2 Le double contrôle par le T.C., du respect de la
Constitution et des statuts d'autonomie par les C.A.
En Allemagne, le T.C. fédéral contrôle
la conformité du droit des landers exclusivement par rapport à la
Constitution du bund, c'est-à-dire de l'Etat fédéral
d'Allemagne.
En revanche, le contrôle de la conformité du
droit local à la Constitution des landers relève de la
compétence des T.C. qui sont institués dans chaque land. En
d'autre terme, le contrôle de la constitutionnalité des normes des
landers est partagé entre la Cour de Karlsruhe, pour ce qui concerne le
respect de la Constitution fédérale, et les T.C. des Etats
fédérés, pour ce qui concerne le respect de la
constitution des landers. La compétence de la Cour
fédérale n'est donc pas totale en la matière.
Il n'en va pas de même en Espagne. En effet, de
même qu'il n'y a pas dans les C.A., de juridiction ordinaire propre mais
exclusivement des tribunaux relevant des pouvoirs judiciaires de l'Etat, il n'y
a pas de juridiction constitutionnelle spéciale. Comme l'indique
l'article 1.2 de la L.O.T.C., le T.C. espagnol est unique dans sa
catégorie et a juridiction sur tout le territoire national. D'autre
part, que ce soit dans
le cadre du contrôle des normes ou dans celui des
conflits constitutionnels, il s'assure du respect non seulement de la
Constitution mais aussi des statuts d'autonomie. Il s'agit donc là un
contrôle double de constitutionnalité.
Le T.C. peut donc prononcer l'annulation d'une loi
régionale aussi bien pour violation de la Constitution de l'Etat que
pour méconnaissance du statut de la C.A. concernée.
A la différence de ce qu'il se passe en Allemagne, le
T.C. espagnol assure donc intégralement « le contrôle
des systèmes juridiques autonomes ».
Ainsi, un même organe, le T.C., contrôle
à la fois les trois pouvoirs fondamentaux de l'Etat ainsi que les
dix-sept systèmes autonomes en s'assurant qu'ils respectent la loi
fondamentale et les normes qui en développent le contenu. Il est donc
évident que cela fait de lui un acteur décisif dans le
système politique espagnol de sorte qu'il participe à
« la direction politique de l'Etat » en veillant à
ce que ces divers centres de pouvoirs n'outrepassent pas leurs
compétences, au détriment des autres. Le T.C. contribue ainsi
très largement au maintient du modèle autonomique tel qu'il est
ébauché par le texte constitutionnel
A l'heure actuelle où la tentative
fédéraliste devient éminente (on discute actuellement dans
la commission parlementaire concernée d'une réforme
constitutionnelle visant à éliminer le principe dispositif
visé à l'article 2 de la CE), le T.C. apparait, chaque fois plus,
amené à jouer un rôle déterminant dans la
conservation du système.
Comme nous l'avons ainsi démontré tout au
long de notre étude, le juge constitutionnel espagnol a joué et
joue actuellement un rôle prépondérant dans l'Etat des
autonomies espagnol.
En effet, la configuration sui generis de l'Etat
autonomique lui confère des attributions aussi vastes que diverses dont
ne peuvent s'enorgueillir les autres juridictions suprêmes des Etats
fédéraux ou unitaires.
Ainsi, comme nous l'avons vu dans un premier temps, le T.C.
espagnol a, de par un modèle d'organisation territorial du pouvoir en
suspension, non défini par le constituant, très largement
contribué à la construction même de l'Etat des autonomies
en apportant ainsi ses interprétations déterminantes des
principes constitutionnels d'autonomie et d'unité.
La doctrine a ainsi été amenée à
parler de l' « Etat jurisprudentiel autonomique ».
En effet, l'Etat des autonomies n'étant pas
constitutionnalisé, il a ainsi été, dans une très
large mesure, le fruit de la jurisprudence du juge constitutionnel.
Nous avons également pu voir, dans un second temps,
de quelle façon une des attributions essentielle de la juridiction
suprême, celle de la résolution des conflits de compétence
entre l'Etat et les C.A., contribuait très largement à
déterminer la configuration de cet Etat des autonomies, selon que le
T.C. tranche en faveur de l'Etat ou de la C.A..
Nous avons ainsi pu constater la mesure dans laquelle le juge
constitutionnel constitue un acteur clé dans l'évolution du
modèle lui-même d'organisation territoriale du pouvoir.
Enfin, nous nous sommes attachés à
étudier le rôle du T.C. dans le contrôle des C.A. et avons
ainsi étudié, par là même, la
prééminence de sa jurisprudence dans la conservation d'un
modèle de base unitaire à l'heure actuelle tenté par la
constitutionnalisation fédéralisante du système.
En effet, passé plus de vint-cinq ans de processus
autonomique, beaucoup s'accordent à dire qu'il serait temps que
l'Espagne constitutionnalise son modèle définitivement, et
qu'elle donne des solutions constitutionnelles à la
conflictualité Etat/CA.
Dés lors, le juge constitutionnel apparaît
amené à jouer un rôle nouveau.
Si l'Etat autonomique veut prétendre à un
système général et cohérent, de nombreuses
réformes semblent nécessaires, tant structurelles que
fonctionnelles, mais aussi quant à certains principes
constitutionnels.
Ainsi, outre la suppression du principe dispositif, qui a
permis d'ébaucher la configuration du modèle autonomique et qui
se traduit peu à peu chaque fois plus comme un moyen pour les C.A. de
refuser l'attribution de compétences impopulaires (comme par exemple, la
compétence en matière de gestion des prisons n'est à
l'heure d'aujourd'hui qu'uniquement assumée par la C.A. de Catalogne),
est également envisagée, depuis un dizaine d'années la
réforme du Sénat, de façon à tendre vers une
représentation en son sein plus conséquente des C.A., à
l'instar de la chambre basse dans les Etats fédéraux.
Dans une telle conjoncture, il apparait donc légitime
de s'interroger sur l'avenir du rôle du T.C. espagnol qui semble
être amené, dans une telle configuration, à être
redéfini, pour tendre vers les attributions classiques et basiques de
ses homologues fédéraux.
En effet, s'il convient de s'accorder sur la
nécessité de sortir d'un « Etat à la
carte », comme le rappelle le rapport de la Commission
Européenne du 6/09/1997 (qui appelle à une clarification des
modèles européens atypiques d'organisation du pouvoir ;
à savoir, ni fédéraux, ni unitaires), il y a tout lieu de
s'attendre à une diminution du rôle de la juridiction
suprême espagnole.
Dés lors, dans un Etat autonomique amené
à évoluer et par là même à trancher pour un
modèle d'organisation constitutionnalisé du pouvoir, quelle
place, le juge constitutionnel espagnol va-t-il être amené
à jouer ? Autrement dit, dans quelle mesure la refonte du
modèle espagnol, par une réforme constitutionnelle devenant
insistante, pose t-elle également celle du rôle du Tribunal
Constitutionnel ?
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