Faculté de Rouen
UFR Droit, Sciences économiques et Gestion
Droit
Master 1 Droit international et européen
Année universitaire 2006 / 2007
Mémoire
La clausula rebus sic stantibus et les
traités internationaux
Mémoire préparé par
Sami FEDAOUI
Sous la direction du Professeur
Raphaële RIVIER
INTRODUCTION
"Un changement fondamental de circonstances qui s'est
produit par rapport à celles qui existaient au moment de la conclusion
d'un traité et qui n'avait pas été prévu par les
parties ne peut pas être invoqué comme motif pour mettre fin au
traité ou pour s'en retirer, à moins que : a) l'existence de ces
circonstances n'ait constitué une base essentielle du consentement des
parties à être liées par le traité ; et que b) ce
changement n'ait pour effet de transformer, radicalement la portée des
obligations qui restent à exécuter en vertu du traité.
[...] Si une partie peut, conformément aux paragraphes qui
précèdent, invoquer un changement fondamental de circonstances
comme motif pour mettre fin à un traité ou pour s'en retirer,
elle peut également ne l'invoquer que pour suspendre l'application du
traité." Ces dispositions extraites de l'article 62 de la Convention de
Vienne sur le droit des traités peuvent nous aider à comprendre
la signification de la théorie de la clausula rebus sic
stantibus. Et ce d'autant plus que parmi l'ensemble des fondements
invocables à l'appui de l'inéxecution des conventions
internationales, la clause rebus sic stantibus qui désigne
l'hypothèse d'un changement fondamental de circonstances a fait l'objet
de réflexions abondantes de la part de plusieurs auteurs, et on peut
relever à cet égard que cette question n'a pas manqué
d'alimenter une controverse importante quant au bien-fondé d'un tel
motif d'inapplication des traités internationaux.1(*)
La clause rebus sic stantibus n'est pas
spécifique au droit des traités internationaux en ce que cette
règle correspond à une idée générale
relativement ancienne soutenue notamment par certains jusnaturalistes2(*), selon laquelle il relève
d'un principe du droit naturel que toute obligation résultant
formellement d'un échange de consentement entre deux ou plusieurs
parties n'est "viable" que si les choses restent en l'état. Autrement
dit, les parties ne s'engagent, dans leurs rapports mutuels, que dans la
stricte mesure des stipulations exprimées lors de la conclusion de
ladite convention, or ces engagements s'inscrivent dans une situation de fait
ou de droit qui a pu être déterminante dans l'expression du
consentement des parties ou de l'une d'entre elles. Dès lors, il
résulte de ceci qu'en cas de changement de circonstances qui bouleverse
l'équilibre initial et rend inéquitable pour l'une des parties le
maintien de l'application des engagements, celle-ci doit être en mesure
de solliciter la suspension ou la terminaison de ses engagements selon ce que
lui imposent les circonstances nouvelles.
Et des "notions voisines" sont appliquées dans
certaines matières, ainsi par exemple en matière de droit
français des contrats administratifs. En effet, le juge administratif a
mis en oeuvre la théorie de l'imprévision, consacrée par
l'arrêt célèbre Gaz de Bordeaux du Conseil
d'État en 1916, en vertu de laquelle, à défaut de pouvoir
mettre un terme à l'exécution de la convention3(*), le maintien de l'application
des engagements doit faire l'objet d'une compensation permettant de
rétablir l'équilibre économique initial.
À titre de comparaison, il existe certaines notions
qui, par leur similarité avec la clause rebus, peuvent
éclairer la compréhension de la clause, ce sont notamment la
théorie anglaise de la "frustration", la théorie française
de l'imprévision, la survenance d'une situation rendant impossible
l'éxécution des obligations ou même la survenance d'une
nouvelle norme de jus cogens. Ces diverses solutions présentent
une certaine concordance en ce sens qu'elles font intervenir cette idée
de circonstances ou de situation sur lesquelles les parties n'ont aucune
maîtrise, toutefois, comme le souligne Poch de Caviedes, on doit se
préserver de toute "confusion artificielle" entre ces concepts car ce
sont des figures juridiques autonomes avec leur propre
réalité.
On peut retenir par exemple la théorie civiliste de
cause de l'obligation qui constitue un motif de caducité des contrats.
La jurisprudence de la Cour de Cassation a développé un ensemble
de solutions aux termes desquelles les parties au contrat peuvent invoquer la
nullité de leur engagement dès lors que l'obligation souscrite
est dépourvue de cause, il s'agit ici de cause objective c'est à
dire que doit exister un objet à l'obligation, autrement la
caducité du contrat peut être invoquée. Et cette cause doit
exister tant au moment de la conclusion du contrat qu'au stade de son
éxécution, ce qui signifie qu'une circonstance extérieure
aux parties, ayant fait disparaître l'objet de l'obligation, est tout
à fait de nature à fonder le recours à ce mécanisme
de caducité. Cette théorie opére ainsi comme la clause
rebus puisqu'elle a pour conséquence de remettre en cause la
poursuite des obligations nées du contrat en raison d'un
évenement affectant l'objet de l'obligation, et pourtant ces deux
mécanismes n'ont ni la même vocation ni les mêmes fondements
car, en substance, la théorie rebus vise à
rétablir l'équilibre des engagements et, contrairement à
la théorie civiliste, elle ne porte pas sur la validité de
l'engagement subordonnée à l'existence d'une cause objective mais
sur l'applicabilité de l'engagement au regard de l'évolution des
circonstances ayant manifestement conditionné le consentement de l'une
des parties au traité. Cette notion de cause objective est par
conséquent indifférente au principe issu de la théorie
rebus sic stantibus.
Et dans cet esprit de comparaison on peut aussi envisager un
principe important du droit international, car en effet on ne peut nier que les
relations entre les États parties à toute convention sont
irriguées essentiellement par le principe coutumier pacta sunt
servanda4(*) selon
lequel lesdites parties sont tenues par leurs engagements, c'est à dire
qu'il existe un lien contraignant entre celles-ci puisqu'elles se sont
obligées à respecter certaines normes prévues aux termes
du traité. La clause rebus sic stantibus n'est pas incompatible
avec ce principe de force obligatoire des traités internationaux dans la
mesure où elle n'a pas vocation à établir le
caractère aléatoire des engagements internationaux dont
l'éxécution serait tributaire d'une condition de permanence des
circonstances, ce qui établirait de facto une
insécurité juridique compte tenu de l'évolution des
aléas qui entourent les traités. On peut dire que cette clause a
plutôt pour objet de compléter le principe pacta sunt
servanda au sens où la garantie de l'effectivité de la force
obligatoire des traités impose que l'État qui s'est tenu à
éxécuter de bonne foi ses obligations puisse se libérer de
celles-ci dès lors qu'il apparaît, sauf à établir la
preuve de sa mauvaise foi, que les circonstances sont telles qu'elles ne lui
permettent plus d'assurer leur éxécution. Ainsi, on peut
considérer qu'il existe une complémentarité entre ces deux
principes puisque le premier affirme l'exigence du respect des obligations
auxquelles les États se soumettent par traité et le second y
introduit une cause d'extinction du traité admise dans une certaine
mesure. Et à cet égard la clause rebus sic stantibus
s'inscrit dans la même logique que certaines causes d'inapplication du
traité, tels que la survenance d'une situation rendant impossible
l'éxécution du traité, dont le but est d'aménager
le principe de force obligatoire en prenant en considération des
évenements extérieurs et indépendant de la volonté
ou du fait des parties.
Ayant montré que la théorie de la
clausula n'est pas de nature à contredire le principe pacta
sunt servanda, il faut rappeler que cette comparaison n'a pas tellement
d'intérêt effectif dans la mesure où la clausula a
justement pour objet de rendre caducs les engagements initiaux, ceci
équivalant à rendre inopérant le principe pacta sunt
servanda.
C'est pourquoi on peut penser qu'il est plus
intéressant de centrer nos interrogations sur la clausula
elle-même et c'est en ce sens qu'on est conduit à identifier son
régime ainsi que son statut dans l'ordre international. Certains auteurs
n'y voient qu'un motif d'ordre purement politique, contrairement à
d'autres qui la considèrent comme une règle de droit positif. Or
s'interroger sur le règime de celle-ci implique que l'on examine
l'ensemble des "outils" pertinents, autrement dit il s'agit de mettre en
lumière son règime juridique à l'aune des points de
référence constitués tant de la pratique diplomatique
interétatique que de la jurisprudence.5(*)
En d'autres termes, il est question de centrer notre
étude sur la nature qui caractérise la clause rebus dans
la réalité juridique positive, à ce titre les
différents élements fournis par la pratique diplomatique ainsi
que par la jurisprudence constituent une base de référence
importante. Il est clair qu'il est nullement question de recenser de
manière exhaustive les cas d'invocation de la règle rebus
compte tenu de la pléthore d'exemples, il est sans doute plus
raisonnable de dégager une synthèse sur cette base tout en
étayant nos développements avec l'appui d'illustrations
suffisament significatives.6(*) Mais précisons de suite qu'il ne s'agit surtout
pas d'adopter une démarche qui consisterait à écarter ou
retenir la pratique internationale selon qu'elle corrobore ou non nos propos,
il s'agit au contraire de comprendre le mouvement systémique,
général, de la pratique afin de la retranscrire par certains
exemples.
Dès lors, au vu de l'ensemble des
éléments de référence pertinents sur la clause
rebus sic stantibus, doit-on considérer que ce principe
constitue une cause juridique d'extinction reconnue et encadrée par des
règles déterminées ou bien un motif d'ordre politique dont
l'invocation est laissée à la libre faculé de
l'État partie au traité ? Plus précisement, s'agit-il d'un
instrument politique relevant de considérations opportunistes absolument
exclu du champ des règles de droit positif permettant de se soustraire
à l'application du traité international dans certaines conditions
?
