pris les mesures
adéquates pour les prévenir, les faire cesser ou même pour
punir ceux qui en sont responsables. Ceux qui occupent des fonctions
supérieures dans les forces armées ont des obligations de
contrôle des personnes placées sous leur commandement. Ils sont,
aux termes de l'article 87 du Protocole additionnel I aux Conventions de
Genève, tenus de punir les responsables des crimes ou à
défaut de les dénoncer auprès de leur hiérarchie.
Les responsables doivent s'assurer aussi, pour la prévention des crimes
de guerre que leurs subalternes connaissent les règles minimales de
protection des populations civiles.
La Cour spéciale a
été chargée de poursuivre ceux qui portent « la
plus grande responsabilité » des crimes de guerre. Cette
responsabilité se détermine en fonction du rôle que l'on a
joué et du rang occupé dans le groupe. Quelles sont les
dispositions à prendre lorsque ceux qui portent la plus grande
responsabilité sont des enfants ou ont été contraints
comme les bush followers ?
2. Cas des enfants et des
« bush followers »
La guerre civile en Sierra
Léone a eu la triste particularité de compter aux cotés
des d'adultes un grand nombre de combattants à peine sortis de
l'enfance. Ces enfants-soldats étaient pour la plupart enlevés et
forcés de combattre après avoir été drogués
et formés à l'usage des armes. Les filles s'occupaient des petits
travaux domestiques, servaient de porteuse, d'esclaves sexuelles et
combattaient aussi au front. Les enfants-soldats étaient
réputés pour leur zèle et leur cruauté ; la
marge la plus importante des crimes graves commis pendant le conflit porte leur
signature. Dans un processus de répression pénale des crimes de
guerre, de telles particularités doivent être prises en compte.
Les enfants sont-ils responsables des crimes qu'ils ont commis ? Si oui,
quel processus doit-on les faire suivre pour assumer cette lourde
responsabilité ?
Drogués, violés,
forcés de combattre, les child soldiers et les bush
followers227(*) se
sont rendus responsables des pires atrocités que le pays ait connues.
Toutes les factions (couple RUF/AFRC et CDF) disposaient d'unités
d'enfants soldats et dirigées par des enfants. L'irresponsabilité
des enfants soldats est le principe posé par l'article 7 su statut de la
Cour pour assumer leur participation à la commission des
atrocités, le but étant de poursuivre « ceux qui
portent la plus grande responsabilité ». Quel serait
alors le régime applicable si un mineur de 15-18 ans porte la plus
grande responsabilité ?
Avant d'analyser la solution
finalement adoptée par la Cour, il convient de présenter deux
points de vue contradictoires qui veulent pour l'un que les enfants soient
responsables des crimes de guerre et punis comme tels et pour l'autre qui ne
voit en ceux-ci que des victimes du conflit. La première
thèse228(*) est
celle partagée par de nombreuses victimes du génocide
rwandais229(*) soutient
que, l'âge de l'inculpé ne doit pas le rendre irresponsable.
L'élément à prendre en compte est la capacité du
mineur à appréhender les situations, car, si un enfant
était capable de tuer, de faire une distinction entre deux groupes
ethniques, de décider qui était Hutu modéré ou pas,
était en mesure de commettre un crime sur ces bases, il n'y a aucune
raison de considérer cet enfant autrement qu'un adulte. Il est d'opinion
générale que la punition des enfants qui ont participé
à une guerre et qui ont commis des atrocités devrait être
complète et épouser les mêmes contours que celle des
adultes.
La seconde, quant à elle,
plaide pour une irresponsabilité pénale
généralisée. Les enfants sont considérés
avant tout comme les victimes de leur enrôleur, le droit international
interdisant le recrutement d'enfants soldats, même sur des bases
volontaires. Ensuite, la notion de « la plus grande
responsabilité » écarte les poursuites contre les
enfants soldats car la responsabilité de leurs actions sera couverte par
celle de leurs leaders. De plus, les enfants bénéficient d'une
présomption d'incapacité en ce qui concerne l'intention
criminelle. En effet, de par leur jeune âge, ils sont plus
influençables et ne prennent généralement pas la pleine
mesure de l'acte qu'ils ont accompli, la guerre étant pour eux la seule
activité, toutes les attaches sociales étant dissoutes230(*). En dernier lieu, la plupart
d'enfants soldats, ont tué sous la menace ou l'emprise de la drogue,
élément qui ne pourrait être examiné qu'en Cour,
c'est-à-dire une fois que les poursuites ont été
engagées.
La Cour spéciale a quant
à elle prévu l'irresponsabilité des enfants pour les
crimes qu'ils ont commis avant l'âge de 15 ans (art. 7 § 1). Cet
âge est considéré comme le seuil de maturité, celui
où les enfants n'ont pas encore les outils nécessaires pour faire
la distinction entre le bien et le mal. L'ouverture des poursuites contre les
mineurs âgés de 15 à 18 ans est laissée, comme c'est
aussi le cas du TPIR et du TPIY, à la discrétion du Procureur. Le
Secrétaire général des Nations unies a indiqué dans
ce cas que ces poursuites ne se tiendraient que dans des cas exceptionnels. Il
a demandé au Conseil de sécurité de définir
clairement sa position sur les poursuites des enfants soldats mais celle-ci n'a
pas pu trouver de réponse.
Comme l'article 3 de la Convention
internationale relative aux droits de l'enfant (CIDE), l'article 7 du Statut de
la Cour spéciale prévoit la prise en compte des
intérêts de l'enfant tout au long du processus judiciaire, si le
Procureur décidait malgré tout de les poursuivre. L'adaptation
des principes du droit pénal aux spécificités de l'enfant
requiert la prise en compte du besoin de réintégration,
conformément au droit international pertinent en la matière (art.
7 § 1 in fine). La CIDE prévoit notamment, qu'en plus des
standards internationaux (art. 14 du PIDCP), les mineurs doivent être
traités avec dignité et respect pendant le procès tenu
à huis clos. La secret couvre aussi toutes les autres
informations comme l'identité des défendeurs car les effets d'une
publicité réduisent leurs chances de réinsertion dans la
société après même que la peine eût
été purgée.
C'est donc créer un
procès spécial adapté aux enfants. Les Règles de
Beijing, adoptées dans le cadre de la CIDE précisent les
conditions de prise en compte de la responsabilité pénale des
mineurs. La préoccupation première étant la sauvegarde des
intérêts de l'enfant, le but des poursuites judiciaire à
leur égard doit être moins la volonté de répression
que l'objectif de réintégration de ceux-ci dans leur milieu
social d'origine. Il est important, le Statut de la Cour le souligne, que le
procès ne conduise pas, comme c'est le cas des accusés adultes
à une condamnation comprenant une peine de prison. Des mesures de
redressement dont le suivi psychologique par une association ou un organisme
approprié, le service communautaire, les travaux d'intérêt
général ainsi que les programmes de DDR231(*).
L'application d'une mesure de
redressement pour des enfants mineurs ne peut se faire que dans un cadre
approprié. La rétention des mineurs en centre fermé ne
pourra être décidée que dans des circonstances
extrêmement strictes, à l'écart des adultes et dans des
conditions où des relations soient maintenues avec le milieu
extérieur. Nous l'avons dit, la
procédure sommairement mentionné ci-dessus ne concerne que les
enfants qui auraient pu supporter la plus grande responsabilité dans les
crimes et auraient éventuellement pu être poursuivis. Comme le
Procureur n'a décidé aucune poursuite, c'est à la justice
réparatrice de se charger de la prise en charge de la
responsabilité de ces enfants en les réintégrant dans le
tissu social.
Les poursuites pénales ont
été rendues possibles par un principe international
d'imprescriptibilité et de non amnistie. Pourtant, une loi d'amnistie
avait été adoptée en 1999 pour mettre fin au conflit. Il
est donc nécessaire d'en mesurer la portée.
B. L'amnistie, mesure nécessaire au
rétablissement de la paix
L'amnistie est le synonyme du
pardon légal, il s'agit d'octroyer l'impunité des poursuites
pénales contre des personnes ayant commis des infractions. Elle se fait
généralement par une loi. En ce qui concerne les situations de
justice transitionnelle, il est important de fixer des conditions
limitées à l'amnistie (1) pour laisser la porte ouverte à
des poursuites pénales le moment propice (2).
1. Les conditions strictes
d'amnistie.
L'amnistie a longtemps
été utilisée dans les négociations comme un moyen
d'obtenir un cessez-le-feu ou la fin d'un régime oppresseur. Au Chili ou
en Argentine, le départ des militaires du pouvoir a été
obtenu par l'assurance que le Parlement allait voter une loi d'amnistie. La principale raison des avancés des accords
de Lomé était le compromis trouvé par le président
EYADEMA. Il s'agissait d'octroyer une amnistie à tous les protagonistes
du conflit leur permettant de rendre les armes et de participer à la
gestion du pouvoir. Cet accord, le plus décrié est
révélateur de la controverse qui entoure la question de
l'amnistie. Deux idées principales se dégagent des
débats : la première, celle qui a longtemps prévalu,
soutient que l'amnistie est un moindre mal si elle vise l'objectif d'obtenir la
cessation des hostilités. La seconde idée quant à elle,
considère que le droit des victimes à obtenir la condamnation de
leurs bourreaux est un impératif supérieur qui ne saurait
être éludé.
Dans tous les cas, l'effet de
l'amnistie est l'effacement de toute possibilité de poursuites
pénales et la réhabilitation des coupables des personnes ayant
violé une disposition pénale. Traditionnellement, le principal
objectif de l'amnistie est la recherche de la paix sociale en prescrivant
l'oubli des crimes passés pour construire le vivre ensemble commun.
L'amnistie peut être individuelle, c'est-à-dire qu'elle vise une
personne et des faits précis. Celle-ci est très rarement
utilisée dans le cadre de conclusion d'un processus de paix. Elle peut
aussi et surtout être collective, concernant surtout des personnes qui,
avec un dessein commun ou non, ont participé à certains
évènements. Il n'y a donc pas de poursuite pénale
possible, il y a total oubli - du moins au niveau du droit - des actes
amnistiés, quelle que soit leur gravité.
Contrairement à d'autres
types de mécanisme d'impunité, l'amnistie est plus solennelle.
Elle est en effet adoptée par le Parlement, ce qui lui donne une
certaine force car, c'est au moyen d'une future loi qu'il faudra l'abolir, ce
qui n'est pas aussi évident. Cette politisation de la justice
pénale est perçue comme un encouragement à
l'impunité, car est en contradiction avec les obligations positives des
Etats de poursuivre les personnes responsables des violations graves des droits
de l'homme. Cette impunité peut aussi être perçue comme
l'incitation à la commission d'autres infractions pénales, le
sentiment d'impunité pouvant être véhiculé dans
l'esprit de la loi.
L'amnistie peut aller contre les
objectifs de réconciliation qu'elle vise prétendument. En effet,
c'est une violation du droit des victimes à être reconnues comme
telles et à prétendre à une réparation. Elles ne
peuvent plus poursuivre les personnes responsables des violations graves des
droits de l'Homme qu'elles ont subies et obtenir la justice pour leurs
souffrances. Tant que ce sentiment prévaudra, les victimes resteront
repliées dans une rancoeur peu propice à la reconstruction
sociale.
Le droit international ne
règle pas directement la question de l'amnistie. Il est question, dans
la plupart de textes internationaux, de rappeler et de privilégier les
obligations de poursuivre les auteurs d'abus graves des droits de l'homme. Ces
obligations consistent en l'adoption des mesures législatives en vue de
prévenir les violations de les punir pénalement ou d'extrader les
personnes suspectes vers les juridictions - nationales ou internationales-
compétentes pour les juger. Tout de même, deux déclarations
de l'Assemblée générale des Nations unies prévoient
l'inefficacité de l'amnistie. Les principes relatifs à la
prévention efficace des exécutions extrajudiciaires, arbitraires
et sommaires et aux moyens d'enquêter efficacement sur ces
exécutions prévoient au paragraphe 18 qu'une
« immunité générale ne pourra exempter de
poursuites toute personne présumée impliquée dans des
exécutions extrajudiciaires arbitraires ou sommaires ».
L'amnistie et la justice ne sont
pas totalement incompatibles. Souvent même, la carte de l'amnistie est
utilisée comme préalable à la recherche des objectifs de
justice et de vérité. L'Afrique du Sud est un cas particulier de
combinaison des objectifs de réconciliation, de paix et de justice. La
Commission Vérité et Réconciliation n'accordait l'amnistie
aux responsables des crimes du régime d'apartheid que lorsque ceux-ci
coopéraient pleinement avec elle. L'objectif était de rechercher
la vérité à ces victimes qui exprimaient le désir
de pardonner sans savoir à qui adresser leur pardon232(*) et ne cherchaient
après tout qu'à retrouver des informations sur ce qui
était advenu de leurs proches disparus.
L'octroi de l'amnistie ne doit
donc se faire que de manière alternative. C'est-à-dire que le but
principal ne doit pas être la recherche de l'impunité des
différents acteurs. Elle ne doit intervenir qu'en complément des
autres outils comme les poursuites pénales, la recherche de la
vérité et la réparation. Il est nécessaire de faire
le moins de concessions possibles en délimitant strictement le domaine
que couvrira l'amnistie. Il s'agit des crimes amnistiables, des personnes qui
pouvant en bénéficier, de la période couverte et de la
procédure à suivre pour l'obtenir. L'amnistie viendra toujours en
contrepartie d'éléments nécessaires à la recherche
de la vérité et de la justice. Il sera par exemple question des
informations sur les fosses communes ou les personnes portées disparues
ainsi que le dépôt des armes par exemple. L'on prendra aussi en
compte les particularités des crimes internationaux qui sont
insusceptibles d'être amnistiés233(*). Enfin, une possibilité doit aussi être
laissée à des poursuites postérieures en
définissant des conditions souples de révocation de la Loi ou en
délimitant l'espace temporel de manière limitée.
Les intérêts des
victimes doivent être pris en compte pour la réalisation de
l'amnistie. Celle-ci bien qu'en limitant les poursuites au pénal doivent
laisser les possibilités pour elles de recourir au civil affin de
réparer leurs tors ou de se faire restituer leurs biens, ce qui ne
semble pas avoir été le cas de la Sierra Léone.
2. La loi de ratification de
1999 ou le blanc seing pour les criminels de guerre
Jamais un accord de paix
garantissant l'amnistie pour les criminels de guerre n'a suscité autant
de réprobation de la part des observateurs. Les journalistes et les
défenseurs des droits de l'homme ont déploré cette
« consécration de l'impunité pour les crimes de
guerre en Sierra Léone » et souligné que la
déclaration du représentant du Secrétaire
général n'était pas suffisante.
C'est à l'article IX de la
loi de ratification des Accords de Lomé que les dispositions d'amnistie
ont été prises : le premier caractère de cette
amnistie est personnel. Il s'agit de d'assurer l'impunité pour Foday
SANKOH234(*), les
combattants du RUF, de la CDF et de l'ancienne junte AFRC. Les crimes couverts
sont tous ceux commis pendant le conflit armé, depuis son début
(en 1991) à la date de signature de l'accord de paix (7 juillet 1999) et
de prendre «les mesures législatives et autres
nécessaires à garantir l'immunité aux anciens combattants,
exilés et autres personnes se trouvant actuellement en dehors du
territoire pour des raisons relatives au conflit armé235(*)».
L'élément matériel de l'amnistie était
constitué de tous les crimes commis par les combattants dans la
poursuite de leurs objectifs militaires et surtout, l'interdiction de toute
poursuite judiciaire, de la prise de tout acte administratif en rapport avec la
punition de ces faits. En plus de l'impunité, la loi réclame le
pardon sans contre partie236(*), c'est-à-dire sans action de la part des
responsables de ces crimes envers les populations victimes.
La mise en place de la Cour
spéciale jugeant à la fois sur les bases juridiques
internationales et internes allait poser des questions relatives à la
portée de la Loi d'amnistie. A vrai dire la question de la Loi
d'amnistie se posant pour les crimes de droit commun avait des incidences
limitées car il était possible de poursuivre les accusés
sur ces bases car, ce sont les mêmes acteurs qui ont poursuivi le conflit
de 1999 à la fin du conflit en 2001, période qui n'est pas
couverte par l'amnistie. En ce qui concerne les
crimes internationaux, la Cour spéciale elle-même a eu à
trancher la question. Dans une décision du 13 mars 2004237(*), les juges de la Cour
spéciale ont estimé que les prétentions des accusés
Morris KALLON et Brima Bazzy KAMARA selon lesquelles l'article IX de l'accord
de paix de Lomé interdisait toute poursuite contre eux étaient
infondées. Cette décision a été
considérée par Amnesty International238(*) comme un
précédent historique pour les pays, car ils ne peuvent plus
prendre des lois interdisant aux juridictions internationales ou nationales
compétentes pour juger des crimes qu'eux ne veulent punir.
L'idée selon laquelle il ne
peut y avoir d'impunité pour les crimes les plus graves a
été fréquemment réitérée par le
secrétaire général des Nations unies239(*). Elle est largement
étayée par une jurisprudence abondante et uniforme de la part des
tribunaux internationaux et par les interprétations autorisées
faites par les organes internationaux, qui sont arrivés à la
conclusion que les amnisties nationales portant sur des crimes au regard du
droit international sont interdites et n'ont aucun effet juridique sur quelque
tribunal que ce soit, y compris sur les tribunaux de l'État où
l'amnistie a été accordée240(*). C'est d'ailleurs sur la
déclaration restrictive du représentant de Kofi ANNAN que la Cour
s'est basée pour prendre sa décision de considérer que
l'amnistie était « sans effet » car,
« la déclaration interprétative ajoutée par
le représentant du Secrétaire général des Nations
unies est conforme au droit international, et constitue une indication
suffisante des limites de l'amnistie octroyée par cet
accord241(*) ».
La Cour a donc retenu la
déclaration interprétative du Secrétaire
général comme élément ayant une portée
juridique suffisante pour appuyer sa décision. En procédant
ainsi, elle valide l'opinion de certains juristes242(*) selon laquelle le droit
coutumier international n'est pas tout à fait contre le fait qu'un Etat
donne effet juridique à une amnistie portant sur les crimes de guerre.
La décision de la Cour aurait beaucoup apporté à la
construction théorique du droit pénal international en consacrant
comme principe l'interdiction de l'amnistie pour les crimes de guerre, quelle
que soient les circonstances et même s'il n'y a pas eu un
représentant de la communauté internationale pour faire valoir
à chaque signature d'un accord prévoyant des amnisties qu'elles
ne s'appliquent pas aux violations graves du droit international humanitaire.
Une fois le bouclier de l'amnistie
écarté, il convient à présent de préciser
plus concrètement les faits qui sont punis par la Cour.
II. Faits tombant sous la juridiction de la Cour
L'article 2 à 5 des Statuts
de la Cour spéciale ont prévu la punition de deux
catégories de crimes : les crimes internationaux, notamment, la
violation des règles du droit international humanitaire (A) et les
crimes du droit interne sierra léonais (B).
A. Violation du droit international humanitaire
La plupart des conflits actuels,
comme celui de la Sierra Léone, sont à caractère
interne : deux ou plusieurs groupes armés se battent soit entre
eux, soit contre un gouvernement à l'intérieur d'un même
pays. Les violations des règles minimales prévues dans le droit
de Genève (1) et les autres violations graves du droit humanitaire (2)
sont des crimes susceptibles d'être commis. C'est donc ce que se propose
de juger la Cour spéciale.
1. Les infractions aux
Conventions de Genève
Le droit de
Genève243(*),
encore appelé droit de la guerre ou jus ad bellum, est
constitué d'un ensemble de règles minimales d'humanité
à respecter dans la conduite des hostilités. Les 4 conventions de
Genève de 1949 prévoient et règlementent la guerre entre
Etats souverains. L'article 3 a été introduit dans les quatre
Conventions 244(*)pour
régler des situations en « cas de conflit armé ne
présentant pas in caractère international et surgissant sur le
territoire d'une Haute Partie contractante ». En 1977, deux
protocoles additionnels ont été introduits pour préciser
la protection des victimes des effets de guerre et, fait nouveau, pour
étendre aux conflits non internationaux les prescriptions concernant les
conflits interétatiques245(*).
L'article 3 commun aux Convention
de Genève comporte « les conditions minimales
d'humanité » selon la CIJ246(*) selon lesquelles toutes les
personnes, qui ne participent pas ou plus aux hostilités soient
traitées sans aucune discrimination avec humanité. Il
préconise que les violences contre l'intégrité physique et
la vie des personnes, les traitements cruels, inhumains et dégradants,
la torture, la prise d'otages soient prohibés en « tout
temps et en toutes circonstances ».
En outre, il assure des garanties
de jugement équitable pour les personnes soupçonnées de
crimes et que les personnes malades et blessés puissent être
recueillies et soignées.
L'article 3 traite des questions
liées au traitement des personnes aux mains des parties au conflit et
non la conduite des hostilités, les règles qui gouvernent les
conflits et qui déterminent qui doit faire l'objet d'attaques ou non. Il
s'applique à toutes les parties, y compris les personnes appartenant aux
forces non gouvernementales. C'est une première en matière du
droit international, car des obligations internationales pèsent
directement sur des entités infra étatiques, sans pour autant
jouer sur leur statut juridique. Enfin, une organisation impartiale comme le
Comité international pour la croix rouge pourrait intervenir pour
assurer le contrôle de l'exécution par les parties des
dispositions de l'article 3.
Le Protocole II de 1977 viendra
développer et compléter cet article en y enjoignant des
règles relatives à la conduite des hostilités. Il
prévoit notamment des obligations pesant, dans le cadre d'un conflit
armé non international, à la fois sur les forces gouvernementales
et les « groupes armés organisés qui, sous la
conduite d'un commandement responsable, exercent sur une partie de son
territoire un contrôle tel qu'il leur permette de mener des
opérations militaires continues247(*) ».
Les forces du RUF, de l'AFRC et de
la CDF rentrent dans cette catégorie juridique décrite dans le
Protocole. Elles étaient organisées de manière
hiérarchique et jouissaient d'un contrôle et d'une autorité
effectifs sur des zones du pays. L'organisation hiérarchique du RUF
était axée autour du Conseil de guerre dirigé par Foday
SANKOH et un groupe restreint de personnalités telles Sam Mosquito
BOCKARIE, Issa SESSAY ou encore Johnny Paul KOROMA qui les rejoignit
après le prise du pouvoir de l'armée et le ralliement entre le
RUF et l'AFRC. Le Conseil de la CDF était dirigé par Hinga NORMAN
assisté de Moïnina FOFANA et Allieu KONDEWA. C'est principalement
en ces qualités que ces différentes personnes ont
été inculpées par le Procureur, car, l'organisation
hiérarchique de ces groupes armés était sans
équivoque et l'exercice de l'autorité assurée par ces
personnes.
Les inculpations ont aussi
été faites en fonction des actes matériels commis par ces
personnes elles mêmes ou à travers ceux qui étaient sous
leur commandement. Il s'agit de la base juridique des articles 13 et suivants
du Protocole II qui règlementent la tenue des hostilités.
Le conflit sierra léonais
était basé sur la terreur, il s'agit des tactiques de
guérilla qui ciblent systématiquement la population civile pour
saper son moral et celui des troupes adverses. Lorsque l'un des groupes
armés prenaient une localité, les populations civiles subissaient
des représailles pour leur supposée coopération avec la
partie ennemie. Des pillages et extorsions étaient
régulièrement exécutés contre ces populations car,
c'est sur ces ressources que les rebelles, soldats et miliciens se payaient.
Les Statuts de la Cour
spéciale reprennent génériquement toutes ces dispositions
pertinentes de l'article 3 commun et du Protocole II aux Conventions de
Genève au moyen de l'article 3 intitulé
« Violations of Article 3 Common to the Geneva Conventions and of
Additional Protocol II ». Les rédacteurs de se sont pas
limités à ces infractions ; au contraire, ils ont inclus
d'autres infractions au droit international humanitaires qui ne sont pas
mentionnées dans ces textes.
2. Les autres violations graves
des droits de l'homme et du droit humanitaire
Il a déjà
été relevé que l'un des objectifs primordiaux de la
création de le Cour spéciale était un moyen pour les
Nations unies d'envoyer un signal fort et dissuasif aux protagonistes des
conflits armés. Le message était clair : répondre
avec sévérité aux atteintes au faites au personnel
humanitaire et surtout aux forces de maintien de la paix mandatées par
l'ONU. La prose d'otages du personnel humanitaire, les attaques intentionnelles
dirigées contre lui, le matériel destiné aux missions
humanitaires et de protection des populations civiles constituent au sens de
l'article 4-b du statut des infractions graves du droit humanitaire punissables
par la Cour. Cette incrimination est directement dirigée contre la prise
d'otages des 500 casques bleus des Nations unies par les rebelles du RUF le 2
mai 2000.
La question de genre occupait
aussi une part importante dans la détermination de la compétence
ratione materiae de la Cour. C'est ainsi que les Statuts de la Cour
prévoient la punition comme crimes de guerre les violences sexuelles
exécutées pendant les opérations militaires comme crimes
de guerre. L'article 2-g les énumère de manière
indicative: il s'agit du viol, de l'esclavage sexuel, de la prostitution
forcée, des grossesses forcées et toute autre forme de violence
sexuelle.
Le viol doit être entendu,
tel que le définit le TPIY dans l'affaire FURUNDZIJA248(*) comme tout acte de
pénétration sexuelle « accompli en faisant usage de
la force ou de la menace, celle-ci pouvant être implicite ou non, et qui
doit donner à la victime des raisons de craindre qu'elle-même ou
une tierce personne ne soit victime de violences, de mesures de coercition, ou
de mise en détention ou d'une oppression psychologique ». Il
s'agit donc, pour constituer l'infraction de viol de rechercher
l'élément matériel qui est tout acte de
pénétration sexuelle par l'emploi de la force ou de la menace et
l'élément moral qui est l'intention de l'agresseur d'agir contre
la volonté de la victime. Cette violation de « l'autonomie
sexuelle » a été utilisée comme arme de
guerre par les rebelles pendant le conflit armé. Les pratiques de
virgination249(*)
étaient destinées à rendre les filles ainsi
violées indigne d'être mariées. Les organisations de
défense des droits de l'homme se sont réjouies de cette
incrimination et ont prêté leurs services en répondant
à l'invitation d'amicus curiae devant la Cour.
Comme autre violation grave des
droits de l'homme, les Statuts (article 4-c) retiennent la conscription des
mineurs de mois de 15 qui est déjà présente dans les
Protocoles de 1977250(*). Cette interdiction est réaffirmée par
la Convention internationale relative eux droits de l'enfant de 1989 qui
définit les obligations des Etats vis-à-vis du droit humanitaire,
notamment en ce qui concerne les enfants. Les Etats prennent toutes les mesures
possibles pour assurer que les mineurs de moins de 15 ans ne prennent pas part
directement aux hostilités. Pour ce faire, ils doivent d'abstenir de les
recruter dans leurs forces armées et les protéger de tous les
méfaits de la guerre.
Les stipulations de l'article 38
ne permettent pas une protection effective des enfants du recrutement dans
l'armée car, l'enfance ne se limite pas à l'âge de 15 ans.
C'est pourquoi l'adoption du Protocole facultatif de la CIDE relatif à
la participation des enfants aux conflits armés instaure une nouvelle
nuance. Il interdit le principe de recrutement forcé ou obligatoire des
jeunes de moins de 18 ans dans les forces armées (article 2). Cette
interdiction ne concerne que l'engagement obligatoire, le recrutement
volontaire restant tout de même possible mais à des conditions
strictes pour les mineurs de 15 - 18 ans. Si le Protocole facultatif
élève l'âge du recrutement forcé, il laisse à
15 ans celui du recrutement volontaire. Il est légitime de s'interroger
sur la pertinence de cette distinction car, dans la plupart des systèmes
juridiques des Etats partis, le consentement d'un mineur est nul, la
majorité ne s'obtenant qu'à 18 ans. Le manque de précision
de l'article 22 (2) de la Charte africaine des droits et du bien-être de
l'enfant qui se contente de prohiber le principe de toute participation et
recrutement des enfants sous les drapeaux sans pour autant fixer un âge
limite, les Etats pouvant décider de l'âge au gré de leurs
convenances. L'interdiction est complète pour les forces armées
non étatiques pour qui il n'est « en aucune
circonstance [permis d'] enrôler ni utiliser dans les hostilités
des personnes âgées de moins de 18 ans ».
Le Statut de Rome qualifie de
crime de guerre le recrutement des enfants de moins de 15 ans aux fins de
participation au conflit armé. Cette participation est définie
(article 2) comme une implication directe aux activités militaires
liées au combat comme l'espionnage, le renseignement, le portage, la
tenue de check points, etc.
Le recrutement des enfants
soldats, les crimes sexuels ainsi que les autres violations graves des
principes élémentaires d'humanité dans le cadre du conflit
sierra léonais nécessitaient une définition précise
dans les textes fondateurs de la Cour. Les Statuts se sont contentés de
reprendre les principes retenus dans les Conventions de Genève et les
autres textes internationaux pertinents en la matière. Les juges ont
donc la responsabilité de construire une jurisprudence édifiante
sur ces sujets, surtout en ce qui concerne la participation des enfants au
conflit armé, car c'est la première fois qu'une juridiction
internationale juge le crime de recrutement d'enfants-soldats.
Créée en Sierra
Léone, composé de juges internationaux et sierra léonais,
chargé de poursuivre les crimes commis sur le territoire sierra
léonais en application du droit international, la Cour spéciale a
aussi la compétence de juger des crimes du droit interne qui ont
été commis pendant le conflit armé.
B. Violation du droit sierra léonais
Le caractère hybride de la
Cour spéciale pour la Sierra Léone se remarque en plus de sa
composition par le fond du droit applicable. L'incorporation des infractions
relatives au droit interne de la Sierra Léone était une
façon de prendre en compte certaines spécificités locales
qui échappent au droit international. Tandis que le droit international
des droits de l'homme et le droit international humanitaire prennent en compte
les infractions relatives aux personnes et biens à caractère
civil, ils ne prévoient pas un système de réparation pour
les victimes identifiées. Faire recours au droit interne permettra de
les graduer en fonction des coutumes locales.
Selon l'article 5 du Statut de la
Cour spéciale, les infractions relatives au droit national relatives
à la Prevention to Cruelty to Children Act de 1926 et la
Malicious Damage Act de 1861, deux lois datant de l'époque
coloniale.
· La Prevention to
Cruelty on Children Act de 1926251(*)
La guerre civile en Sierra
Léone a été tristement célèbre pour les
pires abus commis sur les civils et surtout les enfants. Les pires
atrocités ont été commises contre eux du fait de leur
fragilité et de la facilité avec laquelle les adultes pouvaient
les utiliser. Que ce soient les enfants soldats, les bush wives ou les
simples victimes des pires atrocités du conflit, ceux-ci ont
profondément été marqués par l'issue du conflit.
Être recruté comme enfant-soldat est déjà en soi une
violence, être drogué de force, violé, et poussé au
crime ou parricide l'est encore plus. C'est alors un signe, un hommage à
toutes ces innocentes victimes de la part de la juridiction chargée de
punir ceux qui ont mis en scène cette effroyable tragédie que de
trouver dans le droit interne, des normes pour qualifier les infractions les
punir.
L'article 4 de la loi de 1926
définit un enfant comme toute personne âgée de mois de 16
ans. L'esprit de la loi écarte toute responsabilité pénale
de l'enfant en deçà de cet âge car ne punit les abus faits
aux enfants que par les adultes qui les ont en leur pouvoir, de facto
ou jure et qui portent atteinte volontairement à leur
intégrité physique ou morale ou les exposent à de tels
abus. De toutes les dispositions de la loi relatives aux abus faits aux
enfants, la Cour spéciale a retenu les abus sexuels comme prévus
aux articles 6, 7 et 12.
o Les abus sexuels
contre les enfants âgés de moins de 13 ans :
l'article 6 de la loi de 1926 sur la prévention de la cruauté
à l'égard des enfants prévoit que
« Whosoever shall unlawfully and carnally know and abuse any girl
under the age of thirteen, whether with or without her consent, shall be guilty
of felony (...) ». Il en découle donc qu'une relation
sexuelle entretenue avec une fille de moins de treize ans est un crime passible
d'une peine de 15 ans. Les observateurs internationaux ont rapporté que
pendant toute la durée du conflit, les filles étaient les cibles
de violations sexuelles de plus en plus jeunes. La pratique de virgination
selon laquelle il fallait souiller toute une communauté en violant
les filles vierges du village a fait de nombreuses victimes du fait des
combattants des parties au conflit. Que ce soient les rebelles, les milices ou
certaines forces gouvernementales252(*).
o Les abus sexuels
contre les enfants âgés de 13 à 14 ans :
en ce qui concerne l'article 7, l'abus contre une fille âgée entre
13 et 14 ans n'est pas un crime. C'est un délit puni d'une peine de deux
ans maximum : « Whosoever shall unlawfully and carnally know
and abuse any girl being above the age of thirteen years and under the age of
fourteen years, whether with or without her consent, shall be guilty of a
misdemeanor (...) ». Même si le consentement n'est pas
valable comme dans le cas précédent, il est tout de même
curieux de constater le décalage entre les deux peines. Une
différence de quelques mois entre l'âge des victimes réduit
considérablement la sentence. la loi ne retient pas de circonstances
aggravantes comme la violence, la réunion, l'usage d'outils ou d'objets
pouvant causer des lésions ou des pratiques humiliantes que les victimes
pouvaient subir.
o L'enlèvement
des filles pour des desseins immoraux: l'article 12 de la Loi de
1926 introduit la notion d'enlèvement de mineur en ces termes:
« Any person who, with intent that any unmarried girl under
the age of sixteen years should be unlawfully and carnally known, takes or
causes to be taken such girl out of the possession and against the will of her
father or mother or any other person having the lawful care or charge of her,
shall be guilty of a misdemeanor (...) ». La
légèreté de la peine et l'insuffisance de cette
disposition poussent à douter de son efficacité.
La répression de l'atteinte
à l'intégrité physique et morale des enfants pendant la
guerre en Sierra Léone est insuffisante lorsqu'elle s'appuie sur ces
trois dispositions légales. La loi, adoptée en 1926, lorsque la
Sierra Léone était encore sous domination coloniale n'est pas
adaptée aux nouvelles spécificités. D'abord, La notion de
mineur a évolué et ne concerne plus seulement les enfants de mois
de 16 ans. Ensuite, dans l'évaluation du niveau de la peine, les juges
doivent palier à l'absence de précision de la loi et prendre en
compte tout un ensemble d'éléments qui aggravent l'infraction
comme la réunion et la violence. Enfin, devant le silence du
législateur de 1926 sur le cas des enfants de sexe masculin, le juge
devrait les mettre au même niveau de protection que les filles. Des
infractions complémentaires comme l'esclavage sexuel, l'administration
de substances nocives aux enfants doivent être pris en compte pour
assurer une répression plus complète.
· La Malicious
Damage Act de 1861
Le parlement britannique a
adopté en 1861 la Malicious Damage Act pour faciliter le
maintien de l'ordre public en métropole et dans les colonies de
l'empire. C'est l'une des premières lois à consacrer la garantie
de la protection du droit de propriété. Elle édicte des
sanctions pénales sévères contre ceux qui mettent en
périt la propriété de l'Etat, et de manière
horizontale celle des citoyens contre les abus des particuliers. Adoptée
avant l'indépendance de l'Irlande, elle y est encore en vigueur aussi
bien qu'au Canada, à Trinidad et dans plusieurs autres anciennes
colonies britanniques comme la Sierra Léone. Modifiée à
plusieurs reprises en Angleterre, la loi ne concerne aujourd'hui plus que les
infractions relatives au secteur des transports.
La Cour spéciale retient
comme infraction tombant sous sa juridiction celles que la loi de 1861 punit
aux articles 2, 5 et 6, respectivement pour les destructions par le feu des
immeubles privés et publics.
