WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Le droit international à l'épreuve de l'emploi d'armes nucléaires aux termes de l'avis consultatif de la Cour internationale de Justice du 8 juillet 1996

( Télécharger le fichier original )
par Sylvain-Patrick LUMU MBAYA
Université de Kinshasa - Licence en droit-Avocat au Barreau de Kinshasa/Matete et Assistant à la Faculté de droit de l'UNIKIN 2004
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

SECTION I. LA NATURE DU DROIT DE LÉGITIMÉ DÉFENSE

§1. Les positions contradictoires des Etats

Une divergence de fond apparaissait à propos de la nature du droit de la légitime défense entre les partisans de la licéité et les tenants de l'illicéité. S'agit-il d'un droit inhérent ou un droit conféré à l'existence de l'Etat ?

I. Les assertions des partisans de la licéité

1. Les assertions des tenants de l'illicéité

Droit naturel ou inhérent, la légitime défense est, pour les partisans de la licéité, un droit profondément lié à l'existence et à la survie même de l'Etat. Elle est un droit naturel non seulement par son appartenance à un droit coutumier préexistant, mais aussi et surtout par sa nature indispensable à la conservation même de l'Etat en tant que sujet du droit international ; c'est un droit qui est né avec le sujet de droit, il évolue avec ce sujet et s'éteint quand ce sujet cesse d'exister. Son « arône irréductive est, pour tout système juridique, même parmi les plus institutionnalisés, une espèce de réflexe biologique de tout sujet de droit pour l'autoconservation » (193(*)).

L'existence formelle du droit de légitime défense comme le droit coutumier préexistant la Charte des Nations Unies, confirme, à en croire ces Etats, ou du moins ne saurait contredire, le caractère inhérent du droit de la légitime défense à l'existence même de l'Etat.

Une telle vision du droit de légitime de défense permet à ces Etats d'affirmer avec vigueur que « ni le droit coutumier applicable à la légitime défense individuelle et collective, ni l'article 51 de la Charte ne réglementent, ni ne limitent les moyens militaires par lesquels un Etat peut exercer son droit naturel de légitime défense » (194(*)).

En d'autres termes, la spécificité de l'arme nucléaire ne saurait impliquer la moindre exception ou limitation au droit de légitime défense de par les limitations classiques de l'exercice de ce droit. Dès lors que l'ensemble des conditions de l'exercice du droit de légitime défense sont réunies, l'Etat agressé sera en mesure de se défendre légitimement.

Dans une telle circonstance, si l'emploi de l'arme nucléaire s'impose pour une raison ou pour une autre, l'Etat victime, possesseur de cette arme, ne saurait ne pas en faire usage sous peine d'annihilation complète (195(*)). Pour ces Etats, les limitations introduites par le droit international à l'exercice du droit de légitime défense sont évaluées ou doivent l'être par rapport aux circonstances de chaque cas espèce. Dans les cas d'attaques nucléaires qui mettent en danger la survie même de l'Etat victime, les limitations au droit de défense légitime ne sauraient empêcher ce dernier d'employer l'arme nucléaire pour mieux défendre sa survie.

2. Le point de vue des tenants de l'illicéité

En effet, le droit de légitime défense est pour les uns un privilège (196(*)) et pour les autres une exception (197(*)) à la règle générale de l'interdiction du recours à la force. L'exercice de la légitime défense concédé par le droit à l'Etat, bien qu'indispensable, devient de plus en plus limité au fur et à mesure que les réflexes institutionnels du système (international) se perfectionnent (198(*)).

Si le droit de légitime défense est dans une certaine mesure inhérent à l'existence même de l'Etat, les limitations à l'exercice de ce droit sont, en quelque sorte inhérentes à l'existence même de cette « compétence » (199(*)) telle qu'elle est appréhendée et conférée par le droit. En d'autres termes, il ne peut y avoir de légitime défense quand son exercice n'est pas conforme aux exigences de limitation requise par le droit.

