WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

IA et startups: une technologie et un modèle économique à  façonner autour de l'écologie


par Sibyline MOUKARZEL
Sciences Po Rennes - Master Management des Organisations et des Projets 2024
  

Disponible en mode multipage

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

    Mémoire d'expertise

    IA et startups : une technologie et un modèle économique à

    façonner autour de l'écologie

    Sibyline MOUKARZEL

    Sous la responsabilité de Gaëlle PETIT

    Master : Management des Organisations et des Projets
    Année scolaire 2023/2024

    2/62

    Remerciements

    Je souhaite exprimer ma gratitude envers Mme Gaëlle PETIT pour sa direction attentive de ce mémoire et son soutien constant tout au long de son élaboration. Ses conseils méthodologiques et son expertise ont été d'une grande valeur et ont largement contribué à la rédaction de ce travail. Je tiens également à remercier sincèrement M. Julien SOILLY pour sa disponibilité lors de nos échanges afin d'alimenter ma réflexion.

    Je souhaite également adresser mes remerciements à Christophe PHAM d'Infogreen Factory avec qui j'ai eu des discussions enrichissantes qui ont largement participé aux fondements de ce mémoire. Une pensée particulière va à Virgile BAUDROT, avec qui j'ai pu collaborer dans le passé, et qui a renouvelé son soutien en échangeant avec moi sur ce nouveau sujet.

    Un grand merci à mes interlocuteurs variés, notamment à Allain GILLES, Juliette FROPIER, et Faustin DUBOUIS, pour avoir partagé leur temps et leur expertise lors de nos entretiens. Leur contribution a été essentielle à la réalisation de ce mémoire, et je suis reconnaissant pour leur engagement et leurs précieux conseils.

    Je souhaite également exprimer ma reconnaissance envers ma famille pour leur soutien constant et leurs relectures attentives qui ont contribué à enrichir ce travail.

    Enfin, un grand merci à mes camarades du master MOP, tout comme Tanneguy BLANDIN, ainsi que l'ensemble de mes enseignants, dont Samuel LE PORT, dont les cours ont abouti à la rédaction de ce mémoire pour finaliser mes études, à la croisée entre INSA et Sciences Po.

    3/62

    Résumé

    L'intelligence artificielle s'est récemment développée auprès du grand public en devenant progressivement un outil du quotidien. La question de la pollution du secteur du numérique est une préoccupation grandissante, mais elle devient d'autant plus pertinente dans le cas de l'IA où une masse colossale de données doit être manipulée, en plus du matériel informatique nécessaire. Les sources de pollution diverses interrogent donc sur la compatibilité du domaine avec les enjeux d'urgence écologique actuels.

    Ce qui fait la spécificité de l'intelligence artificielle en France, mais également en Europe, c'est que le secteur est essentiellement porté par un dense tissu de startups. Contrairement aux États-Unis qui disposent de géants du numérique, le secteur est ici confronté à des acteurs de taille réduite, de faible visibilité faible, et économiquement peu stables... En revanche, cette pluralité est synonyme de créativité démultipliée et de sources d'innovation.

    Cette spécificité de l'écosystème de l'intelligence artificielle permet donc de considérer un mode de déploiement alternatif pour l'avenir. Toutefois, pour parvenir à cela il est indispensable d'avoir un cadre faisant consensus auprès des différents acteurs. Parmi les premiers points à définir revient souvent la question de la mesure : comment évaluer le caractère éco-responsable d'une solution, et s'assurer d'y intégrer les effets rebond liés. En outre, la transparence est une interrogation récurrente. Si la réglementation sur ce sujet progresse, il est indéniable qu'elle impacte fortement l'IA qui, dans sa forme actuelle centrée sur le deep learning, manipule des masses de données immenses. Se mêlent alors à la fois des questions de sécurité, d'open sourcing, de transparence des algorithmes, mais également de rentabilité du modèle économique, car une startup ne peut pas dévoiler l'entièreté de sa solution sans craindre de périr.

    Le secteur de l'intelligence artificielle est encore jeune et va évoluer dans les années à venir. On peut alors supposer qu'il sera peut-être bouleversé par les évolutions technologiques du domaine, pouvant tendre à le rendre plus sobre. Toutefois, cette voie n'est pas suffisante pour assurer la limitation des externalités négatives de ces solutions ; une sensibilisation des parties prenantes et une implication des différents acteurs, ainsi que la définition d'un cadre juridique plus strict semble indispensable afin d'espérer pouvoir faire de l'intelligence artificielle soit un outil au service de l'écologie.

    4/62

    Table des matières

    Introduction 6

    1. IA, startups et écologie : trois clés de réussite dans un contexte favorable 9

    1.1. Un contexte favorable : l'urgence écologique 9

    1.1.1. Le constat écologique : que se passe-t-il ? 9

    1.1.2. L'envie et la nécessité d'agir 11

    1.2. L'essor de l'intelligence artificielle et sa popularité grandissante 13

    1.2.1. «Intelligence artificielle», de quoi parle-t-on réellement ? 13

    1.2.2. L'IA au service de l'écologie : la technologie comme facilitateur de la protection

    environnementale 14

    1.3. Les startups, entre originalité et dynamisme 16

    1.3.1. Des caractéristiques intrinsèques permettant l'action : innovation et réactivité au

    changement 17

    1.3.2. Un environnement politico-économique favorable au développement : les

    soutiens nationaux et locaux pour les initiatives entrepreneuriales 19

    2. Quand les incohérences de l'IA se heurtent à l'urgence climatique 21

    2.1. L'intelligence artificielle comme source de pollution 21

    2.1.1. La consommation énergétique, un poids environnemental majeur 21

    2.1.2. L'IA : une technologie virtuelle avec des besoins matériels 24

    2.2. Startups et innovation technologique : le «toujours plus» à l'aune de la sobriété 26

    2.2.1. La business model des startups, profit ou impact ? 27

    2.2.2. Diffusion des données et des algorithmes : la transparence est-elle compatible

    avec la rentabilité ? 29

    2.3. Coûts et bénéfices, de quoi parle-t-on ? 31

    2.3.1. Les indicateurs pour mesurer la réussite : choisir, comprendre et calculer 31

    2.3.2. L'effet rebond, facteur de réduction du progrès 34

    5/62

    3. IA et écologie : quels objectifs pour l'avenir ? 36

    3.1. Les perspectives de la recherche en IA pour une utilisation peu coûteuse 36

    3.1.1. L'IA avec des ressources limitées : plus rapide, moins coûteuse 36

    3.1.2. L'impact des ressources matérielles, entre substitution et recyclage 39

    3.2. L'IA oui, mais avec parcimonie 42

    3.2.1. L'importance d'une sensibilisation à la sobriété 42

    3.2.2. Un cadre réglementaire peu spécifique, n'évaluant pour l'instant pas l'impact

    environnemental des IA 44

    3.3. La transition écologique : un objectif commun nécessitant une collaboration élargie 47

    3.3.1. Startups et institutions publiques : quand le soutien devient gage de stabilité 47

    3.3.2. Se faire entendre au milieu des géants : les grandes entreprises, à la fois amies et

    ennemies 49

    Formulation de préconisations 52

    Intégrer les limites posées par les ressources naturelles 52

    Construire un business model cohérent 53

    Tenir compte de l'environnement mondial sur le long terme 53

    Conclusion 54

    Liste des entreprises françaises évoquées 58

    Bibliographie et sitographie 59

    Références réglementaires : 61

    Annexes 62

    6/62

    Introduction

    L'activité humaine récente a bouleversé l'environnement sur Terre et impacte de plus en plus la vie des populations. Pour conserver un cadre de vie agréable dans les prochaines années, il est estimé que chaque personne ne doit être à l'origine que de 2 tonnes d'éq CO21 alors que la moyenne mondiale actuelle est de 5 (et presque 10 pour un Français). La cause souvent identifiée comme déclencheur de cette pollution à grande échelle est la Révolution Industrielle de la fin du XVIIIème siècle, marquant le début du productivisme. Le progrès technique incessant s'en suivant n'a fait qu'aggraver le phénomène, avant une prise de conscience récente de ses impacts sur l'environnement.

    Aujourd'hui, de plus en plus d'interrogations se lèvent sur la compatibilité entre l'écologie et le fonctionnement de notre société. Notre modèle du «toujours plus» basé sur le progrès technique continu questionne sur sa capacité à être soutenable à l'avenir. Tous les secteurs d'activité se voient donc concernés et de plus en plus d'entreprises réintègrent les analyses d'impact au coeur de leur processus de développement.

    Le numérique et l'informatique, bien que des secteurs récents à l'échelle de la planète, n'échappent pas à cette prise de conscience. Leur progression de masse les rend particulièrement impactant, notamment dans les années à venir. D'autres secteurs industriels traditionnels (métallurgie, transports...) sont actuellement plus regardés, notamment à cause de la pollution bien plus visible qu'ils génèrent. Toutefois, si le numérique tend à devenir un domaine d'étude en écologie, c'est parce que derrière ses concepts théoriques se cachent des moyens de mise en oeuvre lourds. En 2020 en France, il représentait ainsi 2,5% de l'empreinte carbone nationale et 10% de la consommation électrique2.

    L'informatique n'est donc pas une industrie «verte» ; quel que soit son mode de fonctionnement, elle présente un impact environnemental négatif. En revanche, le numérique a comme particularité de pouvoir être mis au service de nombreux domaines. Il devient donc possible de minimiser son impact à la fois dans son mode de fonctionnement, mais également dans ses usages et applications.

    Le sujet de l'intelligence artificielle (IA) ne fait pas exception dans cette réflexion. Son émergence aux yeux du grand public est particulièrement récente (fin des années 2010), et attire beaucoup au vu de sa variété d'utilisation. Le CNRS a d'ailleurs créé un Centre IA fin 2021 dans le but d'étudier les possibilités qu'offre cette nouvelle technologie dont tout est encore à découvrir. L'administrateur général du CEA, François JACQ, parle d'ailleurs de l'intelligence artificielle comme la source de nouvelles «préoccupations sociétales» qui génère une «transformation des usages»3.

    1 L'unité éq CO2 est une abréviation pour "équivalent dioxyde de carbone" utilisée pour exprimer les émissions de gaz à effet de serre en termes de leur potentiel de réchauffement climatique par rapport au dioxyde de carbone.

    2 ADEME. Arcep. Evaluation de l'impact environnemental du numérique en France et analyse prospective. Note de synthèse. 19 janvier 2022.

    3 CNRS. IA : des ambitions européennes. CNRS Info. 14 mars 2022.

    7/62

    Même si cette technologie génère un émerveillement de beaucoup d'observateurs grâce à ses capacités inédites, elle est également source d'interrogation. Son utilisation demande une quantité de ressources naturelles bien plus importante que n'importe quel autre secteur du numérique. Ce qui est souvent la cause de cela, c'est le deep learning, une manière de faire apprendre des informations aux modèles informatiques à partir d'immenses bases de données, bien que grandes que ce qu'exigeaient les méthodes traditionnelles de statistiques jusqu'à présent.

    L'IA est notamment devenue un élément du quotidien avec l'apparition de ChatGPT4 par OpenAI. Pour la première fois, une intelligence artificielle grand public est mise en ligne et permet à chacun d'interagir sans nécessiter de connaissances informatiques. Toutefois, il est souvent oublié que sa mise en service et son utilisation représentent un coût environnemental non-négligeable : à titre d'exemple, l'entraînement (c'est-à-dire la préparation avant l'accès au public) de GPT-3 sur des GPU a nécessité 85 000 kg d'éq CO2, soit environ la pollution d'une voiture sur 700 000 km5.

    Le secteur de l'intelligence artificielle est extrêmement varié, et se voit appliqué à une grande multitude de domaines. De l'énergie à l'agriculture, en passant par le commerce, l'industrie ou la culture, il permet de proposer une nouvelle approche de l'analyse dès lors que des données existent. En France et en Europe, peu de grandes entreprises en font un secteur d'activité à part entière, et c'est ce qui fait la spécificité de ce marché. Alors qu'aux Etats-Unis, la recherche en IA est portée par les géants du numérique, dont notamment Microsoft (étroitement lié à OpenAI), Google et Amazon, en Europe, c'est un dense tissu de startups qui fait avancer les travaux du domaine. Il n'existe pas sur le vieux continent d'entreprises largement dominantes qui guiderait les projets en IA et capable de rivaliser avec les concurrents américains.

    Si la pluralité d'acteurs en intelligence artificielle en France et en Europe permet l'émergence continue et foisonnante de nouvelles idées, elle présente aussi le défaut de ne pas pouvoir centraliser les moyens pour être à l'origine de travaux disruptifs. Ce mode de fonctionnement est donc original et mérite d'être analysé. Les startups sont souvent une source de créativité importante, portée par une grande agilité et mais également un manque de stabilité.

    Leur diversité est indéniablement une force, pour toucher un grand nombre de secteurs d'activité, mais également une faiblesse, puisque leur poids individuel est assez négligeable. Il est indéniable que le dirigeant de Google aura un impact bien plus grand dans les décisions stratégiques de l'avenir de l'IA par rapport à celui d'une petite startup française de 12 salariés.

    En outre, le contexte européen pose des contraintes différentes. L'organisation du marché, le rapport aux institutions et leur volonté de poser un cadre réglementaire a un impact non-négligeable sur le secteur. Qu'il s'agisse de limitations éthiques, sociétales ou environnementales, celles-ci se multiplient et imposent donc au secteur de s'adapter. L'enjeu

    4 https://chatgpt.com/

    5 PAULIAC-VAUJOUR, Emmanuel. ASSEMAN, Valentine. FRANCILLON, Louise. Adopter l'IA frugale : concepts, leviers et initiatives. France Science. 07 septembre 2023.

    8/62

    écologique devient donc à la fois un impératif pour être en accord avec les valeurs des utilisateurs, mais aussi pour respecter le cadre juridique naissant.

    Les startups dites «à impact», même si elles se multiplient, restent difficiles à identifier et à évaluer. La simple mesure de cet impact est un défi. Si l'intelligence artificielle représente à la fois un poids et une opportunité pour l'écologie, l'écosystème de startups dans lequel cette technologie croit est un paramètre fort de l'équation. Il est indéniable que son caractère protéiforme ne permet pas une analyse linéaire et traditionnelle du secteur. La mise en perspective doit être complète : scientifique, économique, politique et sociale.

    Dans un pays surnommé la Startup Nation, être une startup est valorisée. En revanche, le défi reste de taille pour mettre à profit ses caractéristiques intrinsèques au service d'une technologie et d'une cause que sont respectivement l'IA et la transition écologique. Ce mémoire s'intéressera donc à la problématique suivante :

    Dans un écosystème économique et technologique porté par les startups et face à une transition écologique nécessaire, dans quelle mesure l'intelligence artificielle peut-elle être mise au service de l'environnement?

    L'étude dans le présent document portera essentiellement sur le cas français, même si celui s'ancre forcément dans un contexte européen. Par ailleurs, il pourra être pertinent d'effectuer des comparaisons avec des entreprises dans d'autres pays. L'ensemble des startups prises en exemple sont d'ailleurs présentées en fin de ce rapport.

    Pour répondre à cette problématique, il conviendra tout d'abord de s'intéresser aux interactions qu'il peut exister entre l'écologie, les startups et l'intelligence artificielle. La première difficulté, au-delà de la définition de ces termes, et de comprendre comment ces trois éléments peuvent se retrouver mêlés. Ce mémoire a d'ailleurs pour but de multiplier les exemples afin d'illustrer les liens existants.

    Même si l'IA, l'écologie et les startups ne paraissent pas antagonistes, des freins à leur coexistence existent. Une seconde partie de l'étude portera donc sur les incohérences qu'ils présentent et les difficultés qu'il peut y avoir à utiliser ces trois variables simultanément. Comprendre l'impact de l'IA, la sobriété chez les startups, et la mesure des coûts sont autant de limitations à analyser afin de tenter de les dépasser.

    La dernière partie de ce mémoire aura donc vocation à apporter un point de vue plus large, en s'interrogeant sur ce que cet écosystème original peut favoriser pour permettre un développement technologique responsable. Qu'il s'agisse du cadre favorable pour la recherche scientifique, du contexte réglementaire ou des collaborations externes pouvant être mises en oeuvre, l'idée est de dresser un panorama des actions en cours et à venir pour tenter de concilier intelligence artificielle et écologie en France.

    9/62

    1. IA, startups et écologie : trois clés de réussite dans un contexte favorable

    Dans un contexte de défis environnementaux pressants, la propagation des nouvelles technologies telles que l'intelligence artificielle dans l'écosystème entrepreneurial semble évidente. Au coeur de cette convergence entre innovation, incarnée par les startups, et les enjeux écologiques cruciaux, de nouvelles dynamiques se créent entre des univers jusqu'ici distincts. Dans cette perspective, explorer les interactions entre IA, startups et écologie devient impératif pour appréhender leur comportement futur.

    1.1. Un contexte favorable : l'urgence écologique

    Depuis plusieurs années, l'écologie est devenue un critère central dans les systèmes de prise de décision. Si la conscience écologique grandit progressivement dans la société, elle n'est pour autant pas toujours le premier critère d'évaluation. Or les dérèglements environnementaux se font de plus en plus nombreux et les experts, tels que ceux du GIEC (Groupes Intergouvernemental d'Experts sur l'évolution du Climat), insistent pour dire que cet enjeu doit devenir crucial si l'on veut s'assurer de disposer d'un monde soutenable pour les prochaines années.

    1.1.1. Le constat écologique : que se passe-t-il?

    Le concept d'écologie naît au XIXème siècle, grâce au biologiste allemand Ernest HAECKEL, s'appuyant sur l'alliance grecque des mots «oikos» («maison» ou «habitat») et «logos» («connaissance» ou «raison»). A l'origine une science, l'écologie s'invite au fil de son histoire dans la sphère politique, grâce à son lien avec le bien-être des Hommes. Ce n'est qu'à la moitié du XXème siècle que les premières considérations alarmistes apparaissent, notamment faisant suite aux conséquences des bombes nucléaires de la Seconde Guerre Mondiale. Ces événements marquants illustrent alors la fragilité de notre environnement et sa nécessité pour notre survie. Les premières interrogations apparaissent alors : toutes les activités humaines sont-elles acceptables?

