Introduction
« Les relations de l'homme à l'oeuvre
d'art ne sont pas de l'ordre du désir. Il la laisse exister pour
elle-même, librement, en face de lui, il la considère, sans la
désirer, comme un objet qui ne concerne que le côté
théorique de l'esprit. C'est pourquoi l'oeuvre d'art, tout en ayant une
existence sensible, n'a pas besoin d'avoir une réalité
tangiblement concrète ni d'être effectivement
vivante ».
Esthétique Hegel
A la fin du XXe siècle, apparaît progressivement
au public une forme de création artistique singulière,
renouvelant les outils et les finalités esthétiques et perturbant
fortement notre philosophie collective de l'art. Il s'agit d'un courant qui
utilise les sciences, l'ordinateur, Internet et plus largement les nouvelles
technologies numériques comme pinceaux et comme toiles, comme outils et
comme support : l'art dit numérique. Loin de l'essence divine que
lui conférait Platon ou de l'objet de contemplation qu'évoquait
Hegel, l'oeuvre d'art numérique n'est autre qu'une composition de pixels
sur ordinateur, produit de la collaboration complexe entre artistes,
ingénieurs, programmeurs et scientifiques. La mythologie romantique de
l'artiste solitaire habité par les muses, de la création
immédiate et de l'oeuvre achevée semble se transformer en une
esthétique technicienne de création numérisée et
d'une oeuvre inachevée et éphémère.
L'ART NUMERIQUE ET LES PUBLICS : DELIMITATION DU DOMAINE
D'ETUDE
En effet, depuis les années soixante, les artistes se
sont emparés des ordinateurs et des nouvelles technologies comme outils
de recherche esthétique, de création et comme médiums
d'exposition. Le numérique est devenu ainsi non seulement un support de
médiation de l'art mais aussi un médium artistique en soi. Cette
forme artistique, qui est l'objet de plus en plus d'événements
culturels et que de multiples penseurs tentent aujourd'hui de théoriser,
interroge de manière parallèle les pensées de l'art et de
la communication en renouvelant l'esthétique de la création, de
la médiation de l'art, de sa réception et en inaugurant le
concept d' « esthétique de la communication ».
Ces concepts ne peuvent être réellement définis, dans toute
leur complexité et leur actualité, qu'au fur et à mesure
de notre étude. Cependant, il convient ici de délimiter et de
questionner notre champ d'étude.
De nombreux discours théoriques, artistiques et
communicationnels contribuent à la création d'une mythologie
autour de l'aspect positivement ou scandaleusement révolutionnaire de
l'apparition de cet art, comme cela avait été également le
cas au sujet de l'art moderne. Comment l'outil informatique pourrait-il
produire de l'art ? Comment pourrait-on considérer un ensemble de
données programmatiques et mathématiques comme la
réalisation d'un concept subjectif, et esthétique ? Sur le
plan du processus créatif, de nombreux changements sont relevés,
et présentés comme « bouleversements
radicaux ». L'oeuvre d'art n'est plus définie uniquement par
la singularité du geste, par le coup de crayon ou la plume de son
auteur. Elle ne se définit plus par son créateur unique, par son
achèvement ou par l'attitude contemplative qu'elle suscite. Elle peut
désormais être le produit d'un travail collectif, celui de
l'artiste, du technicien, et du scénographe et n'est plus pensée
comme une création contemplée et passive mais comme relation au
spectateur, voire comme une parole impérative, au sens grammatical du
terme, adressée au public. Sur le plan de la relation entre les oeuvres
et le public, on considère que l'art numérique redéfinit
les modes d'appréciation d'une oeuvre, dans la mesure où celle-ci
ne semble plus renfermer en elle-même sa dimension artistique mais est un
dispositif communicationnel esthétique à la fois physique et
conceptuel qui comprend le spectateur, qui agit sur lui et est agi par
lui ; elle est une relation conceptualisée à l'avance,
à la manière d'une parole, et apparaît même, à
cet égard, comme une communication injonctive, un impératif de
réaction ou de participation. Ce terme assez fort
d'« injonction » artistique implique plus
précisément l'idée, très présente en art
numérique, d'une proposition de réception, d'une mise en relation
entre l'oeuvre et le spectateur préalablement aménagée
(sur le plan matériel et conceptuel) par l'artiste.
L'oeuvre numérique semble ainsi annoncer une remise en
cause des modes de médiation artistique dans la mesure où elle
est à la fois une oeuvre spectacle, que les artistes souhaitent
désacraliser et démocratiser, et à la fois une
esthétique de l'injonction qui ne prend sens que dans sa mise en
relation, souvent individualisée, avec le public. La notion de
médiation, qui peut être définie de manière
très générale comme le processus par lequel on
établit un intermédiaire entre des êtres ou des termes, et
qui est théorisée de manière plus particulière par
Antoine Hennion comme un processus d'effet-retour : "la construction
croisée des choses par les hommes et des hommes par les choses" est
encore enrichie par la réflexion autour de l'art numérique. La
médiation artistique de l'art numérique semble constituer une
expression particulièrement concrète et éloquente de
l'idée d'interaction dans la mesure où elle se définit
essentiellement comme un processus de communication esthétisé,
où l'homme et la chose font partie d'un tout artistique
inter-créatif. Le statut du public, ou plus précisément du
visiteur --d'une exposition ou d'un site Internet--ne peut qu'être
modifié par cette esthétisation de la médiation : le
spectateur devient un « spect-acteur » dans la mesure
où il est à la fois acteur de l'oeuvre, et spectateur de ce
processus esthétique de médiation entre l'oeuvre et
lui-même. Enfin, ce sont également les usages du médiateur,
c'est-à-dire de l'institution, ou du groupe de personnes chargées
de valoriser, dans l'espace et dans le temps, la médiation
esthétique proposée par l'artiste, qui doivent évoluer. Le
médiateur ne permet plus, comme pour une exposition classique, la
relation verticale entre les hommes et les choses, mais une relation
interactive, voire inter-créative entre une esthétique de la
communication potentielle et ses « spect-acteurs » Loin de
se contenter de renouveler nos conceptions et nos mythologies de la
création, l'art numérique entend aussi participer à une
transformation de notre relation à l'oeuvre et donner naissance à
une véritable esthétique de la médiation artistique. En ce
sens, il paraît inconcevable de voir les modes traditionnels de
médiation et d'exposition artistique nés de l'esthétique
picturale classique, appliqués à cette forme artistique qui
renouvelle l'esthétique relationnelle.
INSTITUTIONALISATIONS ET MEDIATIONS DE L'ART NUMERIQUE :
PROBLEMATISATION ET HYPOTHESES.
Or, il semble que les discours idéologiques de l'art
numérique, insistant souvent sur l'aspect révolutionnaire et
totalement désacralisé de l'art numérique, mais
également sur la difficulté de sa mise en exposition, ralentisse
son institutionnalisation. Comment les institutions peuvent-elles s'approprier
ce champ artistique qui rejette toute forme médiationnelle
existante ? Comment exposer ensuite au public ces artistes qui entendent
redéfinir, par leurs oeuvres, les cadres de la médiation ?
En 2006, de nombreuses organisations d'art classique, moderne, ou encore
numérique, en ligne ou hors ligne, tentent de se confronter à ce
problème et d'apporter des réponses, très
différentes, aux exigences esthétiques et communicationnelles
difficiles, et souvent même paradoxales de cette forme artistique. Ces
organisations, qui constituent notre principal champ d'étude,
relèvent un défi important dans la mesure où elles tentent
non seulement de renouveler leurs dispositifs d'exposition et de communication
afin de valoriser les oeuvres dans toutes leurs potentialités
relationnelles et conceptuelles, mais également, de contribuer à
la construction difficile d'une définition de ce champ artistique.
Dans quelle mesure les premières
générations d'expositions de la création numérique
renouvellent-elles -ou appauvrissent-elles- les multiples discours
théoriques, institutionnels et artistiques portés sur l'art
numérique, sur la difficulté de l'exposer et sur le concept
d'esthétique de la communication ?
L'exploration des différents mythes,
discours et perceptions théoriques, institutionnelles et artistiques de
l'art numérique, puis l'analyse des ses différents dispositifs de
mises en exposition doit nous amener à apporter des réponses
à cette problématique. Nous pouvons d'ores et déjà
formuler les trois hypothèses de départ qui ont guidé nos
recherches:
-Tout d'abord, l'art numérique apparaît comme
une notion ambiguë, à la croisée de nombreux courants
artistiques et conceptions esthétiques, et dont les frontières
sont diluées par la multiplicité de ses idéologies, et la
polyphonie de ses réappropriations définitionnelles.
Nous tenterons d'enrichir ou de nuancer cette première
hypothèse au travers de recherches documentaires, théoriques et
historiques sur l'art numérique.
- Par ailleurs, l'esthétique de la
communication semble redéfinir le rapport à l'oeuvre d'une
manière complexe, peu claire pour le public, dans la mesure où
elle vise à la fois une démocratisation renouvelée de
l'art et une relation individualisée et esthétisée au
public.
Cette hypothèse de départ sera
éclairée ou nuancée par la rencontre des acteurs de la
création et de la médiation de ce champ artistique et par
l'étude de leurs témoignages et points de vue.
-Enfin, l'opacité des notions peut entraîner une
ambiguïté des médiations qui se manifeste par la
multiplicité et l'hétérogénéité des
modes scénographiques et communicationnels de valorisation et
d'exposition des oeuvres d'art numérique.
Cette dernière hypothèse sera approfondie ou
nuancée par l'observation et l'analyse comparée des
différents dispositifs scénographiques et communicationnels
actuels publicisant et valorisant la création numérique.
NOTRE DEMARCHE
L'objet de cette étude est d'étudier cette
pratique encore émergente, l'art numérique, en interrogeant
à la fois les concepts et appropriations discursives qui le
fécondent et l'accompagnent, et les modes de valorisation et
d'exposition qui le font naître et exister auprès du public. Sur
le plan universitaire, cette présente étude s'appuie sur une
série de recherches historique, documentaires, et d'enquêtes
auprès des acteurs artistiques et institutionnels au cours desquelles
nous avons confronté les approches des sociologiques, esthétiques
et communicationnelles. Par ailleurs, sur le plan de l'approche pragmatique,
cette réflexion est nourrie de la fréquentation personnelle de
ces formes d'art et ainsi illustrée de nombreux exemples. Nous avons
pris le parti d'écarter de notre champ d'étude les expositions
hors-lieux de l'art numérique, c'est-à-dire les
événements organisés par des institutions culturelles ou
des collectivités locales et se déroulant dans des lieux
extérieurs tels que la rue. A la faveur de cette double enquête,
nous construisons notre étude sur un va et vient constant entre d'une
part les concepts et discours en perpétuelle redéfinition,
interprétant ce champ artistique, son esthétique et ses
perspectives de médiation, et d'autre part, les dispositifs
communicationnels et esthétiques des événements
passés et actuels de la création numérique. En articulant
les approches théorique et pragmatique nous pouvons non seulement
éclairer l'éclatement progressif de ce champ artistique naissant,
mais également clarifier les conceptions de l'art numérique, les
réticences des publics et médiateurs et les mises en
scènes possibles de ses potentialités esthétiques,
conceptuelles et relationnelles.
Dans la première partie de cette étude, nous
tenterons de saisir les conceptions objectives et subjectives de l'art
numérique, en étudiant les multiples discours qui tentent de le
définir. Cette double dimension des discours étudiés
suppose une première approche historique du développement des
arts numériques au travers des premières conceptions
esthétiques et usages artistiques de l'ordinateur, de la vidéo,
et d'Internet. Puis, l'analyse des conceptions et discours plus subjectifs
concernant ce champ artistique sera abordée au travers des multiples et
diverses réappropriations définitionnelles des concepts et
finalités de l'art numériques par les médiateurs publics,
pédagogiques et institutionnels. Enfin, l'objet d'étude est
approché sous un angle plus subjectif encore, puisqu'il inspire les
réflexions et témoignages croisés de trois artistes et
médiateurs de l'art numérique, concernant les mythes de sa
création et de sa réception, et les perspectives de sa
médiation.
Dans un second temps, nous étudierons
« l'acheminement » de cet art vers les publics, et la
difficulté de sa mise en exposition en analysant les dispositifs
interactifs et scénographiques de différents
événements significatifs actuels. Nous nous appuyons ici, de
manière générale, sur une observation physique des
dispositifs de monstration des oeuvres, mais également sur une
exploration sémantique des systèmes d'orientation de la
réception, dans la mesure où nous considérons
l'exposition, à l'instar de Jean Davallon, comme une conjugaison de ces
deux dimensions1(*). La
notion de dispositif est structurante de notre travail dans la mesure où
elle constitue l'agencement technique de l'oeuvre et de sa médiation,
conditionnant la perception et l'implication potentielle du spectateur. Cette
étude doit ainsi être représentative d'une diversité
des dispositifs actuels, et se déployer selon différents types
d'institutions. D'abord, nous tenterons de saisir les dispositifs
esthétiques et les stratégies communicationnelles mis en place
par les sites d'artistes numérique en ligne dont nous tenterons
d'établir une typologie. Puis, nous analyserons les différents
positionnements communicationnels, les dispositifs d'orientation des publics et
les difficultés scénographiques de trois institutions d'art
traditionnel, pour mettre en scène leur première exposition d'art
numérique. Enfin, nous tenterons d'étudier les logiques
médiationnelles comparées de deux organisations
spécialisées en art numérique dont l'objectif commun est
de valoriser et de démocratiser ce champ artistique.
I. L'ART NUMERIQUE, UNE ESTHETIQUE DE LA
COMMUNICATION : GENESE, DEFINITIONS ET ACTEURS
Ou : Fécondation
La jeunesse et la singularité de ce que l'on nomme
aujourd'hui « art numérique » rendent difficile la
reconstruction objective d'un aperçu historique. Le fait même de
lui attribuer une date de naissance, des ancêtres ou des pionniers
implique de le redéfinir. C'est pourquoi cet art demeure, pour le
moment, un objet construit par de multiples partis pris idéologiques et
négociations définitionnelles dont il faut bien cerner les
fondements à la fois objectifs et subjectifs. Comment cerner ce champ
artistique en constante redéfinition ? Quelles sont les
différentes perceptions, personnelles et institutionnelles, et les
initiatives qui esquissent progressivement son existence en devenir ? Ces
questionnements ont été soulevés, de différentes
manière, par des philosophes et théoriciens de l'information et
de la communication ou critiques d'art tels que Jean-Pierre Balpe, Edmont
Couchot, Norbert Hillaire, Paul Ardenne, ou encore Franck Popper. Nous nous
inscrivons ainsi dans le sillage de ces auteurs en nous référant
à leurs écrits. Par ailleurs, certains ouvrages plus
encyclopédiques tels que les ouvrages de Louise Poissant2(*), nous ont permis de nous
imprégner de ce sujet et éclairent ainsi implicitement, sans lieu
de les citer, notre étude. Cette première partie propose, au
travers de recherches documentaires, d'enquêtes auprès des
institutions, et de rencontres des acteurs directs de ce courant, de mettre en
lumière les différentes coulisses historique, institutionnelle et
artisanale de la conception de champ artistique. Nous tentons alors de
comprendre les difficultés, les problématiques et les
perspectives de la naissance matérielle, institutionnelle et
définitionnelle de l'art numérique.
- Nous adoptons donc, dans un premier temps, un
regard historique sur cette forme naissante, afin de comprendre de
quelle manière est apparue l'idée d'une approche
esthétique des outils technologiques.
- Puis, nous abordons les
réinterprétations institutionnelles constantes de ce
champ artistique afin de comprendre selon quelles perceptions, quels
éclairages conceptuels et discours définitionnels l'art
numérique doit apparaître au public.
- Enfin, nous tentons de confronter ces différents
discours historiques et institutionnels aux conceptions des acteurs
eux-mêmes, artistes et médiateurs de ce champ artistique.
1. Les premières décennies de l'art
numérique : la disparition progressive de l'objet artistique et la
naissance d'une esthétique de la communication
Tentons d'abord de revenir sur les origines
techniques et sur les premières mises en lumière
esthétiques de l'art numérique afin de comprendre de quelle
manière le champ artistique et celui des nouvelles technologies ont
croisé leurs talents et leurs perspectives respectives. Cette
première approche historique, réalisée au travers de
recherches documentaires et universitaires, permet de comprendre quels ont
été les premiers fondements techniques, mais également les
premières conceptualisations et interprétations
esthétiques de l'art numérique et ainsi de mieux cerner l'objet
étudié. Bien que l'apparition de l'art numérique n'ait pas
été le fruit d'une révolution brutale et soit le
résultat d'un processus évolutif permanent de l'histoire
conjuguée de l'art, des techniques et de la société
elle-même, nous prenons le parti de ne suivre cette évolution, sur
le plan chronologique, qu'à partir de l'apparition de l'image
numérique à la fin des années 40. Il s'agit
d'appréhender l'histoire de l'art numérique au travers des
développements parallèles de l'art par ordinateur, de
l'art vidéo et de l'art sur Internet.
a) Au commencement, l'art sur ordinateur : la tentative
d'une réconciliation entre l'art et la science et d'une
démystification de l'objet artistique
Le développement de l'image numérique n'avait
pas, au départ, de vocation esthétique, mais se réalisait
dans un contexte de recherche industrielle. De grandes firmes internationales
d'aéronautiques, de télécommunications ou de laboratoires
médicaux ont en effet consacré leur département de
recherche et de développement à ce nouvel usage de la machine
à des fins scientifiques. Or, la dimension esthétique de ces
images est apparue nécessaire au moment où les firmes en question
ont voulu faire connaître leurs recherches scientifiques au public. Il
fallait en effet, pour ces entreprises industrielles, acquérir une
caution esthétique et culturelle, en ayant recours aux artistes
professionnels. C'est ainsi dans le but de construire une sphère
communicationnelle aux entreprises et de valoriser les recherches techniques et
scientifiques qu'est apparu le premier usage esthétique de l'outil
informatique. Ces premières collaborations, assez informelles et
balbutiantes au départ, entre artistes et techniciens, permettaient
également aux mathématiciens et informaticiens d'explorer des
ressources originales et inconnues de leurs instruments.
.La naissance d'une
esthétique
L'année 1963 est celle considérée par de
nombreux théoriciens tels que Edmond Couchot et Norbert Hillaire3(*), ou encore Christiane
Paul4(*) comme marquant la
naissance de l'art numérique. C'est au cours de cette année que
la revue « Computer and Automation » a
organisé un concours de dessins réalisés par ordinateur.
Les critères de sélection n'étaient pas seulement
mathématiques ou techniques mais aussi et surtout artistiques. Cette
initiative a en effet été déterminante dans la mesure
où elle a institutionnalisé, même ponctuellement, une
pratique à laquelle les créateurs s'essayaient progressivement et
de manière isolée. Le concours a été reconduit
d'année en année et certains participants ont très vite
évoqué l'idée de présenter leurs premières
oeuvres graphiques au grand public. En 1965, les créateurs allemands
Frieder Nake et Georg Nees et l'Américain Michael Noll inaugurent, aux
yeux du grand public, l'exposition d'art sur ordinateur. Les publics
artistiques et la critique demeurent muets et semblent indifférents face
à ce courant naissant. L'art numérique réalise ainsi ses
premiers pas et se construit dans un espace relativement clos et étroit,
sans se confronter aux publics et aux influences artistiques, alors même
que le grand public apparaissait comme sa première raison d'être.
A la fin des années 60, l'art sur ordinateur
évolue considérablement avec l'apparition de l'écran de
visualisation, appelé en termes techniques le « tube
cathodique ». L'on peut désormais visualiser, explorer et
modifier chaque image instantanément. Par l'intermédiaire du
clavier, le créateur, et très vite le spectateur de l'oeuvre,
peuvent modifier l'image immédiatement. Ainsi, à la fin des
années 60, l'on peut déjà affirmer qu'une pratique
artistique, renouvelant les modes de création et d'exposition, est
apparue. Il s'agit en effet, dès cette période, de valoriser
l'importance du dialogue expérimental et interactif entre le
créateur et son oeuvre, et une forme de contemplation
particulièrement active du spectateur. La toute première
génération de l'art sur ordinateur, composée
essentiellement des artistes cités plus haut : Frieder Nake,
Georges Nees et Michael Noll, utilisait, pour leurs premières
recherches, des logiciels basés sur le principe du hasard, principe
théorisé en 1971 par Abraham A. Moles dans son ouvrage Art et
Ordinateur. Leurs créations étaient aléatoires,
« permutationnelles » selon le terme du théoricien,
c'est-à-dire qu'elles permettaient aux artistes d'expérimenter
leurs formes dans un champ infini de possibles : «Ce n'est plus
le résultat d'une continuité spontanée du mouvement de la
main, mais une volonté de forme : il y faut une aptitude à
passer outre. L'artiste doit passer outre et définir son activité
par l'idée d'exemple plutôt que par celle
d'oeuvre »5(*). L'un des premiers à avoir pensé
l'art sur ordinateur et les changements esthétiques que cela impliquait
semble ainsi accorder une importance fondamentale aux principes scientifiques
du hasard et de l'expérimentation.
C'est contre ce principe, qui laissait peu de liberté
créative à l'artiste, et qui semblait faire primer la dimension
scientifique sur l'imagination artistique, que sont apparues de nouvelles
générations d'artistes numériques, et de nouvelles
collaborations entre artistes et informaticiens. L'artiste Charles Csuri et
l'informaticien James Shaffer, récompensés au concours de
« Computer and Automation » en 1967 pour leur
oeuvre « Sine Curve Man » s'orientent vers la
représentation figurative, ou « réaliste » en
créant des programmes informatiques plus flexibles et en les soumettant
leur imagination propre. Ils se détournent ainsi des courants
mathématiques et abstraits pour tenter de manipuler les images dans un
style plus expressionniste. Parallèlement, se développe un
courant de traitement assez souvent abstrait des images et des courbes, avec de
nombreux artistes américains tels que Kenneth Kowlton et Manfred
Schroeder, recherchant essentiellement les effets originaux des nouvelles
technologies numériques sur le public. Ces deux courants récents,
qui se distinguent par leurs modes de représentation figuratif pour
l'une et plus abstrait pour l'autre, se rejoignent cependant par une
primauté accordée à la réception du public. Cette
recherche de la dimension expressive et de l'anticipation d'un effet sur le
spectateur est tout à fait novatrice dans la mesure où la
complexité scientifique des programmes utilisés apparaissait
alors en totale contradiction avec la notion même d'expressivité.
.La recherche d'un public
A partir de l'année 1968, et plus exactement lors de
l'exposition d'oeuvres numériques organisée par Max Bense et
Jasia Reichardts à Londres, l'art numérique commence à
susciter une certaine curiosité au sein de la critique
professionnelle. Les critiques, le plus souvent
spécialisés tels qu'Abraham Moles cité plus haut,
s'interrogent sur la légitimité esthétique des oeuvres
créées par ordinateur : peut-on qualifier d'artistique des
travaux informatiques ? Les artistes doivent-ils considérer cet
outil numérique comme un instrument artistique et s'intéresser
à cette approche qui semble inédite? Stimulés par
cet écho médiatique, les artistes sont de plus en plus nombreux
à recourir à l'ordinateur pour leurs créations, et
à exposer leurs oeuvres dans des galeries ou au cours de festivals. Des
oeuvres réalisées à l'ordinateur apparaissent notamment
dès 1970, à la Biennale de Venise, à côté
d'oeuvres traditionnelles. Le désaccord fondamental, déjà
évoqué, entre ceux pour qui le critère artistique est
celui de l'effet produit sur le spectateur et ceux pour qui il réside
dans le degré de complexité du programme, intéresse de
plus en plus les théoriciens et créateurs. De nombreux artistes,
tels que Manfred Zaijec, Vilder, Palumbo, ou encore Vera Molnar, cherchent
à réconcilier la rigueur complexe du programme informatique et la
recherche d'un effet anticipé sur le spectateur. Membres de groupes
divers tels que l'Art cinétique, Groupe de Recherche d'Art
Visuel(GRAV), Experiments in Arts and Technology, ces artistes se
réunissent par leur esthétique fonctionnaliste proche de celle du
Bahaus et une certaine volonté de démystifier l'objet artistique,
de le mettre à la portée d'un public très large, et
d'atteindre éventuellement un « non public »
6(*) selon l'expression
utilisée par Philippe Urfalino pour désigner un public non
initié à l'art et souvent indifférent à l'offre
culturelle. Les oeuvres de Georg Nees deviennent, à cette
période, tout à fait représentatives de ce courant de
recherche esthétique. En 1970, il réalise notamment des oeuvres
graphiques sur ordinateur basées sur le principe de rigueur formelle et
sur un système d'échange interactif avec le spectateur. Par
ailleurs, dans cette même optique de désacralisation des notions
de beauté et de dématérialisation de l'oeuvre d'art,
apparaissent les transformations et les surimpressions, appelées
« morphing », notamment à travers les transmutations
numériques de Mona Lisa de Léonard de Vinci,
réalisées par Philippe Peterson (« Mona
revisitée par les nombres »), ou encore, quelques
années plus tard, au travers des « Beauty
Composites » de l'artiste Nancy Burson qui faisaient fusionner
les visages de Bette Davis, d'Audrey Hepburn, de Grace Kelly, de Sophia Loren
et de Marilyn Monroe (« First Composite »).
Quelques années plus tard, autour de l'année
1990, apparaît l'image 3D qui se développe au détriment des
courants cités plus haut. L'image 3D, par le volume et le
réalisme des effets visuels qu'elle propose, devient un véritable
outil de base pour le cinéma, et suscite la curiosité du public.
Les artistes sur ordinateur, dont les festivals et expositions sont de plus en
plus rares, poursuivent ainsi leurs recherches et leurs créations
scientifiques et artistiques tout en se repliant sur eux-mêmes. Ce
mutisme du public spécialisé et cette difficulté de la
médiation de l'art numérique se révéleront
constitutives de son esthétique et de son rapport au public.
b) Le développement de l'art vidéo et d'une
scénographie de l'introspection
Parallèlement à ces recherches portant sur le
potentiel artistique des programmes de créations et de transformations
d'images sur ordinateurs, se développe un courant utilisant l'outil
télévisuel appelé « art
vidéo ». Tout comme l'art sur ordinateur, l'art vidéo
peut se vanter d'être l'héritier d'une infinité de
disciplines artistiques. C'est pourquoi, une fois de plus, il nous faut pour le
moment faire abstraction de ces questions identitaires d'héritages,
souvent assez polémiques, pour tenter de saisir la véritable
origine de l'art vidéo et les conditions de sa naissance au public.
.Les premières initiatives de l'art
vidéo
C'est aux Etats-Unis qu'apparaissent les précurseurs
de ce courant. De grandes chaînes de télévision
américaines mettent, dès le début des années 50, du
matériel et des canaux à disposition des artistes afin que ces
derniers expérimentent ces nouveaux outils et diffusent leurs oeuvres le
plus largement possible. Ainsi, en 1950, à Boston, la chaîne WGBH
diffuse une série appelée « Jazz-Images »
où des morceaux de musique accompagnent des images expérimentales
et électroniques abstraites. Dix ans plus tard, l'Allemagne
développe à son tour ce type d'expérimentations au travers
du groupe très influent Fluxus, fondé en 1962 par Georges
Maciunas. Ce mouvement européen se situe à la croisée de
tous les arts contemporains et demeure aujourd'hui une référence
durable, notamment en terme de création numérique. Des artistes
déterminants de l'art vidéo comme Wolff Vostell ont
participé à ce mouvement pluridisciplinaire. L'artiste
coréen Nam June Paik a également participé à ce
courant et constitue une figure fondamentale de l'art vidéo. Certains
voient en lui le fondateur de l'art vidéo, dans la mesure où il a
été l'un des premiers, en 1963, à démontrer
publiquement la possibilité de déformer une image
prélevée d'un programme de télévision en approchant
un aimant d'un tube cathodique. Cet événement public est sans
doute l'une des premières
« actions vidéo ». D'autres
« actions » de ce type sont réalisées dans
les années à venir, mettant en scène par exemple des
téléviseurs déréglés, des programmes
préenregistrés et transformés, des images
déformées, distendues ou perturbées par des tâches
de peinture ou des impacts de balles. De même que l'art sur ordinateur,
qui entend altérer des images par une maîtrise du programme
informatique, et à la fois susciter une réaction
singulière chez le spectateur, de même l'art vidéo
s'intéresse au traitement complexe de la « matière
vidéographique », et de l'image tout en espérant
véhiculer des messages bien spécifiques au spectateur.
.L'esthétique des « actions
vidéo »
Il est en effet assez récurrent que les artistes
vidéo détournent le médium télévisuel de sa
finalité originelle, pour l'utiliser à des fins sociologiques et
politiques, impliquant très souvent une critique plus ou moins explicite
de la société de consommation. Les oeuvres de Vostell sont tout
fait représentatives de cette tendance à la dérision
politique et psychosociologique de la société contemporaine, plus
particulièrement au travers de son invention du principe de
« décollage ». Ce principe consiste à
perturber le programme télévisuel choisi, en prélevant
certaines images, en les remplaçant par d'autres ou en les
effaçant. L'objectif de Vostell est celui de démontrer la
puissance idéologique du médium télévisuel sur la
psychologie du spectateur et de « dérégler »,
symboliquement, ces mécanismes idéologiques. De manière
plus générale, il considère l'art vidéo comme
capable de recréer, avec l'aide des spectateurs, les virtualités
inconscientes de leur quotidien : « Mes films sont des
séquences d'expériences psychologiques et de processus
pédagogiques ou l'ennui, le retardement, la répétition et
la distorsion sont considérés comme analogues aux
événements de notre monde environnant »7(*). Dans cette même
optique de réflexion psychosociologique, certains artistes tels que Dan
Graham, Peter Campus ou Taka Iimura ont développé des dispositifs
vidéo permettant de créer un jeu de miroirs aux effets
déstabilisant pour le spectateur. L'oeuvre de Taka Iimura nommée
Face/Ings (1974) faisait ainsi pénétrer le visiteur dans
un système complexe d'écrans qui ne lui renvoyait jamais de son
image que son dos. De même, Dan Graham réalise des performances
dans les années 1970 au cours desquelles il déplace une
caméra de manière à ce que le spectateur ne voie jamais
son propre regard sur l'écran mais ne puisse observer que le visage des
autres spectateurs qui regardent la caméra. Le phénomène
du « feed-back », c'est-à-dire l'action en retour
qu'un système d'information exerce sur lui-même, est
également extrêmement utilisé par les artistes
vidéo. De très nombreuses performances vidéo sont
fondées sur ce procédé du feed-back qui consiste à
diriger la caméra vers l'écran du moniteur auquel elle se trouve
relié. L'image du moniteur apparaît ainsi à l'infini. Ces
jeux de miroir détournés, de regards narcissiques et de mises en
abyme apparaissent très vite comme des thématiques fondamentales
de l'art vidéo. Mac Luhan, dans Comprendre les médias,
avait déjà perçu cette dimension
« narcissique » de l'usage des nouvelles
technologies : « Cette étreinte incessante de notre
propre technologie qui nous jette comme Narcisse dans un état de torpeur
et d'inconscience devant ces images de nous ». Les
premières oeuvres d'art vidéo illustrent cette théorie de
Mac Luhan d'une manière très significative dans la mesure
où leur scénographie engage régulièrement le
spectateur à une forme d'introspection. Les performances artistiques,
puis plus tard les installations vidéo, sont en effet le plus souvent
organisées autour de la participation, de l'action ou au moins d'une
forte identification du spectateur, souvent surnommé
« spect-acteur ». A la fois acteur et spectateur de
l'oeuvre, le public en vient ainsi à se contempler lui-même et
à une forme de retour à soi. Dès les années 70,
sont ainsi posés les jalons de l'esthétique de l'art
vidéo, dont les oeuvres apparaissent très souvent comme des
injonctions à la participation du spectateur et à sa
réflexion sur la société dans laquelle il évolue ou
sur ses propres mécanismes psychologiques. Le spectateur de l'oeuvre
vidéo contemple sa propre contribution à l'oeuvre, son propre
reflet transformé, ou les représentations subjectives de sa
propre société et devient ainsi partie intégrante de
l'oeuvre.
c) L'apparition de l'art sur Internet et la disparition
progressive de l'objet artistique : un éclairage singulier sur nos
problématiques
Il faut signaler pour finir l'apparition, plus tardive, dans
les années 90, d'un art plus immatériel encore que les formes
citées précédemment : l'art sur Internet, souvent
surnommé « net art ».