L'exercice du droit de légitime défense dérape vers l'abus quand il existe chez l'Etat victime une intention de punir et non seulement de se défendre, ou quand il dépasse le but social du droit de légitime défense pour devenir par son étendue disproportionnée l'instrument d'une véritable agression. Un tel raisonnement permet aux défenseurs de l'illicéité de négliger pour quelque temps les « instincts naturels à la défense » qui, on l'a vu, peuvent pousser à la dérive en théorie et à l'apocalypse en pratique, pour mettre plutôt l'accent sur la nécessité d'évaluer la légitimité de n'importe quel exercice du droit de légitime défense à la lumière des limitations prévues en droit.

Avec l'arme nucléaire, pourrait-on dire, l'exercice du droit de légitime défense ne peut être qu'illégitime : « l'engrenage de la terreur et de l'escalade » (200(*)) propre à tout emploi de l'arme nucléaire, même en légitime défense fera de la défense une source de pure agression qui serait dirigée non seulement contre l'éventuel agresseur, mais contre l'humanité toute entière. L'emploi de l'arme nucléaire, à n'importe quelle échelle dans le contexte de la légitime défense ne peut être qu'interdit pour cause d'abus. Pour toutes ces raisons, il eût fallu que la Cour déclarât en termes dénués d'ambiguïtés, que l'emploi de l'arme nucléaire en légitime défense ne peut qu'amener ce droit vers la dérive.

§2. Le traitement de la Cour

Quand il devient concevable que la survie même d'un Etat peut être menacée, non pas dans un sens politique mais plutôt dans le sens d'une véritable extinction de toute une population, de tout un environnement, de toute vie, la Cour semble curieusement se rallier à une conception de la légitime défense qui la comprend comme « relevant d'un réflexe instinctif pour défendre la survie menacée »(201(*)). La Cour n'a-t-elle pas déclaré notamment qu'elle « ne saurait au demeurant perdre de vue le droit fondamental qu'a tout Etat à la survie ; et donc de recourir à la légitime défense, conformément à l'article 51 de la Charte  lorsque cette survie est en cause » (202(*)).

Bien que la Cour ne donne pas davantage de précision sur la situation extrême dans laquelle la survie de l'Etat est en cause(203(*)), elle introduit tout de suite le problème de l'emploi de l'arme nucléaire pour la défense de la survie de l'Etat agressé.

Toutefois, la Cour ne trouve pas de réponse. Elle constate notamment qu'elle « ne saurait conclure de façon définitive à la licéité ou à l'illicéité de l'emploi d'armes nucléaires par un Etat dans une circonstance de légitime défense dans laquelle sa survie même serait en cause ».

La Cour prononce ainsi un non liquet qu'il fallait éviter car, estime Christakis et Lafranchi, « il n'y a(vait) pas lieu de prétendre qu'il n'existait pas dans (le cas) d'espèce, une lacune du droit susceptible de donner lieu à un non liquet »(204(*)).

Le « non - avis »(205(*)) prononcé par la Cour, pour reprendre la formule d'Eric David, - qui fut pour elle une « issue » selon le terme de Paul Reuter(206(*)) - n'a pas épargné la doctrine d'en formuler divers commentaires dans les sens différents.

§3. Commentaires de la doctrine

En effet, la Cour se trouve en désarroi devant le paradoxe que provoque l'emploi de l'arme nucléaire en droit international. Si la survie de l'Etat est en cause, la survie de l'humanité tout entière l'est aussi avec l'emploi de l'arme nucléaire. La Cour ne pouvait priver un Etat de son droit de défendre sa survie même par l'emploi de l'arme nucléaire au nom de la survie de l'humanité tout entière sous peine d'apparaître trop utopique(207(*)). Christakis et Lafranchi regrettent que la Cour « par sa conclusion finale et ses théories sur la survie de l'Etat  ait cru indispensable de rendre à l'égocentrisme blessé d'un volontarisme oligarchique sa gloire perdue, en insinuant...que le salut de la nation  (de certaines nations) est la valeur suprême et que dans le conflit entre l'Etat et humanité, le premier triomphe »(208(*)).

Le non liquet paraît constituer, pour la Cour, une solution de facilité, un refuge quasi politique (209(*)) pour échapper à des affirmations absolues qui peuvent être la source de beaucoup de contradictions (210(*)).

Bien que critiquée par quelques juges (211(*)), la réponse de la Cour a laissé, en quelque sorte, la voie libre aux membres de la Cour pour avancer les interprétations les plus variées.