L'article 2 élève au
rang de crime le fait de mettre volontairement le feu sur une habitation
sachant qu'il y a des personnes et punit cette infraction de la
réclusion criminelle à perpétuité. Il n'est pas
nécessaire qu'il y ait mort d'homme pour caractériser
l'infraction. Il suffit en effet que celui qui commet l'infraction ait agit en
connaissance de cause, quel que soit son mobile. Pendant la guerre de nombreux
cas de regroupement de personnes dans des maisons et lieux de culte pour les
incendier ont été relevés. De façon
complémentaire le législateur aurait pu inclure, soit comme
infraction à part entière, soit comme infraction connexe ou
encore fait aggravant l'incendie d'un lieu de culte qui est puni par la loi de
1861 à son article premier par les mêmes peines.
La destruction par les mêmes
moyens des bâtiments publics constitue également un crime
punissable de l'emprisonnement à perpétuité. Il n'est plus
ici nécessaire de démontrer (art 5) que l'accusé avait eu
connaissance de la présence de personnes à l'intérieur de
l'immeuble en question. Cette caractéristique particulière est le
résultat du contexte de l'époque où la couronne
britannique voulait réaffirmer son statut et défendre ses biens
dans les colonies et en métropole. La destruction des bâtiments
privés autres que habitation et qui ne contenaient pas des personnes est
considérée comme crime de moindre gravité punissable au
maximum de 14 ans de prison (article 6).
DEUXIEME PARTIE :
LES MECANISMES DE JUSTICE REPARATRICE ET LA REFORME DES
INSTITUTIONS
Lorsque la violence atteint un
niveau de gravité aussi important comme ce fut le cas de la Sierra
Léone, lorsqu'elle s'est généralisée au point
où l'appareil de l'Etat lui-même a participé à la
perpétuation des crimes graves qui a déshumanisé une
frange importante de la population, il n'est de système de justice qui
puisse faire face à ce désordre profond, une fois que le retour
vers l'Etat de droit est envisagé. La justice pénale qui ne
répond qu'à une frange minime des cas à traiter253(*) ne suffit pas à elle
seule pour répondre aux besoins des victimes et des bourreaux de se
reconstruire moralement et réintégrer leur société
d'origine.
Les crimes de masse ne pouvant rester hors de portée de
la justice, les sociétés en transition politique ont recouru
à des mécanismes alternatifs incluant un décret de
grâce ou le vote des lois d'amnistie. L'instauration d'un régime
démocratique succédant à un régime autoritaire
ayant érigé la violence en pratique ordinaire s'est toujours
faite avec la préférence d'une rémission des peines au
cours normal de la justice. Le choix de pardon de l'Afrique du Sud a pris la
forme d'une amnistie conditionnée pendant que celui de l'Algérie,
de l'Uruguay ou du Chili a été plutôt dirigé vers un
pardon plus général accepté par la population soit
silencieusement ou au moyen d'un référendum. Quelle que soit la
forme du mécanisme adopté, la justice pénale qui s'exerce
contre les responsables des crimes semble s'effacer et devient ici une affaire
de réconciliation à l'échelle de la
société.
Lorsque la violence a fait de très nombreuses victimes,
lorsque les coupables sont aussi nombreux l'exercice de la justice, qu'on
l'entende comme condamnation ou réécriture de l'histoire est
difficile. Le respect de la seule logique de justice peut avoir des effets
pervers : en s'affranchissant des normes du droit positif, une justice
ad hoc soucieuse de faire droit à l'indignation des victimes
risque de miner le caractère juste et démocratique de l'exercice
de la justice, voire de participer d'une stigmatisation des coupables qui
pouvait les amener à renouer avec la violence. L'objectif de justice
peut par conséquent nuire à l'établissement d'un principe
de justice, ou ne pas permettre de rompre avec la violence passée. Pour
autant, est-il justifiable de laisser de coté la justice pour le
pardon vers une hypothétique réconciliation ?
Les femmes de la Place Mai254(*) y répondent par un « Ni oubli,
Ni pardon », du moins tant que la vérité n'est pas
obtenue. En effet, le pardon est ici conditionné comme c'est le cas de
l'Afrique du Sud à la reconnaissance de la victime, à la
coopération avec la recherche de la vérité et aux remords
sincères. Le pardon peut être octroyé au non de la foi
ou « du fatalisme justifié par l'impossibilité de
justice pour ceux qui sont démunis de pouvoir politique255(*) ». Il est
alors important de rechercher le juste milieu, c'est-à-dire, un
mécanisme qui puisse rechercher la vérité et la justice
pour les victimes sans pour autant conduire à la stigmatisation des
responsables des exactions, ou à leur faire définitivement perdre
la face. Là réside la clef du vivre ensemble nouveau.
Nous venons de le montrer, la reconstruction morale est
fondatrice du renouveau sociétal. Lequel renouveau est
étroitement lié à la reconstruction matérielle du
peuple car, il est difficile de prétendre à une
réconciliation sans justice sociale. Dans presque tous les cas, les
victimes sont dans un dénuement le plus total pendant que les bourreaux
sont vivent à l'abri du besoin. En Afrique du Sud, l'apartheid politique
total ayant disparu avec la tenue des élections libres et l'adoption
d'une nouvelle constitution, l'apartheid économique quant à lui
ne se résorbera qu'après de nombreuses années, voire
générations. Autant il faudra du temps aux Noirs d'Afrique du Sud
de sortir des Bantoustans, autant il sera complexe de réintégrer
économiquement les enfants soldats et toutes les autres personnes qui
ont tout perdu à cause du conflit. Contrairement au cas sud africain,
les sierra léonais n'ont pas prévu de réparation directe
aux personnes touchés par le conflit, un ensemble de
procédés ont été adoptés pour permettre la
réintégration durable de ceux-ci dans le tissus social, et de
réduire au plus vite les inégalités. Ces deux
régimes de réparation de ce qu'E. NGABONZIZA256(*) appelle le quadruple
désordre (le désordre politique, économique, social et
culturel) ne sont pas exportables car répondent à des
spécificités nationales bien que le principe de
rétablissement de l'équilibre social reste acquis.
Il convient donc de se poser deux préoccupations
à deux questions principales : comment faire face à
l'impunité résultant de l'impossibilité pour le
mécanisme strictement pénal de répondre à toutes
les attentes des victimes ? Quels mécanismes doit on mettre en
place pour redonner des bases solides à la société qui
renait d'un passé marqué par des violences graves des droits de
l'homme, non seulement au niveau de l'intégrité physique ou
morale de la société que son intégrité
économique et matérielle ?
La Sierra Léone y a répondu d'une manière
qui ne manque pas du tout d'intérêt. Partant du constat que la
génération 1991-2000 (soit la population active de la Sierra
Léone de 2010) n'a pas eu un cadre de vie adéquat à la
formation de l'élite nationale, pire, qu'elle a vécu dans un
environnement où la violence, le chaos et la loi du plus fort
étaient la règle, un environnement dépourvu se tout sens
de justice et de solidarité, un environnement où les liens
sociaux primaires se sont délités et qu'il fallait les
reconstruire, les autorités sierra léonaises ont mis en place des
mécanismes de reconstruction entièrement focalisés vers la
jeunesse. Dans un premier temps, l'objectif était de préparer la
société à accueillir ses enfants perdus. Cette phase
consistait à rechercher les causes profondes du conflit, avoir des
données précises sur son déroulement et fixer des
recommandations qui serviront à éviter aux
générations futures de retomber dans le cercle de la violence.
Dans une seconde phase, il fallait préparer ceux qui ont subi le plus
les violences pendant le conflit à revenir dans leurs
sociétés d'origine. Ces deux ensembles qui ne sont pas du tout
dissociables temporellement ont été exécutées
à travers la mise en place de la Commission vérité et
réconciliation (Chapitre I) et à travers d'autres programmes de
reconstruction et de réinsertion comportant la réforme des
institutions de sécurité (Chapitre II).
Chapitre III : LA RECHERCHE DE LA VERITE ET LA PRISE EN
COMPTE DES PREOCCUPATIONS DES VICTIMES
Seule institution à survivre à l'Accord de paix
de Lomé de 1999, la Commission Vérité et
Réconciliation de la Sierra Léone avait été
chargée de faire la lumière sur tous les évènements
qui se sont déroulés dans le pays de 1991 à la fin du
conflit. Le choix de la création d'une Commission de
vérité était destiné à faire face à
l'impunité qui devait régner après l'adoption de la loi
d'amnistie pour les protagonistes du conflit. Le choix de la Sierra
Léone cadre aussi avec une pratique internationale qui admet la
création d'une telle instance après un passé chargé
de violations graves des droits de l'homme. En effet, il y a eu près
d'une trentaine d'institutions chargées de faire la lumière sur
les évènements qui ont marqué la conscience collective des
sociétés. Quelles que soient leurs dénominations257(*), elles ont des
caractéristiques spécifiques communes, du point de vue de leur
mandat, durée et mandat.
La plupart de ces entités sont crées par les
autorités étatiques dans un processus de transition, le plus
souvent au moyen de lois. Elles jouissent souvent d'une grande
légitimité auprès d'une partie importante de la
population, même entre anciens belligérants, qui les
préfèrent presque toujours à des institutions
pénales qui sont à leurs yeux moins à même de
poursuivre le but de la réconciliation. Elles ont mené leurs
missions à l'abri de toute ingérence, que ce soit au plan interne
qu'international et jouissent des pouvoirs exorbitants, ceci, en fonction des
spécificités de chaque pays. Cette indépendance se traduit
au niveau du personnel, des infrastructures et du budget qui sont propres. Du
point de vue de leurs mandats, ils sont articulés autour des violations
des droits de l'homme ou d'autres évènements sanglants ayant
marqué le passé lointain ou proche, pendant une période
plus ou moins longue, et non un évènement ponctuel, souvent
confié à des commissions d'enquête classique. Ces mandats
sont exécutés pendant une période qui est
généralement de deux ans qui se termine souvent par un rapport
comportant des recommandations visant à accorder des droits aux victimes
à cause des souffrances qu'elles ont subies.
De par leur statut juridique, les commissions de
vérité sont différentes à bien des égards
des commissions historiques, d'enquêtes officielles, des commissions
d'établissement des faits des organisations internationales ou des
organismes non gouvernementaux de vérité.
Les commissions historiques contemporaines ont
été utilisées en Amérique du Nord (Commission
Royale canadienne dur les peuples autochtones et ma Commission
américaine sur le transfert et l'internement des civils en temps de
guerre) qui avaient la mission d'enquêter sur des exactions datant de
plusieurs années. Elles sont différentes des commissions de
vérité en ce sens qu'elles n'interviennent pas dans une
période de transition politique mais visent à établir une
vérité sur des faits historiques et rendre hommage aux victimes
et que leurs mandats n'étaient pas destinés à couvrir des
violations généralisées des droits de l'homme ou du droit
humanitaire mais des exactions spécifiques concernant des groupes
ethniques ou raciaux.
Les commissions d'enquête officielles ou semi
officielles, bien que visant aussi des violations graves des droits de l'homme
sont plus limitées dans leur porté mais sont aussi
indépendantes et sont souvent précurseurs des commissions de
vérité. Elles sont relativement faciles à mettre sur
place, ne nécessitent pas l'adoption d'une loi ou peuvent être
prévues dans des textes d'une institution nationale et ponctuelles
(commission d'enquête parlementaire) ou internationale et plutôt
permanentes (commission d'enquête des Nations unies, commissions des
systèmes régionaux de protection des droits de l'homme, etc.)
Enfin, les organes non gouvernementaux de recherche de
vérité, bien que n'ayant pas le soutien de l'Etat sont
nécessaires dans les circonstances où il est impossible de mettre
en place des mécanismes officiels pour écrire une histoire
servant de repère pour les générations futures. Il leur
manque des pouvoirs que l'on peut attribuer à un organisme officiel,
notamment l'accès aux archives, l'immunité des responsables, des
structures solides et l'indépendance qui pourrait influer sur la
légitimité d'un rapport émanant d'un tel organe, voire
l'engagement de l'Etat vis-à-vis de ses conclusions.
Il n'est donc pas inutile, lorsque l'on cherche à
comprendre la mise en oeuvre des mécanismes de justice transitionnelle
dans une société déchirée comme celle de la Sierra
Léone, de se poser la question de savoir comment construire un
récit distinguant les coupables et les victimes lorsque le propre des
histoires nationales est, traditionnellement de mettre en avant une union,
sinon, une unanimité ?
La réconciliation après un passé de
violence nécessite un élément d'altérité. Il
est question pour les différents protagonistes de se présenter
devant un organe impartial à qui ils ont confiance pour croiser le
récit de leurs histoires et écrire leur histoire commune. Le
recours à une commission de vérité répond à
cette finalité. C'est un moyen efficace d'établir la
vérité irréfutable258(*) sur la nature et l'ampleur des violations des droits
de l'homme ; en effet, elle permet, de part son caractère non
juridictionnel, c'est-à-dire n'impliquant pas de sanctions
pénales, d'attraire un plus grand nombre de témoins, ce qui
permettra l'identification publique des responsables. Si les poursuites
pénales prennent en compte presque exclusivement les droits des
accusés, la commission de vérité est de prime abord une
instance ouverte à l'écoute des victimes. Elle est ouverte
à leurs préoccupations et les rapports recommandent des
mécanismes d'indemnisation et de réparation pour elles.
Obtenir la vérité dans des circonstances de
reconstruction post conflictuelle est un exercice peu évident. En effet,
les sociétés ayant traversé une période de conflit
ont une société civile défectueuse qui peut difficilement
assurer la liaison avec les populations de base qui éprouvent encore la
peur d'aller témoigner. Les infrastructures de communication et de
télécommunication défectueuses handicapent largement la
dissémination des nouvelles aux populations de provinces. Une fois la
vérité obtenue, il convient de savoir ce qu'il faut en faire, le
lien entre vérité et réconciliation n'étant pas
automatique, le débat sur la réelle réconciliation entre
sud africains d'après apartheid se posant avec plus d'acquitté.
La réconciliation n'est pas la priorité des acteurs, chacun
cherchant à obtenir la vérité sur le sort des personnes
disparues. Il est donc nécessaire de ne pas prétendre à la
réconciliation au bout de l'obtention de la vérité, mais
d'une telle possibilité pour tempérer les attentes de la
population et servir d'impulsion pour l'obtenir.
La commission de vérité est donc un outil de
choix, complémentaire aux poursuites pénales pour couvrir les
crimes que la faiblesse des moyens - financiers comme juridiques - d'une
juridiction pénale ne pourront connaître. En s'inspirant du
modèle sud africain, le mandat et les pouvoirs de la Commission (Section
I) ont pris en compte les spécificités locales, en impliquent les
leaders religieux et traditionnels ainsi qu'en prescrivant la conduite des
audiences selon des modalités révolutionnaires. La Commission a
conduit son mandat en même temps que les accusés étaient en
procès devant la Cour spéciale, pourtant les rapports entre les
deux institutions n'étaient pas définis dans leurs textes
fondateurs respectifs (Section II).
Section 1 : Mandat et pouvoirs de la Commission
Vérité et Réconciliation (CVR)
La CVR de la Sierra Léone a été
créé à la suite d'une trentaine d'expériences de
part le monde. Les exemples les plus significatifs de réussite et
d'appropriation du Chili et surtout d'Afrique du Sud ont inspiré les
rédacteurs des instruments de la Commission. Cependant, à chaque
contexte national, à chaque peuple, à chaque type de conflit
correspondent des victimes, des responsables et des violations
particulières. C'est pourquoi la mise en place d'une institution de
réconciliation et de réhabilitation doit tenir compte de ces
particularités. Le législateur sierra léonais a mis en
place un système de coopération entre les organismes
étatiques, les acteurs traditionnels, religieux et de la
société civile, autant dans l'organisation et le fonctionnement
(I) que dans la définition du mandat de la commission (II).
I. Organisation et
fonctionnement
Le but principal d'une CVR est de rechercher la
vérité sur les circonstances des violences pour établir la
matérialité des faits acceptables par tous. Il est donc
nécessaire que son établissement prenne en compte une
consultation la plus large possible et une coopération à la fois
des victimes et des coupables d'atrocités. C'est pourquoi, la
crédibilité d'une telle instance est nécessaire et
transparaît à travers son indépendance et ses pouvoirs
d'une part (A) et les rapports qu'elle peut entretenir avec les autres
mécanismes complémentaires de justice transitionnelle (B).
A. Un organe indépendant et dotée des pouvoirs
exorbitants
Les sierra léonais ont souhaité établir
une Commission compétente et surtout crédible aussi bien au plan
national qu'international. Ils lui ont octroyé une autonomie
administrative et financière pour lui assurer cette autonomie
indispensable (1) et lui ont pourvu de pouvoirs exorbitants en matière
d'enquête et d'injonction (2).
1. Une institution jouissant d'une autonomie
administrative et financière
La CVR est un organisme d'enquête officiellement
approuvé à caractère temporaire et non judiciaire qui est
chargé de rechercher la vérité sur les
évènements survenus dans le pays. Son succès en Sierra
Léone comme an Afrique du Sud a beaucoup dépendu de la
volonté politique des gouvernants de coopérer avec l'institution.
L'indépendance opérationnelle de la Commission a
été préservée par la définition claire des
modalités de désignation des membres da qui implique la
consultation d'institutions et le consensus entre toutes les
sensibilités politiques du pays. Elle est constituée de 7
commissionnaires dont trois étrangers259(*), jouissant d'une renommée nationale et
internationale. La TRC Act de 2000 souligne la nécessité
que ces personnes soient crédibles, intègres, impartiaux dans
l'exercice de leur fonctions et susceptibles de jouir d'une confiance
générale du peuple sierra léonais (partie II, 2-a). La loi
semble privilégier les avocats, spécialistes des sciences
sociales, leaders religieux et psychologues260(*).
Il était aussi important de s'assurer de l'expertise
des personnes liées de près ou de loin et travail des commissions
précédemment créées dans d'autres contextes pour
s'imprégner de leur expérience.
Du point de vue de la procédure, toute personne
physique ou morale pouvait proposer à la nomination des candidats
auprès du représentant spécial du Secrétaire
général des Nations Unies en Sierra Léone qui occupait les
fonctions de coordonnateur. Après une consultation
générale des leaders religieux et traditionnels, des membres de
la société civile et du Haut commissariat des Nations unies aux
droits de l'homme, le coordonateur présente au comité consultatif
une liste de dix à vingt candidats commissionnaires. La dernière
étape de la nomination était le passage devant le Comité
consultatif composé entre autres d'un représentant du Conseil des
chefs traditionnels, d'un représentant du Conseil interreligieux, un
représentant des ambassadeurs des membres de la communauté
internationale représentés en Sierra Léone, un
représentant du RUF, de l'AFRC, du Forum national des droits de l'homme,
d'un représentant de la Commission des droits de l'homme.
L'indépendance opérationnelle était
indispensable à la perception du travail de la Commission. Ses membres
travaillent en toute indépendance et à titre individuel261(*), et non entant que
fonctionnaire d'un quelconque gouvernement ou agent d'une organisation
politique, religieuse ou idéologique. A cet effet, les commissionnaires
et toutes les personnes travaillant pour le compte de la Commission ont
l'interdiction de divulguer les informations recueillies à une autre
entité sous peine d'exclusion.
Du point de vue financier, la Commission disposait d'un budget
propre alimenté par des fonds provenant principalement des sources
gouvernementales, onusiennes et de la communauté internationale. Le
soutien international était indispensable pour deux raisons
principales : d'une part, les ressources financières nationales
n'étaient pas suffisantes pour assurer le financement de toutes les
activités de la commission. D'autre part, il est important de se
prémunir de toute influence significative de tout organisme ou Etat
participant au financement de la Commission en recherchant la diversité
des sources. De nombreux organismes comme le Centre International pour la
Justice Transitionnelle ou la Open society Initiative for West Africa ont
apporté un soutien technique considérable à la mise en
place de la Commission et à conduite de son mandat. L'usage des
ressources matérielles et financières était
décidé dans le budget annuel de la Commission. L'exécution
de ce budget est contrôlée par un auditeur indépendant
nommé par le président de la CVR.
De tous les mécanismes de justice transitionnelle mis
en oeuvre en Sierra Léone, la Commission a le plus
bénéficié tout au long de son mandat de la
coopération des populations et de la classe politique. La philosophie
d'une telle institution cadre plus à la manière traditionnelle de
gestion des conflits et de réhabilitation des victimes. Plus, la
volonté politique du gouvernement de collaborer avec elle et de mettre
à sa disposition tous les instruments nécessaires à la
recherche de la vérité tout en s'abstenant de toute
ingérence dans son travail a joué sur sa
crédibilité et incité la population à y participer
massivement.
Aussi importants que l'autonomie de la Commission, la nature
et la portée de ses pouvoirs lui permettra de mener à bien toutes
les actions qu'elle juge nécessaires à la manifestation de la
vérité. Comme en Afrique du Sud, le législateur sierra
léonais lui a octroyé des pouvoirs d'enquête de
d'injonction.
2. Pouvoir d'enquête et d'injonction
La création d'une instance nationale de recherche de la
vérité sur les violations des droits de l'homme passées
pose d'entrée de jeu la question de ses pouvoirs. Lorsque la
création d'un Commission de vérité intervient longtemps
après les évènements sur lesquels elle est chargée
d'enquêter, l'exécution de son mandat ne souffre pas souvent de
difficultés, les personnes ayant un quelconque intérêt
direct à dissimuler les éléments de preuve n'étant
plus en mesure d'influencer les autorités en place. Pourtant, dans le
cadre de justice transitionnelle, les instances chargées de faire la
vérité sur les évènements passés, sont
créés après court délai, voire même comme en
Sierra Léone, lors de la conclusion des accords consacrant la cessation
des hostilités. Dans ces circonstances, il est important de doter la
Commission de pouvoirs d'enquête et importants.
Des termes de l'article 8 de la loi établissant la
Commission vérité et réconciliation, elle a les pouvoirs
de rechercher par « tous les moyens jugés
appropriés toutes les informations qu'elle considère
importants » pour faire la lumière sur tous les faits que
couvre son mandat. Dans cette perspective, la Commission peut demander
à toutes les personnes intéressées de mettre à leur
disposition des documents ou rapports, même de la part des sources
gouvernementales. Elle peut se rendre sans préavis sur les lieux et
exiger la production des informations. Elle peut convoquer et entendre les
individus, groupes ou membres d'organisations qu'elle considère avoir
joué un rôle important dans les évènements en
question. Ces auditions et témoignages peuvent se faire à
huis clos et sous serment. Les informations peuvent être
données sous des bases confidentielles ; dans ce cas, la Commission
n'a pas autorité à divulguer l'identité des personnes
concernées.
La Commission peut pénétrer dans tous les lieux
qu'elle juge nécessaire à la réalisation de son mandat et
procéder à des enquêtes matérielles et recourir
à des expertises techniques avec le concours de la force publique.
Comme en Afrique du Sud, il ya eu de fortes garanties
judiciaires pour assurer la coopération avec la Commission, et cela
à deux niveau : le respect des injonctions et demandes de la Cour
d'une part et la véracité des déclarations et indications
d'autre part.
Il n'y a pas eu de litiges significatifs en Sierra
Léone concernant le refus d'une personnalité à venir
témoigner devant la Commission. Ceux-ci ont plutôt eu une
très grande volonté de coopérer avec elle qu'avec la Cour
spéciale. Contrairement au cas Sud-Africain262(*), il n'y a pas eu de
procès sur ces bases là. Il ne suffit pas d'aller
témoigner devant la Commission ou de lui fournir les documents qu'elle
recherche. Faire un faux témoignage ou mener intentionnellement la
Commission vers des fausses pistes sont constitutives d'une infraction analogue
à l'outrage à une Court et puni comme tel263(*).
L'obligation de coopération est encore plus
impérieuse pour les agents du gouvernement. Ils sont encouragés
à coopérer même sur des bases confidentielles et risquent
des peines graves en cas d'obstruction du cours du mandat de la Commission. Ils
encourent en effet, conformément à la section 9 (2) de la Loi
établissant la CVR, toute personne qui interfère de quelle
manière que ce soit avec le travail de la commission se rend coupable
d'une infraction punissable d'un an e prison et d'une amende d'un million de
leones.
Il convient de relever que la commission ne dispose pas de
pouvoirs directs de coercition envers les personnes qui commettent des
infractions à son égard. Lorsqu'une infraction de la sorte
survient, elle saisit un tribunal national, en occurrence la Haute Cour de
justice de Freetown qui siège en référé et prend
des mesures appropriées. Contrairement à d'autres exemples, la
Commission de Sierra Léone n'avait pas de pouvoir d'octroyer l'amnistie
ou une quelconque immunité en échange d'informations. Il
appartenait donc aux autorités de décider de la destination
à donner aux trouvailles de la Commission et à ses
requêtes.
L'expérience de la Sierra Léone est unique en
son genre : deux institutions de justice transitionnelle avaient leur
mandat au même moment et utilisaient les mêmes matériaux. Il
convient maintenant de comprendre quelles sont les relations qu'elles ont pu
entretenir.
B. Rapport avec la Cour spéciale pour la Sierra
Léone
Il est irréaliste de penser qu'une seule institution de
justice transitionnelle est suffisante pour régler les problèmes
de restauration de l'état de droit dans des sociétés qui
ont traversé une période riche en violations des droits de
l'homme. La recherche de la vérité doit être couplée
avec les poursuites pénales pour accomplir la justice et répondre
aux attentes des victimes. La Sierra Léone a été le test
grandeur nature de cohabitation entre une CVR et une Cour spéciale
chargées toutes deux de mener des enquêtes sur les mêmes
faits couvrant les mêmes périodes. Il n'ya cependant pas de
précaution dans les textes concernant les rapports juridiques entre ces
deux institutions (1) bien qu'un procédé d'échange
d'informations soit envisageable (2).
1. Des rapports juridiques entre la Cour spéciale
et la CVR non précisés
La CVR est le premier mécanisme adopté en Sierra
Léone et trouve son origine dans l'Accord de paix de Lomé de 1999
et ratifiée par la loi de 2000, la philosophie étant l'octroi
d'une amnistie pleine à tous les protagonistes du conflit armé
(Art IX). Elle est donc antérieure à la Cour spéciale qui
n'interviendra qu'après la signature de l'Accord spécial entre le
gouvernement sierra léonais et l'ONU le 16 janvier 2002. Curieusement,
il n'est expressément pas fait cas dans les Statuts de la Cour
spéciale de la Commission. Il est seulement fait cas à l'article
15 (5) qui parle des « mécanismes de vérité
et de réconciliation » lorsqu'il s'agit de la prise en
compte de la responsabilité des mineurs264(*).
Du point de vue des rapports juridiques entre ces deux
institutions, nous pouvons dire que la Cour spéciale semble avoir une
supériorité par rapport à la Commission car, la loi
ratifiant l'Accord de 2002 prévoit que « toute personne
physique ou morale créée ou régie par la loi sierra
léonaise a l'obligation d'exécuter les injonctions et mandats de
la Cour spéciale265(*)... », créant ainsi une
obligation directe à la Commission qui devrait mettre le résultat
de ses investigations à la disposition de la Cour.
Cependant, l'article 7 (3) la loi établissant la CVR
donne des pouvoirs assez importants à la Commission dans la recherche de
la vérité, y compris le recours à la
confidentialité à laquelle la commission ne peut renoncer une
fois accordée. Plus un pouvoir que cette disposition accorde à la
Commission, c'est aussi une obligation juridique de garder en sa possession
seule, les informations recueillies sous le sceau du secret. Il a donc eu une
possibilité de conflit entre la Commission et la Cour spéciale
sur de telles informations. Quel est, du devoir envers les victimes ou
témoins qui ont requis l'anonymat de celui envers la
supériorité juridique de la Cour sur la Commission celui qui
l'emporte ? A la lecture de la formulation de l'article 21 (2) des Statuts
de la Cour, selon laquelle, l'obligation de coopération positive avec
les injonctions de la Cour existe « quelle que soit la nature de
toute autre loi266(*)... », l'on serait emmené
à penser que la Commission devrait se plier à toutes les
exigences de la Cour267(*). Il y a quand même une exception à
cette exigence de coopération et d'obéissance à la Cour.
L'article 21 (4) vient en effet tempérer en stipulant que
« ...toute personne qui se trouverait dans l'incapacité
d'exécuter un ordre de la Cour spéciale devrait lui en rendre
compte et donner les raisons de cette impossibilité
(...) », laissant ainsi la possibilité pour une
institution comme la CVR de faire valoir ses obligations de réserve
vis-à-vis des témoignages obtenus par le biais des audiences
secrètes. Pendant le fonctionnement de la Commission, la Cour
spéciale s'est bien gardée de requérir les informations
qui provenaient d'elle. C'était un comportement tacitement adopté
pour inciter les populations désireuses de venir témoigner de le
faire en toute confiance, sans crainte que leurs dépositions soient
utilisées à des fins répressives.
C'est la première fois dans l'histoire de la justice
transitionnelle que deux institutions à finalités
différentes sont créées et fonctionnent pendant la
même période et utilisent les mêmes matériaux. La
confusion a pendant longtemps régné au sein de la population.
Ceux-ci ont considéré la CVR comme la « branche
investigatrice » de la Cour spéciale. Cette impression
était d'autant plus renforcée que leurs sièges
étaient côte à côte à la Jomo Kenyatta Road,
que le Procureur de la Cour spéciale et le Président de la
Commission étaient régulièrement en tournée
officielle ensemble et que les deux institutions s'échangeaient du
personnel, etc.
Il est donc nécessaire, dans un contexte comme celui de
la Sierra Léone, de prévoir expressément dans les statuts
des institutions, les relations juridiques qu'elles entretiendraient, limitant
ainsi des conflits naissant de la trop grande marge de manoeuvre qui serait
laissée pour l'interprétation des textes. De plus, en terme de
personnel, il est nécessaire de prévoir des incapacités de
fait. C'est-à-dire, par exemple, que dès lors qu'une personne ait
connu de près ou de loin un dossier de la CVR, qu'il lui soit interdit
de travailler pour le compte de la Cour spéciale. Il n'est pas question
ici de prévoir une totale étanchéité entre deux
institutions complémentaires par essence. Il s'agit, au contraire, de
réguler les échanges d'informations qui s'avèrent
nécessaires, mais en toute transparence et sur des bases juridiques
solides.
2. Des échanges d'informations envisageables
La CVR et la Cour spéciale ont été
créées pour accomplir des objectifs louables : la
première pour établir la vérité la plus
complète sur les circonstances ayant présidé au conflit et
son déroulement, la seconde ayant quant à elle pour mission de
poursuivre ceux qui portent la plus grande responsabilité dans les
crimes commis dans le pays pendant une certaine période donnée.
Aucune de ces deux mandats ne saurait être menée au
détriment de l'autre. Mieux, nous l'avons à maintes reprises dit,
elles doivent l'un avec l'autre, fonctionner dans une
complémentarité qui ne serait que bénéfique pour le
peuple sierra léonais.
Le Centre international pour la Justice Transitionnelle (CIJT)
a mené une étude sur les divers mécanismes que la Cour
spéciale et la CVR pourraient utiliser pour échanger les
informations. Il a retenu trois principales formules dignes
d'intérêt : le modèle
« étanche », le modèle
« d'accès libre » et le modèle
« d'accès conditionnel268(*) ».
Le modèle étanche d'échange peut
être défini comme un modèle de fonctionnement où la
CVR et la Cour spéciale n'entretiennent aucun échange
d'informations, de quelle que manière et nature que ce soient. Une telle
précaution assurerait à coup sûr à la Commission une
coopération encore plus grande, car l'on serait plus tenté de
venir y témoigner en toute confiance, sans craindre que l'information
donnée puisse servir à alourdir le sort d'un proche
inculpé devant la Cour spéciale, ou tout simplement
d'éviter tout risque de représailles de la part des personnes
pour lesquelles les informations rendues seraient défavorables. Selon
PRIDE269(*), ce
modèle pousserait encore plus les es-combattants à venir
témoigner devant la Commission.
Si ce modèle présente l'avantage de
prévenir les fuites d'informations de la Commission vers la Cour
spéciale et de permettre à la première de conclure son
mandat, un préjudice énorme risque d'être porté
à la justice. La CVR se trouverait à chaque fois avec des
informations cruciales pour innocenter ou atténuer la culpabilité
des inculpés. En outre, la Commission risque d'être
utilisée pour détourner la justice par ceux qui feront sciemment
des témoignages erronés ou incomplets devant la Cour pour dire
toute la vérité devant la Commission. N'étant pas dans la
possibilité de transmettre des informations, un blanc seing risque donc
d'être octroyé à des erreurs judiciaires, mettant ainsi la
CVR dans une position délicate et faussant ainsi l'objectif de
restauration d'une société gouvernée par le droit et la
justice. Ce modèle ne mérite-t-il donc pas d'être
appliqué, ou du moins de subir quelques aménagements.
Le modèle d'accès libre est quant
à lui opposé au précédent. Il consiste en une
coopération pleine et complète entre la CVR et la Cour
spéciale. Les informations recueillies par l'une ou par l'autre seraient
échangées, comme si les deux institutions travaillaient de
concert. C'est le modèle utilisé par le Timor Leste entre la
Commission de Réception, Vérité et Réconciliation
et la Chambre Spéciale de la Cour de justice chargée de
poursuivre les crimes de guerre270(*). Ce modèle joue en faveur de la Cour
spéciale qui aura des sources d'informations complémentaires. Il
peut permettre aux deux instances de recouper leurs informations pour
éviter des conclusions contradictoires lors de leurs rapports
respectifs.
Le principal désavantage de ce modèle
réside dans le déséquilibre qu'il représente pour
la Commission. Compte tenu des peurs mentionnées plus haut, l'apparence
que la Commission sert de section d'investigation pour le Procureur
découragerait les personnes qui souhaitaient venir témoigner
devant la Commission. Le modèle étanche et le modèle
d'accès libre représentent deux extrêmes qui peuvent
être tempérées par l'échange conditionnel.
Comme son mon l'indique, le modèle d'échange
conditionnel suppose un échange d'informations entre la Commission
et la Cour spéciale. Ces échanges devraient remplir certaines
conditions pour assurer l'indépendance des deux institutions d'une part,
et d'autre part, la coopération pleine de la population locale. Les
informations et dépositions recueillies en public ne posent pas de
problème quant à leur échange, toute personne pouvant y
avoir accès. Le problème se pose pour les informations
confidentielles dont la CVR aurait en sa possession. Sous l'arbitrage d'un juge
de siège (juge en de la Chambre d'appel ou de Première instance),
les parties au procès (accusation comme défense) pourront
demander la mise à leur disposition d'informations nécessaires
à la défense de leur dossier271(*). Dans leurs requêtes respectives, elles
devraient préciser avec rigueur quelles sont les informations qu'elles
souhaitent avoir et quelles sont les personnes qui les ont fournies. Cette
exigence doit être rigoureusement respectée pour éviter les
demandes formulées de manière générales
s'apparentant à une chasse à l'information au hasard. Le juge
saisit par la demande convoque une audience extraordinaire au cours de laquelle
les parties défendront le bien fondé de leurs demandes et un
représentant de la CVR entendu. Si le juge considère que les
arguments du requérant sont recevables, il demandera à la
Commission de transmettre les informations en tenant compte des
intérêts des témoins. Il est alors nécessaire
à cette étape d'élaborer une politique claire de
protection des témoins de la part des deux institutions. La Commission
remettra les informations au juge qui décidera si oui ou non elles
peuvent avoir une incidence sur le cours du procès. Les informations
signes d'intérêt seront transmises aux parties, avec une
précaution importante : le Procureur ne peut les utiliser contre le
témoin qui a déposé devant la Commission. Ce compromis est
nécessaire à la fois pour ne pas dissuader les personnes à
venir témoigner devant la CVR mais aussi de garantir les droits des
témoins, notamment à ne pas s'auto incriminer.
Dans une société encore fragile, la mise sur
pied de l'Etat de droit nécessite une bonne harmonisation entre les
institutions de justice transitionnelle. Leurs statuts doivent prévoir
clairement les modalités de cette harmonie affin d'éviter un
marge d'appréciation des textes importante. En Sierra Léone, il
n'y a pas eu cette prudence ; il n'y a donc pas eu de heurts majeurs entre
la Cour spéciale et la CVR. Il n'en reste pas moins important de
définir les définir dès le début, car la
réécriture de l'histoire de la Sierra Léone en
dépend.
