2_ Le Tribunal Constitutionnel, une institution au-dessus
des autres (justification, composition, attributions)
a_ La légitimation de
l'institution suprême
La constitution de 1978 consacre en son titre IX la
création d'une juridiction nouvelle ; le Tribunal
Constitutionnel comme un des organes constitutionnels de l'Etat espagnol,
à qui l'on confie spécialement la défense de la norme
fondamentale, par distincts moyens juridictionnels propres à
l'institution.
La création de cette juridiction suprême,
placée à la tête du système institutionnel de
l'Etat, et chargée de veiller au respect de la CE s'inscrit en 1978,
dans le projet de l'Espagne, de confirmer par le droit, et à travers sa
propre loi fondamentale, l'achèvement du processus de transition
démocratique en cours depuis la chute du régime franquiste en
1975.
Contrairement au système de « Judicial
review » qui caractérise la justice constitutionnelle
américaine (contrôle diffus de constitutionnalité), le
constituant espagnol opte lui pour une solution retenue de façon unanime
en Europe depuis la fin de la seconde guerre mondiale, à savoir la
création d'une institution particulière, puisque suprême et
unique, dédiée à la garantie du respect de la norme
fondamentale.
Pour assurer un constitutionnalisme effectif, la Constitution
de 1978 reprend donc la thèse de Hans Kelsen en posant l'exigence d'un
contrôle concentré de constitutionnalité justifiant ainsi
la nécessité d'une juridiction suprême chargée de
veiller au respect effectif de la Constitution. Autrement dit, la CE charge
donc le juge constitutionnel espagnol d'un contrôle de la
constitutionnalité des lois et normes ayant force de loi (puisque les
actes infra législatifs pourront eux faire l'objet d'un contrôle
de légalité opéré par le juge ordinaire).
Le T.C. espagnol fut donc institué sous la
présidence du roi Juan Carlos Ier des Bourbons, le 12 juillet 1980.
Un tribunal de même nature, le « Tribunal des
Garanties Constitutionnelles », avait déjà
été institué par la Constitution de 1931 instaurant la
2nde République ; mais la guerre civile qui frappe
l'Espagne dés 1936, emporte la chute de la République et avec
elle, celle de la juridiction suprême.
En 1978, c'est dans un tout autre contexte que le constituant
décide de recréer une juridiction de cette nature et dimension,
chargée de veiller au respect effectif de la Constitution (car le juge
constitutionnel peut annuler, et expulser de l'ordonnancement juridique les
normes qui la contrarient).
En effet, après près de quarante ans de
franquisme derrière elle, l'Espagne tente, sous la pression des Etats
démocratiques européens et pour confirmer l'aboutissement de
processus de transition démocratique du pays, d'avancer et d'instituer
un modèle démocratique irréprochable pour
s'intégrer à l'ensemble européen.
La nécessité d'une juridiction chargée de
veiller au respect de la norme fondamentale s'impose donc d'elle-même,
pour garantir l'Etat constitutionnel espagnol et rompre avec l'arbitraire qui
fut loi durant le régime franquiste.
Le roi Juan Carlos Ier succède à Franco en 1975
comme il en avait été prévu par une réforme
franquiste de la constitution de 1931. Pour légitimer son titre et
initier une Espagne démocratique, il prônera lui même la
nécessité d'un Tribunal Constitutionnel.
Pour ne pas retomber vers une léthargie et
inefficacité de la juridiction suprême (comme ce fut le cas durant
l'expérience républicaine du « Tribunal des garanties
constitutionnelles »), le Tribunal Constitutionnel espagnol se voit
alors attribué un certain nombre de compétences clé et de
pouvoirs importants.
Il convient de préciser que l'existence d'un
Tribunal Constitutionnel répond également à des
nécessités intrinsèques à la configuration de la
distribution territoriale du pouvoir en Espagne, telle qu'elle apparait dans la
Constitution de 1978.
Celle-ci prévoit, en son article 2, la garantie de
« l'indissoluble unité de la nation espagnole » et
reconnait également le « droit à l'autonomie des
populations et régions qui l'intègrent ».
Cet ambigu article 2 de la Constitution qui consacre à
la fois des principes aussi opposés que sont de l'unité et de
l'autonomie, préfigure la forme autonomique de l'Etat ; il pose les
bases d'un système d'organisation étatique hybride impliquant
ainsi un système complexe de distribution territoriale du pouvoir entre
les C.A. et l'Etat central.
L' « Etat des autonomies », à
l'instar de l'Etat fédéral, nécessite donc une juridiction
suprême, placée au centre du système institutionnel qui, au
regard de la Constitution, se charge de trancher les conflits de
compétences qui peuvent intervenir entre les deux acteurs du pouvoir.
Ainsi, l'article 161.1.c de la CE place le juge
constitutionnel compétent pour connaitre des conflits de
compétences qui surgissent entre l'Etat et les C.A. ou entre celles-ci
elles-mêmes.
Outre la compétence basique de toute juridiction
constitutionnelle pour annuler et expulser de l'ordonnancement juridique les
normes contraires à la loi fondamentale, le juge constitutionnel
espagnol sera donc également chargé de faire respecter le
« pacte autonomique » conclu entre les
Communautés Autonomes et l'Etat central, à savoir, leur
répartition des compétences.
Ainsi, dés 1978, on peut clairement s'attendre à
ce que la jurisprudence du T.C. espagnol soit prééminente dans le
devenir d'une configuration organisationnelle du pouvoir dont le schéma
n'est pas constitutionnellement posé sinon délimité,
encadré.
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