    C'est dans ce contexte que l'écologie telle que nous la connaissons aujourd'hui apparaît. Les enjeux deviennent explicites à la suite du rapport Meadows de 1972 : des premières trajectoires sont modélisées pour évaluer l'avenir du système Terre. Les travaux de recherche dans le domaine se sont multipliés depuis, aboutissant notamment à ceux de Johan ROCKSTROM et Will STEFFEN présentant les limites planétaires6.

    L'idée de cette étude est qu'il existe neuf limites planétaires définissant les ressources et le fonctionnement de notre planète et dont le dépassement conduit à un basculement irréversible de l'équilibre écologique mondial. Cette analyse permet de regarder les implications

    6 ROCKSTRÖM, Johan, STEFFEN, Will, NOONE, Kevin, et al. Planetary boundaries: exploring the safe operating space for humanity. Ecology and society, 2009, vol. 14, no 2.

    des activités humaines sur les écosystèmes, et interroge ainsi sur les conditions de vie sur Terre sur le régime de l'Holocène7. Les limites établies sont les suivantes :

    l Nouvelles pollutions chimiques;

    l Changement climatique (concentration de CO2 / forçage radiatif);

    l Intégrité de la biosphère (diversité génétique / diversité fonctionnelle);

    l Changement d'usage des sols;

    l Cycle de l'eau douce (eau bleue / eau verte);

    l Perturbation des cycles biogéochimique (P/N) ;

    l Acidification des océans;

    l Concentration atmosphérique en aérosols;

    l Appauvrissement de l'ozone stratosphérique.

    Aujourd'hui, sur les neuf limites planétaires établies, six ont déjà été dépassées, ce qui interroge sur la viabilité de la planète dans les années à venir, et sur la capacité de l'Homme à autoréguler ses pratiques. Au-delà de ce constat, il est également important de penser que les limites sont étroitement liées, et peuvent s'impacter mutuellement. Les solutions doivent donc être globales, afin de ne pas tenter d'améliorer une dimension au détriment d'une autre.

    10/62

    Figure 1 : Evolution des limites planétaires entre 2009 et 2023 [Source : RICHARDSON, 2023]

    En effet, en restant sous le seuil de ces limites planétaires, une autorégulation des systèmes environnementaux est possible. Le dépassement d'un des seuils peut alors causer des dégâts irréversibles, entraînant eux-mêmes des conséquences dramatiques. Une bonne illustration de ce mécanisme est par exemple le cas de pergélisol, un sous-sol gelé en permanence et couvrant environ 20% de la surface de la planète. Le réchauffement mondial entraîne sa fonte, et cette glace expulse alors des quantités importantes de méthane, un gaz à effet de serre qui va également contribuer à l'augmentation des températures. Un cycle de dommages est alors enclenché.

    7 L'Holocène correspond à l'ère géologique des 11 000 dernières années, particulièrement favorable à la vie sur Terre.

    11/62

    Le GIEC a donc décidé depuis plusieurs années de prendre le rôle de lanceur d'alerte, en établissant des rapports successifs présentant la situation actuelle, les prévisions et les leviers d'action. Dans son sixième rapport, des conséquences sont présentées dans de nombreux secteurs, parmi lesquelles il est possible de retrouver:

    l L'intensification d'événements météorologiques extrêmes;

    l La disparition locale d'espèces animales et végétales impactant la biodiversité ;

    l L'augmentation de la mortalité et de la morbidité liées à la chaleur;

    l L'accroissement des pénuries d'eau pendant certaines parties de l'année.

    Pour limiter ces effets, le GIEC établit donc des scénarios plus ou moins optimistes sur l'évolution des températures mondiales. Le célèbre objectif d'une augmentation inférieure à 2°C d'ici 2100, acté par l'accord de Paris sur le climat, paraît même insuffisant pour conserver un mode de vie considéré comme 'agréable» d'après les études effectuées. Or, les trajectoires actuelles donnent plutôt une tendance à 3,2°C, soit bien supérieure à l'objectif fixé. Cette évolution incite donc de plus en plus la société civile à s'interroger sur la viabilité des années à venir. Les études scientifiques unanimement alarmistes sont de plus en plus écoutées, mais n'engendrent pour l'instant pas suffisamment d'action pour changer la trajectoire du centenaire. Les initiatives se multiplient donc, même si leur effet est pour l'instant peu impactant, dans le but d'aller à contre-sens des scénarios et pour garantir la qualité de vie sur Terre.

    1.1.2. L'envie et la nécessité d'agir

    Les constats cités précédemment se suffisent à eux-mêmes pour prouver la gravité de la situation et la nécessité de trouver des solutions. Le concept d'urgence climatique raisonne désormais de plus en plus, illustrant la nécessité d'agir afin d'éviter des effets de cascades, rendant plus difficiles la vie sur Terre. Comme le souligne Audrey BOEHLY, ingénieure et journaliste en écologie, 'Il nous faut réduire notre empreinte écologique : nous produisons davantage de pollution que la nature ne peut en absorber, et nous consommons trop»8.

    Ainsi, de plus en plus d'initiatives apparaissent dans la société afin de mobiliser des forces variées pour tenter de mettre un terme aux dommages environnementaux, en agissant auprès d'acteurs multiples (citoyens, pouvoirs publics, entreprises, médias, etc.). Les actions sont de différentes natures, allant de la sensibilisation à la désobéissance civile, en passant par le lobbyisme. Or, il est indéniablement difficile de demander à chacun de changer ses habitudes pour une raison dont il ne verra pas les conséquences à court terme. La difficulté réside donc dans l'acte de convaincre de l'importance d'agir.

    Le passage à l'action n'est pas systématique mais plusieurs études démontrent que la conscience écologique progresse dans la société. En effet, comme le prouve le graphique ci-dessous pour le cas du réchauffement climatique, la prise de conscience prend de l'ampleur dans la société civile, et la thématique environnementale est une préoccupation grandissante des dernières années.

    8 NASTASIA Michaels. Quelles sont les limites planétaires et à quoi servent-elles ? GEO. 05/06/2023.

    12/62

    Figure 2 : Evolution de la préoccupation liée au réchauffement climatique [Source : INSEE/CEPREMAP, 2022]

    Toutefois, force est de constater qu'il subsiste une disparité importante dans la population concernant le degré d'intérêt pour l'écologie. Certains acteurs n'acceptent pas cette lenteur d'action, conscient de l'urgence de la situation. C'est pour cela que les initiatives sur le sujet se multiplient, se présentant essentiellement sous trois axes majeurs :

    l La formation, dans le but d'aider à la prise de conscience sociétale pour la compréhension des phénomènes et de l'urgence liée;

    l La mobilisation individuelle et collective, ayant pour but d'influencer des décisions;

    l Le développement de solutions alternatives, ayant pour but de remplacer le fonctionnement actuel de notre société en imposant des moyens durables et responsables.

    Toutefois, ce qui interroge reste le troisième axe : est-ce qu'agir se limite à trouver des substituts durables ? Intervient alors la question de la sobriété. Au-delà de la volonté de faire autrement, il subsiste la possibilité de ne pas faire, ou d'en faire moins. L'exemple souvent utilisé à cet effet est celui de l'alimentation : est-il nécessaire de manger de la viande rouge à chaque repas ? Plusieurs options sont alors possibles : remplacer par la viande blanche et le poisson, devenir flexitarien ou végétarien, voire végétalien.

    Pour cela, de nombreuses entreprises oeuvrent pour développer des solutions technologiques permettant de choisir parmi les options possibles. Faire autrement n'est pas toujours évident, si l'exemple de la viande est parlant, c'est parce que les alternatives sont déjà existantes. Pour autant, il existe de nombreux cas où trouver une autre voie demande un réel travail de recherche. Cet objectif nouveau, le fait de proposer de nouvelles possibilités, devient de plus en plus un marché : celui des solutions «éco-responsables».

    C'est par exemple le travail que cherche à faire la startup Ullmanna : pour éviter le recours systématique aux pesticides dans l'agriculture, un robot a été développé pour analyser les images des champs, reconnaître les plantes à désherber, et guider ensuite des lames pour les retirer. Il n'y a ainsi aucun recours à des solutions chimiques fortement polluantes.

    13/62

    Pour aborder les problèmes sous un nouvel angle, comme le fait Ullmanna, le recours à une technologie inédite peut parfois apporter de nouvelles idées. Les champs d'application particulièrement vastes de l'intelligence artificielle en font donc un outil de choix. Son essor récent, grâce à des performances et une visibilité inédites, incite donc une multiplicité d'acteurs à s'intéresser à ces nouvelles approches pour trouver des réponses innovantes aux problématiques environnementales.

    1.2. L'essor de l'intelligence artificielle et sa popularité grandissante

    L'intelligence artificielle est un concept grandissant, dont les progrès scientifiques récents permettent l'essor. Le grand public se l'est notamment approprié depuis peu avec l'arrivée de ChatGPT, et commence donc à s'interroger sur son fonctionnement et ses enjeux. Si la thématique est encore jeune, elle prend de l'ampleur à une vitesse importante, en laissant entrevoir une nouvelle manière d'utiliser l'informatique au quotidien.

    1.2.1. «Intelligence artificielle», de quoi parle-t-on réellement ?

    L'intelligence artificielle, bien que popularisée depuis moins de dix ans, n'est pas un concept nouveau. Sa naissance est généralement attribuée à l'Université de Darthmouth en 1956, lors d'une conférence de John McCARTHY et Marvin LE MINSKY. Même si les techniques ont largement évolué en presque 70 ans, il n'en reste pas moins que le concept est le même : comme son nom l'indique, l'objectif est de créer un système capable de simuler l'intelligence humaine. Ce domaine scientifique à part entière ne commencera alors à se développer que dans les années 80. C'est à cette période que les performances informatiques commencent à être remarquables, les puissances de calcul augmentent, les temps d'exécution diminuent, et de nouvelles perspectives apparaissent.

    L'objectif de l'IA est simple : reproduire la machine avec la meilleure capacité de réflexion connue, le cerveau humain. Les travaux du domaine ont donc pour objectif de recréer les raisonnements et les liens logiques faits naturellement par les hommes, dans le but de les faire opérer par une machine afin de les accélérer grâce à la puissance de l'informatique. Les chercheurs du domaine partent donc du constat qu'un homme, à partir d'une phase d'apprentissage, est ensuite capable de réfléchir en autonomie : il faut donc apprendre à la machine (on parle alors de machine learning).

    En effet, un enfant ne sait pas ce qu'est un chien avant d'en avoir observé plusieurs. Il va donc retenir que l'animal qu'il voit correspond au mot «chien» et sera alors capable de le reconnaître la prochaine fois qu'il en verra un. L'IA fonctionne de la même manière : après avoir enregistré plusieurs images présentant un chien, elle pourra, sur de nouvelles images, attribuer le bon nom d'animal en retrouvant les principales caractéristiques (museau, taille, queue...). C'est donc la répétition qui permet l'apprentissage et qui limite les erreurs. Plus le nombre

    14/62

    d'exemples vus précédemment est important, plus il sera facile de distinguer le chien du chat, en affinant la définition des critères propres à chaque espèce.

    Lorsqu'arrive enfin la phase de test où un animal se présente, chaque critère va être interrogé pour vérifier si les caractéristiques observées ressemblent bien à celles d'un chien, comme dans les exemples précédemment étudiés. Parfois, le résultat sera évident, mais parfois le doute persistera : est-ce un loup ou un chien ? Pour trancher et décider de la réponse à donner, chaque élément identifié comme une caractéristique clé du chien va alors être évalué, et sa ressemblance à ce qui est déjà connu va être quantifiée par le biais d'une probabilité. L'agrégation de ces probabilités permettra donc de donner une réponse : 'il s'agit d'un chien, et ce résultat est sûr à 96%». La seule différence avec le cerveau humain est donc que la machine quantifie le résultat, plutôt que d'y répondre instinctivement. Il y a donc une probabilisation des scénarios.

    Le concept d'intelligence artificielle part donc du principe qu'il est possible de reproduire le processus d'apprentissage de l'homme afin de résoudre des problèmes en s'appuyant sur une machine. Mais sa progression récente est liée à un nouveau concept informatique arrivant dans le machine learning : il s'agit de la naissance du deep learning depuis les années 2000. Cette nouvelle technologie permet d'appréhender des éléments plus complexes, en multipliant les phases d'apprentissages s'attardant sur différents niveaux de détails. En effet, elle va fonctionner par couche, où chaque couche va regarder des nouvelles caractéristiques, allant du plus général ('est-ce un animal ?») au plus spécifique ('la forme de ses yeux correspond-elle à celle d'un chien ?»).

    Cette découverte, notamment liée au chercheur français Yann LECUN permet d'utiliser l'IA dans de nouveaux domaines, avec un besoin de haute précision (comme l'analyse de radiographies par exemple). Toutefois, il n'en reste pas moins que la reconnaissance d'un élément ne pourra se faire que lorsqu'un apprentissage poussé sera effectué, sur un grand nombre de données préalables. La quantité de données à traiter pour apprendre reste, pour l'instant, plus importante que celle d'un cerveau humain, mais la puissance actuelle des ordinateurs tend à faire diminuer le temps accordé à cette phase.

    Afin de clarifier les propos, dans ce mémoire, nous désignerons les programmes nécessitant d'une phase d'apprentissage comme de l'intelligence artificielle.

    1.2.2. L'IA au service de l'écologie : la technologie comme facilitateur de la

    protection environnementale

    Il a bien souvent été constaté que la machine la plus performante actuellement était le cerveau humain : sa capacité de réflexion est inédite, et représente une réelle opportunité dans un monde du 'toujours plus». En effet, compte tenu des capacités multisectorielles permises par le cerveau, transposer ce fonctionnement dans une machine afin d'accroître son efficacité et sa rapidité ne semble que bénéfique.

    15/62

    Dans un monde confronté à des défis environnementaux croissants, l'intelligence artificielle émerge comme un outil puissant et innovant pour soutenir les efforts de préservation de l'environnement et de lutte contre le changement climatique. L'exploitation de l'intelligence artificielle dans des domaines où l'évaluation quantitative et qualitative est nécessaire peut donc permettre d'améliorer l'efficacité et l'impact des actions écologiques. Il est ainsi possible de classer les thématiques de travaux selon trois axes : la surveillance, la gestion et la modélisation des ressources naturelles et de leurs usages.

    L'IA se développe ainsi de plus en plus dans le domaine de la surveillance environnementale en permettant d'automatiser la collecte, l'analyse et l'interprétation des données, même en grand nombre. Grâce aux technologies d'apprentissage automatique, les drones équipés de capteurs peuvent survoler les zones sensibles, comme les forêts, des captures peuvent mesurer les caractéristiques de certains milieux, comme l'océan ou l'air, afin de détecter d'éventuels changements ou dépassements de seuils d'alertes. Dans ce cadre, l'IA a donc un rôle de prévention, pour identifier, au plus tôt, des dérèglements afin d'agir rapidement sur les conséquences qu'ils peuvent engendrer. Cette surveillance proactive permet une réaction plus efficace aux menaces environnementales et facilite la prise de décisions pour la conservation et la gestion durable des écosystèmes.

    Une application en forte expansion est par exemple le domaine d'activité de la startup Firetracking, spécialisée en prévention des incendies. L'entreprise a ainsi développé un modèle d'IA pour la détection des fumées et départs de feux sur des images vidéo afin de les localiser et prévenir les secours au plus vite dans le but de limiter les dommages. Ce concept a été déployé en Nouvelle Calédonie pour limiter les conséquences des incendies et met donc à profit les capacités d'apprentissage de l'IA.

    En matière de gestion des ressources, l'IA peut également être présentée comme un atout pour optimiser l'utilisation durable des ressources naturelles. Les systèmes d'IA analysent les schémas de consommation, identifient les inefficacités et proposent des solutions innovantes pour réduire les déchets et minimiser l'impact environnemental. Ce type de technologies se retrouve par exemple dans le domaine de la gestion énergétique des bâtiments. C'est notamment ce que propose Eficia, dont l'approche est présentée dans l'interview effectuée avec Faustin DUBUIS en annexe 3, en analysant les besoins des infrastructures pour ensuite réguler les systèmes de chauffage et climatisation de manière autonome. Cette approche permet, à l'aide de capteurs installés sur les sites, d'anticiper les besoins, de façon à n'allumer les dispositifs que lorsque cela est nécessaire afin de limiter leur fonctionnement, très énergivore.

    De plus, l'IA contribue à la modélisation environnementale en développant des modèles permettant de prédire l'évolution des phénomènes. En analysant de vastes ensembles de données climatiques, géographiques et biologiques, les algorithmes peuvent alors anticiper le comportement des écosystèmes et les impacts des activités humaines. Ces modèles aident les scientifiques et les décideurs à mieux comprendre les dynamiques environnementales, à

    16/62

    anticiper les changements futurs et à concevoir des stratégies d'adaptation et d'atténuation efficaces. La modélisation peut prendre des formes variées, comme les trajectoires de températures régulièrement mises à jour par le GIEC appuyées uniquement sur des statistiques, ou des travaux de prospection comme peut le faire la startup Qonfluens. Ces derniers travaillent à la description des dynamiques de population et d'écotoxicité9 pour tenter de prédire par exemple la pollution des sols dans plusieurs années ou l'impact sur la biodiversité présente. L'IA va donc au-delà de la surveillance, mais devient ainsi un outil permettant d'informer sur d'éventuels dommages à venir afin d'en prévenir les causes au plus tôt.

    Par ces approches, l'intégration de l'intelligence artificielle dans les initiatives écologiques représente une opportunité transformative pour accélérer les progrès vers un avenir plus durable. En exploitant les capacités de ces systèmes informatiques en matière d'analyse des données, il devient possible de renforcer les actions environnementales, afin de mieux préserver la biodiversité et contribuer à atténuer les effets du changement climatique. L'IA au service de l'écologie ouvre la voie à des solutions novatrices, qui exploite des technologies au champ d'application très large. Ce secteur encore jeune est, en outre, amené à évoluer dans les prochaines années pour gagner en performance, ce qui pourra alors permettre le développement de dispositifs plus précis et dans des secteurs pour l'instant non-exploités (comme le tri de déchet ou la gestion du stress hydrique10, peu développés avec l'IA aujourd'hui).