II. Une Commission chargée de rechercher la
vérité et de réécrire l'histoire du pays
Au sortir de dix ans de conflit armé, une
société a besoin de repères pour la construction d'un
nouveau vivre ensemble. Ce vivre ensemble doit partir sur des bases
consensuelles, sans frustrations ni sentiment d'injustice. Il est alors
possible, dès lors qu'on a recherché les sources des discordes du
passé, de se réconcilier et de définir de perspectives
nouvelles vers une construction d'une société gouvernée
par le respect des droits de chacun et dépourvue de violences. Les
rédacteurs des textes fondateurs de la Commission ont mesuré
l'ampleur de la tâche qui devait leur revenir, étant donné
que la plus grande partie du travail historique et incombait à
l'organisme dont ils avaient la charge de définir le mandat. C'est donc
salutaire que la CVR ait eu un mandat très ambitieux recouvrant une part
importante des violations des droits de l'homme et une période
relativement longue (A) et qu'il lui ait été possible de
rechercher la vérité par tous les moyens dont elle jugeait
nécessaires (B).
A. Un mandat ambitieux
Il sera donc question, avant de voir la destination que la
Commission a souhaité donner à la vérité qu'elle
aura écrite (2) rechercher les types de violations sur lesquelles la CVR
s'est penchée pour réécrire une histoire acceptée
de tous.
1. Réécrire l'histoire de la Sierra
Léone acceptée par tous
Le législateur sierra léonais a défini
à l'article 6 de la loi instituant la CVR cinq objectifs
regroupés en deux paragraphes distincts : il est d'abord question
dans le premier paragraphe pour elle d'établir la réalité
sur les violations des droits de l'homme et du droit internationale commises
pendant le conflit de 1991 à la signature de l'accord de paix de
Lomé en 1999. Dans le second paragraphe, la priorité est
donnée à l'usage de cette vérité au service de la
consolidation de la paix en faisant face aux besoins des victimes.
Dans sa rédaction d'une « histoire
complète et impartiale272(*) » du conflit, la Commission ne
saurait se limiter à l'intervalle temporel de 1991 - 1999, car l'accord
de paix de Lomé n'ayant pas tenu et les violations des droits de l'homme
ayant continué jusqu'en 2001, il faudrait que le travail de la
Commission couvre la totalité de la décennie du conflit,
c'est-à-dire de l'attaque par les rebelles de Foday SANKOH de l'Est du
pays en 1991 à la signature de l'ultime cessez-le-feu à Abuja en
novembre 2000.
L'histoire doit se faire en toute impartialité, car,
selon le révérend Joseph Christian HUMPER, Président de la
Commission, «... une vérité partiale, ce n'est pas du
tout la vérité273(*)... », ce n'est qu'une version de
l'histoire contée par une partie au conflit qui a des
intérêts, une réputation ou une image à sauvegarder.
Il est rare de voir un organe judiciaire ou quasi juridictionnel dont
l'objectif principal est la recherche da la vérité pour
établir l'histoire réelle du conflit. En Afrique du Sud, la
dimension historique de la Commission transparaissait clairement dans son
rôle à jouer pour construire la Rainbow Nation.
« Après Nuremberg, disait Desmond TUTU, les Alliés sont
rentrés chez eux, alors que nous les Sud-africains sommes
condamnés à vivre ensemble274(*) », ce vivre -ensemble se construisant
dans une société de confiance où les mythes du
passés sont dévoilés. Le Tribunal de Nuremberg a servi
à rechercher la vérité partielle. Elle n'avait pour but
que d'établir la responsabilité des Nazis dans le
déroulement de la guerre et des atrocités qui y ont
été commises, sans penser à tous leurs
co-perpétrateurs ou sympathisants qui les ont aidés dans leur
sombre dessein. Plus récemment, le TPIY rappelait dans une de ses
décisions que l'institution a été établie par les
Nations unies dans le but déterminer la vérité sur la
possibilité que des crimes de guerre, contre l'humanité ou de
génocide aient été commis en Ex-Yougoslavie,
établissant ainsi une histoire disponible et vérifiable du
conflit espérant ainsi briser le cycle perpétuel de la revanche
et du ressentiment. La CVR sierra léonaise a donc eu devant elle une
charge ambitieuse, lourde même, une charge dont il serait utopique de
dire qu'elle aura accompli dans sa totalité, au regard de ses ressources
limitées et du cours laps de temps pendant lequel elle aura mené
ses activités. Elle aura tout de même permis de faire la
lumière sur certains aspects importants du conflit, de taire certaines
rumeurs, d'éclaircir des zones d'ombre importantes, réduisant
ainsi la possibilité pour certains idéologues de détourner
le cours des évènements pour servir les thèses de ceux qui
sont contre le processus de paix.
La CVR avait pour but de rechercher la vérité
afin de mettre sur pied des données historiques exploitables par les
générations futures. L'article 6 de la Loi établissant la
Commission précise que cette vérité concerne la recherche
de la manière la plus complète possible « les
origines et les raisons... des violations des droits de l'homme et du droit
international humanitaire ». Le mandat de la CVR couvre donc
deux branches bien distinctes du droit international public qui en fait
concernent, selon l'esprit des parlementaires et des rédacteurs de
l'accord de paix de Lomé tous les droits fondamentaux reconnus dans la
constitution sierra léonaise de 1991275(*), des textes internationaux comme la Charte onusienne
des droits de l'homme et la Charte africaine des droits de l'homme et des
peuples d'une part et d'autre part, l'ensemble du dispositif de Genève
concernant la conduite des hostilités dans les conflits armés ne
présentant pas un caractère international276(*). Les causes, les
circonstances et les responsables de ces exactions devraient être
déterminés au moyen des audiences publiques et privées
ainsi que d'autres pouvoirs d'enquête importants mis à la
disposition de la Commission.
Il convient de rappeler pour finir que les violations graves
des droits de l'homme et du droit international humanitaire devraient
être relatives au conflit armé en Sierra Léone. Cette
remarque appelle deux observations particulières. En premier lieu, il
convient ici d'écarter toutes les autres infractions aux droits de
l'homme qui ne seraient pas directement liées au conflit armé. En
effet, les droits de l'homme étant reconnus et applicables aussi bien en
temps de paix qu'en temps de guerre, les violations générales ne
peuvent faire l'objet du mandat de la Commission. Par exemple, un viol commis
par un policier dans l'exercice de ses fonctions, dès qu'il
n'était pas destiné à un usage guerrier sort du cadre de
compétence de la Commission, de même que peuvent aussi être
écartés tous les actes de mutilation génitale
féminines commis pendant le conflit armé, constituant des
violations des droits de l'homme mais n'étant pas destinées
à un objectif militaire déterminé. En second et dernier
lieu, les violations relatives au conflit appellent l'examen des
« facteurs internes et externes » des violations.
C'est-à-dire, que les violations des droits de l'homme et du droit
humanitaire commises hors du territoire sierra léonais. La Commission
serait donc fondée à enquêter sur les abus et violations
dans les pays voisins et partout ailleurs pour établir ces facteurs
externes avec pertinence, étant donné que plusieurs acteurs non
sierra léonais ont une part de responsabilité dans les
exactions277(*).
La Commission avait donc une tâche exaltante à
mener pour participer aux efforts de reconstruction et de consolidation de la
paix en Sierra Léone. Elle a réussi à établir une
histoire du conflit partagée par tous et produit un rapport dans lequel
elle fait des recommandations, pour donner un sens à son travail de
recherche de la vérité.
2. La recherche de la vérité pour quoi
faire ?
La question à se poser lors de la mise en place d'une
instance chargée de rechercher la vérité sur des
évènements douloureux du passé est de savoir quelle est la
destination à donner à cette vérité. La Commission
siège-t-elle pour quoi faire ? Quel est la portée des
recommandations qu'elle devrait être en mesure de faire et sur qui porte
la responsabilité de les mettre en oeuvre ?
La loi relative à l'établissement de la
Commission vérité et réconciliation en Sierra
Léone, nous l'avons dit plus haut, lui fixait deux principales : la
première étant à caractère historique et la seconde
destinée à des fins réparatrices et
réconciliatrices. Il s'agit en effet de faire face à
l'impunité, répondre aux besoins des victimes en travaillant au
rétablissement de leur dignité et de promouvoir la
réhabilitation et la réconciliation tout en adoptant un rapport
dans lequel elle indique des recommandations pour éviter la
répétition de telles violences dans l'avenir.
A vrai dire, le travail d'une commission de
vérité peut aussi servir à la mise en oeuvre des objectifs
d'autres institutions de justice transitionnelle. Il s'agira, pour le cas de la
Sierra Léone de mettre la vérité trouvée au service
du DDR, de la Cour spéciale ou du Comité national de suivi des
recommandations de la Commission. En effet, une fois le rapport de la
Commission rendu public, les personnes qui auront intérêt à
exploiter les résultats des investigations à charge ou à
décharge devant la Cour spéciale devraient y trouver
satisfaction. Les juges pourront alors s'y référer pour croiser
les versions données par un témoin devant l'une ou l'autre des
institutions, assurant ainsi une plus grande crédibilité à
leurs solutions. Enfin, la loi instituant la CVR prévoit l'usage de ses
informations par le Comité de suivi du rapport qui tiendra ses sessions
une fois par an pour évaluer la mise en oeuvre de celui-ci par le
gouvernement. Bien qu'un programme de réparation ait été
mis sur pied indépendamment de la Commission, le fait de fonder ce
programme sur les conclusions des enquêtes et les recherches
menées dans le cadre de son travail présente des avantages
incontestables. Il est tout de même nécessaire d'étendre un
tel programme à toutes les victimes, y compris celles qui n'ont pas
témoigné.
En outre, du point de vue pédagogique, le rapport de la
Commission est un outil de dissémination non seulement de l'histoire
impartiale du pays mais aussi des principes de respect des droits de la
personne et de réconciliation278(*). C'est un outil indispensable dans la
redéfinition du nouveau vivre ensemble car aiderait mieux à
définir les solutions et à tirer les conséquences de la
guerre pour le futur.
En tout dernier lieu, la vérité peut servir
à la reconstruction institutionnelle et structurelle du pays. Le rapport
de la Commission est une base suffisamment solide pour établir les
responsabilités des individus ou des institutions dans la
perpétration des violations graves des droits de l'Homme. Pour
écarter des fonctions stratégiques ou de l'exercice du pouvoir
ceux qui se seront rendus coupables de telles exactions, une procédure
équitable est nécessaire279(*), et la base des données de la Commission
pouvant servir de source pour l'une et l'autre des parties. Outre les
responsabilités individuelles, celle collective des institutions
étant mise en exergue dans le rapport, il est plus avantageux d'y baser
toutes les réformes afin d'en tirer toutes les conclusions utiles.
La tâche qui incombait à la CVR fut l'une des
plus consistantes. En effet, réécrire l'histoire du pays,
redonner l'humanité aux victimes et aux perpétrateurs, faire des
recommandations à mettre en oeuvre pour le futur en deux ans de mandat,
même pour un petit pays comme la Sierra Léone nécessite des
moyens humains et financiers considérables. Les commissionnaires
n'avaient d'autre choix que de lier aux mécanismes inspirés
d'autres instances des modalités de réhabilitation propres au
pays.
B. Des mécanismes mixtes de recherche de la
vérité
La mise en place d'une commission de vérité dans
une société en reconstruction post conflictuelle doit s'inspirer
d'autres expériences de réussite. Cependant, à chaque
société correspond une culture particulière, une
manière de faire, un ensemble de systèmes de valeurs et de
mécanismes de gestion des conflits différents. Il est donc
nécessaire d'établir un équilibre entre les
mécanismes classiques et spécifiques de réhabilitation et
de reconstruction. Le législateur sierra léonais, conscient de
cette nécessité, a mis en place une commission alliant les
mécanismes de réhabilitation dits classiques (1) et ceux plus
proches des pratiques culturelles locales (2).
1. Des modalités classiques prenant en compte les
attentes des personnes vulnérables
Le travail de la Commission, plus que celui de toute autre
institution, constituait une opportunité sans précédent
pour les personnes affectées par le conflit de participer à la
reconstruction morale et matérielle de la société. Avant
la création, les autorités publiques ont mis sur pied un
comité consultatif regroupant les chefs religieux, les membres
d'associations des femmes, des ex-combattants, des victimes de guerre ainsi que
les représentants des ONG oeuvrant dans le domaine de l'assistance
humanitaire et de la consolidation de la paix. Ce comité consultatif a
continué à siéger280(*) pendant le mandat de la Commission pour
évaluer l'impact des activités de cette dernière sur la
réconciliation.
La Commission avait mis sur pied différentes
méthodes de recherche de la vérité, notamment, les
enquêtes et investigations sur le terrain ainsi que des audiences
publiques et privées sur des bases volontaires ou non. Les audiences
publiques étaient thématiques, c'est-à-dire
consacrées à un aspect particulier du conflit. L'on pouvait donc
assister à des audiences consacrées aux femmes, d'autres aux
enfants, à la réconciliation, au rôle des forces
armées et des factions dans le conflit ainsi qu'au rôle de l'Etat,
plus précisément le rôle de ceux qui exerçaient les
attributs de puissance publique à différentes phases du
conflit281(*).
Les différentes audiences appelaient la présence
et la participation des femmes et des enfants affectés par le conflit.
La prise en compte de leurs particularités était un
impératif pour la Commission. C'est ainsi qu'une prise en charge
psychologique a été mise sur pied à a fois pendant et
après les témoignages. Les auditeurs de la Commission ont tous
été formés aux droits de l'homme, à la psychologie
des victimes et aux symptômes et à l'accompagnement du traumatisme
que le souvenir de violences pouvait causer aux victimes ainsi qu'aux
méthodes d'interrogation neutre des victimes et perpétrateurs.
Etant donné qu'il est beaucoup plus facile pour une personne souhaitant
relater son expérience de le faire à partir de ses propres mots.
C'est ainsi que le recrutement des auditeurs prenait en compte leur
capacité à s'exprimer avec aisance dans les langues locales et
leur sexe. En effet, il est plus psychologiquement confortable pour une femme
de s'exprimer sur les violences sexuelles qu'elle a subies devant une autre
femme. Avant tout témoignage public, la cellule psychologique prenait en
charge ces victimes pour les préparer à affronter leurs
souvenirs. Elles étaient aussi informées sur la
possibilité pour elles de témoigner sur des bases
confidentielles.
Concernant les enfants, ceux-ci étaient
interrogés conformément au mémorandum signé entre
la Commission, d'une part, et l'UNICEF et l'Agence de protection de l'enfance
(APE), d'autre part. Ce mémorandum prévoyait une
évaluation psychologique de chaque enfant par un professionnel de l'APE
affin de vérifier si celui-ci était apte à
témoigner et sur quelles bases ce témoignage allait avoir
lieu.
La Commission s'est largement inspirée de
l'expérience sud-africaine dans le soutien des victimes pendant leurs
témoignages publics. Il y avait systématiquement un membre de la
Commission aux cotés d'une victime pendant son passage. La
présence d'un parent, d'un ami ou d'un membre de la famille était
fortement encouragée, avec, en ce qui concerne les enfants la
présence obligatoire d'un agent de l'APE à leurs cotés. Il
arrivait qu'à l'écoute des témoignages, certaines
personnes dans le public subissaient elles aussi un traumatisme. Une
équipe de la Croix-Rouge nationale et des hôpitaux locaux
était présente pour assurer les premiers soins d'urgence à
ceux qui en avaient besoin. Les séances publiques servaient aussi de
grande salle de consultation médicale. En effet, lorsque les
témoignages des victimes apportaient des indices pouvant laisser
présager à la nécessité d'une consultation
médicale, celle-ci était immédiatement effectuée
dans les centres de santé les plus proches.
Après leur témoignage, les témoins
recevaient des visites régulières de la part des agents de la
Commission pour évaluer l'impact de leur témoignage sur leur vie
quotidienne282(*). L'on
s'assurait que les mêmes agents s'occupent des mêmes victimes tout
au long du processus pour créer un lien de confiance entre les deux
parties et permettre ainsi un suivi plus efficace des cas individuels.
La Commission menait son action dans un contexte
précis : la majorité de la population de Sierra Léone
appartient aux groupes culturels peulhs et mandingues,
pratiquent pour la plupart l'Islam, le Christianisme ou les religions
dites traditionnelles (animistes). Il n'était donc pas logique d'ignorer
ces particularités dans la recherche de la réconciliation.
2. Modes de réhabilitation traditionnels et
communautaires
Chez les mandingues, et c'est également le cas chez
d'autres groupes ethniques de la Sierra Léone, le péché
d'un membre de la communauté est porté par tous les autres. Il
est donc inefficace que le perpétrateur se purifie seul. Bien que la
Commission ait choisi pour un certain nombre de raisons283(*) de nommer certains
responsables, il était nécessaire de mettre en place des
community-based reconciliation (ou réconciliations
communautaires) qui ont épousé le modèle de la palabre.
Ahmadou KOUROUMA284(*) définit la palabre comme une «...
manifestation de l'attachement traditionnel des ancêtres [de l'homme
africain] à l'échange pacifique d'arguments. La palabre africaine
possède son rituel. Le villageois le plus âgé
préside la palabre dont les mécanismes sont rigoureusement
codifiés. Chacun ensuite intervient selon son âge. Le benjamin
parle le premier. Après lui intervient celui qui le suit en âge et
ainsi de suite jusqu'au vieux qui s'exprime le dernier... »
Des deux institutions de justice transitionnelle, la
Commission avait le plus de faveur de la part des sierra léonais. Ils
préféraient en effet cette manière de gérer les
problèmes qui cadre mieux avec les mécanismes traditionnels de
gestion de conflits. La Commission procédait de manière originale
à l'accompagnement des audiences publiques et à huis clos.
A chaque fin de session dans une localité, les différentes
parties prenantes (groupes de victimes, perpétrateurs, dignitaires
religieux et chefs traditionnels) se retrouvaient pour pratiquer une
réhabilitation dite traditionnelle. Cette réhabilitation
comprenait des prières aux morts, l'établissement des monuments,
ce qui était important non seulement pour les personnes
concernées mais pour la communauté tout entière.
La réconciliation communautaire est un mécanisme
dont l'accomplissement va au-delà du mandat de deux ans de la
Commission. Financée par le PNUD, elle a été mise sur pied
avec le concours du Conseil interreligieux de Sierra Léone285(*) qui en exerce la direction.
Ce type de réconciliation, initiée pour la première fois
en Sierra Léone en octobre 2003 s'exécute en trois phases :
la formation de formateurs, les séminaires régionaux de
réconciliation qui débouchaient sur la formation des
comités régionaux de support.
· La formation de formateurs :
du 14 au 16 octobre 2003, un panel de 14 anciens auditeurs de la
Commission se sont réunis à Freetown à la faveur d'un
séminaire de formation sur les enjeux de la réconciliation
communautaire. Il s'agissait entre autres du concept de réconciliation,
du rôle de la religion et des traditions, de celui des femmes et des
enfants, des perspectives comparatives d'autres pays ainsi que l'ensemble des
retombées du travail effectué auprès des victimes et des
perpétrateurs de violences.
· Les séminaires régionaux de
formation : au niveau régional, des
séminaires auxquels participaient les chefs traditionnels et religieux,
les représentants d'associations des victimes et d'anciens combattants.
Une représentativité des femmes était assurée, de
telle sorte que pendant les 10 jours des séminaires (du 10 au 20
novembre 2003), une grande partie de la population féminine ait pu
participer au programme. Les débats portaient sur les différents
mécanismes à mettre en oeuvre pour faciliter la
réconciliation et l'évaluation des besoins des victimes et
d'autres personnes affectés par le conflit.
· Les Comités
régionaux : les séminaires
régionaux débouchaient sur la mise sur pied des comités
régionaux chargés de mettre en oeuvre les propositions. Ces
comités exerçaient sous l'autorité du Conseil
interreligieux et étaient composés de représentants des
chefferies traditionnelles et d'associations de victimes et d'ex-combattants.
Il pouvait y avoir entre autres comme activités
pertinentes dans le sens de la réconciliation : des rituels de
purifications des sociétés secrètes286(*), les activités
religieuses, les cérémonies commémoratives, les
activités sportives et culturelles, les projets communautaires
générateurs de revenus et la sensibilisation aux droits de
l'homme, et surtout ceux des femmes et des enfants.
La Sierra Léone a connu par le biais de la
réconciliation communautaire des avancées significatives dans la
résolution de certains conflits et surtout des problèmes que les
politiques publiques classiques ne pouvaient régler du moins, dans des
termes aussi courts. La construction de certains monuments et des
marchés ; la création artistique notamment, les films et
pièces de théâtre et la création de
coopératives ou d'autres projets intercommunautaires ont permis, dans
une certaine mesure, au tissus social de se ressouder et de fixer les jalons
d'un nouveau vivre ensemble que les conclusions du rapport appellent en mettant
les victimes au centre des préoccupations.
Section 2 : La réparation des victimes des
violations graves des droits de l'Homme
Le processus de mise en oeuvre de la justice transitionnelle
comporte un élément de victimisation. En effet, aussi bien dans
le cadre de la justice réparatrice que celui de la justice pénale
proprement dite, la victime est la préoccupation première des
officiels. La prise en compte de la victime en tant que partie prenante au
procès et sa participation aux auditions ainsi qu'aux mécanismes
de reconstruction communautaire appellent à la conclusion logique de la
réparation des torts subis. Cette réparation obéit
à une philosophie particulière (I) qui doit elle-même
respecter certaines formes pour garantir l'effet réparateur
escompté (II).
I. La philosophie
du programme de réparation
La philosophie d'un programme de réparation correspond
à l'esprit qui l'entoure. Il s'agit de déterminer son but, son
mobile, bref, son pourquoi. Nous pouvons identifier dans ce sens qu'un
programme de réparation, doit chercher à rétablir
l'équilibre rompu en poursuivant le but de justice sociale (B)
après l'identification des parties prenantes à la
réparation (A).
A. Les parties prenantes au programme de
réparation
Pour rétablir l'équilibre rompu, la
détermination des parties prenantes à la réparation est
nécessaire. Il s'agit de déterminer qui est débiteur et
créditeur des avantages découlant du programme de
réparation. Deux questions méritent de trouver
réponse : à qui incombent les réparations (1) et qui
y a droit (2) ?
1. A qui incombent les réparations ?
La particularité de la situation d'un Etat en
reconstruction post-conflictuelle et les besoins en matière de
réparation ne répondent plus à la mécanique
classique de mise en jeu du couple responsable - victime, comme c'est le cas en
droit civil. C'est-à-dire que le principe selon lequel toute personne
responsable d'un fait délictuel ou non, ayant causé un dommage
à une autre soit dans l'obligation de le réparer n'est plus
à lui seul pertinent, ceci à plusieurs égards. D'une part,
il convient de relever que la situation particulière d'un pays
dévasté par la guerre est telle que les ressources des
responsables des violences ne soient pas suffisantes pour couvrir tous les
torts. Recourir au seul patrimoine des coupables des violations graves des
droits de l'Homme est donc inadéquat, voire insignifiant compte tenu de
l'importance des dommages à réparer287(*). Et d'autre part,
étant donné que la Sierra Léone a opté pour des
poursuites à l'égard d'une partie seulement des responsables des
crimes, notamment ceux qui « supportent la plus grande
responsabilité288(*) », de nombreuses victimes ne verront
pas leurs souffrances réparées car les coupables immédiats
n'auront pas été identifiés.
L'autre argument est celui selon lequel il faut retenir la
responsabilité de l'Etat de manière directe ou indirecte. De
manière directe, la Sierra Léone a connu, depuis le début
du conflit en 1991, des violations des droits de l'Homme du fait des
différentes entités qui ont exercé la puissance publique.
Il serait donc logique que la responsabilité de l'Etat soit
engagée afin qu'il puisse répondre des faits causés par
ses agents. De façon indirecte, l'on pourrait tenir l'Etat pour
responsable des violations causées par les tiers du fait de sa
défaillance dans la protection des citoyens.
En général, l'obligation pour l'Etat de
répondre aux violations des droits de l'Homme découle à la
fois des obligations constitutionnelles et internationales de l'Etat. En Sierra
Léone, la Constitution de 1991 (chapitre III) reconnait que les citoyens
sierra léonais sont titulaires des droits imprescriptibles et
inaliénables que l'Etat a l'obligation de respecter et de faire
respecter. Parmi ces droits figurent le droit à la vie, la protection
contre les arrestations et les détentions abusives, la protection contre
le travail forcé ou l'esclavage ainsi que le droit de ne pas subir des
peines ou traitements inhumains et dégradants. Les citoyens ont le
droit, selon l'article 28 (2) de la Constitution de recourir à
l'arbitrage de la Cour suprême pour obtenir réparation s'ils
s'estiment victimes de violations de ces droits. En outre, la loi relative
à la CVR, en son article 29 fixe pour obligation à l'Etat de
réparer les violences du conflit, notamment en mettant en place un fonds
d'aide aux victimes de guerre, lequel fonds prendra en charge la
réparation de tous ceux qui ont subi les affres de la guerre.
Sur le plan international, la plupart des textes
pertinents en la matière prescrivent comme obligations de l'Etat de
veiller non seulement à prévenir les violations des droits de
l'homme mais à réprimer les coupables et surtout à
réparer les victimes de ces violations, que ce soit du fait de ses
agents ou des tiers. L'article 8 de la Déclaration universelle des
droits de l'Homme, l'article 2.3 du Pacte international relatif aux droits
civiques et politiques, l'article 14 de la Convention internationale contre la
torture et les articles 7 et 21 de la Charte africaine des droits de l'Homme et
des peuples reprennent ce principe en prévoyant comme obligation
à l'Etat la garantie d'une réparation juste, proportionnelle et
équitable aux victimes des violations des droits de l'Homme289(*).
Selon Theo VAN BOVEN et MC BASSIOUNI290(*), le respect dû aux
victimes requiert de la part des Etats, en application des règles
conventionnelles et coutumières internationales, l'obligation de leur
fournir une instance devant laquelle celles-ci sont en droit d'obtenir une
réparation juste et équitable selon l'ampleur des violations
subies et la situation particulière des Etats. Ils précisent que
la particularité que représente les crimes de masse impose
l'intervention directe de l'Etat dans le processus de réparation,
quelque soit l'auteur des violences, car la responsabilité de l'Etat est
présumée lorsque des violations graves des droits de l'Homme et
du droit humanitaire se font à grande échelle.
L'Etat est donc responsable de la réparation des
violations des droits de l'Homme et il lui incombe de mettre en place des
politiques viables pour répondre aux besoins des victimes. Cette
réparation, pour être différenciée de la
stratégie globale de développement de l'Etat doit être
effectuée pour des personnes déterminées, d'où la
question de savoir à qui elles doivent bénéficier.
2. Qui a droit aux réparations ?
Pour mettre en oeuvre l'obligation étatique de
réhabilitation des victimes des violations graves des droits de l'Homme,
l'Etat a besoin d'identifier les victimes291(*) et de déterminer leurs besoins afin de leur
accorder la réparation la plus juste et équitable possible. Cette
identification de victimes est étroitement liée à la
notion de responsabilité. Car, sans responsabilité
engagée, il n'y a pas d'occasion de faire la vérité sur
l'identité des victimes et de les reconnaître entant que partie
à la construction de la nouvelle société.
Cependant, lors de la signature de l'Accord de Lomé
comme dans la plupart des cas, le cessez-le-feu a été obtenu par
l'octroi de l'amnistie aux responsables des violations des droits de l'homme,
abandonnant ainsi l'opportunité des poursuites pénales, outil
indispensable pour la recherche des victimes. En effet, l'amnistie
octroyée aux responsables des crimes les plus graves empêchait la
possibilité d'entamer un processus complet permettant de faire la
lumière sur les faits et de punir les responsables, faisant ainsi droit
à la première réparation à faire aux victimes.
L'Accord (article 26) prévoit quand même la création d'une
Commission vérité et réconciliation dont l'une des
missions les plus importantes sera entre autres de « recommend
measures to be taken for the rehabilitation of victims of human rights
violations », ce qui permettra, comme le prévoit
l'article 6 (2) (b) de la loi établissant la CVR de concourir à
la restauration de la dignité des victimes et de promouvoir la
réconciliation.
La Commission a donc, plus que la Cour spéciale qui
sera créée plus tard, le rôle le plus important dans la
réhabilitation et la réparation des victimes. Tout au long de la
loi établissant la Commission, le législateur a habilement
évité le terme « réparation »
pour n'évoquer que « les besoins des victime [et] la
restauration de leur dignité. » Loin d'être
négative, cette provision est plutôt pragmatique car ne
prépare pas un très grand nombre de personnes à
prétendre aux prestations que les possibilités économiques
de l'Etat ne peuvent fournir.
De nombreuses personnes sont venues témoigner devant la
Commission, de nombreuses personnes on été victimes des
violations graves des droits de l'Homme pendant la guerre civile. L'un des
membres de la commission a même déclaré à ce propos
que « (...) many, if not all of the people of Sierra Leone suffered
during the war. Some suffered directly from various kinds of violations
mentioned in this report. Others witnessed these violations or indirectly
suffered from them. In this way, all Sierra Leoneans are survivors. The
Commission hereby explicitly acknowledges the suffering of all these
people...» faisant valoir ainsi la nécessité de prendre
en compte d'autres critères pour privilégier un groupe ou un
autre dans l'accès à la réparation.
Contrairement à la CVR de Desmond TUTU qui
n'intégrait dans son programme de réparation que les victimes qui
coopéraient avec elle, celle du Bishop HUMPER pensait que prendre en
compte ce critère comme déterminant pour la
« sélection » représentait un risque
énorme pour la réconciliation. C'est en effet un mode de
distinction arbitraire et injuste qui ne prenait pas en compte les besoins
réels des victimes. De plus, compte tenu de sa taille, de la modestie de
son budget et de la durée de son mandat, la Commission ne pouvait
entendre tous ceux qui voulaient témoigner devant elle. Le
critère de « besoin » s'imposait donc aux membres de
la Commission comme celui qui devrait être pris en compte.
De la définition de la victime faite par la Commission,
il en découle que toutes les victimes du conflit doivent être
prises en charge, non seulement les victimes directes ou les nationaux. Il
apparaissait avec la définition de ceux qui avaient besoin d'une
attention urgente que certaines victimes directes étaient
écartées au profit de veuves, orphelins et autres victimes
indirectes qui ont perdu leur soutien économique pendant la guerre. Il
ne fallait pas aussi se limiter au critère physique pour
déterminer les bénéficiaires, car certains traumatismes
comme ceux des nombreuses victimes des violences sexuelles ou de destruction de
biens n'étaient pas visibles au premier abord.
Finalement, pour intégrer les victimes dans le
programme de réparation, il fallait que les violences soient subies
pendant la période du 23 mars 1991 au 2 mars 2002 et qu'elles
présentent soit une marque physique du traumatisme comme les
amputés, les blessés de guerre ; les victimes des violences
sexuelles ; les enfants et orphelins de guerre ainsi que les victimes des
violences sexuelles.
· Les amputés : ce
sont des victimes ayant perdu un membre supérieur ou inférieur
dû au conflit. Le recours à la Compensation Act de 1955
permettra d'évaluer le degré d'invalidité.
· Les « autres blessés de
guerre » : c'est une catégorie de victimes
qui ont subi des dégâts physiques importants ayant causé
une incapacité partielle ou totale, autrement qu'une amputation. Ce sont
par exemple les victimes de blessures par balles ou ceux qui sont
handicapés par des lésions importantes sur certaines parties du
corps.
· Les victimes des violences
sexuelles : il s'agit des femmes ou des filles qui ont subi
des abus sexuels, des viols, le mariage forcé, l'esclavage sexuel ou des
mutilations des parties génitales. Compte tenu de l'ampleur des
violences sexuelles faites aux garçons, les hommes ont été
inclus dans le programme de réparation. Ces victimes avaient notamment
besoin du soutien relatif au traumatisme psychologique découlant de
l'agression et surtout à la stigmatisation qu'elles continuent à
subir dans leurs lieux de résidence.
· Les veuves, notamment, celles
qui ont perdu leurs époux à cause des violations des droits de
l'Homme et sont emmenées à supporter les charges familiales.
Cette provision exclut de facto les veufs car ils sont traditionnellement les
chefs de famille.
· Les enfants
représentent une catégorie spécifique des
victimes qui doivent bénéficier d'une attention
particulière du fait de leur jeune âge. Il s'agit notamment de
ceux qui, âgés de moins de 18 ans au 1er mars 2002, ont
soit perdu leurs parents pendant la guerre, ont été victimes des
violences sexuelles ou subissent des traumatismes psychologiques ou physiques
et des enfants nés de viols et dont les mères sont
célibataires.
La détermination des victimes pouvant être
intégrées dans les programmes de réparation
nécessite donc la prise en compte des besoins actuels des victimes. Non
pas pour leur accorder des avantages démesurés, encore moins
graduer les souffrances ou les niveaux de traumatismes. C'est une
manière pragmatique d'atteindre l'objectif de la justice, celui de
rétablir l'équilibre rompu entre les membres de la
société.
B. Poursuite de l'objectif de justice sociale : le
rétablissement de l'équilibre rompu
La guerre, quelle qu'elle soit, est une rupture d'un
équilibre de forces autrefois garanti par la puissance publique. Cette
rupture de l'équilibre se caractérise par l'érection de la
violence en règle et du rabaissement de l'ordre et de la justice au rang
d'exception. Un programme de réparation se veut alors un moyen de
réparer les violences et abus causés par le
déséquilibre. Il doit prendre en considération les besoins
actuels des victimes (1) et se démarquer des politiques
économiques de l'Etat (2).
1. La prise en considération des besoins actuels des
victimes
Lors de la mise en place d'une commission chargée de
faire la vérité sur les évènements douloureux, les
attentes de la population et surtout des victimes sont assez grandes. En venant
témoigner ou en décidant de coopérer d'une manière
ou d'une autre, ces dernières espèrent que leur acte contribuera
à changer leur quotidien. Desmond TUTU considère que le mobile de
cette démarche n'est pas l'obtention d'un gain matériel ou
financier. Ces victimes recherchent le plus souvent une écoute, une
justice ou une réparation morale.
Le but de la Commission n'est pas de fournir un droit à
la réparation pour les victimes des violations graves des droits de
l'Homme. Elle doit rechercher la vérité et la mettre à
disposition de l'Etat en lui faisant des recommandations pour éviter la
répétition de telles violences dans le futur, ces recommandations
pouvant contenir le droit à la réparation. Pourtant, la
Commission de Sierra Léone a eu pour mission de répondre aux
besoins actuels des victimes. Ces besoins pouvant être liés
à la recherche de la vérité et de la réconciliation
d'une part, et d'autre part à au rétablissement des victimes dans
leurs droits.
Les victimes expriment un certain nombre de demandes ou
présentent un certain nombre de besoins urgents dans de domaines assez
divers. La Commission devrait alors disposer de toute l'autorité
nécessaire pour commander à l'Etat d'intervenir dans les domaines
de la santé, de l'éducation et de l'attribution d'un revenu
minimum aux victimes.
· La santé : c'est
le secteur où il ya le plus de nécessité. Le soutien
psychologique aux victimes qui témoignent devant la Commission ou celles
qui sont profondément marquées par leur traumatisme. Comme nos
l'avions déjà fait remarquer plus tôt, des professionnels
de la santé ont été dépêchés dans tous
les centres d'écoute et d'auditions publiques de la commission. Au point
de vue physiologique, les consultations médicales d'urgences ont
été mises en place pour permettre aux victimes présentant
un traumatisme physique de se faire soigner et de profiter des
opérations chirurgicales d'urgence. Les femmes et filles victimes d'abus
sexuels ont été prises en charge d'urgence par les services
compétents avec le soutien d'ONG internationales comme Physicians for
Human Rights. En ce qui concerne les amputés, la Commission a
incité le gouvernement de mettre en place un mécanisme
d'accès rapide et gratuit de ceux-ci services orthopédiques. Le
soutien des ONG comme Handicap International ont apporté un concours
significatif à la réalisation des dispensaires
orthopédiques où des soins de rééducation sont
administrés gratuitement.
· L'état civil : le
problème de l'enregistrement des enfants sur les registres d'Etat civil,
problématique dans la plupart des pays de l'Afrique de l'Ouest en
état de paix est devenu critique dans une Sierra Léone en guerre.