On peut considérer que la clause rebus sic
stantibus constitue un principe singulier dans la mesure où la
reconnaissance a priori de celui-ci comme motif invocable à
l'appui de la terminaison des traités n'est pas contestée par le
droit international7(*),
mais il s'avére que c'est son utilisation qui a donné lieu
à une controverse importante de telle manière que l'on pourrait
l'appréhender au premier abord comme un instrument politique. Toutefois
si l'on analyse plus profondément les divergences de la pratique
internationale, ceux-ci ne sont pas de nature à contester l'existence de
ce principe en tant que norme juridique positive. Dès lors, si
l'ensemble du droit international admet de jure la théorie
rebus sic stantibus à l'appui de la terminaison des
traités dès lors que ce principe répond à des
exigences déterminées ( I ), on peut également avancer que
la "construction juridique" du régime de ce principe par le droit
international n'est en rien remise en cause par les mouvements contradictoires
de la pratique internationale ( II ).
Partie I : La reconnaissance de la clausula comme cause
juridique de la caducité des traités.
Si l'on étudie l'ensemble du droit positif, il
ressort clairement que la règle qu'un traité international doit
s'appliquer rebus sic stantibus c'est à dire "les choses
demeurant en l'état" est tout à fait admise, ce qui signifie que
la théorie de la clausula constitue un motif légal
valable à l'appui de l'extinction des engagements internationaux, mais
il convient de préciser que cette reconnaissance du principe est
encadrée à plusieurs égards. Ainsi, le principe de la
clausula est consacré par le droit positif dès lors que
certaines conditions le justifiant sont réunies ( A ), et dans la mesure
où il n'a pour effet de contrevenir aux principes essentiels de la
dénonciation des traités ( B ).
A. La consécration du principe de la clausula sur
la base de conditions importantes.
À l'examen du droit positif on peut constater que le
changement fondamental de circonstances constitue bien un motif reconnu comme
permettant d'invoquer la caducité de tout ou partie des engagements
conclus aux termes du traité dans la stricte mesure où certaines
conditions sont remplies en ce sens encadrant ainsi le changement de
circonstances même, et également le pouvoir d'appréciation
de l'État qui s'en prévaut.
Chapitre 1 : La validité du principe soumise à
des exigences conditionnelles tenant au changement de circonstances.
La mise en jeu du principe découlant de la
théorie de la clausula a été admise par
l'ensemble du droit positif à titre conditionnel, en d'autres termes
c'est parce que certaines exigences ont été posées
à la base de ce principe que celui-ci peut jouer comme cause juridique
d'extinction des engagements internationaux. À cet égard, il
convient de se référer essentiellement à la Convention de
Vienne sur le droit des traités de 1969 (ci-après la Convention),
et notamment son article 62, qui constitue un instrument international de
premier ordre.8(*) Ce n'est
pas sans raison que la jurisprudence internationale, essentiellement celle de
la Cour internationale de Justice (ci-après la Cour), se fonde
principalement sur ses dispositions en la matière. Comme en
témoigne l'arrêt de la Cour rendu en 1973 en l'affaire
Compétence en matière de pêcheries, le droit
international admet une telle cause juridique de caducité des
traités internationaux dès lors que certaines conditions sont
réunies.9(*)
S'agissant du changement de circonstances proprement dit dont
peut se prévaloir une des parties au traité, il apparaît
que celui-ci est largement encadré par le droit positif. En effet, le
changement de circonstances doit présenter un caractère d'une
certaine importance, et doit en outre porter sur des circonstances ayant
constitué, selon l'expression formulée par l'article 62 de la
Convention, "une base essentielle du consentement des parties à
être liées par le traité". C'est dans ce cadre que le
principe de la clausula constitue un motif d'extinction des
traités s'inscrivant ainsi dans la sphère des règles
juridiques admises à l'appui de la caducité de ces engagements,
il convient par conséquent d'examiner ces deux conditions tenant au
changement de circonstances qui doivent être nécessairement
réunies.
Tout d'abord, l'exigence d'un changement d'une certaine
gravité, ou du moins ayant un impact important sur la portée des
obligations nées du traité, est une condition essentielle. Il est
en effet nécessaire que le changement de circonstances invoqué
présente un caractère suffisament important de telle
manière qu'il altère la consistance des obligations
découlant du traité. Lorsque la Cour estime dans l'arrêt
précité qu'il faut "que le changement de circonstances ait
été fondamental", elle précise le sens de cette exigence
conformément à la logique retenue par la Convention. Ainsi, le
changement de circonstances ne peut être valablement invoqué que
s'il opère un bouleversement radical à l'égard des
engagements initialement consentis, ce qui signifie que tout changement qui ne
modifierait pas véritablement l'économie générale
du traité doit être considéré comme inopérant
dans l'hypothèse d'une dénonciation sur ce fondement.
Dans cet ordre d'idées, il convient d'ajouter que cet
encadrement par le droit positif traduit la consécration d'une des
tendances de la pratique internationale. Il est vrai que se dégagent
principalement deux tendances contradictoires dans la pratique, l'une visant
à permettre le recours au principe de la clausula sans exigence
particulière quant à l'importance dudit changement, et l'autre
soucieuse de restreindre autant que possible ce recours en le limitant
notamment à l'intervention d'un changement d'une importance
fondamentale. C'est donc cette seconde tendance que le droit positif a entendu
consacrer, ceci ressort particulièrement dans un autre arrêt de la
Cour dans lequel elle énonce explicitement l'exigence de ne retenir que
cette seconde alternative.10(*)
Sur ce point, il faut bien comprendre qu'il s'agit du principe
admis comme cause juridique de caducité des traités
internationaux, ainsi il n'est pas exclu que l'on puisse rencontrer des
dissenssions entre la règle de principe reconnue comme telle et
l'utilisation de facto de la théorie de la clausula.
Autrement dit, le droit positif considère que cette exigence du
caractère fondamental du changement de circonstances constitue un
élément essentiel de la logique de la clausula, en
l'absence duquel ce motif ne peut fonder la caducité des engagements du
traité.
Par ailleurs, si le changement de circonstances doit
présenter une certaine importance, celui-ci doit également porter
sur des circonstances qui ont constitué une base essentielle du
consentement des parties à conclure les engagements en cause.
Précisons que ces deux conditions sont cumulatives, l'une d'elles ne
pouvant faire défaut sans compromettre le bien-fondé du recours
au motif de la clausula. S'agissant précisément de
l'exigence suivant laquelle ce sont les circonstances qui ont
conditionné le consentement des parties aux engagements initiaux qui
doivent faire l'objet d'un tel changement, l'article 62 de la Convention pose
cette condition au même titre que le caractère fondamental du
changement. Et la jurisprudence de la Cour est intervenue pour confirmer que la
doctrine de la clausula ne s'inscrit dans le cadre du droit positif
que dans la mesure où cette condition est respectée.
En effet, dans l'arrêt Compétence en
matière de pêcheries de 1973 la Cour affirme en substance que
la caducité des engagements ne saurait reposer sur un changement de
circonstances, fût-il fondamental, dès lors que celui-ci n'est en
aucun cas en rapport avec celles ayant déterminé le consentement
des parties aux engagements en cause.11(*) Ce qui signifie que le droit positif, tel que
rappelé par la Cour qui s'appuie sur la logique retenue dans l'article
62 de la Convention, admet tout à fait le mécanisme de la
clausula dans la mesure où il intervient lorsqu'il y'a eu un
changement fondamental des circonstances qui ont été à
l'origine du consentement des parties. Et c'est ici une condition importante
puisqu'elle oblige la partie qui se prévaut d'un tel motif de
caducité de démontrer qu'il existe bien un lien entre les
circonstances initiales et le changement invoqué et que surtout ces
circonstances initiales ont effectivement été un facteur
essentiel de leur consentement.
Dès lors, on peut affirmer que la clausula rebus
sic stantibus constitue un motif légal de caducité des
engagements internationaux qui ne peut être reconnue comme tel que si
elle se conforme au double impératif entourant le prétendu
changement lui-même. En d'autres termes, ce n'est que sur la base du
caractère fondamental dudit changement et de son lien pertinent avec les
circonstances ayant déterminé leur consentement que la doctrine
de la clausula peut "incarner" une règle de droit positif
invocable à l'appui de la caducité des engagements
internationaux.
Dans le même ordre d'idées, on peut
considérer que cet encadrement du principe à travers des
conditions qui sont exigées par le droit positif a pour corollaire la
modération du pouvoir d'appréciation des États et ainsi de
leur faculté à y recourir.
Chapitre 2 : L'encadrement du pouvoir d'appréciation
du bien-fondé du recours à la clausula.
Comme on a pu le constater, l'existence du principe de la
clausula admise en tant que motif légal de caducité des
engagements internationaux n'est pas niée par le droit postif, on
observe en effet que le droit international reconnaît tout à fait
la validité d'un tel principe pour autant qu'il réponde à
des exigences particulières. Il convient toutefois de ne pas se limiter
à cette analyse descriptive du droit positif, il est important en effet
de ne pas faire abstraction du sens, de la signification profonde de la
consécration de ce principe dans le cadre du droit positif. Il s'agit
d'approfondir l'étude de ce que le droit positif a mis en oeuvre au
sujet de la clause rebus sic stantibus, plus précisement il
faut analyser ce qu'implique l'encadrement de ce principe.
Lorsque l'on examine le droit positif, il ressort clairement
que la marge de manoeuvre dont peut disposer l'État qui se
prévaut de la doctrine de la clausula se trouve
considérablement réduite. L'appréciation du
bien-fondé du recours à la clausula est
assurément restreinte en ce que la validité de ce principe est
reconnue à titre conditionnel, et les conditions sur lesquelles elle
repose sont prédéfinies dans une large mesure. À cet
égard, la Convention procède de telle manière qu'elle pose
expréssement des conditions dont la signification est manifeste. On
pourrait certes s'interroger sur quelques éléments accessoires
mais la portée principale de ces conditions est tout à fait
explicite, la clausula ne pouvant être admise à fonder en
droit toute prétention à faire valoir la caducité des
engagements du traité que dans la mesure où il s'agit d'un
changement de circonstances qui bouleverse "radicalement la portée des
obligations", et tant que ces circonstances ont "constitué une base
essentielle du consentement des parties" au traité. Dans une certaine
mesure, on pourrait qualifier cet encadrement par le droit positif de
"directif" puisqu'il énonce les exigences au bien-fondé du
recours au principe en s'attachant à ce qu'elles soient autant
explicites que possible.
