SECTION II : LES EFFETS SUCCESSORAUX DES FILIATIONS
LEGITIME
ET NATURELLE
Comparativement au sort réservé jusque-là
aux enfants nés hors mariage, le code des personnes et de la famille a
considérablement amélioré leur situation en
édictant des règles qui assimilent la filiation naturelle
à la filiation légitime.
Etant donné que pour emporter vocation successorale
véritable, le lien de filiation doit être légalement
constaté (c'est le lien de filiation qui constitue le support juridique
des droits revenant à l'enfant, c'est-à-dire de sa succession et
de son statut social en général), les rédacteurs du code
béninois des personnes et de la famille ont en effet veillé
à réparer le tort longtemps fait aux enfants naturels en
normalisant l'établissement de leur filiation.
La conséquence directe de cette situation se ressent au
niveau des effets de cette filiation corrigée. On pourrait parler ici,
en termes plus exacts, des effets de la filiation naturelle légalement
établie.
Contrairement donc au traitement qui découlait des
dispositions du code civil de 1958, en l'occurrence sur la filiation de ces
enfants, le code des personnes et de la famille a réalisé des
innovations incontestables : celles-ci se résument en une
consécration du principe d'égalité des droits entre tous
les enfants (Paragraphe 1).
Ce principe n'a cependant pas été étendu
à l'enfant incestueux qui reste toujours privé d'une partie de
ses droits (Paragraphe 2).
Paragraphe 1 - Consécration du principe
d'égalité des droits
Le principe d'égalité des droits s'étend
non seulement aux droits patrimoniaux des enfants à l'égard de
leurs parents, mais aussi à ceux des parents à l'égard de
leurs enfants, compte tenu du principe de la réciprocité du droit
de succession.
Désormais donc, naturel simple, adultérin ou
incestueux, les enfants naturels peuvent, à l'instar des enfants
légitimes, aller à la succession de leurs parents, et
réciproquement.
A- L'égalité des droits à
l'égard des parents et autres ascendants
A l'instar de la loi du 3 janvier 1972 en
France qui a posé le principe de l'égalité des filiations
légitime et naturelle, le code béninois des personnes et de la
famille élimine autant que possible la discrimination dans toutes les
formes où elle s'est manifestée jusque-là, à
travers le code civil de 1958.
L'enfant naturel jouit désormais des mêmes
rapports de droit que l'enfant légitime vis-à-vis de ses parents
et vis-à-vis de ses ascendants autres que les père et
mère.
1) A l'égard des parents
Pour délivrer les enfants naturels de
l'infériorité dans laquelle ils se sont trouvés
jusque-là, les rédacteurs du CPF ont veillé à
créer entre enfants et parents naturels des droits et devoirs
réciproques identiques à ceux qui existent entre enfants et
parents légitimes, les plus importants de ces droits et devoirs
étant le droit aux aliments et le droit successoral.
a- Le droit aux aliments
Le droit aux aliments découle de l'article 158 du code
qui dispose que : « Le mariage crée la famille
légitime. Les époux contractent ensemble, par leur mariage,
l'obligation de nourrir, entretenir, élever et éduquer leurs
enfants ».
Dans la même optique, l'article 337 du même code
énonce que : « Dans le mariage, l'obligation alimentaire
(...) des époux envers les enfants fait partie des charges du mariage
( ...) ».
Assimiler l'enfant naturel à l'enfant légitime
sur le plan du droit aux aliments signifie par conséquent qu'il existe
désormais, entre lui et ses parents, une obligation réciproque
identique à celle qui existe entre l'enfant légitime et ses
parents.
A cet effet, nous pouvons recourir à l'article 392
du CPF : « Les enfants naturels dont la filiation est
régulièrement établie ont vis-à-vis de leurs
auteurs, les mêmes droits et obligations alimentaires que les enfants
légitimes ».
Il semble donc évident que le
législateur béninois recherche une réelle assimilation de
l'enfant naturel à celui légitime.
b- Le droit successoral
La volonté des rédacteurs du code de corriger
l'inégalité de traitement qui existait entre les enfants naturels
et légitimes s'exprime clairement dans les termes d'un certain nombre de
ses articles.
Il s'agit, pour commencer, de l'article 328 cité plus
haut : « Lorsque la filiation est également
établie, les enfants nés hors mariage ont les
mêmes droits que les enfants légitimes
(...) ».