Il a donc été important de mener, avec l'aide de l'UNICEF une
campagne de sensibilisation et d'enregistrement des enfants nés pendant
le conflit et non enregistrés. En outre, un grand nombre de femmes
enlevées et mariées de force avec les chefs de guerre sont
restés auprès de leurs « époux » avec
qui ils ont eu des enfants. La résolution de cette impasse juridique est
nécessaire pour garantir d'une part des droits aux enfants nés de
ces mariages forcés, et d'autre part, de permettre aux couples qui
désirent vivre maritalement de régulariser leur situation.
· L'éducation :
dans un pays pauvre comme la Sierra Léone, l'accès des plus
pauvres à l'éducation de base est un problème qui ne peut
se résoudre au seul niveau de la Commission. Cependant, pour les
victimes, une attention particulière doit leur être
accordée. Des bourses spéciales ont été
accordées aux personnes victimes des violences sexuelles, aux
amputés et blessés de guerre ainsi qu'aux orphelins. Les deux
programmes mis en place par le ministère de l'éducation nationale
pour la reconstruction du système éducatif292(*) assurent la
réalisation de ces objectifs immédiats.
· Assurer un revenu de base aux
victimes : après une guerre civile comme en Sierra
Léone, les victimes de violations graves des droits de l'Homme vivent
dans une situation de dénuement total. Leur situation contraste avec
celle des ex combattants qui on bénéficié des programmes
de DDR mis en place à la fin du conflit. Certaines victimes se sont
plaintes de cette situation qu'ils qualifiaient d'injuste. Afin de
remédier à cette situation, la Commission a mis en place un
programme de formation aux activités génératrices de
revenu et à au versement d'une pension aux victimes pour de leur
faciliter la prise en charge des dépenses de subsistance.
La Commission Vérité et Réconciliation
n'a eu qu'un peu plus de deux ans pour mener à bien son mandat. Il a
donc appartenu à l'Etat d'assurer le suivi des programmes entrepris et
surtout de mettre en oeuvre les recommandations. Se concentrer exclusivement
sur les victimes présente un risque grave de division au sein de la
population tout entière. Il y a donc un équilibre à
assurer : continuer les programmes de réparation des victimes tout
en les dissociant des politiques sociales et économiques de l'Etat.
2. La différente entre la réparation et les
politiques sociales et économiques
Soumettre l'Etat au droit et instaurer [ou
réinstaurer ?] l'égalité entre les citoyens dans des
sociétés, qu'elles soient post conflictuelles ou non, supposent
la prise en compte de certains facteurs dominants. Cela doit consister à
assurer à la fois l'égalité de tous devant la loi et les
services publics en respectant les cas particuliers des pauvres et
nécessiteux. Dans le cas de la Sierra Léone, les victimes ont
besoins d'être considérées avec humanité et toutes
les précautions dues à leur qualité, mais dans le strict
respect de la répartition équitable des ressources de l'Etat qui
doivent profiter à tous, y compris à ceux qui ne sont pas
victimes. Il convient donc de relever deux niveaux de répartition :
entre victimes d'une part, et entre les victimes et les le reste de la
population d' autre part.
En premier lieu, le principe de non discrimination, tel que
reconnu dans les différents textes internationaux pertinents en
matière des droits de l'homme et du droit humanitaire doit être
respecté. Il en découle que toutes les victimes, quelles qu'elles
soient doivent être traitées avec humanité et sans
discrimination aucune. Cette discrimination, comme le prévoient les
Conventions de Genève293(*), ne doit pas être « ...de
caractère défavorable.. » qui peuvent
être la race, l'âge, le sexe, le groupe ethnique ou l'appartenance
religieuse. Seuls le niveau de précarité et la gravité
d'une situation par rapport à une autre devraient déterminer
l'ordre ou le niveau d'intervention de l'Etat dans le domaine des
réparations. L'on peut arriver à cette fin en déterminant,
comme en Afrique du Sud, une allocation par proche disparu ou
décédé ou en graduant comme en Sierra Léone les
prestations dues aux victimes handicapées en fonction du degré de
handicap.
En second lieu, l'Etat, responsable des réparations
doit dissocier les réparations proprement dites des autres programmes de
politiques économiques et sociales. Cette technique peut
présenter trois avantages et un inconvénient primordial. Parmi
les avantages, il est évident qu'un programme d'une telle ampleur est
viable à condition qu'il soit administré par un programme ou une
institution autonome par rapport à l'appareil étatique.
C'est-à-dire que du point de vue organique (personnel de direction et
d'intervention), financier (budget de fonctionnement) et matériel
(actions à entreprendre sur le terrain, projets à financer,
etc.), les réparations soient mises en oeuvre par une autorité
indépendante, nommée avec la consultation des différentes
forces politiques de l'Etat (exécutif, législatif et
société civile). Cette autonomie n'exclut pas un contrôle
strict exercé soit par le Comité de suivi des recommandations de
la CVR, soit par le pouvoir législatif à travers la Chambre des
comptes de la Cour suprême.
Le deuxième avantage de ce détachement de
réparations est lié au faible risque de
récupération politique que cela constitue. Si les
réparations dépendaient des orientations et des choix politiques
des gouvernements, le risque le plus important serait de les voir
dépendre des enjeux électoraux, des calculs et disputes
politiciens. L'autonomie accordée au programme de réparation
représenterait à coup sûr une garantie du principe de non
discrimination et permettrait de ne pas détourner l'objectif de justice
qu'apportent les réparations.
Le troisième avantage serait une plus grande
disponibilité des fonds pour un programme de réparations
autonome. En effet, les bailleurs de fonds et contributeurs et partenaires
internationaux sont de plus en plus réticents à financer les
programmes dirigés par les administrations centrales. Le financement des
réparations risque d'être compromis par les défaillances
des autres secteurs gouvernementaux en matière de bonne gouvernance.
L'autonomie permettra alors une plus grande confiance des participants.
Comme inconvénient, l'autonomie du programme de
réparation pourrait engendrer de nombreux dysfonctionnements et
incohérences. Le risque encouru est la superposition des
investissements, la distribution des crédits pour la réalisation
des projets contradictoires. L'on pourrait tout simplement assister à un
certain embouteillage entre programme de réparation proprement dit, les
actions du gouvernement et des multiples associations et organisations de la
société civile. Pour régler ce manque de coordination, une
harmonisation des politiques s'avère nécessaire pour
délimiter les champs d'intervention afin de limiter le plus possible la
compétition et de promouvoir la complémentarité et la
coopération entre différentes structures intervenant dans le
domaine socioéconomique. Un comité pluridisciplinaire pourrait
siéger dans la gestion des conflits et les évaluations
périodiques de l'évolution globale des actions sociales au niveau
national.
Il convient de rappeler que les réparations ne doivent
pas être confondues avec les politiques sociales classiques de l'Etat.
Comme le précise les principes fondamentaux concernant le droit au
recours à réparation, l'Etat ne doit pas prendre pour
prétexte l'exécution d'un programme de réparation dans une
région ou localité pour priver ses populations des prestations
auxquelles elles ont droit, en vertu des obligations de l'Etat vis-à-vis
de ses citoyens. En effet, les réparations sont un droit et non un
ensemble de privilèges pour les victimes et la distinction nette entre
elles et l'action socioéconomique de l'Etat ne ferait que consolider
cette idée.
La philosophie des réparations définit le cadre
d'ensemble dans lequel elles doivent être effectuées. C'est un
ensemble de principes directeurs à suivre pour éviter les
écueils qui les détourneront de leur but. Il convient maintenant
d'en envisager les modalités pratiques.
II. Modalités pratiques des réparations
L'accès des victimes des violations graves des droits
de l'homme et du droit international humanitaire à la réparation
suppose la prise des actions positives pour rétablir les
équilibres rompus du fait de ces exactions. Les réparations
peuvent être collectives ou individuelles, symboliques ou
matérielles, instantanées, à court, moyen ou long termes,
mais aussi intégrer un ensemble plus général impliquant
les différentes actions au niveau des services publics. Pour une
meilleure harmonisation des développements qui suivent, nous ferrons une
distinction entre réparations symboliques (A) et les réparations
matérielles ou financières qui s'apparentent souvent aux
indemnisations(B).
A. Une réparation symbolique pour assumer
collectivement le passé
Les sociétés en reconstruction post
conflictuelles présentent des caractéristiques communes au niveau
du lien social. Celui-ci se délite à cause de la suspicion, de la
méfiance, des rancoeurs que la violence et la guerre ont
instaurées. La société a besoin au sortir de la guerre
d'une réformation des bases du vivre ensemble, une redéfinition
des mobiles, de la nécessité de l'instauration d'une
société harmonieuse. Il est important de traduire le
« plus jamais ça » des discours politiques
en actes concrets dont le but est de reconstruire le tissu social, et surtout
que celui-ci soit viable.
Les réparations symboliques sont un moyen
nécessaire de psychanalyse collective. Contrairement à la
réparation matérielle qui est instantanée, la
réparation symbolique a le mérite d'être durable et d'avoir
les effets sur le long terme. Elles touchent le plus grand nombre de personnes
et implique une interaction entre les victimes et les perpétrateurs des
violences. La réparation symbolique comporte un certain nombre de
valeurs chères aux sociétés africaines :
l'humilité, la repentance, la compassion, les regrets, le souvenir, le
pardon, la réconciliation, etc. Toutes ces valeurs, importantes pour la
reconstruction du tissu social s'acquièrent et s'exercent en
binôme. C'est à la victime que le perpétrateur demandera
pardon, c'est aussi en commun qu'on se souvient des proches disparus, qu'on
prend l'engagement de ne plus répéter les violences dans le
futur, bref, d'être l'un pour l'autre le gardien des libertés
fondamentales.
Du point de vue financier, les réparations symboliques
représentent un avantage important compte tenu des résultats
qu'elles procurent et du nombre de personnes qu'elles sont susceptibles de
toucher. Elles doivent être faites de concert avec la population
concernée. Il convient de les consulter afin de recueillir leur avis sur
les types de réparations symboliques à mettre en oeuvre : il
peut s'agir des cérémonies traditionnelles d'hommage aux
victimes, monuments ou mémoriaux. L'important est la visibilité
de ces édifices et leur usage pédagogique au profit des
générations présentes et à venir.
La réparation symbolique peut prendre plusieurs
formes :
· Les excuses publiques :
le rétablissement de la dignité des victimes
nécessite que les principaux responsables des violations des droits de
l'homme puissent assumer leurs actes et exprimer leurs remords publiquement.
Même si, comme c'est le cas en Sierra Léone, il y a un processus
strictement pénal qui est mis en place pour juger certains criminels de
guerre, cela ne doit pas être un prétexte pour que les autres
personnes qui n'ont pas été inculpées de venir
témoigner et exprimer leurs remords. Mieux, c'est un moyen pour que ceux
qui n'ont pas la possibilité de participer au processus pénal de
s'intégrer dans une démarche de réconciliation. Les
excuses doivent être sincères. Plus la personnalité est
grande, plus le symbole est grand pour les personnes qui reçoivent
lesdites excuses294(*) ;
· Les monuments et mémoriaux :
la construction dans des lieux publics de monuments
commémorant les évènements douloureux de la guerre ou de
l'histoire commune permet de ressouder le lien social. Les monuments et
mémoriaux jouent un rôle éducatif auprès des
générations futures comme pour les prévenir du risque
permanent d'un retour à la guerre et ses atrocités. Parmi les
réparations symboliques, le baptême des édifices publics
(ponts, rues, avenues, stades, etc.) reste un des moyens les plus visibles et
efficaces pour attirer l'attention sur le passé et sensibiliser sur la
nécessité de consolider la paix ;
· Les cérémonies
traditionnelles et religieuses : la société
sierra léonaise est marquée par la tradition et la religion. Les
autorités traditionnelles et religieuses ont joué depuis la
colonisation un rôle très important dans les rapports politiques
et jouissent d'une très grande écoute au niveau de la population.
Celles-ci préfèrent régler les conflits devant l'Imam, le
Prélat ou le Chief au lieu d'intenter une action devant les
tribunaux publics. D'où l'intérêt d'impliquer ces
autorités dans les réparations symboliques. Les prières et
les purifications295(*)
permettent aux différents membres de la société de
retrouver leur dignité perdue et de fixer les bases d'une
réconciliation durable ;
· Les actions honorant les morts :
une société ne vivra en paix qu'à condition
que les âmes des morts ne viennent pas hanter les vivants. D'où la
nécessité d'assurer le repos des âmes à travers des
actions émanant à la fois des autorités administratives
que traditionnelles. Les premières offriront aux familles des victimes
les moyens d'enterrer dignement les victimes identifiées ainsi que la
facilitation de la délivrance des certificats de décès, la
construction et l'identification des tombes. Les prêtres, animistes comme
monothéistes quant à eux, de par leurs prières
contribueront au rétablissement de l'équilibre
préexistant.
La réussite d'un programme de réparation
dépend de la flexibilité et de la diversité des
mécanismes mis en oeuvre. C'est justement en alliant aux
réparations symboliques les réparations matérielles que
l'objectif de justice sociale est le plus à même d'être
atteint.
B. La réparation matérielle : une prise en
compte à la fois individuelle et collective des situations des
victimes
Nous entendons par réparation matérielle tout
programme qui comprend l'octroi d'un avantage matériel, financier ou
patrimonial aux personnes victimes des violations graves des droits de l'Homme
et du droit international humanitaire. Cette réparation peut consister
en l'attribution d'une rente, d'une pension ou d'une certaine somme d'argent de
manière instantanée.
· Au niveau individuel
C'est l'évaluation au cas par cas des situations des
victimes qui permet de déterminer toutes les prestations à
fournir aux victimes pour rétablir leur dignité. Il convient de
rappeler que celles-ci doivent être traitées avec dignité,
humanisme et sans aucune discrimination. La réparation individuelle peut
revêtir plusieurs formes. Il peut s'agir tout simplement de
résoudre, comme nous avons fait état plus haut, des besoins
actuels des populations, notamment en matière de santé, lutte
contre la pauvreté, accès à l'eau, éducation, etc.
La réparation individuelle peut aussi consister en un
rétablissement des droits des victimes à un niveau analogue
à celui qui existait avant le conflit. Ce rétablissement
nécessite une très grande investigation et surtout des
procédures équitables à la fois pour les victimes et les
possesseurs de bonne foi. Si des preuves de propriété sont
apportées, les personnes illégalement
dépossédées de leurs biens peuvent les
récupérer ou obtenir une indemnisation juste et équitable
en cas de destruction.
Les indemnisations individuelles consistent aussi en un
versement des sommes d'argent en fonction de certains critères. En
Afrique du Sud, une allocation de 17 à 23 000 rands (1 800 à
2 400 € environ) par an a été attribuée aux
victimes qui ont accepté de coopérer avec le processus de la
Commission Vérité et Réconciliation. Ce
procédé, bien que limité à certaines personnes,
présente l'avantage de procurer un revenu minimum aux populations les
plus vulnérables. La Sierra Léone a aussi opté pour un
versement d'une pension mensuelle de 60 000 léones (environ 15
€) pour toutes les victimes de violences sexuelles ou ceux qui ont une
incapacité d'au moins 50%296(*). Ces indemnisations nécessitent l'existence
de ressources financières suffisantes pour satisfaire le plus grand
nombre.
L'octroi des avantages financiers et matériels sont
inefficaces, comme l'a remarqué Naïma BENWAKRIM de l'Instance
Equité et Réconciliation du Maroc297(*), s'ils ne sont pas
accompagnés d'un suivi individuel et d'un ensemble d'avantages au niveau
collectif.
· Au niveau collectif
Il y a des souffrances et des dommages qui peuvent être
subies et réparées collectivement. Le retour à une
société libérée des rancoeurs et propice à
une reconstruction à la fois matérielle et morale
nécessite la réparation de ces torts communs. La guerre civile en
Sierra Léone a détruit un certain nombre de lieux de
socialisation, des lieux communs : les marchés, les écoles
ou dispensaires jouent un rôle économique et social important pour
assurer aux populations une vie digne et économiquement viable. La
reconstruction des édifices civils détruits pendant la guerre
contribuera fortement à assurer l'accès des populations à
l'éducation, la santé et la vie économique.
La notion de personne ne se limite pas à l'individu
entant que tel. La personne humaine est liée à son environnement,
à sa communauté, ses institutions, son histoire, ses lieux de
culte, etc. Sa dignité est étroitement liée à la
sauvegarde de tous ces éléments, si bien qu'une atteinte, quelle
qu'elle soit qui leur est faite porte atteinte à sa dignité. La
destruction d'une forêt ou d'une case sacrées, la perte d'un lieu
de culte ou ayant une signification particulière pour la population agit
fortement sur la conscience collective. Redonner à la population ses
lieux de rencontre et de socialisation permettra de fixer les bases d'une
réconciliation durable.
Toutefois, la réparation collective doit s'inscrire
dans un processus de consultation des différentes forces vives de la
région. Les familles des victimes, les chefs religieux et traditionnels,
les futurs usagers des nouveaux services publics doivent participer à la
validation des projets à exécuter. Dans les régions de Bo
et Kenema, les populations, après avoir participé à
l'adoption des projets de construction des points d'eau et d'écoles, ont
participé de manière bénévole par la main d'oeuvre.
Chapitre IV : LES REFORMES INSTITUTIONNELLES, LA
DEMOCRATIE ET LA BONNE GOUVERNANCE
Le bilan de la décennie du conflit en Sierra
Léone révélait un état des lieux alarmant en
matière d'institutions publiques. La puissance publique, jadis
centralisée aux mains d'un pouvoir parfois autoritaire à la
capitale était progressivement remplacée par un ensemble
d'organisations armées divisées en factions plus ou moins
autonomes. Les régions étaient éclatées en
plusieurs fiefs gouvernés par des chefs de guerre qui ont usurpé
de toutes les prérogatives de puissance publique. A l'Est, les
concessionnaires de mines d'or et de diamant payaient directement leurs taxes,
impôts et redevances aux chefs de guerre qui transmettaient directement
la plus grande partie de ces fonds au Libéria. Le constat est aussi
préoccupant dans les domaines sociaux. Aucun investissement n'a
été mis en place pendant les dix années de conflit, la
totalité des ressources étant détournée pour
alimenter les réseaux d'achat d'armement, de paiement des mercenaires et
d'entretien de nombreuses factions armées. Pire, les hôpitaux,
dispensaires, écoles barrages hydroélectriques ou ponts ont
été les cibles privilégiées des protagonistes du
conflit. En somme, la Sierra Léone est sortie du conflit
rétrogradée à la première place des pays les plus
pauvres du monde, avec une espérance de vie de moins de quarante ans,
une mortalité infantile largement supérieure à la moyenne
et une scolarisation des jeunes au plus bas.
Dans une société aussi déchirée et
économiquement mal en point comme celle de la Sierra Léone en
2001, il convient de se d'interroger sur les nouveaux principes directeurs de
la société qu'on était entrain de construire. Quelles sont
les institutions à réformer ou à créer en
priorité pour assurer un bouclier efficace du citoyen contre
l'arbitraire du pouvoir ? Comment est ce que la nouvelle politique de
gestion des ressources du pays devait être mise en place pour assurer une
bonne redistribution des richesses ? La réponse à cet
ensemble de questionnement nécessite la redécouverte des notions
telles le respect des droits de l'Homme, de la bonne gouvernance, de la
démocratie et du pluralisme.
Le rétablissement de l'Etat de droit dans une
société en reconstruction post conflictuelle est a
priori une question de respect des droits de l'Homme, de la
démocratie et du pluralisme. Pour vivre ensemble dans une
société libérée de violences et de conflits, il est
nécessaire que le respect de la dignité humaine soit la trame des
politiques publiques et que la liberté des énergies et de la
pensée soient respectées dans les institutions publiques qui sont
chargées de garantir le bien exercice de la vie en communauté.
La nécessité de réformer les institutions
publiques se justifie à plusieurs égards. En premier lieu, la
puissance publique, de par la position dominante qu'elle occupe, est plus
disposée à violer les droits fondamentaux de l'Homme. Tout
pouvoir politique, si bon soit-il, sans garde-fous risque de tomber dans
l'arbitraire et nuire à l'épanouissement de l'Homme. La nouvelle
société que les Sierra léonais étaient entrain de
mettre en place ne serait viable que si elle était gouvernée par
des institutions libres et respectueuses des droits de l'Homme.
En second lieu, et c'est le plus important, l'autorité
publique doit être garante des droits et libertés des citoyens en
vertu de ses obligations internationales. En effet, si le conflit sierra
léonais a pu surgir et duré aussi longtemps, c'est entre autre
à cause des violations des droits économiques et sociaux d'une
plus grande partie de la populations et du non respect des textes
internationaux relatifs à l'exploitation des ressources naturelles
précieuses. Rétablir une société stable et
dépourvue de violences nécessite des institutions judicaires et
administratives capables de garantir aux citoyens le plein exercice de leurs
droits.
Les institutions de justice transitionnelle ont
concrétisé l'idée selon laquelle les perpétrateurs
des violations graves des droits de l'Homme et du droit humanitaire ne
pouvaient plus s'en tirer à bon compte. Ceux-ci, qu'ils supportent la
plus grande responsabilité - et dans ce cas devront assumer leurs actes
devant la Cour spéciale - ou qu'ils ne sont que des sous-fifres les plus
faibles de l'extraordinaire « machine de guerre » qui a
concouru à l'une des plus grandes déshumanisations d'une
société dans l'histoire de l'Afrique de l'Ouest, ont l'obligation
(ou parfois même le besoin) de participer à l'exécution du
mandat de ces institutions pour construire une société juste et
équitable. Les vertus préventives de la Commission
Vérité et Réconciliation et de la Cour spéciale
permettront d'agir à la fois dans la protection et la promotion des
droits de l'homme (section 1), toutes les institutions ayant l'obligation de
renouer avec la bonne gouvernance (section 2).
Section I : La promotion et la protection des droits de
l'Homme
La transition démocratique en Sierra Léone est
l'occasion de créer une culture des droits de l'Homme. Il convient, pour
garantir le respect des droits de l'Homme de manière verticale et
horizontale, de réformer d'une part les secteurs de la
sécurité et de la défense (I) et d'autre part, de
promouvoir le pluralisme, caractéristique d'une société
démocratique (II).
I. Les
réformes de la justice et des secteurs de la sécurité et
de défense
Le pouvoir judiciaire est le garant du respect des droits
fondamentaux de l'homme et des libertés publiques. A ce titre, son
fonctionnement doit refléter cette réalité (A) pendant que
la police et l'armée restent des institutions républicaines (B).
A. L'établissement d'une justice respectueuse des
droits de l'Homme
Cela se traduit par l'adoption des nouvelles règles de
garantie de la liberté individuelle (1) tout en favorisant
l'accès des citoyens à la justice avec l'harmonisation des
différents systèmes judiciaires (2).
1. La garantie des libertés individuelles
Tout homme a droit au respect de la dignité
inhérente à sa personne. La guerre a été le
théâtre de déni de cette dignité. De milliers de
citoyens ont subi des violations flagrantes de leurs droits soit à cause
de l'action directe des forces étatiques, soit du fait de son
impuissance. La justice n'existait plus, la barbarie et les pires injustices
prévalaient car la raison et les avantages étaient obtenus au
bout d'un fusil. La nouvelle société de Sierra Léone veut
se fonder sur le respect des droits les plus inaliénables de l'Homme.
Cette refondation appelle des réformes au niveau de la procédure
et du droit pénal et surtout de la protection des droits de la
défense et du traitement humain des personnes privées de
liberté.
· Les réformes
constitutionnelles
En premier lieu, il est nécessaire de procéder
à une réforme constitutionnelle pour accorder la norme
suprême du pays à la pratique internationale. En effet, l'article
16 (1) de la Constitution dispose : «No person shall be deprived
of his life intentionally except in execution of the sentence of a court in
respect of a criminal offence under the laws of Sierra Leone, of which he has
been convicted». Cette disposition admet explicitement l'existence et
l'application de la peine de mort en Sierra Léone. Il y a un besoin
d'adoption du principe de l'inviolabilité de la vie en toutes
circonstances. L'abolition de la peine de mort et son inscription dans la
Constitution serait l'expression de la volonté de la part des
autorités publiques de faire désormais prévaloir la vie
humaine et sa dignité et de les faire respecter.
En second lieu, il convient de limiter les effets des pouvoirs
extraordinaires octroyés à l'exécutif en cas de
circonstances exceptionnelles. A ce effet, le rapport de la Commission
Vérité et Réconciliation note avec pertinence
que298(*)
« la Constitution actuelle de la Sierra Léone consacre
plus d'espace au déni des droits de citoyens qu'elle ne consacre
à son respect [... ] » ce qui montre les risques de
détournement de la Constitution de son but ultime. L'article 29 de la
Constitution consacrée aux circonstances exceptionnelles
considère que le Chef de l'Etat peut prendre des mesures limitant les
droits de l'Homme dans des conditions qui peuvent ouvrir droit à des
abus. En effet, la simple menace de trouble à l'ordre public, la menace
contre l'existence de la Sierra Léone, des troubles ou même
« la menace à l'existence de la Sierra
Léone » sont des conditions suffisantes à la
proclamation par décret des circonstances exceptionnelles299(*). Cet article de la
Constitution peut, comme dans le passé, permettre à
l'exécutif de prendre des mesures répressives contre les membres
des partis d'opposition, de la presse ou des courants d'opinions
contestataires.
Il convient aussi de limiter la durée de la
période pendant laquelle des mesures exceptionnelles peuvent être
prises et l'étendue des pouvoirs du Président. A la lecture des
sections 5 et 6 de l'article 29 de la Constitution, l'on comprend que le
Président n'a aucune limite dans la prise des décisions pendant
une période qui peut aller jusqu'à trois mois. Cette
période est, à notre avis trop longue et le maintien de ces
dispositions s'avèrent dangereuses compte tenu des droits qui sont en
cause. La Commission des Droits de l'Homme a précisé dans l'une
de ses directives que « [...] même pendant l'état
d'urgence, les citoyens doivent pouvoir bénéficier des garanties
judiciaires pour contester la légalité de certaines mesures, y
compris la détention ». La Constitution gagnerait
à être réformée avec l'introduction de certains
droits qui ne subissent pas de dérogation comme le droit de ne pas
être soumis à la torture, aux peines ou traitements
dégradants et les garanties judiciaires accordées à toutes
les personnes accusées devant une juridiction.
· La procédure
pénale
Les libertés individuelles font partie des droits les
plus importants de l'Homme. C'est à travers elles qu'il
s'épanouit, mène une vie sociale et économique
véritables. C'est par les libertés individuelles que le citoyen
s'exprime, s'associe ou adhère à une pensée philosophique,
politique ou religieuse de son choix. Entraver la liberté d'aller et de
venir d'un homme, c'est le priver des moyens de vie active. Il est donc
important de prendre des mesures adéquates pour garantir la
régularité de la détention et les conditions dans
lesquelles les peines privatives de liberté doivent être
exécutées.
Il existe en Sierra Léone la notion de
« safe custody detention » qui est une institution
règlementaire de limitation arbitraire des droits des citoyens à
ne pas subir des détentions arbitraires. Par un décret pris en
2000, le Président a permis l'arrestation et la détention des
criminels dits dangereux dans des prisons sans inculpation ni jugement. Il est
donc important d'abroger ce décret et rétablir la
prééminence du législateur dans le domaine de la
procédure pénale comme le prévoit le chapitre III de la
constitution de 1991.
La Sierra Léone est gouvernée par les principes
du Common Law qui privilégient une procédure accusatoire
respectueuse ses droits des accusés. La Criminal Procedure Act
de 1965 est un ensemble de dispositions destinées à
réglementer le duel judiciaire entre l'accusation et la défense.
Elle s'efforce à équilibrer les forces entre d'une part un
Procureur fort et disposant de tout l'appareil étatique, et d'autre
part, un accusé, pauvre, dépourvu des moyens de défense.
La loi de 1965, telle qu'amendée à plusieurs reprises, a besoin
d'être vulgarisée et appliquée. Aussi bien aux membres de
la force publique qu'aux praticiens du droit et les citoyens, une culture de la
loi et du droit doit être transmise pour garantir le respect des droits.
Les conditions de détention en Sierra Léone sont
loin de rempli les standards internationaux. Les prisons centrales et
régionales connaissent des difficultés liées à la
surpopulation carcérale, l'accès à l'eau potable, à
la santé et à l'éducation. Il est nécessaire de
rénover le parc pénitentiaire sierra léonais en limitant
le nombre de détenus par cellule, en assurant la séparation entre
mineurs et adultes et en prenant des mesures adéquates en vue de la
protection des enfants nés en prison.
2. Harmonisation entre les systèmes
judiciaires
La Sierra Léone, à l'instar de nombreuses
anciennes colonies britanniques, a conservé deux systèmes
judiciaires différents. D'une part, les cours et tribunaux dits modernes
qui appliquent le droit positif et, d'autre part, les cours traditionnelles qui
ont en application le droit coutumier ancestral. Comme dans la plupart des
sociétés africaines, les citoyens, pour des raisons affectives ou
objectives, ont une préférence pour les tribunaux traditionnels
sont pourtant les moins lotis en moyens financiers et/ou juridiques.
Les tribunaux traditionnels ne sont pas expressément
reconnus par la Constitution. La seule disposition qui leur est destinée
les intègre dans la hiérarchie des institutions sans donner le
contenu de leur compétence et de la procédure devant elles. Elles
ont été instituées par la volonté du colon
britannique d'associer les chefs traditionnels à la gestion du pouvoir,
à travers le Protectorate Ordinance de 1896. Les cours
traditionnelles connaissent des contentieux civils, notamment matrimoniaux.
L'organisation ancestrale des tribunaux traditionnels est devenue
obsolète. Elle devrait donc se conformer aux évolutions de la
société. Le manque de codification de la justice traditionnelle
laisse une grande incertitude quant à son contenu et surtout, apporte de
nombreuses disparités en fonction des ethnies et des religions. Il est
donc nécessaire de codifier le droit traditionnel afin d'aboutir
à une harmonisation au niveau national. Cette harmonisation
s'avère toutefois difficile à cause des différences de
moeurs entre tribus et religions mais doit cependant être entreprise pour
permettre l'égalité de tous les citoyens devant la loi.
La hiérarchie juridictionnelle en Sierra Léone
place la Cour suprême au premier plan. Elle connaît du contentieux
constitutionnel et électoral en premier et dernier ressort ;
connaît en appel de toutes les décisions des Cours d'Appel et a
aussi pour fonction de superviser le fonctionnement de toutes les autres
juridictions inférieures. Les Cours d'Appel ont quant à elles le
droit de connaître en Appel de toutes les décisions de la Haute
Cour de Justice (High Court of Justice selon la terminologie sierra
léonaise). La Haute Cour de Justice est une juridiction à
compétence générale. C'est-à-dire qu'elle
connaît à la fois du contentieux civil, pénal et
administratif en premier ressort. Elle a aussi pour compétence la
supervision du fonctionnement des tribunaux traditionnels. A ce titre, elle
connaît en appel de toutes les décisions rendues par elles.
Ce pouvoir d'appel de la Haute Cour sur les juridictions
traditionnelles, n'est qu'une garantie apparente des citoyens contre
l'arbitraire et la discrimination. Ce contrôle est en effet inefficace,
car la Constitution300(*) exclue le domaine du droit matrimonial - qui est
sous la compétence des tribunaux traditionnels - de l'application du
principe de non discrimination. Une nouvelle réforme constitutionnelle
est alors indispensable pour abolir cette disposition (article 27 (4) d.) et
garantir à tous le droit d'accès à une justice qui doit
être la même pour tous.
B. L'établissement d'une police et d'une armée
républicaines
Statutairement, les organes de sécurité de
l'Etat et des citoyens sont à l'avant-garde de la protection des droits
de l'Homme. Or ils ont été parmi les plus grands violateurs
pendant le conflit armé. Pour rétablir l'Etat de droit en Sierra
Léone, l'exclusion des rangs de la police et de l'armée tous ceux
qui, d'une manière ou d'une autre se sont rendus coupables d'abus envers
la population est désormais d'actualité (1) alors que leur
formation nécessite une intégration des principes des droits de
l'Homme (2).
1. L'assainissement par la lustration ?
Dans les sociétés qui sortent d'un passé
marqué par les violations graves des droits de l'Homme, l'une des
manières de faire face aux violations passées des droits de
l'Homme par les régimes politiques antérieurs est
d'écarter de la fonction publique ceux qui ont collaboré ou
perpétué ces violations. Dès la chute du mur de Berlin,
les Etats postcommunistes d'Europe de l'Est ont entamé la
décommunisation de leurs institutions en écartant ceux qui ont
collaboré avec les services de sécurité des régimes
précédents. En République Tchèque, en Pologne et en
Allemagne de l'Est pour ne citer que ceux-ci, de nombreux agents, dès
lors que leurs noms figuraient sur des listes des services secrets en tant que
collaborateurs ou informateurs, étaient relevés de leurs
fonctions. Cette forme de lustration était basée comme le
relève Mark FREEMAN301(*) sur la responsabilité collective et non
individuelle, le caractère expéditif de la procédure
faisant de la lustration un système décrié par les
défenseurs des droits de l'Homme. Des lois ont été
adoptées pour réguler la lustration en instituant des
institutions spéciales chargées de mener le processus de
façon contradictoire et transparente.
La lustration ou vetting302(*) a l'avantage de garantir le respect des droits
de l'Homme et d'augmenter la confiance de la population envers les nouvelles
institutions. Généralement, l'uniforme de la police ou de
l'armée n'est plus synonyme de respect ou d'assurance. Les militaires
étaient considérés comme des sobels, soldats le
jour et rebelles la nuit à cause des exactions qu'ils commettaient aux
cotés des rebelles sur les populations civiles pendant la guerre.
L'image des représentants de la force publique auprès des
populations civiles s'est détériorée jusqu'au
mépris. Ecarter les « brebis galeuses » des
effectifs des forces de l'ordre est une nécessité pour renouer
les liens de confiance entre celles-ci et la population.
En Sierra Léone, il n'était pas envisageable de
mettre en place un mécanisme de vetting à la fin de la
guerre dans une société encore fragilisée. Le vetting
est un facteur de division dans une société qui, comme
toutes les autres sociétés africaines, est une
société de consensus et non de contentieux. Les différent
acteurs de la transition, notamment la Commission vérité et
réconciliation étaient unanimes sur la dangerosité du
vetting qui pouvait être utilisé comme une arme de lutte
contre les opposants politiques.
Au lieu de purger la police et l'armée des violateurs
des droits de l'Homme, il a été jugé opportun par les
autorités publiques de procéder à la formation des
militaires, policiers et autres agents de l'Etat au respect des principes des
droits fondamentaux de l'Homme.
2. Une restructuration gouvernée par les principes des
droits de l'Homme
La volonté de ne pas exclure certain membres de la
police et des forces armées répondait à plusieurs
préoccupations de la Sierra Léone. En effet, les corps
armés de la République manquaient du personnel capable de
maintenir l'ordre et la sécurité de l'Etat à la fois
contre les agressions extérieures que contre les tentatives de
déstabilisation de l'intérieur. L'armée a recruté
pendant la guerre des miliciens et combattants très jeunes à qui
l'on a appris que le maniement des armes, lesquelles armes étaient leur
seule source de revenus. Un vetting dans les rangs de l'armée
et de la police causerait une certaine instabilité à
l'intérieur du pays s'il n'y avait pas de contrepartie fiable pour les
soldats démobilisés. Deux axes d'intervention ont
été mis en place par la Sierra Léone en
coopération avec les partenaires étrangers : la formation
d'une partie importante des membres des forces de l'ordre et
l'intégration des autres dans les programmes de DDR303(*).
· Les programmes de
formation
Les Sierra Léonais ont eu une très grande
réputation en matière de formation des membres de l'armée
et de la police. Cependant, la guerre a démobilisé et
éparpillé les ressources humaines dans ce domaine. Les missions
de maintien de la paix des Nations unies et la coopération britannique
vont contribuer fortement à la formation des forces de l'ordre dans les
domaines opérationnels, et surtout du respect des droits de l'Homme.
Arrivée en Sierra Léone le 22 octobre 1999, avec pour mandat
officiel de coopérer avec le gouvernement dans l'observation du cessez
le feu de l'accord de Lomé et de l'assister dans le désarmement,
la démobilisation et la réinsertion des anciens combattants, la
MINUSIL a orienté sa mission vers le domaine de la formation des
nouveaux membres de l'armée et de la police304(*). La section des droits de
l'Homme de la Mission, s'est impliquée dans la création et la
dissémination d'un ensemble de règles du droit international
humanitaire et des droits de l'Homme au sein de la police et de l'armée.