. Premières explorations du courant
artistique
Ce courant ne peut constituer le centre de notre
réflexion tout d'abord dans la mesure où il est très
récent, mais aussi parce que ses modalités de médiations
et d'expositions sont à part et le marginalisent. Cependant, il est
important d'y faire référence dans la mesure où il
constitue l'expression la plus récente en terme de création
numérique et parce qu'il semble pousser à leur paroxysme les
problématiques posées par l'art numérique en terme de
création et de réception. Les oeuvres sur Internet fonctionnent
sur le principe d'images, de textes, de sons ou de vidéos, traduites
dans un langage numérique et rassemblés sur le web.
L'élaboration de liens entre ces données permet au visiteur de
naviguer à l'intérieur de l'oeuvre et éventuellement de la
modifier ou d'y participer. Les toutes premières explorations de ce
médium, envisagé comme support artistique, remontent aux
premières diffusions publiques d'Internet en 1994. Des artistes comme
David Blair et Antoni Muntadas, avec leurs créations respectives
« Wax Web » et « The File
Room » sont aujourd'hui considérés comme pionniers
en matière de net art. De nombreuses conférences et expositions
de net art sont très vite organisées par des musées tels
que les Museums of Modern Art de New York et de San Francisco et des structures
artistiques n'existant que dans l'espace virtuel sont crées dès
1991 telles que The Thing ou Icono en France. Stimulés
par cet enthousiasme institutionnel immédiat, les artistes plus ou moins
professionnels multiplient les idées et les formes artistiques sur
Internet.
.Un éclairage singulier sur les notions
d'interactivité et d'esthétique relationnelle
Le caractère multimédia du net art, pouvant
faire appel aux images, aux sons, aux textes, et à des disciplines aussi
diverses que la danse, le théâtre, l'opéra, la
littérature, la musique, permet à ce courant de se
développer d'une manière extrêmement
hétérogène. Déjà présente dans les
arts sur ordinateur et sur vidéo, la notion d'interactivité
acquiert au sein du courant Internet une signification fondamentale dans la
mesure où l'action de l'artiste peut se limiter à la
création d'un cadre dans lequel un ou plusieurs internautes construisent
une oeuvre. L'artiste n'est plus créateur d'une oeuvre mais initiateur
d'un procédé artistique. Anne-Marie Duguet, dans son ouvrage
L'interactivité entraîne-t-elle des redéfinitions dans
le champ de l'art8(*),
souligne l'aspect fondamental de la notion d'interactivité de l'art sur
Internet dans la mesure où cette interactivité met l'accent sur
le contexte, sur la relation triangulaire entre le créateur, le
spectateur et l'oeuvre aux dépens de l'objet lui-même. Par
ailleurs, la modification du rapport entre le spectateur et l'oeuvre, à
la fois collectif et individualisé, apparaît d'une manière
encore plus frappante au travers du cas du net art. Internet mêle en
effet les dimensions contradictoires d'espace privé et d'espace public
et crée une troisième dimension nommée
« glocal » par le critique Paul Virilio9(*). L'art sur Internet est ainsi
très rapidement considéré par ses penseurs comme
représentatif des problématiques esthétiques et
communicationnelles de l'art numérique. C'est pourquoi, malgré un
certain manque de recul vis-à-vis de cette pratique très
récente et hétérogène du net art, il est
intéressant de s'y référer en tant qu'il met en
lumière des problématiques complexes.
.Conclusion intermédiaire : vers
une identification institutionnelle du champ artistique ?
L'art par ordinateur, l'art vidéo et plus tard l'art
sur Internet se développent ainsi de manière parallèle en
tentant de concilier, chacun à leur manière, des notions et des
pratiques extrêmement paradoxales et de transformer le rapport du
créateur et du spectateur à l'objet artistique en le rendant
à la fois immatériel et éphémère et à
la fois plus présent que tout objet artistique traditionnel. Si, comme
nous l'avons développé plus haut, l'art par ordinateur et l'art
vidéo tentent de décomposer la matérialité des
images et des objets afin de plonger le spectateur dans des dispositifs de
réflexion ou d'introspection, et si l'art sur Internet fait
disparaître l'objet au profit des concepts, les trois formes distinctes
inaugurent pourtant les notions d'interactivité artistique et de
« spect-acteur » qui semblent rendre les dispositifs
artistiques plus proches pour le visiteur que tout courant artistique. Bien que
l'art numérique, ainsi que son exégèse esthétique
ambiguë aient évolué depuis cette période, il semble
que les dialectiques fondamentales qui le gouvernent soient déjà
naturellement à l'oeuvre à peine dix ans après son
apparition. Cette première approche historique de l'art numérique
révèle ainsi non seulement une certaine ambiguïté
esthétique qu'il faudra analyser, mais également un manque de
reconnaissance institutionnelle évident. Ce manque est fondamental dans
l'étude de l'art numérique et de ses médiations dans la
mesure où l'appropriation et l'in-appropriation institutionnelle de ce
courant, la difficulté pour les médiateurs d'identifier ce champ
artistique constituent des acteurs à part entière de son
identité.
2. L'art numérique en question :
confrontation de définitions institutionnelles
Les différentes formes artistiques comprises sous la
dénomination d'art numérique ont été, jusque
là, tantôt négligées par les institutions
artistiques et culturelles, tantôt au coeur de polémiques
définitionnelles et esthétiques. Dans les deux cas, qu'il soit
l'objet d'un rejet ou d'une curiosité et de questionnements
renouvelés, il ne parvient pas à trouver une place à part
entière et légitime dans le paysage artistique contemporain. Il
semble que le caractère singulier de l'art numérique ne suscite
la curiosité des médiateurs culturels que de manière
ponctuelle, comme s'il s'agissait d'un objet exotique, mais ne parvienne
à se banaliser sur le plan de la médiation institutionnelle. Pour
comprendre les raisons de cette inconstance institutionnelle et accéder
à une définition plus fine du courant, il faut
s'intéresser aux perceptions que les différents médiateurs
culturels ont de l'art numérique, de sa légitimité
artistique, des potentialités et des éventuelles
problématiques qu'il pose en terme d'institutionnalisation et de
médiation. Pour ce faire, nous avons décortiqué les
rapports, les initiatives passées et projetées des
différentes institutions concernées. Nous nous appuyons ici sur
une définition de la médiation proche de celle
développée par Jean Caune10(*) : celle d'une relation à autrui par le
biais d'une « parole » proposant le partage d'un monde de
référence. Les institutions que nous observons offrent un
écho, plus ou moins important, à l'art numérique et
proposent ainsi à leurs publics de partager leur perception, les
références qu'ils associent à cet art. Apparaissent ainsi
trois perceptions, et par là trois médiations culturelles
différentes révélant les conceptions possibles de
l'art numérique, les espoirs et les craintes qu'il inspire :
- tout d'abord, une médiation publique
que le gouvernement français élabore, dès le début
des années 80, par la commande de rapports multiples traitant de l'art
et des nouvelles technologies
- puis, une médiation universitaire,
par l'appropriation des outils numériques des écoles d'art et
universités anciennes et récentes
- et enfin une médiation culturelle et
artistique, impliquant un positionnement des musées et
institutions artistiques vis-à-vis de leurs publics.
a) La conception officielle de l'art numérique en
France : des perspectives aussi florissantes que confuses
Dès la naissance de l'art numérique, de
nombreux rapports ont été commandés par la France pour
tenter de comprendre, de remettre en question ou d'exploiter au mieux les
possibilités et les contraintes de l'art numérique.
.Les conceptions politiques de l'art
numérique
Ces études et rapports publics sont fondamentaux pour
la compréhension de ce champ artistique dans la mesure où ils en
véhiculent une conception particulière. Tout d'abord, au travers
de ces études, est confirmée l'idée, déjà
perceptible avec l'art vidéo, d'une dimension politique de l'art
numérique. Ce courant semble souvent considéré par l'Etat
comme capable de véhiculer ou de réaffirmer des valeurs
culturelles et politiques importantes. Dès les années 80, il se
voit ainsi attribuée la vocation de renforcer l'identité
culturelle. Une étude commandée par Claude Mollard,
délégué aux arts plastiques en 1982,
réalisée par Louis Bec, le peintre Cueco, Edmond Couchot, Jean
Coudy, Jean-René Hissard, Pierre Guislain et Paul Virilio, et traitant
des métiers de l'art numérique, illustre cette tendance d'une
manière significative11(*). Cette étude insiste en effet sur la
perspective de renforcement identitaire et culturel, inspirée par
l'émergence de cette forme artistique, d'une part sur le plan national
et d'autre part sur le plan régional. Au niveau national, le
développement et le perfectionnement de la création
numérique permettraient à la France de se distinguer de la
production hégémonique, « médiocre et
stéréotypée » de certains pays. Cette production
désignée comme « médiocre et
stéréotypée » est celle de la création
d'images publicitaires ou commerciales, inspirant des confusions dont l'art
numérique serait souvent victime. L'étude montre donc
l'importance de se démarquer de cette production, dont la
finalité n'est pas artistique, afin de construire un espace
communicationnel et artistique propre à la France. Par ailleurs, au
travers de cette étude, apparaît la perspective plus
spécifique d'une réaffirmation des valeurs régionales par
le développement institutionnel de l'art numérique. En parvenant
à se développer et en construisant une esthétique claire,
bien distincte des domaines commerciaux, ce mouvement créatif doit
permettre de promouvoir, par le biais des identités régionales,
les valeurs et la culture française.
.L'étude des difficultés
communicationnelles de l'art numérique
Or, de nombreux rapports publics ont suivi celui-ci montrant
précisément la difficulté de cette définition
nécessaire du champ esthétique et de l'institutionnalisation de
l'art numérique. En 1992, le délégué aux arts
plastiques François Barré commande notamment une étude
concernant « Le développement des nouvelles technologies
dans leurs relations à l'art »12(*). Cette étude pose d'une manière
plus approfondie les grandes difficultés de l'épanouissement des
nouvelles technologies dans le monde de l'art. Tout d'abord, elle souligne une
confusion récurrente des médiateurs culturels entre les notions
d'art numérique et de production industrielle. L'assimilation de ces
deux notions explique en partie la difficulté, pour ces mêmes
médiateurs, d'accepter ce qu'ils considèrent comme le
rapprochement du champ artistique et du champ commercial. Ce rapport souligne
ainsi l'opacité aux yeux des publics les plus avertis, de la notion
d'art numérique, et la récurrence de cette confusion entre les
artistes et les créatifs publicitaires. De même, l'étude
relève une certaine tendance des acteurs de l'art contemporain, à
voir dans l'usage artistique des nouvelles technologies une intrusion
illégitime des techniciens et informaticiens dans l'art. Les
médiateurs culturels ne peuvent accepter de voir leur culture artistique
contestée par ce mouvement qui remet en question les techniques et les
notions de l'art traditionnel. Enfin, parallèlement à ces
problématiques de perception par les différents acteurs et
médiateurs concernés, est posé le problème de
l'institutionnalisation de l'art numérique. Comment les institutions,
culturelles, artistiques, ou encore universitaires, pourrait-elles s'approprier
un champ créatif aussi hétérogène et aussi
mouvant ? Comment institutionnaliser cet art sans le figer ou en
transmettre une représentation altérée ? L'art
numérique semble caractérisé par les notions
éphémères de nouveauté, de singularité ou
encore de révolution esthétique. Est-il réellement
possible d'attribuer une définition, des institutions constantes, et une
esthétique fixe à un mouvement en continuel renouvellement?
Apparaît ainsi, à travers cette étude, la crainte d'une
mise à l'écart systématique de l'art numérique, due
à l'aspect éphémère et imprécis de ses
frontières et à la singularité de son champ
d'investigation. En 2000, le Ministère de la culture commande à
Jean-Michel Lucas, Annick Bureaud et Serge Pouts-Lajus une étude
concernant les structures qui soutiennent le développement de l'art
numérique en France. Les auteurs de ces études s'interrogent sur
la perception de l'esthétique numérique. Ils insistent sur la
nécessité pour les structures publiques et privées de
reconnaître la légitimité de la notion
d'expérimentation artistique propre à l'art numérique.
Cette étude se concentre ainsi sur l'esthétique de la
réception de l'art numérique qui doit se fonder sur la notion
d'expérimentation, et non plus sur la notion traditionnelle des oeuvres,
ou en d'autres termes des résultats artistiques. Dès lors, selon
ces auteurs, l'art numérique ne peut prendre corps et se
développer sans la réception appropriée, et donc la bonne
compréhension du public. Si de nombreuses études
s'intéressaient au pouvoir culturel du développement de la
création numérique sur la société, cette
étude cherche à comprendre, à l'inverse, le pouvoir du
public sur le développement de ce courant. Ces deux approches
divergentes de la création et de la réception de l'oeuvre d'art
numérique, ne sont cependant pas incompatibles dans la mesure où
elles confirment l'importance de la notion d'interaction entre l'oeuvre et le
spectateur, inhérente à cette discipline.
Les études interrogeant ainsi les vocations et les
problématiques reliées au développement de l'art
numérique ont été extrêmement nombreuses en France
et nous ne pouvons ici en évoquer que quelques exemples
représentatifs. Cependant, ces exemples révèlent
déjà l'hétérogénéité des
perceptions de l'art numérique et des perspectives qui lui sont
attribuées, une hétérogénéité amenant
à la fois richesse et opacité à la définition de ce
courant.
b) Le développement pédagogique de l'art
numérique freiné par les discours
« esthétiquement corrects »
Si les nombreux rapports et études publics concernant
les dispositifs institutionnels de l'art numérique sont, pour la
plupart, restés lettre morte, ils ont cependant stimulé
l'apparition très progressive des nouvelles technologies dans les
universités, les écoles et les centres d'art. Cette
émergence ne peut être réduite aux changements
matériels qu'elle engendre. Elle implique en effet l'acquisition de
nouveaux matériels, une actualisation des acteurs et des formes
artistiques, mais elle entraîne surtout de nombreux questionnements, au
sein des universités, écoles, et différents centres d'art,
au sujet des manières d'appréhender, d'enseigner ou encore
d'exposer ces oeuvres. Avant de devenir un objet d'étude et
d'enseignement pédagogique, l'art numérique doit être
pensé, et surtout intégré dans sa dimension
esthétique. Or, sur le plan des initiatives pédagogiques, si les
universités et les écoles d'arts commencent, dès le
début des années 80, à prendre en charge des formations
d'art numérique, ces formations s'inscrivent toujours dans des
programmes d'enseignement plus larges et ne parviennent à construire une
politique commune que très progressivement. Nos observations concernant
les institutions pédagogiques et universitaires ne peut être
exhaustive et vise la représentativité.
.La difficile légitimation au sein des
écoles
Il semble, selon nombreux théoriciens, que l'art
numérique ait été pris en compte sur le plan
matériel par les universités, mais ait été
relativement négligé sur le plan de la réflexion
esthétique. Les questionnements théoriques impliqués par
cette forme naissante, concernant aussi bien le mode de création que le
mode de réception de l'oeuvre étaient certainement trop important
pour que les Ecoles des Beaux-Arts osent y apporter un point de vue
définitif. Pour Paul Ardenne, cette esthétique ne pouvait
être admise par les Académies artistiques :
« Le principe de passivité était admis comme
fondateur du rapport avec les oeuvres traditionnelles : une
passivité toute traditionnelle où seule vibre
l'intériorité de celui qui regarde l'oeuvre »13(*). Claude Mollard, dans son
ouvrage La Passion de l'art, écrits et paroles 1981-198514(*), s'interroge sur les
raisons d'une telle hétérogénéité de
l'enseignement de cette forme artistique émergente. Pour lui,
l'enseignement de l'art numérique souffre de l'influence
académique des Beaux-arts qui oppose l'art et la technique. Pour lui, le
discours dominant oppose « arts majeurs et arts mineurs, don du
ciel et dur labeur » et entraîne de véritables
« distorsions entre formation artistique et formation
technique ». Cette interprétation peut être mise en
parallèle avec celle d'Edmond Couchot et de Norbert Hillaire qui, dans
leur ouvrage L'art Numérique, tentent de comprendre les causes
de la « technophobie » latente dans l'enseignement
artistique. Selon eux, l'art numérique s'inscrit en contradiction avec
l'évolution récente de la philosophie pédagogique au sein
des écoles d'art. Les courants récents de l'art moderne, tels que
l'art conceptuel ou expressionniste, impliquaient une
« dé-spécification » de l'enseignement
artistique. Dans cette optique, la formation aux nouvelles technologies est
apparue comme l'émergence d'outils scientifiques difficiles
d'accès freinant la créativité des étudiants :
« La sensibilité générale, partagée
entre technophobie et scepticisme, et qui avait déjà eu du mal
à accepter la vidéo et la photo, ne favorisait pas la
création de ce genre de formation (...) Il fallait laisser
l'informatique aux informaticiens et l'art aux artistes »15(*).
. Les initiatives
pédagogiques
Il serait incorrect de conclure que les grandes écoles
nationales d'art plastiques sont restées indifférentes à
l'égard des nouvelles technologies. Le Ministère de la Culture a
encouragé celles-ci, dès les années 1980, à
s'engager dans l'art numérique, ou au moins à suivre de
près ses évolutions. L'Ecole Nationale des Arts
Décoratifs, par exemple, a été l'une des premières
à être équipée de machines Silicon Graphics16(*). Elle dispose aujourd'hui de
deux cent postes graphiques, de vidéo numérique, et de
photographie numérique. Cependant, la mise en place du matériel
n'a pas été accompagnée de l'arrivée de nouveaux
enseignants en titre d'art numérique ou d'infographie, ni de recherches
théoriques concernant ce mode de création. Ainsi, au sein de
cette Ecole, les outils numériques ne font l'objet d'aucune
conceptualisation esthétique, d'aucun discours théorique, et ne
peuvent être réellement intégrés comme instruments
artistiques. Le texte institutionnel de présentation de la formation
à la « Communication visuelle, Graphisme et
Multimédia » semble à cet égard très
significatif : « A travers une initiation à des
pratiques professionnelles spécifiques, ce secteur (...) forme des
graphistes généralistes, graphistes designers aptes à
répondre à des commanditaires institutionnels, publics ou
privés ». De même, l'Ecole Nationale
Supérieure des Beaux-Arts, au travers de sa présentation
institutionnelle sur Internet, ou encore de ses différentes brochures,
semble accorder une grande importance aux outils matériels, et ne
considérer qu'au second plan les versants conceptuel et
esthétique fondamentaux de l'art numérique. Le pôle
numérique des Beaux-Arts, dirigé par Moïra Marguin, tente de
se construire dans un contexte visiblement hostile, et peine à se faire
connaître. La visibilité accordée à cette formation
par l'institution, au travers des supports de communication écrits ou
interactifs, est en effet particulièrement faible. Ceci explique en
partie le fait que le courant ne se développe que très lentement
aux Beaux-Arts, et commence à peine, depuis environ deux ans, à
mettre en place des cours plus théoriques et esthétiques,
parallèlement aux cours techniques et logiciels17(*). Edmond Couchot et Norbert
Hillaire soutiennent, dans l'ouvrage déjà
évoqué, que: « Les cours théoriques
dans le cursus artistiques sur les rapports entre science et art, technique et
art, technologies numériques et art sont
inexistants »18(*). Les deux théoriciens considèrent
cette négligence, ou cette faute de priorité, comme l'une des
fragilités essentielles du courant naissant. C'est dans cette optique
qu'Edmond Couchot, Hervé Huitric (artiste), Michel Bret
(mathématicien) et Monique Nahas (physicienne), pour ne citer que les
principaux fondateurs, ont créé une formation aux
« Arts et Technologies de l'Image » à
l'université de Paris VIII. Si en effet, les nombreuses formations
universitaires en informatique graphique ne forment pas aux pratiques
artistiques ni aux métiers de l'art, et s'il n'existe pas aujourd'hui
de formation spécifique en Art-Science-Technologie dans le domaine des
arts visuels, cette formation précise semble tout à fait
atypique. Elle présente en effet un mélange très original
d'enseignements techniques et artistiques. Cependant, il est très
difficile pour cette formation peu traditionnelle, d'acquérir l'ampleur
et l'autonomie que ses fondateurs voudraient lui accorder.
Ainsi, on peut affirmer aujourd'hui que la plupart des
écoles et universités d'art plastique ont pris la mesure des
enjeux du multimédia dans leur politique d'achat et de
développement. La plupart se sont procuré de nombreux logiciels
informatiques, que ce soit dans le but de numériser les oeuvres, de les
publier, ou encore, de manière plus fragile, dans le but d'accorder une
certaine place aux arts numériques. Cependant, cette acquisition de
matériel ne s'accompagne que très rarement, ou bien très
lentement, de réels changements pédagogiques et de mises en place
de formations techniques, artistiques et théoriques à l'art
numérique. Une timidité évidente, liée au
caractère non conventionnel, et presque
« esthétiquement incorrect » de cette
expression, freine les initiatives pédagogiques et entraîne un
développement partiel et hybride de l'art numérique.
c) Les rapports ambigus entre l'art numérique et les
institutions artistiques : comment institutionnaliser un art défini
par sa « ponctualité »?
Toute discipline forge son (ou ses) identité(s) au
travers de son parcours institutionnel. La nature des institutions qui se
l'approprient, ou la rejettent, et la manière dont elles décident
de faire connaître son existence constituent les piliers fondamentaux sur
lesquels son identité pourra s'établir. Cette idée
résonne tout particulièrement lorsqu'il s'agit du mouvement
artistique qui nous concerne : un art protéiforme, défini
par les perceptions institutionnelles renouvelées, et surtout un art
extrêmement exigeant sur le plan scénographique, faisant des choix
de dispositifs et de formes de véritables partis pris
déterminants. Or, cette forme artistique encore émergente semble
peiner, comme nous l'avons vu, à se stabiliser sur le plan
esthétique et définitionnel, comme une discipline à part
entière. Elle demeure aux yeux des publics, institutionnels et
particuliers, comme un art de la ponctualité, aux expositions
sporadiques, aux oeuvres éphémères et à
l'esthétique constamment redéfinie.
.Les rapports difficiles entre l'art
numérique et les institutions
Comme nous l'avons vu, dès les années 1980, et
malgré l'hétérogénéité des discours
énonciatifs le définissant, l'art numérique s'est toujours
défini au travers d'une notion fondamentale : celle de la relation
interactive avec l'oeuvre d'art. Il ne s'agit pas nécessairement d'une
interactivité présente au sein même de l'oeuvre finie. Avec
l'art informatique, elle réside dans le processus de la création
dans la mesure où l'artiste interagit avec un dispositif complexe. Dans
d'autres cas, l'artiste propose au public une interaction avec l'oeuvre
elle-même. Cette importance de la notion d'interactivité dans
l'art numérique fait du moment de la confrontation au public un
élément décisif de l'acte artistique. La rencontre de
l'oeuvre et du spectateur, la relation qui s'établit entre ces derniers
fait partie intégrante du concept artistique de l'oeuvre en question.
Par ailleurs, les différents acteurs et penseurs de l'art
numérique n'ont cessé de remettre en question le dispositif
traditionnel d'exposition à savoir le musée. Dans cette mesure,
il est indispensable de s'intéresser aux différents lieux
institutionnels encadrant ces rencontres. Quelles sont les institutions qui
acceptent de « s'essayer » à la médiation de
cet art singulier et exigeant? L'art numérique peut-il
s'institutionnaliser comme un art à part entière alors même
qu'il remet en question les dispositifs traditionnels de monstration
artistique ? Les institutions exposant les oeuvres d'art numérique
peuvent être distinguées en deux catégories : celle
des musées classiques d'art contemporain n'exposant l'art
numérique que de manière ponctuelle, et celle des rares
organisations consacrées exclusivement à l'art numérique.
Il semble d'ores et déjà évident que les logiques de
médiations culturelles, les discours énonciatifs et les attentes
ne puissent être les mêmes lorsque la création
numérique est exposée dans une organisation d'art
numérique et dans une institution dite
« traditionnelle ». Si la première véhicule,
en amont, une conception de l'art numérique par sa propre existence et
ses valeurs institutionnelles, la seconde doit construire un point de vue
esthétique et s'approprier un courant difficile à cerner. Dans un
article paru dans la revue « Transat vidéo », la
journaliste Anne-Marie Morice s'intéresse au défi que constitue
l'art numérique pour les institutions existantes. Selon elle, les
acteurs de l'art numérique et les médiateurs artistiques
traditionnels se remettent mutuellement en question. Si les artistes
numériques sont nombreux à se penser sur le mode contestataire et
avant-gardiste, et si leur identité esthétique implique souvent
une remise en cause du musée, les institutions elles-mêmes
remettent en question la dimension artistique des oeuvres interactives. La
plupart des institutions traditionnelles acceptent mal l'évolution
conceptuelle et interactive de l'art, « la disparition de l'objet
comme but ultime de la production artistique et [refusent de reconnaître]
l'information fluide, volatile [comme principale] matière de
l'art 19(*) ». Certaines remettent en cause leurs
propres dispositifs habituels, considérant ces derniers
inappropriés pour assurer la monstration d'oeuvres virtuelles et
interactives, et se « travestissent en lieux
alternatifs » pour recevoir et exposer les oeuvres20(*). Ainsi, selon ces
théoriciens, alors que d'une part l'esthétique académique,
incarnée notamment par les Ecoles des Beaux-Arts mais également
par d'autres institutions classiques, semble n'admettre que très
difficilement l'émergence des nouvelles technologies dans l'art, et que
d'autre part, l'esthétique numérique ne se satisfait pas, en
théorie, du dispositif muséal, de nombreuses expositions d'art
numérique ont lieu au sein de ces institutions, comme autant de
confrontations délicates et de « travestissements »
mutuels. Les musées et les artistes numériques acceptent, par
besoin de reconnaissance mutuelle, et certainement par défi, de
réconcilier leurs esthétiques théoriquement antagonistes.
Comme le soulignent Cécile Kerjan et Xavier Perrot dans un texte
concernant « Les Musées et l'art numérique en l'an
2000 », « Lorsque le Musée d'Art moderne de la
ville de Paris a entrouvert sa porte pour ZAC 99, la plupart des dissidents et
autres cyber-activistes « réfractaires » de la
scène parisienne s'y sont engouffrés, avec une avidité
légitime de reconnaissance »21(*).
.Analyse des différentes initiatives
institutionnelles
D'autres institutions prestigieuses ont accepté
d'accorder une place à l'art numérique telles que le MoMA
(Museum of Modern Art, New York), le SFMOMA (San Francisco Museum
of Modern Art), le Walker Art Center (Minneapolis). Les expositions d'art
numérique dans ces musées américains sont assez rares mais
très médiatisés, et accompagnées de discours des
conservateurs concernant l'importance de cet art émergeant. Citons en
exemple le conservateur du musée Walker Art Center pour qui
« l'art numérique ne peut pas rester plus longtemps
ignoré et doit être considéré comme une forme
artistique légitime »22(*). Il est très difficile de trouver des
informations précises sur les partis pris esthétiques et
scénographiques de ces expositions dans la mesure où,
malgré l'existence de sites Internet institutionnels, celles-ci n'ont
fait l'objet d'aucune archive ou trace écrite. Cependant, certains
théoriciens ont souligné les lacunes et plus
précisément le caractère souvent déceptif de ce
type d'exposition. Celles-ci offrent un discours très médiatique
et formel concernant l'émergence de l'art numérique mais
n'élaborent pas de discours esthétique au travers d'une recherche
scénographique. Selon Cécile Kerjan et Xavier Perrot,
« Ces effets d'annonce soulignent en creux leurs carences, et le
visiteur peut légitimement s'estimer déçu lorsqu'il se
retrouve en face d'un simple écran, avec une scénographie
apparentant la galerie d'art à un salon informatique ».
Ces musées semblent ainsi choisir de « montrer »
l'art numérique, au travers d'expositions ponctuelles et de discours
valorisant le mythe de la nouveauté, mais de n'y apporter aucun relief,
de ne l'éclairer d'aucun parti pris. De la même manière que
certaines écoles d'art académiques, ces institutions tiennent
compte de l'existence matérielle de l'art numérique mais semblent
négliger en réalité sa dimension esthétique et
philosophique.
Pourtant, certains musées, particulièrement en
France, ont donné lieu à des expositions marquantes, et ont
développé des partis pris intéressants sur le plan
scénographique et esthétique. On pense notamment à
l'exposition du Musée d'Art Moderne Electra, en 198323(*) et à celle du centre
Georges Pompidou nommée « Les
Immatériaux » en 1985. La première était
conçue par Franck Popper pour montrer de quelle manière les
sciences et les nouvelles technologies pouvaient libérer la
créativité, la sensibilité et finalement
« l'imaginaire artistique » tant du
créateur que du spectateur de l'oeuvre. La seconde était
organisée par Jean-François Lyotard et Thierry Chaput et
soulevait les problèmes philosophiques et esthétiques de la
relation de l'art, des nouvelles technologies et de la communication
post-moderniste. Ses organisateurs y exposaient, sur le même plan, les
produits technoscientifiques et les créations d'art numérique et
élaboraient ainsi une véritable réflexion concernant les
problématiques posées par l'art numérique. Ces deux
expositions semblent intéressantes dans la mesure où elles ont
enrichi, non seulement la forme artistique naissante, mais également son
parcours réflexif et introspectif. Cependant, il est très rare
que les musées traditionnels acceptent d'apporter leur pierre à
cette construction théorique, et l'art numérique peine à
s'affranchir de son caractère moderne et donc ponctuel. Une
conceptualisation plus globale de son champ esthétique et une
stabilisation, voire une banalisation de son existence disciplinaire semblent
constituer les perspectives souhaitables pour cet art qui n'est pour l'instant
qu'un objet événementiel. Singularité et
ponctualité apparaissent finalement, aux yeux des institutions, comme
les deux notions consubstantielles de l'art numérique, deux
caractéristiques fondamentales pour comprendre à la fois son
identité, et les difficultés de son
« institutionnalisation ». C'est ainsi que certains centres
d'art contemporains, notamment ceux entièrement consacrés aux
nouvelles technologies, se développent de manière sporadique en
tentant de s'approcher le plus possible de cet ordre de la ponctualité,
d'entretenir cet aspect éphémère de modernité
constamment renouvelée de l'art numérique. On pense notamment
à l'apparition de l'Antirom en Angleterre, un collectif de dix artistes
britanniques créé en 199424(*), du centre Ars Electronica
créé en Autriche en 198025(*), du Musée national des arts visuels de
Montévidéo en 199626(*). En France, on note principalement deux principaux
centres culturels qui se consacrent à la recherche et à la
création d'art numérique : le Métafort,
inauguré en 1998 comme lieu de recherche, de formation, de
création et de diffusion27(*), et le Centre International de Création
Vidéo Pierre Schaeffer à Hérimoncourt qui constitue
également depuis 1996 un acteur pionnier et très reconnu en
matière de création et de médiation d'art
numérique28(*). Ces
centres français et internationaux, assez peu nombreux et peu connus,
font de cette idée de ponctualité l'idée maîtresse
de leurs dispositifs d'exposition en donnant lieu à de nombreux
festivals et manifestations d'art numérique tout au long de
l'année.
