La clausula rebus sic stantibus et les traités internationaux( Télécharger le fichier original )par Sami Fedaoui Université de Rouen - Master I Droit international et européen 2007 |
Partie I : La reconnaissance de la clausula comme cause juridique de la caducité des traités.Si l'on étudie l'ensemble du droit positif, il ressort clairement que la règle qu'un traité international doit s'appliquer rebus sic stantibus c'est à dire "les choses demeurant en l'état" est tout à fait admise, ce qui signifie que la théorie de la clausula constitue un motif légal valable à l'appui de l'extinction des engagements internationaux, mais il convient de préciser que cette reconnaissance du principe est encadrée à plusieurs égards. Ainsi, le principe de la clausula est consacré par le droit positif dès lors que certaines conditions le justifiant sont réunies ( A ), et dans la mesure où il n'a pour effet de contrevenir aux principes essentiels de la dénonciation des traités ( B ). A. La consécration du principe de la clausula sur la base de conditions importantes.À l'examen du droit positif on peut constater que le changement fondamental de circonstances constitue bien un motif reconnu comme permettant d'invoquer la caducité de tout ou partie des engagements conclus aux termes du traité dans la stricte mesure où certaines conditions sont remplies en ce sens encadrant ainsi le changement de circonstances même, et également le pouvoir d'appréciation de l'État qui s'en prévaut. Chapitre 1 : La validité du principe soumise à des exigences conditionnelles tenant au changement de circonstances.La mise en jeu du principe découlant de la théorie de la clausula a été admise par l'ensemble du droit positif à titre conditionnel, en d'autres termes c'est parce que certaines exigences ont été posées à la base de ce principe que celui-ci peut jouer comme cause juridique d'extinction des engagements internationaux. À cet égard, il convient de se référer essentiellement à la Convention de Vienne sur le droit des traités de 1969 (ci-après la Convention), et notamment son article 62, qui constitue un instrument international de premier ordre.8(*) Ce n'est pas sans raison que la jurisprudence internationale, essentiellement celle de la Cour internationale de Justice (ci-après la Cour), se fonde principalement sur ses dispositions en la matière. Comme en témoigne l'arrêt de la Cour rendu en 1973 en l'affaire Compétence en matière de pêcheries, le droit international admet une telle cause juridique de caducité des traités internationaux dès lors que certaines conditions sont réunies.9(*) S'agissant du changement de circonstances proprement dit dont peut se prévaloir une des parties au traité, il apparaît que celui-ci est largement encadré par le droit positif. En effet, le changement de circonstances doit présenter un caractère d'une certaine importance, et doit en outre porter sur des circonstances ayant constitué, selon l'expression formulée par l'article 62 de la Convention, "une base essentielle du consentement des parties à être liées par le traité". C'est dans ce cadre que le principe de la clausula constitue un motif d'extinction des traités s'inscrivant ainsi dans la sphère des règles juridiques admises à l'appui de la caducité de ces engagements, il convient par conséquent d'examiner ces deux conditions tenant au changement de circonstances qui doivent être nécessairement réunies. Tout d'abord, l'exigence d'un changement d'une certaine gravité, ou du moins ayant un impact important sur la portée des obligations nées du traité, est une condition essentielle. Il est en effet nécessaire que le changement de circonstances invoqué présente un caractère suffisament important de telle manière qu'il altère la consistance des obligations découlant du traité. Lorsque la Cour estime dans l'arrêt précité qu'il faut "que le changement de circonstances ait été fondamental", elle précise le sens de cette exigence conformément à la logique retenue par la Convention. Ainsi, le changement de circonstances ne peut être valablement invoqué que s'il opère un bouleversement radical à l'égard des engagements initialement consentis, ce qui signifie que tout changement qui ne modifierait pas véritablement l'économie générale du traité doit être considéré comme inopérant dans l'hypothèse d'une dénonciation sur ce fondement. Dans cet ordre d'idées, il convient d'ajouter que cet encadrement par le droit positif traduit la consécration d'une des tendances de la pratique internationale. Il est vrai que se dégagent principalement deux tendances contradictoires dans la pratique, l'une visant à permettre le recours au principe de la clausula sans exigence particulière quant à l'importance dudit changement, et l'autre soucieuse de restreindre autant que possible ce recours en le limitant