Des séminaires de formations se sont tenus dans la plupart des casernes
et centres d'instruction pour la formation, dans un premier temps d'officiers
et ensuite d'hommes de rangs pour la plus large assimilation des règles
internationales.
La Mission devait former dans un délai bref des
militaires et policiers capables de prendre progressivement la place des agents
des contingents de la MINUSIL et des troupes anglaises. Dans son dernier
rapport sur la Mission, Kofi ANNAN faisait état de la progression de cet
objectif et de son achèvement en 2006. Selon ce rapport, 4 000 des
9 600 policiers que comptait la police sierra léonaise
étaient formés par le concours de la MINUSIL305(*). Cet effort allait continuer
dans le cadre de l'instauration du bureau intégré des Nations
unies en Sierra Léone306(*).
Les britanniques quant à eux ont participé
à la formation des officiers, formateurs et instructeurs de la police
qui devaient par la suite prendre le relais dans l'institution des bureaux
régionaux et locaux de sécurité. Ils ont aussi
participé à la restructuration de l'armée pour lui donner
une taille raisonnable pour un pays aux proportions de la Sierra Léone.
· La restructuration de
l'armée
A la fin de la guerre, l'armée sierra léonaise
comptait plus de 15 000 hommes répartis en milices, groupes
d'intervention et militaires professionnels. Il a fallu faire une distinction
entre les militaires recrutés de façon régulière et
ceux qui ne l'étaient que de fait. Cette première étape a
permis de mettre un plan d'action permettant à terme de réduire
cet effectif à 10 500. L'Equipe militaire internationale
consultative en matière s'instruction (IMATT) dirigé par la
Grande Bretagne est chargée de concourir à la sélection du
personnel capable d'assumer les fonctions de l'armée et d'assurer la
formation au moins jusqu'en 2010.
Les personnes non retenues intègrent les programmes de
DDR. Ces programmes sont l'un des plus grands succès de la gestion
post-conflictuelle en Sierra Léone. Cofinancés par les Nations
unies (notamment à travers le budget de la MINUSIL et du PNUD), la
Grande Bretagne, les Etats-Unis, la Norvège et bien d'autres Etats ayant
participé au comité de gestion de la Mission. Le principe
était basé sur le volontariat307(*). Le DDR se déroule sur trois principales
phases : la démobilisation, le désarmement et la
réinsertion.
- La démobilisation :
les anciens combattants sont regroupés dans des camps de
recensements où il leur est attribué des affectations ;
- Le désarmement : il
intervient juste après la démobilisation. Les anciens soldats
rendent des armes contre une somme forfaitaire. Ils sont répartis
ensuite par groupes plus restreints pour évaluer leurs besoins en
formation, réhabilitation et reconstruction morale ;
- La réinsertion : c'est
l'ultime phase du processus. Il s'agit de trouver un moyen de resocialiser les
ex-combattants. Ils choisissaient des programmes de formation qui leur
permettrait d'avoir un revenu. Elle consistait aussi à la
réintégration des ex-soldats dans leurs sociétés
d'origine. Les différents acteurs sociaux interviennent donc pour les
préparer psychologiquement à affronter les regards quelquefois
inquisiteurs des populations. Le procédé se faisait aussi dans
l'autre sens, à la direction de la société pour qu'elle
les intègre sans heurts majeurs.
La réinsertion des anciens combattants dans la vie
civile active est une donnée importante dans la garantie de la
stabilité de la société. Leur retour dans un environnement
prêt à les accueillir et où ils peuvent jouer un rôle
économique, politique et social déterminant nécessite
l'établissement d'une société gouvernée par le
pluralisme.
II. La promotion du pluralisme et la garantie de
l'indépendance de la justice
Une société est dite démocratique
lorsqu'elle assure la garantie de la séparation des pouvoirs (A) et
où la société civile est assez forte pour assurer un
contre pouvoir effectif (B).
A. Garantir l'indépendance de la justice
Une véritable démocratie est une
société dans laquelle la séparation des pouvoirs trouve
toute son expression. Le Pourvoir judiciaire, garant des libertés
individuelles, doit exercer en toute indépendance par rapport aux autres
pouvoirs, surtout aux influences de l'exécutif et dans une certaine
mesure de l'armée. Le système du Common Law de la Sierra
Léone met sur un même pied d'égalité l'Etat et les
autres personnes morales et physiques devant les juridictions. La garantie de
l'indépendance de la justice est donc indispensable pour assurer
l'équité de la justice et le respect des droits et
libertés fondamentaux. Cette indépendance dépend fortement
de la carrière des juges et des moyens apportés au fonctionnement
de l'appareil judiciaire.
Le moyen le plus courant pour s'assurer de la
possibilité d'influencer le système judiciaire est de nommer aux
postes clés le plus possible de partisans politiques du pouvoir
politique en place. De la procédure de nomination et de promotion des
juges dépend leur degré d'impartialité et
d'indépendance. Il est donc important de s'assurer que les juges soient
nommés pour leurs compétences et intégrité que pour
des raisons partisanes. En Sierra Léone, la période suivant la
fin du conflit était marquée par une suspicion
générale au sein de la population par rapport à
l'intégrité des juges. La nomination par le Gouvernement
d'étrangers à la place des nationaux dans son quota de nomination
des juges à la Cour spéciale est le reflet de ce manque de
confiance à la fois de la part des autorités de l'Etat que des
populations.
Le Conseil national de la magistrature de la Sierra
Léone (en anglais Judicial and Legal Service Commission :
JLSC) est l'organe chargé de recruter et de nommer les juges dans
leurs fonctions. C'est l'organe consultatif pour les avancements, les
promotions et constitue l'instance disciplinaire de la magistrature sierra
léonaise. Elle est composée de magistrats des cours
supérieures (Haute cour de justice, Cours d'appel et Cour
suprême), du Président de la république et du Ministre de
la justice. La Commission Vérité et Réconciliation
préconise l'ouverture de la composition de cet organe à d'autres
personnes. Dans son rapport final308(*), la Commission souhaite l'élargissement aux
membres du parlement et aux universitaires. Les nominations devraient
être transparentes et permettre la participation, fusse-t-elle
consultative de la société civile.
Le principe fondamental de la liberté et de l'autonomie
du pouvoir judiciaire est l'inamovibilité des juges. Leur maintien dans
la profession et leur départ à la retraite ne doivent pas
dépendre du pouvoir exécutif. En Sierra Léone, le
gouvernement a pour habitude de recruter à nouveau des juges
retraités pour qu'ils puissent continuer à servir. Cette pratique
est contraire au principe de séparation des pouvoirs et est un risque
important pour l'impartialité de ceux-ci. Il est important de faire
cesser cette pratique et parallèlement, de renforcer la formation des
juges, valoriser leurs salaires (pour assurer ainsi l'attractivité des
postes vis-à-vis des Sierra-léonais de l'étranger) et
étendre, comme le demande la CVR, leur âge de départ
à la retraite à 70 ans.
Il faut aussi assurer la garantie des Sierra-léonais
contre l'arbitraire des juges en sanctionnant les fautes professionnelles. Le
Conseil de la magistrature qui a été institué en 1991
comme organe disciplinaire des juges n'a pas encore été
utilisé à cet effet. Ses compétences consultatives ont
supplanté toutes les autres. Il est nécessaire de créer
une commission qui se consacrerait aux fonctions disciplinaires pour
sanctionner les abus et la corruption des juges et des autres personnes
composant l'appareil judiciaire. Pour ce faire il est indispensable d'adopter
une base légale sous la forme d'un code de la magistrature. Cette
adoption n'a pas encore été faite par le Sierra Léone, ce
qui est un handicap dans l'établissement d'une justice libre,
indépendante et responsable.
Les juridictions pénales en Sierra Léone
hésitent à poursuivre les personnes soupçonnées de
détournements et de corruption. Ils ont éprouvé une
certaine crainte ou complaisance vis-à-vis les membres du gouvernement,
les dirigeants d'établissements publics et les militaires qui
commettaient des infractions à caractère économique. La
collusion entre le judiciaire et l'exécutif était patente et
décrédibilisait encore plus cette institution. Outre la
carrière personnelle des juges, c'est la liberté du Pouvoir
judiciaire entant que telle qui est mise en cause, du moins au niveau financier
car les crédits attribués ne permettent pas aux juges de mener
les investigations nécessaires à l'accomplissement efficace de
leurs fonctions. Il faudrait garantir une autonomie budgétaire pour
permettre à la justice de fonctionner librement. En effet, le budget du
pouvoir judiciaire est rattaché à celui du ministère de la
justice. Il serait judicieux de procéder à une autonomisation
progressive des modes de financement de la justice. Le budget de la justice
doit être adopté et exécuté indépendamment de
celui du ministère de la justice. Un mécanisme de contrôle
devrait exister au sein du Conseil de la magistrature pour parer aux
éventuelles irrégularités dans la gestion des
crédits.
Du point de vue organique, l'Avocat général en
tant que garant de l'intérêt public a des pouvoirs exorbitants
dans le déclenchement, la poursuite et la défense de l'action
publique. Il a aussi des fonctions consultatives à l'égard du
gouvernement et de l'exécutif qu'il conseille sur des questions de
droit, toujours dans le respect de l'intérêt public. C'est alors
une impérieuse nécessité que de garantir le fonctionnement
indépendant des services de l'avocat général. Cependant,
l'avocat général tient ses bureaux au ministère de la
justice, ce qui l'empêcherait d'agir sans aucune influence politique,
aggravant ainsi l'idée selon laquelle l'Avocat général
était plutôt le garant de l'intérêt du gouvernement
et de ses membres que celui de l'Etat.
B. La redynamisation de la société civile
Il s'agit de réserver une place importante à la
liberté d'expression et d'association (2) et à la Commission des
droits de l'Homme (2).
1. La Commission nationale des droits de l'Homme
Depuis le début des années 1990, l'Afrique a
connu des changements allant dans le sens de la démocratie. L'adoption
des lois consacrant la liberté d'expression a profondément
redynamisé le secteur associatif. L'on a aussi assisté à
la création des commissions des droits de l'Homme. Ces commissions,
créées par le pouvoir exécutif, participent à
l'émergence d'une véritable culture des droits de l'Homme
à travers leurs fonctions pédagogiques, investigatrices et
revendicatrices. Indépendantes, elles constituent un moyen de pression
efficace vis-à-vis des pouvoirs politique qui seraient tentés de
commettre des exactions. Travaillant en étroite collaboration avec les
ONG et associations oeuvrant dans le même domaine, elles participent au
monitoring national des droits de l'Homme et pourrait recevoir des
plaintes/requêtes des individus qui se sentent lésés dans
leurs droits.
La Sierra Léone n'a pas eu l'occasion de mettre en
place une commission nationale des droits de l'Homme. Elle était dans
une situation d'instabilité pendant laquelle les droits de l'Homme
n'étaient pas la préoccupation première. La fin du conflit
et le retour à une situation de stabilité est une bonne occasion
de créer un tel organe pour contribuer à la promotion et à
la protection des droits de l'Homme. C'est alors que l'Accord de paix de
Lomé a requis la création dans un délai de 90 jours d'une
Commission nationale des droits de l'Homme autonome et quasi-judiciaire.
Il a fallu attendre le 26 août 2004 pour que le
Parlement adopte une loi établissant une Commission de protection et de
promotion des droits de l'Homme. La nomination des membres de la Commission
(section 3) obéit à une procédure
particulière : le Président de la république demande
au ministre de la justice et à l'Avocat général de
procéder à un appel à candidatures. La sélection se
fait par un panel composé des représentants du Conseil inter
religieux, du Forum national des droits de l'Homme, de la société
civile, du conseil des chefs traditionnels, du forum national des femmes et du
Congrès national des travailleurs. Elle est dirigée par un
secrétaire exécutif élu pour cinq ans renouvelables une
seule fois. Elle dispose des bureaux dans chaque région pour assurer la
proximité.
Comme son nom l'indique, la Commission est chargée de
protéger les particuliers des violations des droits de l'Homme et de
promouvoir la pratique par les institutions nationales des principes du respect
des droits fondamentaux.
Pour exercer ses fonctions, la Commission jouit d'une
indépendance organique et financière (art. 14). Elle ouvre des
enquêtes de son propre chef ou sur requête d'un
particulier309(*),
personne physique ou morale. Ses pouvoirs d'investigation sont les mêmes
que pour ceux d'une juridiction nationale : elle peut entendre des
personnes et requérir des documents officiels310(*). Elle peut, après ses
investigations requérir de l'Etat des compensations financières
au profit des personnes victimes des violations avérées de
l'Etat. La Commission des droits de l'Homme peut assister en tant que
amicus curiae311(*)
à des procès portant sur la violation des droits de l'Homme.
Pour ce faire, la Commission procède à la nomination d'un avocat
qui fera part de ses observations sur l'affaire devant la Cour (art. 12).
La Commission peut être consultée par le
gouvernement ou le parlement dans la préparation et l'adoption des lois
qui touchent de près ou de loin aux droits de l'Homme. La Commission
participe à la promotion de la culture des droits de l'Homme en Sierra
Léone. Elle organise des colloques, séminaires et sessions de
formation au profit des professionnels dans des domaines divers.
Le Secrétariat de la Commission produit chaque
année un rapport sur l'état des droits de l'Homme dans le pays.
Ses activités d'enquête et de monitoring ne peuvent produire des
effets positifs que lorsqu'elle est faite en collaboration avec les
associations et autres corporations professionnelles.
2. La liberté d'expression et d'association
La liberté d'expression est l'eau qui alimente le
moulin de la démocratie. La culture du débat public, de la
tolérance et de la dissémination des idées sont des
données fondamentales qui permettent de déterminer le niveau
d'ouverture d'une société. L'on peut la définir comme la
liberté de dire ce que l'on pense, d'exprimer ses opinions à
travers l'écriture, la presse audiovisuelle, l'art, etc. C'est à
travers le critère de respect de la liberté d'expression que le
niveau de démocratisation d'une société est
évalué. La liberté d'association est la liberté
dont disposent les citoyens de se lier avec les personnes défendant les
mêmes buts ou valeurs. La liberté d'association concerne non
seulement les associations proprement dites mais aussi les ONG, les syndicats
et autres groupes socioprofessionnels. La liberté d'association est
étroitement liée à la liberté d'expression, car,
sans cette dernière, l'association entre les opinions communes n'est pas
possible. Il convient de les examiner en Sierra Léone sous la coupe de
la liberté d'information dont doivent disposer les médias, de
l'action de proximité des associations et syndicats et surtout, dans le
domaine de la justice, le rôle important à jouer par le barreau.
· La liberté d'information :
c'est à travers les médias que l'opinion publique
se forme et s'informe. L'accès à l'information est la clé
la plus importante dont disposent les citoyens pour avoir à exercer
leurs droits civiques de la manière la plus éclairée
possible. Mettre en place les bases d'une liberté d'information pour les
médias concourt à la démocratisation de la
société et au rétablissement de la confiance des
populations vis-à-vis des pouvoirs publics et des médias. Le
contre pouvoirs ne doit pas seulement exister dans les institutions officielles
représentant les trois pouvoirs. Il existe aussi dans la
société dite civile à travers le droit à
l'information. Cette liberté d'information des médias suppose la
liberté de la recherche de l'information. Il s'agit de donner les moyens
aux médias de mener des investigations dans le respect de la vie
privée et de la sécurité de l'Etat.
· L'action de proximité des
associations et syndicats : la Sierra Léone a une
grande tradition du syndicalisme. Elle a été l'un des plus
importants soutiens des acteurs syndicaux africains lors des luttes pour
l'indépendance. L'Université de Fourah Bay, crée en 1827,
a fourni dans ce secteur une très grande contribution donnant lieu
à une culture syndicaliste qui s'est malheureusement effritée
juste après les indépendances. La fin de la guerre civile a
marqué un tournant important dans le dynamisme associatif avec, il faut
le souligner, l'influence des ONG internationales qui se sont installées
dans le pays. Les associations sont réputées être le plus
possible en contact avec la population et donc de leurs préoccupations.
Des rapports nouveaux doivent être mis en place entre les
décideurs et la société civile qui participera à la
vie sociale à travers les consultations dans les nominations et le choix
des politiques économiques et sociales. Les ONG et associations sont
indispensables dans l'équilibre et l'arbitrage entre les pouvoirs d'une
part et d'autre part entre les citoyens et l'Etat d'autre part. Le
développement durable, la défense des droits de l'Homme et la
protection de l'environnement sont leurs principaux champs d'intervention. Des
moyens financiers et juridiques importants doivent être dirigés
vers la réalisation de ces objectifs.
· L'activité du barreau sierra
léonais : le barreau de Sierra Léone a
manqué une occasion de marquer se son empreinte l'évolution des
institutions. La création de la Cour spéciale a été
une raison d'espérer que leur participation soit plus importante.
Cependant, des avocats qui ont été impliqués dans le
processus juridictionnel, très peu sont Sierra léonais alors que
le barreau est richement fourni. Les avocats sierra léonais se sont
plutôt illustrés par leur hostilité à l'institution.
Ils ont notamment introduit une requête en inconstitutionnalité
contre la loi instituant la Cour spéciale. Ils ont, par la suite,
démissionné massivement des postes qu'ils occupaient au sein des
organes de la Cour, ce qui n'a pas joué en leur faveur. Le rôle de
veille que doit jouer le barreau dans une société
démocratique est indéniable. Entant que spécialistes du
droit, ils ont la responsabilité de promouvoir et vulgariser le droit,
d'assister les populations démunies et concourir à la faciliter
l'accès de tous à la justice.
Le pari de mettre en place une société
respectueuse des droits de l'Homme passe par une ouverture et une
démocratisation des institutions publiques. La séparation des
pouvoirs doit permettre un équilibre des décisions et la
prévention des abus. Cet équilibre doit être
surveillé à l'extérieur par une société
civile, plus proche des préoccupations des populations et à
même de défendre leurs droits. Cette démocratisation
permettant le contrôle du respect des droits de l'homme aide à
mettre en place les bases de la bonne gouvernance.
Section 2 : Renouer avec la bonne gouvernance
La Sierra Léone, comme la plupart de pays africains, a
plus que jamais besoin d'assainir la gestion de ses finances. La bonne
gouvernance économique et politique est désormais, avec le
respect des droits de l'Homme des critères essentiels pour la
mobilisation des moyens financiers de la part des institutions
financières internationales. Cette bonne gouvernance suppose une lutte
indispensable contre la corruption (I) et la bonne redistribution des richesses
(II).
I. L'indispensable
lutte contre la corruption
Il s'agit de prévenir les détournements des
biens publics par un contrôle strict des comptes (A) et
l'établissement de la Commission nationale de lutte contre la corruption
(B) pour assurer la répression.
A. Le contrôle des comptes publics
Toute démocratie est dotée d'une institution
chargée du contrôle indépendant de l'État, et cette
dernière est un élément important de sa structure
démocratique. Ce contrôle est défini selon deux
modalités, le contrôle proprement dit et l'évaluation. Le
contrôle se borne à vérifier la mesure dans laquelle les
objectifs d'un programme ont été atteints, ainsi qu'à
analyser les moyens employés pour atteindre ces objectifs. Jamais un
contrôle ne met en doute les objectifs alors que le principe même
de l'évaluation est de poser une critique de l'opportunité des
objectifs à atteindre.
Il convient donc de revenir sur les principes de tout
contrôle des comptes publics (1) avant de relever le rôle et
l'impact du Bureau du vérificateur général de Sierra
Léone (2).
1. Les principes généraux du contrôle
des comptes publics
Les travaux publics jouent un rôle important dans les
économies de tous les pays en développement. Ils absorbent une
part importante des ressources publiques, et les infrastructures que finance
l'État sont essentielles au développement économique du
pays. Vu la nature et de l'ampleur de ces travaux, leur contrôle
représente une tâche stimulante et complexe. Il est important que
cette tâche soit assurée par un organisme public,
indépendant ou non des organes ou instituions qu'il contrôle, que
ce soit au niveau du pouvoir central ou décentralisé. Dans la
mise en oeuvre des compétences des gouvernements locaux, un audit des
comptes et une évaluation des politiques nécessitent une
expertise dont ne disposent pas les conseils municipaux. C'est pourquoi la
Sierra Léone a opté depuis 2002 pour le recours au cabinet
d'audit pour les contrôles et audits dans le domaine de
l'enseignement312(*).
L'intervention des acteurs de la société civile est aussi
importante pour apporter plus de crédibilité et de transparence.
Le contrôle proprement dit des finances publiques se
fait, comme nous l'avons dit plus haut en amont et en aval de tout usage
financier. Dans la recherche des ressources par l'emprunt, l'Etat Sierra
Léonais est soumis au contrôle strict du Parlement qui peut, par
une résolution, autoriser le Gouvernement à conclure un accord de
prêt pour le financement des opérations publiques. Le Gouvernement
ne peut donc recourir à un emprunt en dehors du cadre législatif,
car, en effet, l'accord signé doit être déposé au
Parlement pour ratification à la majorité qualifiée. Le
Gouvernement, par le biais des ministres compétents a le devoir de
déclarer les revenus de l'Etat au Parlement, y compris ceux qui
proviennent des dons et aides financières des organismes et partenaires
internationaux avant de les déposer obligatoirement dans un compte ou
des fonds prévus à cet effet.
En aval, l'évaluation des projets, le contrôle ou
la vérification doivent respecter des critères importants pour
assurer leur efficacité. Il s'agit entre autres d'une
indépendance et d'une responsabilité appropriées à
l'égard des fonctions de vérification, de l'amélioration
de l'efficacité des institutions ou organes de contrôle
grâce à la nomination d'employés professionnels
compétents, des relations avec des agents d'observation d'autres
organismes gouvernementaux afin de garantir un partage des compétences
et des idées et de s'assurer qu'ils deviennent plus habiles à
déceler les cas de fraude et de corruption, de l'application de
procédés adéquats sur le plan financier et d'un suivi
adéquat des rapports de vérification, ces rapports devant
être techniquement exacts et communiqués d'une manière
claire et compréhensible.
Selon l'Organisation internationale des institutions
supérieures de contrôle des finances publiques (INTOSAI), les
organes de contrôle ont entre autres pour mission de :
« s'efforcer d'améliorer la réglementation des
marchés publics afin de garantir que l'on applique et que l'on observe
strictement les règles relatives à la concurrence de
manière à éviter les cas de fraude et de corruption;
veiller à l'existence de mécanismes de financement de
manière à garantir que les projets sont mis en oeuvre dans les
délais fixés et à éviter les dépassements de
coûts qu'entraînent les prolongations de délai; planifier
la mise en oeuvre de projets de travaux publics dans le cadre des
activités de développement durable, afin de garantir leur
utilité sociale; renforcer les mécanismes de contrôle
interne efficaces et permanents dans le secteur des travaux publics et de
permettre aux institutions de contrôle qui travaillent dans le secteur
des travaux publics de recourir au besoin à des spécialistes de
l'extérieur313(*) ». Cette vérification
épouse deux principales formes : la vérification judiciaire
et la vérification intégrée.
· La vérification judiciaire :
elle ne se limite pas aux enquêtes en cas
d'irrégularité ou de fraude. Elle est sujette à la fois
à l'expertise des contrôleurs que des vérificateurs. La
compétence de la vérification judiciaire appartient à une
juridiction qui pourra l'exercer y compris à l'égard du pouvoir
judiciaire. La vérification judiciaire s'attèle à mettre
en place des méthodes d'évaluation des risques, des
déclarations relatives à l'état des créances et au
contrôle interne, à faire des directives au secteur public sur la
gestion des risques détectés et les procédures de
dénonciation. C'est à partir de ces bases de données
établies qu'un éventuel dossier d'instruction peut être mis
en place pour être transféré au bureau de l'Avocat
général.
· La vérification
intégrée : ce sont des vérificateurs
qui appartiennent aux institutions soumises à contrôle. Ces
vérificateurs généraux jouissent d'une complète
indépendance et produisent des rapports à la destination soit du
Gouvernement soit du Parlement ou les deux à la fois. Ce mode de
vérification a le mérite d'être plus régulier et
spécifique, les vérificateurs ne s'intéressant qu'aux
entreprises publiques ou organismes déterminés. Elle permettra
aussi de maintenir une interaction plus complète avec les clients ou
partenaires de ces institutions.
Les principes de vérification appellent à la
fois une centralisation et une dose de décentralisation des
procédés. La décentralisation intervient au niveau du
contrôle intégré avec les administrations locales, les
organismes et les entreprises publics. La centralisation concernant les
procédés judiciaires et surtout la création d'un organisme
indépendant de contrôle des finances publiques. C'est ce que la
Sierra Léone a institué dès les premières
années de son indépendance.
2. Le Bureau du Vérificateur général de
la Sierra Léone
Un an après l'indépendance de la Sierra
Léone, le Parlement a adopté une loi de vérification qui
institue un organe chargé de contrôler la gestion des comptes
publics de l'Etat par le Gouvernement, les entreprises et les
établissements publics. Le régime juridique de cet organisme a
progressivement évolué jusqu'à l'adoption de la
Constitution de 1978 qui fixe ses contours modifiés par la Constitution
de 1991 et la Loi sur la comptabilité et les budgets de 1998. Le Bureau
du vérificateur national dispose d'une indépendance organique et
fonctionnelle qui lui permet de mener sa mission avec efficacité.
· Organisation et
mandat
Le mandat du Bureau général du
vérificateur de la Sierra Léone est de vérifier de
manière indépendante l'ensemble des activités et
opérations financières du gouvernement, des entreprises et
établissements publics ainsi que des personnes morales de droit
privé ayant reçu des subventions de l'Etat314(*). Le Bureau a l'obligation de
produire en temps opportun des rapports au parlement. Le cabinet du
président et le ministère des finances sont informés des
activités de la Commission avec la possibilité de saisir l'Avocat
général en cas de constatation de fraudes ou
d'irrégularités.
Le Bureau du vérificateur est organisé au niveau
central autour du vérificateur nommé par le Président de
la République après consultation du Parlement qui ratifie cette
nomination par un vote à la majorité qualifiée. Les quatre
sous-vérificateurs qui le secondent dans son travail ont des fonctions
principalement administratives, sont chargés des finances et de
l'administration, des pensions, des organismes parapublics, et de la formation
et de la recherche. Au niveau décentralisé, les bureaux
régionaux examinent les comptes des organes décentralisés
de l'Etat.
· Indépendance
L'efficacité du travail du Bureau dépend de son
indépendance vis-à-vis de toute influence des trois pouvoirs. Le
Président de la République nomme le Vérificateur
général qui exerce ses fonctions jusqu'à l'âge de 65
ans. Il peut être démis de ses fonctions avant ce terme pour des
raisons motivées et défendues devant le Parlement qui ratifie
cette destitution par un vote à la majorité des deux tiers de ses
membres article (119 § 14 de la Constitution de 1991). Il exerce ses
fonctions à l'écart des de toute influence et ne doit ni
recevoir, ni solliciter d'instructions de la part de quelque organe ou
personnalité qu'il soit (art. 119 § 6) et est soumis au
contrôle d'un comité composé de parlementaires et membres
de la société civile.
Le Bureau du Vérificateur général a
été transformé en 1998 en Service national de
vérification, mais garde ses mêmes attributions. Il a
contribué de manière significative à l'assainissement des
comptes publics et est un des maillons les plus importants dans la chaîne
institutionnelle chargée d'établir la bonne gouvernance aux
cotés de la Commission nationale de lutte contre la corruption.
B. La Commission nationale de lutte contre la corruption
En Sierra Léone, à la fin de la guerre, l'on a
pris conscience de l'ampleur du règne de la corruption dans la fonction
publique. Les « dessous de table » et
« cadeaux » étaient monnaie courante dans
l'attribution des marchés publics, la délivrance de certains
papiers officiels ou même la fourniture des prestations aux usagers de
l'Etat. Les pouvoirs publics ont procédé à la
création d'une Commission aux pouvoirs importants (1) qui sert d'organe
d'instruction dans la répression de la corruption (2).
1. Composition et fonctions de la Commission nationale de
lutte contre la corruption
Etait-il nécessaire de lutter contre la corruption par
la création d'une Commission ? Plusieurs arguments militent en
faveur de ce choix : l'efficacité, la neutralité,
l'indépendance d'un organe spécialement chargé d'une
mission aussi délicate et essentielle. La corruption est une infraction
pénale particulière qui nécessite la mobilisation de
ressources financières et humaines importantes pour assurer le bon suivi
des affaires. Les juridictions pénales sierra léonaises
rencontrent des difficultés à examiner dans des délais
raisonnables les affaires qu'elles connaissent. Leur confier des dossiers aussi
techniques que la corruption accentuerait la lenteur judiciaire et consacrerait
dans certains cas l'impunité. L'établissement d'un organe
indépendant qui se consacrerait exclusivement à l'infraction
pénale spéciale qu'est la corruption permettrait une
spécialisation du personnel et leur focalisation sur des dossiers
précis, permettant ainsi une répression efficace.
Les juges sont liés à la fois organiquement et
financièrement au pouvoir exécutif, ce qui accentue le risque
d'un parti pris et l'impression d'impunité. La création par la
loi du 3 février 2000 relative à la lutte contre la corruption de
la Commission nationale est une étape importante vers la mise sur pied
d'un mécanisme indépendant et équitable de
répression de la corruption. Son indépendance organique,
politique et financière lui permettra d'agir sans crainte contre les
membres du gouvernement ou les autres agents publics ou privés qui se
seraient donnés à de telles pratiques.
Le choix d'une commission indépendante plutôt
qu'une juridiction pénale correspond à une pratique assez
répandue dans les pays africains. Souvent, pour montrer leur bonne
volonté et sous la pression des institutions de Bretton Woods, les Etats
créent des commissions qui ont souvent peu de pouvoir et d'impact dans
l'endiguement de ce phénomène.
L'article 53 de la loi relative à la lutte contre la
corruption prévoit que la Commission ne devrait solliciter ni recevoir
d'ordres ou de directives de la part de quelque personne que ce soit.
L'impartialité de la Commission dépend principalement du mode de
désignation de ses membres et de leur nombre. Lorsque la nomination des
commissionnaires dépend du pouvoir discrétionnaire d'un seul, il
y a risque de complaisance dans la mise en mouvement des actions contre les
personnes soupçonnées de corruption. Il est donc important
d'impliquer le plus de personnes possible dans le processus de nomination. La
nomination des commissaires doit être le résultat d'un consensus
entre les trois pouvoirs. En Sierra Léone, la loi de 2000 prévoit
en son article 2 (2) que le Président de la République
procède à la nomination du président de la Commission
après consultation du président de l'Assemblée nationale.
Cette consultation est elle obligatoire, facultative, assortie de l'avis
conforme ? La loi n'en précise pas la portée. C'est une
lacune considérable car, le Président peut nommer une personne de
son choix sans contre pouvoir efficace en face pour suffisamment
tempérer son pouvoir discrétionnaire.
Deux autres données importantes pour assurer
l'indépendance et l'efficacité d'une commission sont le nombre
des commissionnaires et leur mandat. La loi de 2000 met en place une Commission
dans laquelle seuls le président et le vice-président exercent un
pouvoir effectif et disposent des avantages et immunités liés
à leur rang. Leur mandat est de cinq ans renouvelables autant que
nécessaire. Il aurait fallu instituer un principe d'inamovibilité
du président de la Commission, car, celui-ci, pour conserver son poste
risquerait de vouloir plaire au Président en étant indulgent
envers lui ou ses proches pour conserver sa fonction au bout des cinq
années que dure le mandat.
Enfin, il est important de souligner que l'une des raisons de
la prospérité de la corruption en Sierra Léone et dans les
autres pays de la région est la faiblesse du pouvoir d'achat des
fonctionnaires. Les agents de la Commission nationale de lutte contre la
corruption doivent échapper à cette contrainte. Assurer aux
commissionnaires une rémunération importante les mettrait
à l'abri des tentations et permettrait de les rendre plus
indépendants des éventuels corrupteurs. Le Parlement devrait
prendre en compte cet aspect important dans le vote du budget et du salaire des
membres de la Commission.
La principale fonction de la Commission nationale de lutte
contre la corruption est de mettre en oeuvre au plan national la lutte contre
la corruption (article 4). Elle est chargée de mener sur tout le
territoire de la Sierra Léone une campagne de lutte contre la
corruption ; cette campagne ayant pour but d'informer et de sensibiliser
les populations et les fonctionnaires sur les pratiques de corruption ou les
risques que cela a sur le développement du pays. La Commission peut
être consultée par les membres des gouvernements (central et
régionaux) sur les questions relatives à la corruption. Outre ces
fonctions pédagogiques et consultatives, la Commission intervient aussi
au niveau répressif en étant l'organe d'instruction des affaires
relatives à la corruption.
2. Une intervention importante dans la procédure de
répression pénale de la corruption
La loi de 2000 sur la corruption définit la corruption
comme le fait pour un agent de l'Etat d'accepter ou de solliciter un avantage
matériel ou financier en échange d'une prestation ou abstention
dans l'exercice de ses fonctions (art. 8 § 1). Cette prestation ou
abstention doit être le résultat exclusif de cet avantage
apporté par le corrupteur. La répression de la corruption en
Sierra Léone dépend de l'autorité judiciaire qui agit avec
l'aide de la Commission de lutte contre la corruption qui sert d'organe
d'instruction par l'ouverture et la poursuite de l'enquête
préparatoire.
· Le pouvoir d'ouvrir l'enquête :
la commission nationale de lutte contre la corruption a le
pouvoir d'ouvrir une enquête sur tous les actes de corruption
avérés qui lui parviennent. Il n'est pas nécessaire qu'une
plainte soit déposée pour ouvrir une telle enquête, car, au
regard de l'article 5 de la loi, il suffit d'une simple suspicion de corruption
pour l'ouvrir. La Commission peut donc examiner les comptes et pratiques des
ministères et établissements publics pour s'assurer de leur
régularité et faire des recommandations possibles.
· Le pouvoir de mener l'enquête :
pour mener une enquête, la Commission dispose des
mêmes pouvoirs, privilèges et immunités que la Haute Cour.
Elle peut donc convoquer et entendre les témoins sous serment, exiger la
production des documents et autres éléments de preuve, y compris
ceux qui se trouvent à l'étranger. La Commission a le pouvoir de
saisir les documents, livres et registres des comptes des
sociétés, ministères et établissements publics
soumises à enquête (article 16). Les personnes soumises à
enquête peuvent être soumises à des restrictions de la
liberté d'aller et venir315(*) et du secret bancaire (article 20). Ils doivent
procéder à une déclaration de revenues (art. 17) et donner
des explications sur toutes les opérations financières et
bancaires exécutées par elles pendant la période
incriminée. Ces dispositions touchent aussi les membres de leur famille
et proches. La Commission peut aussi demander l'arrestation et la mise en
détention préventive d'un suspect. Celui-ci est
incarcéré dans un établissement pénitentiaire et
peut demander par le biais de son avocat une libération conditionnelle
auprès de la Haute Cour. Ces pouvoirs exorbitants sont garantis par al
répression sévère de l'obstruction au mandat de la
Commission316(*) qui est
punie de peines pouvant aller jusqu'à 30 millions de leones (760 €
environ) et 5 ans de prison (art. 20 et 32). Les pouvoirs de la Commission sont
un challenge pour les libertés fondamentales des citoyens. Ils sont
soumis au respect des règles du due process of law, telles que
définies dans le Code de procédure pénale de 1965. Les
suspects ont ainsi droit à l'assistance obligatoire d'un avocat, au
respect des droits de la défense et à la présomption
d'innocence. Les preuves recueillies de manière
irrégulière par la Commission sont d'office exclues lors de
l'examen de l'affaire au fond.
· Le relais du ministère public :
lorsque la Commission a terminé son enquête et juge
que les preuves sont suffisantes pour déclencher des poursuites
pénales, elle fait un rapport au Ministre de la justice et à
l'Avocat général qui prennent les dispositions adéquates.
L'Avocat général peut demander des informations
complémentaires à la Commission avant de saisir une juridiction
pénale (la Haute cour de justice pour les prévenus civils et le
Conseil de la magistrature pour les prévenus issus du corps de la
magistrature). Les procès sont, conformément au Common Law
de caractère accusatoire et peuvent déboucher sur des
condamnations sévères. La condamnation peut être privative
de liberté et/ou pécuniaire. L'article 40 de la loi
prévoit des peines de prison allant jusqu'à 7 ans et des amendes
pouvant égaler le double des sommes ou de l'estimation des avantages
obtenus par le corrompu.