Quelques uns ont vu dans l'hésitation non résolue un aval aux Etats possesseurs de l'arme nucléaire de « recourir à la menace ou à l'emploi des armes nucléaires dans une circonstance extrême de légitime défense dans laquelle la survie même d'un Etat serait en cause »(212(*)).

Pour ceux des membres de la Cour, défenseurs de l'illicéité de l'emploi de l'arme nucléaire, leurs critiques sur l'indécision de la Cour étaient inspirées par deux tendances opposées. La première acceptait comme proposition de base l'idée que le droit de légitime défense est inhérent à l'existence même de l'Etat(213(*)). Néanmoins, ce qui était pour eux moins acceptable ce sont les conséquences fâcheuses qu'une telle proposition peut entraîner dans le cas de l'emploi de l'arme nucléaire par un Etat possesseur. Il leur semblait presque inadmissible que le droit, qui tente de limiter la possession de l'arme nucléaire à une poignée d'Etats en vue de négocier son ultime élimination, autorise l'emploi de cette arme par les Etats qui la possèdent si ceux-ci se sentent menacés et en prohibe l'emploi par les Etats qui ne possèdent point par la simple interdiction de la possession (214(*)).

Pour ces juges, la Cour n'avait pas pu affirmer par son indécision une telle injustice. Le vide constaté ne saurait nullement être interprétée comme confirmant une telle inégalité, car si tel est le cas, les effets dommageables sur le régime de la non-prolifération et sur les négociations pour un désarmement nucléaire se feront particulièrement sentir d'autant plus qu'une telle affirmation de la part de la Cour justifie l'emploi de l'arme nucléaire même par les Etats qui sont au seuil de la possession(215(*)), alors que tous leurs programmes de possession sont d'emblée contestés.

Une deuxième tendance parmi les membres de la Cour considère le droit de légitime défense comme une compétence conférée par le droit international. Ils se donnent même le temps d'évaluer la légalité de l'exercice de la légitime défense, dans les situations extrêmes où le temps s'accélère brusquement pour aboutir à sa fin ; et, tentent de comparer l'intérêt individuel de chaque Etat de se défendre contre une agression qui met en danger sa survie même et l'intérêt général de l'humanité tout entière à la survie (216(*)), qui sera mis en danger par l'escalade de l'emploi de l'arme nucléaire.

La proposition de base qui semble inspirer un tel raisonnement se fonde sur l'idée que c'est dans la riposte de l'Etat agressé par des armes nucléaires que réside à la fois des éléments qui servent à déclencher une escalade nucléaire, et des éléments qui servent à la maîtriser et à l'éviter. En effet, c'est la riposte nucléaire et non l'attaque initiale de même nature qui déclenche l'escalade nucléaire. Si l'agresseur sort de sa rationalité et utilise en agression armée des armes nucléaires, toutes les possibilités sont encore ouvertes pour que l'Etat agressé préserve sa propre rationalité en ne ripostant pas avec l'emploi des armes nucléaires. A ce moment, l'agression se révélerait en quelque sorte isolée, et particulièrement condamnable. Une escalade vers une guerre nucléaire serait même évitée de justesse.

Et « c'est justement si un Etat souhaite survivre, qu'il ferait mieux de ne pas recourir aux armes nucléaires !»(217(*)).

* 193 SAYED (Abdulhay), op.cit, p.124

* 194 France (AG), p.28 dont le point de vue a été récupéré plus tard par le juge Guillaume dans son opinion individuelle.

* 195 CASSESE (Antonie), Violence and Law in the Modern Age, Princeton, 1989, p.48

* 196 Voir WEIL (Prosper), « Le droit internationale en quête de son identité, Cours générale de droit international public », vol 237, Recueil des cours, La Haye, 1992- VI, p. 62 ; BOWETT (D.W), Self défense in international law, Manchester, 1958. p . 269 ; voir la critique de SCELLE (George), Manuel de droit international public, éd. Domat-Montchrétien, 1948, p.119, voir aussi BRIELY (J.L), The law of Nations ; An Antroduction to The International Law of Peace, Sir Humprey Waldock, 6 éd, Oxford, 1963, p. 51.