    Cette convergence entre l'intelligence artificielle et l'écologie marque le début d'une nouvelle ère où la technologie devient un allié potentiel dans la lutte pour la durabilité environnementale. Toutefois, la mise en oeuvre d'un tel plan reste à exécuter et il est central d'identifier les acteurs de ce changement. En France et en Europe, la dynamique d'innovation se voit largement portée par les nombreuses startups se développant. Cela interroge donc sur les qualités que présentent ces structures pour mener de tels chantiers.

    1.3. Les startups, entre originalité et dynamisme

    Les startups sont un sujet de plus en plus abordé, et pourtant peu de monde est capable d'en donner une définition claire. Souvent traduit en français par «jeunes entreprises innovantes», ce terme est parfois critiqué pour être confondu par un dispositif fiscal du même nom11. Décorrélées de toute catégorie juridique ou statistique, ce sont toutefois ces trois mots qui reviennent le plus régulièrement pour décrire les startups : des entreprises récentes, à forte croissance, portée par l'innovation, et souvent dont l'organisation est basée sur un modèle coopératif et horizontal. Ces structures, plutôt qu'être officiellement identifiées comme startups sont donc souvent revendiquées par ses propres membres comme telles.

    9 L'écotoxicité fait référence à la capacité d'une substance (souvent un pesticide) à causer des effets néfastes sur les organismes et les écosystèmes dans l'environnement.

    10 Le stress hydrique désigne la pression exercée sur les ressources en eau disponibles dans une région donnée, souvent causée par une demande en eau qui dépasse la capacité naturelle de recharge des sources.

    11 Jeunes Entreprises Innovantes (JEI) est un statut pouvant être obtenu par les entreprises de moins de 11 ans consacrant une part importante de leur budget à la R&D. Elles bénéficient alors de réductions fiscales et sociales.

    17/62

    1.3.1. Des caractéristiques intrinsèques permettant l'action : innovation et

    réactivité au changement

    Depuis la crise sanitaire de 2020, l'innovation est apparue comme étant au centre des

    besoins des entreprises pour assurer leur survie. A titre d'exemple, lors d'une étude menée
    par LEYTON et KANTAR en 2021, 64% des entreprises déclarent que l'innovation est un réel outil de sortie de crise12. On comprend ainsi pourquoi cette volonté de proactivité règne dans un monde du «toujours plus» : l'innovation rassure, en prouvant à chacun que nous sommes capables de nous réinventer et de nous adapter dans toutes les situations.

    Les startups sont les maîtresses de ce concept, puisqu'elles basent leur business model sur leur capacité à être innovantes. Qu'il s'agisse du produit ou des méthodes de travail, c'est un critère indispensable et immuable pour qu'elles se déclarent startups. En effet, dans l'acte même de création d'une entreprise réside bien souvent la volonté de changement : l'entrepreneur souhaite répondre à un besoin en se différenciant de ses concurrents. Cette perspective est ce qui motive au passage à l'action, mais également ce qui permet de croire en la réussite du projet.

    La définition réside d'ailleurs ici : faire différemment des concurrents existants. L'INSEE définit d'ailleurs l'innovation comme il suit : «l'introduction sur le marché d'un produit ou d'un procédé nouveau ou significativement amélioré par rapport à ceux précédemment élaborés»13.

    Ce constat interroge donc sur la spécificité des structures se proclamant comme startups. En effet, au-delà de la dimension innovante, qui caractérise bon nombre d'entreprises, c'est souvent sa mise en oeuvre qui explique le format inédit de l'organisation. Il y règne bien souvent la volonté d'un fonctionnement horizontalisé, où la hiérarchie est réduite dans le but de favoriser l'échange et la proactivité individuelle et collective. Le fait de limiter au minimum les barrières officielles permet d'inciter les collaborateurs à la prise d'initiative, sans peur de manquer de légitimité où de ne pas être dans son rôle. Ce format agile permet de créer un contexte favorable à l'innovation et l'idéation. Ce polymorphisme facilite les interactions, ne limitant pas les salariés à leur rôle défini mais les incitant à questionner ce qui les entoure.

    En outre, nous pouvons nous interroger sur la question du contexte économique : créer une entreprise se fait dans le but de répondre à un besoin. Or, ce besoin est ancré dans une période et un lieu dont il est nécessaire de connaître les caractéristiques pour en comprendre le fonctionnement. C'est d'ailleurs bien souvent la difficulté des grands groupes : comment se réinventer alors que l'environnement change ? La jeunesse des startups fait donc écho à la volonté de répondre à un besoin qui se veut actuel. Cette caractéristique intrinsèque permet donc de prioriser les chantiers auxquels s'attaquer. Ainsi, en 2024, est-ce possible de créer une entreprise sans prendre en compte la dimension écologique?

    12 LEYTON, KANTAR. Baromètre de l'innovation 2021. Enseignement et solutions durables. Global Innovation Summit. 2021.

    13 INSEE. Les entreprises de France. INSEE Références. Edition 2021. 01/12/2021.

    18/62

    C'est bien parce que l'essentiel des acteurs répond 'non» à cette question que les startups sont un vivier d'espoir pour la transition écologique. Leur ancrage dans les problématiques actuelles, leur agilité de fonctionnement et leur envie de proposer quelque chose de nouveau en font les candidats parfaits pour initier les changements. Ces organisations, souvent nommées 'à impact», se font de plus en plus nombreuses, et leur poids croît avec les années. Une étude effectuée par BPI France en témoigne14 :

    l Le nombre de startups à impact a augmenté de 6% entre novembre 2022 et novembre 2023 ;

    l Elles représentent environ 9% de l'ensemble des startups françaises en 2023, alors qu'il ne s'agissait que de 5% en 2021 ;

    l Elles emploient 32 000 personnes en France en 2023.

    En 2023, 50% de ces startups se retrouvent dans quatre secteurs principaux : l'énergie, la mobilité, l'agriculture et l'économie circulaire. Les innovations y sont alors nombreuses, puisque ces structures se développent grâce à des idées jamais vues, rendant la transition écologique accessible.

    Ainsi, il est possible de prendre comme exemple Accenta (cf. Annexe 4) qui oeuvre dans ce domaine en tentant de limiter les impacts environnementaux liés à la consommation énergétique des bâtiments. Ils figurent parmi les startups à impact mentionnées par la BPI puisque leur solution innovante permet de populariser le géostockage et d'optimiser son utilisation. L'objectif est ainsi d'utiliser la température des sous-sols selon les saisons pour réguler les besoins en surface. L'innovation réside dans la régulation de ce dispositif puisque les besoins en énergie sont anticipés grâce aux utilisations passées afin de puiser la quantité exacte nécessaire grâce aux analyses de données effectuées par des modules d'intelligence artificielle. De cette manière, il n'y a pas de surconsommation d'énergie, ce qui fait économiser environ 40% par rapport aux systèmes traditionnels.

    Accenta, forte de son succès, a bénéficié ainsi en 2023 d'une levée de fonds de 108 millions15 d'euros et est entrée au classement French Tech 203016. C'est donc cette alliance d'enjeux nouveaux, et de maîtrise des technologies actuelles qui a permis à la startup de se démarquer par son innovation et d'accroître sa notoriété, approchant progressivement des marchés de plus en plus gros, tels que la Fnac ou la ville de Roubaix.

    L'innovation, dans un contexte de transition nécessaire, permet ainsi de réorienter les consommations vers des approches plus durables, adaptées à la crise environnementale actuelle. Les startups sont donc, par essence, porteuse de cette démarche, à la fois agile et proactive. Ce fonctionnement les démarque en les positionnant comme des acteurs souples et sachant s'adapter. Toutefois, leur fragilité reste inhérente, conformément à toute jeune

    14 BPI France, France Digitale, Mouvement Impact France. Mapping 2023 des startups françaises à impact : les startups françaises à impact ont levé près de 10 milliards d'euros depuis leur création. Novembre 2023.

    15 WONG Camille. Greentech : Accenta lève 108 millions d'euros pour décarboner les bâtiments. Les Echos. 14/09/2023.

    16 Ce programme récompense 125 entreprises innovantes en leur permettant d'avoir un soutien (financier et extra-financier) de deux ans de la part de l'Etat français.

    19/62

    entreprise dont l'avenir n'est pas tracé. C'est pour cela que les soutiens publics sont multiples : que faire pour assurer la prospérité, le dynamisme et la longévité de ces organisations d'avenir?

    1.3.2. Un environnement politico-économique favorable au développement :

    les soutiens nationaux et locaux pour les initiatives entrepreneuriales

    Dans le but de soutenir l'innovation permise par les startups, la France a entrepris ces dernières années des chantiers ayant pour but de démultiplier les soutiens possibles afin d'inciter à leur création et de faciliter leur subsistance dans le temps. Cette démarche a notamment vu le jour en 2004 avec la création des pôles de compétitivité à la suite du rapport de Christian BLANC17. Il y affirme alors que «la compétitivité française repose aujourd'hui sur l'innovation» et que c'est donc pour cela qu'il est indispensable de la soutenir.

    A l'issue de ce travail, l'objectif devient d'identifier les acteurs majeurs de l'innovation pour les regrouper et les accompagner dans leur développement. Arrivent donc rapidement les universités et écoles, sources de connaissances, mais également bon nombre d'entreprises. Alors que le concept de startup est encore peu utilisé, elles prennent une place de plus en plus importante, comme vivier d'initiatives. Cette réunion de parties prenantes permet de créer des synergies afin de faciliter la mise en commun et d'accélérer l'innovation.

    Ce concept a notamment vu son apogée arriver avec la naissance de Station F en 2017 : il s'agit du plus grand campus de startups au monde, créé par Xavier NIEL et Roxane VARZA, et ayant pour but d'encourager au dynamisme de chacun. Après un chantier de 3 ans entamé avec le soutien du président François HOLLANDE, son inauguration en présence d'Emmanuel MACRON a marqué l'arrivée de centaines de startups et d'investisseurs du monde entier dans le but de symboliser la stratégie de startup Nation, voulue pour soutenir le dynamisme économique et l'innovation. Aujourd'hui, sa place reste inchangée, ce lieu toujours iconique et incontournable est un pilier du développement des startups de tout horizon.

    En parallèle de ce type de projets sont également arrivés des accompagnements financiers nationaux multiples parmi lesquels on peut citer:

    l Le crédit d'impôt innovation en 2013 destiné uniquement aux petites entreprises, s'ajoutant au crédit d'impôt recherche existant depuis 1986 ;

    l La bourse French Tech en 2014, subventionnant la création de startups;

    l Le Prix Pépite initié en 2014, offrant un soutien financier et administratif pour les entreprises innovantes créées par des étudiants ;

    l Le statut de Jeune Entreprise Innovante de 2004, prévu pour s'arrêter en 2016 mais finalement pérennisé, pour permettre des exonérations fiscales et sociales aux entreprises récentes effectuant des travaux de R&D.

    En complément de ces soutiens nationaux, autant de dispositifs sont apparus à l'échelle locale, notamment régionale. La multiplication de subventions, de programmes d'accompagnement et d'incubateurs a donc favorisé le développement et la rencontre d'acteurs

    17 BLANC Christian. Pour un écosystème de la croissance. Rapport au Premier Ministre. 2004.

    20/62

    de l'innovation. L'ensemble de ces mesures a eu comme effet direct une augmentation du nombre de création d'entreprise, puisque le contexte est alors devenu plus favorable au développement d'un projet nouveau comme en témoigne le graphique de l'INSEE ci-dessous.

    Figure 3 : Nombre de créations d'entreprises en France depuis 2010 [Source : INSEE, 2021]

    Plus récemment, de plus en plus d'aides se voient orientées vers des secteurs d'activités estimés comme «porteurs d'avenir». L'objectif est ainsi d'inciter à la mise en place de projets dans certains domaines, avec en tête de liste l'écologie. Ils sont souvent divisés en deux catégories, selon si les solutions proposées s'appuient sur la technologie ou non. Les startups de la greentech se fait donc de plus en plus nombreuses, et son développement s'appuie sur des soutiens à toutes les échelles:

    l A l'échelle européenne, des programmes de financement comme LIFE dans le domaine de l'environnement et du climat;

    l A l'échelle nationale avec le programme GreenTech Innovation, proposant un ensemble de dispositifs de soutien et d'accompagnement pour 273 startups (2023) ;

    l A l'échelle régionale, des pôles de compétitivités locaux comme ENTER en Nouvelle Aquitaine soutenant et mettant en lien des acteurs du numérique durable.

    Ces incitations publiques multiples au développement de projets pour l'écologie poussent donc les entrepreneurs à la mise en place d'initiatives alliant le côté novateur des technologies numériques et les enjeux actuels environnementaux et climatiques. C'est donc pour cela que plus récemment, avec le développement de l'intelligence artificielle, cet outil est exploité pour se mettre au service de l'écologie par un grand nombre de nouvelles entreprises.

    Les startups se retrouvent donc au coeur des mutations actuelles, multipliant l'utilisation des nouvelles technologies comme l'intelligence artificielle pour les mettre au service des besoins actuels de nos sociétés. Quand ces moyens sont mis au service de l'écologie, la combinaison est inédite et nous pousse donc à nous interroger sur la pertinence de leur usage conjoint.

    21/62

    2. Quand les incohérences de l'IA se heurtent à l'urgence climatique

    Si l'intelligence artificielle est un concept attrayant, sa mise en oeuvre est loin d'être anodine. Qu'il s'agisse des coûts liés à son développement ou son utilisation, ils sont multiples et peuvent représenter un grand nombre d'externalités négatives. En outre, l'essor de cette technologie essentiellement portée par des startups s'ancre dans un contexte politico-économique peu en accord avec la sobriété prônée par bon nombre de scientifiques. Il est donc nécessaire de s'interroger sur la compatibilité de ces éléments, afin de s'assurer de l'intérêt (ou non) d'encourager ces solutions dans un contexte d'urgence écologique indéniable.

    2.1. L'intelligence artificielle comme source de pollution

    On oublie bien souvent que le numérique, domaine dans lequel s'inclut l'IA, n'est pas virtuel, mais bien palpable. Au-delà du concept que représente un algorithme, il est indispensable de détenir le matériel pour l'exécuter. Sans cette mise en oeuvre pratique sur un quelconque ordinateur, l'intelligence artificielle en tant que telle n'est d'aucune utilité.

    C'est notamment dans ce passage de l'imaginaire au réel que le coût écologique se fait: en 2019, la pollution numérique représentait 4% des émissions carbonées mondiales, soit le double du transport aérien. Par ailleurs, notre utilisation croissante de ces technologies a généré avec 2018 une augmentation annuelle de 8%18, faisant ainsi du secteur un pollueur majeur.

    Il est donc indispensable de cerner ces enjeux en intégrant aux externalités de l'IA ces coûts environnementaux négatifs, qui viennent se présenter comme des freins majeurs, parfois alarmistes dans son déploiement et sa mise en place.

    2.1.1. La consommation énergétique, un poids environnemental majeur

    La consommation énergétique est bien souvent vue comme le premier facteur négatif lié à l'utilisation de l'intelligence artificielle. En effet, qui dit utilisation de l'IA dit également ordinateurs et serveurs pour la faire fonctionner. Or, ces dispositifs sont extrêmement énergivores, principalement en électricité, et sont pourtant indispensables pour n'importe quel algorithme. Qu'il s'agisse de leur production ou de leur utilisation, ces appareils puisent dans des ressources planétaires de plus en plus précieuses.

    18 THE SHIFT PROJECT. Déployer la sobriété numérique. Rapport intermédiaire dirigé par Hugues FERREBOEUF. Janvier 2020.

    22/62

    Figure 4 : Distribution de la consommation énergétique du numérique par poste pour la production (en orange) et
    l'utilisation (en bleu) du numérique en 2017 [Source : The Shift Project, 2020]

    L'IA rend le défi encore plus important puisque, pour garantir des résultats corrects, les modèles informatiques doivent s'entraîner sur des jeux de données immenses, devant être stockés, déplacés et transformés, afin de garantir une progression du programme au fil de ses exécutions. Rien qu'aux États-Unis, premier hébergeur mondial de données, le chiffre s'élève à plus de 2700 centres de données19 et à cela s'ajoutent les centaines d'autres disséminés dans le reste du monde, dont plus de 250 en France. Pourtant, leurs besoins énergétiques sont multiples :

    l Alimentation en électricité pour les maintenir allumés;

    l Alimentation en électricité supplémentaire pour chaque accès ou déplacement de données;

    l Régulation des températures des salles via d'importants systèmes de climatisation.

    Ce problème, déjà connu depuis plusieurs années maintenant, est loin d'être résolu puisque les données s'accumulent, en étant rarement supprimées. En effet les entreprises souhaitent conserver leur historique et ne jamais l'effacer, même lorsqu'il n'est pas utilisé. Le principe du «au cas où» règne en maître : même si un algorithme n'utilise que des images en HD pour son fonctionnement, on conservera la version 4K en se disant qu'il sera peut-être pratique de l'avoir à l'avenir.

    L'amélioration constante des algorithmes d'intelligence artificielle et la recherche de performance supérieure ne font qu'aggraver le problème : les programmes vont tourner pendant des heures, faire appel à de plus en plus de données, et solliciter de plus en plus d'espace disponible dans les serveurs afin de calculer plus rapidement. En ce sens, une amélioration des performances de l'IA est négativement corrélée à son impact écologique.

    Toute la difficulté réside cependant dans le fait de quantifier ce coût énergétique afin de le comprendre et de le maîtriser. C'est notamment cet objectif qui a guidé une équipe de

    19 GAUDIAUT Tristan. Le pays qui héberge le plus de data centers. Statista. 07/10/2022.

    23/62

    chercheurs de l'Université du Massachusetts a étudié le coût énergétique de l'IA Transformer créé par Google en 2017. Cette dernière a pour objectif d'améliorer le traitement du langage naturel20 appliqué aux problématiques de traduction en s'appuyant sur le fonctionnement d'attention : l'algorithme identifie en priorité les mots-clés afin de traduire selon le contexte. Il s'agit donc a priori d'un modèle nécessitant de nombreuses données afin d'apprendre itérativement pour améliorer son passage d'une langue à l'autre.