De même, l'articulation des dispositions de la
Convention avec les solutions de jurisprudence de la Cour permet d'identifier
un encadrement qui limite le pouvoir d'appréciation des États.
Ainsi, si la Cour rappelle en 1997 que "la stabilité des relations
conventionnelles exige que le moyen tiré d'un changement fondamental de
circonstances ne trouve à s'appliquer que dans des cas exceptionnels",
elle ne fait que tirer les conséquences qu'inférent les termes
"négatifs et conditionnels" employés par l'article 62 de la
Convention.12(*) De ce
point de vue, cela indique à l'État qui entend se
prévaloir de la clausula que ce motif de caducité n'est
valable que dans des hypothèses exceptionnelles et qu'il ne saurait en
tout état de cause constituer un instrument relevant de son seul pouvoir
souverain.13(*)
En outre, la Cour ayant apporté des précisions
importantes sur ce qu'il faut entendre des conditions ainsi posées,
l'appréciation du bien-fondé du recours à la
clausula s'en trouve largement encadrée. En effet, dans son
arrêt Compétence en matière de pêcheries la
Cour fait observer que le caractère fondamental du changement doit
s'apprécier comme entraînant une transformation radicale de la
portée des obligations les rendant "plus lourdes" à supporter
pour l'une des parties.14(*) Quant à l'exigence suivant laquelle ces
circonstances doivent avoir constitué une base essentielle du
consentement des parties, elle ne pose pas de critères in
abstracto, sans doute estime-t-elle que cette condition se suffit à
elle-même.15(*)
Ainsi, à l'examen du raisonnement opéré par la Cour en
l'espèce, on peut penser que le recours à la clausula
est fondé dès lors qu'il répond a priori à
ces exigences prédéfinies, le rôle de l'État se
limitant à faire constater le bien-fondé de ce recours au vu de
ces éléments. D'un certain point de vue, le droit positif a
soumis le bien-fondé de ce recours à des considérations
ratione materiae au sens où la mise en oeuvre des conditions de
son invocabilité traduit une logique à laquelle les États
doivent se conformer, ceci afin de justifier à bon droit que les
engagements sont devenus caducs en raison d'un changement de circonstances.
En ce sens, le droit positif entend suivre le mouvement visant
à amoindrir l'espace de liberté des États dans
l'invocation de la règle rebus sic stantibus pour leurs
relations conventionnelles. C'est ici la consécration d'une partie de la
doctrine mais également d'une tendance de la pratique internationale
attachée à cet aspect restrictif. La validité de ladite
règle comme cause juridique, admise comme telle, n'est aucunement exclue
mais seulement encadrée par certaines réserves, il en
résulte également que son bien-fondé répond
à ces exigences déterminées. Autrement dit, les
États ne peuvent discrétionnairement considérer si le
recours à la clausula est ou non fondé de jure,
ceci ne dépendant exclusivement que de la conformité de la
situation d'espèce avec ces exigences.
Et l'État qui entend s'en prévaloir ne peut y
recourir que dans la mesure où ces conditions sont bien remplies,
à charge pour lui ensuite d'en établir la preuve, et par
conséquent tout autre recours par un État qui
méconnaîtrait l'existence de telles conditions en les niant ou,
hypothèse plus probable, en les admettant mais sans pour autant s'y
conformer in concreto, doit être considéré comme
étant dépourvu de tout fondement juridique.
Par ailleurs, la reconnaissance de l'existence du principe
de la clausula comme cause légale de caducité des
engagements internationaux se trouve encadrée à plusieurs
égards en ce sens que les effets que produisent son invocation sont
pareillement restreints dans une certaine mesure.
B. La consécration du principe de la clausula par
l'encadrement de ses effets juridiques.
Si des conditions de mise en jeu ont été
élaborées par le droit positif à la base du principe de la
clausula comme motif de caducité des traités, il en est
de même s'agissant des effets qui procédent de sa mise en oeuvre.
Dans une certaine mesure, on peut considérer que le droit positif entend
régir la fonction de la clausula, et à ce titre fixe les
conséquences que cela entraîne à l'égard des
engagements du traité. Il convient de retenir que le droit international
prévoit que ce principe a une vocation première, à savoir
l'ouverture d'un droit à la terminaison ou plus exactement d'un droit de
prétendre à la terminaison du traité. Pour autant, cette
fonction de la clausula ne doit pas être entendue de telle
manière qu'elle contrevienne au principe d'exclusion de la
dénonciation unilatérale.
Chapitre 1 : La fonction préeminente d'abrogation des
engagements internationaux.
Parallèlement à la restriction du recours
à la clausula sur la base de conditions importantes,
l'admission de ce principe comme fondement juridique de caducité des
traités s'est accompagnée d'un encadrement des effets juridiques
qui lui sont attachés. Ce principe jouant comme une cause juridique de
caducité du traité, le droit positif est intervenu en vue de
déterminer les effets juridiques qui s'y attachent. Il faut savoir
aussi, et cela a son importance, que le droit positif est intervenu
précisément pour trancher ce qui divisait tant la doctrine que
les acteurs de la diplomatie internationale. On observe en effet que certains
considéraient la clause comme un moyen permettant alternativement la
terminaison et la révision, alors que d'autres tendaient à
admettre plutôt l'une à l'exclusion de l'autre.16(*) Partant, l'objet de ces
développements consiste à définir le cadre juridique
élaboré par le droit international en ce qui concerne les effets
juridiques de la clause rebus sic stantibus.
À cet égard, on peut avancer que les effets
juridiques attachés à la clausula tiennent
essentiellement au droit de prétendre à l'abrogation du
traité, c'est à dire à la terminaison définitive ou
provisoire du traité pour la partie qui s'en prévaut. Et à
ce propos, si beaucoup d'auteurs se sont prononcés sur la question, il
nous paraît que la thèse développée dans les
rapports de la CDI est celle qui reflète le mieux la
réalité juridique internationale.17(*) Et pour cause, il fût l'un des principaux
contributeurs des travaux préparatoires de la Commission du Droit
International ayant abouti à l'adoption de la Convention de Vienne de
1969 que l'on peut réputer, encore ici, être l'expression de
l'état actuel des règles de droit international positif en la
matière.
Il est vrai que l'article 62 de la Convention n'est sans doute
pas suffisament précis quant aux effets juridiques proprement
attachés à la clausula, en tout état de cause il
n'est pas aussi directif et explicite qu'il ne l'est pour les conditions de son
applicabilité. On remarque notamment qu'il ne mentionne nullement la
question d'une révision du traité sur ce fondement, il
n'évoque que le droit de mettre un terme à l'application du
traité à titre extinctif ou suspensif. Cette solution peut
être envisagée comme la consécration de l'idée selon
laquelle le principe de la clause rebus opère essentiellement
la terminaison de l'application du traité, ce qui signifie que
l'État se voit conféré, à titre principal, le droit
d'invoquer l'abrogation définitive ou provisoire de ses engagements.
Notons que cette fonction par essence de la clausula,
telle que consacrée par le droit international, qui est celle de la
terminaison des traités peut être déclinée en ce que
l'État peut être conduit à l'invoquer à l'encontre
de tout ou partie du traité selon certains facteurs, et en ce que cette
abrogation peut être requise à titre définitif auquel cas
il s'agit d'une demande d'extinction ou de retrait selon que le traité
est bilatéral ou multilatéral, ou bien temporairement auquel cas
il s'agit d'une demande de suspension de l'application du traité. Si
l'article 62 admet que la clause joue "comme motif pour mettre fin à un
traité ou pour s'en retirer" ou encore "pour suspendre l'application du
traité", c'est sans doute sur les règles coutumières en
matière d'abrogation des traités au sens générique
qu'il faut s'appuyer pour avoir une idée plus précise.18(*) Il n'empêche que le
droit positif a établi l'idée directrice qui veut que la
clausula ait l'abrogation des traités comme effet juridique
proprement attaché à sa fonction principale, et c'est ici le
principe qu'il faut avant tout retenir.
En approfondissant l'étude de cette idée, on
doit préciser que l'abrogation, vocation essentielle de la
clausula, ne remet pas en cause la possibilité d'une
révision du traité car a priori une modification des
engagements du traité constitue un autre moyen de s'adapter au
changement de circonstances. Toutefois, comme le soutient Waldock dans son
rapport à la Commission du Droit International précité, la
question de la révision des traités tient moins de la
sphère juridique que de la diplomatie. C'est dans ce sens que s'inscrit
que le droit positif, ainsi observe-t-on que l'article 62 de la Convention ne
fait pas découler expressément un droit à la modification
en tant qu'effet juridique propre à la clause rebus. Il ne
l'écarte pas non plus expressément puisqu'il n'en fait aucune
mention, on peut alors supposer qu'il ne l'admet que dans les conditions des
règles coutumières du droit international.19(*) Or, c'est
précisément parce que le droit coutumier international n'admet la
modification des traités que sur la base du consentement entre les
parties au traité que l'on peut qualifier cette question de la
révision d'éminemment politique. Certes, le consentement de
l'autre ou des autres parties doit être recherché dans la mesure
du possible par l'État qui invoque la terminaison du traité, mais
s'agissant de la révision, elle a ceci de particulier qu'elle n'a de
force juridique que dans la mesure où il y'a eu effectivement un
échange de consentement entre les parties. Sans cet échange de
consentement, l'autre État n'est aucunement tenu par les amendements que
son cocontractant entend mettre en oeuvre, c'est pourquoi il est davantage
question de négociations politiques que d'un moyen juridique
conféré par la clausula. Pour la terminaison du
traité, le consentement des parties n'est pas éxigé
dès lors que cette prétention repose sur la clausula
car celle-ci est la cause légale la justifiant, encore faut-il que ce
recours à la clause soit bien fondé au vu de l'espèce.