* 197 COMBACAU (Jean), « The Exception of Self - Defence in UN practice », The Current Legal Regulation of the Use of Force; Cassese (A) éd., Nijhoff, 1986, pp. 9 - 38, p. 9 ; GUGGENHEIM (Paul), Traité de droit international public, avec mention de la pratique internationale et Suisse, Tome II, 2° éd. Librairie de l'Université, 1967, p. 59.

* 198 Voir par exemple le point de vue de DELIVANIS sur la légitime défense. Il déclare notamment : « cette mesure de police supplétive vise à assurer une quasi perfectibilité de la sécurité collective au sein d'une société donnée. Elle permet que les violations du droit entraînant recours à la force, puissent être contrées par les victimes, en attendant l'intervention des organes compétents mais provisoirement défaillants de l'ordre envisagé. La légitime défense constitue dans toute société, qu'elle soit nationale ou internationale, une compétence de substitution provisoire à ses membres pour se protéger contre un délit commis par un tiers. Elle s'appliquera donc uniquement si les organes compétents de la société ne sont pas à même d'intervenir au moment où l'illégalité se produit ».Voir DELIVANIS (Jean), La légitime défense en droit international public moderne (le droit international face à ses limites), Paris, LGDJ, 1971, p. 42.

* 199 Le droit de légitime défense est pour George SCELLE «  une compétence nécessaire de substitution ». Voir SCELLE (Georges), Manuel de droit international public, éd Domat-Montchrétien, 1948, p. 896.

* 200 La formule est empruntée de la déclaration du président Bedjaoui, CIJ, Recueil, 1996, p.270

* 201 CHRISTAKIS (Théodore) & LAFRANCHI (Marie - Pierre), op.cit., p.110.

* 202 CIJ, Licéité de la menace ou de l'emploi d'armes nucléaires, avis consultatif du 8 juillet 1996, par.96

* 203 MATHESON (Michael J.), « The Opinion of the International Court of Justice on the Threat or Use of Nuclear Weapons», AJIL 91 (1997), pp.417-435.

* 204 CHRISTAKIS (Théodore) & LAFRANCHI (Marie-Pierre), op.cit., p.109.

* 205 DAVID (Eric), op.cit. p.34.

* 206 REUTER (Paul), Droit international public, 5ème, PUF, Thémis, Paris, 1976, pp.49-52.

* 207 CHRISTAKIS (Théodore) & LAFRANCHI (Marie-Pierre), op.cit., p.53.

* 208Christakis (Théodore) et Lafranchi (Marie-Pierre), op cit, p.53

* 209 Opinion dissidente du juge Schwebel, pp.8-9, voir la critique de KOHEN, Marcelo G., op.cit., p.349.

* 210 MATHESON, Michael J., op.cit. p.421.

* 211 Voir opinion dissidente du juge Schwebel, CIJ, Recueil 1996, pp 319-320 ; Déclaration du juge HIGGINS, CIJ, Recueil 1996, pp 589-590 ; voir aussi KOHEN (Marcelo G.), op.cit., pp.346-348.

* 212 Opinion individuelle du juge Guillaume, CIJ, Recueil 1996, p.592. ; voir aussi l'opinion dissidente du juge Schwebel, CIJ , Recueil 1996 p310 ; voir aussi MATHESON (Michael J.), op.cit., p.431.

* 213 Voir par exemple l'opinion du juge Weeramantry, Recueil 1996 p.488 ; voir aussi CONDORELLI (Luigi), op.cit., p.20.

* 214 Opinion dissidente du juge Weeramantry, CIJ, Recueil, p.498.

* 215 Voir opinion dissidente du juge Shahabudden, CIJ, Recueil 1996, p.420

* 216 Voir par exemple la Déclaration du Président Bedjaoui, CIJ, Recueil 1996, p.268-274 ; voir aussi l'opinion dissidente du juge Koroma, CIJ, Recueil 1996, p. 556-582

* 217 Voir MOHER (Manfred), « Avis Consultatif de la Cour internationale de Justice sur la licéité de l'emploi d'armes nucléaires - quelques réflexions sur ses points forts et ses points faibles », in RICR, n°823, janvier-février 1997, pp.99-109

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Le doute est le commencement de la sagesse"   Aristote