    Les équipes du Massachusetts ont étudié l'intégralité de l'énergie nécessaire à la mise au point de ce modèle. Ils ont donc analysé l'ensemble des phases d'apprentissage du modèle afin d'obtenir des indicateurs quantitatifs. Cela comprend notamment:

    l L'ajustement des hyperparamètres définissant les caractéristiques globales de la structure de l'algorithme;

    l La recherche des pondérations optimales21 de chaque paramètre de l'algorithme pour arriver à la meilleure traduction possible.

    Au changement de chaque hyperparamètre, un réapprentissage complet du modèle doit être effectué : c'est donc après de nombreux essais qu'un modèle optimal est défini. Intuitivement, on comprend que ce mode de fonctionnement est extrêmement coûteux en énergie, et que la phase d'apprentissage peut consommer bien plus que l'utilisation du modèle final. En effet, la définition des paramètres est rapidement fastidieuse et cela a bien été confirmé par l'équipe du Massachusetts : l'ensemble des phases d'essai a consommé 3200 fois plus que l'apprentissage seul du modèle final optimisé22.

    Le problème identifié ici n'est donc pas l'intelligence artificielle en tant que telle et les modèles qui la constituent, mais bien la démarche qui permet d'arriver à ces algorithmes performants. Tout l'enjeu est donc de limiter les consommations énergétiques engendrées par les phases d'essai et d'apprentissage. Celles-ci sont constituées d'itérations successives, parfois à tâtons, dans le but de déterminer la combinaison optimale de paramètres permettant l'obtention du meilleur résultat possible.

    C'est en cela que l'intelligence artificielle soulève un paradoxe quant à son inspiration humaine : alors que le cerveau a besoin de très peu d'énergie pour apprendre une importante quantité d'informations, l'IA, quant à elle, est extrêmement consommatrice et n'obtient pas d'aussi bons résultats. En effet, il reste aujourd'hui bien souvent incontestable qu'un franco-britannique fournira une bien meilleure traduction que bon nombre d'algorithmes en ligne, malgré leur apprentissage sur une immense quantité de données.

    C'est pour cette raison que le super-traducteur open source Bloom développé par le CNRS en 46 langues a été étudié. Anne-Laure LIGOZAT et ses collègues ont ainsi estimé que sa

    20 Le traitement du langage naturel est la capacité d'un algorithme à comprendre une phrase, comme peuvent le faire les agents conversationnels tels que ChatGPT.

    21 Un modèle algorithmique s'appuie sur des expressions mathématiques où tous les coefficients doivent être pondérés par des valeurs les plus précises possibles dans le but d'obtenir un résultat (ici, une traduction). Il s'agit de la phase d'ajustement de la formule en s'appuyant sur des données dont on connaît le résultat final (des phrases déjà traduites).

    22 STRUBELL, Emma, GANESH, Ananya, et MCCALLUM, Andrew. Energy and policy considerations for modern deep learning research. In : Proceedings of the AAAI conference on artificial intelligence. 2020. p. 13693-13696.

    24/62

    phase d'apprentissage de 118 jours avait émis 24,7 tonnes eqCO223, soit l'équivalent d'environ 14 allers-retours Paris-New York en avion. Dans ce calcul, les phases d'essai-erreur lors de la création du modèle et les phases d'utilisation à postériori ne sont pas prises en compte. On comprend donc que la performance des modèles s'obtient bien souvent au détriment de la planète.

    De fait, comme l'énonce le rapport du Shift Project de janvier 202024 : «introduire une technologie numérique - même dans le but de diminuer une consommation énergétique, de réduire les émissions de carbone ou d'oeuvrer aux transitions d'une quelconque manière - doit faire l'objet d'une réflexion». En effet, même si l'intérêt de l'IA n'est bientôt plus à démontrer, elle reste soumise aux contraintes énergétiques mondiales, même lorsqu'elle est impulsée par des géants tels que Google ou Microsoft. En outre, sa pollution ne se limite pas à l'entraînement et à l'utilisation de modèles, mais inclut également la construction du matériel nécessaire à son développement. Des ordinateurs aux serveurs en passant par les câbles électriques, tous représentent un poids non négligeable et une grande quantité de ressources.

    2.1.2. L'IA : une technologie virtuelle avec des besoins matériels

    Au-delà des considérations énergétiques, la fabrication de l'ensemble du matériel nécessaire à l'utilisation de l'IA nécessite un recours à de nombreux matériaux, dont certains très rares (cobalt, lithium, mercure, etc.), et à des procédés de fabrication complexes. On pense bien entendu en premier lieu à la production des ordinateurs, des téléphones ou des serveurs et leurs infrastructures, mais ils ne représentent en réalité qu'une partie des besoins. En effet, la diversité de capteurs nécessaires pour la collecte des données est un puit immense de consommation de matière première, imposant une exigence sans précédent dans leur fabrication, dans le but de collecter des informations toujours plus précises et retranscrivant la réalité avec un maximum de détails. Qu'il s'agisse de thermomètres, de compteurs, de lasers, ou de chronomètres, le niveau d'exigence désormais attendu les contraint à être issus de procédés de fabrications nouveaux.

    C'est par exemple le cas des lasers, qui ont bénéficié d'avancées scientifiques majeures en moins d'un siècle, et pour lesquels les techniques se sont largement complexifiées. Initialement, ils étaient simplement issus de gaz sous pression et excités par impulsions électriques qui génèrent ainsi une lumière unidirectionnelle. Cependant, progressivement, de nouvelles méthodes sont apparues, comportant chacune leur spécificité permettant des performances optimales selon les cas d'application. On distingue par exemple des socles techniques tels que:

    l Les semi-conducteurs, comme la diode25, et qui constituent les lasers à usage domestique ou peu exigeants en précision ;

    23 LUCCIONI, Alexandra Sasha, VIGUIER, Sylvain, et LIGOZAT, Anne-Laure. Estimating the carbon footprint of bloom, a 176b parameter language model. Journal of Machine Learning Research, 2023, vol. 24, no 253, p. 1-15.

    24 THE SHIFT PROJECT. Déployer la sobriété numérique. Rapport intermédiaire dirigé par Hugues FERREBOEUF. Janvier 2020.

    25 La diode est un composant électronique ne permettant au courant électrique de ne passer que dans un sens.

    l

    25/62

    Les supports solides, comme le mélange de saphir et de titane, qui permet d'atteindre de grandes puissances ;

    l Les colorants, souvent toxiques, mais permettant de choisir la longueur d'onde26 ;

    l La fibre générant une amplification optique27 importante.

    Face à la multiplicité d'options pour chaque type de capteur et appareils de mesure, il est évident que les besoins en matières premières, dont l'approvisionnement est parfois limité, sont de plus en plus divers, nécessitant d'extraire des ressources jusqu'ici peu exploitées. La rareté de bon nombre d'entre elles impose des transports réguliers à travers le monde pour relier les différents lieux clés de la fabrication et de livraison, ce qui ne fait augmenter le besoin en ressources et le coût environnemental de chacun des composants sur lesquels s'appuie l'IA.

    Au-delà de la nature des composants nécessaires, leur nombre et leur variété sont frappantes. Par exemple, la startup française Skyvisor est spécialisée dans l'inspection automatisée préventive des structures comme des éoliennes ou des panneaux solaires. Pour effectuer leur analyse et soumettre des préconisations de maintenance, des drônes équipés de caméras de grande précision sont déployés afin de récolter les données (des images) sur lesquelles travailler. Il faut donc un grand nombre de matériel :

    l Un ordinateur pour afficher les résultats;

    l L'accès à un serveur dans un data center qui collecte toutes les données et effectue les calculs;

    l Des drônes équipés de caméras variées (caméra haute résolution, caméra thermique...);

    l Un dispositif permettant l'accès à internet ;

    l Des câbles (électrique, fibre optique...).

    On comprend ainsi qu'un outil, par son interconnexion, nécessite de nombreux composants pour son fonctionnement. Par ailleurs, au coeur de ces fabrications résident quasi-systématiquement les mêmes matériaux. L'Université de Yale a d'ailleurs mené une étude en 201528 pour déterminer la part de chaque matériau dans la fabrication d'un circuit imprimé29. Ce constat a été placé sur un tableau période des éléments, regroupant l'ensemble des matériaux présents sur Terre, de façon à identifier l'importance de chacun d'entre eux.

    Or, cette même étude a également fait état des risques de tension d'approvisionnement de matériaux dans les années à venir. Il a ainsi été constaté que beaucoup d'éléments étaient communs aux deux tableaux, ce qui interroge sur notre capacité future à continuer à concevoir de nouveaux matériels informatiques.

    26 La longueur d'onde représente la distance entre le début et la fin d'une ondulation (entre deux crêtes ou deux creux) générée par la lumière, elle va déterminer la puissance du laser.

    27 L'amplification optique a pour but d'augmenter la puissance ou l'intensité.

    28 GRAEDEL, Thomas E., HARPER, Ermelina M., NASSAR, Nedal T., et al. Criticality of metals and metalloids. Proceedings of the National Academy of Sciences, 2015, vol. 112, no 14, p. 4257-4262.

    29 Un circuit imprimé est une plaque sur laquelle des composants électroniques sont montés et connectés par des pistes conductrices, permettant le fonctionnement de divers dispositifs électroniques dont notamment les ordinateurs et les smartphones.

    26/62

    Figure 5 : Tableau périodique des éléments indiquant la concentration des matériaux pour la fabrication d'un circuit imprimé (à gauche) et les matériaux en tension dans les années à venir (à droite) [Source : GRAEDEL, 2015]

    Au-delà des pollutions engendrées par l'extraction, le transport et la transformation de ces matériaux, cela interroge également sur les méthodes d'exploitation de ces ressources naturelles. En effet, la construction de mines va détruire des écosystèmes, les métaux et minerais utilisés sont en quantité finie sur Terre, et les conditions d'exploitation ne sont pas toujours respectueuses des droits humains.

    En outre, aujourd'hui le recyclage de ce type de matériaux est peu pris en charge. Eric VIDALENC évoque ce sujet dans son essai30 : 'plus on est high-tech, moins on est recyclable», «sur les 60 métaux que l'on trouve dans un smartphone, seuls 17 sont recyclés».

    Ce besoin en ressources naturelles interroge donc sur la pertinence de l'utilisation de l'intelligence artificielle pour l'environnement. Pour que cela ait un réel intérêt, il faudrait que les gains soient largement supérieurs aux coûts écologiques de fabrication. C'est une analyse complète du cycle de vie qui doit être effectuée afin de s'assurer que la mise en oeuvre de la technologie représente un bénéfice. En effet, dans un monde où l'empreinte carbone moyenne d'un habitant est de 5 tonnes (et plus de 9 tonnes pour un français) alors que l'objectif est à 2 tonnes eqCO2 en 2050, il est indéniable que la création de n'importe quel produit doit être questionnée. Cela nous amène donc à nous interroger même de la pertinence du modèle économique des startups dans une ère prônant la sobriété.

    2.2. Startups et innovation technologique : le «toujours plus» à l'aune de la sobriété

    Lorsque l'on définit une startup, il est récurrent de parler de forte croissance économique de cette jeune entreprise. Or, la croissance est souvent perçue comme un synonyme de création et de massification. Ces concepts semblent donc aux antipodes de la sobriété, pourtant définie comme le fondement nécessaire à la transition écologique. L'équilibre n'est donc a priori pas évident ; le trouver est alors un réel défi pour les startups se disant 'à impact».

    30 VIDALENC, Éric. Pour une écologie numérique. Les petits matins, 2023.

    27/62

    2.2.1. La business model des startups, profit ou impact?

    Les startups présentent la particularité de baser leur modèle sur le fait d'apporter une innovation, dont les performances du produit sont supérieures à celles existant sur le marché. Cette innovation doit alors permettre une forte croissance afin de développer et pérenniser cette jeune entreprise. Aussi, les startups s'ancrent parfaitement dans la société capitaliste actuelle dont l'objectif central est d'augmenter la rentabilité.

    Face à ce constat, le concept même de startup interroge sur la compatibilité avec celui d'écologie. En effet, il a été démontré de nombreuses fois, notamment par le GIEC, que la transition vers un monde durable ne se fera que par l'acquisition de pratiques plus sobres. Cela implique donc de réduire les consommations pour limiter l'exploitation des ressources naturelles.

    La sobriété et la croissance ne semblent donc pas aller de pair, ce qui questionne la possibilité que des startups, et plus généralement n'importe quelle entreprise, puissent réellement s'engager dans une démarche environnementale. En effet, la société actuelle pousse à la réussite individuelle alors que la transition écologique nécessite un travail collaboratif et de cohésion. C'est d'ailleurs la philosophie d'un des scénarios de l'ADEME proposé dans le cadre du programme «Transition(s) 2050» : les structures doivent penser à travailler ensemble et à s'entraider mutuellement, en faisant passer au second plan leur intérêt propre (scénario 2).

    Figure 6 : Présentation des scénarios de l'ADEME dans le cadre du programme «Transition(s) 2050»
    [Source : ADEME, 2021]

    En outre, l'intelligence artificielle interroge également ce concept de sobriété. En effet, dans son immense majorité, elle est utilisée pour analyser des millions de données, ce qu'il serait impossible de faire sans cette technologie. Quelles qu'en soient les applications, l'idée est d'intégrer toujours plus de paramètres pour gagner en précision. L'ADEME intègre d'ailleurs

    28/62

    l'intelligence artificielle comme un des éléments clés de son scénario n°4, qui est d'ailleurs décrit comme il suit : «Les modes de vie du début du XXIème siècle sont sauvegardés. Mais le foisonnement de biens consomme beaucoup d'énergie et de matières avec des impacts potentiellement forts sur l'environnement»31. En effet, les ressources nécessaires pour cette approche sont importantes, et le scénario part du principe que nous trouverons des solutions technologiques dans le futur.

    Ainsi, il est nécessaire d'interroger la pertinence du développement important de startups notamment dans le domaine avec de l'intelligence artificielle. La volonté de développement de la structure semble s'opposer au concept de sobriété ou de frugalité scientifiquement prôné.

    Toutefois, ces organisations semblent avoir leur place dans le cadre de substitution à la société actuelle. En effet, malgré les ressources nécessaires, les conséquences de nombreuses innovations semblent bénéfiques pour l'environnement. De plus en plus de startups décident de s'auto-évaluer, en cherchant à prendre en compte l'ensemble des coûts environnementaux de leur procédé, y compris l'accès et le stockage des données. Ainsi, ces nouveaux services, se voulant plus vertueux, doivent, pour avoir un impact positif, prendre la place des modèles actuels, et ne pas s'ajouter, afin d'éviter une surconsommation (cf. section 2.3.1 sur l'effet rebond).

    C'est dans cette optique qu'a travaillé Stratosfair : pour limiter les impacts des data centers, la startup se charge d'en construire de nouveaux avec des objectifs soutenables. Ainsi, chaque structure respecte plusieurs critères:

    l Les serveurs sont situés dans un conteneur réemployé, posé sur des plots afin d'éviter de bétonner une grande surface;

    l Le local est alimenté par des panneaux solaires installés au-dessus de la structure;

    l Les lieux d'implantation sont proches des villes afin de permettre un «circuit court» dans le transit de données;

    l Les capacités de stockage sont restreintes, pour éviter de surdimensionner et d'avoir des ressources non-exploitées.

    Ainsi, la startup, bien qu'appuyée sur un modèle du «toujours plus» pour multiplier les sources de stockage de données, a tenté de développer son activité de manière raisonnée. Les ressources sont allouées en dimensionnant préalablement les besoins, et en interagissant avec les parties prenantes locales ; l'énergie est produite de manière durable. Cependant, cet équilibre, difficile à trouver, a tout de même mené à la faillite de Stratosfair, ce qui illustre bien la complexité de compatibilité entre sobriété et rentabilité.

    Ainsi, chaque solution est pesée, en tentant d'évaluer son intérêt pour l'environnement, mais également son coût. Si a priori le modèle des startups n'est pas forcément bénéfique dans un contexte de transition écologique, il n'est pas pour autant antagoniste. Ce qui est

    31 ADEME. Transition(s) 2050. Choisir maintenant, agir pour le climat. Horinzons. Novembre 2021.

    29/62

    fondamental, c'est d'avoir conscience des coûts et de tenter par tous les moyens de les minimiser de sorte à ce que les externalités positives soient plus importantes.

    Dans le domaine de l'intelligence artificielle, et dans tous les domaines liés aux données, se pose toutefois la question de la transparence des modèles. Faut-il dire ce qui est fait avec ces informations, au risque de dévoiler son expertise et de perdre en compétitivité ? Ces questions à la fois éthiques et écologiques du spectre de l'open sourcing sont donc étroitement liées à celle du fonctionnement du modèle d'affaires des entreprises.

    2.2.2. Diffusion des données et des algorithmes : la transparence est-elle

    compatible avec la rentabilité ?

    La question de la transparence se pose forcément lors de développements ayant pour but de créer des modèles nécessitant de manipuler des données. Celle-ci se situe à deux niveaux : avoir connaissance des types de données utilisées, mais également, savoir comment elles sont maniées. Cette problématique, a priori éthique, interroge donc grandement sur cette volonté d'accroissement des intelligences artificielles. En effet, dans le contexte actuel du deep learning, le coeur de la réussite se situe dans la masse de données : plus un algorithme a de données, meilleur sera son apprentissage, et donc, meilleurs seront ses résultats.

    Ce sujet a vu son premier cadrage majeur apparaître avec le RGPD (Règlement Général sur la Protection des Données)32 en 2018, dont la CNIL (Commission Nationale de l'Informatique et des Libertés) assure le respect. Toutefois, cette approche se limite à savoir quelles sont les données utilisées, mais ne s'interroge pas sur la manière dont cela est fait. C'est donc dans ce but -à que les récents travaux de l'Union Européenne ont permis d'aboutir à l'AI Act33.

    Ce nouveau cadre normatif a pour but de s'assurer que les données ne sont pas manipulées par des modèles d'IA pour induire en erreur. Son principe est de classer les différents modèles d'intelligence artificielle selon le risque qu'ils représentent pour l'utilisateur. En fonction du risque associé, les exigences réglementaires sont plus ou moins importantes, allant de l'affichage d'un message d'information (pour certains générateurs de deepfake, les chatbots...), à l'interdiction de l'outil (notamment pour le scoring social).