.Conclusion intermédiaire : vers
une mise en lumière de l'objet en acte
L'étude de ces trois types d'institutionnalisations
bien distinctes, publiques, universitaires et culturelles, se
révèle très enrichissante pour définir l'art
numérique et les problématiques qui la gouvernent et il semble
important de s'attarder sur quelques concepts récurrents et structurants
avant de poursuivre la réflexion. Nous constatons, aussi bien sur le
plan historique qu'au travers de son exégèse théorique,
que l'oeuvre numérique est à la fois définie comme
proprement démocratique et pourtant intangible pour les publics. Elle a
la particularité de faire intervenir des acteurs à la fois
matériels et immatériels et de ne se définir qu'au moment
où elle est en acte, c'est-à-dire au moment où l'ensemble
de ces intervenants inter-agissent. Le spectateur, en tant qu'acteur physique
du dispositif et contemplateur « mental » de l'oeuvre
totale doit se diviser pour constituer, pour un temps, le coeur même de
l'oeuvre, au sens physique et conceptuel du terme. L'oeuvre numérique ne
prend vie et ne se définit réellement qu'au moment où
l'interaction entre le spectateur et l'oeuvre a lieu, qu'il s'agisse d'une
interaction conceptuelle, esthétique, expérimentale ou encore
ludique. Ainsi, l'artiste et le public--individuel mais également
institutionnel-- ne peuvent appréhender l'art numérique sans
contribuer, physiquement et moralement, à la réalisation
identitaire de ses oeuvres. Au travers de cette définition, se profile
bien la naissance d'une dimension proprement démocratique de l'oeuvre
d'art, par cette idée même de participation individuelle
nécessaire au tout que forme l'oeuvre. Or, ce dispositif
scénographique contribuant à une démocratisation
renouvelée de l'art semble n'être, pour l'instant, qu'un concept
abstrait dans la mesure où les différents publics ne parviennent
à se l'approprier comme tels. Si en effet les politiques publiques,
universitaires, et les institutions culturelles et artistiques prennent en
compte l'émergence des nouvelles technologies dans l'art, et en font
même parfois l'objet d'événements très
médiatisés, l'institutionnalisation de l'art numérique se
révèle relativement formelle et surtout très ponctuelle.
La singularité de cet art d'une part et la tendance de ses acteurs
à contester les dispositifs de médiation existants freinent toute
appropriation institutionnelle durable, et toute tentative de banalisation, ou
simplement de définition. Les institutions en question, et plus
particulièrement leurs médiateurs artistiques (portes paroles
d'institutions publiques, universitaires, instituteurs, conservateurs, ou
encore commissaires d'exposition) sont ainsi confrontés à une
injonction paradoxale : celle de démocratiser cet art naissant tout
en entretenant cet ordre éphémère et
événementiel propre à l'art numérique. Constatant
ainsi une distance importante entre les concepts gouvernant potentiellement
l'art numérique depuis sa naissance et son développement effectif
au sein des institutions, il nous semble essentiel de nous rapprocher de
l'objet étudié. Ainsi, après avoir étudié
les concepts et problématiques de l'art numérique d'une
manière indirecte, c'est-à-dire au travers du prisme des
théories et interprétations existantes, il semblait important de
mettre en lumière l'objet lui-même, au moment même où
il est créé, en se rapprochant de ses acteurs directs et
actuels.
3. Définitions de l'art numérique en
acte : confrontation des points de vue de trois artistes et
médiateurs sur leur travail et sur la création numérique
actuelle
La rencontre d'artistes, médiateurs
de l'art numérique, d'un public initié et agissant pour son
développement artistique et institutionnel est apparue comme
nécessaire pour dépassionner la polyphonie énonciative
définissant l'art numérique. A la suite d'entretiens individuels,
il s'agit ainsi de confronter les discours des artistes aux différentes
problématiques soulevées, à savoir les appropriations par
les artistes, par le public et par les institutions de ce lieu singulier et
éphémère. Les trois artistes qui ont accepté de
répondre à nos questions ont pour point commun
d'appréhender tous les trois l'art numérique au travers d'une
double approche : personnelle et institutionnelle. Ils diffèrent
cependant par le type d'institution auxquels ils appartiennent dans la mesure
où ils sont les porte-parole respectifs d'une école, d'un
musée et d'une institution spécialisée dans la
création numérique.
.Présentation des trois artistes
interrogés
Moïra Marguin réalise, à titre
privé, des oeuvres sur ordinateur grâce à des logiciels de
création en trois dimensions et est par ailleurs fondatrice et
directrice, depuis deux ans, du pôle numérique de l'Ecole des
Beaux-Arts de Paris : son point de vue est donc à la fois celui
d'une artiste, celui d'une enseignante d'art numérique, et enfin celui
de l'unique médiatrice du numérique aux Beaux-Arts de Paris (Cf.
Entretien avec Moïra Marguin en annexe p.XI).
Régis Cotentin réalise essentiellement,
en tant qu'artiste, des créations vidéo et est également,
à titre professionnel, commissaire d'exposition au Musée des
Beaux-Arts de Lille. Il s'est chargé de l'organisation et de la
scénographie de la première exposition d'art numérique au
Musée des Beaux-Arts de Lille, l'exposition « Volupté
numérique »29(*), et projette de développer ce courant, comme
une véritable discipline à part entière au sein de
l'institution. C'est donc en tant qu'artiste, mais également en tant que
scénographe et porte parole institutionnel de l'art numérique que
Régis Cotentin a accepté d'éclairer nos
problématiques (cf. Entretien avec Régis Cotentin en annexe
p.III).
Enfin, Daniel Cacouault est, à titre
personnel, artiste peintre et utilise les logiciels de peinture
numérique comme supports de brouillon. Sur le plan professionnel, il est
directeur artistique de la société de production
cinématographique DreamWorks et réalise également
les clips vidéo de musiciens tels que Gorillaz30(*). C'est ainsi, au travers de
son usage singulier de l'outil numérique pour la réalisation de
ses oeuvres plastiques, et au travers de son expérience professionnelle
que ce dernier a enrichi notre travail de réflexion (cf. Entretien avec
Daniel Cacouault en annexe p. XIX).
Comment ces trois artistes parviennent-ils à se
positionner et à tenir un parti pris cohérent au sein de cette
expression artistique qui se revendique d'une part marginale,
révolutionnaire et indéfinissable, et d'autre part comme un
mouvement créatif pluridisciplinaire, démystifié et
démocratisé ? En tant qu'artistes, porte-parole
institutionnels et acteurs engagés de l'art numérique,
comment perçoivent-ils les paradoxes et difficultés du
processus de création, de réception et de médiation des
oeuvres numériques ?
- Nous verrons dans un premier temps de quelle manière
les artistes perçoivent et nuancent le caractère
révolutionnaire de la création numérique en
réinscrivant cet art dans une esthétique globale.
- Dans un second temps, nous tenterons de comprendre de
quelle manière ces artistes et médiateurs conçoivent
la démocratisation de la réception
associée de manière récurrente à l'art
numérique.
- Enfin, nous étudierons leur conception des
différentes possibilités et difficultés de la
médiation de l'art numérique.
a) Remise en cause de l'idée de
« révolution » de la création
numérique
Au travers des entretiens, nous avons cherché
à savoir, dans un premier temps, ce qui avait amené les trois
artistes interrogés à choisir le numérique comme
médium d'expression artistique, et à comprendre ainsi la
perception qu'ils avaient de leur propre activité artistique
personnelle. Dans quelle mesure se sont-ils appropriés les discours
énonciatifs de l'art numérique, le définissant comme un
art « bouleversant » les règles techniques et
philosophiques de la création? Nous notons que les trois artistes
s'accordent pour réinscrire l'art numérique dans l'histoire de
l'art au travers des notions paradoxales de rupture et de continuité.
Plus précisément, il semble que le courant soit souvent
défini, d'une manière théorique ou institutionnelle, comme
une rupture esthétique flagrante tandis qu'il constitue, sur le plan de
la pratique artistique, le simple héritage des formes traditionnelles et
le prolongement de l'art contemporain.
.Une transformation du rapport à l'objet
artistique ?
D'une part en effet, l'art numérique est défini
par les artistes interrogés comme une forme transformant
considérablement les règles de la création. Moïra
Marguin affirme que le moment de la création, en art numérique,
est déjà gouverné par l'idée récente
d'interactivité et d'expérimentation interactive de l'oeuvre par
l'artiste :
« Ce qui est intéressant dans l'art
numérique, c'est l'aspect « nodal » (...), c'est ce
qui permet de connecter les événements les uns aux autres qui
vont engendrer des modifications et une interactivité interne propre au
logiciel. En 3D, par exemple, lorsque mon personnage avance, la couleur de son
vêtement peut changer». (Cf. Annexe p. XI)
L'artiste entre en dialogue avec son oeuvre,
expérimente ses couleurs, ses formes et ses concepts, en ayant la
possibilité d'effacer et de recommencer, et devient ainsi
« maître » de son oeuvre. On remarque que les trois
artistes évoquent cet aspect expérimental comme un relatif
bouleversement du rapport à la création dans la mesure où
l'oeuvre créée n'est qu'une forme ponctuelle et modifiable
à tout instant. L'artiste expérimente son oeuvre avec une sorte
d'insouciance et de ludisme. Moïra Marguin confie à ce
sujet :
« Ce qui m'a séduite, c'est d'être
maître du monde en un clin d'oeil (...) On a une liberté qui est
extraordinaire. On peut créer de la lumière négative sans
structure derrière pour soutenir le spot, des choses qui sont
impossibles dans la réalité. On est à l'extrême de
l'artifice et du paraître ». (Cf. Annexe p. XI)
Ces notions d'expérimentations interactives et
artificielles et de maîtrise presque ludique du processus de la
création permettent à celle-ci de se démocratiser d'une
manière considérable, dans la mesure où tout individu
s'intéressant au numérique peut adopter cette démarche
créative et devenir maître d'une oeuvre. Moïra Marguin
illustre cette notion de démocratisation de la création par la
formule anglaise « Do it yourself ». Daniel
Cacouault confirme et renforce cette idée de maîtrise ludique et
insouciante de la création numérique puisqu'il définit
celle-ci comme « la structure de l'enfance, de la lumière
de l'innocence ». Pour lui, les réelles mutations
apportées par l'art numérique dans la pratique artistique
résident dans cette notion d'expérimentation infinie de
l'oeuvre :
« C'est du ludique : on s'amuse parce que
c'est sans conséquence, on ne touche pas à la matière, on
n'est pas responsable parce qu'on peut faire tout ce qu'on veut (...)
L'ordinateur lui-même et sa logique peuvent dérégler en une
seconde l'ensemble de l'image ; tandis qu'avec une peinture il faut une
journée pour modifier un petit coin. C'est ça qui est
fantastique». (Cf. Annexe p.XIX)
Ainsi, l'art numérique semble, à plusieurs
égards, transformer la pratique artistique dans la mesure où il
permet l'apparition d'un travail créatif, expérimental et ludique
autour de procédés artificiels. Les deux artistes
évoqués utilisent d'ailleurs le même terme
d' « immatérialité » pour définir
l'aspect le plus marquant de l'art numérique.
. La « révolution du
numérique » : un argument
communicationnel ?
Or, les idées de « rupture » et de
« bouleversement » de la pratique artistique, très
présentes dans les discours concernant le courant, sont fortement
nuancées par les trois artistes interrogés. Ces derniers y voient
un argument communicationnel, une sorte d'étiquette permettant de rendre
cet art plus attrayant et d'en élargir la diffusion. Pour Régis
Cotentin, il existe « un principe de permanence dans
l'art », c'est-à-dire une linéarité
esthétique dans l'histoire de l'art qui rend obsolète toute
catégorisation schématique :
« Ca va être plus facile pour le
journaliste, pour la personne qui a un article ou un travail à
défendre (...) Ce sont des notions de facilités qui deviennent
des notions de genre (...) Il y a un certain romantisme dans l'idée de
rupture, de nouveauté. Les artistes adorent dire qu'ils ont rompu avec
ce qui était, qu'ils ont renié les anciens et qu'ils font du
nouveau (...) [l'art] est une sorte de langage qui se développe sans
arrêt, face auquel on est de plus en plus exigeant mais qui se
développe sans rupture réelle. » (cf. Entretien
avec Régis Cotentin en annexe p.III)
Pour lui, les pratiques artistiques comprises par
l'expression « art numérique » ne constituent pas
une révolution, mais des évolutions progressives et attendues de
la création. La démonstration de Régis Cotentin, car il
s'agit d'une véritable démonstration de la permanence de l'art,
part des pratiques artistiques les plus primitives, telles que les portraits du
Fagum, évoque la Renaissance et les évolutions des deux
siècles passés. Pour lui, l'histoire de l'art est une quête
perpétuelle, sans progrès ni rupture, du « trompe
l'oeil parfait» et d'une identification possible du spectateur.
L'art numérique s'inscrit tout à fait dans ce processus
historique dans la mesure où il « insère le
spectateur dans un univers trompeur, très proche du réel à
la fois visuel et sonore, dans lequel il peut vivre des sensations optiques et
physiques (...) On est dans un procédé de relation à
l'oeuvre, de sensation visuelle et physique qui s'enchaîne par rapport
à une histoire de l'art. Mais il n'y a pas de notion de
progrès » (cf. Entretien avec Régis Cotentin en
annexe p.III). Ainsi, si le médium utilisé
implique quelques changements sur le plan de la création, le courant
artistique en lui-même ne fait que prolonger une quête
esthétique, une démarche artistique traditionnelle et sans
surprise.
.Arts traditionnels et arts
numériques : les continuités
Daniel Cacouault confirme cette idée de marche
linéaire et cohérente de l'esthétique dans l'histoire de
l'art mais y apporte quelques nuances. Pour lui, l'art numérique
apparaît dans une certaine mesure comme une inversion des pratiques
artistiques traditionnelles. Cependant, en inversant précisément
les pratiques classiques, l'art numérique se réfère aux
pratiques passées. Comme nous l'avons vu, ce type de création
constitue pour lui la partie extérieure et immatérielle de l'art,
celle qui est ludique parce que « sans
conséquence ». Il utilise l'image très
significative des vêtements pour définir ce que représente
à ses yeux l'art numérique par rapport à l'art
traditionnel :
« Pour moi, c'est ma part professionnelle,
celle que je vends, dont je profite, et la peinture c'est la part intime. Je
n'y mets qu'une partie extérieure de moi, c'est la partie que je
communique, c'est comme les vêtements ». (Cf. Annexe
p.XIX)
On ne peut donc parler de
« bouleversement » pour deux pratiques artistiques qui sont
comme les deux facettes d'une même pièce. Daniel Cacouault
développe d'une manière très intéressante ce
rapport d'inversion entre la création numérique et la pratique
artistique traditionnelle en associant l'oeuvre numérique à
l'idée de pureté, de propreté, et l'oeuvre plastique
à l'idée de rature, d'épaisseur ou de
« pâté » :
« Si la peinture pousse à une
intériorisation, par la rature, la digression, l'impact de la
personnalité, le numérique pousse à une
extériorisation. (...) Avec le numérique on essaye de faire de la
matière avec de la lumière tandis qu'avant on essayait de faire
de la lumière avec de la matière ». (Cf. Annexe
p.XIX)
Ainsi, pour Daniel Cacouault, l'art numérique ne peut
être perçu comme une révolution dans la mesure où il
s'inscrit dans une quête perpétuelle et paradoxale
d'intériorisation et d'extériorisation par la
création : « Pour moi, il n'y a pas de
révolution, c'est dans la continuité de l'approfondissement de la
matière, son intériorité, son
extériorité».31(*)
Enfin, pour l'artiste Moïra Marguin, les rapports
d'héritage entre l'art numérique et l'art traditionnel sont plus
nuancés. Pour elle, l'apparition de l'oeuvre numérique ne peut
que rompre avec les pratiques classique dans la mesure où elle est, par
essence, totalement immatérielle et interactive :
« On est dans l'immatériel total. Voilà ce qui
bouleverse totalement l'art. C'est devenu un art complètement
démocratique et impalpable » (Cf. Annexe p. XI) Le lien
d'héritage entre la création numérique et la
création traditionnelle n'est pas évident et ce sont les artistes
eux-mêmes qui doivent construire ce lien. En effet, pour cette artiste,
l'art numérique est un art coupé de la réalité, un
art de l'artifice et du paraître qui ne peut représenter que des
lignes droites ou des ronds parfaits, sans aspérité ni
texture : « En peinture on va avoir de la couleur, de la
brillance, une odeur. Avec l'art numérique, on n'a plus d'odeur, on va
perdre le côté tactile». La reconstruction d'un rapport
au réel, au palpable et donc, quelque part, aux pratiques
traditionnelles de l'art, constitue ainsi une sorte de défi pour
l'artiste. L'exemple de la première oeuvre de Moïra Marguin
illustre tout à fait cette idée de reconstruction, par l'artiste,
d'une continuité entre l'art plastique et l'art numérique :
« J'ai commencé à travailler avec
l'outil numérique avec mon premier film « Histoire de
Crayons ». Au départ, ce sont des dessins d'enfants, c'est un
travail sur le mode d'expression des enfants. Et au moment où j'ai fait
ce film, y'avait un style 3D (...) Il y avait une recherche de la
réalité virtuelle. Il y avait encore trop peu d'artistes qui
avaient commencé à transposer une esthétique autre que
l'hyperréalisme. Donc j'ai pensé : « le propre du
logiciel c'est de faire des choses parfaites : un rond parfait, un cube
parfait. Mais il se trouve que la réalité même n'est pas
parfaite (...) Les dessins d'enfants sont très vivants et pour moi,
c'était le contre-pieds de ce qu'on pouvait faire avec un logiciel 3D.
Donc je me suis mise à transposer ces dessins d'enfants dans un logiciel
pour arriver à faire quelque chose de spontané avec un outil qui
au départ n'est absolument pas spontané. Mon idée de
départ c'était de régénérer de la
spontanéité». (Cf. Annexe p. XI)
Ainsi, pour Moïra Marguin, alors même que le
médium numérique devrait transformer remarquablement la pratique
artistique, il engendre un retour paradoxal au dessin et aux autres formes
artistiques traditionnelles.
On peut donc considérer qu'en théorie, l'art
numérique apparaît comme une transformation du processus
créatif dans la mesure où il participe à l'introduction
dans le domaine de l'art des notions d'expérimentation infinie,
d'immatérialité et de perfection artificielle de la
représentation. Cependant, ces idées de transformation et de
rupture de la pratique artistique se révèlent assez formelles et
réductrices dans la mesure où les artistes, dans la pratique,
réinscrivent naturellement le courant auquel ils se sentent appartenir
dans une marche globale de l'esthétique dans l'histoire. Ces rencontres
et entretiens avec trois artistes nous ont ainsi permis de mesurer
l'écart entre les discours concernant l'art numérique et son
exercice pratique : si les discours extérieurs sur ce courant
artistique, entretenus par les médias et institutions culturelles, font
apparaître celui-ci comme un courant explicitement marginal et
contestataire, les acteurs de celui-ci l'utilisent comme un simple mode
d'expression artistique, non comme un message de contestation et y voient
souvent une évolution naturelle et attendue de l'art contemporain.
b) Un art démocratique ?
Parallèlement à ces interrogations sur l'aspect
révolutionnaire de la création numérique, se dégage
des entretiens une remise en question de l'idée de
démocratisation impliquée par l'art numérique. Il se
développe en effet un discours théorique sur la réception
valorisant l'aspect démocratique de l'art numérique, et de
manière plus générale et plus ancienne, de l'art
contemporain. En effet, les expérimentations de l'art moderne,
inaugurées notamment par Marcel Duchamp, revendiquent une
libération générale de la pratique de l'art des
contraintes classiques de représentation. La pensée
post-moderniste a formulé des caractéristiques inhérentes
à l'art contemporain, telles que celle d'une relation horizontale et
interactive entre l'oeuvre d'art et le public. L'ère contemporaine est
ainsi définie comme proprement démocratique dans la mesure
où elle vise une désacralisation de l'oeuvre et une mise en
relation interactive et parfois ludique à l'oeuvre d'art. L'art
numérique confère à la notion de démocratisation de
l'art contemporain une dimension particulièrement significative dans la
mesure où il implique une relation non seulement interactive entre
l'oeuvre et le public, mais également la possibilité d'une
participation individuelle à la réalisation et à la
définition de l'oeuvre, qu'il s'agisse d'une participation physique ou
interprétative. Ainsi, le fait que le spectateur puisse
reconnaître son action individuelle et collective sur l'oeuvre en acte
semble constituer une illustration tout à fait symbolique et
éloquente à l'idée de démocratie.
Or, comment parler de démocratisation et de grand
public pour un art qui d'une part ne parvient pas à s'installer de
manière durable dans les institutions, et qui d'autre part revendique un
aspect conceptuel, parfois difficile à saisir pour le public ? Nous
avons cherché à savoir, au travers des entretiens, quelle
était la prégnance de cet aspect démocratique dans la
conception des artistes et acteurs institutionnels. Le mythe d'un art
démocratisé est-il, aux yeux de ces derniers, vérifiable
en pratique ?
.Le potentiel de
« séduction » de l'art
numérique
Une fois de plus, cette question d'un art démocratique
ne paraît aller de soi pour aucun des trois artistes interrogés et
constitue l'objet de questionnements définitionnels qui se
révèlent essentiels. Il semble évident, pour les trois
artistes, que l'art numérique possède un potentiel
démocratisant qui réside d'une part dans la
désacralisation de l'oeuvre d'art et, d'autre part, dans l'implication
individuelle du spectateur et son rapport interactif avec l'oeuvre qui lui
permet de se reconnaître, physiquement ou mentalement, dans celle-ci. Or,
on note dans les trois discours une certaine difficulté à
imaginer la perspective réelle d'une démocratisation pour un art
aussi conceptuel et difficile à cerner. Pour Moïra Marguin, le
potentiel démocratique de l'art numérique réside aussi
bien dans les possibilités de diffusion de celui-ci que dans ses
possibilités de réception par le public. D'une part, les
nouvelles possibilités de diffusion offertes par l'art numérique
démystifient l'oeuvre d'art et son public en affranchissant ces derniers
du cadre conventionnel du musée. Ces modalités de diffusion
étendent le public d'une manière considérable dans la
mesure où elles attirent les initiés à l'art contemporain,
mais permettent également de toucher des individus qui ne
fréquentent pas les musées, ou qui n'ont pas
nécessairement développé d'intérêt culturel
ou artistique jusqu'alors :
« L'oeuvre numérique pour moi est
largement démocratisée par Internet (...) Mais je pense que l'art
sera moins dans les musées que sur les réseaux. Les gens qui
seront touchés par l'art numérique seront d'abord touchés
via Internet» (Cf. Annexe p. XI)
Par ailleurs, sur le plan esthétique, Moïra
Marguin souligne le pouvoir démocratisant, qu'il faut comprendre cette
fois-ci comme convainquant en soi ou séduisant pour un large public, de
ce courant artistique. Ce potentiel de « séduction »
de l'art numérique, réside pour elle dans l'aspect tactile,
ludique des oeuvres, et précisément dans cette relation de
reconnaissance interactive, d'appartenance mutuelle, s'établissant entre
le spectateur et l'oeuvre :
« Je pense que l'interactivité en
numérique c'est quelque chose qui plaît, c'est très
attractif de pouvoir participer à l'oeuvre. On se sent faire partie de
l'oeuvre c'est très convivial. Ca amène les gens à la
créativité donc c'est forcément positif »
(Cf. Annexe p. XI). Régis Cotentin développe
également cette idée d'ouverture de l'oeuvre aux spectateurs mais
y ajoute une notion plus large de générosité des oeuvres
d'art numérique. Pour lui, « les disciplines qui font
intervenir du numérique sont des disciplines généreuses et
ouvertes, au sens où elles font souvent intervenir différents
arts, et au sens où elles vont à la rencontre du public, par leur
dispositif et par leur discours esthétique en quelque sorte»
(cf. annexe p.III)
Ce courant ouvre aussi bien la pratique artistique que le
discours esthétique au sens où il mêle les disciplines et
ne s'adresse pas à un public prédéfini ou initié.
Enfin, Daniel Cacouault souligne également les éléments
expliquant le potentiel démocratisant de l'art numérique.
L'artiste élabore une esthétique de la réception au
travers d'une typologie sensorielle. Pour lui, la démocratisation ne
peut s'élaborer que sur un vécu sensitif, sur des sensations
communes. Ainsi, un courant artistique ne peut se démocratiser que
dès lors qu'il évoque des sensations communes aux spectateurs :
« Il y a six sens : les sens
inférieurs et les sens supérieurs. Les sens inférieurs
sont le toucher, le goût et l'odorat ; les sens supérieurs
sont l'ouïe, la vue et l'intellect. Les gens qui ne sont pas
éduqués, pas cultivés auront toujours un attrait plus
spontané pour les choses qu'ils peuvent toucher, sentir, et voir, pas
les choses qu'ils peuvent imaginer. Le grand public sera donc attiré par
l'aspect multi-sensoriel des oeuvres numériques » (Cf.
Annexe p.XIX)
Ainsi, il semble que les trois artistes s'accordent pour voir
en l'art numérique un art ouvert, tourné vers un public large,
particulièrement par son aspect ludique, interactif et
expérimental.
.La tendance hermétique d'un art
conceptuel
Or, comme nous l'avons vu, l'art numérique a pour
particularité de mêler l'expérimentation multi-sensorielle
du publique à un versant interprétatif, souvent impalpable et
éphémère. Par ailleurs, la dimension artistique des
oeuvres réside souvent moins dans l'aspect expérimental de
l'oeuvre que dans son aspect interprétatif. De même que pour
nombreux courants de l'art moderne, les oeuvres numériques font primer
le concept sur l'aspect matériel de l'oeuvre et ne peuvent être
comprises par le spectateur comme des oeuvres d'art qu'après une
certaine interprétation, une intellectualisation. Ce dédoublement
de l'oeuvre est clairement évoqué par les trois artistes comme
l'élément central de la difficulté de la réception
et de la médiation de l'art numérique. Ne dit-on pas, en effet,
que l'art moderne a signé la fin de l'idée de beauté
universelle en art ? Pour Daniel Cacouault, si l'art numérique
semble avoir un potentiel démocratisant, en ce qu'il implique une
concordance de sensations individuelles, il se révèle très
vite peu séduisant pour le public non initié dans la mesure
où il implique également et surtout un effort
d'interprétation et de conceptualisation qui ne saurait être
collectif:
« Le grand public sera donc attiré par
l'aspect multi-sensoriel des oeuvres numériques, mais pour le reste
c'est de l'art abstrait, c'est un art sans sujet, dont il faut imaginer le
thème (...) l'art numérique restera communautaire, ça
restera très élitiste. Il y a un potentiel du numérique
à la démocratisation mais l'oeuvre d'art numérique ne peut
pas être vraiment démocratique puisqu'elle reste l'expression
d'une conception du monde sur laquelle tout le monde ne peut pas
forcément se retrouver. Pour qu'une oeuvre soit démocratique, il
faut qu'elle réussisse à unifier, à connecter les
spectateurs autour d'une conception, autour d'un ego d'artiste (...) C'est de
l'intime, c'est tout sauf voluptueux. C'est très subtil, c'est du
parfum. ». (Cf. Annexe p.XIX)
Ainsi, pour cet artiste, la perspective du
développement d'un art démocratique au travers de l'art
numérique ne peut être que déceptive pour le public. En
effet, cette idée d'un art démocratique peut se créer au
travers d'une certaine coïncidence des sensations du public et autour du
simple versant interactif et ludique de certaines oeuvres, qui ne saurait
être considéré comme artistique. Cependant, un courant dont
la dimension artistique réside toute entière dans son aspect
conceptuel, c'est-à-dire son versant interprétatif et impalpable,
ne saurait durablement, selon lui, réunir un public étendu. En
d'autres termes, si une oeuvre d'art comporte toujours plusieurs lectures,
plusieurs étapes de compréhension, l'oeuvre numérique a
pour particularité de n'acquérir sa dimension artistique
qu'à la suite d'une interprétation conceptuelle. Comment
démocratiser une oeuvre qui, tout en se présentant comme
expérimentale, est entièrement intellectuelle ?
.Le caractère déceptif de certaines
initiatives démocratisantes
Moïra Marguin confirme et renforce cette idée en
évoquant certains exemples concrets de ce caractère
déceptif de l'art numérique pour le grand public. Comme on l'a
vu, cette artiste et enseignante considère que l'art numérique
dispose d'un potentiel démocratisant considérable dans la mesure
où il offre des oeuvres attractives et séduisantes pour un public
initié et non initié, et est véhiculé par des
canaux de diffusion très larges, affranchis de l'élitisme
artistique. Cependant, elle nuance cette idée en montrant que d'une
part, certaines oeuvres qui ne reposent pas sur des concepts pertinents sont
totalement dénuées de valeur artistique. Ces oeuvres tout
à fait attractives pour le public ne pourraient être
considérées comme des oeuvres d'art et s'apparentent plus
à des « gadgets ». Moïra Marguin
montre ainsi l'importance fondamentale de l'aspect conceptuel des oeuvres en
art numérique et s'interroge sur la compréhension du
public : comment un art peut-il s'annoncer aussi généreux,
ouvert aux publics et offrir finalement un grand nombre d'oeuvres totalement
impalpables et parfois illisibles pour ses spectateurs ?
« Moi je pense que le public veut comprendre.
Quand il y a rien à comprendre je pense que le public est
frustré. Ce n'est pas comme ça qu'on attire le public. (...)Mais
s'ils se retrouvent face à un objet non identifié, (Cf.
Annexe p. XI) qu'ils n'arrivent même pas à cerner ou à
définir, cela ne sert vraiment à rien ! Et ça
arrive ! ».
