Le rétablissement de l'Etat de droit dans une société en reconstruction post-conflictuelle: l'exemple de la sierra léone( Télécharger le fichier original )par Jukoughouo Halidou Ngapna Institut des Droits de l'Homme de Lyon & Université Pierre Mendès France de Grenoble - Master 2, Recherche, Histoire du Droit, Droit et Droits de l'Homme 2007 |
B. Une procédure accusatoire au fond et respectueuse des droits de l'accuséLe juge est le maître de l'instance : c'est lui assure la sécurité et l'intégrité du cours du procès. Pour ce faire, les textes constitutifs des juridictions pénales internationales font de lui le garant des droits de la défense (1) et l'arbitre impartial et indépendant (2). Les caractéristiques du procès devant la Cour sont révélatrices des droits de la défense. C'est-à-dire que c'est à travers le caractère public, oral et contradictoire de la procédure que les droits de la partie poursuivie trouvent toute leur expression. L'article 17 du statut de la Cour spéciale présente de manière détaillé ce quelle entend par The Rights of the Accused. Il s'agit, pour les droits les plus pertinents du droit à l'égalité et à la présomption d'innocence, du droit à l'information et à l'examen équitable de sa cause. · Le droit à l'égalité et à la présomption d'innocence : il s'agit de n'accorder aucun privilège à un accusé par rapport aux autres. Les juges doivent tous les traiter de façon équitable, leur accorder les mêmes droits et attendre d'eux les mêmes obligations présentes dans les Statuts et les RPP de la Cour. Le droit à la présomption d'innocence est affirmé par l'article 11 de la déclaration universelle des droits de l'homme qui stipule : « toute personne accusée d'un acte délictueux est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie au cours d'un procès public où toutes les garanties nécessaires à sa défense lui auront été assurées » et réaffirmé par le pacte international des droits civils et politiques (art 14 § 2). Cette exigence veut que l'accusé soit traité de manière à ce que rien ne puisse préjuger de sa culpabilité ; il est donc nécessaire de procéder à une gradation précise de statuts évoquée au stade de la procédure d'enquête et d'instruction. · Le droit d'être pleinement informé : c'est le premier des droits opposables devant une juridiction. L'accusé a le droit de savoir ce qui lui est reproché, de connaître et de comprendre ce qui justifie sa mise en accusation. C'est la condition sine qua none du respect des autres doits de la défense car si l'on ne sait pas ce qui fait l'objet de l'accusation, l'on n'est pas en mesure de se défendre convenablement. Ce droit est consacré par la plupart des textes internationaux relatifs aux droits de l'Homme212(*) et les juridictions pénales internationales. Les TPI213(*) prévoient qu'une personne inculpée doit « être informée dans le plus court délai, dans une langue qu'elle comprend et de façon détaillée, de la nature et des motifs de l'accusation portée contre elle ». Il ressort donc de toutes ces dispositions que l'accusé doit être confronté aux faits qui lui sont reprochés, et pour ce faire, il a droit à la compréhension. La différence linguistique doit être surmontée par la mise à disposition d'un traducteur, d'un transcripteur en braille ou d'un interprète en langage des signes le cas échéant. Bien que le Statut de Rome ne prévoie aucune prescription en ce qui concerne l'information de l'accusé, l'article 3 des RPP des TPI et surtout, en ce qui concerne la Cour spéciale, la règle 3 règlementent la garantie du droit à la compréhension de l'accusé. L'interprète doit être gratuit, les éléments de preuves soumis doivent lui être traduits en sa langue, si elle est différente de l'Anglais. Le Greffe de la Cour spéciale a mis à disposition des accusés devant la Cour d'interprètes capables de traduire simultanément de l'Anglais aux langues nationales. Ces interprètes ont été nécessaires pour les auditions des témoins et victimes, car, tous les accusés maîtrisent la langue officielle de la Cour. Une fois que l'accusé est entré en possession des éléments qui lui sont reprochés et des arguments et preuves que le Procureur compte utiliser contre lui, l'accusé doit pouvoir disposer du temps nécessaire à la préparation de sa défense. C'est pourquoi, les éléments de preuve sont transmis soit 14, 30 ou 60 