C'est ici toute la différence, ce motif légal pris en tant que
circonstance extérieure aux parties ouvre à lui seul le droit de
mettre un terme au traité, contrairement au droit de révision qui
n'existe pas en droit international puisque subordonné à
l'exigence de consentement des parties. On pourrait synthétiser cette
analyse en citant Haraszti comme suit : "Naturally, a State party to a
treaty is free to demand modification and to reinforce its claim by invoking
changes that have occurred in circumstances. Since, however, the other
parties are under no obligation whatever in international law to take part in a
treaty of a content departing from the original [...] Hence,
a claim to revision is of a political character, and does not purpose the
enforcement of the rebus sic stantibus clause implying a norm of international
law"20(*)
Ayant examiné la fonction essentiellement liée
à l'abrogation des traités attribuée par le droit positif
à la clausula dans le cadre des effets juridiques qui s'y
rattachent, il reste que le droit positif a renforcé cette
régulation en posant le principe que la terminaison des traités
n'est fondée que dans le respect des règles internationales
essentielles, notamment l'exclusion en principe de la dénonciation
unilatérale.
Chapitre 2 : Les effets juridiques de la clausula soumis aux
principes de la dénonciation des traités.
Si l'on devait caractériser le mouvement
opéré par le droit international à l'égard de la
clause rebus, on a pu voir que ce qui ressort nettement est
l'entreprise d'encadrement de ce principe. En témoigne également
le cantonnement de la clause dans le cadre des principes de dénonciation
des traités, le droit positif n'a pas manqué de rappeler en effet
que l'abrogation des engagements conventionnels que permet la règle
rebus ne peut avoir pour effet d'octroyer un droit de
dénonciation unilatérale.
Des divergences se sont manifestées parmi la doctrine
à propos de la question importante du mode opératoire de la
clausula, notamment lorsqu'il s'agit de déterminer comment
celle-ci s'articule avec le rejet de principe de la dénonciation
unilatérale. En effet, il existe une règle que l'on peut
considérer comme coutumière, comme l'indique la
Déclaration de la Conférence de Londres de 1871, suivant laquelle
tout État partie à un traité ne peut procéder
à sa dénonciation de façon unilatérale, sauf si le
traité en cause en dispose autrement.21(*) Or, comme le remarque Jean Leca à juste titre,
les États n'ont pas mis longtemps avant d'essayer de trouver le moyen de
contourner cette règle sitôt approuvée tant elle a pu
rebuter certains États par sa lourdeur.22(*) Il va sans dire que les États agissent avant
tout afin de protéger leurs intérêts respectifs, c'est la
raison pour laquelle la clause rebus dont le régime juridique
manquait à être certifié a pu servir d'argument, à
certaines occasions, pour dénoncer unilatéralement un
traité. L'une des problématiques qui s'est donc posée pour
les auteurs, mais aussi pour les États, consistait à identifier
l'existence ou non d'un droit de dénonciation unilatérale des
traités en cas de changement fondamental de circonstances. C'est tout
à fait dans cette optique que l'on doit analyser ce que le droit positif
a élaboré.
Les règles juridiques établies par la
Convention expriment la reconnaissance du principe retenu par la
Déclaration de Londres, soit l'exclusion du droit de dénonciation
unilatérale. Et les effets juridiques de la clausula ne sont
admis que sur la base de la conformité avec cette règle. Une
telle affirmation, bien qu'elle ne soit pas énoncée ainsi dans le
texte de la Convention, découle du système juridique mis en
oeuvre par celui-ci. C'est par une analyse qui combine l'article 62 avec
différentes dispositions que l'on peut avancer une telle conclusion, au
vu notamment des articles 54, 56 et 65 de la Convention.
Il apparaît que la Convention inscrit le motif tenant au
changement fondamental de circonstances dans le cadre général des
règles de dénonciation des traités, autrement dit il n'est
pas prévu un droit de dénonciation spécifique à
cette cause d'extinction des traités. Le régime juridique de la
clause rebus est donc encadré, au même titre que les
autres motifs d'extinction des engagements du traité, par les
règles générales élaborées par la Convention
en ce qui concerne la dénonciation. Or, lorsque l'on examine ces
règles générales, on constate qu'elles reprennent le
principe affirmé dans la Déclaration de Londres, car aux termes
de l'article 54 de la Convention n'est admise la dénonciation d'un
traité que sur la base des dispositions du traité en cause ou du
consentement de toutes les parties.23(*) Ce qui revient à formuler que toute
dénonciation unilatérale d'un traité est à exclure
en l'absence d'une dérogation prévue par le traité en
cause. Et la Convention entend garantir le respect de ce principe en
établissant en son article 65 les modalités précises de la
procédure à suivre en vue de la dénonciation des
traités, on retiendra notamment l'obligation de notification aux autres
parties et le respect d'un délai déterminé.
Si l'on reprend l'ordonnancement juridique établi par
la Convention, l'article 62 qui porte sur le changement fondamental de
circonstances est inséré dans un système d'ensemble. Et ce
système traduit la confirmation de ce que la dénonciation des
conventions internationales par voie unilatérale n'est pas admise du
point de vue juridique, il en est ainsi de la clause rebus qui n'a
d'existence juridique que dans le respect de ce principe. Ainsi on peut
conclure que la clausula a fait l'objet d'un véritable
encadrement par le droit international en ce sens qu'elle est admise à
produire des effets juridiques dans la stricte mesure où elle ne conduit
pas à octroyer un droit de dénonciation unilatérale des
traités dans le chef des États.
Par ailleurs, si l'existence d'un motif juridique de
caducité des traités tenant au changement de circonstances est
bien admise avec certaines régulations lorsque l'on étudie le
droit positif, on peut également avancer que les fluctuations de la
pratique internationale ne sont pas de nature à remettre en cause
fondamentalement le statut juridique de la clausula.
Partie II : Les incertitudes de la pratique
internationale sans incidence sur l'existence du statut juridique de la
clausula.
"Les juristes n'ont cessé de se préoccuper de
la théorie rebus sic stantibus. L'histoire du droit
international et des relations internationales montre que la théorie a
donné lieu à de fréquents abus à des fins
directement contraires à l'essence même de la théorie, en
sorte qu'elle a plutôt encouru le discrédit tant des juristes que
des non-spécialistes. [On] ne doit toutefois pas, pour autant,
écarter ce qui est un élément essentiel du droit des
traités."24(*) On
ne peut que rejoindre cette affirmation lorsque l'on examine l'utilisation dont
la clausula a fait l'objet dans la pratique internationale. Encore
faut-il préciser que, dans notre étude, l'essence même de
la théorie doit être assimilée aux exigences mises en
oeuvre par la Convention, principal instrument de référence.
Alors que le régime juridique de la clausula
est établi et connu, notamment par référence à la
Convention de Vienne de 1969, on pourrait rester dubitatif sur le statut de ce
principe dans l'ordre juridique international tant les États ont eu
tendance à s'en servir à "contre-courant" de son régime
juridique tel que l'admet la Convention ( A ), mais une analyse approfondie de
cette pratique permet d'affirmer que celle-ci n'a aucune incidence fondamentale
sur le caractère de norme de droit positif de la clausula
puisqu'il s'agit precisément d'une simple tendance ( B ).
A. L'incertitude du statut de la clausula entretenue
prima facie par son utilisation incompatible avec le droit positif.
D'un certain point de vue, on pourrait considérer que
la clause rebus est dépourvue d'un statut de norme
internationale de droit positif au soutien de la caducité des
traités si l'on s'attache uniquement à relever une tendance
indéniable de la pratique diplomatique, celle consistant à
utiliser abusivement cette théorie, aboutissant même à y
recourir alors que les règles du droit international, telles que
posées par la Convention, ne le permettent pas. De cette utilisation en
méconnaissance du droit international, tel que posé notamment par
la Convention, on pourrait avancer à première vue que cela rend
incertain la nature de la clause en tant que norme de droit positif.
C'est particulièrement manifeste avec son utilisation
à des cas de figure dans lesquels aucun changement de circonstances
pertinent, au sens de la Convention, n'est intervenu, ou encore avec son
instrumentalisation qui revient à l'assimiler à un droit de
dénonciation unilatérale.
Chapitre 1 : Une utilisation en dépit de l'existence
véritable de changement des circonstances.
Tout d'abord, il est essentiel d'indiquer par avance que si
l'on se réfère expressément à la Convention, c'est
bien parce qu'elle constitue en l'état actuel l'instrument de
référence en ce qui concerne le régime juridique de la
clausula à l'égard des traités internationaux.
L'objection que l'on pourrait se voir opposer ici tient en ce que la Convention
n'a été conclue qu'en 1969, ce qui implique qu'elle ne peut
être pris en compte pour la période qui précède
cette date. Cependant, ce n'est pas sous cet angle que l'on doit
procéder, il s'agit au contraire d'effectuer une analyse
rétrospective, et cela peut se justifier compte tenu du fait que la
Convention est supposée codifier pour l'essentiel le droit des
traités.25(*)
Ainsi, lorsque l'on évoque la Convention, on peut considérer
qu'il s'agit du droit positif dont elle ne fait que certifier l'existence.
Dans cet ordre d'idées, il est question d'identifier
les éléments qui pourraient induire une incertitude quant au
statut de la clause, et à cet effet on peut observer que les
États ont eu tendance à user de la clause en violation de son
régime juridique tel que reconnu par la Convention. Il convient donc de
montrer que certains cas, révélateurs d'une tendance de la
pratique, indiquent un usage de la clause incompatible avec le droit positif,
au vu de la Convention.