L'artiste interrogée soulève ainsi, au travers
d'exemples d'expositions ou d'oeuvres numériques, le paradoxe d'oeuvres
d'art qui se mettent à la portée du public pour ensuite lui
échapper, qui sont attractives et interactives en théorie, mais
se révèlent très souvent insaisissables en
réalité. Le paradoxe est ensuite bien résumé par
cette phrase : « C'est devenu un art totalement
démocratique et impalpable ».
.Le mythe d'un art démocratique remis en
question par les artistes
En effet, cet écart entre l'aspect matériel et
expérimental et l'importance du concept et de l'immatériel dans
l'esthétique numérique est confirmé par la perception que
les trois artistes ont de leurs propres oeuvres. Le langage
particulièrement abstrait et parfois complexe utilisé par ces
derniers pour décrire leurs oeuvres semble très
éloigné des ambitions démocratiques de leurs
institutions à l'égard de l'art numérique. Moïra
Marguin par exemple, qui évoque avec récurrence l'idée
d'une démocratisation institutionnelle de l'art par l'esthétique
numérique montre ici l'écart existant entre sa perception
institutionnelle et sa perception personnelle d'artiste :
« Mes oeuvres sont plus spontanées que le
discours que je tiens ici. Ce sont des oeuvres inspirées de situations
du moment, du vécu, du quotidien. Ce sont souvent des choses assez
personnelles qui ne peuvent pas être montrées »
(Cf. Annexe p. XI).
Il a été difficile d'en savoir plus sur le
travail personnel de cette artiste. Par ailleurs, Régis Cotentin, qui
par son activité professionnelle de scénographe définit
l'art numérique comme un art de l'ouverture aux autres disciplines et
aux publics, définit ses oeuvres par l'abstraction et
l'éphémère :
« Mes oeuvres parlent de ça : de
cette tension entre l'abstrait et le concret, entre
l'éphémère et le durable. Ce qui est intéressant
c'est justement le fait de ne jamais parvenir à concrétiser quoi
que ce soit ».(cf. annexe p.III)
Au cours de l'entretien, cet artiste s'étendait
volontiers sur ces aspects conceptuels, sur cette compréhension seconde
et intellectualisée de ses oeuvres et n'a évoqué, à
aucun moment, la mise en forme concrète de ces concepts, et à la
réception plus immédiate de ses oeuvres. Enfin, Daniel Cacouault,
plus qu'aucun artiste interrogé, développe un système
théorique particulièrement complexe à propos de ses
oeuvres et montre qu'il ne saurait considérer cette partie de son
travail comme attrayante pour le public :
« J'utilise le support numérique comme il
est c'est-à-dire les synthèses lumineuses et les espaces sans
matière. C'est un travail personnel, intime, je ne recherche pas du tout
le contact avec les autres ».
Se dégage ainsi, au travers de ces trois discours, un
écart flagrant entre la perception personnelle et institutionnelle de
l'art numérique. Si les trois artistes ne nient pas l'idée d'une
certaine ouverture, et d'une idéologie démocratique de l'art
numérique en tant que courant naissant, ils ne peuvent évoquer
leurs propres oeuvres sans en évoquer l'aspect complexe,
éphémère, et peu attractif pour le public. Ainsi, si l'on
ne peut tirer de conclusions concernant la réception des oeuvres
personnelles de ces artistes en particulier par le public, l'on peut imaginer
que ces dernières, loin de démocratiser l'art numérique,
risquent de demeurer hermétiques au grand public, non seulement par leur
complexité conceptuelle et leur caractère
éphémère, mais surtout par cet écart
considérable créé entre le versant attractif, ludique et
peu artistique de l'oeuvre, et son versant intellectuel parfois impalpable.
c) La médiation de l'art numérique :
renouvellement des questionnements et des possibilités
Ces questionnements concernant la réception des
oeuvres numériques et remettant en cause l'idée d'une
démocratisation de l'art nous amènent naturellement à une
problématique de mise en exposition, de médiation de cette forme
artistique. La mise en exposition d'oeuvres conceptuelles et physiques et de la
réflexion scénographique qui la sous-tend paraît
très subtile et constitue à elle seule un sujet de recherche
à part entière. L'exposition peut en effet être
perçue comme le simple agencement, ou la disposition des objets
exposés. Jean Davallon, dans son ouvrage L'exposition à
l'oeuvre, s'interroge précisément sur cette idée
d'une exposition qui ne pourrait acquérir de cohérence
sémiotique que sous le regard actif du visiteur, et qui ne constituerait
pas, à elle seule, un véritable système signifiant :
« N'a-t-on pas en effet souvent l'impression que le visiteur doit
faire les frais de la production de signification ? Que c'est lui qui a la
charge de donner une cohérence sémiotique à ce qui n'est
avant tout qu'une disposition formelle de
« choses » ? »32(*). A l'inverse, la mise en
exposition artistique peut être perçue, non plus comme une
disposition de « choses », mais comme une proposition
conceptuelle et sémiotique, voire une médiation
« injonctive » comme nous l'avons souvent vu. Umberto Eco
ne parle en aucun cas d' « injonction » ;
cependant il compare l'exposition à un texte, c'est-à-dire
« une série cohérente de propositions
reliées entre elles par un topic, ou un thème
commun »33(*). Cette conception de l'exposition montre ainsi
l'intervention possible d'une articulation sémiotique et signifiante,
conceptualisée et produite par le scénographe. Ainsi,
pour Jean Davallon, « l'exposition doit donc lui donner [au
visiteur] les indications lui permettant à la fois de reconnaître
qu'il s'agit d'une exposition (...) de comprendre ce qu'il convient de faire
compte tenu par exemple du statut des objets (...), du mode de relation
proposé (...), ou des informations connexes apportées sur les
objets exposés ».
Ces différents enjeux et problématiques
concernant l'exposition deviennent d'autant plus fondamentaux et
délicats lorsqu'ils concernent des oeuvres qui proposent d'ores et
déjà une esthétisation de la relation avec le public et
une remise en cause des modes de réception. La mise en exposition de
ces oeuvres semble théoriquement facilitée par la
démystification et la dématérialisation de l'oeuvre d'art.
Les artistes numériques revendiquent en effet, comme nous l'avons
déjà vu, une certaine indépendance de leurs oeuvres
vis-à-vis des cadres traditionnels d'exposition, et une volonté
de s'affranchir de tout cadre matériel : qu'il s'agisse du
musée ou de la toile. Or, la démystification de l'art et sa
dématérialisation ne peuvent entraîner l'absence de toute
médiation artistique. Au contraire, il semble que la dimension fortement
conceptuelle et individualisante des oeuvres numériques imposent une
esthétique scénographique très complexe. Dispositif
physique de participation individuelle et objet artistique de contemplation et
de réflexion, l'oeuvre numérique ne peut être
exposée sans l'élaboration, en amont, d'une réflexion
scénographique importante. De quelle manière les trois artistes
interrogés conçoivent-ils les difficultés de mise en
exposition de l'art numérique ? En tant que spectateurs, artistes,
acteurs institutionnels quelle est leur perception de la médiation de
cet art qui revendique tout à la fois une facilité d'accès
et un renouvellement conceptuel de la scénographie artistique ?
.Une ouverture de la médiation par le
numérique ?
Moïra Marguin, directrice du pôle numérique
des Beaux-Arts, développe dans un premier temps un discours assez
théorique en affirmant que l'art numérique ouvre les
possibilités de médiation d'une manière
considérable. La désacralisation et la
dématérialisation de l'oeuvre d'art permettent à celle-ci
d'être diffusée aussi bien par les musées, et galeries, que
par les nouveaux médias comme Internet ou autres supports
interactifs : « L'art numérique étend vraiment
les possibilités de diffusion artistique puisque ses oeuvres sont
exposées à la fois, sous différentes formes, dans les
musées, les centres d'art contemporain, et à la fois dans des
espaces moins consacrés comme Internet ». (Cf. Annexe p.
XI) Elle renforce cette idée en affirmant qu'à l'avenir, selon
elle, « l'art sera moins dans les musées que sur les
réseaux » et cessera ainsi de n'intéresser que les
publics initiés. Dans les lieux d'exposition traditionnels,
l'esthétique numérique permet selon elle de désacraliser
les oeuvres et de faciliter, en théorie, la médiation. Ainsi, il
semble que d'un point de vue théorique, cette forme artistique, par son
esthétique même, ouvre de nouvelles possibilités
d'exposition encore inexplorées. En supprimant d'une part la notion de
cadre et de fixité, et en atténuant d'autre part l'impression de
« distance verticale » entre l'oeuvre et le public, l'art
numérique semble faciliter la médiation vers le public.
.Le spectateur tantôt
« oublié », tantôt
« kidnappé » par la médiation
artistique
Or, il est nécessaire de dépasser ce point de
vue très théorique, qui s'apparente à une idéologie
de l'art numérique. Moïra Marguin elle-même adopte, durant la
suite de l'entretien, le point de vue d'une spectatrice et s'interroge sur les
nombreux écueils communicationnels de cette forme artistique au travers
de deux exemples principaux d'exposition. Le premier exemple est celui d'une
oeuvre numérique présentée au Palais de Tokyo lors d'une
vaste exposition d'art contemporain nommée « Notre
Histoire »34(*). Cette oeuvre, réalisée en 2003
par le groupe Kolkoz composé des deux artistes Samuel Boutrouche et
Benjamin Moreau et nommée « Film de Vacances Hong
Kong », montre des images de vacances
remodélisées en trois dimensions. Au sein de l'exposition, cette
vidéo est diffusée sur un écran d'ordinateur placé
au coin d'une salle complètement obscure. Selon Moïra Marguin,
cette oeuvre est « totalement
inintéressante » :
« Un artiste qui a repris ses images de
vacances, qui les a transposées en 3D d'une manière très
sommaire. J'ai lu ce que le groupe d'artiste a voulu faire dans le magazine des
Beaux-Arts mais sans l'explication, j'aurais été devant l'oeuvre
en disant « so what ? »35(*) Souvent il faut le mode
d'emploi. Je ne trouve pas ça normal qu'on ait besoin d'un mode
d'emploi, ou alors si vraiment il faut une explication, au moins qu'elle soit
sur place ; sinon je ne vois pas l'intérêt. Je trouve que
c'est un manque de respect de montrer une oeuvre qu'on ne peut pas comprendre.
C'est un manque de respect pour le visiteur». (Cf. Annexe p. XI)
Ce cas est assez parlant dans la mesure où il montre
à quel point la médiation du concept artistique peut être
difficile. Cette vidéo paraissait en effet distrayante mais
n'était pas convaincante sur le plan artistique dans la mesure où
elle ne semblait véhiculer aucun message intellectuel. Or, on comprend
en se renseignant sur ces artistes qu'ils inscrivent cette oeuvre dans une
problématique générale du réel, du jeu et de la
science fiction. Une réflexion scénographique importante pour une
meilleure compréhension, et une appréciation conceptuelle de
cette oeuvre, aurait été nécessaire et semble avoir fait
défaut. Le second exemple évoqué par Moïra Marguin
est celui d'une exposition d'art vidéo organisée par la Fiac et
nommée « Diva » :
« [C'était] La pire expo que j'ai vue
(...) [elle] avait lieu dans un hôtel du XVIIIème qui faisait
hôtel de passe et les couloirs n'étaient pas
éclairés donc on arrivait dans des couloirs complètement
obscurs et on entrait dans les chambres des artistes où il y avait un
lit, on était sensé s'allonger, ou s'asseoir. Je n'ai pas
supporté. Je n'ai pas eu envie de rester, je me sentais kidnappée
(rires), je suis très vite partie».(Cf. Annexe p. XI)
Ce cas semble opposé à celui
évoqué précédemment. Ici, la réflexion
scénographique semble si importante et sophistiquée qu'elle
enferme le spectateur, malgré lui, dans son dispositif. Ainsi, se
dégagent deux écueils communicationnels principaux qui
correspondent tout à fait aux problématiques soulevées
jusqu'ici : d'une part une médiation ouverte, s'adressant à
un public large et assez indéfini et d'autre part, une mise en
scène individualisée, s'attachant à valoriser la dimension
conceptuelle du dispositif. La première risque de perdre toute dimension
artistique et de devenir « démocratique et
impalpable », tandis que la seconde risque d'être trop
injonctive pour le spectateur et de lui imposer un dispositif conceptuel qu'il
n'est pas forcément prêt à comprendre ou à
apprécier.
.Un cadre communicationnel à la fois
contesté et nécessaire
Cette dualité de l'art numérique est
confirmée, d'une manière théorique par Daniel Cacouault,
et d'une manière plus pratique et professionnelle, par le
scénographe Régis Cotentin. Pour Daniel Cacouault, l'art
numérique pose problème en terme de médiation dans la
mesure où il est éphémère, donc difficile à
saisir et donne lieu à des spectacles individualisés, ni
collectifs ni individuels :
«Le problème de la médiation de l'art
numérique est vraiment intéressant du coup parce qu'il faut
expliquer cet aspect éphémère. Mais c'est un peu comme le
cinéma finalement, c'est un spectacle collectif (...) C'est
peut-être comme ça qu'il faudrait exposer l'art numérique,
comme des spectacles, dans une grande salle avec des gens. Mais le
problème de cet art c'est qu'il refuse ce rapport au collectif, ce
rapport au code dont on parlait tout à l'heure ». (Cf.
Annexe p.XIX)
Cet artiste et penseur de l'art montre ainsi le paradoxe d'un
art qui refuse tout cadre, tout code et qui pourtant nécessite, plus
qu'aucun autre courant artistique, la mise en place de médiations
très réfléchies pour le public. Par ailleurs, Régis
Cotentin confirme et éclaire cette problématique d'un point de
vue plus professionnel, en confiant ses propres difficultés et regrets
concernant l'exposition « Volupté
Numérique » organisée au Palais des Beaux-Arts de
Lille.
« C'est très compliqué parce
qu'on est obligé soit de construire des cloisons pour isoler les sons et
pour que chaque oeuvre soit pleinement vécue, soit on ne cloisonne pas
et on crée un espace ouvert (...) Donc moi j'ai procédé
de cette façon là, sûrement pas de façon très
radicale, avec l'exposition « Volupté
Numérique » : l'espace est très ouvert (...) Il y
avait donc des télescopages qui gênaient plus ou moins certains
visiteurs. J'aurais pu faire appel à un designer sonore pour faire en
sorte que la cohabitation soit mieux réussie. Mais on n'avait pas le
temps ni les moyens de le faire (...) il y avait des choses que je
trouvais dommage. Par exemple la pièce de Garill (« Sat down
beside her ») était trop fortement perturbée par le son
des clips [qui étaient diffusés dans la même
pièce]. Elle demandait plus d'intimité, plus de contact
rapproché avec le public, chose que la petite scénographie de
notre exposition ne permettait pas ». (cf. annexe p.III)
Cette retranscription des questionnements
rétrospectifs du scénographe semble très
intéressante dans la mesure où elle permet de comprendre les
difficultés techniques et les sacrifices des choix
scénographiques. La priorité était pour lui celle de
transmettre, au travers de cette exposition d'art numérique, une
idée qu'il considère comme consubstantielle à ce
courant : l'idée d'ouverture et de générosité.
Or, d'un simple point de vue technique, il était impossible de concilier
cette idée d'ouverture et de décloisonnement, et une
appréciation individuelle entière de chaque oeuvre, fidèle
à ce qu'aurait souhaité chaque artiste. En tant que
scénographe d'une exposition numérique, Régis Cotentin
semble avoir été réellement confronté au paradoxe
d'un art de l'ouverture, qui conteste la notion de code communicationnel,
muséal et qui pourtant ne peut prendre vie qu'au travers d'une mise en
scène extrêmement structurée. Un art qui se revendique sans
code, proprement démocratique mais qui, par là même,
implique un renouvellement des codes de médiation, « un
art qui est comme l'enfant en train de grandir, qui refuse la mesure mais qui
ne veut pas revenir à maman non plus » (Daniel Cacouault,
Annexe p.XIX).
.Conclusion intermédiaire : de
l'incertitude conceptuelle aux balbutiements médiationnels
Ces rencontres et discussions autour des notions et
concepts dominants de l'art numérique montrent un écart certain
entre la définition théorique, et idéologique de ce champ
artistique, et la conception de ses acteurs eux-mêmes. Elles nous
permettent ainsi de clarifier les multiples discours de l'art numérique
vus précédemment, et de mieux comprendre selon quels discours
théoriques, quelles perceptions et quelles idéologies dominantes
celui-ci apparaît au public. De manière plus
générale, nous avons ainsi tenté de distinguer les
différentes théories et idées accompagnant l'art
numérique dans ses premiers développements et de mesurer
l'écart entre les discours dominants de l'art numérique, tant
institutionnels que médiatiques et théoriques, et les perceptions
des acteurs directs de ce courant. De nombreux paradoxes définitionnels
se sont dégagés de cette première approche, concernant la
forme artistique en elle-même, ses caractéristiques
esthétiques et ses modalités de création et
d'appréciation. A la fois ludique et conceptuel, multi sensoriel et
informatique, ce courant surprend et déstabilise le public. Les
idéologies du numérique valorisant les notions de
nouveauté, voire de révolution artistique, de
désacralisation et de démocratisation de l'art, et de rupture
avec l'idée de médiation artistique ont ainsi été
nuancées par nos recherches et rencontres. Ces idées se sont en
effet révélées réductrices dans la mesure
où, malgré ses revendications contestataires, et malgré sa
volonté de rompre avec tout cadre médiationnel, l'art
numérique implique en réalité une transformation de la
relation au public et un encadrement particulièrement
réfléchi et exigeant de la réception artistique. L'objet
de la seconde partie est ainsi de comprendre de quelle manière les
institutions tentent à la fois de définir ce champ artistique
polymorphe au travers de leurs différents partis pris, et à la
fois de s'approprier les codes propres de cette forme artistique contestataire
par la mise en place de dispositifs d'exposition plus ou moins
actualisés et durables.
II. MEDIATIONS ET MISES EN EXPOSITION DE L'ART
NUMERIQUE : HETEROGENEITE DES PRATIQUES ET DES LOGIQUES
Ou : Naissance au public
Défini comme un art de la participation physique et
intellectuelle, impliquant le spectateur dans le processus artistique, l'art
numérique se doit d'être mis en scène selon des dispositifs
appropriés et pensés d'un point de vue esthétique et
conceptuel. Si les mythes du numérique semblent annoncer une disparition
du cadre matériel de la monstration artistique et de tout code
muséal qui puisse créer (à la manière du cadre) une
distance verticale entre le spectateur et l'oeuvre, il faut insister sur le
fait que l'art numérique ne puisse en réalité se passer de
médiation et exige au contraire la mise en place de supports
communicationnels fondamentaux. Le dispositif scénographique ou
interactif, c'est-à-dire les supports d'exposition, d'explication, de
mise en relation entre les oeuvres et les publics dans les expositions ou sur
Internet se doivent de valoriser tout à la fois l'aspect physique et
conceptuel de l'oeuvre, démocratique et individualisé, ponctuel
et réflexif, mais doivent également contribuer à susciter
chez le spectateur une réaction à la fois participative et
contemplative. Le dispositif d'exposition, en tant qu'il doit, comme le
développe Jean Davallon, proposer un « Visiteur
Modèle », apparaît comme l'objet communicationnel
construisant la relation à l'oeuvre mais permettant surtout au
spectateur de savoir quelle position (physique et mentale) adopter face
à l'oeuvre. Pour expliciter cette notion délicate de dispositif,
Jean Davallon utilise l'exemple significatif du cinéma qui, par son
dispositif, place le spectateur à une place bien précise. Dans le
cas de l'art numérique, le « Statut Modèle »
très contrasté du public, qui peut être spectateur
collectif ou personnalisé, explorateur, ou encore
« spect-acteur » de l'oeuvre, est déterminé
par le dispositif artistique, interactif ou muséal de l'exposition.
Ainsi, à la lumière des problématiques
dégagées en première partie, et grâce à une
analyse sémiotique minutieuse des expositions considérées
comme représentatives de la création numérique actuelle,
en ligne et hors ligne, il s'agit de chercher à comprendre la mise en
pratique de cette esthétique de la communication et de quelle
manière les médiateurs de l'art numérique s'approprient
les discours et idéologies concernant ce courant, et gèrent les
difficultés que posent sa médiation. En termes plus
précis, selon quels dispositifs les différents médiateurs
parviennent-ils à mettre en exposition une esthétique de la
communication qui conjugue la participation physique, ludique et la
contemplation intellectuelle, interprétative du spectateur ?
Comment peuvent-ils tout à la fois ouvrir l'accès à l'art,
élargir le public, et à la fois préfigurer et
personnaliser les rapports entre l'oeuvre et les publics ? Il s'agit donc,
pour mieux cerner les formes de mises en exposition de l'art numérique,
d'étudier les dispositifs de médiation, plus ou moins
traditionnels, plus ou moins renouvelés, déployés pour
valoriser les oeuvres :
- tout d'abord sur les sites Internet d'artistes
numériques, en étudiant les dispositifs mis en place par
le courant appelé Net Art
- puis dans les centres, musées et galeries
d'art classique et contemporain, en étudiant leurs
premières tentatives de mises en exposition d'art numérique
- et enfin dans les centres
spécialisés dans la recherche et l'exposition de l'art
numérique.
1. Le Net Art : procédés
communicationnels et esthétiques en ligne d'un art de l'interaction
Nous avons considéré qu'il était
important de s'intéresser, dans un premier temps, à la
médiation de l'art numérique sur le support Internet,
c'est-à-dire aux modes de monstration d'un courant à part de
l'art numérique nommé « Net Art ». Comme nous
avons pu le voir dans les premières étapes de définition
de l'art numérique, le Net Art semble à part sur le plan
esthétique et communicationnel, et éclaire pourtant nos
problématiques d'une manière d'autant plus intéressante.
C'est pourquoi nous avons choisi d'étudier de manière approfondie
les sites Internet d'artistes numériques actuels, leurs dispositifs
sémiologiques et leurs procédés communicationnels et de
les considérer comme représentatifs de la diversité de la
création Net Art aujourd'hui. De quelle manière, selon quels
dispositifs, Internet parvient-il à se faire à la fois outil de
création, cadre de réflexion esthétique et support
d'exposition artistique ? Comment les artistes peuvent-ils non seulement
rentrer en contact avec le public du Net, mais surtout valoriser la
dimension artistique de leurs oeuvres et créer un rapport
esthétique avec le public au sein d'un monde virtuel et
immédiat, où l'art n'a pas de réelle
légitimité ?
- Nous traitons dans un premier temps de cette
quête difficile et originale d'un public par les
artistes du Net Art.
- Puis, dans un second temps, nous nous interrogeons sur
les procédés communicationnels encadrant ces
oeuvres, indissociables de leurs cadres esthétiques.
- Enfin, nous tentons d'étudier la dimension
injonctive des oeuvres du Net Art au travers d'une typologie des
dispositifs utilisés.
a) Les artistes en quête de leur public
.La médiation difficile entre un public
invisible et un art immatériel
L'étude d'Internet comme médium, et plus
particulièrement comme support artistique, éclaire les
problématiques globales de l'art numérique dans la mesure
où elle en constitue la base théorique et esthétique.
L'étude du public d'Internet, des cadres communicationnels
instaurés par ce média se révèle
particulièrement enrichissante pour la compréhension de l'art sur
Internet et de l'art numérique en général. Tout d'abord,
Internet est souvent considéré comme un médium sans
destination et le public d'Internet comme un public mal défini et
invisible. De ce fait, qu'il s'agisse du médium ou du support
artistique, Internet ne peut réellement cibler, ou même concevoir
à priori de public précis. L'artiste sur Internet met ainsi
à disposition son oeuvre d'une manière ouverte, sans parti pris
communicationnel évident, dans la mesure où il ne peut
connaître ni son public, ni la démarche de ce public (chemins
parcourus par le visiteur pour accéder à l'oeuvre,
réaction et temps passé devant l'oeuvre). Ainsi, comme le
déclare Jean-Paul Fourmentraux dans son ouvrage Art et Internet, Les
nouvelles figures de la création, « A l'idéal ou utopie
d'un art pour tous, se heurte ainsi la difficulté de cerner ce non
public d'Internet : une masse potentiellement présente mais
invisible et anonyme »36(*). Par ailleurs, il faut préciser que le
Net Art est lui-même peu visible sur Internet et que la consultation
d'une oeuvre précise, ou des créations d'un groupe d'artistes
précis est nécessairement précédée d'une
recherche très ciblée sur Internet. Il semble en effet que l'on
ne puisse « surfer » entre différentes oeuvres
numériques, au travers de moteurs de recherches documentés, comme
cela est possible pour d'autres disciplines. Les recherches effectuées
sur le moteur de recherche Google, au travers de mots clés tels que
« Net art » ou « Créations
numériques » ou encore « OEuvres sur
Internet » ne donnent en aucun cas accès aux sites d'artistes
sur Internet. Des articles concernant l'art sur Internet, des sites de revues
d'art numérique et d'exposition d'art classique sur Internet
apparaissent mais ne proposent aucun lien avec les sites d'artistes que nous
cherchons. L'accès à ces sites ne peut se faire qu'à la
suite d'une recherche plus ciblée, précisant le nom de l'artiste,
voire de l'oeuvre. On note donc un manque évident de connaissance
mutuelle et de visibilité du public intéressé par l'art
sur Internet et de ses acteurs et médiateurs. Les acteurs et
médiateurs de l'art sur Internet ne peuvent avoir qu'une connaissance
rétrospective et très vague de leurs visiteurs au travers de
systèmes de statistiques et de compteurs indiquant la propagation et la
fréquentation des oeuvres. De même, les visiteurs ne peuvent
accéder aux oeuvres qu'après une recherche ciblée et
précise en amont. Ainsi, en s'inspirant du sociologue Jean-Paul
Fourmentraux, nous dirons qu'à l'idéal ou utopie d'un art
désacralisé et interactif, se heurte la difficulté pour le
public d'accéder à des oeuvres invisibles et pour l'oeuvre
d'atteindre un public incernable.
.Survalorisation du public et esthétisation
de la communication
Ce manque de connaissance mutuelle entre le public d'Internet
et le Net Art entraîne certains artistes à rechercher leurs
publics, à les connaître et à les fidéliser. Ils
utilisent alors différentes tactiques pour soutenir cette communication
avec le public et en viennent à confondre totalement l'oeuvre d'art et
la médiation artistique. Les tactiques de communication de l'oeuvre, de
fidélisation du public, et encore de ritualisation de la
fréquentation deviennent des éléments à part
entière du concept artistique de l'oeuvre. Une tactique assez
fréquente, exploitant réellement les potentialités
communicationnelles que seul Internet peut offrir, est celle de la
séduction du public par la personnification du site Internet. Le site de
création numérique et interactive Mouchette illustre
particulièrement bien cette idée dans la mesure où il
personnifie le site Internet et les créations qu'il propose, et
crée par là une proximité presque intime entre ce
créateur virtuel -Mouchette- et le visiteur37(*). Pour appuyer ce qui a
été dit précédemment, nous devons souligner que ce
site n'est pas consultable à la suite d'une simple recherche
généraliste de sites de « créations
interactives », mais grâce à une recherche
spécifiant le nom «Mouchette ». Cependant, la visite de
ce site est jalonnée de sollicitations personnalisées, engageant
le visiteur à réagir face au site, à être actif.
Tout d'abord, la première page du site est une page sonore, s'ouvrant
alternativement sur le rire, les gémissements, bâillements ou
encore les pleurs d'une voix féminine que nous attribuons au personnage
virtuel de Mouchette. Cette page présente visuellement une grande fleur
statique et des mouches mobiles. L'ensemble de la page, même lorsque les
liens ne sont pas visibles, est interactif. De même,
l'intégralité des éléments constituant la page sont
présentés comme les paroles ou les représentations
visuelles ou sonores de Mouchette. Mouchette apparaît ainsi comme le
créateur virtuel habitant et animant chaque élément de
cette page. En haut de la page d'accueil, apparaît la photo, interactive
également, d'une petite fille (la personnification physique de
Mouchette), et une présentation très descriptive de
Mouchette :
« Mon nom est Mouchette
J'habite à Amsterdam ou ailleurs
J'ai presque 13 ans
Je suis une artiste
Le site existe aussi en anglais
Mon humeur est ... (à
rafraîchir) »38(*)
Enfin, un dernier élément visible de cette page
d'accueil est une liste déroulante, accessible par le lien
« Clickez sur moi », ou « Browse
me », selon les jours, présentant les titres des
créations numériques et permettant d'y accéder. Les titres
des oeuvres sont souvent assez ironiques et surprenants. En voici quelques
exemples : « kit de suicide » ;
« m.org.ue » ; « pénis
rayé » ; « ilovemouchette ». Nous
notons finalement une réelle volonté de surprendre le visiteur
par la désacralisation totale de l'oeuvre d'art et par la
personnification très marquée de chaque élément
constituant le site. Cette personnification semble surnaturelle dans la mesure
où le « je » est celui d'une personnalité
virtuelle habitant chaque élément imagé ou textuel du
site. Contrairement aux oeuvres traditionnelles, ce n'est plus l'oeuvre
elle-même qui est sacralisée mais la médiation,
représentée sous la forme d'un personnage allégorique et
omniprésent sur le site nommé «Mouchette ». Cette
personnification allégorique de la médiation, qui devient un
procédé artistique à part entière, renouvelle les
cadres de la réception de l'oeuvre par le public. L'artiste qui est
à l'origine du dispositif interactif Mouchette confirme cette
idée, dans un entretien accordé, à Jean-Paul
Fourmentraux en 2000 : «Il n'y a pas de Mouchette. Il n'y a
pas plus de Mouchette qu'il y a d'espace dans le Cyberespace. Le Cyberespace
n'existe pas, il n'y a pas d'espace, ce sont des informations. Et pareil pour
Mouchette. C'est même faux de dire qu'il y a vraiment une
identité. Il n'y a pas de personne. Il y a quelque chose qui dit
« Je» et qui s'adresse, qui dit « Tu ». Donc
cela crée un certain état de réception sur le
spectateur ».
b) Les stratégies communicationnelles des artistes
du Net Art : un encadrement individualisé de la
réception
Les sites Internet de création interactive ont ainsi
pour première particularité de survaloriser l'espace de
médiation, jusqu'à lui conférer parfois une existence
propre, une présence personnifiée. Par ailleurs, comme nous avons
pu le voir, cette médiation qui se met en scène elle-même,
sorte de reflet narcissique du médiateur lui-même, renouvelle les
modalités de réception pour le spectateur d'une oeuvre que
Jean-Paul Fourmentraux analyse comme les « cadres d'une
réception négociée ». On peut affirmer en
effet que cet art, qui se revendique comme négateur de tout cadre
communicationnel, qui veut mettre l'art à la portée de tous,
encadre en réalité la perception du spectateur d'une
manière particulièrement rigoureuse et réfléchie.
Nous distinguons deux types d'encadrement de la réception propres
à l'art sur Internet : d'une part, une sollicitation
personnalisée du public, et d'autre part une ritualisation, mode de
fidélisation de sa fréquentation du site.