jours, selon les cas, avant l'ouverture du procès (Règle 66 des RPP de la Cour spéciale). · Le droit de présenter une défense : il se révèle dans le caractère oral, public et contradictoire de l'audience au fond. L'accusé a le droit que sa cause soit entendue publiquement ; cette publicité n'est pas seulement un droit pour l'accusé, c'est aussi un droit pour la communauté internationale d'être informée des poursuites engagées devant la Cour (Affaire TADIC), d'en comprendre le travail et la réalisation du mandat. La publicité des débats est une garantie pour l'accusé contre les abus de la justice et sert à protéger les droits, intérêt, sécurité et dignité des victimes et témoins. Ainsi, le huis clos est requis lorsque l'on a affaire à des victimes de crimes sexuels ou des mineurs214(*). · Le droit de subir une peine juste et équitable, arrivant à la fin du procès a aussi un double avantage, pour les victimes et les personnes poursuivies. Une fois le procès au fond arrivé à son terme, les collectivités auront profité de la dénonciation des accusés et des crimes qu'ils ont commis, de les punir et de dissuader ainsi les personnes qui seront tentées de troubler la paix sociale. La peine doit être exemplaire et respecter les règles de justice et d'équité pour le condamné. Celui-ci doit bénéficier d'une peine juste, proportionnée et obtenue selon une procédure équitable. Les juridictions pénales internationales n'ont pas prévu de gradation de peines dans leurs textes fondateurs, encore moins en ce qui concerne les textes relatifs aux violations graves des droits de l'Homme215(*). Le principe de légalité des peines prévu dans la plupart des textes pertinents en matière des droits de l'Homme216(*) est respecté et, comme le prévoit l'article 19 du Statut de la Cour, doit être inspirée de celui des TPI. La règle 101 des RPP de la Cour217(*) prévoit que « les personnes reconnues coupables devant la Cour seront condamnées à des peines d'emprisonnement pour un nombre d'années spécifiques, à l'exception des mineurs ». Cette règle suppose donc que les condamnées ne peuvent subir qu'une peine de prison limitée dans le temps, excluant ainsi la peine de mort ou l'emprisonnement à vie. Autre élément important, l'exclusion des peines d'emprisonnement contre les mineurs dans le cas où leur culpabilité serait établie. · Une fois sa culpabilité reconnue et la peine infligée, la garantie du droit du condamné à l'exercice d'un recours ou le droit à ce que la décision le concernant soit réexaminée en appel rentre en force. Il s'agit pour lui de demander à ce que la Chambre d'appel réexamine la décision de la Chambre de première instance s'il a des sérieuses raisons de croire qu'il y a eu « une erreur procédurale, une erreur de droit déterminante ou une erreur de fait (...)218(*) » déterminante dans le rendu de la décision qui lui porte grief. Le procès est alors réexaminé dans son ensemble, les conférences préparatoires (règle 109), les preuves additives (règle 115) et les mesures d'enregistrement du procès sont réactivées. Lorsque de nouveaux éléments inconnus pendant l'examen de l'affaire au fond (en première et seconde instance) et que leur connaissance auraient considérablement influencé la décision rendue par les juges et dans un délai de 12 mois, le Procureur peut introduire une requête en révision auprès de la Cour (règle 120 RPP de la Cour spéciale). Le juge est garant du respect des droits de la personne poursuivie, laquelle mission trouve son expression la pus large, selon les règles de procédure du Common Law, au stade de l'examen de l'affaire au fond. Nous l'avons dit, le procès au fond s'apparente à un duel judiciaire réglé devant le juge qui arbitre les débats. C'est lui le maître de l'instance, l'administrateur de la preuve et le garant du respect de la procédure. En premier lieu, la maîtrise de l'instance se caractérise par la protection du cours de la justice. Le juge a en effet le pouvoir de sanctionner toute conduite qui obstrue le cours de la justice. Cette protection se fait à la fois in facie, c'est-à-dire dans le prétoire ou ex facie, à l'extérieur de la Cour219(*). L'outrage à la Cour peut se manifester par la manipulation, l'intimidation, le harcèlement, l'agression ou la corruption des témoins, la présentation de la version des faits que le conseil savait fausse ou