À cet égard, on constate notamment
l'utilisation de ce moyen dans des hypothèses où il n'existait
pas de modification pertinente des circonstances de telle sorte qu'elle ne
répondait pas aux conditions fixées par le droit positif tel que
nous le connaissons au vu de la Convention, notamment au regard des exigences
tenant au caractère fondamental du changement et de celles tenant au
lien entre le changement et les circonstances ayant constitué une base
essentielle du consentement des parties. Ainsi, s'il existe de nombreux cas
où une telle utilisation a été opérée par
l'État qui entendait se libérer de ses obligations
conventionnelles, on peut retenir les exemples tout à fait significatifs
que sont les dénonciations du Traité de Paris de 1856 par la
Russie en 1870, et du Traité de Versailles de 1919 par l'Allemagne en
1935 et 1936. Ce n'est sans doute pas sans raison qu'il s'agit des exemples qui
ont fait l'objet de l'examen le plus approfondi des auteurs du droit
international.26(*)
Tout d'abord, on observe que la Russie prétendait se
dégager de certaines obligations découlant du traité de
Paris de 1856, plus précisement à l'égard des dispositions
régissant la démilitarisation de la Mer Noire et l'interdiction
de la construction de fortifications sur ses rivages, et c'est ainsi que par
plusieurs notes adressées aux représentants diplomatiques russes
des États intéressés par ladite convention, elle invoquait
la clausula afin de justifier ses allégations visant à
reconnaître la caducité de ces engagements. Elle a
développé cette argumentation dans la circulaire du Prince
Alexandre Gortchakoff du 31 octobre 1870 et tout au long du déroulement
de la Conférence de Londres de 1871 en précisant la consistance
de ces prétendus changements. Ce sont principalement l'apparition de
l'État roumain et le climat de paix entre tous les participants à
la Conférence qui constituaient, selon elle, des changements de
circonstances entraînant la caducité des obligations en question.
Rappelons que la Convention exige en son article 62 que le
changement de circonstances rapporté ait un caractère fondamental
et qu'il porte sur des circonstances ayant constitué une base
essentielle du consentement des parties, or si l'on peut considérer que
l'apparition de la Roumanie, par la fusion des deux principautés de
cette région en 1859, constitue bien un fait nouveau par rapport
à la situation au moment de la conclusion du Traité de Paris de
1856, celui-ci ne porte pas du tout sur des circonstances ayant
déterminé le consentement des parties au traité. En effet,
les parties se sont engagés par ce traité parce qu'elles
entendaient restreindre la liberté de la Russie en matière
d'action militaire, et l'apparition de la Roumanie n'a aucun impact direct ou
indirect sur ces circonstances initiales.27(*) Quant à l'état de paix existant entre
les participants à la Conférence, la Russie allègue ici un
argument qui ne peut même pas être considéré comme
attestant d'un quelconque changement car, comme le souligne Haraszti, cet
état de fait résulte largement du traité même qui
vise cet objectif.28(*)
Ainsi, on observe que si l'on doit apprécier cette utilisation de la
théorie rebus sic stantibus à la lumière de la
Convention, il apparaît clairement qu'elle contrevient au régime
juridique entourant ce principe, plus precisément aux conditions
encadrant le bien-fondé de ce recours. La Russie a en effet usé
de ce motif alors que les changements de circonstances rapportés par
elle, pour autant qu'il y avait un changement, ne présentaient aucun
lien pertinent et ne modifiaient nullement les circonstances ayant
déterminé le consentement des parties à être
liées par le traité.
Ensuite, s'agissant de l'Allemagne, c'est principalement
à l'encontre du Traité de Versailles de 1919 et des
traités de paix subséquents, tels les accords de Locarno de 1925,
qu'elle a opposé la clausula afin de pouvoir
s'éxonérer des obligations lui incombant. Ainsi, dès mars
1935, l'Allemagne conduite par la politique hitlérienne rétablit
le service militaire national, et surtout remilitarise la Rhénanie
réoccupée en 1936. De tels agissements constituant violation des
traités de paix auxquels l'Allemagne était partie, celle-ci se
prévalait de changements de circonstances en vue de déclarer
caduques les dispositions du Traité de Versailles. Elle
prétendait faire jouer la doctrine de la règle rebus sic
stantibus à l'égard des traités de Versailles et de
Locarno en se réferant au changement de circonstances engendré
par la conclusion d'un pacte d'assistance mutuelle entre l'URSS et la
France.29(*)
Reprenons le raisonnement consistant à confronter la
pratique diplomatique au droit positif, avec la Convention pour instrument de
référence, à cet égard la dénonciation
allemande du Traité de Versailles est encore plus significative de la
méconnaissance par la pratique du régime juridique de la clause.
En effet, le pacte d'assistance mutuelle entre URSS et France n'est pas en soi
une circonstance tout à fait changeante par rapport à
l'époque de la conclusion des traités de paix puisque cet accord
bilatéral a pour objet de consolider le système de
sécurité collective mis en oeuvre depuis lors, et il n'affecte en
rien la viabilité des engagements souscrits par l'Allemagne. Ce pacte
franco-soviétique est un élément éxogène,
tout à fait extérieur à l'Allemagne dont l'obligation
principale consistait à ne pas entreprendre d'action contrevenant
à sa démilitarisation et à la fixation des régimes
territoriaux, notamment en Europe occidentale. Ainsi, il s'ensuit que
l'Allemagne ne pouvait arguer d'un changement fondamental de circonstances dans
la mesure où le changement rapporté n'affectait pas d'une
manière radicale la portée de ses engagements mais aussi et
surtout celui-ci ne pouvait porter sur des circonstances déterminantes
du consentement puisque les Traités de Versailles et de Locarno ont
été conclus pour organiser la paix, suite à la
première guerre mondiale, par un système de
sécurité collective que le pacte d'assistance de 1935 ne faisait
que consolider.
À travers ces deux exemples, c'est bien une tendance
plus générale qui se dégage selon laquelle les
États ont sans doute usé excessivement de la clausula en
ce qu'à plusieurs reprises la situation donnée ne pouvait
justifier le bien-fondé du recours à la clause rebus,
car le droit positif tel que codifié par la Convention ne le permettait
pas. Dès lors, on pourrait penser de ce point de vue que le statut de la
clause est incertain puisqu'il s'avère que son usage par certains
États dans la pratique internationale a pu être incompatible avec
le droit positif, tel qu'il a été codifié par la
Convention. De même, la pratique internationale a entretenu une certaine
indécision sur la qualification de la clause dans la mesure où
certains États l'assimilaient à un droit de dénonciation
unilatérale, et il est vrai que l'on pourrait mettre en doute son statut
tant elle a pu servir de prétexte politique à des
prétentions unilatéralistes de certains États en vue de
faire échec aux prescriptions du droit international et ce, alors
même que le mode de dénonciation des traités est tout
à fait indépendant du motif invoqué.
Chapitre 2 : L'assimilation de la clausula à un
droit de dénonciation unilatérale.
En retraçant la pratique internationale on peut voir
que, dans un sens, les États ont participé à apparenter la
clausula à un instrument d'ordre politique en ce que son
utilisation se confondait à plusieurs reprises avec la
dénonciation unilatérale du traité. Dans l'ordre
international la dénonciation unilatérale est en effet largement
restreinte par le droit positif, et au demeurant, elle porte sur la
procédure de mise en cause du traité tandis que la
clausula ne vise que le fondement causal de mise en cause.
Tout d'abord, on peut rappeler qu'au sein de l'ordre
international le droit positif consacre un principe fondamental
régissant la dénonciation des traités. En effet, il est
genérallement reconnu que les traités internationaux ne peuvent
être dénoncés unilatéralement par un État qui
y est partie. C'est ici un principe qui ressort principalement de la
Déclaration annexée au Traité de Londres de 1871. En vertu
de cette règle, les États ne disposent pas de la faculté
de dénoncer de leur propre chef les engagements auxquels ils se sont
liés par voie conventionnelle avec un ou plusieurs États,
autrement dit un accord entre les parties contractantes est nécessaire
à cet égard. Même la Convention de Vienne sur le droit des
traités reprend ce "schéma" puisqu'elle pose en son article 54
l'idée de ce principe d'exclusion de la voie unilatérale en
l'assortissant de deux exceptions.30(*)
Notons au préalable que la clause rebus n'est
admis par le droit positif comme une cause légale de caducité des
engagements du traité que dans le respect de ce principe de restriction
de la dénonciation unilatérale. C'est ce qui ressort clairement
du système juridique tel que codifié par la Convention.
Pourtant, on observe que certains États ont
usé, de bonne foi ou non, de la théorie rebus sic
stantibus comme d'un droit de dénonciation unilatérale de
leurs engagements conventionnels. On peut le vérifier à plusieurs
reprises dans les exemples fournis par la pratique internationale, retenons
principalement le cas de la dénonciation allemande du traité de
Versailles, et le retrait de la France de l'Organisation du Traité de
l'Atlantique Nord.
On peut distinguer plusieurs types de dénonciation
des engagements conventionnels parmi les États ayant eu recours à
la clausula car s'il existe des dénonciations qui se sont
opérées dans le respect des principes du droit des gens, c'est
à dire par la conclusion d'un accord entre les parties
intéressées ou même de façon unilatérale avec
une simple notification dès lors que les stipulations du traité
en cause prévoient expréssement le droit d'agir ainsi, il existe
également des cas de figure où l'État se considère
fondé à agir unilatéralement en dénonçant le
traité comme caduc ipso facto.
À cet égard, on peut relever que la France a
utilisé la clause rebus sic stantibus dans le sens d'une
dénonciation unilatérale de ses engagements conventionnels, on le
voit à travers un cas d'espèce important à savoir son
retrait du commandement militaire intégré de l'OTAN en 1966. La
France, dans son aide-mémoire du 11 mars 1966, indique qu'en raison des
changements de circonstances intervenus depuis la conclusion du traité
de l'Atlantique nord en 1949, les accords subséquents, et non le
traité de l'Organisation Atlantique lui-même, sont devenus caducs
et ne créent donc plus de force obligatoire à l'égard de
la France.31(*) Quand bien
même supposerions-nous que la France pouvait tout à fait se
prévaloir de changements de circonstances, il apparaît
manifestement que la France a utilisé ce moyen comme lui permettant et
lui ouvrant le droit de recourir à une dénonciation
unilatérale. Elle a en effet annoncé de sa propre initiative et
en ne sollicitant aucune négociation préalable avec les membres
de l'OTAN sa décision visant au retrait du commandement militaire
intégré en se fondant sur la caducité de certains
engagements. D'ailleurs, la France n'entend même pas nier
l'unilatéralisme de sa dénonciation puisqu'elle le souligne
explicitement tout en essayant de justifier une telle action.32(*) On peut donc observer que la
France a méconnu un principe essentiel du droit international en ce
qu'elle a effectué une dénonciation unilatérale des
engagements conventionnels auxquels elle était partie, et elle ne
pouvait se fonder sur une dérogation prévue au traité car
les dispositions de celui-ci excluent la possibilité d'une telle
dénonciation unilatérale.