Au titre des successions, les dispositions vont dans le
même sens. En effet, « les enfants, quelque soit l'origine
de leur filiation, jouissent des mêmes droits successoraux, sous
réserve des dispositions de l'article 621 ».
Qu'ils soient donc légitimes ou naturels, tous les
enfants sont appelés à la succession de leurs parents,
père et mère, et ont droit à la même part :
plus aucune distinction n'est faite par la loi.
C'est également ce qui se dégage de l'article
590 aux termes duquel : « les héritiers légitimes
ou naturels (...) sont saisis de plein droit des biens, droits et actions du
défunt (...) », ce qui n'était pas du tout le cas, vu
les dispositions des articles 758, 759, 760, 762, 763, et 764 du code civil de
1958.
Lesdites dispositions fixaient une part précise
à l'enfant naturel, différente de celle de l'enfant
légitime et selon le type de successible avec lequel il vient à
la succession de son père ou de sa mère.
Les articles 762, 763, et 764, quant à eux,
spécifient le cas des enfants adultérins et incestueux, beaucoup
plus lamentable que celui des enfants naturels simples. Aux termes de ces
articles en effet, la loi ne leur accorde que des aliments. Ces aliments sont
réglés, eu égard aux facultés du père ou de
la mère, au nombre et à la qualité des héritiers
légitimes.
De plus, si le père ou la mère de l'enfant
adultérin ou incestueux lui a fait apprendre un métier ou si l'un
d'eux lui a assuré des aliments de son vivant, l'enfant ne pourra lever
aucune réclamation contre leur succession. Il s'agit là des
dispositions de l'article 764 du code civil de 1958.
La loi visait, de cette façon, à protéger
certains membres de la famille légitime, notamment les enfants
légitimes issus du mariage et le conjoint victime de l'adultère,
en présence d'enfants adultérins.
En comparaison de ce traitement fait aux enfants naturels en
général et aux enfants adultérins et incestueux en
particulier par le législateur de 1958, le code des personnes et de la
famille a réalisé un véritable exploit, une
véritable innovation en introduisant le principe d'égalité
des droits entre tous les enfants.
Le code béninois des personnes et de la famille
supprime en outre les distinctions précédemment faites entre les
enfants compte tenu du sexe ou de l'âge. C'est ce qui ressort des
dispositions de l'article 619 du code béninois : « les
enfants ou leurs descendants succèdent à leur père et
mère (...) sans distinction de sexe ni d'âge
(...) ».
C'est là un point qui, au Bénin, vient en
correction aux privilèges de masculinité et de
primogéniture consacrés p ar le coutumier du Dahomey.
Dorénavant, ces privilèges n'influencent plus le
partage des droits successoraux entre les enfants : il n'est plus tenu
compte, ni de l'âge, ni du sexe, ainsi qu'à leurs autres
ascendants ; ce qui est vraiment positif à beaucoup de points de
vue. Non seulement le législateur offre les mêmes droits, et donc
les mêmes chances aux filles et aux garçons, mais aussi, qu'il
s'agisse de l'aîné, du cadet ou du benjamin d'une famille, le
même traitement, la même part dans la succession de leurs parents.
Cette option du code des personnes et de la famille
s'harmonise bien, non seulement avec les idéaux des Droits de l'Homme,
mais aussi avec les dispositions de son propre article 1 dont les termes
prônent une égalité absolue de traitement de la personne
humaine, quels que soient sa race, sa couleur, son sexe, sa religion, sa
langue, son opinion politique, son origine nationale ou sociale, sa fortune ou
quelque autre situation, et ce, de sa naissance à son
décès.
2) Extension des droits à l'égard
des autres ascendants
Cette extension se rapporte à la fois aux droits
alimentaires et aux droits successoraux.
Avec le CPF, l'enfant naturel lég alement reconnu a
droit à l'intégration dans la famille de ses auteurs au
même titre que l'enfant légitime. L'obligation alimentaire est
désormais admise dans les rapports de l'enfant naturel et de ses autres
ascendants.
C'est ce que nous retenons à travers les termes de
l'article 391 dudit code selon lesquels : « L'obligation
alimentaire résultant de la parenté est réciproque. Entre
parents, elle existe en ligne directe, sans limitation de degré. En
ligne collatérale, elle est simplement morale ».