.La sollicitation
personnalisée
Comme nous avons pu le voir, la spécificité du
média Internet est son interactivité qui lui permet de s'adresser
à un public à la fois collectif et individualisé. Cette
spécificité interactive est souvent exploitée avec une
certaine créativité par les sites de Net art dans la mesure
où elle permet de solliciter le public personnellement, de
conférer à la médiation un aspect intime proche du rapport
de séduction, et de modifier son statut de spectateur d'une oeuvre.
L'étude des cadres communicationnels personnalisés, et souvent
séducteurs, entre les sites de Net Art et les visiteurs pourrait
constituer l'objet d'une étude à part entière, d'autant
plus que ces sites de création artistique sur Internet ne cessent de se
multiplier. Cependant, nous nous contentons ici de donner quelques exemples
marquants de cette sollicitation du public par un médium artistique.
L'exemple du dispositif interactif Mouchette est une fois de plus
tout à fait parlant à ce sujet dans la mesure où, comme le
déclare son initiatrice elle-même dans l'entretien cité
précédemment, celui-ci établit une relation
personnalisée avec chacun de ses visiteurs. Ce site engage tout d'abord
l'internaute à laisser une trace personnalisée de sa
visite : non seulement en laissant un nom ou un pseudonyme, et son adresse
mail, mais également en laissant quelques mots originaux. De nombreuses
questions sont en effet posées au visiteur tout au long de sa visite,
questions souvent assez absurdes ou ironiques, laissant place à une
certaine créativité des réponses :
« Qu'est ce qu'un nom ? » ou encore
« Svp, dîtes moi ce que vous pensez ». La
création exposée sous le titre « name » est
un ensemble de jeu de mots et de manipulations visuelles
réalisées par des visiteurs sur le nom
« Mouchette ». Ceci montre la place
privilégiée que ce dispositif accorde au visiteur dont il ne
cesse de solliciter la créativité. Par ailleurs, après
avoir enregistré les noms, adresses, dates et heures des messages,
après avoir analysé, répertorié et classé le
contenu de ces messages dans une base de données en fonction des
catégories de réponses, le personnage virtuel nommé
« Mouchette » sollicite individuellement chaque visiteur
par mail. Ces sollicitations sont très personnelles, et en deviennent
assez déstabilisantes dans la mesure où elles se
présentent souvent comme des sollicitations amoureuses, ou des
reproches. Le visiteur reçoit des mails tous les jours, de plus en plus
personnels et surprenants. L'objet du mail comporte le prénom du
visiteur et une phrase courte en Anglais telle que « X, Come to
see me ! » ; « X, I want to see you
again » ; « Finally together,
X »39(*).
Le contenu du message est ensuite souvent constitué de liens hypertextes
pour visiter des oeuvres personnalisées également. Les
ré-actions du visiteur face à l'oeuvre sont en effet
guidées par les fenêtres nominatives et injonctives qui
apparaissent. En cliquant sur ces fenêtres, le visiteur obéit aux
injonctions individualisées qui lui sont adressées, et fait
évoluer l'oeuvre de la manière prévue par l'artiste. Aux
questions de Jean-Paul Fourmentraux concernant cette relation collective et
individualisée avec le public, l'auteur du site répond :
« Cette manière de communiquer avec son public fait partie
de l'art. Donc, la médiation n'est pas séparée de la
production. La médiation est l'oeuvre. (...)Le contact avec le public,
qui fait partie de l'oeuvre, est créé par l'artiste. C'est
l'oeuvre, c'est une des dimensions de l'oeuvre ». La
dimension artistique de ce dispositif réside ainsi entièrement
dans la mise en scène d'un cadre relationnel établi par
Mouchette, la mise en exposition sur Internet d'une véritable
esthétique de la communication.
.La ritualisation de la
fréquentation
Parallèlement à cette intimité, ou
à ce rapport de séduction créés entre
l'artiste-médiateur et le visiteur, s'instaure un autre type
d'encadrement de la réception visant à fidéliser le public
en créant une ritualisation de la fréquentation du site. Certains
sites d'artistes impliquent ainsi un engagement du visiteur s'inscrivant dans
la durée, par un système de prises de rendez-vous. Au travers de
ce système, la médiation artistique est non seulement
ritualisée, mais fortement injonctive dans la mesure où elle
suppose de réelles démarches contraignantes pour le visiteur. Le
célèbre Générateur poïétique
d'Olivier Auber est à cet égard tout à fait
parlant40(*) dans la
mesure où il propose au visiteur une implication ritualisée au
sein du site Internet et autrement dit, une intervention et une
fidélité au sein du processus artistique. Ce dispositif se
présente comme une expérimentation collective nécessitant
de la part des internautes un investissement important de temps et de
volonté créative. Le visiteur doit s'inscrire sur une liste de
rendez-vous ou proposer lui-même une date visant à partager dans
le temps et dans l'espace la réalisation d'une image collective. Le
Générateur poïétique permet en effet
à plusieurs individus de se connecter à un moment donné
sur le site, après avoir convenu du lieu et de l'heure du rendez-vous
par courrier électronique. Le jour de ce rendez-vous, chaque participant
doit avoir suivi les recommandations de l'artiste concernant les logiciels de
dessin informatique à télécharger et à
maîtriser. A l'heure précise du rendez-vous, l'internaute est
invité à rejoindre les autres participants anonymes afin de
procéder à la composition collective de l'image. L'action de
chacun, visible simultanément par l'ensemble des participants,
détermine l'état de l'image à un instant donné,
résultat de l'action de tous. Par ailleurs, s'il semble à ce
stade de l'évolution de l'oeuvre que l'artiste se contente d'offrir un
simple cadre vierge et quelques recommandations bureautiques et notionnelles
aux participants, il est également le scénographe de cette
oeuvre. En effet, l'artiste choisit d'enregistrer certains instants de cette
composition évolutive et de ré-agencer ces traces
fragmentées de la participation des visiteurs pour faire l'oeuvre. Ce
rapport ritualisé et contraignant entre l'oeuvre et le public, visant au
départ à fidéliser le visiteur et d'élaborer une
véritable esthétique de la communication, redistribue finalement
les rôles d'une manière très singulière,
transformant le spectateur en artiste, et en
« spect-acteur », et transformant l'artiste d'origine en
médiateur continu n'intervenant que ponctuellement dans le processus
artistique.
Un autre exemple de ritualisation de la fréquentation
du public est celui du dispositif de l'artiste Michel Jaffrenou nommé
Le Théâtre virtuel Diguiden41(*). Ce dispositif, aussi appelé
« Web man show » par son auteur, se présente comme
un spectacle interactif sur Internet. A l'inverse de l'exemple
précédent, ce site ne propose pas de contribuer à la
création d'une oeuvre collective, mais de s'inscrire, également
sous la forme d'un rendez-vous, pour faire partie des spectateurs de
l'événement. Le processus énonce une marche à
suivre en plusieurs étapes. L'internaute doit tout d'abord s'inscrire en
enregistrant son nom, prénom et adresse mail. Après
l'inscription, le personnage virtuel Diguiden s'adresse à l'internaute
comme à un candidat pour un poste sélectif en
écrivant : « Ok, on va vous contacter ». Ce
n'est que dix jours plus tard que celui-ci reçoit le mot de passe lui
permettant d'entrer dans le théâtre virtuel de Diguiden.
Ce délai d'attente pour obtenir le mot de passe, alors même
qu'Internet est traditionnellement un média rapide, voire
immédiat, suppose ainsi une réelle volonté pour
l'internaute de connaître cette oeuvre. Ajoutées à cette
recommandation temporelle de patience, apparaissent des recommandations
techniques concernant les logiciels nécessaires pour
l'expérience : « Attention, il faut que vous chargiez
absolument sur votre machine quelques outils. Le premier c'est pour l'image
(Shockwave), le second c'est pour le son et la vidéo (Quicktime). Ne
dramatisons pas ! Ce n'est ni la mer à boire, ni une charge qui va
affoler votre machine, c'est votre fauteuil de
« Spect-Acteur » pour partir à la recherche du
Dragon aux dix milles icônes et ce n'est pas plus lourd qu'une
boussole. Pour les réclamations, il y a mon mail.». Cette
sollicitation une fois de plus très personnalisée, et sur un ton
très oral montre bien de quelle manière l'artiste implique
profondément son visiteur dans la préparation de son
événement artistique. Cette implication du visiteur est
importante sur le plan technique, dans la mesure où il lui impose
l'acquisition et la maîtrise d'outils logiciels bien spécifiques
mais également sur le plan artistique et créatif puisque
l'internaute doit être « acteur » de l'oeuvre. Ce
message montre par ailleurs que l'internaute, pour connaître cette
oeuvre, doit non seulement s'y préparer à l'avance sur le plan
technique, mais également y participer en temps réel par un
système interactif, tout en suivant les recommandations de
l'artiste-médiateur. L'image du « fauteuil », puis
de la « boussole » est très intéressante
puisque ces deux éléments symbolisent le cadre de la
réception, le code de lecture de l'oeuvre. L'artiste exige à la
fois qu'on apporte son propre « fauteuil de Spect-Acteur »
et à la fois que l'on installe celui-ci selon ses recommandations. Cette
idée semble vraiment symbolique de l'art sur Internet dans la mesure
où celui-ci implique à la fois une libre participation du
spectateur et un encadrement rigoureux et préalablement construit de la
réception. Ces deux exemples différents de sites d'artistes du
Net montrent de quelle manière le Net Art se développe en
exploitant et en esthétisant les potentialités de
fidélisation du multimédia. Dans les deux cas, l'internaute, en
s'inscrivant sur le site, s'inscrit également dans un processus
artistique de long terme et devient spectateur et acteur d'une oeuvre devenue
rituel.
c) Les logiques injonctives du Net Art : Typologie
Après avoir envisagé les différentes
manières dont les artistes-médiateurs amenaient leurs visiteurs
jusqu'au coeur de leurs oeuvres, au travers d'un processus (plus ou moins long)
de médiation esthétisée et encadrée, il s'agit
d'étudier la dernière étape de ce processus :
l'oeuvre en acte. Nous voulons comprendre ici de quelle manière les
artistes sur Internet s'approprient le potentiel interactif du médium au
moment où l'oeuvre prend acte et où elle devient interactive
(à un degré plus ou moins important). De manière plus
précise, quels sont les différents types d'injonctions
adressées par les artistes numériques à leurs spectateurs
individualisés ?
Nous entendons par le terme assez fort
d' « injonction » les éléments de
l'oeuvre ou du dispositif qui orientent le spectateur dans sa position
réceptive (physique et intellectuelle), lui proposent une
interprétation ou une réaction et montrent surtout une
préméditation de la réception par l'artiste ou le
médiateur institutionnel. Par ailleurs, le terme
d' « interactivité » mérite
également d'être défini de manière plus
précise dans la mesure où il caractérise le médium
et les oeuvres qui nous intéressent de différentes
manières et selon différents degrés. Cette idée
d'interactivité, inaugurée principalement par les metteurs en
scène et dramaturges du début du siècle, a
été définie par Bertold Brecht comme l'ensemble des
dispositifs construisant un espace expressif pour le spectateur, permettant de
« laisser l'auditeur parler aussi bien qu'écouter, afin de le
mettre en lien plutôt que de l'isoler »42(*). Cette notion s'est
progressivement étendue au domaine de l'art et de la théorie de
la communication et de la médiation culturelle, grâce à des
auteurs tels que Jean-Pierre Balpe43(*), Jean-François Lyotard44(*), Franck Popper45(*) ou encore Jean-Louis
Boissier46(*). Elle a
ainsi été définie comme un principe interne, constitutif
de l'oeuvre numérique dans la mesure où elle transforme
« l'attitude » du spectateur face à
l'oeuvre, comme l'affirme Jean-Pierre Balpe, en une
« présence de l'oeuvre » et où elle
lui permet d'expérimenter des situations sensorielles. Pour ce
théoricien, « Il y a interactivité, non seulement
parce que le lecteur agit sur ses parcours de lectures qu'ils soient, ou non,
totalement prédéterminés par les concepteurs mais parce
que, par ses parcours, par ses réponses aux demandes de l'ordinateur, il
peut mettre en oeuvre des variations textuelles (...) et parce qu'il peut
modifier le déroulement des textes qu'il est en train de lire, ou leur
contenu. »47(*) Dans la pratique, cette notion s'est
déclinée selon différents degrés : de la
simple contemplation active à la réelle contribution.
Afin de bien comprendre
l'hétérogénéité de ces appropriations et
logiques artistiques, il serait intéressant de s'intéresser
à cette injonction déterminant la réception et le
degré d'implication de l'internaute et de décliner ainsi les
sites et oeuvres observés en trois principaux sous-types : un
premier type d'injonction est celui qui invite à activer l'oeuvre et
à l'explorer ; un deuxième type d'injonction est celui, plus
interactif, invitant le spectateur à une contribution réelle, une
modification de l'oeuvre en acte ; enfin, un dernier type d'oeuvre sur
Internet comprend les oeuvres invitant le spectateur à la
créativité, à la réalisation de l'oeuvre d'art.
. « Activez
l'oeuvre »
Le médium qu'est Internet offre un mode de
réception des données basé sur l'exploration, ou la
navigation. En d'autres termes, les sites Internet dans leur
intégralité, qu'ils soient artistiques, institutionnels,
informationnels ou encore personnels, ont un système interactif de base
similaire qui consiste à inscrire les données au sein d'une
certaine arborescence, et de permettre au visiteur d'explorer ces
dernières au travers d'un parcours libre. Le visiteur explore ou navigue
en construisant son propre parcours au sein de cette base d'informations et de
données. Un grand nombre de sites artistiques et d'oeuvres sur Internet
exploitent ce mode d'interactivité primaire en disposant
préalablement un espace artistique que le visiteur doit
découvrir, d'une manière plus ou moins ludique. La
réaction attendue du visiteur se limite donc à l'activation de
l'oeuvre. Il doit suivre un certain ordre de déroulement, un parcours
plus ou moins libre au sein de l'espace artistique. Centrés sur la
visite du site, et non sur une modification ou une action quelconque du
visiteur, les parcours au sein de ces sites ne sont cependant jamais les
mêmes et ouvrent des possibilités de médiations très
nombreuses et originales. Nous avons tenté de saisir ces
différentes possibilités au travers d'exemples de
créations de Net Art plus aux procédés d'activation plus
ou moins impliquant pour le spectateur.
Dans un premier temps, il s'agit de relever les exemples de
procédés interactifs et artistiques peu injonctifs, impliquant
une faible participation du spectateur. Le mode d'exposition de ces oeuvres sur
Internet ne peut être comparé à celui d'une galerie ou d'un
musée dans la mesure où il ne repose jamais sur la simple
contemplation du spectateur, mais suppose toujours un geste d'activation de la
part de ce dernier. Les oeuvres du dispositif Mouchette,
déjà évoquées précédemment,
illustrent tout à fait cette idée48(*). Si, comme nous l'avons vu, le système
communicationnel de ce site met en place une esthétique de
l'interactivité et de l'injonction, si la consultation des oeuvres
impose au visiteur une implication personnelle, les oeuvres en
elles-mêmes sont en réalité peu interactives. Pour
décrire de manière précise, les oeuvres de ce dispositif,
dont l'accès est réservé aux visiteurs inscrits,
représentent souvent des images abstraites ou absurdes (viande crue,
langue...), auxquelles se superposent des fenêtres sollicitant le
visiteur par son nom et lui demandant d'approuver l'activation de la suite des
images. Le visiteur n'a pas le choix et doit nécessairement cliquer sur
le lien « ok » pour supprimer cette fenêtre de son
écran. Il poursuit alors, qu'il le veuille ou non, l'exploration de ces
images numériques. Ce procédé donne au visiteur l'illusion
d'un contrôle sur l'oeuvre tandis qu'il est en réalité
totalement prisonnier du dispositif prévu par l'artiste. Cet exemple est
très parlant dans la mesure où il montre bien la subtilité
de la notion d'interactivité qui, en art, implique à la fois une
liberté d'action de la part du spectateur, et à la fois un
potentiel injonctif très important de la part de l'artiste.
Un autre type d'oeuvre donne au visiteur cette illusion de
contrôler l'oeuvre d'une manière continue tandis qu'il n'en
contrôle en réalité que la navigation. Cependant, une
interactivité plus importante caractérise ce type d'oeuvre dans
la mesure où la navigation inclut ici, contrairement à l'exemple
précédent, une possibilité de variations sur la forme ou
l'ordre du déroulement de l'oeuvre. L'internaute, sans contrôler
ce qu'il parcourt, peut modifier ce qu'il voit et devient un
expérimentateur de l'oeuvre, un joueur. Les oeuvres du Net Art utilisant
ce procédé ludique sont très nombreuses et très
différentes les unes des autres. Un exemple significatif peut être
celui du site d'exposition de Net Art de Reynald Drouin nommé
Alteraction49(*).
Ce site s'ouvre sur une page d'accueil animée et travaillée sur
le plan esthétique présentant les titres des douze oeuvres
consultables. Le visiteur construit dans un premier temps son propre parcours
pour consulter ces oeuvres. Par ailleurs, au sein même des oeuvres, les
différentes pièces interactives permettent au visiteur de
s'impliquer d'une manière expérimentale et ludique dans la mesure
où les oeuvres se dévoilent à mesure qu'il les explore.
L'oeuvre nommée « Artistes » par exemple,
élaborée en 1998, présente un vaste ensemble de portraits
photographiques que le visiteur fait défiler à l'infini en
déplaçant sa souris. Ce dispositif, qui permet de naviguer au
sein d'un espace préalablement aménagé par l'artiste,
donne l'impression d'un cadre à la fois inexistant puisque sans limite
et à la fois palpable pour le spectateur qui contrôle ce qu'il
parcourt et semble exercer un pouvoir physique sur son évolution. On
voit ainsi apparaître, au travers de cet exemple, un aspect fondamental
de l'oeuvre numérique qui est d'être à la fois sans cadre,
sans frontière et donc sans achèvement, et à la fois
très proche de son spectateur qui entretient un rapport
individualisé avec elle. Le cadre de l'oeuvre est à la fois agi
par l'artiste et par le spectateur.
Ainsi, ces oeuvres dont le dispositif permet l'exploration
par le visiteur, et éventuellement une illusion de contribution
interactive à l'oeuvre, oeuvres que nous avons réunies sous la
phrase impérative « Activez l'oeuvre », sont
très nombreuses et parlantes pour comprendre la notion
d'interactivité. Ces oeuvres proposées à l'exploration
semblent interactives et immersives et demeurent toutefois des entités
isolées et closes sur elles-mêmes. Elles tiennent leur dimension
artistique de leur contenu objectif et de la réception du spectateur
mise en scène par l'artiste lui-même. On peut dire que les
artistes en question négocient d'une manière implicite et
préalable les cadres de la réception afin que l'action du
spectateur ne soit qu'exploratoire.
. « Participez à
l'oeuvre »
Un deuxième groupe de dispositifs, plus interactifs,
comptent sur le visiteur pour contribuer à la création de
l'oeuvre. L'internaute peut ainsi non seulement explorer l'oeuvre selon un
parcours qu'il définit lui-même, mais également y
contribuer en modifiant son contenu et ses formes. L'injonction adressée
au visiteur n'entraîne plus de la part de celui-ci la simple activation
d'un processus prédéfini par l'artiste, mais une action à
valeur performative, c'est-à-dire ayant une réelle incidence sur
l'oeuvre. Si, au travers des dispositifs précédemment
cités, le visiteur expérimentait avec ludisme l'espace artistique
préalablement mis en scène, il agit ici sur les formes et le
contenu composant des oeuvres inachevées. Nous pouvons distinguer trois
modalités d'interactivité engageant de manières diverses
la contribution du visiteur.
Un premier type de dispositif à contribution permet
une participation partielle du visiteur au travers de laquelle il actualise un
processus dont les règles sont prédéfinies mais
intègrent une dimension aléatoire. Le visiteur a un réel
pouvoir de modification de l'oeuvre qu'il consulte dans la mesure où son
action est déterminante pour donner forme à l'oeuvre.
« Do you want love or lust ? » de Claude
Closky propose ce type de dispositif dans la mesure où cette oeuvre
interactive se déploie différemment selon les réponses de
l'internaute50(*). Cette
oeuvre est construite sur fond rose comme un test de magazine féminin et
interroge le visiteur en lui proposant, pour chaque question, deux
réponses possibles51(*). Selon la réponse choisie par l'internaute, la
page suivante n'est pas la même et l'oeuvre ne prend pas la même
forme. D'autres dispositifs plus complexes et plus ponctuels également
apparaissent, impliquant d'une manière plus importante la contribution
virtuelle et physique de l'internaute en étendant le dispositif virtuel
à un dispositif hors-ligne. Les actions de l'internaute ont des
répercussions non seulement sur l'objet en ligne, mais également
sur un objet réel, physique, hybridant ainsi davantage les deux
dimensions caractérisant cet art. C'est le cas notamment de l'oeuvre
Light on the Net élaborée par l'artiste Masaki
Fujihata52(*). Cette
oeuvre rend modifiable par Internet une sculpture lumineuse disposée
dans le hall d'un immeuble de bureaux à la Préfecture de Gifu au
Japon. Ainsi pour ces oeuvres qui permettent au spectateur de participer
partiellement à leur évolution, la dimension artistique ne
relève plus simplement de l'objet ou de l'espace disposé par
l'artiste mais de l'objet partiellement déterminé par le
spectateur, et de la relation interactive entre le spectateur et cet objet.
Par ailleurs, certaines oeuvres impliquent, par leur
inachèvement, une contribution plus concrète du spectateur
à savoir l'intégration de données au cours de leur
expérimentation. Le spectateur peut ainsi réellement
métamorphoser la création. L'interactivité
spécifique de ces procédés permettra aux internautes de
participer en commun et en temps différé à la
transformation ou à l'évolution d'une création artistique.
La création de l'artiste, c'est-à-dire de l'initiateur du projet
se limite ainsi à la formulation et à la mise en place technique
du concept : en termes plus précis, les visiteurs de ce site ne
consultent au départ qu'un simple cadre informatique, et un logiciel
interactif permettant la réalisation de l'oeuvre. Cependant, ces
formulations conceptuelles et techniques sont autant de contraintes encadrant
la création des visiteurs. Ces projets sont assez nombreux et nous ne
pouvons en citer ici que quelques exemples marquants. Tout d'abord, il nous
semble important de souligner la singularité d'une action artistique,
n'entraînant pas de réelle création collective mais
impliquant une contribution créative très importante de la part
des internautes. Cette action a été instituée en 2002 par
la galerie londonienne The Centre of Attention53(*) lors d'une exposition
d'E-mail Art. Cette galerie virtuelle a ainsi promu une réception intime
de happenings communicationnels en réseau. Le Mandatory
Happening de Ken Friedman, l'un des cinq artistes participant à ce
projet, est resté célèbre par ces quelques lignes :
« Vous déciderez de lire ceci ou de ne pas le lire. Quand vous
aurez pris votre décision, le Happening sera
terminé ». Les internautes inscrits préalablement pour
recevoir ces oeuvres forment un réseau de 2500 spectateurs qui
deviennent eux-mêmes auteurs d'une oeuvre-réponse. Un concours
était organisé à la suite de ces Happenings afin
d'élire le sixième artiste de l'exposition, auteur du meilleur
message érigé en oeuvre d'art. La participation du public est ici
très importante dans la mesure où l'on fait appel à sa
créativité artistique afin d'élaborer une contribution
collective d'internautes à un concours artistique. D'autres projets
artistiques collaboratifs proposent de créer une oeuvre grâce
à la collaboration de plusieurs internautes sur le long terme. C'est
notamment le concept développé par le Mass Art Project
du site international de création numérique Digital
Art54(*). L'objectif
de ce projet, tel qu'il est défini par le site lui-même, est celui
d'obtenir la contribution de cent mille personnes du monde entier afin de
réaliser une immense toile interactive, comportant les traces de chaque
participant, qui serait éventuellement offerte à un musée
comme une représentation du monde actuel. Ce type de dialogue visuel
invitant à la construction collective d'une image, plus ou moins libre,
prend forme au travers de nombreux projets qui revendiquent très souvent
un concept de représentation multiculturelle ou d'identification
quelconque55(*).
Ces dispositifs permettant une contribution créative
très importante de l'internaute, qui devient spectateur et acteur de
l'oeuvre, ne peuvent accorder une liberté totale à l'inspiration
du spectateur. Ces projets sont en effet cadrés par de strictes
injonctions techniques et conceptuelles, telles que les modalités
d'emploi et d'envoi des matériaux et autres règles explicites de
collaboration. La dimension artistique de ces projets en devenir
perpétuel relève aussi bien du résultat final des
contributions que du dispositif d'interaction, c'est-à-dire du cadre
vierge de base et de la perspective conceptuelle prédéfinie par
ses premiers auteurs. Ces projets constituent en ce sens de véritables
illustrations pour une esthétique de la communication dans la mesure
où ils ne prennent sens qu'à partir d'un cadre vierge et
invisible, et d'une interactivité constructive.
. « Réalisez une
oeuvre »
Enfin, une dernière catégorie de dispositifs
injonctifs et contributifs, réunit des oeuvres plus rares au
degré d'interactivité très élevé. Cette
catégorie comprend les dispositifs artistiques sur Internet permettant
à l'internaute de participer en temps réel à
l'élaboration d'une oeuvre collective. Rappelons en effet que les
dispositifs de la catégorie précédente permettaient une
contribution en différé, c'est-à-dire une émergence
très progressive, au fil du temps et des contributions, de l'oeuvre
finale. Ici, le spectateur, au même titre que le créateur, assiste
à la progression de son oeuvre en temps réel et peut y identifier
clairement les traces de sa contribution personnelle. Les exemples illustrant
ce type de possibilité interactive sont assez rares pour l'instant mais
nous pouvons citer un dispositif artistique déjà
évoqué précédemment : le
Générateur Poïétique d'Olivier
Auber56(*). Ce principe
permet à plusieurs individus de se connecter, à un moment
précis fixé à l'avance par courrier électronique,
afin de participer à la création d'une image commune. Comme nous
l'avons vu, le dispositif implique le téléchargement et la
maîtrise d'un logiciel de dessin interactif permettant la modification de
l'image en temps réel et continu. L'action de chacun est, à tout
moment, visible par tous les participants. Pour l'initiateur de ce concept
lui-même, ce dispositif artistique est comparable au Cadavre
Exquis des surréalistes dans la mesure où il met en
scène une esthétique de la création collective et de
l'interaction. Il consiste pour lui en l'accomplissement de l'esthétique
numérique dans la mesure où il consiste, pour l'internaute, en
une participation et une contemplation simultanées d'une communication
créative : « l'intention propre de cette
esthétique de la perspective numérique consiste à
rechercher des formes légitimes de partage du code de fuite, afin que
chacun puisse accepter de succéder à l'autre pour contempler
depuis ce point de vue, le spectacle sublime du
réseau » 57(*). Ce type de dispositif valorise, plus que
tous les autres, l'échange entre les individus, la médiation
entre les acteurs de l'oeuvre. Si en effet, les dispositifs
précédemment évoqués proposaient la contemplation
ou la participation à la réalisation d'une oeuvre en acte, tout
en accordant une certaine importance au cadre médiationnel, ce dernier
exemple engage davantage un processus d'échange cognitif et sans
matérialité fixe.
Ainsi, cette typologie, que l'on pourrait complexifier et
sub-diviser à l'infini, et qui traite essentiellement des injonctions
adressées au spectateur, dévoile également de quelle
manière les oeuvres de Net Art valorisent différemment le
processus cognitif et communicationnel engagé par le dispositif
artistique. Elle montre en ce sens
l'hétérogénéité des logiques
esthétiques et communicationnelles des oeuvres de Net Art.
.Conclusion intermédiaire : le
Net Art et après... ?
De manière plus générale, cette
étude des oeuvres sur Internet, de ses dispositifs esthétiques de
communication et d'encadrement de la réception montre la
diversité des logiques artistiques et médiationnelles. La
caractéristique fondamentale du Net Art, réunissant ces oeuvres
diverses, semble consister en une mise en scène esthétisante des
relations, plus ou moins interactives, entre l'oeuvre et le public
individualisé. Le dispositif interactif encadrant l'oeuvre, permettant
au visiteur de la « consulter », d'en
« explorer » tous les aspects ou encore de
l' « expérimenter » dans toutes ses
potentialités fait partie du projet artistique et en devient même
parfois le coeur. Le Net Art semble dès lors modifier les modes de
monstration artistique, instaurer une actualisation de la notion de
« cadre » qui devient cadre de la réception,
installé préalablement par l'artiste, et non seulement cadre de
l'objet. Par ailleurs, il semble intéressant de souligner le lien de
parenté existant entre les logiques communicationnelles du médium
Internet et l'esthétique de médiation de l'art numérique
de manière générale. En effet, comme nous avons pu le
voir, les caractéristiques fondamentales de l'oeuvre numérique
engendrent une remise en question des dispositifs traditionnels de la
médiation. La conjugaison d'un accès collectif et
personnalisé à l'oeuvre, c'est-à-dire la tentative de
séduction d'un public large et assez indéfini mais qui peut,
individuellement, s'identifier au concept, s'approprier l'oeuvre, et, dans
certains cas, contribuer à sa réalisation, sont autant de
difficultés posées aux médiateurs traditionnels.
2. Les médiations scénographiques des
institutions d'art classique et moderne.
Après avoir étudié les
dispositifs de la médiation en ligne de l'art numérique, il
s'agit de s'intéresser aux dispositifs
« hors-ligne » de la médiation, c'est-à-dire
aux mises en scène de l'art numérique, au sein de
différentes institutions artistiques et culturelles. L'étude des
discours théoriques et l'attention portée aux questionnements des
artistes et médiateurs de cet art, ont révélé, dans
une première partie, les difficultés et interrogations qu'il
soulevait en terme d'exposition. Ce champ artistique, en tant qu'il transforme
les supports de création, de monstration, et les rapports physiques et
conceptuels entre les oeuvres et le public, entraîne les
médiateurs à s'interroger sur les manières de valoriser
cette esthétique relationnelle. Les notions de dispositifs encadrant la
réception et la relation à l'oeuvre notamment, mises en
scène de manières hétérogènes et originales
par la médiation en ligne, recèlent des questionnements
inexplorés pour les musées et autres institutions d'art. Ces
institutions, qui reçoivent traditionnellement des objets finis et des
spectateurs contemplatifs, doivent souvent, pour s'ouvrir à la
création numérique, repenser, tant sur le plan spatial que
temporel, physique et intellectuel, l'organisation et les dispositifs de leurs
espaces artistiques afin de mettre en scène une relation
esthétisée entre des dispositifs partiellement virtuels et des
spectateurs actifs. Par ailleurs, ces expositions constituent souvent les
premiers pas, les premiers tâtonnements de ces institutions dans le
domaine de la médiation de l'art numérique.