Quant à l'utilisation de la clause rebus sic
stantibus par l'Allemagne vis à vis des traités de
Versailles et de Locarno, elle témoigne sans doute encore plus nettement
de l'assimilation de la clausula à un droit de
dénonciation unilatérale. En effet, l'Allemagne se
prévalait de la théorie de la clausula pour mettre un
terme à ses engagements et la dénonciation de ceux-ci n'a fait
l'objet d'aucun accord, elle a procédé pour ainsi dire à
une véritable dénonciation unilatérale à la
différence de certains États qui ont certes procédé
de façon unilatérale mais en ayant cherché dans la mesure
du possible des accords préalables ou ultérieurs. Autrement dit,
l'invocation de la clause rebus sic stantibus comme donnant un titre
à dénoncer par voie unilatérale les engagements auxquels
un État est lié juridiquement est une réalité que
l'on retrouve dans la pratique internationale, et l'exemple de l'Allemagne avec
les traités de Versailles et de Locarno en est une illustration
significative.
Il convient d'approfondir le sens et les implications de cet
usage de la clausula qui, parce qu'il tend à se confondre avec
un droit de dénonciation unilatérale, porte atteinte au principe
énoncé dans la Déclaration de Londres de 1871 en vertu
duquel nul ne peut se soustraire à l'application de ses engagements
conventionnels d'une manière unilatérale. L'assimilation ainsi
opérée peut être analysée comme la marque du
caractère politique de la clausula, elle introduit en tout cas
une incertitude, dans la mesure où les États ont pu trouvé
dans ce motif, comme d'ailleurs dans d'autres motifs, la possibilité
d'échapper à la loudeur des exigences tenant à la
dénonciation des traités. Autrement dit, on peut
considérer que son utilisation en guise de droit de dénonciation
unilatérale est de nature à entretenir l'idée que ce motif
revêt une certaine teneur politique, ce qui peut susciter au moins des
incertitudes quant à la véritable nature de cet instrument. Cette
règle de la clausula étant, en effet, utilisée de
telle manière qu'elle méconnaît son propre régime
juridique tel qu'énoncé par la Convention, selon lequel
l'État ne peut se libérer unilatéralement de ses
engagements quand bien même il s'appuierait sur le motif tiré d'un
changement fondamental de circonstances et en prendrait argument pour soutenir
la caducité du traité.
Dès lors, la clausula constitue un motif qui
pourrait être considéré, prima facie, comme
relevant de la simple dialectique politique puisque les États ont eu
tendance à y voir un droit de dénonciation unilatérale, en
méconnaissance de l'ensemble du droit positif.
Dans cet ordre d'idées, l'incertitude liée au
statut de la clause est entretenue par son assimilation à un droit de
dénonciation unilatérale dans la pratique internationale, non
seulement parce que cela n'est pas compatible avec le principe de l'exclusion
de ce mode de dénonciation, mais aussi parce que cela tend à
dénaturer l'objet même de la clausula qui vise le
fondement de la dénonciation et non sa procédure.
Ayant observé que les États ont pu employer le
mécanisme de la clausula afin de dénoncer les
engagements auxquels ils se sont liés et ce, d'une façon
unilatérale, il s'ensuit qu'ils ont considéré de bonne foi
ou non que ce motif leur permettait d'agir ainsi. Or, si la dénonciation
unilatérale est exclue, ou du moins restreinte, par le droit
international, celle-ci est en outre sans lien pertinent avec la règle
de la clausula car l'une vise la procédure de
dénonciation des traités internationaux alors que l'autre vise le
fondement à l'appui duquel ceux-ci peuvent être
dénoncés.33(*)
Cette distinction a son importance dans la mesure où
la confusion opérée entre le motif et le mode de
dénonciation des traités tend à renforcer l'incertitude
que l'on pourrait avoir à l'égard de la clause.
Au vu de la pratique internationale, il existe des cas de
figure particulièrement emblématique de cette confusion dans
laquelle la clausula est assimilée à un droit de
dénonciation unilatérale, tels que le retrait français de
l'OTAN ou bien la dénonciation allemande du traité de Versailles,
et cette logique qui ne distingue pas la cause de la caducité et sa mise
en oeuvre a pu se développer par différents acteurs des relations
internationales. En effet, on peut retenir pour exemple la décision du
tribunal fédéral suisse en 1882 en l'affaire des cantons de
Lucerne et d'Argovie aux termes de laquelle il "ne fait pas de doute que des
traités peuvent être dénoncés unilatéralement
par la partie qui a assumé une obligation" dès lors que sa
dénonciation repose sur une modification des circonstances qui
constituaient une condition tacite de son maintien. Cette solution
prétorienne témoigne de cette logique ignorant la dissociation
nécessaire entre l'existence d'un principe visant la caducité et
son mode opératoire. Une telle confusion se retrouve même au sein
d'une partie de la doctrine avec certains auteurs qui ont
développé l'idée selon laquelle la Déclaration de
Londres de 1871 a pour objet d'exclure la clause rebus du champ des
règles juridiques positives. C'est ici ignorer les termes mêmes de
la Déclaration qui ne mentionne en aucun cas la doctrine de la
clausula et aussi sa signification qui vise clairement l'exclusion, ou
du moins la restriction du droit de dénonciation unilatérale des
traités, lequel est envisagé comme un simple mode
procédural de dénonciation.34(*)
Ces assimilations de la clausula à un droit
de dénonciation unilatérale des traités, notamment par la
pratique internationale, pourraient induire une incertitude sur son statut dans
l'ordre juridique international principalement parce qu'elles portent atteinte
à son régime juridique tel que reconnu par la Convention qui,
rappelons-le exige qu'elle se conforme au principe général
d'exclusion de ce mode de dénonciation. Toutefois, les incertitudes que
l'on peut relever ne sont pas véritablement de nature à remettre
en cause l'existence de ce principe dans le champ des normes de droit positif,
il faut pour cela que l'on comprenne que les doutes que l'on pourrait avoir ne
concerne tout au plus que son applicabilité concrète et non sa
légalité propre.
B. Le statut juridique de la clausula par la
consécration de la tendance restrictive.
Il est vrai que de prime abord, on pourrait
"spéculer" sur le statut de la clause rebus, mais si l'on
analyse le mouvement de la pratique internationale, il apparaît plus
clairement que la clause est bien comprise dans la sphère des
règles juridiques positives. Pour cela, il est essentiel de montrer que
l'utilisation dans la pratique de ce motif en contradiction avec le droit
positif énoncé par la Convention n'a pas tellement d'incidence
car elle ne constitue qu'une simple tendance à laquelle s'est
opposée une autre, et le droit positif a precisément entendu
formaliser l'autre tendance qui encadre la clause par des restrictions. Dans
cet ordre d'idées, on peut aussi relever que la pratique diplomatique
n'a pas remis en cause la validité du principe en tant que norme
juridique positive puisqu'elle a simplement contesté son
applicabilité.
Chapitre 1 : L'existence d'un mouvement de tendances
contradictoires dans la pratique internationale.
Bien qu'il y ait eu une tendance indéniable de
certains États à user de la clause d'une manière non
conforme avec le droit positif, à la lumière de la Convention,
notamment en ce qui concerne les exigences tenant au changement de
circonstances et aux règles de la dénonciation des
traités, elle ne doit pas introduire d'incertitudes outre mesure
puisqu'elle relève d'un mouvement qui opposait plusieurs tendances
contradictoires. En effet, on peut dégager deux tendances principales de
la pratique internationale sur cette question de la clausula, la
première visant à admettre autant que possible son invocation, et
la seconde visant au contraire à la restreindre largement par la
fixation d'un cadre de conditions précises. L'histoire de la pratique
diplomatique est ainsi traversée par ces deux courants et l'on ne peut
rendre compte de la réalité de la clause rebus si cet
aspect important n'est pas envisagé.
S'il y a eu un usage de la clause qui s'est
avéré incompatible avec le droit positif tel que reconnu par la
Convention, c'est precisément parce qu'il s'est développé
une pratique internationale "à deux vitesses", ce qui a d'ailleurs
engendré l'élaboration de l'article 62 de la Convention qui a
pour objet de codifier le régime juridique de la clause. En effet, on
peut observer que pour certains États il apparaissait
nécéssaire de ne pas l'encadrer de conditions, sinon de
l'encadrer par des conditions imprécises leur permettant de s'en servir
autant que possible. C'est dans cette optique que se placent certains
États, par exemple l'Allemagne à l'encontre du Traité de
Versailles, afin de pouvoir l'utiliser de façon optimale. Cette
utilisation que la Convention n'admet pas dans la mesure où elle exige
que certaines conditions précises soient remplies n'est pas
problématique pour le statut de la clause en droit positif, car bien que
reflétant une tendance indéniable et une réalité de
la pratique internationale, elle ne demeure qu'une simple tendance de la
pratique.
En envisageant l'autre tendance de la pratique, il
apparaît que les exemples sont moins nombreux et pour cause, il s'agit
d'une tendance des États à cantonner la clausula dans un
cadre bien défini de conditions restrictives et précises. Cela
implique sans doute qu'ils sont bien plus réticents à l'invoquer
à l'encontre de leurs engagements conventionnels. Toutefois, on remarque
cette tendance surtout par la circonstance que ces États refusaient de
reconnaître le bien-fondé du recours à la clause rebus
lorsqu'il s'agissait de traités auxquels ils étaient
liés, non pas qu'ils en niaient l'existence mais ils en contestaient le
bien-fondé pour l'espèce.35(*) Les raisons pour lesquelles s'est
développée une telle tendance sont multiples et variables selon
les États, du point de vue juridique on peut penser qu'elles tiennent
essentiellement à la volonté de garantir la
sécurité juridique et la stabilité des conventions
internationales.