La lutte contre la corruption est la cheville ouvrière
de la restauration de l'Etat du point de vue économique. C'est un axe
important de la justice sociale à laquelle doit aspirer tous les
citoyens qui ont le droit de bénéficier, de manière
équitable, à la redistribution des richesses nationales.
II. Une redistribution équitable des richesses
nationales
La justice à faire valoir dans une
société en reconstruction post-conflictuelle, comme nous l'avons
déjà mentionné doit être intégrale. Il
s'agit, en effet, d'instituer une justice pénale pour les victimes des
violations graves des droits de l'Homme et surtout de préparer la
société à vivre en paix dans le futur. La fiabilité
de cette paix dépend de la qualité de la justice sociale dont les
différentes réformes de l'Etat sont en mesure de mettre en place,
qu'il s'agisse de la gestion de l'exploitation des ressources naturelles (A) ou
de la redistribution équitable des richesses à travers la
décentralisation (B).
A. La gestion des ressources naturelles
La fin de la guerre et la signature de l'Accord de paix de
Lomé a consacré la création de la Commission nationale des
ressources stratégiques (1) qui est un élément
indispensable dans la mise en oeuvre effective du Processus de Kimberley (2).
1. La Commission nationale des ressources
stratégiques
L'Accord de paix de Lomé fait partie des accords de
cessez-le-feu les plus critiqués par les observateurs.
Considéré comme un blanc seing pour les criminels de guerre, il a
pourtant eu le mérite de faire espérer - il est vrai pour
quelques mois seulement - un retour à une paix stable. C'est un
modèle de participation d'un groupe rebelle, transformé en parti
politique, à la vie socio politique.
Foday SANKOH, Prédisent du RUF était revenu de
Lomé avec le poste de Vice-Président de la République et
surtout le porte feuille hautement important de Président du Conseil de
la Commission nationale de gestion des ressources naturelles
stratégiques317(*). C'est quelques jours après la ratification
de la loi, le 23 juillet que le Parlement vote la loi établissant ladite
Commission. Cette loi régie le statut, les fonctions et les pouvoirs
dont elle dispose pour contrôler la gestion des ressources naturelles
précieuses qui sont stratégiques pour la sécurité
de l'Etat sierra Léonais.
La Commission est dirigée par un Comité de dix
membres dont le Président du RUF, deux membres nommés par le
Président de la République, deux par le RUF, trois issus de la
société civile et deux autres par les partis politiques non
partis à l'Accord de Lomé (art. 3). Ce Comité exerce des
fonctions règlementaires, contentieuses et consultatives.
Parmi les fonctions consultatives, elle fournit des rapports
au Gouvernement et le conseille sur des contraintes de sécurité
dans les régions qui abritent les mines d'extraction d'or, de diamant et
d'autres ressources précieuses. La Commission assiste le gouvernement
dans la mise en oeuvre de la loi de 1994 sur l'exploitation des ressources
minières et les concessions d'exploitation signées avec les
entreprises internationales.
Au point de vue règlementaire, la Commission autorise
toutes les exportations de diamants, or et autres ressources naturelles dont
l'exploitation a une influence sur la sécurité de l'Etat. A ce
titre, elle participe à la négociation et à l'attribution
des parts de marché et des concessions aux entreprises nationales et
internationales. Etant donné que l'Etat dispose d'un monopole pour
exporter les pierres précieuses, elle est chargée de mettre en
place un processus de certification et de sanction des violations de ce
monopole, y compris dans le domaine de l'exploitation artisanale qu'elle doit
aussi réguler. Pour des besoins de transparence, toutes les
décisions, homologations et rapports de la Commission doivent être
publiés au Journal Officiel conformément à l'article 9 de
la Loi.
L'Accord de paix de Lomé a entraîné dans
son échec la plupart des institutions qui en découlaient. La
Commission des ressources naturelles stratégiques n'a pas survécu
à la fuite du SANKOH318(*). Cependant, c'est un outil indispensable dans la
protection des intérêts de l'Etat et dans la transparence de la
gestion des ressources naturelles. La réactivation d'un tel organisme ou
la création d'une nouvelle institution est nécessaire pour ne pas
laisser entre les seules mains du Gouvernement l'exploitation des principales
recettes financières de l'Etat. C'est un préalable à la
concrétisation de la mise en oeuvre de la certification requise par le
Processus de Kimberley.
2. Le respect du Processus de Kimberley
Les Nations unies se sont longtemps inquiétées
de la menace que consistait l'exploitation illégale des diamants pour la
paix et la sécurité internationales. Les premières
restrictions ont été entreprises par le Conseil de
sécurité sur les importations des diamants provenant de l'Angola
en 1998. Seuls les diamants ayant suivi un processus de certification
internationale peuvent légalement être vendus sur le marché
international. C'est sur ces bases que le Conseil de sécurité a
voté les sanctions contre la Sierra Léone, le Libéria et
la République Démocratique du Congo.
Le Processus de Kimberley est le produit des pressions faites
par la communauté internationale sur l'Afrique du Sud et les pays
d'Afrique Australe sur le contrôle des exploitations de diamants.
Lancé en 2000, le Processus compte aujourd'hui 44 Etats319(*) (et l'Union
Européenne) importateurs et exportateurs de diamants, qui
représentent 99 % de l'exploitation mondiale des diamants, et qui ont
signé en novembre 2002 un engagement de respecter ce mode de
certification dans leurs pays.
Le principal engagement du Processus de Kimberley est celui de
ne pas importer ni exporter, encore moins servir de transit aux diamants des
pays ou vers les pays n'ayant pas adopté le processus de certification
internationale reconnu en Suisse le 5 novembre 2002. Ce processus permettra
d'éviter d'une part que les ressources minières soient
détournées au profit des individus, et d'autre part, ce qui est
le plus important, qu'elles ne servent plus à financer l'achat d'armes
et des munition qui alimentent les conflits.
La Sierra Léone est membre du sous-groupe pour les
extractions alluviales et coordinateur pour l'Afrique de l'Ouest du Processus
de Kimberley. En 2001, pendant que le pays était encore sous l'effet des
sanctions des Nations unies, le gouvernement sierra léonais a suspendu
pour trois mois toutes les exportations de diamants pour mettre en oeuvre sa
législation avec le Processus. Deux années plus tard, le Conseil
de sécurité a observé avec satisfaction que le processus
de certification pouvait permettre le contrôle de l'exploitation des
ressources diamantifères et a levé l'interdiction de
l'exportation des diamants. La mise en oeuvre de ce processus permet, comme le
rappelle l'ambassadeur PEMAGBI de « mettre sur pied des
mécanismes efficaces aux niveaux national, régional et
international pour garantir que les bénéfices tirés du
commerce de ces pierres précieuses profitent pleinement aux populations
des pays producteurs de diamants320(*) ».
La Sierra Léone est à l'avant-garde de
l'harmonisation des législations au niveau sous régional entre
les pays de la Mano River (Libéria, Sierra Léone et
Guinée). Cette harmonisation était indispensable, car
malgré les contrôles stricts aux frontières, des grandes
quantités de diamants sierra léonais et libériens
traversaient encore les frontières vers la Guinée qui
n'était sous aucune interdiction. Ces efforts ont permis à la
Sierra Léone de passer de 10 millions de dollars en 2000 à
142 millions en 2005. Ces ressources non négligeables lui permettront de
mobiliser des crédits pour le financement des projets de
développement local.
B. Le rôle de la décentralisation dans la
redistribution des richesses
La tradition administrative de la Sierra Léone emprunte
beaucoup à l'administration coloniale britannique. Le gouvernement
s'appui sur les leaderships locaux pour asseoir son autorité et faire
appliquer les lois et règlements. Depuis l'indépendance,
l'architecture organique de l'administration a peu évolué avec la
conservation des chefferies traditionnelles, les villes à statut
particulier et districts. La Local Government Act de 2004
réaffirme l'attachement de la Sierra Léone à cette
tradition et perfectionne l'harmonisation de cette pratique administrative en
accordant aux conseils locaux et régionaux des pouvoirs importants dans
l'exécution des nouvelles compétences qui sont les leurs.
La Sierra Léone compte 19 Conseils régionaux ou
locaux321(*) qui
eux-mêmes sont divisés en 34 chieftancies. Ces Conseils
sont dirigés par des gouvernements locaux de 12 membres au
moins322(*) élus
au suffrage universel pour 4 ans. Le gouvernement local est la première
autorité politique et administrative au niveau local. Ayant à sa
tête un président élu parmi les membres, c'est le lien
entre la population et le gouvernement central, le président du
gouvernement local représente le Président de la
république et les ministres. Il est chargé de poursuivre les
objectifs gouvernementaux et veiller à l'exécution des lois.
Officier de police judiciaire, il concoure à la prévention et
à la répression de la délinquance eu niveau local.
Selon la loi sur les gouvernements locaux de 2004, ceux-ci ont
pour mission de « promouvoir le développement
local », assurer la redistribution des richesses nationales en
mettant en oeuvre des projets financés par les ressources
budgétaires de l'Etat et issus des impôts, taxes et redevances
locales323(*). Le
rôle des gouvernements locaux dans la redistribution des richesses et
l'efficacité gouvernementale s'examine par le biais des pouvoirs
à eux octroyés par la loi, des ressources dont ils disposent et
du contrôle qu'exerce le gouvernement central sur eux.
· Le pouvoir législatif et
règlementaire des gouvernements locaux
Les gouvernements locaux sierra léonais ont, sous
réserve du respect de la Constitution, la compétence de
légiférer (les lois émanant des Gouvernements locaux
seront nommés ci-après bye laws) dans les domaines du
commerce et du développement de la région de leur ressort. La loi
de 2004 (art. 90 § 2-a) précise que ces bye-laws peuvent
concerner les infractions pénales. Ce sont en effet des peines ne
pouvant excéder 500 000 leones (125 € environ) et les peines
de prisons de six mois au maximum. Le gouvernement peut aussi infliger des
amendes de 5 000 leones par jour pour des récidives et ce, quelque
soit le montant de l'amende finale.
Au niveau économique, les gouvernements locaux
légifèrent sur les taxes et les plans de développement
locaux. Trois mois avant la fin de chaque exercice, ils déterminent
l'assiette, le taux d'imposition et les contribuables pour toutes les taxes
locales. Dans la préparation du budget annuel de la région, les
gouvernements locaux approuvent les plans de développement locaux
après consultation des résidents de leurs régions, des
agences gouvernementales, des ONG ou organisations internationales qui ont
intérêt à travailler dans la région en question.
Pour ce faire, et comme l'article 86 de la loi le prévoit, un
comité technique doit être mis en place pour concevoir les projets
et les soumettre à l'Assemblée plénière du
gouvernement local.
Les gouvernements locaux prennent des textes à
caractère réformateur : si une coutume ou tradition locale
entrave le développement de la localité, le gouvernement a le
pouvoir de l'abolir ou de la réformer en adoptant une bye-law
après consultation des autorités traditionnelles de la
région (article 94). Un contentieux peut être ouvert devant le
ministre de tutelle.
Les textes des gouvernements locaux ayant force de loi sont
soumis à une procédure de validation originale :
après adoption de la loi locale, elle est transmise au ministre dont
l'objet de la réglementation fait partie du champ de compétences.
Celui-ci saisit l'Avocat général pour consultation sur la
constitutionnalité de la bye-law (article 92-2). Dans
le cas où cette dernière est jugée anticonstitutionnelle,
le ministre la retourne au gouvernement local dans les 90 jours avec ses
observations ; elle est réexaminée selon la même
procédure en tenant compte des observations. Si la loi est jugée
constitutionnelle, elle est retransmise au chef du gouvernement local qui y
appose un contreseing et la dépose au bureau du Parlement qui la publie
au journal officiel (art. 92-4) en Anglais ou dans les autres langues de
travail du gouvernement local324(*).
Impliquer les gouvernements locaux dans la prise des
décisions de validation des projets permet de rapprocher les politiques
gouvernementales des populations. C'est aux Gouvernements locaux de choisir les
projets qui leur semblent prioritaires et qui permettent de redistribuer eu
mieux les richesses nationales, sources de financement des projets.
· Les sources de financement des projets
locaux
''Local councils shall be finnanced from their own revenue
collections, from central government grants for devolved functions and from
transfers for services delegated from Government Ministries325(*).»
Il ressort de ce qui précède que les sources de
financement des projets locaux sont directes ou indirectes. Les sources
directes concernent les sommes qui peuvent être collectées
directement. Il s'agit, selon l'article 45 (4) des taxes locales, de la taxe
d'habitation, des redevances issues des licences d'exploitation
accordées aux entreprises exerçant dans les régions, les
frais de timbres locaux et les intérêts des dividendes des
investissements opérés par les gouvernements locaux326(*). Les gouvernements locaux
ont la possibilité de contracter des prêts auprès des
ministères après consultation du ministère des finances.
Les ressources indirectes sont celles qui proviennent du
Gouvernement central, soit par le budget national, soit par transfert de
crédits ou alors par redistribution des revenus issues des ressources
naturelles. Au début de chaque exercice budgétaire, le Parlement
vote une quote-part qui doit être versée aux conseils
régionaux de manière équitable (art. 46). Cette quote-part
est complétée par la redistribution des ressources issues de
l'exploitation des richesses minières (art. 45 § 4-d et 60). Les
transferts de crédits proviennent des délégations de
projets par le Gouvernement central. Un ministre peut, après
consultation de l'Avocat général, déléguer un
projet ou une mission gouvernementale au conseil régional. Celui-ci
obtient alors le financement adéquat de la part du ministère. Un
rapport moral et financier sanctionnera la fin des travaux.
· Les rapports avec le gouvernement
central
Le gouvernement central exerce sur les conseils
régionaux un contrôle de tutelle administrative et
financière. Le contrôle administratif consiste en la validation de
certains accords (prêts, délégations de fonctions de la
part d'une agence gouvernementale, investissements et bye-laws). Les
ministres ont le pouvoir de réformer leurs décisions après
avis motivé de l'Avocat général. Le contentieux de l'abus
de pouvoir peut se faire devant la Haute cour qui siège en premier
ressort.
Le Président de la république peut, pour une
période de 90 jours maximum, personnellement ou par
délégation, exercer les fonctions de chef du gouvernement local
après un vote des deux tiers des députés. Cette
administration directe peut provenir de la volonté du conseil
régional qui, en situation de crise en appelle au Président pour
nommer un gouvernement local transitoire. Elle peut aussi provenir de la
constatation des abus de pouvoirs répétés de la part du
président du gouvernement régional ou encore du prononcé
des circonstances exceptionnelles (art. 100).
Au point de vue financier, le Comite des finances
régional est chargé de contrôler l'exécution des
dépenses et la réalité des travaux sur le terrain. Il est
constitué de tous les chefs de gouvernements régionaux et est
dirigé par le ministre des finances.
La Sierra Léone a mis sur pied une organisation
administrative originale. Pour des besoins d'efficacité, les chefferies
traditionnelles héréditaires ont été maintenues et
leur pouvoir accru en matière d'exécution des lois et
résolutions publiques ainsi que le maintien de l'ordre. Celles-ci
participent à la vie sociale et économique de part leur place
importance dans les différents organes consultatifs pour la mise en
oeuvre des projets locaux. Les gouvernements des conseils régionaux sont
quant à eux élus et représentent la vraie voix du peuple.
C'est eux qui choisissent les projets prioritaires en accord les chefs, les
exécutent et font des rapports au gouvernement central qui est
chargé de donner des orientations générales et de
coordonner les différentes politiques locales. Une telle organisation
administrative suppose l'application des textes et le contrôle de
l'autorité judiciaire. La publication des revenus des membres des
gouvernements locaux (art. 106) au même titre que ceux du gouvernement
central est un premier pas vers la moralisation de la vie publique, aussi bien
au sommet de l'Etat qu'au niveau local.
La Sierra Léone avait besoin de la redéfinition
du contrat social liant les citoyens entre eux et de la mise en place d'un
nouveau pacte républicain liant les citoyens et ceux qui les gouvernent.
Avant cela, le tissu social devait être ressoudé et
dépourvu de suspicions, rancoeurs et violences. la CVR a servi
d'exutoire pour ceux qui avaient besoin de parler de leurs souffrance et de
faire connaître les préoccupations et besoins. Elle a servi
à donner aux victimes une place importante dans le processus de
réhabilitation. Ils ont bénéficié de toute
l'attention des membres de la Commission qui a préconisé des
recommandations et politiques spéciales à leurs profit. La
mémoire des victimes décédées a été
honorée par des cérémonies traditionnelles et religieuses.
Certains perpétrateurs on eu la possibilité de se
réconcilier avec les victimes, complétant ainsi le travail de ma
Cour spéciale. Au point de vue politique, la démocratisation de
l'Etat et la promotion de la bonne gouvernance sont des motifs d'espoir pour
une société en reconstruction post-conflictuelle dont les
contours méritent un examen encore plus approfondi.
CONCLUSION GENERALE
L'étude d'une société en reconstruction
post conflictuelle nécessite le recul suffisant pour observer les faits,
analyser les données et interpréter les résultats des
hypothèses. Comme nous l'avions fait remarquer au début de notre
étude, le processus de rétablissement de l'Etat de droit dans une
société en reconstruction post conflictuelle est gouverné
essentiellement par le principe de justice. Justice pénale pour les
victimes et contre les criminels, justice réparatrice pour l'ensemble de
la société, dont la cohérence et les interactions doivent
être rétablies. Répondre aux dilemmes et contradictions que
représentent les caractéristiques d'une société en
fin de conflit suppose la prise en charge non seulement des données
personnelles, mais aussi et surtout collectives pour harmoniser et arbitrer les
intérêts de toutes les couches sociales.
Le premier dilemme est organique : à qui faire
confiance pour rétablir l'équilibre dans une
société ? Quelle est l'institution, l'organe ou la
personnalité susceptible d'identifier et de mener à bien les
objectifs de la nouvelle société ? La société
sierra léonaise, en crise d'identité après 10 ans de
conflit, a besoin d'être rassurée, de reconstruire les bases du
lien social et du vivre ensemble. La mise en place des mécanismes de
justice transitionnelle nécessite l'existence d'une autorité
publique légitime. Cette autorité peut être consensuelle et
chargée exclusivement de mener le processus transitionnel à
terme327(*). Il peu
aussi, comme c'est le cas de la Sierra Léone, s'agir d'un pouvoir
démocratiquement élu qui, en plus des autres fonctions
régaliennes l'Etat, se charge du processus de rétablissement de
l'Etat de droit.
Le rétablissement de l'ordre constitutionnel choisi par
la Sierra Léone dès les premiers mois de la transition a produit
des résultats positifs dans la stabilisation de la
société. Pourtant il y avait un risque encore important
d'instabilité. En effet, rétablir dans les fonctions de
Président Ahmad Tejan KABBAH était un parti pris qui suscitait un
certain nombre de questions fondamentales. Ce dernier ne disposait pas d'une
puissance militaire suffisante pour rétablir son autorité sur
tout le pays, son influence se limitant à Freetown et à sa
périphérie. Le reste du territoire, y compris les régions
d'exploitation des ressources stratégiques, étaient aux mains du
RUF/AFRC. Pour combler ce déficit, la mise en place d'une imposante
Mission des Nations unies a permis de rétablir la sécurité
et d'instituer des projets alternatifs au conflit.
Le choix organique doit obéir au plan interne à
une double légitimité : la légitimité
élective et la légitimité par la proximité. Les
institutions jouissant de la légitimité élective sont ceux
dont la création découle plus ou moins directement d'un processus
de consultation. Le Président de la République, son gouvernement
et le Parlement appartiennent à cette catégorie. Les institutions
de justice transitionnelle comme la Cour spéciale et la Commission
vérité et réconciliation, crées respectivement
à l'initiative du Gouvernement et du Parlement obéissent à
cette logique. Parmi les acteurs, la légitimité par de
proximité concerne tous les acteurs associatifs. Les ONG et associations
tirent leur légitimité d'action de leurs rapports étroits
avec la population et les groupes dont ils défendent les
intérêts. Ne pas les inclure dans une dynamique
décisionnelle serait peu bénéfique pour le succès
des réformes à engager.
Le second dilemme est processuel : quel processus doit
ont mettre en oeuvre pour reconstruire la société et fonder les
bases d'un nouveau vivre ensemble ? Pour rendre justice aux victimes,
punir les violations des droits de l'Homme et prévenir de tels abus dans
le futur, fallait-il pour les sierra léonais choisir entre la mise en
ouvre effective de l'Accord de paix de Lomé, c'est-à-dire
octroyer l'amnistie aux perpétrateurs d'atrocités et promouvoir
la réconciliation ou alors écarter les clauses amnistiantes pour
entamer un processus pénal ? La question à laquelle il
fallait trouver des réponses était celle de savoir si la justice
et la réconciliation étaient conciliables. En effet, les
objectifs de justice et de réconciliation ne sont pas inconciliables,
mieux, l'un ne peut valablement exister sans l'autre. Si l'effet principal de
la justice pénale est la punition, son objectif est de permettre aux
perpétrateurs d'assumer leurs actes, aux victimes d'être reconnues
et à la société d'espérer une stabilisation. La
justice n'est pas que strictement pénale, elle est aussi
réparatrice en permettant des mécanismes secondaires de
responsabilité.
Le retour des ex-combattants dans leurs régions
d'origine, la prise en compte des besoins des victimes et la punition de ceux
qui portent la plus grande responsabilité dans les crimes est une
composition originale dont les résultats ont permis aux Sierra
léonais de renouer avec la paix et une certaine justice sociale. La
société sierra léonaise étant éminemment
consensuelle, tous les procédés considérés comme
facteurs de division du pays comme la lustration ou le vetting ont
été écartés pour laisser la place à la
formation et à la sensibilisation, plus propice à la
responsabilisation de la société.
Le rétablissement de la démocratie, de la
sécurité et de l'Etat de droit dans une société en
reconstruction, en plus d'être soumis à des dilemmes est aussi une
question d'intransigeances. Des intransigeances relatives aux principes
fondamentaux qui doivent gouverner les politiques mises en place dans ce cadre.
Les droits de l'Homme et les traditions constituent cette base fondamentale sur
laquelle s'appuient les décisions publiques. Pas les droits de l'Homme
de manière exclusive, ni les traditions sans prise en compte de
l'ensemble des principes fondamentaux qui gouvernent les sociétés
humaines. L'esprit de la Charte africaine des droits de l'Homme et des peuples
dont le préambule reconnaît la prise en compte « des
traditions historiques et des valeurs des civilisations africaines qui doivent
inspirer et caractériser leurs réflexions ( ...)328(*) » est
révélatrice de l'arbitrage nécessaire qui doit exister
entre les valeurs traditionnelles africaines et les droits de l'Homme qui sont
considérés, à tort ou à raison, de conception
éminemment occidentale329(*).
La justice transitionnelle permet de mettre en place un
certain nombre de mécanismes répressifs et préventifs dans
le domaine du droit et de la sécurité de l'Etat et des personnes.
La répression, les réparations et la réconciliation sont
les maîtres mots de cette entreprise, la consolidation de ces acquis et
leur pérennité appelant un certain nombre de réformes dans
les appareils de l'Etat. La bonne gouvernance politique et économique
fonde le développement des pays en transition, apportant ainsi une
alternative à la violence comme moyen d'expression, de conquête
politique et d'accumulation de richesses. La redistribution équitable du
produit issu de l'exploitation des ressources naturelles par l'implication des
acteurs locaux dans l'adoption et la mise en place des politiques de
développement, l'assainissement des comptes publics et la lutte contre
la corruption concourent à cet équilibre étatique.
La Sierra Léone s'est inspiré de plusieurs
modèles de justice transitionnelle pour mettre en place la Cour
spéciale et la Commission vérité et réconciliation.
Mais, elle a fait preuve d'originalité dans la conception et le mandat
de ces deux institutions. La Cour spéciale a emprunté aux TPIR et
TPIY leur Règlement de procédure et preuves ainsi que leurs
spécialistes et juristes. Elle y a ajouté la législation
interne, en incriminant sur la base des lois nationales330(*), et les juges nationaux qui
siègent aux côtés des internationaux. C'est la remarquable
expérience d'une Cour hybride dont le principal mérite est de
siéger sur les lieux où les atrocités ont
été commises, permettant ainsi aux populations de s'approprier le
processus de répression des crimes de guerre qu'elles ont subis. A
l'état actuel de son processus, nous pouvons tout de même
regretter la faiblesse des moyens dont elle dispose, notamment le manque des
pouvoirs relatifs au Chapitre VII de la Charte des Nations unies et la
faiblesse de ses moyens financiers qui ont considérablement ralenti le
cours des procès. Les affaires sont encore en jugement alors que deux
des principaux accusés sont décédés331(*).
La Commission vérité et réconciliation a
quant à elle pris en compte les différentes modalités de
gestion des conflits des peuples sierra léonais. Les rituels
traditionnels de réhabilitation, de purification et d'hommage aux morts
et les procédés plus classiques d'audition et d'enquête ont
débouché sur un rapport qui fixe les principaux enjeux de la
consolidation de la paix en Sierra Léone. Chose inédite, la CVR
et la Cour spéciale ont commencé leurs mandats presqu'au
même moment. Le manque de précisions dans leurs statuts respectifs
quant aux échanges éventuels d'informations a laissé
planer un doute sur les objets des deux institutions et a freiné
l'enthousiasme des populations à coopérer avec l'une ou l'autre.
Il serait opportun, dans le cadre de mise en place d'institutions de justice
transitionnelle, d'anticiper et de préciser les rapports entre une cour
et une commission de vérité.
Les institutions de justice transitionnelle ont permis de
poser les jalons de la future société sierra léonaise, des
avancés considérables étant obtenues dans la confiance des
populations vis-à-vis de leurs institutions publiques, dans la
reconstruction du tissu social et le rétablissement de la
démocratie. Malgré tout, la société et l'Etat
sierra léonais restent encore fragiles. Fragiles à cause des
contraintes politiques, économiques, culturels et sécuritaires.
Dans la sous région d'Afrique de l'Ouest, la Côte d'Ivoire et le
Libéria sont, chacun à sa manière entrain de renouer avec
la stabilité pendant que la Guinée montre des signes de
faiblesse. Plus loin dans la région des Grands lacs, le Burundi, le Sud
Soudan, la République Démocratique du Congo et l'Uganda sont
entrain de sortir progressivement su cycle de la violence. Ce sont là
des exemples qui sont loin de ne pas susciter des intérêts
scientifiques.
Tout au long de cette étude, nous avons essayé
de présenter des mécanismes de justice transitionnelle,
c'est-à-dire les principaux procédés à mettre en
oeuvre pour assurer une sortie de crise fiable et durable. Cependant, environ
45% de pays qui sortent d'une crise plus ou moins grave retombent dans les
travers de la violence moins de cinq ans après la fin du
conflit332(*). Les
causes de cette rechute sont plus à rechercher dans la période
d'avant le conflit que celle qui a suivi la guerre, car les guerres sont le
résultat de la fragilité d'un Etat, cette fragilité
s'évaluant à travers un certain nombre de critères. Les
clés de la compréhension et de la gestion des problèmes
posés par une situation post-conflictuelle résident donc dans une
analyse complète de la situation de stabilité qui a
précédé le déclenchement de la guerre. Comprendre
que les Etats en guerre aujourd'hui ont été fragiles avant le
conflit et le seront après, détecter dans les
sociétés en reconstruction post-conflictuelle des signes de
fragilité permettront d'anticiper et de réduire les risques de
transformation d'une crise éventuelle en une guerre effective.
Notre propos occupe donc une position médiane entre
deux types de fragilités : la fragilité dite primaire, celle
qui précède le déclenchement de la guerre et la
fragilité secondaire, qui vient après la transition. Ces deux
types de fragilité présentent des caractères similaires,
même si les conclusions ne sont pas les mêmes. Cette étude a
vocation à être poursuivie, d'abord pour les questions relatives
à la justice transitionnelle qu'elle n'a pu aborder ou approfondir,
notamment en ce qui concerne la réinsertion des enfants soldats,
l'assainissement des institutions de la police et de l'armée, le de la
réparation symbolique dans la réconciliation, les diverses
dynamiques de la réparation et de la réhabilitation, le
rôle des Nations unies et des ONG, etc. Ensuite, du fait qu'elle est
consacrée à l'analyse d'une situation en cours, notre
étude est soumise à l'évolution de la situation du pays.
Que ce soit au niveau de la Cour spéciale, notamment avec le
décès de Hinga NORMAN et les délibérations qui se
terminent ou de la situation politico institutionnelle du pays avec les
prochaines élections, la fin de la Mission des Nations unies et la
création de nouvelles institutions de gestion du pays. Enfin, ce travail
est susceptible d'être complété par une analyse plus
exhaustive des indicateurs de la fragilité de l'Etat et de la recherche
des solutions à mettre en oeuvre pour endiguer l'évolution vers
la violence. INDICATIONS BIBLIOGRAPHIQUES333(*)
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Cour spéciale pour la Sierra Léone amendée le 29 mai 2004
et le 24 novembre 2006
· Règles de Procédure et de Preuves du TPIR
et du TPIY
· Résolution 1400 (2002) du 28 mars 2002
· Résolution 827 du 25 mai 1993
· Résolution 827 du Conseil de
Sécurité des Nations Unies de 1993 établissant le TPIY
· Résolution 955 du 8 novembre 1994
· Résolution 955 du Conseil de
sécurité des Nations Unies de 1994 établissant le TPIR
· Résolution du Conseil de Sécurité
demandant au Secrétaire Général de négocier un
accord avec le gouvernement de Sierra Léone pour l'établissement
d'une Cour Spéciale: S/2002/246, 8 mars 2002
· Résolution IV- B4 du XVIème
Congrès international de droit pénal à Budapest en
1999.
· Résolution S/RES/1610 du Conseil de
sécurité
· Statut de la Cour pénale internationale du 17
juillet 1998
· The Anti-Corruption Act, 2000
· The Commission for the Management of Strategic
Resources, National Reconstruction and development Act, 1999
· The Constitution of Sierra Leone (Amendment) Act,
2001
· The Constitution of Sierra Leone, 1991
· The Criminal Procedures Act, 1965
· The Government Budgeting and Accountability Act,
2005
· The Human Rights Commission of Sierra Leone Act,
2004
· The Local Government Act, 2004
· The Lomé Peace Agreement (Ratification) Act,
1999
· The Malicious Damage Act, 1861
· The Prevention of Cruelty to Children Act, 1926
· The Protectorate Ordinance, 1890
· The Revolutionary United Front of Sierra Leone
(Participation in Political and Democratic Process) Act, 1999
· The South African Regulation Foreign Military
Assistance Act, 1998
· The Truth and Reconciliation Act, 2000
5. Jurisprudence
· Affaire BAGOSSORA, CAS N° ICTR-96-7,
«Decision on the Prosecution's motion for Joiner« 29 juin
2000
· Affaire NTUYAHAGA Bernard, ICTR-98-40
· Arrêt BRDAMIN, CAS n° IT-93-36,
Decision on Application by Momir TALIC for the Disqualification and
Withdrawal of a Judge, 18 mai 2000
· Arrêt KVOCKA, cas N° IT-98-30,
« Décision relative aux exceptions préjudicielles
de la défense portant sur la forme de l'acte d'accusation »,
12 avril 1999
· CIJ, 1961, Barcelona Traction, Light and Power
Company, Limited (Belgique c. Espagne)
· CIJ, Activités militaires et paramilitaires
au Nicaragua et contre celui-ci, Nicaragua c. Etats-Unis, 27 juin 1986
· NZIRORERA, CAS n° ICTR-97-20,
Decision on the Defence Motion Seeking an Order to the Prosecutor to
Investigate the Circumstances of the Crash of the President HABIARIMANA's
Plane, 2 Juin 2000
· Prosecutor Vs FURUNDZIZA, cas n° IT-95-17
du 16 juillet 1998
· Prosecutor vs. Issa SESSAY, SCSL-04-15-PT-140.
«Decision on Defence Motion Seeking the Disqualification of Judge
ROBERTSON from the Appellate Chamber» 13 mars 2004.
· TAYLOR case, SCSL-2003-01-I, Prosecutor, vs. Charles
Ghankay TAYLOR
· The AFRC case, n° SCSM-2004-16-PT, Prosecutor vs.
BRIMA, KAMARA and KANU
· The CDF case, AF n° SCSL-03-14-I, Prosecutor vs.
NORMAN, FOFANA and KONDEWA
· The Prosecutor Vs Foday Saybana SANKOH (case
N° SCSL-2003-02-PT), Withdrawal of Indictment, 8 décembre
2003
· The Prosecutor Vs Sam BOCKARIE, (case N°
SCSL-2003-04-PT), Withdrawal of Indictment, 8 décembre 2003
· The RUF case, AF n° SCSL-2004-15 PT, Prosecutor
vs. SESSAY, KALLON and GBAO
· TPIR, BARAGAWISA, Chambre d'Appel, cas n°
ICTR-97-19, arrêt du 3 novembre 1999
6. Sites internet
· Centre International pour la Justice
Transitionnelle :
www.ictj.org
· Commission Vérité et
Réconciliation:
www.trcsierraleone.org
· Cour Pénale Internationale:
www.icc-cpi.org
· Cour spéciale pour la Sierra Léone:
www.sc-sl.org
· Human Rights Watch :
www.hrw.org
· Organisation des Nations Unies :
www.un.org
· Recueil des lois de la Sierra Léone:
www.sierra-leone.org/laws.html
· Réseau Africain de Recherche sur la Justice
Transitionnelle :
www.transitionaljustice.org
· Sierra Leone Court Monitoring Programme:
www.slcmp.org
* 1 Il a ainsi
été le cas de Pinochet et de l'abrogation en Argentine de la loi
d'amnistie qui couvrait les anciens dictateurs. L'on a aussi assisté
à des actions intentées contre Hissen Habré, mais sans
obtention des effets escomptés.
* 2 Résolution 827du
Conseil de Sécurité (1993) créant le Tribunal Pénal
International pour l'Ex-Yougoslavie (TPIY) et la résolution 955 (1994)
pour le Tribunal pénal International pour le Rwanda (TPIR).
* 3 Statut de la Cour
Pénale Internationale (CPI) du 17 juillet 1998.
* 4 Estimation de l'UNICEF
(Fonds des Nations unies pour l'enfance) en 2004: 5 336 000
habitants.
* 5 L'ECOMOG (Economic
Community of West African States Cease-fire Monitoring Group, ou Brigade
de surveillance du cessez-le-feu de la Communauté Economique d'Afrique
de l'Ouest), la force ouest africaine d'interposition composée
en majorité de soldats nigérians et guinéens aurait commis
des exactions lors de leur entrée à Freetown en 1998 (voir le
rapport de Human Rights Watch, «"We'll kill you if you cry
" : sexual violence in the Sierra Leone conflict »,
vol. 15 N°1(A), janvier 2003)
* 6 RUF: Revolutionnary
United Front de Foday SANKOH.
* 7 Foday SANKOH était
vice-président de la république et président du
Comité national de gestion de ressources stratégiques.
* 8 L'article 9 de l'accord
prévoit le vote d'une loi qui devait garantir "an absolute and free
pardon and reprieve to all combatants and collaborators in respect of anything
done by them in pursuit of their objectives, up to the time of the signing of
the present agreement "
* 9 En Anglais Truth and
Reconciliation Commission (TRC), qui a finalement été la
seule institution de l'accord de Lomé à subsister.
* 10 C'est ce qui ressort en
substance de l'article 6 de la troisième partie de la loi de 2000
établissant la Commission Vérité et
Réconciliation.
