Le rétablissement de l'Etat de droit dans une société en reconstruction post-conflictuelle: l'exemple de la sierra léone( Télécharger le fichier original )par Jukoughouo Halidou Ngapna Institut des Droits de l'Homme de Lyon & Université Pierre Mendès France de Grenoble - Master 2, Recherche, Histoire du Droit, Droit et Droits de l'Homme 2007 |
B. Le cas exceptionnel de Charles TAYLORCharles TAYLOR est reconnu comme le plus grand criminel de guerre africain encore vivant152(*) à la fois pour les crimes qu'il a commis dans son propre pays que pour ceux qu'ont subi les populations civiles des pays limitrophes du Libéria. Cet ancien haut-fonctionnaire de l'administration libérienne est un né en 1948 d'un ancien esclave américain et d'une native153(*). Il suivra une formation militaire en Libye dans la fin des années 1980 après son évasion invraisemblable d'une prison aux Etats-Unis. Il y rencontrera le Caporal SANKOH avec qui il s'alliera plus tard pour déstabiliser la Sierra Léone, ce qui lui vaut aujourd'hui des poursuites pénales devant le Cour spéciale. C'est lors du déplacement de l'ancien chef de guerre, devenu Président de la République, à Accra pour les pourparlers de paix avec les rebelles du Mouvement pour la Démocratie au Libéria (MODEL) et des Libériens Unis pour la Réconciliation et la Démocratie (LURD) que le Procureur décide de profiter de cette opportunité en publiant l'inculpation de TAYLOR. Pourtant, l'acte d'inculpation a été rédigé comme celui de la plupart des accusés le 7 mars 2003. Cette inculpation mettra brusquement fin aux discussions et au retour précipité du président dans son pays154(*) qu'il quittera définitivement en août pour un exil au Nigéria. Le Nigéria est d'abord resté sourd face aux demandes des Etats-Unis, de l'ONU et des ONG de défense des droits de l'homme. Ceux-ci ont instamment exigé l'extradition de TAYLOR pour qu'il réponde des accusations devant la Cour. Le Nigéria craignait quant à lui que l'extradition ne constitue un précédent pour les futures négociations de paix155(*) et la déstabilisation que son jugement à Freetown pouvait causer à la fois au Libéria (qui était encore entrain de mener une transition dont l'issue ne se définissait pas clairement) et en Sierra Léone. Olusegun OBASANJO a tout de même signalé que son gouvernement était prêt à répondre à d'éventuelles demandes d'un nouveau gouvernement démocratiquement élu. Le 17 mars 2006, la présidente Ellen JOHNSON-SIRLEAF demande l'extradition de TAYLOR. Celui-ci tente alors de quitter le pays mais est arrêté à la frontière camerounaise et sera remis aux autorités de son pays d'où il rejoindra une cellule à Jomo Kenyatta Road156(*) le 29 mars 2006. Lors de sa première comparution devant le juge Richard LUSSICK le 3 avril 2006, TAYLOR confirmera la demande qu'il avait faite par la motion envoyée157(*) par l'intermédiaire de son avocat à la Cour à laquelle il demandait de se dessaisir à cause de son immunité entant que chef d'Etat158(*). Cet argument ne sera pas retenu par la Cour car il n'était plus possible d'invoquer des exceptions de compétence. L'accusé invoque aussi les décès de Foday SANKOH et de Slobodan MILOSEVIC survenus respectivement dans la prison de Freetown et au pénitencier du TPIY à La Haye ; il dira craindre pour sa santé et demandera à la Cour de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer son intégrité physique et mentale. Evoquant son indigence, TAYLOR sollicitera une aide juridictionnelle pour lui permettre de se défendre de manière adéquate. Le transfert de l'instance à La Haye suscite des interrogations sur son impact sur l'intégrité du procès. L'un des principaux obstacles au transfert de TAYLOR à Freetown était lié à la déstabilisation que l'ouverture de son procès pouvait causer dans les deux pays voisins. La nouvelle présidente du Libéria et les autorités sierra léonaises craignaient que les partisans de TAYLOR encore disséminés dans les forêts de Côte d'Ivoire, au Libéria et en Sierra Léonne puissent tenter de le libérer par la commission d'exactions contre la population civile ou en enlevant du personnel civil des missions de la paix. C'est d'ailleurs parce qu'un accord préalable a été signé entre les deux institutions judiciaires (la Cour spéciale et le TPIY) et le gouvernement Hollandais pour tenir le procès à La Haye que Mme JONHSON-SIRLEAF a demandé au Nigéria d'extrader TAYLOR. Cette extradition a été contestée par l'avocat de la défense dès le premier jour d'instance car l'accusé voulait être jugé « en Sierra Léone et nulle part ailleurs (...) car c'était la seule garantie du maintien de l'équité du procès (...) et de bénéficier du soutien moral de sa famille159(*) » Ce transfert à La Haye nécessite des moyens logistiques importants pour notamment assurer la comparution des témoins, le transfert des éléments de preuve et le déplacement de la famille de l'accusé pour assurer son droit à recevoir leurs visites160(*). Toutes ces considérations influeront enfin sur la durée de tous les procès devant la Cour car ce sont les mêmes juges qui s'occuperont des affaires à Freetown et à La Haye. * 152 Voir l'article de Jean Paul MARI, * 153 Il usera de cette double légitimité à la fois auprès des anciens esclaves venus des Etats-Unis et des populations indigènes. Ces dernières l'ont même intégré dans un système traditionnel entant que notable et lui ont attribué le nom de « Dakhpannah » qui signifie « homme fort ». * 154 Ce procédé est décrié par bon nombre d'officiels d'Afrique de l'Ouest qui pensaient que c'était un obstacle au processus de paix. Certains gouvernements comme celui de la Guinée se réjouissent de cette inculpation, peu surprenant car TAYLOR l'ennemi de choix du président CONTE à cause de son soutien à la rébellion de 1998 qui a attaqué la région forestière de la Guinée. * 155 Les officiels nigérians s'inquiétaient que dans des cas similaires, des présidents refusent d'éviter un bain de sang en quittant le pouvoir car ils pouvaient faire face à des poursuites pénales. * 156 La Cour spéciale siège à la Jomo Kenyatta Road, au quartier de New England à Freetown. * 157 Quelques mois avant le début des audiences devant la Cour, la Chambre d'appel siégeait (début des auditions le 31 mai 2004) pour entendre les avocats des parties sur les exceptions présentées in limine litis par leurs clients. Me Terrence TERRY, avocat de TAYLOR a défendu l'idée selon laquelle la fonction de Président de la république le protégeait des poursuites pénales. * 158 «I do not recognise the jurisdiction of the Special Court for Sierra Leone... because I was indicted when I was serving as the ruling president of the republic of Liberia» a-t-il déclaré devant le juge. (Transcriptions de l'audience du 3 avril 2006) * 159 Extrait de la transcription de l'audience de première comparution traduite par nos soins. * 160 Les procédures de visas, les coûts de transport et d'hébergement des dizaines de personnes pouvant assurer tout le processus judiciaire nécessiteront des moyens financiers importants. En prenant en compte les réticences des grandes puissances à supporter les coûts exorbitants d'une juridiction ad hoc, il sera difficile de réunir des fonds nécessaires pour le budget de la Cour pour les prochaines années. |
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