    L'IA Act se positionnerait ainsi comme le premier cadre normatif au monde pour régir l'intelligence artificielle. Son but se décline notamment en quatre parties :

    l La transparence et l'explicabilité, en imposant de disposer d'une documentation claire sur les modèles ;

    l Le respect des droits fondamentaux;

    l La responsabilisation des développeurs et utilisateurs, en assurant qu'un responsable puisse être désigné en cas de dommages;

    l La supervision et la gouvernance, par la création d'organismes de surveillance.

    32 RGPD : https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX%3A32016R0679

    33 AI Act : https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:52021PC0206

    30/62

    On comprend ainsi que pour assurer la confiance des utilisateurs, il est indispensable de signaler comment les données sont exploitées et par qui. Cette réflexion est d'autant plus valable dans des cas d'application en écologie : pouvoir expliquer comment fonctionne le modèle et ce qu'il permet d'obtenir garantie à l'utilisateur qu'il s'agit bien d'un outil vertueux et non de greenwashing. La transparence est donc la première étape de la coopération entre les acteurs : connaître les intentions de son interlocuteur permet de s'assurer d'avoir des objectifs communs. C'est également un moyen de vérifier que les visions des protagonistes sont identiques, et d'identifier ainsi des biais que pourrait avoir un modèle. Cette question éthique interroge donc plus largement sur la capacité de mutualisation des ressources et de partage des expertises.

    Connaître le fonctionnement de l'autre peut être décisif dans le choix d'un partenariat. Virgile BAUDROT donne l'exemple de l'importance de la maîtrise de la localisation du stockage des données (cf. annexe 2). En effet, une entreprise qui souhaite s'engager profondément dans l'écologie va généralement vouloir privilégier des serveurs géographiquement proches. Il peut être également pertinent de regarder qui gère le data center, et l'on pourra alors avoir une opinion différente selon s'il s'agit d'un géant du numérique, comme Amazon ou Microsoft, ou d'une startup locale comme Stratosfair. Cette question de la gestion du serveur est cruciale, tant pour l'aspect éthique qu'écologique. En effet, certaines entreprises s'engagent à une gestion sobre des data centers, qu'il s'agisse de leur alimentation en énergie, de leur empreinte au sol...

    Enfin, la question de la transparence interroge sur le fait de développer ou non des outils déjà existants. Le nombre d'algorithmes déjà créés est immense et l'open sourcing peut être une solution de sobriété. Avoir accès aux codes de certains modèles permet d'avoir une solution «clé en main», sur laquelle le travail d'optimisation a déjà été réalisé, sans devoir reproduire des travaux opérés précédemment par quelqu'un d'autre et qui demanderont à nouveau des ressources environnementales.

    Il s'agit donc là de s'interroger sur la transparence des modèles, mais également sur leur réplicabilité. Si un modèle a été pensé de manière à être le plus général possible, il pourra s'adapter à de nouveaux cas d'usage ce qui évitera des développements supplémentaires.

    Toutefois, les startups travaillant en open source se retrouvent bien souvent confrontées à la question de la rentabilité du business model. Si une entreprise dévoile son expertise sans garde-fous, se pose alors la question de sa capacité à générer un chiffre d'affaires. On distingue alors bien souvent deux schémas, comme l'évoquait Juliette FROPIER en entretien (cf. annexe 6) :

    l Les modèles entièrement en open source, souvent financés dans un but d'intérêt général, régulièrement par des acteurs publics, avec l'objectif que tout le monde puisse ensuite l'utiliser, et en ne visant ainsi pas forcément la rentabilité de cette opération;

    l Les modèles partiellement en open source, où une partie est disponible à tous, tandis qu'une autre (souvent plus complexe) reste la propriété de l'entreprise et il est donc nécessaire de payer pour pouvoir l'utiliser (comme le modèle BERT de Google).

    31/62

    La transparence est donc un indispensable pour l'intelligence artificielle mais n'est pas présente à un même degré selon les entreprises et les projets. Certaines startups, comme c'est le cas de Qonfluens, font le choix de travailler en open source en estimant que leur valeur se situe dans leur capacité à développer de nouveaux modèles. D'autres entreprises, majoritaires, gardent le code secret tout en en dévoilant les grands principes pour assurer leur rentabilité et leur compétitivité.

    Toutefois, cela interroge sur les objectifs affichés par bon nombre de startups en matière de transition écologique. On comprend aisément que dévoiler l'intégralité de son travail altère indéniablement le modèle d'affaires. Pour tempérer cela, il est donc indispensable de pouvoir annoncer et quantifier le caractère vertueux de l'outil. Sans cela, il est impossible de s'assurer de sa plus-value écologique.

    2.3. Coûts et bénéfices, de quoi parle-t-on?

    Si une solution technologique se dit vertueuse, il est indispensable de disposer d'indicateurs pour quantifier, et ainsi, vérifier, l'apport de sa mise oeuvre. La difficulté reste cependant d'évaluer cet écart entre coûts et bénéfices écologiques. L'impact d'une solution Green IT serait alors moindre par rapport au cas IT for Green34, mais selon quels indicateurs?

    2.3.1. Les indicateurs pour mesurer la réussite : choisir, comprendre et calculer

    Pour privilégier une technologie à une autre, il est indispensable d'avoir des indicateurs permettant de comparer les performances et les impacts des deux solutions. La question se pose donc assez naturellement pour l'intelligence artificielle. Le calcul des performances s'appuie sur les approches classiques, déjà appliquées depuis longtemps dans le secteur plus global du numérique. On répondra alors aux questions telles que «Combien d'images mon algorithme peut-il analyser par minute?» ou encore «Quel est mon taux d'erreur ?».

    L'interrogation principale se situe donc dans la mesure des impacts. Selon l'outil considéré, ils peuvent être variés, multidimensionnels, quantitatifs ou qualitatifs. En effet, il n'existe pas de bonnes réponses pour mesurer l'éthique ou le coût environnemental. Chaque modèle doit être évalué au regard de son objectif d'utilisation. Si un algorithme a pour but de réduire les consommations électriques liées à la climatisation, il sera alors indispensable de s'assurer que la régulation thermique du serveur utilisé ne génère pas une consommation énergétique plus importante que la baisse permise par le modèle.

    On parle alors d'IA rouge ou verte :

    l L'IA rouge (red AI) recherche à tout prix l'amélioration de la précision, en s'appuyant sur la puissance de calcul des machines et en complexifiant les modèles;

    34 L'expression «IT for Green» désigne le fait d'utiliser une technologie dans un cadre écologique, alors qu'elle n'a pas forcément été créée pour cela et qu'il ne s'agit que d'un cadre d'application spécifique. Cette notion s'oppose au Green IT qui est une technologie pensée de manière écologique pour répondre de manière sobre à un besoin.

    l

    32/62

    L'IA verte (green AI) recherche l'efficacité, en tentant de se rapprocher des performances de l'IA rouge tout en réduisant au maximum ses coûts et son impact (environnemental et social), qui sont des critères d'évaluation à part entière.

    Il est donc indispensable d'établir un équilibre entre les coûts et les bénéfices de chaque intelligence artificielle pour se demander si ses besoins sont bien inférieurs à ce qu'elle va pouvoir générer comme bénéfice. L'évaluation peut être à la fois chiffrée, mais également qualitative, dépendant ainsi du contexte d'utilisation. Il est également utile de se demander si le recours à cette technologie est réellement nécessaire : est-il pertinent d'utiliser ChatGPT pour rechercher la date de naissance de Simone Veil alors qu'une simple requête sur internet permettrait d'obtenir cette réponse et serait bien moins énergivore ?

    Aujourd'hui, l'intelligence artificielle est considérée comme une nouveauté par la société civile. Cela génère donc un engouement autour de cette technologie, qu'une grande partie de la population veut découvrir et apprendre à maîtriser. Nous sommes donc dans une phase ascendante d'utilisation de ces outils avec une médiatisation accrue : les utilisateurs ont une envie systématique d'y avoir recours, sans vraiment s'interroger sur l'impact et l'intérêt de cette démarche.

    A l'heure actuelle, la part de la population prenant en compte les enjeux écologiques est minoritaire. Même si cette dimension est croissante auprès des plus jeunes générations, il n'en reste pas moins qu'elle n'est pour l'instant pas prioritaire. Indéniablement, l'intelligence artificielle va devoir s'adapter et changer pour se conformer à ces convictions écologiques grandissantes.

    S'il semble peu probable que l'intelligence artificielle disparaisse de notre monde pour des raisons écologiques, il va en revanche être nécessaire de «mieux faire» l'IA. Au-delà de la question de la mesure de l'impact, il va falloir que la démarche cherche intrinsèquement à le diminuer. Un modèle très bien documenté, décrivant chaque test ayant été fait, les résultats obtenus et les conclusions tirées permet non seulement d'accroître les connaissances dans le domaine mais également de ne pas reproduire des erreurs déjà effectuées. Etroitement lié à la question de la transparence, on comprend donc que l'accès aux informations peut non seulement être source de progrès mais également d'économie de ressources environnementales. Ainsi, un développeur pourra directement partir d'un modèle déjà optimisé pour l'adapter à son cas d'application sans avoir besoin de le reconstruire entièrement.

    Ce qui reste aujourd'hui peu étudié est tout de même l'impact environnemental global des modèles d'IA. Il convient donc de se demander si la bonne manière d'aborder ce type d'étude ne serait pas de se rapprocher d'une ACV (Analyse du Cycle de Vie). Il n'y a aujourd'hui pas de méthode établie pour mesurer le coût écologique d'une solution. Selon les cas, toutes les étapes du cycle de vie ne seront pas prises en compte ou alors, elles le seront de manière différente. Certaines entreprises vont vouloir être les plus exhaustives possible, tandis que

    d'autres ne vont se concentrer que sur leur développement pour avoir des résultats les plus vendeurs.

    Globalement, il semble indispensable de prendre en compte l'ensemble des étapes nécessaires au bon fonctionnement final de l'intelligence artificielle. Même si toutes les structures ne font pas cette démarche, c'est cette évaluation globale qui paraît la plus pertinente. On y retrouve donc quatre éléments principaux devant être évalués:

    l Le matériel utilisé pour faire fonctionner l'IA (serveur, ordinateur, capteurs, câbles, antennes...);

    l La phase d'entraînement du modèle pour déterminer les hyperparamètres optimaux, offrant les meilleures performances possibles;

    l La phase d'entraînement sur le jeu de données final, avec les hyperparamètres optimaux fixés;

    l La phase d'utilisation du modèle.

    A l'heure actuelle, un faible nombre d'évaluations cherchent à être systémiques. Jusqu'à peu, l'outil d'évaluation green algorithm35 est celui qui faisait foi. Pourtant, ce dernier ne prend pas en compte le matériel nécessaire au fonctionnement des modèles, qui est pourtant un poste de dépense de ressources très important. Même si de nouveaux outils apparaissent, tentant d'être plus complets que green algorithm, aucun ne fait aujourd'hui consensus.

    Il n'existe d'ailleurs pour l'instant pas de label permettant d'attester du caractère éco-responsable d'une intelligence artificielle. Même si de plus en plus de modèles sont développés avec ce but, il n'a pas encore été défini de critères objectifs pour établir le caractère vertueux ou non d'un modèle.

    Plusieurs labels complémentaires existent dans des domaines adjacents. C'est par exemple le cas du label «ADEL-AI Act» s'intéressant au cadre éthique du modèle, en regardant ses objectifs, sa transparence et sa sécurité. Dans le domaine écologique, l'Institut du Numérique Responsable (INR) a également créé son label : le Label du Numérique Responsable. Ce dernier évalue l'impact environnemental des technologies, mais il n'est pas adapté à l'intelligence artificielle ; il s'intéresse à l'ensemble des solutions numériques pouvant exister avec des critères beaucoup plus vastes qui ne sont pas forcément compatibles avec les modèles d'IA. Il s'intéressera par exemple à la sobriété d'un site internet, pour s'assurer que la consultation de celui-ci ne génère pas une trop forte consommation de ressources.

    La question de l'évaluation de l'impact de l'intelligence artificielle n'est donc aujourd'hui pas réglée. Même si des pistes commencent à faire consensus (comme les phases à prendre en compte dans l'analyse), aucun référentiel n'est actuellement établi pour calculer le coût environnemental de ce type d'algorithme. Ce qu'il en ressort toutefois, c'est qu'il est indispensable que l'apport généré par l'algorithme soit bien supérieur à son coût d'utilisation et de création. Aujourd'hui, comme l'évoque Juliette FROPIER en annexe 6, le Ministère de la Transition Ecologique n'encourage aucune initiative qui n'est pas en capacité de prouver que les

    33/62

    35 https://www.green-algorithms.org/

    34/62

    bénéfices de son recours sont bien supérieurs à ses coûts. C'est bien cela qui doit être prioritairement regardé.

    Les outils de quantification doivent être choisis au regard de l'objectif d'utilisation et ne peuvent donc pas être universels. Il est ainsi nécessaire de s'interroger systématiquement sur la pertinence du recours à une technologie pour un cas d'application donné.

    Par ailleurs, il est indispensable de regarder les impacts indirects de ces technologies, pour tenter d'avoir une vision la plus exhaustive possible. Une large partie de ces effets annexes se retrouvent dans l'effet rebond qui peut générer une surconsommation liée à l'arrivée d'une technologie. Leur prise en compte est donc indispensable pour s'assurer de la pertinence d'une solution.

    2.3.2. L'effet rebond, facteur de réduction du progrès

    L'effet rebond est bien souvent négligé lors de prise de décision et est pourtant capable de détruire les bienfaits d'une action. En effet, son principe est simple : lorsqu'une mesure permet de diminuer sa consommation d'une ressource, cette dernière sera utilisée ailleurs et ne sera pas économisée.

    L'effet rebond était initialement appelé le paradoxe de JEVONS (de l'économiste du XIXème siècle du même nom). William Stanley JEVONS a observé que le progrès dans l'efficacité énergétique des machines à vapeur n'a pas réduit l'utilisation de cette ressource à l'échelle macroéconomique, puisque les gens ont continué à utiliser le charbon économisé dans d'autres secteurs. Ce phénomène intimement lié à l'économie a été constaté dans de nombreux domaines et aujourd'hui essentiellement classifié en deux catégories :

    l L'effet rebond direct : la machine à vapeur consomme moins de charbon, donc elle pourra être utilisée plus souvent ou plus longtemps;

    l L'effet rebond indirect : la machine à vapeur consomme moins de charbon, donc le charbon restant pourra être utilisé pour d'autres applications.

    Ce phénomène incite donc à s'interroger sur les objectifs des démarches d'innovation : les économies de ressources sont-elles faites dans un but de sobriété ou d'accroissement de la consommation ? En effet, dans un monde où les ressources naturelles sont limitées pour maintenir un niveau de développement et de croissance constant, il est indispensable d'apprendre à faire avec moins.

    Pour autant, cette approche interroge sur la sobriété. Alors que ce concept devient essentiel dans un monde où la transition écologique est indispensable, il est donc nécessaire de réduire les consommations et non de les transformer.

    Il a ainsi été estimé en 2017 par FREIRE-GONZALES36 qu'en Union Européenne, l'effet rebond représentait entre 70 et 80%. Ceci signifie que dans le cas d'une innovation permettant de diminuer, par exemple, la consommation électrique de 100 kWh, entre 70 et 80 kWh seront

    36 FREIRE-GONZÁLEZ, Jaume. A new way to estimate the direct and indirect rebound effect and other rebound indicators. Energy, 2017, vol. 128, p. 394-402.

    35/62

    réutilisés ; l'économie ne sera donc que de 20 à 30 kWh. Intimement liées à nos modes de consommation, ces pratiques dépendent énormément des pays puisqu'il a estimé que, pour le Canada, l'effet rebond est autour de 40 %37.

    L'existence de ce phénomène interroge donc sur la pertinence de l'innovation, qu'elle soit en intelligence artificielle ou dans d'autres domaines, dans un objectif de réduction de l'utilisation des ressources. En effet, par définition, l'innovation cherche à améliorer les performances, ce qui signifie que la nouvelle technologie apportée sur le marché permettra donc d'obtenir un résultat similaire en réduisant son impact écologique. Or, si 70 % des économies réalisées sont en réalité réutilisées, il ne s'agit pas d'économie mais de réallocation.

    L'effet rebond met donc en perspective la quantité d'efforts à faire et d'innovation à produire afin d'effectivement diminuer drastiquement l'impact écologique de nos modes de vie. Dans le cas de l'Union Européenne, si seulement 30 % des économies réalisées sont effectivement des gains de ressources, alors la marche vers la sobriété devient plus grande.

    C'est notamment un des sujets qui a été abordé lors de l'entretien présenté en annexe 1 avec Christophe PHAM. Son entreprise dans le numérique durable, Infogreen Factory, permet par exemple de construire des sites internet avec un impact écologique largement diminué. Ainsi, le site d'Infogreen Factory économise 92 % des émissions de gaz à effet de serre lors de sa consultation par rapport à un site classique. Or si, comme la consommation est réduite, une entreprise va par exemple pouvoir décider de créer un plus grand nombre de pages, et l'impact positif devient réduit. Dans ce cadre, Christophe PHAM s'interroge même sur la responsabilité de son entreprise dans ce phénomène puisqu'elle incite indirectement à continuer à la consommation et non à faire preuve de sobriété. Il ne s'agit donc ni d'un changement de mentalité, ni d'un changement de pratique.

    Toutefois, l'effet rebond n'est pas toujours le reflet de comportements négatifs : si les technologies permettent désormais de se chauffer à moindre coût grâce à une consommation énergétique mieux anticipée, l'effet rebond macroéconomique peut simplement être lié à l'utilisation du chauffage par des foyers qui n'en avaient pas les moyens auparavant. Dans ce cas, l'effet rebond contribue au bien-être, puisque les économies de ressources effectuées permettent de répondre à un besoin élémentaire de la population.

    37 GILLINGHAM, Kenneth, RAPSON, David, et WAGNER, Gernot. The rebound effect and energy efficiency policy. Review of environmental economics and policy, 2016.