* 11 Les 800 soldats
britanniques ont été suppléés dès le
printemps 2000 par la plus grande force de maintien de la paix de l'histoire
des Nations unies, la United Nations Mission in Sierra Leone
(UNAMSIL) qui comptait plus de 17 mille hommes et avait un budget
annuel de plus de 700 millions de dollars lorsqu'elle a atteint son
maximum de personnel. Voir:
http://un.org/Depts/dpko/missions/unamsil/facts.html
* 12 L'article 1 de l'accord
stipule en son paragraphe premier que : «there is hereby
established a Special Court for Sierra Leone to prosecute persons who bear the
greatest responsibility for serious violations of international humanitarian
law and Sierra Leonean law committed in the territory of Sierra Leone since 30
November, 1996»
* 13 En effet, depuis la
chute du mur de Berlin, la communauté internationale a connu des
avancées significatives sur le chemin de la lutte contre
l'impunité. La création des tribunaux pénaux ad hoc,
l'adoption du Statut de Rome, l'arrestation et le transfert de Charles
TAYLOR à La Haye ainsi que de multiples actions menées contre
d'autres présumés criminels de guerre au Timor et en
Amérique du SUD sont là des exemples les plus significatifs.
* 14 Voir notamment les
rapports du Secrétaire général des Nations unies
« Dans une liberté plus grande :
développement, sécurité et respect des droits de l'homme
pour tous » et « Rétablissement de l'Etat
de droit et administration de la justice pendant la période de
transition dans les sociétés en proie à un conflit ou
sortant d'un conflit », soumis à l'Assemblée
générale et au Conseil de sécurité.
* 15Outre les Krio,
la Sierra Léone compte 20 groupes ethniques dont les Temne (30
%), Mende (30 %) et les Bantous.
* 16 Ou Créoles,
parlent une langue très proche de l'Anglais.
* 17 Le Fourah Bay College,
fondé en 1827, est la première université moderne
d'Afrique noire. Elle formera la première élite de la Sierra
Léone et des pays voisins qui se chargeront de la gestion du pays
après l'indépendance.
* 18 Le sous-sol de l'Est
sierra léonais est en effet riche en fer, bauxite, rutile, or, platine,
chrome et détient l'un des diamants les plus purs au monde.
* 19 On estime sa
densité à 84 habitants au km² et les populations sont
concentrées dans les grandes villes (Freetown, Port Loko, Lumsar,
Makeni, Bo, Kenema, Koidu et Koindu) où l'économie est construite
autour des ports et commerces des immigrés libanais et
européens.
* 20
176ème sur 177 au classement de l'Indice de
Développement Humain (IDH) du Programme des Nations Unies pour le
Développement (PNUD), la Sierra Léone a 576 dollars de Produit
Intérieur Brut par habitant, 774,5 % de la population vivant avec mois
d'un dollar par jour. L'espérance de vie à la naissance est
estimée à 41 ans pendant que les taux d'alphabétisation
des adultes et de scolarisation au primaire et secondaire sont respectivement
de 35,1 et 65% (données tirés du rapport de l'IDH 2006 disponible
sur le site Internet du PNUD :
www.undp.org). A vrai dire, la guerre
n'a fait que cristalliser cette position car une année avant même
le début du conflit, le PNUD classait déjà le pays au
160e rang de l'IDH, voir Jean-Marc CHÂTAIGNER, L'ONU dans
la crise en Sierra Léone : les méandres d'une
négociation, KARTHALA, Paris 2005.
* 21 60% de la population
est musulmane, 10 % chrétienne et 30 % animiste.
* 22 La conférence de
Bandoeng de 1955 est l'un des évènements les plus marquants de la
vie des pays du Tiers-monde et sous colonisation.
* 23 Le parti de tous les
Sierra Léonais.
* 24 Voir le rapport de
l'International Crisis Group, « Sierra Leone : Time For a
New Military and Political Strategy, » rapport n° 28, du 11
avril 2001 et les charges présentes dans l'acte d'inculpation
Prosecutor Vs Charles Ghankay TAYLOR, SCSL-03-02 du 7 mars 2003.
* 25 Conseil national de
gouvernement provisoire (traduction assurée par nos soins)
* 26Il a pris le pouvoir en
1992 par un coup d'Etat avec l'aide des mercenaires sud-africains de
l'Executive Outcomes, en échange des concessions
minières et forestières.
* 27 Voir Tom PERRIELLO and
Marieke WIERDA pour l'ICTJ, «The Special Court for Sierra Leone Under
Scrutiny», mars 2006, page 6.
* 28 Sierra Leonian People's
Party, le parti du peuple sierra léonais.
* 29 De Conakry, le
président KABBAH va encourager la création de la Civil
Defense Force (CDF) qui sera composée des Kamadjors, des
chasseurs traditionnels. Il place à la tête de cette milice l'un
de ses plus proches fidèles, Sam HINGA NORMAN qui est actuellement en
procès à la Cour Spéciale pour la Sierra Léone.
* 30 Armed forces
Revolutionnary Council (AFRC), le Conseil révolutionnaire des
forces armées
* 31 En effet, la nomination
d'un envoyé spécial du Secrétaire général
des Nations unies pour la Sierra Léone (l'éthiopien Berhanu
DINKA) n'interviendra que le 7 février 1995, soit plus de quatre ans
après le début du conflit. Voir, L'ONU dans la crise en
Sierra Léone, op cit.
* 32 Le 6 mars 1997, Foday
SANKOH est arrêté par la police nigériane à
l'aéroport de Lagos en possession d'armes,
« illégalement achetées » selon la
thèse officielle.
* 33 Voir le rapport de
l'ICTJ cité précédemment.
* 34 Conformément
à l'article 3, alinéa 3 de l'accord de Lomé, la loi du 20
juillet 1999 a été votée pour permettre la transformation
du RUF en parti politique et la participation de ses membres au gouvernement.
Son président est aussi nommé à la tête du
Comité de gestion des ressources stratégiques, sorte
d'autorité administrative indépendante chargée de
contrôler toutes les exportations de matières premières du
pays.
* 35 Résolution 1306
du Conseil de sécurité du 5 juillet 2000.
* 36 KABBAH est élu
avec 70 % des voix, Ernest Baï KOROMA second avec 22 % et Johnny Paul
KOROMA avec 4 %. Le parti du président, la SLPP obtient 83 sièges
au parlement contre 27 pour les opposants de l'APC.
* 37 NKIRA Jean Emile
Vincent, La justice transitionnelle en Sierra Léone : entre
stratégies judiciaires et nécessités politiques, in
Quelle contribution de l'Afrique de l'Ouest à la tradition
universelle des droits de l'homme ? MAGENEST Denis et HOLO
Théodore (dir.), Ed. du Cerap, Abidjan, 2006
* 38 De nombreuses
associations des victimes comme la Sierra Leonean Amputees
Association, des ONG comme No Peace Without Justice, Post
Conflict Reintegration Initiatives for Developpement and Empowerment
auront fait un travail considérable pour faire pression sur le pouvoir
en place pour la création de la Cour
* 39 Voir Michelle SIEFF,
A Special Court for Sierra Leonne, mai 2001, disponible sur le site
www.crimesofwar.com/tribun-mag/mag_sierra.html
* 40 Résolution
S/Res/1315 (2000) adoptée le 14 août 2000.
* 41 Traduction du texte
original en anglais par nos soins.
* 42 En Anglais,
Agreement on the Establishment of the Special Court for Sierra
Leone.
* 43 Hans KELSEN,
«Pure Theory of Law» traduit par M. KNIGHT, University or
California, 1er mars 1971.
* 44 Antonio CASSESE,
« Le Tribunal pénal international pour l'Ex-Yougoslavie et
les problèmes de la justice pénale internationale »,
dans les droits de l'homme et le droit, conférences de la
Chaire Lyonnaise des droits de l'homme, réunies et
présentées par Gaëlle VALLET, Editions de l'Institut des
Sciences de l'Homme, Lyon, 1998
* 45 Jean Emile Vincent
NKIRA relève avec pertinence le fait que la justice soit confiée
en premier ressort aux autorités traditionnelles, ceci explique le
désintérêt même des populations envers les
juridictions nationales, à plus forte raison d'une institution
perçue comme venue de l'étranger.
* 46 Voir
«Ex-combatants Views of the Truth and Reconciliation Commission and
the Special Court in Sierra Leone» disponible sur le site internet de
l'ICTJ (
www.ictj.org).
* 47 En effet, 89 % des
personnes sondées étaient favorables à la création
de la Cour avant les opérations de sensibilisation. Ils n'étaient
plus que 75 % après. Idem, page 16.
* 48 De 56 % au
début, l'étude a relevé 77 % après la
sensibilisation. Idem.
* 49 La Sierra Leonisn
Bar Association, a vivement protesté contre cet état de fait
lors d'une manifestation en 2002 devant le siège du Parlement et de la
Cour suprême.
* 50 L'ambassadeur KANU qui
représentait le gouvernement sierra léonais lors des
négociations pour la mise en place de la Cour, avait efficacement fait
pression sur les gouvernements pour la ratification du statut et occupait en
cette période le poste de vice-président de l'assemblée
des Etats parties à la CPI. Il s'inquiétait des opinions qui
voyaient en la Cour spéciale une menace contre l'établissement
d'un ordre de justice internationale car son pays '' had supported the
establishment of a permanent criminal Court from the start. It had been one of
the first countries to sign and ratift the statute. The crimes covered by the
Court would argument and solidify the work of the tribunals and similar
institutions, such as the Special Court established in his country. Those who
had not supported the Special Court for Sierra Léone should do so. It
was contributing to the establishment of a just international legal order. It
upheld the rule of international law», extrait du communiqué
de presse de la 57ème session de l'Assemblée
générale des nations unies. Document n° GA/L/3214,
disponible sur le site
www.un.org
* 51 Voir
« The Special Court for Sierra Leone Under Scrutiny »
page 12.
* 52 Résolution 260 A
(III) de l'Assemblé générale du 9 décembre 1948
entrée en vigueur le 12 janvier 1951 conformément aux
prescriptions de l'article XIII.
* 53CIJ, 1961,
Barcelona Traction, Light and Power Company, Limited (Belgique c.
Espagne)
* 54 Les deux tribunaux sont
situés dans des pays étrangers et la plupart des membres de leurs
staffs n'ont pas eu à prendre contact avec les réalités
locales ni avant, ni pendant l'exercice de leurs fonctions.
* 55 Voir, «The
report of the Expert Group to Conduct a Review of the Effective Operations and
Functioning of the International Tribunals for the Former Yugoslavia and
Rwanda», UN doc. A/54/634, 22 novembre 1999. Et aussi Ken ROTH,
«International Injustice: the Tragedy of Sierra Leone» Wall
Street Journal (Europe); 2000.
* 56 Résolution 1315,
du 14 août 2000, § 8.
* 57 Idem, § 5.
* 58Voir Avril Mc DONALD
« The Amnesties in the Lomé Peace Agreement and the UN's
dilemma », Humanitäres Völkerrecht, N° 1, 2000,
Pp 12- 14.
* 59 Avril MC DONALD,
« Sierra Leone's Shoestring Special Court » in
International Review of the Red Cross, march 2002, Vol. 84 N° 845, Pp
121-143.
* 60 Cf. lettre du
président sierra léonais du 12 juin 2000 adressée au
Secrétaire général (document S/2000/786).
* 61 Résolution 1315,
art 2 et 3.
* 62 UN doc S/2000/925
* 63 En anglais
« Mutual Assistance Between Sierra Leone and the Special
Court » règle toutes les dispositions relatives aux
échanges de procédés entre les parties (l'Etat sierra
léonais et les Nations unies). Loi de ratification de l'accord de
création de la Cour spéciale et de ses Statuts, loi du 15 avril
2002.
* 64 Voir Marieke WIERDA et PERIELLO
cites précédemment.
* 65 Conférence du
Président KABBAH à l'Université de Harvard en 2004.
* 66 Legal Reform
Initiative.
* 67 Notamment la «Radio
Special Court».
* 68 Extrait du Rapport du
Secrétaire general des Nations unies sur l'établissement d'une
Cour spéciale pour juger les responsables des crimes de guerre en Sierra
Léone.
* 69 En fait, si l'on prend en compte
le coût par accusé, le budget de la Cour spéciale est bien
plus élevé que celui des deux tribunaux.
* 70 Kofi Annan avait
évalué à 114 millions de dollars pour trois ans. Mais les
Etats membres du Conseil de sécurité l'ont
considérablement réduit à 57 millions. Voir la lettre du
13 juillet 2001 du Secrétaire général adressée au
président du Conseil de sécurité, document S/2001/693.
* 71 Résolution 1315 § 8
alinéa c).
* 72 Lesquelles contributions
émanent du budget global de l'Organisation.
* 73 Lettre du 13 juillet 2001 au
Secrétaire général, page 2.
* 74 A vrai dire, la frange
réelle du personnel national qui s'occupait du traitement des dossiers
au niveau de la Cour était très inférieure au volume
global des nationaux. Car ceux-ci s'occupaient principalement des tâches
subalternes liées notamment à l'entretien des bâtiments et
au transport.
* 75 Voir le rapport de Kofi
ANNAN du 4 octobre 2000, UNDOC S/2000/915, § 66 et 67.
* 76 Résolution 1400
(2002) du 28 mars 2002, § 9.
* 77 Marieke WIERDA et Tom
PERIELLO pour l'ICTJ cités plus haut.
* 78 Cette terminologie
onusienne désigne les pays qui participent financièrement et
matériellement au fonctionnement de la Cour. Il s'agit au début
de la mise sur pied de la Cour des Etats-Unis, du Royaume Uni, du Canada et de
la Hollande mais aussi des moins grands donateurs comme le Lesotho, le
Nigéria et le Gouvernement de Sierra Léone. Siège aussi au
comité de gestion (management comittee) un représentant
du Secrétaire général des Nations unies.
* 79 Lesquels marchandages
risquent de compromettre gravement le financement des cours dans des pays qui
ne représentent pas un intérêt particulier pour les grandes
puissances donatrices.
* 80 L'article 41 de la
Charte précise ces mesures qui peuvent consister en
« l'interruption complète ou partielle des relations
économiques et des communications ferroviaires, maritimes,
aériennes, postales, télégraphiques,
radioélectriques et des autres moyens de communication, ainsi que la
rupture des relations diplomatiques ».
* 81 Résolution 827
du 25 mai 1993, paragraphe 8.
* 82 Dans sa
résolution 955 du 8 novembre 1994, le Conseil de sécurité
reste « convaincu que la poursuite des dans les circonstances
particulières qui règnent au Rwanda, des poursuites contre les
personnes présumées responsables d'actes de génocide ou
d'autres violations graves du droit international humanitaire permettraient
d'atteindre cet objectif et contribueraient au processus de
réconciliation nationale ainsi qu'au rétablissement et au
maintien de la paix ».
* 83 En effet, la convention
de Genève sur le statut des refugiés du 28 juillet 1951
prévit (article 1 F-a) l'impossibilité d'octroyer le statut de
refugié aux personnes qui «ont commis un crime contre la paix,
un crime de guerre ou un rime contre l'humanité, au sens des instruments
internationaux élaborés pour prévoir des dispositions
relatives à ces crimes ».
* 84 Document S/2005/273 du
26 avril 2005.
* 85 Résolution
S/RES/1610
* 86 Idem, paragraphe 6.
* 87 PRIDE, «Ex-Combatants
Views on the TRC and Special Court», cité
précédemment.
* 88 La Mano est un fleuve qui traverse
la Guinée, le Libéria et la Sierra Leone. Une organisation
intergouvernementale (l'Union du Fleuve Mano) a été
créée en 1973 et fut rejointe par la Côte d'Ivoire. Elle a
pour but de promouvoir les liens de coopération entre les Etats membres
et de lutter contre l'instabilité dans la sous-région. Elle a
longtemps servi de tremplin aux négociations diplomatiques pour la
résolution des conflits frontaliers et des crises récurrentes
entre les Etats.
* 89 Huitième rapport du
Secrétaire général sur la Mission des Nations unies en
Sierra Léone, 15 décembre 2000, paragraphes 30 ) 32, page 5.
* 90 Dans Jose Luis DA CUESTA,
« Les compétences criminelles concurrentes nationales et
internationales et le principe de `' ne bis in dem'' »,
Revue internationale de droit pénal, 2002, vol. 73, pp. 675
à 705.
* 91 Article 9 in fine du Statut de
la Cour spéciale.
* 92 Résolution IV- B4 du
XVIème Congrès international de droit pénal à
Budapest en 1999.
* 93 Cette interdiction a
été reprise par l'Assemblée générale des
Nations unies lors de l'adoption du Traité type sur la transparence des
poursuites pénales du 14 décembre 1990 (article 10).
* 94 Sans préjudice des autres
poursuites pénales des cours nationales, notamment en France et en
Israël.
* 95 C'est ce qui découle
notamment de la Règle 13 du corpus règlementant la
procédure et les preuves de la Cour spéciale.
* 96 Confère affaire
NTUYAHAGA Bernard, ICTR-98-40.
* 97 La CPI, en vertu de sa
compétence subsidiaire, ne peut se saisir d'une affaire que lorsque les
Etats parties n'ont pas la volonté ou la capacité de poursuivre.
Pour cela, le non bis in idem est ici temporaire (A KIP et van DER
HILT, AIDP Non bis in idem, Rapport de la Hollande).
* 98 L'article 9 § 2 b du statut
de la Cour spéciale, comme celui des TPI stipule que la Cour est
compétente si « ... the national court proceedings were
not impartial or independent, were designed to shield the accused from
international criminal responsibility or the case was not diligently
prosecuted ».
* 99 Jose Luis DE LA CUESTA,
« Les compétences criminelles concurrentes nationales et
internationales », op cit.
* 100 A vrai dire, selon le Statut de
la Cour spéciale, sa compétence couvre les crimes commis en
Sierra Léone à partir du 30 novembre 1996, le délai
n'étant pas délimité. Mais, étant donné que
la situation s'est stabilisée en Sierra Léone avant le
1er juillet 2002, date d'entrée en vigueur du Statut de Rome,
il est invraisemblable qu'il ait un éventuel conflit de
compétence.
* 101 En attendant la
définition du crime d'agression.
* 102 Ci-après RPP.
* 103 Le TPIY a ainsi
statué que les crimes commis dans la municipalité de Prijedor en
Bosnie-Herzégovine ou ses environs du 1er avril au 30
août 1992 et aux environs des municipalités de Bosanski Samac et
Odgal du 1er avril au 31 décembre 1993 relèveraient de
la même opération. Voir l'arrêt KVOCKA, cas N°
IT-98-30, « Décision relative aux exceptions
préjudicielles de la défense portant sur la forme de l'acte
d'accusation », 12 avril 1999.
* 104 BAGOSSORA, cas
N° ICTR-96-7, «Decision on the Prosecution's motion for
Joinder« 29 juin 2000.
* 105 «Two or more
crimes may be joined in one indictment if the series of acts committed together
form the same transaction, and the said crimes were committed by the same
accused» Règle 49.
* 106 Confère
TADIC, Cas n° IT-94-1 Chambre d'appel, jugement du 15 juillet
1999, § 191.
* 107 La jonction de ces
instances a conduit à la réunion des dix inculpations originelles
en trois groupes, plus celui de TAYLOR qui est resté inchangé.
Les cas individuels de BRIMA, KAMARA et KANU ont été
réunis sous la formulation générique de
« AFRC Trial » (voir Case n°
SCSL-2004-16-PT) ; ceux de SESSAY, KALLON et GBAO sous l'intitulé
« RUF Trial » (case n° SCSL-2004-15-PT) et
ceux de NORMAN, FOFANA et KONDEWA regroupés en « CDF
Trial » (case n° SCSL-03-14-I).
* 108 Règle de
Procédure et de Preuves des TPI n° 82 (A), RPP de la CPI,
règle 136 § 2.
* 109 Conformément
aux prescriptions des règles 50, 52 et 73 des RPP de la Cour
spéciale.
* 110 La règle 82
(B) des RPP du TPIY adoptee le 11 février 1994 prévoit notamment
à cet effet que: «The Trial Chamber may order that persons
accused jointly under Rule 48 be tried separately if it considers it necessary
in order to avoid a conflict of interests that might cause serious prejudice to
an accused, or to protect the interests of justice».
* 111 Confère
CDF Case N° SCSL-03-14-I Persecutor Vs NORMAN, FOFANA and
KONDEWA.
* 112 Les accusés
avaient pour avocats : Hinga NORMAN : John WEASLEY HALL (Commis
d'office), Tim OWEN QC et Bu-Buaker JABBI ; pour Moinina FOFANA :
Michel PESTMAN (commis d'office), André NOLLKAEMPER, victor KOPPE et
Arrow J. BOCKARIE ; pour Allieu KONDEWA : Charles MARGAÏ, yada
Hashim WILLIAMS, Thomas BRIODY et Susan WRIGHT (commis d'office). Source:
www.sc-sl.org
* 113 Stephen RAPP,
Procureur de la Cour spéciale pour la Sierra Léone s'exprimant
sur la mort de Sam Hinga NORMAN, principal accusé de la CDF
comparaissant devant la Cour. Emission Hard Talk de Stephen SACKUR
rediffusion de 23 heures à la chaîne de télévision
BBC World, 5 mars 2007.
* 114 Ce haut fonctionnaire
de la représentation britannique a d'ailleurs témoigné en
la faveur du principal accusé Hinga NORMAN et a corroboré la
thèse des visites sur les lieux de combat et mettait en avant la
discipline et la bonne conduite des membres des CDF sous le commandement direct
de l'accusé. Voir les vidéos et transcriptions des audiences du 8
au 16 février 2006 disponibles sur le site internet de la Cour (
www.sc-sl.org).
* 115 Human Rights Watch
« « We'll Kill You if You cry » Sexual
Violence in the Sierra Leone Conflict » Rapport Volume 15,
N° 1 (A), janvier 2003.
* 116 Ibid. page
47.
* 117 Qui consistait
à faire traverser une haie composée de deux lignes de dix
personnes chacune qui lui assenait des coups.
* 118 Après la
reprise de Freetown par les forces de l'ECOMOG en 1998, le chef de la junte
militaire a réussi à franchir la frontière vers le
Libéria. Il a été à plusieurs reprises
aperçu aux cotés de Charles TAYLOR avec qui il continuait de
travailler à la lutte contre les nouveaux chefs de guerre
libériens et à la déstabilisation de la Côte
d'Ivoire.
* 119 Confère
AFRC Case : N° SCSL-2004-16-PT, Prosecutor Vs BRIMA, KAMARA and
KANU. (
www.sc-sl.org)
* 120 L'équipe
affectée à la défense des accusés de l'AFRC est
composée de cinq avocats : Kjo GRAHAM pour Alex Tamba BRIMA pendant
que Andrew William Kodwo DANIELS représentait les intérêts
de Brima Bazzy KAMARA. Le troisième accusé quant à lui est
défendu par Geert-Jan Alexander KNOOPS assisté de Carry
KHOOPS-HAMBURGER et Abibola MANLEY-SPAINE.
* 121 Rapport de la
Commission vérité et réconciliation Volume 3a, Chapitre 3,
paragraphe 648.
* 122 Le président a
décidé de démettre de leurs fonctions les deux plus hauts
responsables de l'état-major de l'armée, le Brigardier Joy TOURE
et le colonel Komba MONDEH.
* 123 Jean-Marc
CHÂTAIGNER, op cit page 60.
* 124 En effet, Johnny Paul
KOROMA va déclarer qu'il compte bien finir le mandat du président
et ne laisser la place à un gouvernement civil qu'à l'occasion
des élections qui sont prévues pour l'année 2001 (voir
l'ouvrage de Jean-Marc CHÂTAIGNER, page 62).
* 125 Déclaration du
président du Conseil de sécurité du 6 août 1997.
Document S/PRST/1997/42, paragraphe 5.
* 126 L'article 53 de la
Charte des Nations unies stipule que « (...) toutefois, aucune action
coercitive ne sera entreprise en vertu d'accords régionaux ou par des
organismes régionaux sans l'autorisation du Conseil de
sécurité (...) »
* 127 Résolution
1132 (1997) document S/RES/1132 (1997).
* 128 Le président
du comité des sanctions des Nations unies, l'ambassadeur suédois
DAHLGREN, après une tournée dans la sous-région a fait
part des difficultés à mettre en oeuvre les sanctions retenues
contre la junte militaire.
* 129 La résolution
1156 du Conseil de sécurité (document S/RES/1156) du 16 mars 1998
lève ainsi les sanctions qui ont été
précisées par le Conseil le 5 juin 1998 (résolution 1171).
Cette dernière répondait aux difficultés de l'affaire
Sandline. En effet, les britanniques avaient continué à
livrer des armes et des munitions aux forces de l'ECOMOG ainsi qu'à la
CDF qui luttaient contre le couple RUF / AFRC, alors que la résolution
1132 imposait un embargo sur toutes livraisons d'armes sans exception.
* 130 Rue où se
trouve la prison centrale de Freetown. Presque tous les inculpés de la
Cour spéciale y ont transité avant de rejoindre le
pénitencier construit aux côtés de la Cour. Cette prison
est réputée pour ses mauvaises conditions sanitaires et sa
promiscuité.
* 131 Terminologie
utilisée pour qualifier les soldats de la SLA (Sierra Leonian Army) qui
le jour se comportaient comme des membres de l'armée
régulière et la nuit combattait aux cotés du RUF. Elle est
aussi utilisée pour faire état de l'imitation des méthodes
rebelles dont ils faisaient preuve.
* 132 Voir The
Prosecutor Vs Sam BOCKARIE, (case N° SCSL-2003-04-PT), Withdrawal of
Indictment, 8 décembre 2003.
* 133 Voir The
Prosecutor Vs Foday Saybana SANKOH (case N° SCSL-2003-02-PT), Withdrawal
of Indictment, 8 décembre 2003.
* 134 Issa SESSAY est
défendu par les avocats Wayne JORDASH et Shareta ASHRAPH, Morris KALLON
par Shekou TOURAY et Melron NICOL-WILSON, Augustine GBAO quant à lui
bénéficie des conseils de Girish THANKI, Andreas O'SHEA et John
CAMMEGH.
* 135 Selon le rapport de
la commission vérité et réconciliation, la
localité de Camp Namma, situé à la frontière entre
les deux pays leur servira de base de formation et d'approvisionnement. Ils s'y
retrancheront souvent pour des replis stratégiques sous la protection du
groupe rebelle du futur président Libérien. Voir le rapport de la
Commission, Volume 2, Chapitre 2 : Findings, paragraphe 72.
* 136 Lorsque les rebelles
du RUF s'apprêtaient à amputer une victime, ils leur posaient la
question de savoir si celle-ci voulait des « short leaves or long
leaves ». le bras était amputé à hauteur du
coude ou du poignet en fonction de la réponse de la victime. Voir
« Les années barbares de Charles TAYLOR »,
Jean Paul MARI, Le Nouvel Observateur N° 2169 du
1er juin 2006.
* 137 En 1993 dans le
district de Kailahun, les chefs du RUF, pour donner une leçon aux autres
membres du groupe, ont torturé et tué 40 rebelles qui
s'étaient montrés peu respectueux des ordres. Ces
représailles se sont poursuivies tout au long du conflit armé
dans les camps de Pujehun. Rapport de la Commission vérité et
réconciliation, Chapitre 2 paragraphes 155-157.
* 138 Voir le rapport de
Human Rights Watch cité plus haut.
* 139 Aymeric PHILIPON, «Les
activités mercenaires et de sûreté face au
droit », dans Mercenaires et polices privées :
la privatisation de la violence armée, UNIVERSALIS, France 2005, pp
49 - 65.
* 140 Kharen PECH et David BEREFORD,
« Africa's New Look Dogs of War», Mail and Guardian,
Johannesburg, 24 janvier 1997.
* 141 Hélicoptères
MI-24, MI-17 et MIG-23. Philipe CHAPLEAU, Sociétés militaires
privées : enquête sur les soldats sans armées,
page 136.
* 142 Idem.
* 143 C'est du moins ce qui ressort de
l'article 1er de la Convention de l'OUA du 3 juillet 1977 sur
l'élimination du mercenariat en Afrique et de l'article 47 du Protocole
I aux Conventions de Genève.
* 144 Article 47 f) du Protocole I de
1977.
* 145 Convention internationale contre
le recrutement, l'utilisation, le financement et l'instruction des mercenaires
du 4 décembre 1989.
* 146 Ajoute la Convention
panafricaine à l'article 1 § 2.
* 147 Selon lui, « pour
36 millions de dollars, avec 300 hommes, EO a sécurisé Freetown,
libéré les mines, mis les rebelles en déroute et
gagné la guerre », il renchérit par comparaison
avec les Nations unies qui, selon lui « pour 500 millions de
dollars, avec 8 000 à 14 000 hommes, a évacué
Freetown, vu ses soldats pris en otages et perdu la paix.
* 148 Des sénateurs
français ont reconnu cette ambiguïté lors des débats
d'adoption de la loi de ratification de le Convention onusienne. Ils relevaient
notamment que « ... une imprécision qui ne permet pas
d'exclure clairement de la notion de mercenaire des personnes qui sont
envoyées par leur Etat au titre de l'assistance militaire...».
Rapport sénatorial cité par Aymeric PHILIPON, dans
« Les activités mercenaires et de sûreté face
au droit » op cit. page 53.
* 149 Le rapporteur spécial des
Nations unies sur le mercenariat dans son rapport du 24 décembre 2003
aura à cet effet préconisé une nouvelle définition
« précise, exhaustive et sans
ambiguïté » pendant que la Commission des droits de
l'homme demande aux Etats dans la Résolution du 8 avril 2004 de prendre
des mesures nationales pour palier à cette lacune.
* 150 25 Etats seulement
ont ratifié cette convention.
* 151 Le mercenaire
étant définit par la même loi comme étant celui qui
participe directement dans les hostilités, entant que combattant contre
un gain privé.
* 152 Voir l'article de
Jean Paul MARI,
* 153 Il usera de cette
double légitimité à la fois auprès des anciens
esclaves venus des Etats-Unis et des populations indigènes. Ces
dernières l'ont même intégré dans un système
traditionnel entant que notable et lui ont attribué le nom de
« Dakhpannah » qui signifie « homme
fort ».
* 154 Ce
procédé est décrié par bon nombre d'officiels
d'Afrique de l'Ouest qui pensaient que c'était un obstacle au processus
de paix. Certains gouvernements comme celui de la Guinée se
réjouissent de cette inculpation, peu surprenant car TAYLOR l'ennemi de
choix du président CONTE à cause de son soutien à la
rébellion de 1998 qui a attaqué la région
forestière de la Guinée.
* 155 Les officiels
nigérians s'inquiétaient que dans des cas similaires, des
présidents refusent d'éviter un bain de sang en quittant le
pouvoir car ils pouvaient faire face à des poursuites pénales.
* 156 La Cour
spéciale siège à la Jomo Kenyatta Road, au quartier de New
England à Freetown.
* 157 Quelques mois avant
le début des audiences devant la Cour, la Chambre d'appel
siégeait (début des auditions le 31 mai 2004) pour entendre les
avocats des parties sur les exceptions présentées in limine
litis par leurs clients. Me Terrence TERRY, avocat de TAYLOR a
défendu l'idée selon laquelle la fonction de Président de
la république le protégeait des poursuites pénales.
* 158 «I do
not recognise the jurisdiction of the Special Court for Sierra Leone... because
I was indicted when I was serving as the ruling president of the republic of
Liberia» a-t-il déclaré devant le juge. (Transcriptions
de l'audience du 3 avril 2006)
* 159 Extrait de la
transcription de l'audience de première comparution traduite par nos
soins.
* 160 Les procédures
de visas, les coûts de transport et d'hébergement des dizaines de
personnes pouvant assurer tout le processus judiciaire nécessiteront des
moyens financiers importants. En prenant en compte les réticences des
grandes puissances à supporter les coûts exorbitants d'une
juridiction ad hoc, il sera difficile de réunir des fonds
nécessaires pour le budget de la Cour pour les prochaines
années.
* 161 Anne Marie LA ROSA,
Juridictions pénales internationales, la procédure et la
preuve, Institut Universitaire des Hautes Etudes internationales,
Genève, mars 2003.
* 162 L'article 11 du Statut de la
Cour stipule : «The Special Court shall consist of the following
organs : The Chambers, comprising one or more Trial Chambers and Appeals
Chambers; The Prosecutor, and The registry».
* 163 Notamment en application de
l'article 2 (1) de l'accord spécial d'établissement de la
Cour.
* 164 Le président de la Cour a
demandé la nomination de trois nouveaux juges en mars 2003. Il ne les
obtiendra qu'en avril 2004 après moult tractations au niveau du
Secrétariat général de l'ONU.
* 165 Tom PERIELLO et Marieke WIERDA
relèvent avec pertinence dans leur rapport que les postes à
Freetown n'étaient pas assez attractifs. La plupart des juges
résidaient hors du pays et la Cour pouvait ainsi rester des mois sans
présidence.
* 166 Juges qui ont le rang de
sous-secrétaire général des Nations unies.
* 167 La totalité des juges
nommés par le Secrétaire général des Nations unies:
Benjamin Mutanga ITOE (Cameroon), Richard LUSSICK (Samoa), Teresa DOHERTY
(Irlande du Nord), Julia SEBUTINDE (Uganda), Emmanuel AYOOLA (Nigeria), A. Raja
N. FERNANDO (Sri Lanka), Renate WINTER (Autriche) et Pierre G. BOUTET
(Canada).
* 168 Cinq juges sur onze sont
d'origine africaine, trois étant des femmes.
* 169 George Gelaga KING (Sierra
Leone), Geoffrey ROBERTSON QC (Royaume-Uni), Rosolu John BANKOLE THOMPSON
(Sierra Leone).
* 170 Article 13 du Statut :
« qualification and appointment of judges »,
traduit par nos soins.
* 171 Article 13 § 2 du Statut de
la Cour spéciale.
* 172 Règle de Procédure
et de Preuves de la Cour spéciale, Règle 15 (A), amendée
le 29 mai 2004 et le 24 novembre 2006.
* 173 Dans l'arrêt BRDAMIN,
cas n° IT-93-36 ; Decision on Application by Momir TALIC for
the Disqualification and Withdrawal of a Judge, 18 mai 2000, les juges
avaient statué que le seul fait d'avoir appartenu à une
organisation ne suffit pas à fonder la partialité.
* 174 Voir la decision:
SCSL-04-14-PT-112 « Decision on Motion to Recuse Judge WINTER from
Deliberation in Premiminary Motion on Recruitment of Child
Soldiers » 25 mai 2004.
* 175 La motion citait notamment les
passages de l'ouvrage qui parlait du RUF comme une organisation
« coupable des atrocités constitutives de crimes contre
l'humanité, qu'on ne devrait jamais pardonner au point de lui accorder
une tranche du pouvoir ; au contraire, ses leaders doivent être
capturés et jugés ». Extrait de la page 469
traduit par nos soins. Voir Geoffrey ROBERTSON, Crimes Against
Humanity : The Struggle for Global Justice, Penguin, New York 2003
(2ème édition).
* 176 Voir, la décision
Prosecutor Vs Issa SESSAY, SCSL-04-15-PT-140. «Decision on
Defense Motion Seeking the Disqualification of Judge ROBERTSON from the
Appellate Chamber» 13 mars 2004.
* 177 La règle 14 des RPP de la
Cour spéciale prévoit en son paragraphe (A) que les juges
déclarent solennellement « sans crainte ni faveur,
affection ou mauvaise foi, servir consciencieusement la Cour spéciale
avec honnêteté, loyauté et impartialité».
Cette déclaration est signée en présence d'un
représentant du Secrétaire général et du
Président de la république de Sierra Léone (règle
14 § B).
* 178 International Crisis
Group,»The Special Court For Sierra Leone: Promises an Pitfalls of a
New Model», Rapport du 4 août 2003.
* 179 Les règles relatives
à la nomination des juges, aux délibérations et aux
règles de fonctionnement de collégialité et de jugement
par ordonnance sont instituées par la section 4 des RPP (règles
26 à 29).
* 180 Depuis l'adoption des RPP de la
Cour le 16 janvier 2002, les juges ne bouderont pas ce pouvoir qu'ils usent
à plusieurs reprises, notamment le 7 mars 2003, le 1er et 30 octobre
2003, le 14 mars et le 29 mai 2004, le 14 mai 2005, 13 mai et 24 novembre
2006.
* 181 Règle de Procédure
et de Preuves de la Cour spéciale, règle 6 (A).
* 182 Dans l'affaire BARAYAGWISA, la
procédure d'Habeas Corpus aurait pu intervenir pendant le cours
de la procédure. Voir TPIR, BARAGAWISA, Chambre d'Appel, cas
n° ICTR-97-19, arrêt du 3 novembre 1999.