notamment à l'intervention d'un changement d'une importance fondamentale. C'est donc cette seconde tendance que le droit positif a entendu consacrer, ceci ressort particulièrement dans un autre arrêt de la Cour dans lequel elle énonce explicitement l'exigence de ne retenir que cette seconde alternative.10(*) Sur ce point, il faut bien comprendre qu'il s'agit du principe admis comme cause juridique de caducité des traités internationaux, ainsi il n'est pas exclu que l'on puisse rencontrer des dissenssions entre la règle de principe reconnue comme telle et l'utilisation de facto de la théorie de la clausula. Autrement dit, le droit positif considère que cette exigence du caractère fondamental du changement de circonstances constitue un élément essentiel de la logique de la clausula, en l'absence duquel ce motif ne peut fonder la caducité des engagements du traité. Par ailleurs, si le changement de circonstances doit présenter une certaine importance, celui-ci doit également porter sur des circonstances qui ont constitué une base essentielle du consentement des parties à conclure les engagements en cause. Précisons que ces deux conditions sont cumulatives, l'une d'elles ne pouvant faire défaut sans compromettre le bien-fondé du recours au motif de la clausula. S'agissant précisément de l'exigence suivant laquelle ce sont les circonstances qui ont conditionné le consentement des parties aux engagements initiaux qui doivent faire l'objet d'un tel changement, l'article 62 de la Convention pose cette condition au même titre que le caractère fondamental du changement. Et la jurisprudence de la Cour est intervenue pour confirmer que la doctrine de la clausula ne s'inscrit dans le cadre du droit positif que dans la mesure où cette condition est respectée. En effet, dans l'arrêt Compétence en matière de pêcheries de 1973 la Cour affirme en substance que la caducité des engagements ne saurait reposer sur un changement de circonstances, fût-il fondamental, dès lors que celui-ci n'est en aucun cas en rapport avec celles ayant déterminé le consentement des parties aux engagements en cause.11(*) Ce qui signifie que le droit positif, tel que rappelé par la Cour qui s'appuie sur la logique retenue dans l'article 62 de la Convention, admet tout à fait le mécanisme de la clausula dans la mesure où il intervient lorsqu'il y'a eu un changement fondamental des circonstances qui ont été à l'origine du consentement des parties. Et c'est ici une condition importante puisqu'elle oblige la partie qui se prévaut d'un tel motif de caducité de démontrer qu'il existe bien un lien entre les circonstances initiales et le changement invoqué et que surtout ces circonstances initiales ont effectivement été un facteur essentiel de leur consentement. Dès lors, on peut affirmer que la clausula rebus sic stantibus constitue un motif légal de caducité des engagements internationaux qui ne peut être reconnue comme tel que si elle se conforme au double impératif entourant le prétendu changement lui-même. En d'autres termes, ce n'est que sur la base du caractère fondamental dudit changement et de son lien pertinent avec les circonstances ayant déterminé leur consentement que la doctrine de la clausula peut "incarner" une règle de droit positif invocable à l'appui de la caducité des engagements internationaux. Dans le même ordre d'idées, on peut considérer que cet encadrement du principe à travers des conditions qui sont exigées par le droit positif a pour corollaire la modération du pouvoir d'appréciation des États et ainsi de leur faculté à y recourir.
* 8 On peut dire qu'elle refléte l'état du droit en la matière dans la mesure où elle est supposée codifier le règime juridique de la clause rebus applicable aux traités entre États. Si de nombreux États n'y sont pas parties, il n'en demeure pas moins que celle-ci est en vigueur dans l'ordre international. * 9 "Ce principe et les conditions et exceptions auxquelles il est soumis ont été énoncés à l'article 62 de la convention de Vienne sur le droit des traités qui peut, à bien des égards, être considéré comme une codification du droit coutumier existant en ce qui concerne la cessation des relations conventionnelles en raison du changement de circonstances.", Compétence en matière de pêcheries ( Royaume-Uni c. Islande ), compétence de la Cour, arrêt, C.I.J, 1973, considérant 36. * 10 Selon la Cour les termes de l'article 62 précité expriment l'idée que "la stabilité des relations conventionnelles exige que le moyen tiré d'un changement fondamental de circonstances ne trouve à s'appliquer que dans des cas exceptionnels.", Projet Gabèíkovo-Nagymaros (Hongrie/Slovaquie), arrêt, C.I.J, 1997, considérant 104. * 11 Compétence en matière de pêcheries, ibidem, considérant 40. |
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