    36/62

    3. IA et écologie : quels objectifs pour l'avenir?

    Dans une société consumériste où la croissance des entreprises est au coeur du système, il paraît difficile de s'opposer au déploiement de l'intelligence artificielle. Ce mémoire ne va donc pas prendre le parti de prôner un modèle sociétal différent, mais va plutôt s'intéresser à l'adaptation de la situation actuelle pour prendre en compte les impératifs écologiques. Plutôt que de mettre en avant l'interdiction de cette technologie (qui serait une voie d'analyse possible), nous allons nous concentrer sur les alternatives pouvant permettre sa pérennité, tout en conservant sa cohérence avec les besoins de sobriété.

    Les startups appuyant leur modèle économique sur l'intelligence artificielle se font de plus en plus nombreuses. Bon nombre d'entre elles se veulent écologiquement vertueuses, et étudient donc des pistes variées pour tenter de proposer leur solution tout en restant en accord avec les valeurs environnementales indispensables dans notre société.

    3.1. Les perspectives de la recherche en IA pour une utilisation peu coûteuse

    Si l'intelligence artificielle peut avoir un impact réduit, voire positif, sur l'environnement, cela se fait par deux biais. Comme cela a été vu précédemment, il est possible d'utiliser cette technologie pour générer des économies de ressources. Toutefois, la technologie elle-même est source de pollution. Le matériel qu'elle emploie et son fonctionnement intrinsèque consomment des ressources. Ce constat pousse donc de plus en plus de structures à s'intéresser aux alternatives possibles pour limiter les impacts de ces solutions.

    3.1.1. L'IA avec des ressources limitées : plus rapide, moins coûteuse

    Il est indéniable que l'intelligence artificielle est, et devient, une source majeure de pollution potentielle. Même si aujourd'hui son impact reste restreint, son déploiement dans la société inquiète bon nombre de chercheurs, laissant supposer une explosion de l'empreinte numérique mondiale. L'heure est donc à la sensibilisation et à la recherche de solutions pour conserver ces technologies tout en les adaptant à l'urgence écologique.

    Ainsi, pour faire prendre conscience des impacts, on peut par exemple utiliser la comparaison suivante : l'exécution d'une requête sur ChatGPT-3 consomme autant d'énergie d'une ampoule LED allumée pendant une heure.

    En moyenne, il a été estimé qu'un CPU dédié à l'intelligence artificielle est 4 fois plus consommateur en énergie qu'un CPU dédié au cloud38. Ce constat alarmant fait donc s'interroger sur les sources d'économie. Si l'intelligence artificielle peut, grâce aux résultats qu'elle produit, orienter les pratiques pour les rendre moins consommatrices de ressources, il faut aussi interroger la technologie elle-même.

    38 PAYTON, Ben. Power mad: AI's massive energy demand risks causing major environmental headaches. Reuters. 4 décembre 2023

    37/62

    De plus en plus d'équipes dans le monde cherchent donc à faire une IA dont l'exécution nécessite le moins d'énergie possible. On passe alors de la perspective d'IT for Green à celle du Green IT : ce ne sont pas seulement les conséquences des technologies qui doivent être écologiques mais leur fonctionnement propre.

    On parle alors d'IA frugale ; celle-ci se veut plus respectueuse de l'environnement et en accord avec les valeurs écologiques actuelles. La création de tels modèles trouve des sources très variées, qu'il s'agisse à la fois de convictions personnelles des développeurs, mais également de limites matérielles. Face au poids que représente le deep learning (qui est le modèle principal d'IA dans le monde actuellement), des algorithmes très lourds finissent par se heurter aux contraintes physiques imposées par leur environnement. Par exemple, des entreprises constatent des limitations sur la quantité d'espace de stockage disponible pour leurs données.

    L'IA frugale peut également s'imposer comme une nouvelle manière de penser les modèles mathématiques lorsqu'il n'est pas possible de fournir des résultats satisfaisants en l'état. Ainsi, certains secteurs d'activité ne disposent pas de suffisamment de données pour la phase d'apprentissage (c'est le cas de la prédiction des crashs d'avion ou des explosions de centrales nucléaires par exemple). D'autres veulent limiter le temps d'apprentissage et se retrouvent dans l'obligation de restreindre leur fonctionnement en s'appuyant sur une plus faible quantité de données. Il est donc indispensable de repenser les méthodes d'intelligence artificielle pour ne plus systématiquement développer dans la lignée du deep learning.

    Intuitivement, est associé au mot «frugal» la notion de diminution des ressources. Et avant même de s'interroger sur les technologies à créer pour limiter les consommations énergétiques de ces algorithmes, il faut regarder leurs objectifs. Il est souvent mathématiquement possible de partiellement prédire un gain de précision grâce à un apprentissage sur un plus grand nombre de données. Par exemple, si avec 500 données il est possible d'améliorer de 12% la précision d'un modèle, est-ce utile d'ajouter un million de données supplémentaires pour gagner seulement 2% ? Il s'agit donc là de s'intéresser à l'utilisation future de l'algorithme : alors qu'il n'est pas possible de manquer l'identification d'une cellule cancéreuse sur une image médicale, les conséquences sont bien plus limitées si l'application Shazam ne reconnaît pas une chanson passant à la radio.

    Un schéma de plus en plus utilisé est alors celui du transfer learning. Son concept est le suivant : l'algorithme apprend sur des données déjà existantes, même si elles ne sont pas exactement celles de sa situation, puis des corrections mathématiques manuelles sont effectuées. Par exemple, on apprendra à un algorithme à reconnaitre un loup à partir d'images de chiens déjà en stock, en précisant manuellement des caractéristiques spécifiques du loup liées à la forme de sa tête, sa couleur ou sa taille.

    Pour gagner encore plus en efficacité, au lieu d'apprendre sur les données de chien dont on dispose déjà, on peut même prendre l'algorithme qui sait déjà reconnaître le chien et simplement modifier les quelques caractéristiques indispensables pour le différencier du loup.

    38/62

    De cette manière, on évite même la phase d'apprentissage nécessaire à l'algorithme (en plus de celle du stockage de données supplémentaires), et arrive directement sur les phases de test et d'utilisation. On comprend bien entendu que le travail de recherche à effectuer reste celui du ciblage des caractéristiques à implémenter manuellement.

    Pour rendre le transfer learning pertinent, il faut toutefois que son cas d'application soit très précis, de manière à pouvoir identifier les caractéristiques clés. L'intelligence artificielle ne doit donc pas être générique, mais couvrir un besoin clairement cerné. Par exemple, ChatGPT est bien trop généraliste et doit pouvoir s'adapter dans toutes les situations, il doit donc avoir appris sur un nombre de données considérables pour pouvoir être suffisamment polyvalent. Dans ce cas de figure, l'IA frugale interroge donc autant sur les compétences technologiques que sur le champ d'application et la pertinence de son utilisation.

    La startup DeepHawk a ainsi adopté comme stratégie de limiter son travail sur un secteur d'activité très précis, de manière à avoir une intelligence artificielle la plus efficace possible. Comme le présente Gilles ALLAIN en annexe 5, son entreprise effectue des analyses d'images pour identifier des non-conformités de produits sur des chaînes de production. Le modèle développé n'est donc applicable qu'à cette situation, et dispose en son sein de caractéristiques spécifiques le rendant particulièrement efficace. Le mot d'ordre de la startup est alors de développer une IA frugale, tout en conservant d'excellentes performances.

    Pour cela, une des stratégies de l'algorithme est notamment de se concentrer uniquement sur des données de conformités. Si classiquement le deep learning a comme stratégie d'associer une non-conformité à un défaut déjà vu dans les données d'apprentissage, DeepHawk cherche plutôt à identifier les images qui ne correspondent pas aux cas de conformité (qui sont les uniques données dont l'algorithme dispose). Cette approche à l'avantage de nécessiter peu de données pour l'apprentissage (puisqu'il n'y a pas besoin de centaines d'images pour chaque type de défauts, mais uniquement de quelques centaines pour les cas de conformité), mais également de limiter la nécessité de production de données. En effet, pour une entreprise il y a bien plus de produits conformes que non-conformes, et il faut donc un temps très long pour réunir suffisamment d'images capturant suffisamment de défauts sur des produits pour pouvoir permettre l'apprentissage de l'algorithme. DeepHawk estime ainsi que l'empreinte carbone de leur approche est 375 fois plus faible que celle d'une méthode classique dans le domaine.

    Il existe évidemment un grand nombre d'autres axes de recherche pour rendre l'IA plus frugale. Ce mémoire n'a pas pour but de les répertorier. Il est surtout indispensable d'avoir conscience que l'intelligence artificielle pour l'écologie n'est pas seulement liée à son utilisation, mais qu'elle doit également prendre en compte son mode de fonctionnement. Si la manière dont s'exécute le modèle est un paramètre fondamental de la quantification de sa pollution, le matériel utilisé pour cela l'est tout autant. Quels que soient les composants nécessaires au fonctionnement d'un algorithme, leur production, mais également leur fin de vie, sont des sources de pollution majeures. Dans le contexte actuel, il est donc nécessaire de

    39/62

    regarder l'ensemble des paramètres permettant de limiter l'impact environnemental de cette technologie.

    3.1.2. L'impact des ressources matérielles, entre substitution et recyclage

    Le matériel nécessaire à l'utilisation de l'intelligence artificielle représente un coût non négligeable. Au vu de la charge conséquente qui lui est attribuée (cf. partie 2.1), il est évident qu'il faut considérer tous les éléments d'économie de ressources possibles. Au-delà de l'aspect algorithmique, il s'agit donc bien de regarder le côté matériel de l'informatique, en s'intéressant à l'ensemble des appareils utilisés. Ceux-ci sont à la fois synonymes de consommation énergétique mais également de matières premières nécessaires à leur fabrication.

    Les pollutions associées sont donc multiples, à la fois liées aux usages, à l'extraction des matières, mais aussi à la fabrication de chaque élément. Trois pistes sont alors généralement considérées pour tenter de limiter l'impact de ses appareils :

    l Le reconditionnement ou la réparation;

    l Le recyclage;

    l La substitution.

    Cet objectif va donc bien au-delà de l'intelligence artificielle mais touche l'ensemble du secteur du numérique, dès lors qu'il est nécessaire d'avoir un microprocesseur, un écran, des capteurs... Même si celui-ci ne concerne pas directement l'intelligence artificielle, l'exemple de Fairphone39 est de plus en plus connu. Il s'agit d'un smartphone qui se veut à la fois écologique et éthique. Chacun de ses composants est donc pensé pour respecter au maximum l'environnement mais également les droits humains (notamment dans la phase d'extraction des matières premières). Par exemple, le haut-parleur de ce téléphone contient 100 % de terres rares recyclées et 90 % de plastique recyclé. L'entreprise propose également des services de réparation, de reconditionnement, et de recyclage lorsqu'aucune autre alternative n'est possible.

    Cette appropriation et cette mise en avant des enjeux environnementaux liés au matériel informatique est donc de plus en plus importante et Fairphone n'est qu'un exemple parmi d'autres. Les entreprises multiplient cette approche pour allonger la durée de vie des appareils. Dans ce cadre aussi, l'État français a également voulu mettre en place un outil incitatif avec l'indice de réparabilité (issu de la loi AGEC40) qui force les entreprises à considérer, dès leur phase d'ingénierie, les meilleurs modes de conception.

    Ce dispositif, obligatoire pour plusieurs appareils électroniques (uniquement les ordinateurs portables et les smartphones dans le cas du matériel informatique), permet d'établir un score sur 10 pour quantifier à quel point il sera facile de réparer l'objet lorsqu'il tombera en panne. La détermination de cette note passe par cinq critères:

    l La documentation technique disponible;

    39 https://www.fairphone.com/fr

    40 Loi AGEC : https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000041553759

    l

    40/62

    La démontabilité, qu'il s'agisse de l'accès aux composantes, des outils nécessaires ou des méthodes de fixations;

    l La disponibilité des pièces détachées;

    l Le prix des pièces détachées;

    l Des caractéristiques spécifiques complémentaires propres à chaque type de produits.

    Figure 7 : Grille type pour calculer l'indice de réparabilité [Source : Ministère de la Transition Ecologique, 2024]

    Si beaucoup d'entreprises cherchent à «mieux concevoir», il reste toutefois difficile de se passer de certaines ressources ; il convient donc de se demander quel est le meilleur moyen pour les obtenir. Par exemple, il est indispensable de disposer d'électricité pour faire fonctionner les appareils ; de plus en plus de structures vont donc favoriser la production par énergie renouvelable. Cet élément est loin d'être négligeable puisque la consommation énergétique des mémoires (généralement, dans les data centers) peut représenter jusqu'à 80 % de l'énergie totale consommée par un modèle d'IA41.

    Il devient alors crucial de s'interroger sur la nécessité de la consommation de ressources, et de la minimiser. L'entreprise Deepl, spécialisée dans la traduction en ligne par intelligence artificielle, a par exemple fait le choix de placer ses data centers en Islande pour ne

    41 PAULIAC-VAUJOUR, Emmanuel. ASSEMAN, Valentine. FRANCILLON, Louise. Adopter l'IA frugale : concepts, leviers et initiatives. France Science. 07 septembre 2023.

    41/62

    pas avoir besoin de climatisation lors de la régulation de la température des composants. Cette décision a permis de diviser par six la consommation de kWh par rapport à leurs centres de données en Allemagne42. Puisqu'il s'agit d'une technologie dont l'instantanéité n'est pas la caractéristique première pour son succès, le temps nécessaire au transit des données n'a donc pas été un problème pour les utilisateurs : on préfèrera une traduction de bonne qualité à une traduction comportant des erreurs mais prenant 0,3 seconde de moins pour apparaître.

    Si ce choix paraît simple, il est loin d'être répondu. La majorité des data centers ne sont pour l'instant pas dans des lieux qui permettent de se passer de climatisation. Même si de plus en plus d'initiatives apparaissent (notamment pour le réemploi de la chaleur de ces structures, comme pour le chauffage de piscines municipales), elles restent minoritaires. La vitesse reste bien souvent prioritaire aux caractéristiques du data center: on reste donc dans une logique de red AI plutôt que de green AI.

    Pour multiplier les sources d'économie, il est également indispensable de s'intéresser aux matériaux nécessaires à la fabrication des composants. Beaucoup d'entre eux sont rares et difficiles à s'approvisionner : leurs conditions d'extraction sont complexes, les lieux d'origine sont assez distants des zones de fabrication, les conditions de travail des salariés ne sont pas toujours éthiques... Pour l'instant, il est clair que ce n'est pas la piste favorisée lorsqu'il s'agit de faire des économies de ressources. Même si des solutions commencent à émerger (c'est par exemple le cas de processeurs en matériaux biologiques), la recherche dans le domaine des matériaux informatiques «éco-responsables» est restreinte, avance lentement, et ne convainc pas la majorité des acteurs à l'heure actuelle.

    Les ordinateurs quantiques sont également observés pour leur capacité à effectuer d'importantes opérations avec une très faible consommation de ressources. La technologie est pour l'instant peu aboutie mais est clairement celle qui donne espoir. Toutefois, il est important de rester vigilant quant à l'effet rebond qu'elle pourrait générer, puisque cette nouvelle solution ouvre l'accès à des calculs jusqu'à maintenant impossible à réaliser. Son déploiement à grande échelle pourrait donc être plus négatif que positif une fois le bilan complet établi. C'est donc bien aux acteurs de poser les limites quant à leur utilisation de la ressource : certes, celle-ci doit être le plus éco-responsable possible, mais l'usage qu'il en est fait doit l'être tout autant.

    Penser que le changement des ressources employées pour le développement de l'intelligence artificielle est une solution pour limiter son impact environnemental est utopique. Ce discours, que l'on pourrait presque qualifier de techno solutionniste, ne peut pas se suffire à lui-même : toutes les sources d'économie doivent être considérées. Indéniablement, le matériel et l'énergie nécessaire à l'intelligence artificielle doivent être améliorés pour avoir un coût écologique limité, mais celui-ci ne doit pas être synonyme d'effet rebond, et doit même s'accompagner d'un changement des pratiques. L'IA peut aider à la transition écologique mais peut également devenir un poids si les utilisateurs l'emploient sans volonté de sobriété en parallèle.

    42 SCHEIER, Robert. Développement durable : 4 pistes pour une IA plus vertueuse. Le Monde Informatique. 09 février 2024.

    42/62

    3.2. L'IA oui, mais avec parcimonie

    L'intelligence artificielle doit être considérée différemment pour être alignée avec les objectifs écologiques actuels. Son recours est coûteux en ressources naturelles et il est donc indispensable qu'il soit réfléchi et non-systématique. L'utilisateur doit donc s'interroger sur la pertinence de l'outil avant de l'employer pour se diriger vers une démarche de sobriété.

    3.2.1. L'importance d'une sensibilisation à la sobriété

    Pour assurer la pertinence d'une technologie, il est indispensable de s'interroger sur son impact durant chaque phase de sa conception et de son développement. Cette étude, à la fois qualitative et quantitative, permet de s'assurer de l'utilité des travaux mais également d'inciter chaque partie prenante à prendre conscience des enjeux gravitant autour du projet. Cette approche a donc l'intérêt de systématiser les interrogations des collaborateurs pour contribuer activement à la remise en question des technologies dans un monde où une transformation profonde est indispensable.

    Si l'indicateur le plus regardé est bien souvent l'empreinte carbone (même s'il n'est pas le seul, et qu'il n'est pas toujours le plus pertinent, cf. partie 2.3.1), ce n'est pas sa valeur qui sera utile. En effet, l'important est de s'assurer de la réalisation de gains par rapport à une situation antérieure. Si l'impact d'une technologie est inférieur au gain écologique réalisé grâce à cette technologie, dans ce cas, on peut considérer qu'elle a apporté une forme de sobriété et qu'elle mérite donc d'être développée. Toute la difficulté est donc de quantifier cet écart; c'est d'ailleurs pour cela qu'il existe de plus en plus d'ingénieurs d'impact et d'ingénieur d'étude environnementale. Leur travail est alors de s'assurer de l'impact net des solutions.