d'utiliser tous les moyens lui permettant d'agir « de façon scrupuleuse pour faire gagner à tout prix son client220(*) ». Le juge de la Cour spéciale sanctionne tous les témoins qui refusent de répondre aux questions, toutes les personnes qui refusent de procéder à l'exécution des mandats de la Cour ou de transmettre les informations et documents demandés par la Cour. Le refus de se présenter au procès après convocation ou assister un accusé dans son évasion ou sa cavale sont également punis par les juges. La règle 77 (C) de la Cour spéciale édicte la procédure à suivre lorsque le juge constate un outrage à la Cour. Il peut donc gérer le problème lui-même, en référer aux autorités compétentes de la Sierra Léone pour qu'elles prennent les mesures répressives à l'encontre des responsables ou nommer un expert indépendant qui mènera des enquêtes sur le sujet. Si les éléments de preuve constitutifs de l'outrage à la Cour sont suffisants, le juge peut ouvrir in procès à juge unique où toutes les Règles de procédure et de preuve s'appliquent. La protection du cours de la justice se fait aussi par la dissuasion que la sévérité des sanctions présente. Les personnes encourent les peines pouvant aller jusqu'à 6 mois de prison et 2 millions de leones (environ 600 €), voire l'exclusion de l'équipe de la défense de la Cour lorsqu'il s'agit d'un avocat. En second lieu, le juge a la responsabilité de protéger le caractère équitable e la justice : c'est en cela que la garantie des droits de l'accusée est assurée. Il doit veiller à ce que l'accusé soit représenté et que le Procureur n'use pas de moyens abusifs qui pourraient pousser l'accusé à s'auto incriminer. Le juge est le garant du principe de l'égalité des armes, c'est-à-dire qu'il intervient activement dans la production des preuves par les parties. Il jouit de toute l'autorité nécessaire pour invalider les preuves obtenues par des moyens illégaux, procède à des appels à témoins et surtout ordonner la recherche des preuves supplémentaires. Il s'assure aussi que les accusés comprennent bien les faits qui leur sont reprochés et peut même aller contre la volonté d'un accusé de plaider coupable. En effet, les RPP des TPI (article 98) prévoient que le juge, dès qu'il considère qu'un procès au fond, c'est-à-dire une présentation plus complète des faits peut servir les intérêts de la justice, ordonner au Greffier de fixer une date pour le procès normal même si l'accusé a plaidé coupable. Le fonctionnement de la Cour, respectueuse des standards internationaux du procès équitable est un gage essentiel pour la recherche et le jugement de tous ceux qui « portent la plus grande responsabilité ». * 212 Pacte international des droits civils et politiques (Pidcp), article 14 § 2 ; la Convention européenne des droits de l'homme (Cedh), article 6, la Charte Africaine des droits de l'Homme et des peuples, article 8... * 213 Statut TPIY, article 21 § 4 a ; Statut TPIR article 20 § 4 a. * 214 A la demande de l'une des parties, des témoins, des victimes ou sous sa propre initiative, le juge peut ordonner l'une des mesures prévues à la règle 75 des RPP de la Cour, notamment, l'attribution des pseudonymes, l'altération des voix, le témoignage à travers un système de vidéo conférence voire même le prononcé du huis clos conformément à la règle 79 (A) iii). * 215 Ces textes se contentent de prescrire aux Etats de « prendre des mesures nécessaires pour fixer les sanctions adéquates » (Convention de Genève IV), la Convention de 1984 contre la torture demande aussi aux Etats de rendre les actes de torture passibles de peines appropriées et prenant en compte la gravité de l'infraction. * 216 Le principe de nulla poena sine lege est présent dans la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples à son article 7 § 2, à l'article 15 § 1 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et à l'article 11 § 2 de la déclaration universelle des droits de l'homme qui stipule que «... il ne sera infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l'acte délictueux a été commis ». * 217 Inspirée de les articles 22 § 1 et 23 § 1 du statut du TPIR. * 218 Règle 106 (A) (a), (b) et (c) des RPP de la Cour spéciale. * 219 Article 70 et 71 du Statut de la CPI, règle 77 des RPP des TPI. * 220 Arrêt TADIC. |
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