Les axes de médiatisation des expositions sont de ce
fait très récurrents, insistant souvent sur leur aspect
avant-gardiste et singulier. Cependant, on observe par la suite, au travers de
l'analyse sémiotique d'un corpus d'expositions représentatif de
l'actualité en art numérique58(*), des logiques d'expositions toujours originales, et
réfléchies, renouvelant à chaque fois la conception de cet
art et de sa médiation. Nous précisons de fait que les
dispositifs observés et analysés au sein de l'étude
présente ne constituent qu'une photographie ponctuelle de la
médiation institutionnelle actuelle, c'est-à-dire au moment de sa
naissance dans les musées et insistons sur le caractère
éphémère de ces dispositifs59(*).
Au cours de nos visites, nous avons porté une
attention particulière aux dispositifs internes et externes mis en place
pour orienter la compréhension et l'interprétation du spectateur
face aux oeuvres, de même que nous nous intéressions pour l'art en
ligne, aux injonctions adressées aux publics. En effet, comme le
rappelle Pierre Leguillon, dans l'éditorial d'un numéro
spécial d'Art Press consacré à la question :
Oublier l'exposition60(*), "Gérer la circulation, canaliser les
corps (et les esprits) font (...) partie des premiers impératifs du
concepteur d'exposition". Nous avons ainsi cherché à
distinguer les procédés de médiation conceptuelle et
esthétique des oeuvres mis en place pour guider le spectateur et
valoriser les oeuvres. Quels partis pris scénographiques et
communicationnels peuvent adopter les différentes institutions pour
s'approprier ce langage artistique, le mettre en scène ? Comment
parviennent-elles non seulement à exposer des oeuvres numériques,
à mettre en lumière leur dimension artistique et conceptuelle
mais également à aménager préalablement le cadre de
la réception afin de favoriser l'esthétique de la relation et de
l'interaction entre l'oeuvre et le spectateur individualisé ? Nous
avons ainsi pu dégager, au travers d'une double approche
communicationnelle et critique, trois logiques scénographiques
et communicationnelles distinctes qui parfois se superposent au sein
d'une même exposition :
- une première logique assez traditionnelle consiste
à susciter l'intérêt collectif du public en
éclairant l'ensemble de l'exposition d'une thématique
générale.
- un deuxième type de médiation artistique
renouvelle davantage les dispositifs d'exposition et oriente d'une
manière implicite et esthétique l'interprétation du
spectateur.
- enfin, un dernier type de médiation, plus rare dans
les musées, encadre au travers de procédés
explicites, la compréhension et la réception du
spectateur.
a) Une ouverture collective au public par l'annonce d'un
événement thématique : le cas de l'exposition
« Volupté numérique » au Palais des
Beaux-Arts de Lille
Le premier type de médiation de l'art numérique
observé correspond souvent à une volonté de
démocratisation de l'art numérique et engendre la mise en place
d'une communication événementielle qui interpelle le visiteur et
oriente, a priori, son interprétation de l'exposition . Ce
procédé de médiation artistique est assez traditionnel
mais il acquiert une importance toute particulière lorsqu'il s'agit de
ce type d'initiative, à savoir l'ouverture d'une institution classique
à un art peu reconnu.
.Un discours institutionnel éloquent sur
l'exposition
L'exposition du Palais des Beaux Arts de Lille
« Volupté Numérique »61(*) a adopté ce choix
communicationnel. Cette exposition, en présentant des dispositifs
interactifs, des installations vidéos, et des oeuvres ludiques de
différents artistes de la scène numérique
actuelle62(*), inaugure
une perspective d'ouverture de ce musée aux disciplines de l'art
contemporain et vise ainsi à réconcilier l'art patrimonial et
l'art numérique. Son titre a été choisi par le commissaire
d'exposition déjà cité dans cette étude,
Régis Cotentin, dans l'idée de défier les idées
reçues sur le numérique en général et de susciter
la curiosité d'un large public. Il faut préciser que cette
initiative du Palais des Beaux-Arts de Lille a été très
largement médiatisée au sein de la ville et de sa région,
au travers d'affiches publicitaires, d'articles dans la presse
généraliste, mais surtout par la diffusion d'une brochure
disponible dans les lieux culturels de la ville. Cette brochure est
intéressante dans la mesure où elle montre les partis pris
discursifs de cette exposition qui s'annonce comme un événement
artistique spectaculaire, prêt à surprendre et surtout à
séduire largement un public sceptique : « Volupté
numérique » ; « ravissement
technologique » ; « enchantement
synthétique » sont les formules éloquentes et
quasi-oximoriques qui ponctuent cette présentation. Le commissaire
d'exposition Régis Cotentin nous confirme cette idée dans
l'entretien qu'il nous a accordé :
« C'est moi qui ai trouvé ce titre.
C'est parti d'une constatation assez simple c'est-à-dire qu'à
chaque fois qu'on me parle d'art numérique on me dit toujours
« l'art numérique qu'est ce que c'est
froid ! ». Ou alors on me dit « oui c'est bien mais je
préfère les films : la couleur des films, la lumière,
le velouté de la pellicule, de la projection c'est plus
chaleureux... ». Donc je me suis dit : « comme je suis
plutôt convaincu je vais leur montrer que la volupté
numérique ça existe ». Et après, à partir
du titre j'ai vraiment décidé de choisir des pièces et
installations chaleureuses ou sensuelles. Je me suis dit qu'il faudrait
proposer au spectateur d'un musée qui n'a donc pas forcément
l'habitude de voir des expositions d'art contemporain dans des musées de
s'essayer à cet art qu'ils pensent moins chaleureux que la peinture.
C'était un challenge assez rigolo. » (cf. annexe p.III).
Cette déclaration du scénographe montre ainsi
de quelle manière les choix esthétiques scénographiques
peuvent être guidés par un but communicationnel qui est ici celui
de défier la froideur convenue du numérique et de lui associer au
contraire l'idée de « volupté ». Par
ailleurs, la présentation générale de l'exposition insiste
sur l'aspect « marquant » et
« novateur » des oeuvres sélectionnées pour
sensibiliser le spectateur au multimédia.
.Une ouverture séduisante de l'art
numérique pour le grand public
Dés lors, si le discours initial de l'exposition guide
le scénographe dans le choix et la mise en scène des oeuvres, il
oriente également le spectateur dans son interprétation et sa
réaction face aux oeuvres. Le public est ainsi interpellé par
l'idée de rencontrer des oeuvres qui promettent une telle
« innovation » et une relation de
« volupté » et
d' « enchantement » avec le public. L'ensemble de la
visite, depuis la mise en scène jusqu'à la réception,
semble gouvernée par ce simple éclairage thématique
annoncée par le titre. Les oeuvres choisies et présentées
s'inscrivent naturellement dans cette thématique dans la mesure
où elles sont souvent interactives et surprenantes pour le spectateur.
Une oeuvre intitulée « Blanc sur Blanc » de
Flavio Curry présente par exemple une installation interactive et sonore
sur écran géant : une danseuse de samba en mouvement
permanent et en taille réelle fixe le spectateur, alterne entre la danse
et des moments de pause au cours desquels elle s'approche de l'écran et
exerce sur le spectateur un pouvoir de séduction très
déstabilisant. Cette oeuvre n'est pas proprement contributive dans la
mesure où elle ne peut être agie par le spectateur. Mais ce
dernier ressent tout de même une sollicitation personnelle et
réagit en conséquence : prenant les mêmes postures que
la danseuse par mimétisme, s'approchant de l'écran pour le
toucher et tenter d'avoir un pouvoir sur l'oeuvre. Une autre oeuvre sonore
nommée « And Sat Down Beside I Her »,
élaborée par l'artiste Garry Hill en 1990 présente une
installation vidéo, ainsi qu'une chaise, un livre et une lampe tombant
du plafond. Le livre est ouvert sur la chaise, tandis que la lumière
projette, sur les pages du livre, le visage d'une femme, filmée en noir
et blanc et qui lit ce livre. La mise en exposition de ces oeuvres est assez
intéressante dans la mesure où elle accueille toujours le
spectateur par la présentation de l'oeuvre et la formule injonctive
« Expérimentez l'oeuvre » ou encore
« jouez avec l'oeuvre » et où elle suscite chez lui
des interrogations et la volonté de rester quelques temps pour en avoir
une vue d'ensemble et pour l' « expérimenter ».
Pour ce qui est de l'oeuvre présentant la danseuse de Samba par exemple,
le spectateur reste face à l'écran un certain temps afin de
comprendre le degré d'interactivité de l'oeuvre, afin de
comprendre également la temporalité de l'oeuvre, le cycle
rythmant les pauses de la danseuses, les moments de séduction, les
moments de danse, la musique. De même, l'installation de Gary Hill est
située dans une pièce obscure et est au départ très
discrète. On ne la voit pas, on l'entend très peu mais c'est en
observant l'oeuvre que l'on se l'approprie dans toute la subtile
simplicité de son dispositif.
.Les écueils d'une scénographie de
l'ouverture et d'une réception collective
Cependant, si une première approche
intéressante avec le public est créée grâce aux
oeuvres choisies et à l'étonnement du public, de nombreuses
faiblesses scénographiques apparaissent et rendent possible un
écart déceptif entre le discours institutionnel de l'exposition
et sa réception. Cette exposition, qui a pour mot d'ordre l'ouverture,
la démocratisation de l'art numérique au public est en effet
ouverte sur le plan scénographique en ce sens qu'elle n'est
composée que de trois pièces ouvertes les unes sur les autres,
à l'intérieur desquelles cohabitent plusieurs oeuvres et
installations. Or, la cohabitation des oeuvres au sein de cette communication
ouverte engendre une ambiance acoustique bruyante et gênante au sein
desquelles les sons des oeuvres se perturbent mutuellement. L'ouverture de
cette scénographie empêche en ce sens la mise en place de la
relation d'intimité nécessaire pour
« expérimenter » réellement ces oeuvres. Par
ailleurs, si l'ensemble de l'exposition est éclairé par cette
idée marquante de la « volupté
numérique », aucun support explicatif n'éclaire
réellement les oeuvres dans leur individualité, qu'il s'agisse de
support papier ou de site Internet concernant l'exposition. Le spectateur et
l'exposition ne sont donc mis en relation que de manière collective, par
le principe de l'ouverture et de l'étonnement. Cependant, la mise en
scène d'une esthétique relationnelle entre le spectateur et les
oeuvres individualisées fait défaut. Nous pouvons illustrer cette
idée par les remarques déçues de certains spectateurs qui
espéraient une interactivité face à une oeuvre telle que
« Blanc sur Blanc » évoquée plus
haut. Ne pouvant toujours s'approcher de l'oeuvre suffisamment pour simuler une
interaction entre leurs mouvements, leurs regards et ceux de la danseuse qui
semble fixer le spectateur, surtout lorsqu'il est sel dans la pièce, de
nombreux spectateurs ont conclu leur expérimentation déçue
sur cette phrase : « C'est pas de l'art, c'est tout
enregistré ! ». Cette déception face à la
révélation d'une oeuvre standardisée, au dispositif ouvert
et à la réception collective est tout à fait significative
de l'opacification de l'esthétique numérique, entre
démocratisation et individualisation.
Pour conclure sur cette exposition, s'il est
intéressant pour un large public de découvrir les oeuvres de
l'art numérique à la lumière d'une thématique
originale, l'absence, pendant et après la visite, d'une médiation
individualisée et esthétisée affaiblit finalement la
compréhension de sa pertinence esthétique pour ce public, et
l'expérimentation physique et conceptuelle des oeuvres.
b) La médiation esthétisée par une
mise en scène spectaculaire de la relation au public : le cas de
l'exposition de Pierre Huyghe au Musée d'Art Moderne de Paris
L'exposition du Palais des Beaux-Arts de Lille semble ainsi
choisir une logique d'ouverture scénographique, privilégiant
ainsi l'aspect démocratique de l'art numérique sur les
possibilités d'expérimentation individuelle des oeuvres. La
primauté semble également accordée à la
médiation thématique de l'exposition en générale,
au détriment de la relation individuelle avec les oeuvres. Un autre
procédé consiste alors, au contraire, à privilégier
l'actualisation de la mise en scène des oeuvres au moment de la visite.
Ce choix communicationnel exige une réflexion approfondie concernant la
volonté de l'artiste-médiateur, et la réception du
spectateur.
.Les oeuvres imposant leurs propres codes
scénographiques
L'exposition de l'artiste Pierre Huyghe
« Celebration Park » au Musée d'art moderne
de la ville de Paris63(*)
semble suivre ce type de logique en privilégiant l'esthétique des
relations interindividuelles et immédiates entre les oeuvres et les
spectateurs. Le lien entre l'oeuvre et le public n'est pas créé
par une thématique de médiation, caractérisant les oeuvres
présentées, et l'argument de l'exposition, mais par la mise en
scène spectaculaire de la relation entre les oeuvres et les spectateurs.
La médiation artistique, l'orientation interprétative et
interactive du spectateur est ainsi assurée et presque ordonnée
par l'oeuvre elle-même et non par des procédés
communicationnels extérieurs dans la mesure où l'oeuvre impose
ses propres codes scénographiques. La mise en scène ne
découle plus, comme dans le précédent cas, d'un choix
thématique de départ, mais des oeuvres elles-mêmes qui
imposent leur propre scénographie et la réception de leurs
spectateurs. Le titre de cette exposition, Celebration Park, est
d'ailleurs significatif à cet égard dans la mesure où il
évoque le nom d'un parc que l'artiste envisage de construire,
échappant aux codes muséaux traditionnels pour réinventer
de nouvelles modalités temporelles et spatiales. Pour mettre en
scène cette esthétique injonctive de la médiation,
l'exposition semble avoir totalement organisé son espace en fonction des
oeuvres qu'elle y recevrait. L'oeuvre très marquante intitulée
« Gates » (2006), présente des portes
gigantesques animées, pilotées par un programme, et flottant dans
l'espace. Le mouvement lent et continu de ces deux portes entrouvertes engendre
l'expérience pour le spectateur d'un sol mouvant et d'une perte de
repères presque effrayant. L'immense couloir, au plafond très
haut, où ces portes tournoient confère à l'installation
une dimension d'autant plus invraisemblable et spectaculaire, et une relation
d'autant plus déstabilisante et fictionnelle entre le visiteur et
l'espace. L'oeuvre ne prend toute sa dimension que mise en relation avec le
visiteur et ne prend toute sa force conceptuelle qu'au travers des
réactions d'étonnement, d'enchantement et d'une certaine panique
du spectateur.
.L'esthétique de la communication rendue
spectaculaire par le dispositif scénographique
L'oeuvre « One Year
Celebration » (2003), correspond à une toute autre
esthétique, impliquant le spectateur à un moindre degré,
et exige ainsi une toute autre réflexion scénographique. A la
demande de Pierre Huyghe, des artistes, musiciens, architectes,
chorégraphes ont imaginé la célébration de jours
non fériés par la réalisation d'un calendrier
réapproprié. Ce calendrier, exposé dans une salle
isolée sous la forme d'une série de posters placés les uns
à côté des autres dans une grande salle qui leur est
consacré, est tout à fait représentatif du projet de cet
artiste dans la mesure où il propose à la fois une mise en
scène collective, une oeuvre issue de l'inter-créativité,
et à la fois un autre agencement des codes conventionnels, une
réinvention des rituels. La mise en scène de cette oeuvre, qui
devrait se contenter d'amener le spectateur à contempler une
création interagie, amène celui-ci à s'infiltrer dans
l'espace clos, et à prendre part à cette oeuvre isolée du
reste de l'exposition. L'incompréhension première du visiteur
face à la multiplication de ces posters, face à
l'immensité de ce calendrier, à l'isolement de cette
pièce, les interrogations et l'étonnement conceptuel que cette
oeuvre engage chez le spectateur font de la mise en scène une
véritable spectacularisation de l'oeuvre. L'installation, qui ne
contient pas en elle-même de possibilités d'interaction avec le
spectateur, est véritablement érigée en spectacle par la
pertinence de la scénographie. Le Musée d'art moderne de la ville
de Paris est ainsi une institution habituée à recevoir des
oeuvres traditionnelles et accepte cependant, pour tenter d'exposer les oeuvres
de Pierre Huyghe dans toute leur potentialité esthétique et
communicationnelle, de repenser totalement la structure conventionnelle et les
dispositifs de son espace de médiation artistique.
.Une médiation ponctuelle qui laisse des
zones d'hermétisme conceptuel
On note cependant que, si les aspects conceptuel et
esthétique des oeuvres de cette exposition semblent
éclairés, et les relations au public esthétisées
d'une manière assez pertinente par une certaine spectacularisation des
oeuvres, l'absence de toute trace écrite ou interactive, de tout support
d'explication rétrospective semble regrettable. L'on peut en effet
affirmer que malgré de nombreux efforts scénographiques,
certaines oeuvres ou éléments de cette exposition, tels que le
titre qu'elle porte, demeurent opaques pour certains spectateurs. Cette
exposition privilégie la mise en scène et la valorisation
individualisée de chaque oeuvre isolée mais n'accorde que peu
d'importance à la compréhension par le public de la
cohérence générale de l'exposition. Le visiteur est ainsi
mené d'étonnement en étonnement, et frappé par la
mise en scène artistique de sa propre relation aux oeuvres. Mais il ne
peut cependant se fier qu'à lui-même quant à la
conceptualisation de leur cohérence esthétique
générale. Or, les médiateurs de cette forme naissante
peuvent-ils se permettre, par l'absence de toute trace rétrospective et
de tout support explicatif, de risquer d'entretenir les mythes de
ponctualité et d'hermétisme de l'art numérique, et de
l'art contemporain en général?
c) Une mise en scène explicite et cohérente
d'oeuvres physiques et conceptuelles : le cas de l'exposition de John
Maeda à la Fondation Cartier
Les deux expositions évoquées plus haut
accordent une importance particulière à la dimension physique des
oeuvres et à l'immédiateté de leur médiation. La
médiation de ces expositions est assurée par une
thématique, un rapport physique à l'objet, une mise en
scène frappante et n'oriente qu'implicitement l'interprétation
conceptuelle du visiteur. Le visiteur doit ainsi recomposer une
cohérence conceptuelle qui n'est pas explicite et risque de se trouver
dans une incompréhension relative du concept de l'exposition ou de la
pertinence esthétique de certaines oeuvres. En essayant de susciter
l'intérêt du public pour l'art numérique, les
médiateurs de l'art semblent ainsi risquer d'opacifier les logiques
esthétiques et conceptuelles propres à chaque oeuvre.
.Un encadrement clair de la
réception
Un dernier procédé observé offre une
mise en scène claire, une proposition interprétative et
réceptive sans équivoque et un éclairage explicite sur les
oeuvres exposées. Ce type de procédé n'implique pas
nécessairement une transparence totale de la pertinence des oeuvres et
de leur valeur esthétique. Cependant, il permet une compréhension
de l'intention de l'artiste au travers d'une médiation explicite.
L'exposition Nature et Eye'm Hungry du créateur
numérique, graphiste et chercheur en informatique John Maeda64(*) à la Fondation Cartier
pour l'art contemporain semble adopter ce procédé
communicationnel65(*).
Tout d'abord, cette exposition forme deux expositions distinctes, portant deux
titres, présentant deux scénographies et visant surtout deux
publics différents : l'exposition Nature doit ouvrir l'art
numérique à un public très large tandis que l'exposition
Eye'm Hungry doit toucher le jeune public des enfants. De
manière plus précise, la première présente des
projections en mouvement sur écrans évoquant, comme l'annonce le
titre, des phénomènes naturels comme la pluie qui tombe ou
l'herbe qui pousse ; et la seconde, qui s'adresse plus
particulièrement aux enfants, présente une série d'oeuvres
réactive et offre une exploration ludique du thème de la
nourriture et permet, comme l'explique la présentation sur Internet, aux
« jeunes visiteurs la possibilité de s'essayer à
l'abstraction interactive à travers six interfaces numériques
disposées à leur hauteur » en s'amusant, à
l'aide d'un simple clavier et d'une souris, à faire bondir des brocolis,
frétiller des anchois et même à dessiner eux-mêmes
des frites. Dès lors, l'exposition encadre les publics en structurant
l'espace scénographique et la présentation des oeuvres ce qui
montre d'ores et déjà une logique communicationnelle claire et
explicite.
.Un dispositif communicationnel cohérent,
une dimension artistique diluée
L'approche esthétique de John Maeda,
présentée par les brochures institutionnelles de l'exposition
distribuées à l'entrée, oriente par ailleurs le spectateur
dans son interprétation générale de
l'événement, pendant ou après la visite. Cette approche,
qu'il développe en tant que professeur au MIT (Massachusetts Institute
of Technology) Media Laboratory est une conception
« humaniste » de l'outil informatique, favorisant une
technologie plus simple d'utilisation et plus proche de l'être humain et
de ses sensations, et en ce sens, une technologie capable de constituer un
outil créatif. Les deux expositions sont gouvernées par cette
simplicité esthétique et médiationnelle. L'ensemble de ces
oeuvres, dont la signification est très explicite, est mis en
scène avec simplicité, d'une manière très
épurée. Les ordinateurs de la série Nature sont
dissimulés, seules les images de leurs écrans sont
projetées sur des toiles blanches et lumineuses. Par ailleurs, pour ce
qui concerne la série Eye'm Hungry, les installations sont
placées les unes à côté des autres, comme une
série d'installations ludiques, et sont adaptées à la
taille des enfants. Ainsi, il semble que l'esthétique
scénographique de cette exposition soit toute entière
guidée par les principes de l'artiste à savoir :
l'humanisation des technologies et la simplicité. Par ailleurs, de
nombreuses brochures institutionnelles ainsi qu'un site Internet
consacré à l'exposition éclairent
rétrospectivement, et de manière individuelle, la visite66(*). Ce site Internet permet de
revisiter les oeuvres à la lumière d'explications conceptuelles
et d'entretiens avec l'artiste. Il semble ainsi que les axes
médiationnels de cette exposition résident tout à la fois
dans la thématique générale de l'oeuvre, ses dispositifs
scénographiques encadrant les oeuvres et les interactions encadrant la
relation du public aux oeuvres. L'ensemble de ces procédés
communicationnels forme ainsi un système cohérent et explicite
pour le public.
Or ne peut-on craindre qu'un dispositif trop explicite,
qu'une transparence interprétative n'entraîne une réception
univoque et sans relief conceptuel ? Le souci de simplicité et de
compréhension univoque du public ne risque-t-il d'affaiblir le sens des
oeuvres ? Ne peut-on considérer qu'une mise en scène plus
réfléchie des oeuvres de John Maeda aurait permis une
interprétation plus riche de son concept ? Finalement, il semble
que cette exposition ne soit pas le lieu d'une interprétation ou d'une
reconstruction des finalités esthétiques de John Maeda mais celui
d'une vulgarisation presque commerciale de ses oeuvres : un lieu où
les oeuvres sont disposées avec simplicité pour des publics
explicitement ciblés et différenciés dans l'espace.
.Conclusion intermédiaire : une
pluralité médiationnelle riche et balbutiante
Cette étude des procédés
communicationnels d'institutions traditionnelles s'essayant pour la
première fois à la mise en exposition de l'art numérique,
montre une hétérogénéité certaine des
modalités d'exposition et des positionnements communicationnels et
esthétiques. La dimension systémique de cet art qui
redéfinit l'oeuvre comme une totalité impliquant la conception,
les dispositifs d'exposition et d'esthétisation de la relation au
visiteur déstabilise les modes de valorisation des oeuvres et semble
finalement diluer partiellement les discours esthétiques
définissant ce courant. De même que le Net Art, qui
redéfinissait l'idée de cadre, et la notion
d'interactivité chaque fois qu'une oeuvre nouvelle apparaissait, de
même la mise en exposition de l'art numérique dans des
institutions traditionnelle semble redéfinir à chaque fois les
notions de médiation artistique et d'esthétique de la
communication. Régis Cotentin, commissaire d'exposition de
Volupté Numérique confiait lors de l'entretien qu'il
nous a accordé :
« Je crois qu'en fait en ce moment tout le monde est
en train de chercher le meilleur moyen de présenter ce type d'oeuvre qui
n'est pas facile à présenter. Il y a pas encore de solution
idéale, mais il y a rien qui me choque. Il y a des solutions plus ou
moins heureuses à ces problèmes. » (cf. annexe
p.III)
En effet, les trois logiques communicationnelles
évoquées, appréhendent différemment la mise en
relation des oeuvres et du public, l'esthétisation de cette relation et
sa conceptualisation à long terme, et tentent toutes les trois d'ouvrir
à leur manière, et avec leurs faiblesses, cette forme artistique
au public en renouvelant différemment les dispositifs de la
médiation. Elles révèlent par là les exigences et
les écueils possibles de la mise en exposition de ce courant naissant.
Cette étude de l'hétérogénéité des
réponses apportées par les différents musées et
institutions artistiques classiques confrontées, pour la première
fois, à la problématique de la mise en exposition des
créations numériques dans toute leur complexité
esthétique et conceptuelle, nous amène à nous interroger
sur les choix d'institutions expérimentée dans la recherche et
l'exposition de l'art numérique.
3. Les choix scénographiques d'institutions
spécialisées en art numérique
Parallèlement aux musées, empruntant des codes
d'exposition et de mise en scène à différents types
d'institutions et à différentes disciplines, se
développent des centres de création, de recherche et d'exposition
spécialisées en art contemporain et tout particulièrement
en art numérique. Il est important de s'intéresser aux partis
pris des expositions de ces organisations, écoles ou centres
artistiques, créées spécialement dans le but de
développer sur le plan théorique et pratique cet art. Ces partis
pris se traduisent par le choix de dispositifs scénographiques :
l'aménagement d'un parcours pour le visiteur dans l'espace
d'exposition ; de dispositifs esthétiques :
l'esthétisation de ce parcours dans l'espace et la valorisation des
potentiels médiationnels et artistiques des oeuvres; et enfin de
dispositifs communicationnels : des éléments (textuels,
interactifs ou autres) extérieurs aux oeuvres permettant la
compréhension de l'exposition ou suscitant au moins l'activité
interprétative du visiteur. Nous mènerons ainsi une analyse
sémiotique des dispositifs scénographiques, esthétiques et
communicationnels mis en place par deux institutions à savoir une
école d'art contemporain et numérique, le Fresnoy, et une
organisation spécialisée dans la diffusion de l'art
numérique, le centre de création numérique du Cube. Ces
dernières ont toutes deux développé une appropriation
différente des notions et discours qui définissent l'art
numérique, et ont élaboré une approche riche et
réfléchie de l'esthétique de la communication interactive.
Ces organisations non marchandes, créées pour contribuer à
la construction d'une pensée de l'art numérique et à son
développement pratique, à sa valorisation esthétique et
conceptuelle, constituent des acteurs essentiels du développement
théorique, définitionnel et communicationnel de l'art
numérique. En ce sens, il est important de comprendre de quelle
manière elles tentent de répondre aux exigences et
problématiques esthétiques, scénographiques et
communicationnelles de cet art. Comment ces institutions de
référence en matière de légitimation discursives,
communicationnelles et esthétiques de l'art numérique
conçoivent-elles leurs expositions et l'orientation de leurs
publics?
- Nous étudions dans un premier temps une
véritable esthétisation de la médiation
artistique au travers des dispositifs communicationnels et
scénographiques de l'institut de recherche en création
contemporaine et numérique du Fresnoy.
- Puis, nous analysons dans un second temps les
procédés d'une valorisation démocratique de l'art
numérique au travers des dispositifs d'exposition et
d'orientation interprétative du public du centre de création
numérique du Cube.
a) Esthétisation de la médiation au sein de
l'institut de recherche en art contemporain et numérique du Fresnoy.
Il est dans un premier temps intéressant de chercher
à comprendre la logique théorique et pratique des expositions
d'art numérique d'un institut de recherche et d'enseignement en art
contemporain et numérique. La mise en exposition, pour ce type
d'institution, ne constitue pas un événement ponctuel dont il
faut revendiquer l'avant-gardisme, mais fait partie d'un système
diachronique de recherche théorique et pratique. Les expositions qui y
sont organisées ne sont à chaque fois que l'actualisation d'une
pensée construite, élaborée au fil de l'histoire de
l'institution, et constituent à leur tour un maillon de cette
chaîne conceptuelle. Par ailleurs, nous pensons ici à des
institutions relativement mal connue du grand public, et qui, malgré une
volonté exprimée d'élargir leur public et de
démocratiser l'art contemporain, ne sont souvent
fréquentées que par des publics initiés ou du moins
curieux. On comprend donc que, malgré un objectif commun de
démocratisation, les logiques communicationnelles des deux types
d'institutions évoquées jusqu'alors ne puissent être les
mêmes dans la mesure où celui que nous évoquons maintenant,
au travers de l'exemple de l'Ecole du Fresnoy, ne tente pas de convaincre
ponctuellement un public indéfini, mais d'élaborer une conception
institutionnelle cohérente de cette expression artustique sur le long
terme.
L'Ecole du Fresnoy, située à Tourcoing dans la
région du Nord Pas de Calais est un centre de formation, de recherches
et de productions spécialisé dans les arts numériques et
dans tous les domaines artistiques de l'image et du son. Elle propose au public
des expositions temporaires d'art contemporain afin de donner un écho au
travail des professeurs et intervenants de leur établissement, des
artistes travaillant en leur sein, ou encore de leurs étudiants.
L'exposition qui nous intéresse, et dont nous étudions ensuite
les caractéristiques scénographiques est une monographie de
l'artiste Thierry Kuntzel nommée « Lumières du
Temps »67(*). De quelle manière cette exposition
exploite-t-elle les possibilités esthétiques et
communicationnelles de l'art numérique et oriente-t-elle le visiteur
dans sa relation physique et interprétative aux oeuvres ?
.Un dispositif permettant à l'oeuvre
d'être expérimentée individuellement
Les éléments particuliers de cette exposition
frappent immédiatement, dès l'entrée de la visite.
L'espace d'exposition est immense et se compose de pièces si sombres que
l'on n'en distingue que difficilement l'accès. Chacune de ces
pièces, souvent circulaires comme des amphithéâtres ou
très allongées comme des couloirs, semble aménagée
pour ne recevoir qu'une seule oeuvre. Les lieux apparaissent
immédiatement comme des espaces de dialogues, non pas entre des oeuvres,
mais entre l'oeuvre et le spectateur. L'immensité de l'espace
d'exposition permet par ailleurs au visiteur de pouvoir profiter d'une relation
individuelle avec l'oeuvre et permet par ailleurs à l'oeuvre
d'actualiser l'ensemble de ses potentialités sans être
dénaturée par une gêne visuelle ou sonore quelconque. Le
visiteur est ainsi immédiatement intégré dans cet espace
calme et obscur et ne peut que s'interroger, dès le départ, sur
cette atmosphère intimiste à huis clos, une atmosphère de
confidence. La première salle dans laquelle le spectateur est accueilli
a la forme d'un petit amphithéâtre obscur au sein duquel est
installée l'oeuvre nommée Une Lettre (1998-1999). De
nombreux écrans, environ dix, y sont disposés en arc de cercle et
présente la même image d'un paysage filmé, paysage
très calme où l'on voit parfois passer une silhouette lointaine.
Les vidéos sont presque silencieuses mais laissent échapper, pour
le spectateur attentif, un souffle extrêmement subtil, comme une brise.
Ce souffle très discret, que l'on n'entend qu'en s'approchant, renforce
l'atmosphère intime de la pièce et de l'ensemble de l'exposition.