    Ce type d'étude permet de se poser la question de l'utilité des développements. Si l'intelligence artificielle peut trouver des cas d'application variés, dans de nombreux domaines, il n'en reste pas moins que certains n'apportent aucune plus-value au sens environnemental (même s'ils peuvent contribuer au confort par exemple). Le Shift Project a par exemple réalisé une étude sur les variateurs intelligents de lumière43 : le principe de cette technologie est d'augmenter l'intensité lumineuse selon la présence de personnes sur les lieux. Ce système d'éclairage automatique a été étudié dans plusieurs endroits et il a ainsi été constaté que certaines situations le rendaient inutile, voire néfaste, comme :

    l Son application dans une maison individuelle;

    l Lorsqu'il est employé pour un système de LED, disposant intrinsèquement d'un très faible niveau de consommation énergétique.

    Cette étude a donc mesuré l'énergie nécessaire pour faire fonctionner ce dispositif intelligent, mais également l'énergie économisée grâce à l'ajustement automatique de la variation de lumière. Selon les situations, les résultats ne sont donc pas tous positifs et il est

    43 THE SHIFT PROJECT. Déployer la sobriété numérique. Rapport intermédiaire dirigé par Hugues FERREBOEUF. Janvier 2020.

    43/62

    parfois plus profitable de conserver un système traditionnel d'allumage au vu des dépenses de ressources nécessaires.

    Il peut donc être pertinent de se demander pourquoi vouloir à tout prix «faire de la sobriété». Selon les structures, les raisons sont variées, mais l'on retrouve essentiellement trois cas de figure:

    l La conviction écologique personnelle des membres à l'initiative des projets;

    l Les économies financières générées par la mise en place de dispositifs plus sobres;

    l Les renommées liées à l'appropriation d'enjeux contemporains (menant parfois au greenwashing, en souhaitant se concentrer uniquement sur l'image que cela renvoie).

    L'intérêt financier que représentent les solutions plus sobres n'est pas toujours évident, et c'est d'ailleurs ce qui parfois entrave un projet. Certaines solutions demandent un investissement de départ (achat, dépenses de R&D...) mais permettent une rentabilisation de long terme ; c'est par exemple le cas des usines passant d'un four au gaz à un four électrique. En revanche, d'autres applications ne représentent qu'un coût, sans intérêt économique, comme la systématisation des études d'impact des projets, nécessitant l'embauche d'un salarié dédié et dont le travail sera essentiellement de soulever des points à améliorer (nécessitant alors encore plus de travail de la part du bureau d'études).

    Toutefois, accepter de se saisir des enjeux écologiques et technologiques peut contribuer à la renommée d'une entreprise. Si indéniablement l'intégration des problématiques environnementales participe à une image positive de l'entreprise (puisque cela donne la sensation d'un travail en tenant compte de l'intérêt collectif), le recours à des technologies avancées n'est pas toujours fait dans le même esprit. Pour bénéficier de la renommée de «modernisme» liée à l'utilisation de l'intelligence artificielle, deux modèles s'opposent:

    l L'utilisation de la terminologie d'IA, avec des modèles basiques et traditionnels, existants depuis plusieurs années, comme cela a pu être évoqué plusieurs fois dans les entretiens retranscrits en annexe, dans le but d'être «plus vendeur»;

    l La mise à profit d'un dispositif d'IA avant-gardiste, ayant nécessité de travaux de développement dans le but d'améliorer les performances du dispositif (green AI ou red AI selon les cas).

    Toute la difficulté est donc de savoir, au plus tôt dans le développement, quelles sont les raisons de l'objectif de sobriété affiché, pour regarder les indicateurs adaptés et assurer d'une bonne prise en compte. Pour aider à ce suivi, l'équipe menée par Yoshua BENGIO a travaillé sur le logiciel CodeCarbon : ce module s'intègre dans un code écrit en langage Python pour mesurer son empreinte carbone au fur et à mesure de son exécution. Ce projet a été pensé pour aider les développeurs à s'approprier ces notions en faisant des comparaisons palpables en matière de pollution (par exemple, comparer la pollution d'un algorithme avec un nombre de kilomètres parcourus en voiture). Cette approche, même si elle n'est pas exhaustive et systémique, permet de faire prendre conscience des enjeux et de les quantifier durant la phase

    44/62

    de développement. C'est d'ailleurs pour cette raison que Yoshua BENGIO a remporté en 2018 le prix Turing, considéré comme l'équivalent du prix Nobel pour le domaine informatique.

    Ainsi, trois éléments clés sont centraux dans le développement d'un projet ayant pour objectif une forme de respect de l'environnement:

    l L'étude d'impact et la vérification de la plus-value des travaux;

    l L'établissement d'un ou plusieurs objectifs clairs (greenwashing, utilisation de technologies de pointe, économies financières, réduction des consommations d'eau...) ;

    l La formation et la sensibilité des collaborateurs aux enjeux, afin qu'ils disposent des outils nécessaires à l'auto-critique sur leur travail.

    Dans ce cadre-là, la sobriété peut devenir un impératif central pour la mise en oeuvre d'un projet. Toutefois, il est souvent constaté que les startups disposent rarement de cette organisation car les décisions sont faites rapidement, sans réfléchir longuement aux enjeux gravitant autour. Si le concept de sobriété est indéniablement en accord avec les enjeux environnementaux actuels, elle ne suffit pas et doit être pensée dans un contexte plus large, en accord avec les objectifs d'utilisation de la technologie. Pour contribuer à la fixation de ce cadre, le poids des réglementations officielles peut être déterminant. S'il est aujourd'hui encore léger lorsqu'il s'agit d'être au croisement entre l'IA et écologie, son émergence progressive laisse à penser que des éléments juridiques vont peu à peu venir contraindre les objectifs de développement des entreprises pour qu'ils soient progressivement en accord avec les enjeux contemporains.

    3.2.2. Un cadre réglementaire peu spécifique, n'évaluant pour l'instant pas

    l'impact environnemental des IA

    Afin de garantir une utilisation raisonnée de l'intelligence artificielle dans le but de ne pas surconsommer les ressources environnementales, on peut s'interroger sur le rôle des pouvoirs publics comme régulateurs. En effet, le droit est une solution pour garantir un recours non excessif à ces technologies, afin d'avoir une démarche cohérente avec les enjeux écologiques actuels.

    Il est donc nécessaire de se questionner sur l'échelle de la réglementation. En effet, celle-ci peut avoir lieu à trois niveaux (national, européen, mondial), et selon celui choisi, les conséquences sont différentes. L'instauration d'une réglementation impacte forcément le développement de nouvelles technologies, et donc la compétitivité en matière d'innovation sur le territoire d'application. En ce sens, il serait logique de promouvoir une réglementation mondiale sur l'intelligence artificielle, si le but est de garantir une équité dans la concurrence, mais la faisabilité d'une telle mesure semble inatteignable.

    Actuellement, la principale réglementation pouvant s'appliquer à ce domaine se situe à l'échelle française et s'adresse au secteur privé : il s'agit de la loi REEN44 (Réduire l'Empreinte

    44 Loi REEN : https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000044327272

    45/62

    Environnementale du Numérique) de 2021 régissant le numérique durable. Elle trouve son origine dans la Convention Citoyenne pour le Climat45. Toutefois, l'intelligence artificielle n'est devenue un objet de discussion pour le grand public qu'avec l'arrivée de ChatGPT en 2022. La loi REEN, complémentaire à la loi AGEC46 de 2020, traite donc d'un cadre plus large, touchant à tous les aspects du numérique (et non spécifiquement à l'IA), en s'intéressant notamment aux points suivants:

    l La formation aux enjeux écologiques liés aux technologies numériques, notamment en école d'ingénieur;

    l Le cycle de vie des appareils numériques (recyclage, réemploi...);

    l L'éco-conception d'appareils numériques;

    l La consommation énergétique des data centers (notamment par un allègement des taxes sur l'électricité pour les data centers à faible consommation) ;

    l L'implication des communes de plus de 50 000 habitants dans la stratégie du numérique durable.

    Cependant, une décision forte a été prise par l'Union Européenne en mars 2024. Pour la première fois au monde, une proposition de règlement dédiée à l'intelligence artificielle a été créée (AI Act47), de manière à réguler les technologies qui ne seraient pas respectueuses des droits de l'homme et dignes de confiance. Le texte est toutefois pensé d'utilité sociale, et non écologique. En effet, l'idée est de classifier le degré de risque des intelligences artificielles selon quatre niveaux :

    l Les IA comportant des risques inacceptables (notation sociale, manipulation, reconnaissance faciale...) sont interdites ;

    l Les IA à 'hauts risques» (gestions de données administratives intégrant des données personnelles, applications à la santé...) sont réglementées;

    l Les IA à risque limité (chatbot, IA génératives...) sont soumises à des obligations de transparence;

    l Les IA à faible risque (jeux vidéo, filtres anti-spam...) ne sont pas concernés par le texte.

    Cette loi s'adresse donc aux créateurs de technologie, et non aux utilisateurs. Les modèles développés par les startups y seront donc soumis quelques mois après la validation, la traduction et la publication officielle du texte (la temporalité étant différente selon les mesures). Il est d'ailleurs prévu que des contrôles soient effectués par le futur 'AI Office».

    Aucune réglementation n'existe donc aujourd'hui concernant l'éco-conception des intelligences artificielles. Les seules évaluations en lien traitent de l'impact environnemental du numérique, et l'éthique de l'IA. L'Ecolab du Ministère de la Transition Ecologique a donc proposé

    45 La Convention Citoyenne pour le Climat est une assemblée de citoyens tirés au sort chargée de formuler des propositions pour lutter contre le changement climatique et promouvoir la transition écologique en France.

    46 La loi AGEC (Anti-Gaspillage pour une Économie Circulaire) vise à réduire le gaspillage, encourager le recyclage et promouvoir une économie circulaire en France.

    Loi AGEC : https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000041553759

    47 AI Act : https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX:52021PC0206

    46/62

    un partenariat avec l'AFNOR48, à l'initiative de Juliette FROPIER (cf. entretien en annexe 6), la mise en place d'un groupe de travail sur l'IA frugale. Ces réflexions, débutées en décembre 2023, ont pour but de créer une liste de bonnes pratiques afin de diminuer l'impact environnemental des modèles d'intelligence artificielle, mais également de créer un référentiel normatif permettant leur évaluation. L'idée est donc de proposer un certain nombre de critères, à la fois qualitatifs et quantitatifs, pour pouvoir établir un cadre juridique engendrant ainsi une éventuelle certification des algorithmes.

    Ces travaux français ont pour but ultime d'arriver au niveau européen. L'AFNOR ayant l'habitude de travailler sur la proposition de normes à l'échelle continentale, il a donc semblé cohérent de les avoir comme partenaire pour le Ministère afin de créer un produit pouvant avoir un large impact.

    Il n'existe donc actuellement aucun cadre réglementaire dédié à l'impact environnemental des intelligences artificielles. Même si ces interrogations sont de plus en plus courantes dans les pratiques de développement informatique et d'utilisation des modèles, il n'en reste pas moins qu'aucune institution n'a créé pour l'instant de critères pour leur évaluation.

    Le plus souvent, on retrouve uniquement l'intelligence artificielle comme un moyen d'atteindre des objectifs dans d'autres domaines. C'est par exemple le cas des décrets BACS49 et Tertiaire50 créés dans un but de sobriété énergétique : les modèles d'IA sont alors de bons moyens d'analyse des consommations pour anticiper les besoins et mettre en place une rationalisation du fonctionnement des appareils (cf. les exemples en annexes 3 et 4). On peut également retrouver des textes imposant des mesures d'impact plus globales comme la taxonomie européenne51 et la CSRD52 (Corporate Sustainability Reporting Directive) qui impose de regarder les effets sur l'environnement des activités humaines, mais sans jamais aborder spécifiquement le sujet de l'intelligence artificielle.

    Il est donc évident que le cadre réglementaire actuel est léger et ne pose pas des critères d'évaluation adaptés spécifiquement à l'IA. Ces technologies, très novatrices, sont donc peu contraintes et laissent ainsi aux acteurs le libre arbitre sur l'appréciation de l'impact environnemental des solutions. Les acteurs publics commencent donc, depuis peu, à s'emparer de ces sujets, mais la création d'un cadre juridique impose un temps long de réflexion et de rédaction.

    Pour fixer un contexte incitatif ou coercitif des technologies d'IA aux startups, il est alors indispensable de considérer un environnement plus large intégrant l'ensemble des parties prenantes. Même si les acteurs sont de tailles et natures variées, il n'en reste pas moins qu'ils ont tous un rôle à jouer dans l'établissement d'une IA plus sobre et plus vertueuse.

    48 AFNOR : Association Française de NORmalisation

    49 Decret BACS : https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000042128488/

    50 Decret Tertiaire : https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000038812251

    51 Taxonomie européenne : https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32020R0852

    52 CSRD : https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32022L2464

    47/62

    3.3. La transition écologique : un objectif commun nécessitant une collaboration élargie

    Au vu de l'ampleur de la tâche que représente la transition écologique, l'action doit être à la fois individuelle et collective. Les startups ne sont donc qu'un des ingrédients de l'écosystème permettant le changement. La collaboration entre les structures est alors un facteur indéniable contribuant à la réussite des projets. Les relations entre les parties prenantes doivent donc être prises en compte pour trouver un équilibre dans la définition du cadre de développement des technologies.

    3.3.1. Startups et institutions publiques : quand le soutien devient gage de

    stabilité

    La France, mais également l'Europe, présente la particularité de ne pas disposer de «géants du numérique». La thématique de l'intelligence artificielle est donc portée par une importante diversité d'acteurs, en grande majorité des startups, dont la visibilité individuelle est relativement faible. Même si les initiatives sont nombreuses, il n'empêche qu'elles sont éparpillées et sont rarement centralisées par une voix unique. Dans ce contexte, l'intervention d'acteurs publics permet d'unifier les propos, mais également de leur donner de la visibilité.

    Il n'existe actuellement pas d'entreprise leader dans le domaine de l'intelligence artificielle en France ou en Europe pouvant rivaliser avec les concurrents américains, ou encore chinois. La seule entreprise ayant une visibilité mondiale relative est OVHcloud, dont la spécialité est la gestion des data centers, mais qui représente seulement 1 % du marché mondial contre plus de 40% pour Amazon Web Services par exemple.

    Pour autant, la France n'est pas considérée comme un acteur mineur du secteur. Simplement, ce n'est pas son poids qui fait sa force, mais son expertise et sa pluralité d'actions. Pour contribuer au maintien de cette position, l'Etat français a donc enclenché plusieurs initiatives parmi lesquelles on retrouve le l'IA Booster France 2030 ou PEPR IA53 depuis mars 2024.

    L'objectif de ce dernier programme est de donner des moyens de développement à des projets en intelligence artificielle permettant d'atteindre un objectif de durabilité, de transition écologique, et/ou de souveraineté technologique. A la suite d'un appel à projet, plusieurs initiatives ont été choisies et ont bénéficié d'une enveloppe globale sur 6 ans de 73 millions d'euros. Le but ultime est donc bien de contribuer au développement de nouvelles technologies d'intelligence artificielle, et non à l'identification de nouveaux cas d'application. Les actions choisies sont donc organisées selon trois axes thématiques :

    l L'IA frugale ;

    53 Programme et Équipements Prioritaires de Recherche en Intelligence Artificielle (PEPR IA)

    l

    48/62

    L'IA de confiance;

    l Les fondements mathématiques de l'IA.

    En parallèle de ce travail, de plus en plus de collectivités territoriales tentent de s'approprier ces nouveaux outils, et de le faire grâce à des acteurs locaux. Alors que jusqu'à présent la majorité des solutions d'intelligence artificielle déployées étaient faites grâce aux géants américains, de plus en plus d'initiatives sont désormais portées par les startups.

    Certains projets sont indépendants, c'est par exemple le cas de l'Atlas des Synergies Productives, porté par OpenStudio et l'Université de Clermont-Ferrand. Le système d'IA a alors pour but de centraliser l'ensemble des acteurs économiques d'un territoire de manière à aider les collectivités à identifier des partenaires pertinents lors de leur prise de décision. Ce projet répond donc à trois objectifs simultanés :

    l La promotion et la visibilité d'acteurs économiques de petite taille;

    l L'incitation à l'établissement de partenariats entre les pouvoirs publics et les entreprises locales, valorisant ainsi les «circuits courts» et limitant les dépendances internationales (questions de souveraineté) ;

    l L'utilisation de l'IA pour la cohésion des territoires.

    Au-delà de cet exemple isolé, c'est tout un système qui tente de s'orienter vers une nouvelle forme de souveraineté. L'Ecolab, où travaille Juliette FROPIER (cf. annexe 6), est au coeur de ces mises en relation. À travers des initiatives proposées par le ministère ou des appels à projet, des actions se développent pour accompagner la transformation des collectivités et les aider dans l'appropriation de cette nouvelle technologie. Les sujets sont donc extrêmement variés, allant de la création de nouveaux indicateurs pour l'évaluation de la transition écologique, à la création de liseuses intelligentes permettant de parcourir rapidement des rapports pour faciliter le travail des autorités environnementales.

    Si cette approche crée un lien entre les acteurs publics et privés, il ne reste pas moins que leur fonctionnement est extrêmement différent et que la communication n'est pas toujours fluide puisque les méthodes de travail sont éloignées. Ne serait-ce que la gouvernance des données est une difficulté puisque les acteurs publics n'ont souvent pas pour habitude de centraliser leurs informations dans des fichiers informatiques avec l'objectif ultérieur de les analyser.

    Toute la difficulté reste donc de trouver des points d'entente, mettant d'accord les différentes parties prenantes, et permettant de se raccrocher à des connaissances communes. Pour cela, il faudrait donc des indicateurs globaux, permettant une évaluation sur des critères objectifs, et garantissant ainsi la qualité des propositions. Actuellement, Ecolab (via le prix GreenTech innovation) n'est qu'un appel à projet, avec des lauréats, mais n'est pas un label. La différence intrinsèque est qu'un label sera accordé lorsque des critères d'évaluation seront validés, tandis que les lauréats sont seulement les meilleurs parmi un certain nombre de propositions ; ces derniers ne garantissent donc pas l'atteinte dans certains niveaux d'exigence (même si Ecolab peut se l'imposer).