Il est donc important de retenir que la pratique
internationale se caractérise par des tendances contradictoires, et que
l'une d'entre elles ne peut suffire à rendre compte de la
réalité, on ne peut donc conclure à une incertitude sur le
caractère de norme de droit positif de la clause rebus du seul
fait de l'utilisation incompatible avec son régime juridique tel que le
prévoit la Convention puisque cette utilisation s'inscrit
precisément dans une des tendances de la pratique, qui par ailleurs a
appelé à la codification par la Convention. On peut affirmer que
la clause rebus sic stantibus est tout à fait comprise dans la
sphère des règles de droit international positif, ce que la
pratique internationale, bien que divergente, ne remet pas en cause.
Chapitre 2 : L'existence d'une norme juridique valide
reconnue par la pratique internationale.
Étant donné le mouvement qui a traversé
la pratique internationale mettant en opposition ces deux impulsions, le droit
positif consistait essentiellement à retenir l'une de ces tendances et
à lui donner ainsi une expression dans le corps des règles du
droit international. C'est en ce sens que le droit international a
procédé. Il a en effet progressivement établi les bases
juridiques qui régissent la clausula s'agissant des conditions
de sa mise en jeu et de ses effets à l'égard des traités.
Si la Convention demeure l'instrument de référence principale par
la codification du régime juridique de la clause qu'elle entreprend, la
jurisprudence internationale, principalement celle de la Cour Internationale de
Justice, est aussi une source de référence importante par les
précisions qu'elle y apporte.
À cet égard, il apparaît clairement que le
droit positif a entendu consacrer la clause rebus en
établissant des règles juridiques restrictives, celle-ci
constituant ainsi un titre juridique valable qui peut être invoqué
par les États dans un cadre bien précis. Ceci ayant
été étudié précédemment, on peut
également ajouter que malgré les divergences importantes au sein
de la pratique internationale, celle-ci n'a pas nié l'existence du
statut juridique de la clause, autrement dit elle n'a aucunement
contesté qu'il s'agit d'une cause légale admise de jure
comme un motif de caducité des engagements internationaux.
En effet, il n'est pas fait état dans la pratique
internationale d'une négation pure et simple de son caractère de
norme de droit positif, et c'est ici une observation partagée par de
nombreux auteurs. Il ressort en effet que la clause rebus n'a
été contestée par les États que dans la mesure
où elle s'avérait non fondée au vu de l'espèce.
Pour ainsi dire, ce n'est pas la validité de la clause qui était
niée par les États mais son applicabilité. Or, c'est tout
à fait important de faire cette distinction car cela permet de
comprendre que, contrairement à ce que peuvent laisser supposer les
divergences de la pratique, le statut de la clausula rebus sic
stantibus en tant que norme de droit positif n'est pas remis en cause. Les
États qui refusaient de donner une qualification juridique à la
clause, dès lors qu'elle était utilisée en
méconnaissance de certaines conditions, n'ont pas refusé en cela
de lui reconnaître un statut de norme juridique valide. Ceux-ci ont
simplement mis en avant qu'ils refusaient d'y voir un fondement légal
in concreto.
Afin d'illustrer ces propos le cas du retrait français
de l'OTAN peut nous y aider, ainsi lorsque la France dénonçait
certains engagements au traité de l'Atlantique nord en se fondant sur
des changements de circonstances les ayant rendu caducs, les Etats parties au
traité qui critiquaient ce retrait n'ont pas mis en cause l'existence en
tant que telle d'une norme juridique valable a priori, ils ont
simplement considéré que ce fondement n'était pas
applicable pour la situation d'espèce. Il en est ainsi des Etats-Unis
qui, dans leur réponse au gouvernement français en 1966, s'en
remettent au traité même qui prévoyait des clauses visant
à solliciter une révision rendue nécessaire par un
changement de circonstances.36(*) Même s'ils ne l'expriment pas
littéralement, les Etats-Unis, comme les autres parties au
traité, n'ont pas nié la validité du principe de la
clausula, ils en contestent simplement l'applicabilité pour
l'espèce.
Dans une certaine mesure, on peut avancer que la pratique
internationale n'est pas tout à fait éloignée de ce que le
droit international a formellement reconnu car ils ont ceci en commun qu'ils
admettent in abstracto la validité de la clause rebus
en tant que cause juridique de caducité des traités. En
d'autres termes, l'accession de la clause au rang des règles juridiques
positives est manifeste avec la codification de son régime juridique par
la Convention ainsi que par la jurisprudence internationale, et les
"indécisions" de la pratique internationale ne peuvent
véritablement compromettre cette incorporation dans le champ du droit
international positif dans la mesure où ces divergences de la pratique
ne portent que sur son applicabilité et non pas sur l'existence
même de la clause en tant que norme juridique positive.
CONCLUSION
Cette étude de la clausula rebus sic stantibus
permet de mettre en évidence deux points importants, on peut
observer que ce motif est reconnu dans la sphère des normes de droit
international positif et qu'il constitue un titre juridique tendant à
être encadré. Ainsi, si les instruments internationaux de
référence, essentiellement la Convention de Vienne de 1969
portant codification du droit des traités, reconnaissent l'existence de
ce principe comme motif légal de caducité des engagements du
traité, il s'agit néanmoins d'une norme de droit positif admise
en tant que telle que dans le cadre de certaines conditions. C'est dans cette
optique que sont intervenues les dispositions de l'article 62 de la Convention,
lesquelles ont pour objet d'établir precisément ce en quoi
consistent les exigences qui l'entourent. De même, bien que soient
apparues des divergences dans la pratique diplomatique, celle-ci ne peut
être considérée comme ayant compromis l'existence de ce
principe comme règle juridique positive dans la mesure où, bien
au contraire, elle a non seulement participé à
l'élaboration du cadre juridique de ce principe tel que mis en oeuvre
par la Convention, et n'a en rien réfuté l'idée qu'il
s'agit théoriquement d'une cause légale de caducité des
traités internationaux.
Au vu de ces éléments, on peut affirmer que la
clausula constitue un instrument proprement juridique, invocable
à l'appui de la terminaison des traités, et dont le régime
juridique se caractérise par un certain encadrement.
Si le régime juridique de la clause rebus
s'inscrit dans une logique de restriction, c'est en quelque sorte l'expression
de la prudence du droit positif. Cette prudence, ou les raisons de cette
prudence pourraient faire l'objet de nombreuses spéculations, et le
débat que suscite la clausula mériterait d'être
entretenu sur cette question afin d'appréhender ce sujet sous une autre
perspective que celle, certes importante, du statut de la clause en droit
international positif. Ainsi, comment peut-on analyser les ressorts qui animent
ce mouvement de prudence du droit positif à l'égard de la clause
?
BIBLIOGRAPHIE
I-Documents officiels
Convention sur le Droit des Traités, Vienne, 23 mai
1969, Les grands textes de droit international public, Dalloz,
4ème édition, 880 p.
II-Ouvrages
Jean LECA, Les techniques de révision des conventions
internationales, Librairie Générale de Droit et de
Jurisprudence, 1961, 330 p.
NGUYEN QUOC Dinh, Patrick DAILLIER & Alain PELLET, Droit
international public, L.G.D.J, 4ème édition, 1992, 1269
p.
Serge SUR & Jean COMBACAU, Droit international
public, L.G.D.J, Montchrestien, collection Domat, 6ème
édition, 2004, 809 p.
III-Articles
Francesco CAPOTORTI, « L'extinction et la suspension des
traités », Recueil des cours de l'Académie de droit
international de La Haye, 1971-III, tome 134, pp. 417-587.
György HARASZTI, « Treaties and the fundamental
change of circumstances », R.C.A.D.I, 1975-III, tome 146, pp.
1-93.
Arnold Duncan Mc NAIR, « La terminaison et la dissolution
des traités », R.C.A.D.I, 1928-II, tome 22, pp.
459-538.
Antonio Poch de CAVIEDES, « De la clause "rebus sic
stantibus" à la clause de révision dans les conventions
internationales », R.C.A.D.I, 1966-II, tome 118, pp. 105-208.
Alexandre-Charles KISS, « L'extinction des traités
dans la pratique française », Annuaire Français de Droit
International, 1959, pp. 784-798.
Jean CHARPENTIER, « Organisation de l'Europe. Le retrait
français de l'O.T.A.N », A.F.D.I, 1966, pp. 409-433.
IV-Sites Internet
www.icj-cij.org ( site web de la Cour Internationale de
Justice de l'O.N.U )
- Arrêts et textes officiels sur la jurisprudence de la
Cour
www.un.org/law/ilc ( site web de la Commission du Droit
International de l'O.N.U )
- Reports of the Special Rapporteur
- Reports of the International Law Commission
www.ena.lu ( site web de l'European Navigator )
- Aide-mémoire du gouvernement français aux
quatorze représentants des gouvernements membres de l'O.T.A.N (11 mars
1966)
- Réponse du gouvernement américain à
l'aide-mémoire français du 29 mars (12 avril 1966)
TABLE DES MATIÈRES
Introduction..................................................................................................................................Page
1
Partie I : La reconnaissance de la clausula comme
cause juridique de la caducité des traités....Page 5
A. La consécration du principe de la clausula
sur la base de conditions importantes.................Page 5
Chapitre 1 : La validité du principe soumise à
des exigences conditionnelles tenant au changement de
circonstances...........................................................................................................................Page
5
Chapitre 2 : L'encadrement du pouvoir d'appréciation du
bien-fondé du recours à la clausula..Page 8
B. La consécration du principe de la clausula
par l'encadrement de ses effets juridiques........Page 10
Chapitre 1 : La fonction préeminente d'abrogation des
engagements internationaux...............Page 10
Chapitre 2 : Les effets juridiques de la clausula
soumis aux principes de la dénonciation des
traités..........................................................................................................................................Page
13
Partie II : Les incertitudes de la pratique internationale
sans incidence sur l'existence du statut juridique de la
clausula..............................................................................................................Page
15
A. L'incertitude du statut de la clausula entretenue
prima facie par son utilisation incompatible avec le droit
positif.............................................................................................................................Page
15
Chapitre 1 : Une utilisation en dépit de l'existence
véritable de changement des
circonstances..............................................................................................................................Page
16
Chapitre 2 : L'assimilation de la clausula à
un droit de dénonciation unilatérale.....................Page
19
B. Le statut juridique de la clausula par la
consécration de la tendance restrictive..................Page 23
Chapitre 1 : L'existence d'un mouvement de tendances
contradictoires dans la pratique
internationale.............................................................................................................................Page
23
Chapitre 2 : L'existence d'une norme juridique valide reconnue
par la pratique
internationale.............................................................................................................................Page
24
Conclusion.................................................................................................................................Page
27
Bibliographie.............................................................................................................................Page
28
* 1 Certains auteurs ont effectivement
relevé que cette question prenait une place importante, excessive pour
d'autres, dans la littérature du droit international, cf. Jean LECA,
Les techniques de révision des conventions internationales,
L.G.D.J, 1961, pp. 295-296.