* 183 Article 53 § 3a du statut
de la Cour et Règle 107 et 108 des RPP.
* 184 La CPI ne suit pas la même
logique car la confirmation des charges ne peut se faire qu'après
l'arrestation de l'accusé et son transfert devant les juges. A cette
occasion, l'accusé pourra contester ces charges (Statut CPI article 61,
RPP Règle 121 à126).
* 185 Les statuts de la Cour
spéciale ne prévoient pas le vote par les juges de
l'indemnisation des victimes. Le but principal de la Cour étant la
prévention des crimes de guerre dans le pays et dans la région en
participant à la lutte contre l'impunité, le droit des victimes
à la réparation sera examiné par d'autres institutions,
notamment la Commission Vérité et Réconciliation.
* 186 La règle 38 des RPP de la
Cour spéciale amendée le 7 mars 2003.
* 187 En effet, le Procureur et les
membres de son bureau n'ont à recevoir d'aucune source que ce soit des
instructions ou des injonctions en ce qui concerne l'ouverture ou non d'une
acquête. Il en va de même lorsqu'il s'agit de procéder
à un acte d'expertise ou de contre-expertise. Statut TPIR, article 15
§ 2, statut de la Cour spéciale article 15 in fine. Voir
également la jurisprudence NZIRORERA, cas n° ICTR-97-20,
Decision on the Defense Motion Seeking an Order to the Prosecutor to
Investigate the Circumstances of the Crash of the President HABIARIMANA's
Plane, 2 Juin 2000.
* 188 Le premier Procureur est
l'américain David CRANE. Il a été remplacé per
Desmond DE SILVA, QC qui assumera les fonctions jusqu'en 2006 avant
d'être remplacé en décembre 2006 par un autre
américain, Stephen J. RAPP, précédemment assistant du
Procureur du Tribunal Pénal International pour le Rwanda, notamment pour
les affaires des accusés de la Radio et Télévision Mille
Collines.
* 189 L'article 15 § 4 du statut
stipule que «The Prosecutor shall be assisted by a Sierra Leonean Deputy
Prosecutor...». La transgression de cette règle par le gouvernement
sierra léonais n'allait pas faciliter la perception de la Cour par les
juristes locaux qui se sont sentis lésés dès le
début et qui ont même introduit un pourvoi à la Cour
suprême pour contester la constitutionnalité de la loi de
ratification de l'accord de création de la Cour spéciale.
* 190 Marieke WIERDA et Tom PERIELLO,
op cit.
* 191 Si l'on se réfère
aux règles appliqués par la CPI, le Procureur demande au Greffe
de saisir l'Etat par voie diplomatique afin d'obtenir sa coopération
dans l'arrestation des suspects et la transmission des éléments
de preuve et des documents nécessaires.
* 192 La totalité des
accusés devant la Cour bénéficient des services d'un
avocat commis d'office. Ceux-ci sont aussi bien internationaux qua nationaux.
Au début de leur incarcération, les avocats ne résidaient
pour la plupart pas sur place. On a mis à la disposition des
accusés des téléphones portables pour palier à
cette lacune. Ces téléphones ont dû être
retirés lorsque les juges se sont rendu compte qu'ils l'utilisaient pour
appeler les membres de leurs anciennes factions.
* 193 Même Charles TAYLOR s'est
vu accorder les bénéfices d'un avocat commis d'office,
malgré ses signes extérieurs de richesse.
* 194 Directive du TPIY relative
à la commission d'office du conseil de la défense, articles 12 et
13.
* 195 RPP de la Cour spéciale,
règle 37 ; Statut CPI, art 53 § 1 ; RPP TPIY,
règle 18 § 1 et RPP TPIR, règle 17 § 1.
* 196 Conformément aux
stipulations de la Règle 56 des RPP de la Cour spéciale.
* 197 Il en va de même des
provisions des articles 18 § 2 et 17 § 2 des RPP des TPIY et TPIR
respectivement.
* 198 Tels que définis par
l'article premier de la Convention des Nations unies relative à
l'interdiction de la torture, des peines et traitements cruels, inhumains ou
dégradants de 1984.
* 199 Règle 42 des RPP de la
Cour spéciale, de même que l'article 55 § 1 du Statut de
Rome.
* 200 Notamment lorsque le
témoin est assisté d'un avocat. Il y a déjà des
éléments graves et concordants qui peuvent être retenus
contre lui.
* 201 Règle 62 des RPP de la
Cour spéciale intitulée « Procedure upon Guilty
Plea ».
* 202 La Règle 63 des RPP de la
Cour prévoit que l'accusé ne peut être interrogé en
dehors de la présence de son avocat que lorsqu'il le demande
expressément. Cette demande doit être faite de manière
solennelle être enregistrée pour les fins de la procédure
à suivre.
* 203 Avec d'une part le Procureur
représentant les intérêts de la société (ici,
la communauté internationale et l'humanité tout entière)
et d'autre part l'accusé.
* 204 Règle 66 des RPP de la
Cour spéciale.
* 205 La notion d'intérêt
général n'est pas ici définie par les rédacteurs
des RPP de la Cour. L'on pourrait craindre que le Procureur s'engouffre dans
cette brèche pour ne pas transmettre des éléments de
preuve à l'accusé. La diligence du juge de fond servirait alors
de rempart à cet éventuel abus.
* 206 Règle 67 des RPP de la
Cour spéciale.
* 207 Ou descriptif des
prétentions de la défense. Pour la suite de nos
développements, nous utiliserons l'expression en Anglais pour lui faire
garder le sens originel que notre traduction personnelle ne saurait couvrir
efficacement.
* 208 Article 67 § 2 du Statut de
Rome.
* 209 Anne-Marie LAROSA, Les
juridictions pénales internationale : la procédure et la
preuve, op cit, Page 135.
* 210 Voir TPIY, affaire
BLASKIC.
* 211 C'est notamment ce qui
découle de l'affaire Prosecutor Vs FURUNDZIZA, cas n°
IT-95-17 du 16 juillet 1998.
* 212 Pacte international des droits
civils et politiques (Pidcp), article 14 § 2 ; la Convention
européenne des droits de l'homme (Cedh), article 6, la Charte Africaine
des droits de l'Homme et des peuples, article 8...
* 213 Statut TPIY, article 21 § 4
a ; Statut TPIR article 20 § 4 a.
* 214 A la demande de l'une des
parties, des témoins, des victimes ou sous sa propre initiative, le juge
peut ordonner l'une des mesures prévues à la règle 75 des
RPP de la Cour, notamment, l'attribution des pseudonymes, l'altération
des voix, le témoignage à travers un système de
vidéo conférence voire même le prononcé du huis
clos conformément à la règle 79 (A) iii).
* 215 Ces textes se contentent de
prescrire aux Etats de « prendre des mesures nécessaires
pour fixer les sanctions adéquates » (Convention de
Genève IV), la Convention de 1984 contre la torture demande aussi aux
Etats de rendre les actes de torture passibles de peines appropriées et
prenant en compte la gravité de l'infraction.
* 216 Le principe de nulla poena
sine lege est présent dans la Charte africaine des droits de
l'homme et des peuples à son article 7 § 2, à l'article 15
§ 1 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et
à l'article 11 § 2 de la déclaration universelle des droits
de l'homme qui stipule que «... il ne sera infligé aucune peine
plus forte que celle qui était applicable au moment où l'acte
délictueux a été commis ».
* 217 Inspirée de les articles
22 § 1 et 23 § 1 du statut du TPIR.
* 218 Règle 106 (A) (a), (b) et
(c) des RPP de la Cour spéciale.
* 219 Article 70 et 71 du Statut de la
CPI, règle 77 des RPP des TPI.
* 220 Arrêt TADIC.
* 221 « Those
bearing thee greatest responsibility » et « those
who are the most responsible ».
* 222 Article 6 § 1 du
Statut de la Cour Spéciale : « portent la plus grande
responsabilité des personnes qui ont instigué, ordonné,
commis ou aidé à la préparation ou à
l'exécution d'un crime » (traduction par nos soins).
* 223 Voir le rapport du
1er janvier 2000 de Physicians For Human Rights intitulé
« War-Related Sexual Violence in Sierra Leone ».
* 224 L'article 7 § 4
des Statuts de la Cour spéciale : «The fact that an accused
person acted pursuant to an order of a Government or of a superior shall not
relieve him or her of criminal responsibility, but may be considered in
mitigation of punishment...»
* 225 Voir l'article de
Jean Paul MARI et le rapport de Marieke WIERDA et Tom PERIELLO tous
cités précédemment.
* 226 Article 6 § 3 du
Statut de la Cour spéciale: « The fact that any of the
acts referred to in articles 2 to 4 of the present Statute was committed by a
subordinate does not relieve his or her superior of criminal responsibility if
he or she knew or had reason to know that the subordinate was about to commit
such acts or had done so and the superior had failed to take the necessary and
reasonable measures to prevent such acts or to punish the perpetrators
thereof.»
* 227 Le terme bush
followers est attribué aux filles qui étaient
enlevées par les rebelles lors de leurs expéditions. Elles
devenaient ensuite leurs esclaves sexuelles, leurs cuisinières et
combattantes occasionnelles.
* 228 Willie Mc CARNEY,
«Child Soldiers : Criminal or Victims? Should Child Soldiers be
Prosecuted for Crimes Against Humanity? » Dans L'enfant et la
Guerre. Instutut International des Droits de l'Enfant, Sion, 2003. Pp
35-55.
* 229 Enquête
menée par l'UNICEF au Rwanda en 1995 cité par Willie Mc CARNEY
op cit. page 37.
* 230 Ahmadou KOUROUMA
(Allah n'est pas obligé, page 215) met en évidence cette
réalité : « les enfants soldats étaient
de plus en plus cruels. Ils tuaient leurs parents avant d'être
acceptés. Et prouvaient par ce parricide qu'ils avaient tout
abandonné, qu'ils n'avaient pas d'autre attache sur terre, d'autre foyer
que le clan à Johnny KOROMA (...) ». Ahmadou Kourouma,
Allah n'est pas Obligé, Corps, Paris 2001.
* 231 Article 7 § 2,
nous y reviendrons largement dans la deuxième partie de notre travail
consacrée à la justice réparatrice.
* 232 Dans Il n'y a pas
d'avenir sans pardon publié aux éditions Albin Michel en
1999, Desmond TUTU présente la philosophie et l'intérêt de
la création de la Commission. Les conditions de l'amnistie
étaient entre autres la sincérité des déclarations
et le caractère politique du crime, les crimes crapuleux ne pouvant
être couverts.
* 233 La déclaration
écrite du représentant du Secrétaire Général
aux Accords de paix de Lomé selon laquelle l'amnistie «ne
s'appliquera pas aux crimes internationaux de génocide, aux crimes
contre l'humanité et autres graves violations du droit international
humanitaire» est révélatrice de cette volonté.
* 234 Nommément
cité dans le libellé de l'article IX § 1.
* 235 Article IX § 3
traduit par nos soins.
* 236 « The
government of Sierra Leone Shall grant and absolute free pardon and
reprieve... » proclame la loi à chaque fois qu'il
s'agissait de définir la portée de cette loi.
* 237 Cas
n°SCSL-2004-15-AR72 (E) et cas n°SCSL-2004-16-AR72 (E),
décision n°SCSL-04-15-PT-060-I et décision
n°SCSL-04-15-PT-060-II (rejet de l'amnistie). Cette décision a
été publiée le 15 mars 2004.
* 238 Amnesty
International, « Une décision historique du Tribunal
spécial pour la Sierra Leone : les crimes au regard du droit
international ne peuvent être amnistiés », document
public, Londres, 18 mars 2004.
* 239 «Les juges
de la Cour pénale internationale incarnent "notre conscience
collective", a déclaré le Secrétaire général
à la réunion inaugurale de La Haye», communiqué
de presse SG/SM/8628, L/3027, 11 mars 2003.
* 240 Voir Amnesty
International, «Sierra Leone: Special Court for Sierra Leone: Denial
of right to appeal and prohibition of amnisties for crimes under international
law», Londres, 31 octobre 2003.
* 241 Décision
n° CSSL-04-15'PT-060-II, rejet de l'amnistie, § 89.
* 242 Voir notamment
Antonio Cassese, International Criminal Law, Oxford University Press,
Oxford, 2003, p. 315.
* 243 Le droit de
Genève comprend la Convention de Genève relative à
l'amélioration du sort des blessés et des malades dans les forces
armées de campagne (I) celle relative à l'amélioration du
sort des blessés, des malades et des naufragés des forces
armées sur mer (II) celle relative au traitement des prisonniers de
guerre (III) et à la protection des personnes civiles en temps de guerre
(IV) et les deux protocoles additionnels de 1977 (protection des victimes des
conflits armés internationaux (I) protection des victimes des conflits
armés non internationaux (II).
* 244 L'ensemble des
Conventions de Genève comporte des centaines d'articles
règlementant les règles des conflits armés internationaux.
L'article 3 commun à ces conventions qui concerne les conflits
armés à caractère non international constitue une enclave
qui est appelée à juste titre par la plupart de
théoriciens comme une mini convention.
* 245 L'ensemble du droit
de Genève est considéré comme des règles
coutumières internationales de par leur ratification large. En effet,
l'Etat de Nauru et les Îles Marshall sont les deux seuls pays à ne
pas avoir ratifié ces textes.
* 246 CIJ,
Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre
celui-ci, Nicaragua c. Etats-Unis, 27 juin 1986. P 114 § 218.
* 247 Article premier
paragraphe 2 du protocole additionnel II.
* 248 Procureur c. Anto
FURUNDZIJA, 10 décembre 1998.
* 249 Voir,
« We'll kill you if tou Cry » op cit.
* 250 l'article 4 (3) (C)
du Protocole II stipule : « les enfants de moins de 15 ans
ne devraient pas être recrutés dans les forces armées ou
groupes armés, ni autorisés à prendre part aux
hostilités »
* 251 Qui est en effet une
ordonnance du Gouverneur de la Sierra Léone.
* 252 Voir notamment
« We'll Kill You If You Cry »: Sexual violence in The
Sierra Leone conflict de Human Rights Watch et Sexual and Gender-based
violence in Sierra Leone de Physicians for Human Rights, rapports
cités précédemment.
* 253 La Cour
spéciale pour la Sierra Léone a inculpé au départ
13 personnes pour répondre des crimes perpétués pendant le
conflit. Sam BOCKARIE et Johnny Paul KOROMA d'une part n'ont jamais
été retrouvés et attraits devant la Cour, et d'autre part,
Foday SANKOH et Sam Hinga NORMAN sont décédés avant la fin
de leurs procès.
* 254 Depuis 1977, les
femmes manifestent sur la Place de Mai à Buenos Aires réclamant
la vérité sur le sort de leurs proches
« disparus » pendant dictature argentine de 1976 à
1983.
* 255 Sandrine LEFRANC,
Politiques du Pardon, Presses Universitaires de France, octobre 2002.
* 256 E. NGABONZIZA
Quelles mesures de réhabilitation pour les enfants traduits devant
les instances judiciaires ? in Les enfants et la guerre, op cit.
PP 76 à 86.
* 257 Nous avons entre
autres la Commission sur les disparus en Argentine, au Sri Lanka ou en Ouganda,
la Commission de vérité et justice en Haïti ou Equateur, la
Commission vérité et réconciliation au Chili, en Afrique
du Sud, Ghana, Pérou, Serbie Monténégro ou Libéria,
la Commission d'enquête pour l'évaluation de l'histoire des
conséquences de la dictature du SED en Allemagne, la Commission accueil,
vérité et réconciliation au Timor Leste, la Commission
équité et réconciliation au Maroc...
* 258 Cette tribune
publique pour les victimes et perpétrateurs d'atrocités est un
rempart contre récits extrémistes et révisionnistes.
* 259 L'intégration
des commissionnaires internationaux permet à la commission de profiter
des compétences diverses et surtout des liens que ceux-ci ont avec le
milieu international, notamment dans la recherche des soutiens et
financements.
* 260 Le président
Joseph Christian HUMPER est sierra léonais et évêque de
l'église méthodique de Freetown. Il est assisté du juge
Laura MARCUS-JONES, du spécialiste en sciences sociales Sylvanus TORO,
le médecin John KAMARA, l'avocate sud africaine Yasmina Louise SOOKA, le
juriste canadien William SCHABAS et la ghanéenne Ajaratou Satang JOW.
* 261 Le paragraphe 14 (2)
de la TRC act de 2000 prévoit que chaque membre de la
Commission « doit servir en son nom et qualité personnels,
indépendant de tout partit politique, gouvernement ou de tout autre
intérêt et ne devrait prendre aucune initiative susceptible
créer une apparence de partialité ou entamer la
crédibilité de la Commission ».
* 262 Des procès ont
été intentés contre des personnes refusant de venir
témoigner devant la Commission. Il faut dire qu'elle était
rejetée par la minorité Blanche qui la considérait comme
un outil de chasse aux sorcières du pouvoir Noir. Ainsi, les tentatives
de conciliation menées par Desmond TUTU pour convaincre Peter BOTHA
à venir témoigner n'ont pas été convaincants. Des
poursuites pénales ont été intentées contre lui
pour outrage à la Commission.
* 263 L'outrage à la
Cour est puni d'une peine allant jusqu'à un million de leones d'amende.
* 264 Article 15 (5)
«In the prosecution of juvenile offenders, the Prosecution shall
ensure that the child-rehabilitation program is not placed at risk and that,
where appropriate, resort should be had to alternative truth and reconciliation
mechanisms, to the extent of their availability».
* 265 Article 21 (2) de la
Loi de ratification de la Cour spéciale pour la Sierra Léone.
* 266
« Notwithstanding any other law... »
* 267 Cette formulation est
d'ordre générale et est appelée à embrasser toutes
les institution, personnes morales régies par la loi sierra
léonaise et personne physique, sans spécifiquement se destiner
à la Commission vérité et réconciliation
elle-même.
* 268 Respectivement,
» fire wall model», «free access model»
et «conditional sharing model», Marieke WIERDA,
Priscilla HAYNER & Paul VAN ZYL, «Exploring the Relationship
Between the Special Court and the Truth and Reconciliation Commission of Sierra
Leone», The International Centre For Transitional Justice, New York,
24 June 2004, Pp 8 à 10.
* 269 PRIDE (Postconflict
Réintegration Initiatives for Developpment and Empowerment), une ONG
locale a mené une étude de référence sur l'opinion
des ex-combattants sur la Cour spéciale et la CVR. Les conclusions de
cette étude étaient plus que clairs : à chaque fois
qu'il s'agissait d'échange d'informations, les ex-combattants avaient
plus de préférence pour le modèle étanche, car ils
craignaient tous que « ...la CVR ne soit une arme d'investigation
pour la Cour spéciale... et qu'ils étaient prêts à
coopérer avec la CVR dès lors qu'ils étaient sûrs
que leurs témoignages ne seraient pas utilisés contre leurs
leaders emprisonnés... ». Voir
« Ex-combattants Viewn on the Truth and Reconciliation Commission
and the Special Cour for Sierra Léone », op cit.
* 270 Selon l'article 24 du
Règlement établissant la Commission de Réception du Timor,
celle-ci doit transmettre tous les éléments qu'elle juge
pertinents pour la compréhension d'un crime grave (crime de guerre ou
crime contre l'humanité) au Procureur de la Cour qui décidera
sous 14 jours de la destination à donner à ces
éléments. La Commission travaille dans ce contexte comme une
véritable chambre d'information pour le Tribunal.
* 271 Il convient de
rappeler ici que les informations ne sauraient être requises pendant la
phase d'instruction, les parties n'étant pas encore en mesure de savoir
si une information leur est capitale ou non.
* 272 An impartial
historical record dans le texte de l'article 6.
* 273 Discours
prononcé à Barray Town en septembre 2002.
* 274 TUTU Mpilo Desmond,
Il n'y a pas d'avenir sans ardon, Albon Michel, Paris, 1999
* 275 Constitution de la
république de Sierra Léone, Chapitre III : Droits de l'homme
et libertés fondamentales.
* 276 L'article 3 commun
aux 4 Conventions de Genève de 1949 et le Protocole II de 1977 sur
lesquels nous nous sommes étendus en première partir du travail.
* 277 Bien que
généreuse, une telle disposition trouverait difficulté
à s'appliquer car, seuls les personnes sous l'autorité des lois
sierra léonaises sont tenus de coopérer avec la commission. Le
recours à la coopération de l'Afrique du Sud pour la recherche
des données concernant les armées privées qui ont
participé au conflit, et celle du Nigéria en ce qui concerne la
responsabilité des forces de l'ECOMOG relevant de son commandement sont
très hypothétiques. De plus, il aurait été
difficile pour la Commission d'aller enquêter au Libéria où
l'un des instigateurs et financiers du conflit était encore au pouvoir.
* 278 Le rapport a
été publié en langue nationale et, avec le concours d'ONG
locales et internationales, une version courte destinée aux enfants a
été produite affin de faciliter sa restitution auprès d'un
nombre toujours plus élevé de personnes.
* 279 Voir notamment les
différentes procédures de vetting ou de lustration dans
les pays ex-soviétiques.
* 280 Des séminaires
se sont tenus les 3 et 24 juillet 2003 à Freetown, lesquels
séminaires ont été complétés par une
série de questionnaires envoyés à tous les
représentants associatifs afin de procéder à
l'évaluation la plus complète possible du processus de
réconciliation.
* 281 La conduite de ces
audiences thématiques a permis d'identifier des problèmes
spécifiques aux groupes de personnes affectés par le conflit.
L'Association des amputés et des blessés de guerre ont mis un
préalable à leur participation. Ils ont voulu attirer l'attention
du gouvernement de Sierra Léone sur leurs problèmes et ont
exigé l'adoption d'une loi de prise en charge des amputés et de
leur famille sinon, «... no amputee will appear before the
Commission ! », (Cf. Communiqué de presse de
l'association à Freetown en janvier 2003.)
* 282 Un certain nombre de
questions d'évaluation étaient posées, à
savoir : la perception personnelle des victimes de leur
témoignage ; leurs sentiments, leurs attentes, la réaction
de leurs familles et communautés ; si elles avaient encouru des
menaces ou de la stigmatisation ; ou si elles ont encore gardé des
traces de leur traumatisme et enfin, l'état des relations avec le
perpétrateur s'ils ont été réunis pendant le
processus devant la Commission.
* 283 Citer
nommément les responsables des violations des droits de l'Homme a
toujours été une donnée controversée des
commissions de vérité comme celle de la Sierra Léone. Les
principaux arguments pour un tel procédé étaient
liés à la loi d'amnistie découlant de l'accord de
Lomé. En effet, étant donné que la loi accordait
l'amnistie à tous pour les crimes, nommer les perpétrateurs
était le seul moyen de leur faire assumer publiquement leurs actes et de
leur permettre de se réconcilier avec leurs victimes. A
contrario, cela pouvait mener à une stigmatisation à la fois
des victimes et des perpétrateurs une fois de retour dans leur
communauté.
* 284 Préface de
Mwamba CABAKULU, Proverbes africains, Marabout, Paris, 2003, p 5.
* 285 Le Conseil
Interreligieux est un organisme indépendant qui regroupe tous les chefs
religieux musulmans et chrétiens.
* 286 Ces rituels
revêtent une signification très particulière en ce qui
concerne la réhabilitation des victimes des violences sexuelles. En
effet, dans les tribus des grands groupes ethniques mandingue, temne et mende,
les jeunes filles devaient se marier en étant vierges. Les rituels
traditionnels permettaient aux prêtres traditionnels de redonner aux
jeunes filles qui ont subi des viols pendant le conflit de recouvrer
symboliquement leur virginité et être ainsi dignes au mariage.
* 287 Il convient de
relever ici que pour le cas de la Sierra Léone, tous les
prévenus, même Charles TAYLOR ont requis l'aide juridictionnelle
pour cause d'indigence.
* 288 Selon les termes
utilisés par le législateur dans la loi de ratification de
l'Accor spécial entre le gouvernement sierra léonais et le
Secrétaire général des Nations unies.
* 289 C'est ce qui ressort
du paragraphe 16 des Principes fondamentaux et directives concernant le droit
à un recours et réparation des victimes de violations flagrantes
du droit international relatif aux droits de l'homme et de violations graves du
droit international humanitaire qui stipule en substance que :
« les Etats devraient s'efforcer de créer des programmes
nationaux de réparation et autre assistance aux victimes lorsque la
partie responsable du préjudice subi n'est pas en mesure ou n'accepte
pas de s'acquitter de ses obligations ».
* 290 Theo VAN BOVEN a
été nommé en 1989 par la Sous-commission des Nations unies
chargée de la protection des minorités de produire un rapport sur
les mesures à prendre par les Etats pour réparer les violations
graves et massives des droits de l'Homme sur leur territoire ou sous leur
juridiction. Il a produit avec MC BASSIOUNI un rapport intitulé
« Ensemble révisé de principes fondamentaux et de
directives concernant le droit à réparation des victimes de
violations flagrantes des droits de l'homme et du droit
humanitaire », adopté par le Conseil économique et
social le 13 avril 2005.
* 291 La Commission
vérité et réconciliation définit la victime comme
une personne «where as a result of acts or omissions that constitute a
violation of international human rights and humanitarian law norms, that
person, individually or collectively, suffered harm, including physical or
mental injury, emotional suffering, economic loss, or impairment of that
person's fundamental legal rights. A 'victim' may also be a dependant or a
member of the immediate family or household of the direct victim as well as a
person who, in intervening to assist a victim or prevent the occurrence of
further violations, has suffered physical, mental or economic harm.»
Rapport de la Commission, chap. 4, § 27.
* 292 Il s'agit notamment
de la Community Education Investment Programme (CEIP) et de la Complementary
Rapid Education for Primary Schools (CREPS).
* 293 Article 12 des
Conventions de Genève I et II.
* 294 Pendant les auditions
de la Commission, de nombreux ex-combattants ont suivi l'exemple de Tejan
KABBAH, le Président le la République pour venir présenter
leurs excuses, pour les uns directement à leurs victimes ou aux proches
et pour l'autre à toute la Nation pour n'avoir pas pu empêcher ou
faire cesser les souffrances de son peuple.
* 295 Comme nous l'avions
dit précédemment, la peine, au sens traditionnel du terme est
collective. Le pêché d'un homme éclabousse la famille, le
clan ou l'ethnie tout entière. Il est donc nécessaire que les
chefs traditionnels et religieux soient mis à contribution pour redonner
aux coupables et aux victimes les purifications nécessaires. De plus, il
est important que les jeunes filles violées pendant le conflit puissent
symboliquement recouvrer leur virginité sans laquelle leur
éventuel mariage serait fortement compromis.
* 296 La Commission est
partie sur la base de la Loi de compensation des victimes d'accident de travail
et des blessés de guerre, une échelle d'incapacité a
été établie en fonction de la gravité du
handicap : l'incapacité varie de 4 à 60% selon qu'il
s'agisse de la perte d'un doigt ou d'une main ; de 15% lorsqu'il s'agit de
la perte d'orteils ; de 30 ou 100% pour la perte partielle ou totale de la
vue ; de 7 ou 50% pour la perte partielle ou totale de l'ouïe.
* 297 Présentation
de l'expérience marocaine dans le domaine de la justice transitionnelle
au Séminaire sur l'essentiel de la justice transitionnelle
organisé en juin 2006 à Bruxelles par le Centre international
pour la justice transitionnelle. Mme BENWAKRIM a relevé avec pertinence
que les fortes sommes accordées de manière instantanée aux
victimes des violations des droits de l'Homme ont été rapidement
dilapidées par les bénéficiaires qui, le plus souvent
illettrées, n'avaient pas de connaissances suffisantes en gestion pour
pouvoir fructifier leurs revenus. Elle a ainsi plaidé pour un
encadrement de ces personnes en leur permettant de devenir à court ou
moyen terme financièrement autonomes.
* 298 Rapport de la
Commission Vérité et réconciliation, Chapitre 3, §
66. (Traduction assurée par nos soins).
* 299 L'article 29 de la
Constitution dispose que les circonstances exceptionnelles peuvent être
declarées lorsque:
«(C) There is actual breakdown of public order and
public safety in the whole of Sierra Leone or any part thereof to such an
extent as to require extraordinary measures to restore peace and security;
or
(d) There is a clear and present danger of an actual
breakdown of public order and public safety in the whole of Sierra Leone or any
part thereof requiring extraordinary measures to avert the same;
or [...]
(f) There is any other public danger which clearly
constitutes a threat to the existence of Sierra Leone.»
* 300 L'article 27 de la
Constitution prévoit que la non discrimination ne couvre pas les droits
qui découlent de l'« adoption, marriage, divorce,
burial, devolution of property on death or other interests of personal
law...»
* 301Mark FREEMAN
« Qu'est ce que la justice transitionnelle ? »
Communication lors du Séminaire sur l'essentiel de la justice
transitionnelle organisé par le Centre International pour la Justice
Transitionnelle, Bruxelles, juin 2006.
* 302 L'expression anglaise
« vetting » est préféré par
les auteurs et professionnels de la justice transitionnelle, car elle se
différencie de la lustration par sa procédure quasi judiciaire et
individualisée.
* 303 DDR :
Démobilisation, Désarmement et Réinsertion. Il y avait
deux programmes : le national (NCDDR) et celui de l'ONU (UNDDR).
* 304 Ceci suite aux
multiples recommandations du Secrétaire général des
Nations unies au Conseil de sécurité. Kofi ANNAN demandait au
Conseil d'élargir le mandat de la Mission vers une formation de la
police et de l'armée. (Cf. Lettre du SG des Nations Unies au Conseil de
Sécurité du 28 décembre 1999).
* 305 Voir notamment le
XXVIIème rapport du Secrétaire Général sur la
Mission des Nations Unies en Sierra Léone, § 28. 12 décembre
2005.
* 306 Le Bureau
Intégré des Nations unies en Sierra Léone est une sorte de
super bureau du PNUD qui est en fait une représentation du
Secrétariat général sur place. Il est chargé
d'assurer le suivi des actions de la MINUSIL et assure la veille au niveau
sécuritaire. Il comporte une aile d'observateurs militaires (90
hommes) basés à Freetown et qui coopèrent avec les autres
missions dans la sous région (Libéria et Côte d'ivoire).
* 307 Des mesures
incitatives ont été prises pour assurer la participation du plus
grand nombre de personnes au processus. Cela partait des gratifications
accordées lors de l'abandon des armes et des programmes de formation.
* 308 Rapport final de la
Commission Vérité et Réconciliation, Volume 2, chapitre, 3
§ 141.
* 309 Article 7 (2) (a) de
la Human Rights Commission of Sierra Leone Act de 2004.
* 310 Sauf sur des affaires
déjà connues par les juridictions nationales ou en cours
d'instruction (art. 16).
* 311 L'Amicus
curiae, locution latine signifiant « amie de la Cour »
est une personne qui fait part de ses observations pour éclairer la Cour
sur des sujets relevant de sa compétence, comme l'UNICEF l'a
été devant la Cour spéciale pour les affaires relatives
aux droits des enfants. Cette participation ne fait pas de la Commission une
partie au conflit qui peut prétendre à un droit patrimonial ou
extra patrimonial.
* 312 La
société privée KPMG est associée depuis 2002
à l'audit des comptes dans le domaine de l'enseignement. Pour une
commission de 10% sur les subventions accordées par l'Etat et ses
partenaires aux établissements scolaires, elle assiste les gouvernements
locaux dans le contrôle de leur utilisation. Voir Sali KPAKA et Joshua
KLEMM, Enquête sur la traçabilité des dépenses
publiques en éducation, étude de l'ONG National
Accountability Group en 2005.
* 313 Inga-Britt AHLENIUS,
Les contrôles de gestion, les évaluations et les institutions
supérieures de contrôle des finances publiques, Revue
Internationale de la Vérification des Comptes publics, publié par
l'INTOSAI, numéro de janvier 2000.
* 314
Selon l'article 119 (1 - 4) de la Constitution de 1991, les
articles 63 à 69 de la loi de comptabilité et des budgets de
1998 :»The public accounts of Sierra Leone and all public
offices, including the Courts, the accounts of the central and local government
administrations, of the Universities and public institutions of like nature,
any statutory corporation, company or other body or organization established by
an Act of Parliament or statutory instrument or otherwise set up partly or
wholly out of Public Funds, shall be audited and reported on by or on behalf of
the Auditor-General, and for that purpose the Auditor-General shall have access
to all books, records, returns and other documents relating or relevant to
those accounts».
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* 315 Saisie des passeports
et autres documents de voyage pendant une période de trois mois
renouvelables (art. 27).
* 316 Faux
témoignage, destruction de documents, intimidation, bris des
scellés, utilisation des biens saisis, soustraction de preuves, etc.
* 317 Comme l'a
prévu la loi du 18 juillet 1999 ratifiant l'Accord de paix de
Lomé en son article 5, § 2.
* 318 Même pendant sa
présence à Freetown, celui-ci a parasité les
réunions et posé son veto chaque fois qu'une
décision gouvernementale était susceptible de toucher aux zones
diamantifères qu'il contrôlait.
* 319 Angola,
Arménie, Australie, Biélorussie, Botswana, Brésil,
Bulgarie, Canada, République Centrafricaine, République populaire
de Chine, République démocratique du Congo, Côte d'Ivoire,
Croatie, Ghana, Guinée, Guyana, Inde, Indonésie, Israël,
Japon, République de Corée, Laos, Lesotho, Malaisie, Île
Maurice, Namibie, Nouvelle-Zélande, Norvège, Roumanie, Russie,
Sierra Leone, Singapour, Afrique du Sud, Sri Lanka, Suisse, Tanzanie,
Thaïlande, Togo, Ukraine, Émirats arabes unis, États-Unis
d'Amérique, Venezuela, Viêt Nam et Zimbabwe.
* 320 Déclaration de
Joe PEMAGBI, représentant de la Sierra Léone à
l'Assemblée générale des Nations unies lors des
64ème et 65ème séances
plénières du 4 décembre 2006 (source
www.onu.org).
* 321 Les districts de Bo
(3 chieftancies), Bombali (2), Bonthe (2), Kailahun (3), Kambia (2),
Kenema (3), Koinadugu (2), Kono (3), Moyamba (3), Port Loko (2), Pujehun (2),
Tonkoli (2) et de l'Ouest (aucun) ; les Villes de Bo (un), Bonthe (aucun),
Kenema (un), Koidu/NEx Sembehun (2) et Makeni (un) ainsi que celle de la
division administrative spéciale de Freetown (aucun).
* 322 La loi prévoit
le nombre des membres des gouvernements locaux en fonction de la
démographie des régions en question.
* 323 Article 20 de la Loi
de 2004 relative aux gouvernements locaux.
* 324 L'article 16 de la
Loi de 2004 relative à l'institution des gouvernements locaux
prévoit que, bien que l'Anglais soit la langue officielle du pays, les
gouvernements locaux peuvent utiliser une langue locale de leur choix, pourvu
que celle-ci soit comprise par les populations de la région.
* 325 Article 45 (1).
* 326 Les gouvernements
locaux peuvent investir des sommes importantes dans des opérations
financières nationales ou internationales sous le contrôle du
ministère des finances. Article 64 de la loi relative aux gouvernements
locaux.
* 327 C'est notamment les
exemples du Libéria et de la République Démocratique du
Congo où des gouvernements dits de transition ont été mis
en place pour régler les questions relatives au rétablissement de
l'ordre constitutionnel.
* 328 Paragraphe 5 du
Préambule de la Charte Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples.
* 329 PANNIKAR,
« La notion des droits de l'Homme est-elle un concept
occidental ?», Interculture Vol. XVII, n° 1, Cahier 82, pp
3-27, 1984.
* 330 La Prevention of
cruelty against children Act de 1926 et la Malicious Dammage Act
de 1861.
* 331 Foday SANKOH est
décédé le 30 juillet 2003, avant même l'ouverture
de son procès. Hinga NORMAN, quant à lui, est
décédé le 22 février 2007 à Dakar pendant
que son procès était en phase d'appel.
* 332 Chiffre d'une
enquête de Paul COLLIER cité par Jean-Marc CHATAIGNER et
Hervé MAGRO dans Les Etats et Sociétés Fragiles,
Karthala, Paris, 2007.
* 333 Les titres
présents dans cette rubrique sont ceux qui nous ont été
utiles pour les recherches nécessaires à la rédaction du
présent mémoire et des travaux à venir.
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