Chaque écran montre le paysage à des heures différentes de
la journée ce qui donne l'impression au spectateur d'être
enfermé au sein d'une nouvelle temporalité, un temps
imposé du défilement circulaire. Enfin, un meuble est posé
en face de chaque écran et porte un ouvrage que le spectateur peut
feuilleter à sa guise : il s'agit de La Lettre de Lord Chandos
de Hugo Hoffmansthal, écrite à Francis Bacon en 1901 pour
s'excuser d'avoir renoncé à toute activité
littéraire ; texte qui, pour Thierry Kuntzel, « a
tout à voir avec l'image, l'abandon de l'écriture au
bénéfice de la perception, le basculement du discursif dans la
contemplation muette »68(*). Le texte de Hugo Hoffmansthal est ainsi mis en
scène par Thierry Kuntzel au travers de cette installation de l'ouvrage
et de la vidéo, et éclairé d'une manière tout
à fait subjective par une image flottante et linéaire,
évoquant les thèmes de la contemplation passive et de
l'évanescence. De même, cette esthétique est
elle-même mise en scène par la scénographie de cette
pièce en demi-cercle qui entraîne le visiteur à ne pas se
contenter de contempler les pièces de cette oeuvre, mais à
s'imprégner de cette atmosphère intimiste et à s'y
infiltrer. La scénographie de cette oeuvre, ainsi que celle de
l'ensemble de l'exposition, présente ainsi une mise en scène
à demi-obscure, presque muette, entraînant un renfermement de
l'oeuvre sur elle-même et s'entrouvre pourtant au visiteur comme une
invitation personnelle. Le spectateur est intégré au sein de
cette oeuvre d'art au dispositif entrouvert et au son chuchotant comme s'il
était une partie manquante de la mise en scène. Chaque oeuvre de
cette exposition est ainsi encadrée par le dispositif de la pièce
qui l'accueille afin d'esthétiser non seulement l'oeuvre, ses concepts,
mais également sa relation intime et très personnelle au
spectateur.
.Des oeuvres mêlant l'interaction et la
contemplation
Cette exposition semble ainsi proposer un certain
renouvellement des dispositifs scénographiques, non seulement pour
permettre l'adéquation entre l'artiste et son dispositif, mais
également entre chaque oeuvre et son dispositif. Chaque pièce est
en effet agencée selon l'esthétique et le concept
communicationnel de l'oeuvre et de son rapport personnel, voire souvent intime
au public. Par ailleurs, comme nous l'avons vu, le spectateur, devenu
« spect-acteur », prend réellement part à ce
processus artistique en pénétrant, parfois avec
hésitation, dans des lieux toujours obscurs, presque silencieux et
pourtant très intimistes qui se referment sur lui, et sur son
écoute attentive du déroulement progressif de l'oeuvre.
Dès lors, de même que le dispositif qui semble embrasser
parfaitement la relation à l'oeuvre, de même le
« spectacteur » s'insère dans une mise en
scène esthétisée qui a prévu sa présence et
sa réaction. Celui-ci est ainsi introduit à l'intérieur de
dispositifs fortement injonctifs par le biais des oeuvres elles-mêmes, de
leur potentiel médiationnel, mais également par le biais de leur
agencement scénographique dans la mesure où le dialogue qu'il
entretient avec l'oeuvre lui est largement dicté par cette
dernière.
L'esthétique de la médiation mise en
scène par cette exposition permet ainsi de créer entre l'oeuvre
et le « spectacteur », un dialogue à la fois
injonctif et interactif, à la fois participatif et contemplatif.
L'oeuvre la plus célèbre de l'exposition, The Waves,
offre une expression particulièrement éloquente à
cette esthétisation générale de la relation à
l'oeuvre. Cette installation vidéo interactive et sonore (2003) est un
écran géant placé au bout d'un immense couloir et
représentant le film d'une mer très agitée. Le visiteur
s'avance ainsi dans le couloir obscur et est accompagné par le bruit
puissant des vagues agitées. A mesure qu'il s'avance dans le couloir et
qu'il s'approche de l'écran, la mer se calme progressivement et le bruit
des vagues s'affaiblit. Puis, lorsque le visiteur s'approche au plus
près de l'écran, l'image se fige totalement et le bruit des
vagues cesse pour ne laisser place qu'à un souffle léger,
semblable à celui de l'installation La Lettre, vue plus haut.
Cette oeuvre d'art, est ainsi partiellement agie par le
« spectacteur » individualisé dans la mesure
où lui seul peut activer ses potentialités et ainsi la faire
exister telle que son créateur l'a conçue. Par ailleurs, elle est
également fortement injonctive dans la mesure où elle lui impose
le déroulement de la découverte de l'oeuvre. Il s'agit là
d'une réelle interaction qui permet à l'oeuvre et au dispositif
une interactivité mutuelle et parfaitement simultanée. Par
ailleurs, comme le développe le scénographe et penseur de l'art
contemporain Paul-Emmanuel Odin, le dispositif de cette oeuvre présente
une esthétique de la communication remarquable dans la mesure où
elle n'ouvre son processus artistique et interactif qu'à un seul
visiteur à la fois. Lorsque deux visiteurs souhaitent explorer cette
oeuvre au même moment, le plus éloigné des deux doit se
contenter de contempler passivement la relation de l'oeuvre avec l'autre :
« C'est donc dans le dialogue entre ce visiteur
qui s'est approché et ceux qui restent loin que réside toute la
dialectique de cette installation, ce qui se révèle être sa
profonde dimension intersubjective, son humanité
bouleversante. »69(*)
Il semble ainsi que les logiques esthétique et
communicationnelle de cette exposition se fondent totalement au sein des
dispositifs artistiques et scénographiques, impliquant une participation
intellectuelle et physique, contemplative et participative du spectateur. La
dimension interactive des oeuvres, leur dispositif de médiation et
l'espace aménagé pour leur naissance face au spectateur se
conjuguent pour confondre les frontières entre l'oeuvre, sa mise en
scène, et pour insérer le spectateur dans un processus
communicationnel et esthétique.
.Un éclairage conceptuel rétrospectif
au travers de plusieurs supports
Si les oeuvres de Thierry Kuntzel suscitent une implication
physique et interprétative évidente du spectateur, il semble que
la signification propre de chaque oeuvre pour l'artiste soit toujours
implicite, laissée à la libre interprétation
rétrospective du spectateur. Au moment où l'oeuvre prend acte, la
dimension esthétique et relationnelle semble agir sur le spectateur avec
une telle force injonctive que la contemplation est l'attitude dominante. Il
semble ensuite difficile pour ce dernier de s'affranchir du dialogue interactif
et de l'attitude contemplative pour repenser les oeuvres dans une perspective
de conceptualisation rétrospective. Les médiateurs de cette
exposition, qui ont déjà contribué à
éclairer les oeuvres et à mettre en scène leur relation
avec le public, ont également organisé cette
« réception » rétrospective et conceptuelle
des oeuvres au travers de différents supports. Tout d'abord, à
l'entrée de chaque pièce de l'exposition, sont disposés
des supports écrits, en plusieurs exemplaires, expliquant les oeuvres et
que le spectateur peut collectionner et emporter avec lui après
l'exposition. Les textes explicatifs sont toujours disposés devant les
pièces et présentent, une à une les oeuvres contenues dans
ces pièces. Ces présentations textuelles disposées
à l'entrée constituent même, lorsque les pièces
d'exposition sont particulièrement obscures, une sollicitation pour le
spectateur, le signe qu'une oeuvre y est dissimulée. Les spectateurs
sont ainsi souvent étonnés de voir apparaître cet
étalage lointain de textes explicatifs devant des rideaux sombres ou
même devant une porte fermée qu'ils n'avaient pas
distingués : unique signe de la présence d'une oeuvre
secrètement gardée. Le parcours de cette exposition est ainsi
organisé, à certaines étapes, comme un jeu de piste dans
la mesure où certaines oeuvres ne sont dévoilées au
visiteur que s'il découvre leur lieu obscur et s'il ose y
pénétrer. Ceci semble confirmer, une fois de plus, l'idée
d'une invitation intimiste, d'une sollicitation discrète, ressemblant au
chuchotement d'une confidence, mises en scène par l'organisation
scénographique de l'exposition. De plus, ceci appelle le spectateur
à accorder une certaine importance à cette introduction ou
rétrospection textuelle dans la mesure elle éclaire
symboliquement autant la pièce d'exposition que l'intention
conceptuelle de l'artiste. Ces présentations développent ainsi
les dimensions conceptuelles et les possibilités interprétatives
de chaque oeuvre au travers de réflexions qui ne sont jamais des
explications. Les oeuvres ne sont pas décortiquées, et leurs
concepts ne sont pas mis à plat par de simples explicitations :
elles sont éclairées dans tout leur relief esthétique au
travers des extraits choisis de différentes pensées de l'artiste,
des médiateurs et des théoriciens les concernant. La
rétrospection conceptuelle des oeuvres de cette exposition s'inscrit,
elle aussi dans une logique de mise en scène et d'esthétisation
de l'intersubjectivité puisqu'elle confronte les points de vues et les
ressentis créatifs et réceptifs de Thierry Kuntzel
lui-même, de son commissaire d'exposition, et encore de penseurs de
l'art. Une oeuvre intitulée « Les Tombeaux de Fritz Lang
et de Jacques Tourneur » présente une installation
composée de deux portes fermées en bois noir disposées
côte à côte et laissant s'échapper, en alternance,
des effets lumineux blancs et rouges, suivant les variations musicales. Cette
oeuvre est éclairée par le catalogue au travers d'une
interprétation du commissaire d'exposition Raymond Bellour, mais
également et surtout au travers d'un récit dramaturgique en vers
de Thierry Kuntzel. Enfin, nous précisons qu'un support plus tardif est
apparu pour éclairer les oeuvres et orienter la démarche
interprétative du spectateur : il s'agit d'un catalogue interactif
de l'exposition sous forme de DVD. Le commissaire d'exposition, Raymond
Bellour, présente ce catalogue comme tout à fait inscrit dans
cette mise en scène artistique de la communication rétrospective
de l'exposition, éclairant celle-ci à la lumière des
intersubjectivités esthétisées : « Le
catalogue de l'exposition est lui-même une oeuvre. Troisième
production (après Antoni Muntadas et Michael Snow) de la série de
DVD d'artistes, "Anarchive", conçue par Anne-Marie Duguet, Title T.K. se
présente comme la somme active de l'oeuvre, au gré d'une
circulation intense entre des images souvent muettes et les mots écrits
dont elles sont nées. »70(*)
L'objectif de cette exposition n'est pas celui d'une
démocratisation de l'art numérique, mais celui d'une mise en
exposition cohérente de la réflexion esthétique,
scénographique et communicationnelle de cet institut de recherche. Or,
il semble que cette institution apporte une réponse originale, et assez
heureuse aux problématiques posées par l'art numérique. Si
les oeuvres comprennent en elles-mêmes un potentiel interactif, une
médiation physique et une présence conceptuelle très
imposantes, la mise en scène de celles-ci se révèle
déterminante dans la mesure où elle délivre une conception
de l'oeuvre et de son rapport au spectateur. Par la création d'une
atmosphère intimiste, le semi-cloisonnement, la semi-obscurité,
et encore le semi-mutisme des oeuvres, le spectateur se sent accueilli par un
espace secret qui se referme sur lui et l'insère dans son processus
esthétique. Par ailleurs, la mise en scène d'un éclairage
conceptuel au travers de réflexions textuelles intersubjectives et de
supports interactifs artistiques rapproche à l'extrême les
logiques esthétiques, scénographiques et communicationnelles.
Régis Cotentin, commissaire de l'exposition
« Volupté Numérique » citée
plus haut renforce nos propos en montrant que cette exposition pourrait
constituer un exemple de médiation heureuse de l'art
numérique pour d'autres scénographes: «Il y a pas
encore de solution idéale, mais il y a rien qui me choque. Il y a des
solutions plus ou moins heureuses à ces problèmes (...) Il y
a eu une expo au Fresnoy notamment autour de l'oeuvre de Thierry Kuntzel qui
était vraiment intéressante et réussie au niveau de la
scénographie, du rapport au spectateur. On comprenait vraiment
l'intention de l'artiste et le spectateur se prenait complètement au
jeu. » (cf. annexe p.III)
b) Les stratégies communicationnelles
démocratisantes d'un centre d'art numérique : Le Cube
Nous avons, dans les précédents paragraphes,
analysé les dispositifs d'exposition mis en place par deux types
d'institutions différentes : le premier ayant pour ambition de
faire connaître et de faire aimer l'art numérique, le seconde
ayant pour objectif de construire, pas à pas, un système
esthétique et réflexif cohérent à propos de l'art
numérique. Le type d'institution auquel nous nous intéressons
à présent mêle ces deux logiques dans la mesure où
il tente de démocratiser l'art numérique en développant
tout à la fois une pensée théorique sur le sujet et un
ensemble de mises en pratiques esthétiques et communicationnelles par le
biais d'expositions. Il s'agit des organisations nommées
« Espaces Culture Multimédia » (ECM)
créées par le Ministère de la Culture et de la
Communication en 1998 dans le but de mettre en oeuvre des actions et des
programmes de sensibilisation, d'initiation et de formation au
multimédia à partir de contenus culturels, éducatifs et
artistiques et de projets d'usages de ces technologies. Ces espaces tentent de
démocratiser, et plus particulièrement de vulgariser, pour tout
type de population, la dimension culturelle des technologies de l'information
et de la communication à la fois comme outils d'accès à la
culture et au savoir et comme outils d'expression et de création.
De quelle manière ces espaces, dont le but est
d'initier un public très large à la création
numérique, orientent-t-ils le spectateur dans son appréciation et
sa réception ? De quelle manière ces institutions
tentent-elles de concilier cet objectif de démocratisation de l'art
numérique et une démarche esthétique et communicationnelle
d'appréciation individuelle des oeuvres ? Est-il possible de
valoriser le caractère démocratique de l'art numérique
tout en mettant en scène chaque oeuvre dans sa richesse relationnelle
avec le spectateur ? A la lumière de ces questionnements, et au
travers de l'étude d'une exposition du centre de création
numérique français le plus célèbre, le
Cube71(*), nous tentons de
comprendre la réconciliation possible entre les deux logiques
d'esthétique interactionnelle, individualisée et de
réception collective. Nous analysons plus précisément de
quelle manière le Cube parvient à créer un espace social
au sein d'une exposition d'art numérique en aménageant une
scénographie à la fois ouverte et cloisonnée, et en
traduisant ainsi d'une manière physique, très tangible, une
esthétique de l'individualisation de masse.
.La création d'un espace social au sein
même de l'espace de réception artistique
L'exposition qui nous intéresse, « My
Heart belongs to Tokyo » 72(*) traite de la jeune création numérique
japonaise et semble en effet conjuguer la médiation collective et
individuelle en distinguant deux scénographies imbriquées l'une
dans l'autre : une première scénographie de l'ouverture et
comprend des dispositifs scénographiques du cloisonnement. Tout d'abord,
l'atmosphère générale de l'exposition rend évidente
l'intention des médiateurs d'élaborer une scénographie
globale de l'ouverture. L'exposition n'est en effet composée que d'une
grande pièce lumineuse annonçant à l'entrée,
inscrit au mur dans des couleurs très vives le titre de
l'exposition : « My heart belongs
to...Tokyo ». Par ailleurs, cette grande pièce ne
contient pas simplement l'exposition mais également un bar avec des
serveuses et des sièges où les visiteurs peuvent s'installer. Un
autre coin de repos est également installé, avec deux fauteuils
et un canapé, à l'intérieur de cette salle. Cet espace
d'exposition se présente ainsi comme un salon de réception
donnant lieu à une monstration artistique, à l'inverse d'une
institution comme le Fresnoy qui encadre véritablement
l'esthétique de ses oeuvres par l'organisation de l'espace
scénographique afin que le visiteur se sente le plus proche possible des
oeuvres. Ici, les dispositifs apportés par l'institution et qui
apparaissent dès l'entrée sont des dispositifs extérieurs,
qui ne sont en rien artistiques et qui apparaissent comme des obstacles
volontaires à toute naissance d'une relation intimiste et
esthétisée entre le visiteur et le lieu lui-même. Le lieu
de l'exposition désacralise les oeuvres qui y sont disposées dans
la mesure où il ne considère plus le visiteur comme un simple
visiteur mais exige de lui qu'il se comporte comme dans un espace social. Nous
remarquons par ailleurs que les spectateurs ainsi accueillis s'autorisent
à parler et à rire à voix haute, ce qui démontre
bien l'écart entre ce type de lieu et un musée. L'institution,
contrairement au Fresnoy et aux institutions plus traditionnelles vues plus
haut, applique ses propres codes muséaux, s'inscrivant dans une
esthétique totalement cohérente de désacralisation et de
démocratisation de l'art, et ne tentent pas de s'adapter aux codes
esthétiques de l'artiste exposé ou du thème choisi.
.La rupture scénographique de deux
esthétiques inversées au sein du même
espace
Ce n'est qu'au second regard que le visiteur découvre,
après le salon de réception collective, des oeuvres
numériques qui sont essentiellement des créations sur supports
photographiques et qui sont exposées les unes à côté
des autres, comme les toiles d'une exposition classique. Ces travaux graphiques
sur photographie numérique sont souvent des représentations assez
surprenantes d'animaux ou d'objets humanisés, d'êtres humains
animalisés ou surhumanisés, et semblent ainsi se rejoindre sur
une thématique très générale qui est celle de
l'humanisation et de ses frontières. Elles interpellent ainsi les
spectateurs dans la mesure où elles sollicitent sa volonté
naturelle de reconnaître les objets représentés et souvent
transfigurés par l'artiste. Par la transfiguration graphique propre
à la création numérique, s'établit ainsi une
relation interactive entre l'oeuvre figée et le spectateur contemplatif
au travers d'une recherche ludique des référents de l'oeuvre.
Cependant, malgré cette forme de relation
intersubjective entre le spectateur et la création, les créations
graphiques sont exposées d'une manière totalement ouvertes et
pour une réception collective. Elles s'inscrivent, elles aussi, dans
l'atmosphère de salon de réception collective et semblent
décorer ce lieu en lui apportant une légère dimension
thématique. Cependant, à l'intérieur de ce cercle
extérieur, sont disposées trois petites pièces closes et
individuelles. Dans chacune d'elle sont installés un écran, un
siège et des écouteurs. Le format individualisé de chacun
de ces dispositifs composant l'installation est ainsi fortement
impératif sur le plan temporel et spatial dans la mesure où il se
présente comme un spectacle vidéo, imposant le temps, l'isolement
et la position physique de la réception. Les écrans proposent des
installations vidéo de trois artistes numériques japonais,
Masakatsu Takagi, UA, et Saeko Takagi, que l'on peut
rapprocher par une tonalité positive, colorée, et souvent
onirique. Ces installations vidéo apparaissent ainsi comme des oeuvres
à la fois esthétiques et musicales, et n'appellent pas le
spectateur à de réelles interrogations conceptuelles. Le
spectateur demeure ainsi relativement contemplatif, voire passif devant cette
oeuvre qui pourtant met en scène un certain dispositif relationnel. Nous
avons noté des réactions très simples des spectateurs au
sortir de cette expérience de l'esthétique numérique, qui
semblent confirmer nos observations telles que l'ennui ou la simple
satisfaction de « jolies images ». La réception
semble ainsi être tout à fait comparable à celle que
suscite l'art pictural traditionnel dans la mesure où les oeuvres sont
à la fois abstraites et esthétiques et entraîne un regard
contemplatif, même lorsqu'il est individuel. On note ainsi une inversion
étonnante des réactions engendrées par ces deux logiques
communicationnelles opposées dans la mesure où ce sont les
oeuvres figées qui suscite une certaine
« interactivité » au sein même de la
contemplation, et les oeuvres individualisées et mises en scène
par un dispositif relationnel injonctif qui engendrent souvent le bercement
contemplatif. Le spectateur, ainsi accueilli dans un espace social prometteur,
aux aspects ludiques et colorés, semble déçu par cette
rupture scénographique et esthétique entre l'interactivité
et la contemplation.
.Une oeuvre centrale éclaire et
esthétise l'ensemble de l'exposition
Il paraît alors étrange, et peu harmonieux de
voir cohabiter ces deux esthétiques de la relation, ces deux mises en
scène séparées de la réception,
déstabilisantes pour le spectateur. Un dernier dispositif apparaît
alors, souvent en fin de visite, comme le centre de l'exposition dans la mesure
où il semble faire le lien entre les deux logiques
communicationnelles : il s'agit d'une oeuvre interactive de l'artiste
Skel. Cette oeuvre est composée de deux dispositifs dont la conjugaison
simultanée au sein d'un même processus artistique est tout
à fait significative des dimensions possibles de la notion
d'esthétique de la communication. Le premier est un écran
géant, situé dans la partie ouverte de la pièce, en face
de « l'espace lounge », et le second est un espace
fermé et obscur, caché derrière des rideaux et qui ne peut
accueillir qu'une ou deux personnes à la fois. Cet espace comprend
également un écran, des caméras retransmettant en direct
l'image du visiteur sur les deux écrans, et des techniciens qui
travaillent sur les mouvements, les formes et les couleurs de ces films afin de
les transfigurer au moment même où elles sont filmées. Les
visiteurs accueillis à l'intérieur de ce dispositif semblent
ainsi devenir les co-auteurs de ces oeuvres et se contemplent eux-mêmes
au moment même de leur contribution. Par ailleurs, les spectateurs
extérieurs contemplent cette interaction créative qui s'actualise
sous leurs yeux. Une seule et même oeuvre encadre donc deux
réceptions très différentes, et deux esthétiques de
la communication distinctes. Ainsi, la mise en scène de cette oeuvre,
qui encadre et esthétise une double relation à l'oeuvre, permet
une valorisation de l'aspect ludique, participatif mais également
conceptuel et relationnel de cette oeuvre. L'ensemble des dimensions de cet
espace d'exposition, qui semblaient paradoxales et disharmonieuses -les
dimensions socialisante et non artistique, individualisée et peu
interactive, thématique- est éclairé par la
présence et le concept relationnel de cette oeuvre. Celle-ci met en
scène une véritable esthétique de la communication, en
conciliant des notions d'intériorité et
d'extériorité de la réception, et en permettant au
spectateur de contempler une interaction créative en acte. Au travers de
cette esthétique très riche, cette oeuvre semble conceptualiser
rétroactivement l'ensemble de la visite.
Il semble ainsi que cette exposition conjugue
réellement la logique de la réception collective et de la
réception individualisée en plaçant d'une part le visiteur
dans une atmosphère générale très ouverte, et en
l'enfermant au sein de dispositifs injonctifs et individualisés. Le
spectateur, à la fois anonyme et personnalisé, peine à
situer sa place dans cet espace qui est tantôt un espace social et
léger, et tantôt un espace renfermé sur son
esthétique, individualisant et injonctif. Les injonctions
adressées par le dispositif de médiation au spectateur sont
proprement paradoxales : celle de devenir un être social,
extérieur à l'esthétique de cette exposition, puis
d'être contemplatif et enfin de se faire objet esthétique pour
contribuer aux oeuvres relationnelles. Naturellement, le spectateur se tourne
vers l'oeuvre qui semble réunir et créer le lien
nécessaire entre toutes ces dimensions paradoxales de l'exposition, en
permettant une mise en scène ludique, contemplative et participative de
la réception et en esthétisant la relation collective et
individuelle à l'oeuvre puis à l'exposition toute entière.
Cette étude comparée de deux logiques de
médiation de centres de recherche et de diffusion
spécialisés en art numérique montre, une fois de plus, les
contradictions possibles entre deux positionnements communicationnels et
esthétiques pour exposer la création numérique. Si le
Fresnoy construit entièrement son dispositif scénographique dans
le but d'un encadrement conceptuel injonctif de la relation
individualisée et esthétisée entre l'oeuvre et le
spectateur, le Cube semble au contraire décloisonner cette relation,
l'affranchir de tout code esthétique afin de devenir un lieu social de
démocratisation artistique.
Conclusion intermédiaire :
polymorphie du concept d'esthétique de la communication
De manière plus générale, cette analyse
des dispositifs d'exposition, des partis pris communicationnels,
esthétiques et scénographiques des différentes
institutions exposant l'art numérique, donne une expression
particulièrement éloquente aux contradictions et
polysémies discursives du courant lui-même. Au travers d'une
immersion progressive au sein des mises en exposition « en
ligne » et « hors ligne » de l'art
numérique, il fallait conférer une clarté, une
cohérence à cette actualité artistique contrastée,
difficilement déchiffrable. Entre survalorisation du spectateur comme
objet du processus esthétique et hermétisme revendiqué des
oeuvres, entre contestation des codes communicationnels et strict encadrement
de la relation au spectateur, et encore entre cloisonnement intimiste et
ouverture démocratique, les différentes mises en exposition
étudiées montrent un effort de renouvellement certain mais
largement polymorphe des logiques de médiations artistiques de la
création numérique. Cependant, nous ne pouvons conclure sur la
simple hétérogénéité des formes d'exposition
de cet art dans la mesure où notre étude démontre
également le déploiement progressif des concepts de l'art
numérique au sein de ses mises en scène. Nous retrouvons en
effet, au sein de chaque exposition, de chaque type de médiation et de
chaque positionnement communicationnel distinct, une semblable volonté
de mettre en scène, selon différents dispositifs physiques et
conceptuels, une esthétique de la communication.
Conclusion générale
«C'est un art qui est comme l'enfant en train de
grandir, qui refuse la mesure mais qui ne veut pas revenir à maman non
plus » (Daniel Cacouault, Cf. Annexe p.XIX)
Cette étude de la pratique artistique
émergente qu'est l'art numérique, des difficultés de sa
naissance théorique, institutionnelle et esthétique au public,
clarifie et dépassionne à plusieurs égards les discours
qui définissent celle-ci. Au delà de toute polémique
questionnant la légitimité artistique de tels usages, nous avons
tenté en effet de déchiffrer et de démêler la
multiplication hétérogène des logiques esthétiques
et communicationnelles à l'oeuvre, au travers d'une analyse
théorique et pragmatique. Par ailleurs, nous avons mobilisé les
idéologies gouvernant ce champ artistique afin de les nuancer et de
montrer en quoi elles opacifient l'esthétique naissante aux yeux du
public. De manière plus générale, nous avons montré
de quelle manière la mise en exposition de l'art numérique
reflétait, par son hétérogénéité mais
également par sa richesse esthétique, les multiples discours,
mythes et concepts définissant l'esthétique de la communication.
Dans un premier temps, nous avons tenté de mener une
exploration « phénoménologique » des
différents discours, conceptions et appropriations qui
caractérisent ce champ artistique depuis sa naissance. Nous avons
constaté une complexité définitionnelle certaine,
analysée et décantée sous l'angle historique,
institutionnel et artistique. L'art numérique s'est tout d'abord
défini par la conception de ses premiers artistes et penseurs qui
souhaitaient déjà dématérialiser l'objet
artistique, ouvrir l'oeuvre d'art à l'ordre de
l'éphémère et de l'inachèvement afin de
créer un espace artistique entre l'oeuvre et le spectateur qui ne soit
plus un simple espace de contemplation distante, mais un espace
d'inter-créativité. Puis, les appropriations institutionnelles de
cette définition très conceptuelle du champ artistique ont
montré la difficulté de cette création d'un espace
relationnel entre l'oeuvre numérique,
dématérialisée et le spectateur. La singularité de
cet art, son aspect esthétiquement incorrect et l'idéologie
révolutionnaire qui le caractérise ont souvent transformé
l'esthétique de l'éphémère et de
l'immatériel en une ponctualité sans substance, difficile
à cerner et à institutionnaliser durablement. Enfin, les
perceptions des artistes numériques actuels sur leur propre courant
créatif montrent pour leur part l'écart entre les discours qui la
gouvernent et les logiques esthétiques et médiationnelles qu'elle
tente de révéler. Le courant artistique naissant apparaît
alors comme une forme balbutiante, qui peine à s'affranchir des
injonctions à la nouveauté et à la démocratisation
pour trouver de réelles modalités d'identification et de mises en
scène auprès du public.
Cette analyse objective de la naissance conceptuelle et de la
recherche identitaire de l'art numérique est ensuite
éclairée par une immersion à l'intérieur des
pratiques et des stratégies, des dispositifs et des tactiques
artistiques. Nous avons tenté de photographier ce labyrinthe en
perpétuel mouvement afin d'en avoir une vision claire et actuelle, et
d'en dégager une description empirique et lisible. Les trois types
d'organisations observées, sites Internet, institutions d'art classique
et moderne, et centres de recherche et de création contemporaine et
numérique, montrent en effet l'extrême diversité des
définitions et mises en scène possibles du concept
d'esthétique de la communication. Sur Internet, le dispositif
d'exploration interactive de l'oeuvre ou de contribution du spectateur fait
intimement partie du projet artistique et transforme ainsi le spectateur en un
objet esthétique et médiationnel. Par ailleurs, les
différentes institutions d'art classique, moderne et numérique
hors ligne répondent par leurs expositions aux objectifs divers de
démocratisation ou d'esthétisation de la création
numérique. Leurs procédés artistiques et communicationnels
extrêmement divers, entre spectacularisation des oeuvres, argumentation
presque commerciale de ses logiques conceptuelles, cloisonnement intimiste du
lieu artistique sacralisant la relation du spectateur à l'espace, ou
encore socialisation du lieu affranchissant le visiteur de toute injonction
à la contemplation artistique, déstabilisent fortement le
spectateur et le médiateur traditionnel, qui ne forment qu'une seule et
même personne. Ces derniers doivent tous deux s'infiltrer dans un espace
de médiation esthétique aménagé
préalablement par l'artiste, et interagir avec des oeuvres aux codes
inconstants, qui imposent leurs propres logiques médiationnelles et
esthétiques sans se référer à un dispositif
originel et identifiable.
En ce sens, les trois hypothèses de départ qui
ont guidé nos recherches et nos questionnements sont toutes trois
confirmées et à la fois enrichies par notre double recherche
théorique et pragmatique.
-Tout d'abord, l'art numérique nous apparaissait d'ores
et déjà comme une notion ambiguë, à la croisée
de nombreux courants artistiques et conceptions esthétiques, et aux
frontières diluées par la multiplicité de ses
idéologies, et la polyphonie de ses réappropriations
définitionnelles.
Cette première hypothèse, qui comprend à
la fois l'idée d'une ambiguïté esthétique et
conceptuelle de l'art numérique, a été confirmée au
travers de nos recherches documentaires, théoriques et historiques. Nous
avons vu en effet que ce champ artistique se définissait par la
naissance parallèle de trois courants distincts, l'art informatique,
l'art vidéo et le Net art dont la caractéristique commune est de
mêler les disciplines artistiques traditionnelles tout en faisant appel
à d'autres supports et à d'autres médiums. Par ailleurs,
la singularité de cette démarche artistique et la
difficulté de son institutionnalisation ont entraîné de
perpétuelles réappropriations définitionnelles et une
opacification de ses logiques auprès du public. Cependant, il est
important de nuancer l'aspect assez catégorique de cette
hypothèse dans la mesure où l'analyse minutieuse de ces
définitions, et l'attention portée aux données subjectives
et objectives de l'art numérique, permet de clarifier les voix
distinctes de cette polyphonie discursive. Nous avons ainsi pu distinguer le
caractère idéologique et formel de certains discours, concernant
notamment les aspects contestataires, révolutionnaires et totalement
démocratisant de l'art numérique.