En effet, si nous nous référons à
l'article 378, alinéa 1 du même code selon lequel :
« la parenté résulte de la filiation et d'elle
seule », il est facile de comprendre, par les dispositions de
l'article 391 précité que l'obligation alimentaire ne se limite
plus aux père et mère, exclusivement, mais à tous autres
ascendants et parents, pourvu qu'existe le lien de parenté.
En tout état de cause, étant donné la
volonté d'assimilation des enfants naturels aux enfants légitimes
et, sur la ba se des dispositions de l`article 392, les enfants naturels
jouissent des mêmes droits que ceux légitimes si leur filiation
est légalement établie. Il est donc tout à fait normal
qu'ils puissent bénéficier d'aliments de la part de leurs autres
ascendants, tout comme l'enfant légitime.
Cette extension de l'obligation alimentaire aux ascendants de
l'enfant naturel autres que ses père et mère est conforme
à la conception africaine selon laquelle l'étendue et la
solidarité de la famille, qu'elle soit légitime ou naturelle,
n'ont d'autres limites que celles qu'imposent l'ignorance et l'existence du
lien de parenté ou le manque de biens à partager avec le
prochain.
C'est dire qu'exclure les collatéraux et notamment les
frères et soeurs du champ d'application de l'obligation alimentaire
n'est pas africain, mais européen, et que c'est plutôt condamner
l'assistance familiale traditionnelle à disparaître à
brève échéance à une époque où
l'assistance publique à l'européenne est encore à peu
près inexistante.
Une autre innovation du code des personnes et de la famille se
dégage des dispositions de l'article 619 : les droits successoraux
des enfants naturels vis-à-vis de leurs autres ascendants.
En effet, « les enfants ou leurs descendants
succèdent à leurs père et mère ou autres ascendants
(...) ». La compréhension qui se dégage de ce texte de
loi est que tous les enfants, de même que leurs descendants peuvent aller
à la succession, et de leurs père et mère, et de leurs
autres ascendants, grands parents, oncles et tantes, par exemple ; ce qui
était impossible d'après l'article 757 du code civil de 1958
selon lequel « la loi n'accorde aucun droit aux enfants naturels sur
les biens des parents de leur père ou de leur
mère ».
Evidemment, le législateur vise ici les grands-parents
d'enfants naturels. A ce niveau, il s'est posé jusque-là la
question des rapports entre l'enfant naturel et ses grands-parents qui
nécessitait une réglementation sans équivoque.
Les rédacteurs du code béninois des personnes et
de la famille semblent donc avoir pris en compte la question pour
élaborer une nouvelle disposition, l'article 619, qui étend la
vocation successorale des enfants naturels à l'égard de leurs
ascendants autres que leurs père et mère. Ainsi, tout comme les
enfants légitimes, les enfants naturels peuvent aussi leur
succéder.
Compte tenu du caractère réciproque du droit de
succession, les parents peuvent, eux aussi, aller à la succession de
leurs enfants naturels.
B- Les droits des parents à l'égard
des enfants naturels et légitimes
L'enfant naturel (dont la filiation est légalement
établie) ayant, dans la fa mille de chacun de ses auteurs, les droits
d'un enfant légitime, il est normal que, à titre
réciproque, ses père et mère, ainsi que les membres de
cette famille aient le droit de bénéficier de certains droits et
de venir à sa succession comme s'il s'agissait d'un enfant
légitime.
En outre, les frères et soeurs de l'enfant naturel,
qu'ils soient légitimes ou naturels, peuvent prétendre à
des droits dans sa succession.
1) Droits des père et mère naturels
et autres ascendants
Ces droits sont dus par l'enfant naturel à ses parents,
père, mère et autres ascendants, en vertu du principe de
réciprocité posé par la loi. Il s'agit notamment des
droits alimentaires et ceux successoraux.
L'obligation alimentaire résultant de la parenté
(que celle-ci soit légitime, naturelle ou adoptive) est, en vertu de
l'article 391 du CPF, réciproque.
De la même façon donc que les parents de l'enfant
naturel (père, mère et autres ascendants) sont tenus par la loi
de lui fournir des aliments, ce dernier est, lui aussi, automatiquement tenu de
la même obligation : il devra, au moment opportun, assurer des
aliments à ses père et mère, de même qu'aux
ascendants autres que ces derniers qui sont dans le besoin.