* 2 Jean LECA, op. cit, p.
297.
* 3 La compensation s'explique par le
caractère spécifique du contrat administratif, cadre juridique
d'une mission de service public, on ne peut vraiment le soumettre au
règime commun de l'extinction des contrats.
* 4 Tel que codifié par l'article
26 de la CVDT : "Tout traité en vigueur lie les parties et doit
être exécuté par elles de bonne foi".
* 5 La CVDT joue ici un rôle
important qu'il faut prendre en compte puisqu'elle est en quelque sorte
l'instrument de référence de premier ordre en la matière,
notamment l'article 62 qui codifie l'état du droit en ce sens. Elle joue
un rôle d'autant plus important qu'elle se situe "à la
croisée" de la pratique et de la jurisprudence internationale dans la
mesure où elle intervient pour remédier aux "flottements" du fait
diplomatique, et la jurisprudence de la CIJ lui a consolidé sa place
dans l'ordre international en y apportant des précisions.
* 6 Les tendances de la pratique
diplomatique seront ainsi dépeintes par des exemples significatifs.
* 7 On vise ici les principales
références juridiques internationales, ce sont tant les
instruments conventionnels que la jurisprudence internationale. Plus
precisément, on retiendra surtout la CVDT ainsi que la jurisprudence de
la CIJ.
* 8 On peut dire qu'elle refléte
l'état du droit en la matière dans la mesure où elle est
supposée codifier le règime juridique de la clause rebus
applicable aux traités entre États. Si de nombreux États
n'y sont pas parties, il n'en demeure pas moins que celle-ci est en vigueur
dans l'ordre international.
* 9 "Ce principe et les conditions et
exceptions auxquelles il est soumis ont été énoncés
à l'article 62 de la convention de Vienne sur le droit des
traités qui peut, à bien des égards, être
considéré comme une codification du droit coutumier existant en
ce qui concerne la cessation des relations conventionnelles en raison du
changement de circonstances.", Compétence en matière de
pêcheries ( Royaume-Uni c. Islande ), compétence de la Cour,
arrêt, C.I.J, 1973, considérant 36.
* 10 Selon la Cour les termes de
l'article 62 précité expriment l'idée que "la
stabilité des relations conventionnelles exige que le moyen tiré
d'un changement fondamental de circonstances ne trouve à s'appliquer que
dans des cas exceptionnels.", Projet Gabèíkovo-Nagymaros
(Hongrie/Slovaquie), arrêt, C.I.J, 1997, considérant 104.
* 11 Compétence en
matière de pêcheries, ibidem, considérant
40.
* 12 Projet
Gabèíkovo-Nagymaros, ibid, considérant
104.
* 13 Ceci excluant
nécessairement toute idée de faculté
discrétionnaire, c'est à dire d'un motif dont les critères
permettant ou non son invocation seraient inexistants, faisant de l'État
seul juge souverain du bien-fondé de ce recours.
* 14 La formule exacte qu'elle emploie
étant : "Il doit avoir rendu plus lourdes ces obligations, de sorte que
leur exécution devienne essentiellement différente de celle
à laquelle on s'était engagé primitivement".
* 15 Le raisonnement de la Cour indique
que cette condition doit s'apprécier objectivement, c'est à dire
que les circonstances doivent avoir été une base essentielle du
consentement non comme mobile subjectif mais comme facteur manifeste. Cela
participe à restreindre le pouvoir d'appréciation de
l'État qui s'en prévaut, il doit pouvoir justifier de cette
condition pour recourir valablement au mécanisme de la
clausula.
* 16 György HARASZTI, "Treaties
and the fundamental change of circumstances", R.C.A.D.I, 1975 (III),
pp. 75-78.
* 17 Document A/CN.4/173,
telechargé du site Internet de la Commission du Droit International,
1964, p. 204, paragraphe 3.
* 18 Ces règles
coutumières qui régissent l'abrogation des traités,
notamment sur la pertinence d'une abrogation totale ou partielle, d'une
abrogation définitive ou temporaire, sont codifiées dans une
large mesure par la Convention.
* 19 On peut se référer
aux articles 39 à 41 de la Convention.
* 20 G. Haraszti, ibid., p.
78.
* 21 La Déclaration de Londres
de 1871 estime que "c'est un principe essentiel du droit des gens qu'aucune
puissance ne peut se délier des engagements d'un traité, ni en
modifier les stipulations, qu'à la suite d'un assentiment des parties
contractantes, au moyen d'un accord amiable".
* 22 Cf. J. Leca, op. cit, p.
299.
* 23 On doit compléter cette
disposition avec l'article 56 de la Convention, lequel précise que la
dénonciation unilatérale est possible dès lors qu'il est
établi que l'on peut déduire ce droit de l'intention des parties
ou de la nature du traité. Il est vrai que cette précision est
supposée apporter un aménagement à l'exclusion de principe
de la dénonciation unilatérale des conventions internationales,
mais on peut émettre quelques doutes sur sa véritable
efficacité car des critères ou des indices objectifs seraient
nécessaires pour comprendre sa mise en oeuvre effective.
* 24 Document A/CN.4/SR.694,
telechargé du site Internet de la Commission du Droit International ,
694è séance, p. 152, paragraphe 40.
* 25 Une telle démarche n'est
pas très éloignée de celle entreprise par certains
auteurs, notamment par Haraszti, qui considèrent que la CVDT n'est pas
un instrument qu'il faut apprécier exclusivement ad futurum. Ce
qu'elle codifie à l'égard de la clausula est tenu pour
règime juridique préexistant. Dans une certaine mesure, cela
implique que l'on admette d'y voir une règle juridique objective.
* 26 Ces deux cas de figure ont eu,
pour des raisons différentes, un impact important sur le
développement du droit international. En effet, la dénonciation
russe a été à l'origine de la déclaration de la
Conférence de Londres de 1871, laquelle est considérée
comme l'affirmation d'un principe essentiel du droit des gens, et s'agissant de
la dénonciation allemande, elle esquisse en quelque sorte les
prémices de la seconde guerre mondiale.
* 27 L'obligation principale tenant au
respect de la neutralisation de la Mer Noire a été consentie
essentiellement pour mettre un terme à la guerre de Crimée,
dès lors l'apparition de la Roumanie n'est pas un changement pertinent
en ce que le consentement des parties n'était en rien lié
à l'existence ou non de la Roumanie.
* 28 G. Haraszti, ibid, p.
17.
* 29 On vise ici le traité
franco-soviétique d'assistance mutuelle du 2 mai 1935.
* 30 S'agissant des exceptions au
principe, on fait référence à l'article 56 de la CVDT.
* 31 Cf. l'aide-mémoire du
gouvernement français du 11 mars 1966, site Internet de l'European
Navigator : www.ena.lu
* 32 Dans l'aide-mémoire
précité : "Sans doute aurait-on pu concevoir qu'une
négociation s'engageât pour modifier d'un commun accord les
dispositions en vigueur. Le gouvernement français aurait
été heureux de la proposer, s'il avait eu des raisons de penser
qu'elle pût conduire au résultat qu'il a lui-même en vue.
Tout montre malheureusement qu'une telle entreprise serait vouée
à l'échec, les partenaires de la France paraissant être, ou
s'affirmant, tous partisans du maintien du « statu quo »,
sinon du renforcement de tout ce qui, du point de vue français,
paraît désormais inacceptable. Dès lors la France est
conduite à tirer, en ce qui la concerne, les conséquences de la
situation, c'est-à-dire à prendre pour elle-même les
mesures qui lui paraissent s'imposer, et qui ne sont à son sens
nullement incompatibles avec sa participation à l'alliance, non plus
qu'avec sa participation, le cas échéant, à des
opérations militaires aux côtés de ses alliés."
* 33 Le principe substantiel de la
clausula vise le fondement causal de la dénonciation des
engagements, et leur dénonciation unilatérale ne porte que sur la
modalité de mise en oeuvre de ce principe.
* 34 Jean Leca, op. cit, pp.
242-243.
* 35 Alexandre-Charles Kiss,
L'extinction des traités dans la pratique française,
A.F.D.I, 1959, pp. 793-794 ; J. Leca, op. cit, p. 241.
* 36 L'article 12 du traité
prévoit qu'après une période de 10 ans suivant sa mise en
vigueur, ce traité peut faire l'objet d'une révision sur le motif
d'un changement de circonstances. C'est en cela que "le gouvenement des
Etats-Unis ne saisit pas les raisons qui ont conduit le gouvernement
français à conclure [...] qu'il est impossible d'amender les
arrangements de l'OTAN et qu'il doit agir unilatéralement." On peut se
reporter à la réponse du gouvernement américain du 12
avril 1966 à l'aide-mémoire français du 29 mars 1966, site
Internet de l'European Navigator précité.
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