2 Rien que la vérité ou toute la
vérité ?
Le débat que le journaliste mène avec sa
conscience est âpre, et multiple, d'autant plus que son métier est
plus flou, et doté de moins de règles, et pourvu d'une
déontologie plus flottante que beaucoup d'autres.
En apparence, l'objectif est clair, autant que le serment
d'Hippocrate : dire la vérité, rien que la vérité,
toute la vérité, comme le témoin devant le tribunal. Mais
à ce témoin, le président du jury ne demande que la
vérité qui lui a été humainement perceptible, celle
qu'il a pu appréhender en un certain lieu, à une certaine heure,
relativement à certaines personnes. Au journaliste est demandée
une vérité plus ample, complexe, démultipliée.
En rentrant de déportation, Léon Blum, qui avait
été longtemps journaliste, déclarait devant ses camarades
qu'il savait désormais que la règle d'or de ce métier
n'était pas « de ne dire que la vérité, ce qui est
simple, mais de dire toute la vérité, ce qui est bien plus
difficile ».
Mais qu'est-ce que « toute la vérité »,
dans la mesure d'ailleurs où il est possible de définir «
rien que la vérité »?
L'interrogation du journaliste ne porte pas seulement sur la part
de vérité qui lui est accessible, mais aussi sur les
méthodes pour y parvenir, et sur la divulgation qui peut être
faite.
Le journalisme dit « d'investigation » est à
l'ordre du jour. Il est entendu aujourd'hui que tous les coups sont permis. Le
traitement par deux grands journalistes du Washington Post de l'affaire du
Watergate a donné ses lettres de noblesse à un type
d'enquête comparable à celle que pratiquent la police et les
services spéciaux à l'encontre des terroristes ou des trafiquants
de drogue.
Mais c'est la pratique de la rétention de l'information
qui défie le plus rudement la conscience de l'informateur professionnel.
Pour en avoir usé (et l'avoir reconnu...) à propos des guerres
d'Algérie et du Vietnam, pour avoir cru pouvoir tracer une
frontière entre le communicable et l'indicible, pour m'être
érigé en gardien « d'intérêts supérieurs
» à l'information, ceux des causes tenues pour « justes
»,
Connaissant ces règles, le journaliste constatera que son
problème majeur n'a pas trait à l'acquisition mais à la
diffusion de sa part de vérité, dans ce rapport à
établir entre ce qu'il ingurgite de la meilleure foi du monde, où
abondent les scories et les faux-semblants, et ce qu'il régurgite. La
frontière, entre les deux, est insaisissable, et mouvante. Le filtre, de
ceci à cela, est sa conscience, seule.
Charte des devoirs professionnels des journalistes
français
(juillet 1918, révisée en 1939)
Un journaliste, digne de ce nom
- prend la responsabilité de tous ses écrits,
même anonymes ; - tient la calomnie, les accusations sans preuves,
l'altération des documents, la déformation des faits, le mensonge
pour les plus graves fautes professionnelles ; - ne reconnaît que la
juridiction de ses pairs, souveraine en matière d'honneur professionnel
; - n'accepte que des missions compatibles avec la dignité
professionnelle ; - s'interdit d'invoquer un titre ou une qualité
imaginaires, d'user de moyens déloyaux pour obtenir une information ou
surprendre la bonne foi de quiconque ; - ne touche pas d'argent dans un
service public ou une entreprise privée où sa qualité de
journaliste, ses influences, ses relations seraient susceptibles d'être
exploitées ; - ne signe pas de son nom des articles de
réclame commerciale ou financière ; - ne commet aucun
plagiat, cite les confrères dont il reproduit un texte quelconque ;
- ne sollicite pas la place d'un confrère, ni ne provoque son renvoi
en offrant de travailler à des conditions inférieures ; -
garde le secret professionnel ; - n'use pas de la liberté de la
presse dans une intention intéressée ; - revendique la
liberté de publier honnêtement ses informations ; - tient le
scrupule et le souci de la justice pour des règles premières ;
- ne confond pas son rôle avec celui du policier.
|