C'est là une disposition qui concorde parfaitement avec
« la bonne nature de l'homme », le sens de l'humanisme, de
la spontanéité de l'humain envers son prochain. En un mot, cette
disposition n'a fait qu'édicter une attitude tout à fait normale,
une attitude qui s'est d'ailleurs toujours bien conçue en Afrique
où les valeurs traditionnelles ont toujours prôné
l'égard envers le prochain.
En tout état de cause, il va parfaitement de soi que
parents et enfant s'occupent réciproquement les uns des autres, que ce
soit en Afrique, en Europe ou ailleurs dans le monde. Il est des choses qui
devraient être innées en l'homme, quelle que soit son appartenance
raciale.
Avec le code des personnes et de la famille, l'enfant naturel
a été pratiquement assimilé à celui
légitime. C'est ce qui justifie que les dispositions sur les droits
successoraux des parents d'enfants naturels soient les mêmes qui se
rapportent aux droits successoraux des parents d'enfant légitimes. Plus
aucune distinction n'est vraiment faite dorénavant.
En cela, nous avons d'ailleurs remarqué que les
dispositions du code des personnes et de la famille sur les nouveaux droits
successoraux des ascendants n'est qu'une copie exacte de celles du code civil
de 1958 sur les successions déférées aux ascendants. Il
n'y a donc pas eu vraiment d'innovations à ce niveau non plus.
Aux termes de l'article 622 dudit code,
dorénavant : « Si le défunt n'a laissé ni
postérité, ni frère, ni soeur, ni descendants d'eux, la
succession se divise par moitié entre les ascendants de la ligne
paternelle et ceux de la ligne maternelle.
L'ascendant qui se trouve au degré le plus proche
recueille la moitié affectée à sa ligne, à
l'exclusion de tous autres. Les ascendants au même degré se
succèdent par tête »
Pour ce qui est du cas particulier de l'enfant incestueux,
compte tenu de l'interdiction de double filiation qui lui est faite à
l'alinéa 3 de l'article 319 du code des personnes et de la famille, les
implications que cela suppose en matière successorale et du
caractère réciproque du droit de succession, nous comprenons tout
simplement que, seul celui de ses auteurs qui l'aura reconnu et dont il aurait
le droit d'aller à la succession pourra, à son tour,
prétendre à une part dans la succession de cet enfant incestueux.
2) Droits successoraux des frères et soeurs
de l'enfant naturel
Le code civil de 1958 les organisait séparément
(précisément au chapitre 4 du titre premier dénommé
SUCCESSIONS IRREGULIERES) compte tenu de la distinction systématique que
faisait le législateur entre enfants naturels et légitimes.
Le code consacre les droits des frères et soeurs sur
les biens des enfants naturels.
Les droits successoraux qu'attribuait le législateur de
1958 aux frères et soeurs légitimes de l'enfant naturel sont
contenus dans l'article 766 du code aux termes duquel : « En cas
de prédécès des père et mère de l'enfant
naturel décédé sans postérité, les biens
qu'il en avait reçus passent aux frères et soeurs
légitimes, s'ils se retrouvent en nature dans la succession ; les
actions en reprise, s'il en existe, ou le prix des biens aliénés,
s'il en est encore dû, retournent également aux frères et
soeurs légitimes (...) »
Il s'agit du droit de retour légal que le
législateur reconnaissait aux frères et soeurs légitimes
de l'enfant naturel.
Qu'en était-il de la part des frères et soeurs
naturel ?
Aux termes de l'article 766 du code civil de 1958
précité « (...) Tous les autres biens passent aux
frères et soeurs naturels ou à leurs descendants ». La
distinction était donc clairement établie entre les parts
auxquelles pouvaient prétendre les frères et soeurs naturels ou
à leurs descendants »
Aujourd'hui, le code des personnes et de la famille a
introduit des changements notables à ce niveau. Il ne dispose pas
distinctement sur la base du type de filiation des frères et soeurs.
Désormais, qu'il s'agisse de frères et soeurs, légitime ou
naturels, d'un enfant légitime ou d'un enfant naturel, la loi dispose de
façon générale, sans aucune distinction.
C'est ainsi que les articles 623, alinéa 2 à 627
du code béninois des personnes et de la famille ne sont, eux aussi, que
de simples reprises des articles 748, alinéa 2 à 752 du code
civil de 1958 qui organisaient les droits de frères et soeurs dans la
succession d'un enfant légitime.
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