- Par ailleurs, une deuxième hypothèse montrait
l'esthétique de la communication comme redéfinissant le
rapport à l'oeuvre d'une manière complexe, difficile à
comprendre pour le public, visant à la fois la démocratisation de
l'art et une relation individualisée et esthétisée au
public.
Cette hypothèse de départ semble totalement
confirmée par le témoignage des acteurs de la création et
de la médiation de ce champ artistique, chargés
précisément de créer cette espace esthétique de la
communication entre l'oeuvre et le spectateur. Il semble même que la
contradiction entre la démocratisation de l'art numérique et de
son expérimentation conceptuelle et physique par le spectateur
individualisé constitue l'une des dialectiques fondamentales rythmant
l'intégralité de notre étude. Il existe en effet une
idéologie de démocratisation de l'art numérique dans la
mesure où celui-ci ouvre l'objet artistique à la manière
d'un spectacle, utilise les médiums de la communication de masse, et ne
prend ainsi sens que dans sa confrontation au public. Or, l'esthétique
individualisante de l'art numérique, confrontant le spectateur au
dispositif artistique dans lequel il doit s'infiltrer, confère toute sa
dimension et sa complexité au concept d'esthétique relationnelle.
Les artistes et médiateurs interrogés ont ainsi montré la
difficulté et les risques d'opacification, pour le public, d'une mise en
scène qui individualise physiquement et mentalement le spectateur et
spectacularise à la fois le processus artistique.
-Enfin, notre dernière hypothèse était
celle d'une ambiguïté des médiations, engendrée par
l'opacité des notions, qui se manifeste par la multiplicité
et l'hétérogénéité des modes
scénographiques et communicationnels de valorisation et d'exposition des
oeuvres d'art numérique.
Cette dernière hypothèse, qui implique
l'idée d'une adéquation entre la logique opaque des
définitions notionnelles de l'art numérique, et celle de ses
médiations est confirmée par notre étude, bien que notre
analyse sémiotique des logiques d'exposition et de valorisation de l'art
numérique auprès du public la nuance quelque peu. En effet, les
multiples esthétiques et positionnements communicationnels des
différentes institutions exposant l'art numérique apparaissent
comme le reflet des inconstances et négociations définitionnelles
et déstabilisent le spectateur. Or, notre immersion au sein des mises en
exposition de la création actuelle nous montre une certaine richesse des
médiations, telles qu'elles sont mises en scène par chacune des
institutions. Les expositions évoquées semblent toutes
éclairer à leur manière un concept de l'art
numérique, de l'esthétique relationnelle ou de
l'esthétique propre de l'artiste exposé, et orientent ainsi le
spectateur dans son errance interprétative. Ainsi, cette
hétérogénéité, qui apparaît comme une
errance des médiations, et qui demeure souvent dans l'ensemble assez
opaque pour le public, n'est pas vaine et semble constituer un ensemble
dialectique en perpétuelle évolution.
Cet art nous apparaît ainsi comme une forme
d'expression entièrement définie, pour l'instant, par sa propre
quête d'une identité cohérente et d'un mode de monstration
valorisant auprès du public. Or, si l'on en suit l'affirmation de Daniel
Cacouault selon laquelle l'art numérique est « comme
l'enfant en train de grandir », il semble nécessaire de
considérer ce texte, immortalisant un courant naissant qui ne cesse
d'évoluer et de se transformer, comme la première étape
d'une étude plus générale traitant de la naissance
progressive d'une médiation artistique. En ce sens, cette étude
doit être prolongée par une exploration plus élargie de la
notion artistique et médiationnelle
d' « esthétique de la communication », et par
une réflexion approfondie traitant des dispositifs à construire
pour réinventer l'exposition. Il s'agira ainsi, au travers d'une
recherche théorique croisée sur l'exposition, la médiation
culturelle et l'art actuel (art contemporain, conceptuel, numérique,
installations et performances), et d'une observation pragmatique des
dispositifs utilisés, de tenter d'élaborer un système de
propositions de règles esthétiques, scénographiques et
communicationnelles adressées aux différents concepteurs de ces
expositions artistiques. Ce travail de recherche permettra d'envisager, au
travers de recommandations concrètes les perspectives de
développement futures des formes de la médiation artistique.
Glossaire
Art multimédia (ou
numérique).
-Définition générale : Art
qui fait appel à une pluralité de médiums et de supports
techniques. Les années 1990-2000 se caractérisent par une
multiplication des travaux de ce type, mêlant les disciplines artistiques
et faisant appel aux nouvelles technologies.
-Définition historique : Louise
Poissant : « Dès le début du XXe
siècle, cette question est au coeur de la démarche de plusieurs
mouvements et groupes artistiques. Les dadaïstes ont fait la satire de la
machine. Les futuristes italiens ont fait l'apologie de
l'électricité et du monde industriel. Les constructivistes ont
prôné l'intégration de l'art, de l'architecture et de la
science. Dans les années 1950 et 1960, le courant a été
nourri par la création de plusieurs groupes artistiques tels que Zero en
Allemagne, le Groupe de Recherche d'Art Visuel (GRAV) en France et les
Experiments in Art and Technology (EAT) aux États-Unis. Depuis,
l'intérêt pour cette question se manifeste chez plusieurs artistes
dont Douglas Davis, Paul Earls, Perry Hoberman, Milton Kosimar, Piotr Kowalski,
Nam June Paik, Otto Piene, Wen-Ying Tsai, Woody Wazulka. »73(*)
Art interactif.
Forme d'art sollicitant l'interaction du spectateur par la
manipulation de divers accessoires (souris, écran tactile, objets
divers) mettant en marche un dispositif préprogrammé par
l'artiste. Ces oeuvres prennent souvent la forme d'installation
multimédia interactif combinant sons, texte, images, mouvements
scéniques, etc., et suscitant la participation active du spectateur au
processus d'une oeuvre aux possibilités multiples.
Art vidéo.
-Définition générale : Forme
d'art qui s'est développée à partir des moyens
électroniques.
Son instrument de base, le caméscope, permet
l'enregistrement des images et des sons (bruit, parole, musique), d'où
des oeuvres très diversifiées qui empruntent à diverses
pratiques artistiques et résistent à toute classification. L'art
vidéo comprend des bandes et des installations.
-Définition particulière de
théoricien : France Huser : "La vidéo joue sur
plusieurs esthétiques à la fois: elle flirte avec la sculpture
(assemblage d'écran), avec le tableau (étude du
«cadrage» par Mark Masse), avec la photographie tramée (la
trame, dit Jean Otth, fait de l'écran vidéo «un
soleil», alors que l'écran du film est une surface morte qui ne
renvoie pas la lumière); elle passe de là aux environnements
mobiles, aux «performances», elle débouche sur les techniques
de participation et d'animation collective."
Cathodique (tube).
Tube dans lequel un flux d'électrons est dirigé
vers une surface fluorescente où son impact produit une image.
Elément de base de l'appareil de télévision et de la
console de visualisation de l'ordinateur.
Exposition.
-Définition générale :
Présentation publique d'objets, d'oeuvres d'art destinée à
vendre, à faire connaître ou à expliquer à un
public.
-Définition particulière de
théoricien : Jean Davallon : « L'exposition
-en tant que dispositif- est la résultante d'une opération de
mise en exposition d'objets. Elle suppose que non seulement le visiteur la
parcourt physiquement mais, nous l'avons vu, qu'il participe activement
à son fonctionnement. Si on se place du strict point de vue de la
communication, cette définition minimale de l'exposition
détermine la répartition des rôles de producteur et de
visiteur.»74(*)
Dispositif (de médiation, d'exposition,
d'installation...).
-Définition générale :
Agencement spatio-temporel particulier, ensemble des éléments
constituant une oeuvre d'art, permettant son déroulement ou sa
valorisation face au public.
-Définition particulière de
théoricien : Anne Marie Duguet : « À
la fois machine et machination (au sens de la méchanè grecque),
tout dispositif vise à produire des effets spécifiques. Cet
«agencement des pièces d'un mécanisme» est
d'emblée un système générateur qui structure
l'expérience sensible chaque fois de façon originale. Plus qu'une
simple organisation technique, le dispositif met en jeu différentes
instances énonciatrices ou figuratives, engage des situations
institutionnelles comme des procès de perception. Si le dispositif est
nécessairement de l'ordre de la scénographie, il n'est pas pour
autant le fait des seules installations. Dans les bandes aussi bien sont
actualisés certains réglages du regard ou des modes particuliers
d'implication du spectateur. »75(*)
Dispositif à contribution (ou à
participation).
Base de données interactive qui peut être
consultée et alimentée par son visiteur.
Hypertexte.
Base de données permettant de naviguer d'une texte
à un autre, ou d'une image à une autre en suivant des voies
préétablies.
Image 3D.
Image tridimensionnelle. Contrairement à l'image 2D,
qui circonscrit l'objet dans l'espace au moyen du plan, l'image 3D envisage et
calcule l'objet sous tous ses angles, permettant ainsi la variation des points
de vue.
Immatériel.
Qui tend à la disparition de la matière.
Caractérise les mondes virtuels, numériques notamment, qui sont
artificiels et dénués de substance charnelle, pesante.
Informatique.
Science du traitement automatique de l'information,
basée sur l'utilisation d'ordinateurs et de logiciels.
Installation.
Le dispositif spatial propre à l'installation se
présente comme un espace artistique particulier recréé au
sein d'une galerie ou d'un musée.
Interactivité.
-Définition générale : Action
réciproque s'exerçant en temps réel, entre l'homme et le
dispositif technique. L'interactivité favorise le contact, à
différents degrés possibles, du public avec l'oeuvre. Le
spectateur s'implique dans l'oeuvre et participe à son fonctionnement.
-Définition particulière de
théoricien : Jean-Pierre Balpe : « Il y a
interactivité, non seulement parce que le lecteur agit sur ses parcours
de lectures qu'ils soient, ou non, totalement
prédéterminés par les concepteurs mais parce que, par ses
parcours, par ses réponses aux demandes de l'ordinateur, il peut mettre
en oeuvre des variations textuelles (interventions directes par réponse
à des questions; interventions indirectes par calculs du système
à partir de n'importe quelle action du lecteur sur l'ordinateur...), et
parce qu'il peut modifier le déroulement des textes qu'il est en train
de lire, ou leur contenu »76(*).
Internet.
Réseau mondial associant des ressources de
télécommunication et des ordinateurs serveurs et clients,
destiné à l'échange de messages électroniques,
d'informations multimédias et de fichiers. Il fonctionne en utilisant un
protocole commun qui permet l'acheminement de proche en proche de messages
découpés en paquets indépendants.
Logiciel.
Ensemble des règles et des programmes informatiques
permettant un traitement spécifique de l'information.
Lumière de synthèse.
Au contraire de l'image vidéo, qui résulte d'un
enregistrement physique de la lumière, le monde de l'image de
synthèse est un univers où les lumières, les ombres, les
reflets et les objets sont mathématiquement déterminés.
Médiation (culturelle et
artistique).
-Définition philosophique : processus
créateur par lequel on crée un lien, au travers d'objets, de
symboles, de textes ou d'institutions, entre l'homme et son univers culturel et
artistique patrimonial et actuel.
-Définition particulière de
théoricien : Jean Caune, La médiation culturelle,
construction du lien social77(*) : « Saisie comme processus
qui refuse la séparation objet/sujet, la médiation de la culture
ne vaut que dans le jeu entre la rationalité de l'objet et la
sensibilité du sujet. Dans l'écart entre sujet et objet, qui ne
saurait se réduire qu'au prix d'une confusion et d'une identification
à l'objet, négatrice des différences, se
développent la liberté et la subjectivité de la personne.
(...)La médiation culturelle est processus du temps présent.
Qu'elle se présente à partir d'une énonciation
singulière ou en interlocution à la parole de l'autre, elle doit
laisser, à chaque instant, la possibilité d'une faille qui
autorise l'émergence de l'innovation, ou de la
trouvaille ».
Navigation.
Démarche de l'internaute qui consiste à
consulter des données sur Internet, et à exploiter les
données hypertextuelles qu'il comporte.
Numérique.
Qualifie les systèmes ou dispositifs qui
représente, traite ou transmet des données en n'employant que des
signaux binaires.
Pixel.
De teinte homogène, le pixel est le plus petit
élément de l'image. L'image enregistrée est
composée de pixels ou de « points ». Le nombre de
points qui constituent ces lignes sur l'écran détermine la
définition d'une résolution de l'image.
Scénographie.
L'art d'agencer un espace scénique, grâce
à la coordination des moyens techniques et artistiques. La
scénographie d'un spectacle comprend les décors, toiles peintes
et accessoires, mais aussi l'éclairage (qui peut modifier l'espace et
même parfois se substituer aux décors). De même, la
scénographie de toute forme artistique correspond à la
« mise en espace » de tout se qui construit et entoure
l'esthétique d'une oeuvre.
Bibliographie
SCIENCES DE L'INFORMATION ET DE LA
COMMUNICATION
.Généralités
JAUSS Hans R., Pour une esthétique de la
réception, Gallimard, 1987
LÉVY Pierre, Cyberculture, Paris, Odile Jacob,
1997.
.Médiation culturelle et
artistique
CAUNE Jean, Pour une éthique de la
médiation : le sens des pratiques culturelles, PUG, 1999.
DAVALLON Jean, L'Exposition à l'oeuvre,
L'Harmattan Communication, 2005
ECO Umberto, Les Limites de l'interprétation,
Grasset, 1992
LAMIZET Bernard, La médiation culturelle, Paris,
L'Harmattan, 2000
APPROCHES
INTERDISCIPLINAIRES
.Sociologie et anthropologie de
l'art
BOURRIAUD Nicolas, Esthétique relationnelle,
Les Presses du réel, 2001
GOMBRICH E.H, Histoire de l'Art, Phaïdon,
2001
HEGEL Georg Friedrich Wilhelm, Esthétique.
Tome premier (1835) Paris, Librairie Germer-Baillère
HEINICH Nathalie, La Sociologie de l'art, La
Découverte, 2004
POPPER Frank, Le déclin de l'objet, Paris,
Editions du Chêne, 1975
POPPER Frank, Art, Action et Participation :
l'artiste et la créativité aujourd'hui, Editions
Klincksieck, 1980
.Politique culturelle
MOLLARD Claude, La Passion de l'Art, écrits et
paroles 1981-1985, La Différence, 1986
URFALINO Philippe, L'Invention de la Politique
Culturelle, La Documentation française, 1996.
.Esthétique
BRECHT Berthold, Sur le cinéma, Paris,
Editions de l'Arche, Travaux 7, 1970
LYOTARD Jean-François, L'inhumain,
Causeries sur le temps, Galilée, Paris, 1988.
MERLEAU-PONTY Claire et EZRATI Jean-Jacques, L'Exposition,
théorie et pratique, L'Harmattan, 2005
RIOUT Denys, Qu'est-ce que l'art moderne? , Folio
Essais, 2005
ART NUMERIQUE
ARDENNE Paul, Un art contextuel, Paris, Flammarion,
2002
BALPE Jean-Pierre, Contextes de l'art
numérique, Hermès science
BALPE Jean-Pierre, L'art et le numérique,
Hermès, Les Cahiers du numérique
BALPE Jean-Pierre, Hyperdocuments, hypertextes,
hypermédias, Paris, France, Eyrolles, 1990
COUCHOT Edmond, La technologie dans l'art, de la photographie
à la réalité virtuelle.
COUCHOT Edmond, " De la communication à la commutation.
Medias et nouveaux "medias" "
COUCHOT Edmont et HILLAIRE Norbert, L'art
Numérique, Comment la technologie vient au monde de l'art, Champs
Flammarion, 2005
DE MEREDIEU Florence, Art et Nouvelles Technologies,
Larousse
DUGUET Anne-Marie, L'interactivité
entraîne-t-elle des redéfinitions dans le champ de l'art in
Déjouer l'image, créations électroniques et
numériques, Jacqueline Chambon, Critique d'art, Nîmes 2002.
FOURMENTRAUX Jean-Paul, Art et Internet. Les nouvelles
figures de la création, Paris, CNRS Editions, 2005
PAUL Christiane, L'art numérique, Thames
&Hudson, 2004
POISSANT Louise, Dictionnaire des Arts
médiatiques, Presses de l'Université du Québec, 1997
POISSANT Louise Esthétique des arts
médiatiques tomes 1, 2 et 3, Presses de l'Université du
Québec, 2003
RAPPORTS, REVUES, ARTICLES, ET CATALOGUES
D'EXPOSITIONS
Art Press, numéro spécial 21, Oublier
l'exposition, 2000
Beaux-Arts Magazine, Hors série, « Notre
Histoire...une scène artistique française
émergente », 21 janvier- 7 mai 2006
BOISSIER Jean-Louis, "L'interactivité comme
perspective", publié dans Les traversées de l'image. Art et
Littérature, 1998
DUGUET Anne-Marie, "Dispositifs", dans
Communications, numéro 48, 1988
Electra, Catalogue de l'exposition au Musée
d'Art Moderne de la ville de Paris, Commissariat de Franck Popper, 10
décembre 1983-5février 1984.
Giunti-Art Dossier (Revue italienne), N. 156, Arte
Electronica, Silvia Bordini
IBM Informatique n°13, Qu'est ce qu'il y a
de plus mystérieux que la clarté ? (Paul Valéry)
1975
MORICE Anne-Marie, « Les institutions et
l'Internet », Transat vidéo, janvier-février-mars 1999
REENA Jana, « Whithney Speaks : It is
Art », in Wired News, San Francisco, 23 mars 2000
ROLLIN Laurent, « Europe de l'Est :
naissance des arts et du net » in Fluctuat.net, dossier
dans le cadre de « Cinémas de demain : tour du monde
du Web », Paris, Centre Pompidou.
VIRILIO Paul, « Vitesse et information, Alerte
dans le cyber-espace » in Le Monde Diplomatique, Paris,
Août 1995.
SITES INTERNET
-SITES INSTITUTIONNELS ET DE
RECHERCHE
ARTMEDIA Paris VIII
http://www.olats.org/projetpart/artmedia/2002/t_eCouchot.html
Fondation Cartier
www.fondation.cartier.fr/flash.html
Le Cube
http://www.lesiteducube.com/site/index
Le Fresnoy
http://www.le-fresnoy.tm.fr/
Les archives audiovisuelles de la
recherche :
http://semioweb.msh-paris.fr/AAR/FR/Default.asp
Les enjeux de l'information et de la
communication
http://w3.u-grenoble3.fr/les_enjeux/
Nouveaux médias
http://www.nouveauxmedias.net/
Paris Art
http://www.paris-art.com/
Search Art
http://www.nomemory.org/search
-SITES D'ARTISTES
ANTIROM
http://www.antirom.com/
ARS ELECTRONICA
http://www.aec.at/en/index.asp
As World Collide
http://creativity.bgsu.edu/collaboration/worlds/index.html
AUBER Olivier, Générateur
poïétique
http://poietic-generator.net
Centre International de Création Vidéo
Pierre Schaeffer
http://www.cicv.fr
The Centre of Attention
http://www.thecentreofattention.org.
CLOSKY Claude, Do you want love
or lust?
http://www.diacenter.org/closky/
COMMUNIMAGE
www.communimage.net/franz/
DIGITAL ART, http, Mass Project
www.digg.com/design/Mass_Art_Project
DROUIN Reynald, Alteraction
http://www.incident.net/
FUJIHATA Masaki, Light on the net
http://www.flab.mag.keio.ac.jp/light.html
JAFFRENOU Michel, Théâtre virtuel
Diguiden
www.diguiden.net/
MAEDA John
http://www.maedastudio.com/index.php
METAFORT
http://www.metafort.net/
MOUCHETTE
www.mouchette.org/indexf.html
Museo Nacional de Artes Visuales (Montevideo)
http://www.mnav.gub.uy/index.html
* 1 Jean Davallon,
L'exposition à l'oeuvre, L'Harmattan Communication, 2005
* 2 Louise Poissant,
Dictionnaire des Arts médiatiques, Presses de l'Université
du Québec, 1997 ; Esthétique des arts
médiatiques tome 1, 2 et 3, Presses de l'Université du
Québec, 2003.
* 3 Edmont Couchot et Norbert
Hillaire, L'art Numérique, Comment la technologie vient au monde de
l'art, Champs Flammarion, 2005
* 4 Christiane Paul, L'art
Numérique, Thames &Hudson 2004
* 5 Abraham A. Moles, dans
IBM Informatique n°13, 1975
* 6 Philippe Urfalino,
L'Invention de la Politique Culturelle, La Documentation
française, 1996.
* 7 POPPER Frank, Le
déclin de l'objet, Paris, Editions du Chêne,
1975.
* 8 Anne-Marie Duguet,
L'interactivité entraîne-t-elle des redéfinitions dans
le champ de l'art in Déjouer l'image, créations
électroniques et numériques, Jacqueline Chambon, Critique
d'art, Nîmes 2002.
* 9 Paul Virilio,
« Vitesse et information, Alerte dans le cyber-espace »
in Le Monde Diplomatique, Paris, Août 1995.
* 10 Jean Caune, Pour une
éthique de la médiation : le sens des pratiques
culturelles, PUG, 1999.
* 11 Pour des raisons que nous
ignorons, ce rapport officiel, résumé par Edmond Couchot et
Norbert Hillaire dans leur ouvrage L'Art numérique, Comment
la technologie vient au monde de l'art, (Champs Flammarion, 2005)
n'est pas directement accessible ou consultable.
* 12 Etude
réalisée par Edmond Couchot, Thierry de Duve, Anne-Marie Duguet,
Norbert Hillaire, Piotr Kowalski, Paul Virilio, Jean Zeiton,
Jean-Jérôme Bertholus, Louis Bec et Martine Bour. De même
pour cette étude, nous nous référons à l'ouvrage
d'Edmond Couchot et de Norbert Hillaire L'art Numérique Comment la
technologie vient au monde de l'art, (Champs Flammarion, 2005)
* 13 Paul Ardenne, Un art
contextuel, Paris, Flammarion, 2002, P.179.
* 14 Claude Mollard, La
Passion de l'Art, écrits et paroles 1981-1985, La
Différence, 1986
* 15 Edmont Couchot et Norbert
Hillaire, L'Art Numérique. Comment la technologie vient au monde de
l'art, Champs Flammarion. (p.158-159)
* 16 La Silicon Graphics est
une société américaine qui construit des stations de
travail (workstations) dédiées aux domaines de
l'infographie, de la 3D et du traitement vidéos connues pour leur
design avant-gardiste et coloré.
* 17 Les difficultés
auxquelles nous avons été confrontées pour rencontrer
Moïra Marguin, directrice du pôle numérique de l'Ecole des
Beaux-Arts de Paris, témoigne largement de ce manque de communication
externe.
* 18 Ibid (p. 159.)
* 19 Rollin Laurent,
« Europe de l'Est : naissance des arts et du
net » in Fluctuat.net, dossier dans le cadre de
« Cinémas de demain : tour du monde du
Web », Paris, Centre Pompidou.
* 20 Morice Anne-Marie,
« Les institutions et l'Internet », Transat
vidéo, janvier-février-mars 1999
* 21 Cécile
Kerjan-Xavier Perrot, « Les Musées et l'art
numérique en l'an 2000 », in « L'art
et le numérique », sous la direction de Jean-Pierre
Balpe.
* 22 Reena Jana,
« Whithney Speaks : It is Art », in Wired
News, San Francisco, 23 mars 2000
* 23 Electra,
Catalogue de l'exposition au Musée d'Art Moderne de la ville de
Paris, Commissariat de Franck Popper, 10 décembre 1983-5février
1984.
* 24 Antirom,
http://www.antirom.com/
* 25 Ars Electronica,
http://www.aec.at/en/index.asp
* 26 Museo Nacional de
Artes Visuales, http://www.mnav.gub.uy/index.html
* 27 Métafort,
http://www.metafort.net/
* 28 Centre International
de Création Vidéo Pierre Schaeffer, http://www.cicv.fr
* 29 Nous étudions
précisément les dispositifs de cette exposition en
deuxième partie.
* 30 Ce groupe de rock est
célèbre pour les personnages et univers imaginaires en trois
dimensions qui accompagnent visuellement leur musique.
* 31 Nous regrettons de ne
pouvoir nous attarder davantage sur le système philosophique construit
par cet artiste, définissant l'histoire de l'art comme la confrontation
d'une structure sociale, extérieure, et de sensations plus
intérieures, et sur la place légitime qu'il accorde à
l'art numérique au sein de ce système ; nous invitons
cependant notre lecteur à prêter attention à cet entretien,
retranscrit en annexe, qui met en lumière et enrichit d'une
manière singulière, nos questionnements.
* 32 Jean Davallon,
L'exposition à l'oeuvre, Harmattan Communication, 2005
* 33 Umberto Eco, Les
Limites de l'interprétation, Grasset, 1992
* 34 « Notre
Histoire...une scène française émergente »,
Palais de Tokyo, du 21 janvier au 7 mai 2006
* 35 Beaux-Arts Magazine, Hors
série, « Notre Histoire...une scène artistique
française émergente », 21 janvier- 7 mai 2006
* 36 Jean-Paul Fourmentraux,
Art et Internet. Les nouvelles figures de la création,
Paris, CNRS Editions, 2005
* 37 Mouchette,
www.mouchette.org/indexf.html
* 38 Tous les
éléments soulignés sont des liens hypertextes, permettant
l'accès à des créations interactives
* 39 Ces trois citations sont
les objets des trois premiers mails envoyés par Mouchette après
abonnement, « X » étant le prénom du
visiteur.
* 40 Cf. Olivier Auber,
Générateur poïétique,
http://poietic-generator.net
* 41 Cf. Michel Jaffrenou,
Théâtre virtuel Diguiden, www.diguiden.net/
* 42 Berthold Brecht, Sur
le cinéma, Paris, Editions de l'Arche, Travaux 7, 1970
* 43 Jean Pierre Balpe,
Contextes de l'art numérique, Hermès, 2000
* 44 Jean-François
Lyotard, L'inhumain, Galilée, Paris, 1988.
* 45 Frank Popper, Art,
Action et Participation : l'artiste et la créativité
aujourd'hui, Editions Klincksieck, 1980
* 46 Jean-Louis Boissier,
"L'interactivité comme perspective", publié dans Les
traversées de l'image. Art et Littérature, 1998
* 47 Jean-Pierre Balpe(dir.),
L'art et le numérique, Hermès, Les cahiers du
numérique, Vol. 1, n°4, 2000
* 48 Mouchette,
www.mouchette.org/indexf.html
* 49 Reynald Drouin,
Alteraction,
http://www.incident.net/works/alteraction/2-0.htm
* 50Claude Closky, Do you
want love or lust ?, http://www.diacenter.org/closky/
* 51 Exemple de question:
«Do you drink your tea with lemon or lime?»
* 52 Masaki Fujihata ,
Light on the net, http://www.flab.mag.keio.ac.jp/light.html
* 53 The Centre of
Attention, E-Mail Art, Londres.
http://www.thecentreofattention.org.,
exposition du 12 août a 16 septembre 2002
* 54 Mass Project, Digital
Art, http://www.digg.com/design/Mass_Art_Project
* 55 Citons entre autres les
projets «Communimage», 1999
(http://www.communimage.net/franz/.); «As World
Collide», 1997, 1998
(http://creativity.bgsu.edu/collaboration/worlds/index.html.); ou encore
Search Art, 2001 (http://www.nomemory.org/search)
* 56 Olivier Auber, Le
Générateur Poïétique, 1987-2004,
http://poietic-generator.net.
* 57 Olivier Auber, Le
Générateur Poïétique, 1987-2004, «A
quoi cela peut-il servir ? »,
http://poietic-generator.net/wikini/wakka.php?wiki=AQuoiCelaPeutIlServir
* 58 Ce que nous appelons
« actualité » correspond à la période
de nos recherches allant du mois de février au mois de juin 2006.
Notre corpus d'étude est ainsi constitué de différentes
expositions de musées, galeries, centres d'art contemporain et
numérique ayant eu lieu pendant cette période.
* 59 En ce sens, cette
étude des dispositifs de médiation de l'art numérique est
appelée à être prolongée et approfondie sur un temps
plus long, afin de discerner ses éléments inconstants, et ses
récurrences.
* 60 Oublier
l'exposition. Art Press, numéro spécial 21, 2000
* 61 Volupté
Numérique, Palais des Beaux-Arts de Lille, 17 décembre 2005
- 27 février 2006
* 62 Les artistes et groupes
d'artistes représentés à cette exposition : Flavio
Cury, Peter Fischer, Gary Hill, Thierry de Mey, Ann Teresa de Keersmaeker,
Pleix, Arnaud Ganzerli, Laurent Bourdoiseau, Jérôme Blanquet.
* 63 Pierre Huyghe,
Celebration Park, Musée d'art moderne de la ville de Paris, 10
mars - 23 avril 2006
* 64 John Maeda,
http://www.maedastudio.com/index.php
* 65 John Maeda, Nature
+ Eye'm Hungry, Fondation Cartier, 19 Novembre 2005-19
février 2006.
* 66 Le site de l'exposition
John Maeda, à la fondation Cartier :
http://www.fondation.cartier.fr/flash.html
* 67 Thierry Kuntzel,
Lumières du Temps, au Fresnoy, du 4 février au 9 avril
2006, http://www.le-fresnoy.tm.fr/
* 68 Notes de travail de
Thierry Kuntzel, présentées par l'explication écrite des
oeuvres.
* 69 Paul-Emmanuel Odin
« Le tiers, le témoin, l'imaginaire »,
présentation à la Compagnie, Marseille, 2003
* 70 Raymond Bellour, propos
recueillis sur le site Internet de l'institution :
http://www.le-fresnoy.tm.fr/
* 71 Le Cube : un espace
entièrement dédié à la création
numérique, créé à l'initiative de la Ville
d'Issy-les-Moulineaux en septembre 2001. Il est géré et
animé par l'association ART3000 qui mène depuis 1988 ses
activités dans le domaine des arts numériques :
http://www.lesiteducube.com/site/index
* 72 My Heart belongs to
Tokyo, A l'espace de création numérique du Cube, du 21 mars
au 22 juillet.
* 73 Louise Poissant,
Dictionnaire des Arts médiatiques, Presses de
l'Université du Québec, 1997.
* 74 Jean Davallon,
L'exposition à l'oeuvre, L'Harmattan Communication, 2005
* 75 Anne-Marie Duguet
"Dispositifs", dans Communications, numéro 48, 1988..
* 76 Jean-Pierre Balpe,
Hyperdocuments, hypertextes, hypermédias, Paris, France,
Eyrolles, 1990
* 77 Jean Caune, La
Médiation Culturelle, construction du lien social,
http://w3.u-grenoble3.fr/les_enjeux/2000/Caune/Caune.pdf
|
|