    49/62

    C'est notamment pour cela que les pouvoirs publics ont décidé de se saisir des enjeux. Si l'on sait aujourd'hui parfaitement évaluer les performances d'une intelligence artificielle, il est bien plus dur d'évaluer son caractère frugal et respectueux de l'environnement. Le Ministère de la Transition Ecologique a donc initié un travail conjoint avec l'AFNOR pour créer un cadre réglementaire unique permettant de disposer d'indicateurs objectifs (dans l'idée des objectifs SMART54). Il serait alors possible de disposer d'un langage commun pour choisir telle ou telle technologie et de s'assurer de sa qualité.

    L'objectif ultime de ce travail va toutefois bien au-delà de la création d'un référentiel normatif français. Le but serait de l'intégrer dans un contexte juridique européen, où l'AFNOR serait donc à l'initiative pour créer une réglementation inédite, permettant à l'échelle continentale d'évaluer la frugalité des intelligences artificielles. Les premières réflexions au niveau français ne datent que de décembre 2023, il est évident que des résultats européens n'arriveront pas avant plusieurs années. Pour autant, il est certain que la visibilité des institutions européennes peut avoir un impact majeur sur l'évolution du marché de l'intelligence artificielle, instaurant progressivement dans les esprits que la frugalité des IA n'est pas une option mais une obligation pour un monde soutenable.

    Cette approche serait également plus cohérente dans un univers tripolaire. L'Europe se positionnerait alors comme précurseur face à la Chine et aux États-Unis pour proposer une nouvelle manière de penser l'IA, de la même manière qu'elle a pu impulser l'importance de la sécurité des données avec le RGPD55. Le poids des acteurs français et européen en intelligence artificielle sur le marché mondial doit donc être supporté par les pouvoirs publics compte tenu de leur taille et de leur pluralité. L'organisation du secteur en Europe est particulièrement différente du reste du monde au vu de la variété d'acteurs, ce qui interroge sur la capacité à instaurer un dialogue avec les «géants du numérique» guidés par les MAAMA56.

    3.3.2. Se faire entendre au milieu des géants : les grandes entreprises, à la fois

    amies et ennemies

    Ce qui fait la particularité du secteur de l'intelligence artificielle en France et en Europe est le tissu d'entreprises qui le compose. Cette multitude de micro-acteurs s'oppose aux quelques géants du numérique, essentiellement américains, dont le pouvoir d'action est bien plus étendu. Toutefois, les startups et les multinationales peuvent entretenir des relations et s'entraider.

    A l'heure actuelle, leur lien est essentiellement financier : Les grandes entreprises donnent financent, tandis que les petites créent de nouvelles technologies. Ces dernières sont donc les sources d'innovation qui peuvent alimenter la réflexion des multinationales. Pourtant, il faut rester lucide car la relation établie est rarement complètement équitable : ce sont souvent les grandes entreprises qui vont contacter des startups, et leur seul pouvoir sera alors d'accepter ou de refuser la proposition. C'est par exemple l'approche de Microsoft, qui travaille

    54 Un objectif SMART est un objectif Spécifique, Mesurable, Atteignable, Réaliste et Temporel (limité dans le temps).

    55 RGPD : https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX%3A32016R0679

    56 MAAMA (anciennement GAFAM) : Microsoft, Alphabet (ex-Google), Amazon, Meta (ex-Facebook), Apple

    50/62

    avec un nombre de structures limité mais extrêmement ciblé. Microsoft veut ainsi essentiellement acquérir les compétences en interne en mettant en place des alliances très fortes avec certaines startups, afin de faciliter le transfert de compétences. C'est par exemple ce qui a été fait pour leur partenariat avec ChatGPT ou G4257.

    Les liens financiers qui gravitent dans le domaine de l'intelligence artificielle sont loin d'être négligeables : en 2022 il représentait 175 milliards de dollars58. Cette valeur a fortement augmenté depuis une quinzaine d'années, proportionnellement à l'essor de la technologie. Les acteurs sont donc de plus en plus nombreux à vouloir investir dans le domaine pour s'assurer de rester à la pointe. IBM a par exemple lancé fin 2023 un fond de capital-risque nommé IBM Entreprise AI Venture Fund spécialisé en intelligence artificielle et doté de 500 millions de dollars. L'idée de ce fond est d'identifier des startups en phase de démarrage ou d'hypercroissance dans le domaine de l'IA (en favorisant l'IA générative), afin de soutenir leur projet d'innovation, de tenter de les faire grossir, et de favoriser le développement de nouvelles solutions informatiques. Cette stratégie de soutien aux startups a donc pour ambition d'aider IBM à rester avant-gardiste dans le domaine.

    De la même manière, la branche philanthropique de Google, nommée Google.org, s'est dotée d'un fonds de 20 millions de dollars59 pour soutenir des projets en intelligence artificielle. Il ne s'agit pas là de soutenir spécifiquement des startups ; l'idée est avant tout de se centrer sur des projets mettant en avant des moyens éthiques et inclusifs pour penser la technologie.

    On remarque donc dans ces exemples que l'écologie n'est pas un sujet. Si l'avant-gardisme de l'intelligence artificielle plait, il est clair que sa frugalité n'est pas considérée à grande échelle. Christophe PHAM évoquait cela dans l'entretien en annexe 1 : les grandes entreprises commencent tout juste à se saisir des enjeux écologiques, ce qui permet donc d'avancer, ce sont les «éclaireurs» déjà présents, dont les convictions sont en avance sur celles de leur direction, et qui tentent d'agir à leur échelle. Il a ajouté la métaphore suivante : «Nous n'avons pas tous les mêmes maillots, mais nous sommes dans la même équipe», en signifiant que ces individus isolés dans les multinationales mettent en place des actions, avec des acteurs externes pour tenter de faire changer leur organisation de plus en plus vite.

    On peut supposer que le changement de direction de l'intelligence artificielle vers un horizon plus écologique peut effrayer ses grands groupes. En effet, comme le signale Gille ALLAIN en annexe 5, ce sont eux qui génèrent et gèrent l'essentiel des données du monde ; une IA plus frugale représenterait donc une perte financière indéniable. Si Amazon est la première entreprise du monde dans le cloud60, il est évident qu'elle n'a aucun intérêt à ce que l'intelligence artificielle se passe de données trop rapidement.

    57 https://www.g42.ai/

    58 DELESTRE, Sheelah. Valeur des investissements des entreprises dans le secteur de l'intelligence artificielle dans le monde entre 2013 et 2022. Statista. 17 octobre 2023.

    59 DEFER, Aurélien. Google crée un fond de 20 millions de dollars pour une intelligence artificielle responsable. L'Usine Digitale. 11 septembre 2023.

    60 Le cloud désigne le stockage des données en ligne, cela mobilise donc beaucoup de serveurs.

    51/62

    C'est donc en cela que les géants du numérique peuvent imposer leur vision dans le secteur : ils sont très largement dominants, et l'essentiel des startups européennes dépend d'eux.

    Il subsiste par ailleurs une interrogation quant à la compétitivité des acteurs économiques et technologiques européens ; leur disparité les affaiblit et diminue leur visibilité. Par ailleurs, l'arrivée de l'AI Act interroge sur les contraintes qui seront mises en matière d'innovation dans le secteur alors qu'il s'agit de sa principale force aujourd'hui. Cela pourrait alors générer un retard des acteurs européens dans certains domaines difficiles à expérimenter à cause du cadre réglementaire, mais qui prendraient de l'ampleur à l'échelle mondiale. Si cette réflexion n'est que purement spéculative, il n'en reste pas moins qu'elle doit être prise en compte pour imaginer les relations futures entre les entreprises partout dans le monde contribuant au développement de l'intelligence artificielle.

    52/62

    Formulation de préconisations

    Si ce mémoire a soulevé de nombreuses interrogations, plusieurs pistes de solutions peuvent être envisagées dans le but de concilier écologie et intelligence artificielle dans cet écosystème particulier.

    Intégrer les limites posées par les ressources naturelles

    Actuellement, les pratiques dans tous les domaines donnent l'illusion de ressources illimitées sur la planète, or la grande majorité de celles utilisées dans le numérique ne sont pas renouvelables, comme ce peut-être le cas du lithium par exemple. Si leur recyclage et leur réemploi sont encore limités, il est indéniable que c'est une voie à suivre et à approfondir. Pour autant, il est surtout indispensable de prendre conscience de l'existence de cette limite matérielle pour enclencher dès maintenant un processus de sobriété. Les entreprises doivent apprendre à faire avec l'existant (ne pas avoir besoin de la dernière mise à jour ou de la dernière technologie de processeur) pour éviter de se retrouver forcées d'arrêter leur développement à cause d'un épuisement des ressources.

    Cette réflexion doit également opérer dans l'imagination même des projets. La sobriété est loin d'être incompatible avec le progrès technique puisqu'elle nécessite de réinventer nos modes de vie et nos pratiques. Il faut toutefois les penser en limitant les ressources nécessaires pour chacune des nouvelles solutions créées. Il faut donc par exemple arrêter de créer des modèles universels, qui doivent être les plus polyvalents possible, et qui sont colossaux, avec un apprentissage sur une variété de données immense. Mieux cibler les objectifs d'un projet permet de limiter les ressources à utiliser, d'apporter des résultats de meilleure qualité, tout en satisfaisant les besoins.

    Pour cela, il est indispensable non seulement d'assurer la prise de conscience des utilisateurs, mais également celle des créateurs de la technologie. Bon nombre de développeurs informatiques n'ont pour l'instant pas conscience de cette problématique, et même si leurs compétences leur permettent de créer un algorithme «sobre», ils ne le font pas car ce n'est pas dans leurs habitudes. Une sensibilisation est donc indispensable. Actuellement, on observe essentiellement cette réflexion sur les questions éthiques : la transparence des algorithmes et la sécurité des données sont devenues des paramètres incontournables en l'intelligence artificielle. Le cadre juridique se durcit progressivement dans le domaine, mais ce n'est pas encore le cas de l'écologie. Si cela interroge les priorités de notre société, on peut également se demander si ce n'est pas aux entreprises d'être proactives. D'ailleurs, celles qui seront précurseurs dans ce domaine seront vraisemblablement mises en valeur pour leurs convictions et leurs choix presque avant-gardistes pour l'intérêt général.

    53/62

    Construire un business model cohérent

    Une startup dispose de nombreux arguments pour inciter à la vente de son produit. Lorsqu'elle mène des projets «à impact», le bénéfice écologique ou social que celui-ci apporte en fait partie. Toutefois, un grand nombre des entreprises se définissant comme startup sont également des entreprises à forte croissance. Cette vision économique de la rentabilité interroge donc sur sa compatibilité avec l'objet même de la prestation réalisée. Il semble contradictoire de multiplier le démarchage commercial. Susciter le besoin auprès de prospects incite plutôt à faire perdurer la société de consommation et ne va pas dans le sens de la sobriété.

    Il est alors indispensable de systématiser la réflexion portant sur le calcul du coût de déploiement de la solution. Ce coût doit être à la fois écologique, social et économique. Si la dimension économique ne peut pas être occultée dans notre société actuelle, elle ne doit pas non plus mener à une contradiction avec les enjeux environnementaux. Une entreprise ne doit ainsi pas changer l'ensemble de son système de régulation de sa consommation énergétique simplement parce que le commercial venu lui présenter une nouvelle technologie était convaincant. Même si des économies d'énergie peuvent être réalisées, il faut également penser que la mise en oeuvre de ce nouveau dispositif va solliciter des ressources (des capteurs, des câbles, des données...), et c'est donc un calcul de coût plus global qui doit être considéré.

    Il paraît donc difficilement compatible qu'une startup de la greentech puisse mettre en avant ses convictions tout en déployant d'énormes moyens pour assurer son hypercroissance. Cela ne signifie pas que l'entreprise ne peut pas se développer, simplement, cela ne peut pas être fait si cela est en contradiction avec des arguments écologiques. Le développement peut même parfois être bénéfique : en créant une nouvelle antenne, une entreprise peut se déployer sur un nouveau territoire apportant sa solution éco-responsable sur une nouvelle région. Le développement doit être progressif, adapté et ne doit pas être forcé et accéléré.

    En outre, il est important que les entreprises intègrent l'effet rebond comme une composante de leur étude d'impact. Certes, des économies de ressources doivent être réalisées, mais elles doivent l'être même si l'outil devient plus utilisé. Indéniablement, chaque entreprise doit faire son possible pour éviter l'effet rebond (pouvant presque être pris comme symbole de la société de consommation) de la part des utilisateurs, mais une part résiduelle sera forcément à intégrer dans les études préalables.

    Tenir compte de l'environnement mondial sur le long terme

    Si l'environnement français et européen de l'intelligence artificielle n'est constitué que de startups, il s'intègre toutefois dans un cadre mondial bien plus divers. Force est de constater qu'il est impossible pour ces micro-acteurs de rivaliser avec les géants du numérique étrangers. Face à la puissance colossale que représente Amazon, Google, ou Microsoft, les startups européennes doivent donc penser différemment pour continuer à proposer des solutions innovantes afin de bâtir le monde de demain tout en ayant conscience de leur poids.

    54/62

    Les financements en France et en Europe ne sont pas à la hauteur de ceux présents sur le territoire américain. La force de frappe financière des MAAMA est bien plus importante et tenter de rivaliser est utopique. Il semble donc plus pertinent de mettre à profit nos atouts existants. Multiplier les financements de startups n'est donc peut-être pas la solution pour rester précurseurs dans le domaine de l'intelligence artificielle. En revanche, mettre à profit l'intelligence collective et valoriser les synergies entre les différents acteurs de cet univers peut être une force en matière d'innovation. La collaboration et l'intelligence collectives sont probablement le meilleur moyen de faire prendre de l'ampleur aux solutions technologiques et de susciter la créativité. C'est donc sur cet axe que des moyens publics doivent être déployés.

    Chercher à rattraper un retard déjà pris n'est pas forcément une solution. Par exemple, la startup française Mistral AI a tenté de développer une plateforme pouvant rivaliser avec ChatGPT. Pour autant, elle reste en retard et il sera bien difficile de faire changer les habitudes des utilisateurs quotidiens de ChatGPT., il paraît donc plus pertinent de vouloir répondre à un nouveau besoin, peut-être proche de l'objectif initial, que de tenter de réinventer l'existant. Par exemple, Mistral AI pourrait mettre à profit ses connaissances pour devenir la meilleure IA dans le domaine de la santé, ou de l'éducation, afin d'avoir une cible d'utilisateurs dédiée.

    Dans cet environnement mondial, il ne faut également pas oublier l'ancrage de l'essentiel de ces startups. La grande majorité d'entre elles ont pour objectif un rayonnement français, éventuellement européen, mais rarement plus large. A ce titre, il semble donc plus pertinent d'adapter les pratiques à la vision. Si les Européens accordent une plus grande importance à la transparence que les Américains, il est donc indispensable que les entreprises européennes fassent preuve de transparence pour pouvoir se développer sur leur territoire. La conscience écologique en France se développe bien plus vite que celle des États-Unis, recentrer son marché et s'y adapter peut donc être une solution pour s'assurer de répondre aux demandes des utilisateurs.

    55/62

    Conclusion

    L'intelligence artificielle est actuellement dans une phase d'essor, à la fois technologique et économique, et entraîne avec elle la croissance de tout un marché. Le rythme de la recherche scientifique s'est intensifié et le grand public commence tout juste à saisir l'impact que ce nouvel outil peut avoir. Ce rapport avait donc pour objectif de regarder la compatibilité de ce nouveau secteur aux enjeux environnementaux pour lesquels la prise de conscience croit tout autant.

    Si de plus en plus d'acteurs s'intéressent à l'intelligence artificielle et à ses potentialités, il en est de même pour l'écologie. Il devient désormais rare de considérer un projet sans s'intéresser à son impact, afin de s'assurer de limiter ses coûts financiers, mais également humains et environnementaux. Lorsque l'on regarde l'impact écologique de l'intelligence artificielle, il est rapidement évident qu'une grande partie du coût est lié au matériel utilisé. Si faire fonctionner un algorithme nécessite une alimentation électrique, il est impossible de négliger le poids que vont représenter les serveurs, les ordinateurs, les capteurs, etc. Pour avoir des performances croissantes, de plus en plus de données sont utilisées et du matériel de plus en plus exigeant est fabriqué (notamment avec le deep learning), ce qui va à l'encontre des nécessités écologiques.

    S'il est possible d'étudier la compatibilité entre l'intelligence artificielle et l'écologie, il est indispensable de prendre en compte le contexte dans lequel ces éléments interagissent. Celui de la France, qui est également celui de l'Europe, et dirigé par l'univers des startups. Alors que dans le reste du monde, et notamment aux États-Unis, l'IA est guidée par les géants du numérique (avec les MAAMA en tête), le vieux continent voit plutôt son secteur porté par une pluralité et une diversité de micro-acteurs.

    Cette organisation originale permet de multiplier les initiatives et l'innovation : elle est propice au développement de solutions variées, avec des applications dans de nombreux domaines. En revanche, cela limite sa structuration, et en fait un ensemble protéiforme. Au sein de cette variété d'entreprises résident alors deux lignes technologiques directrices :

    l Le Green IT, dont l'objectif est de penser l'IA et le matériel nécessaire différemment, dans le but de limiter l'impact des pratiques;

    l L'IT for Green, dont le concept est de trouver des applications dans lesquelles l'IA peut apporter une solution améliorant l'impact environnemental.

    Dans les deux cas, l'essentiel est d'arriver au net zero : le recours au nouvel outil ne doit pas avoir suscité plus d'impact que la solution précédemment utilisée. Il est donc indispensable, au-delà des développements scientifiques, d'assurer la mesure des coûts des solutions proposées. Si un système d'irrigation se met à être structuré grâce à une intelligence artificielle mais que les économies d'eau générées sont entièrement consommées pour le rafraîchissement des data centers, cette solution ne présente pas d'intérêt écologique.

    Dans l'idéal, le Green IT et l'IT for Green sont conjointement mis en oeuvre pour réduire au maximum les impacts. À l'heure actuelle, la majorité des startups sont séparées entre ces

    56/62

    deux doctrines, et une minorité arrive à les traiter conjointement. Pour autant, rares sont les entreprises qui sont indifférentes à un des deux éléments, elles définissent généralement une priorité, leur permettant d'assurer la rentabilité de leur modèle. La difficulté de ces petites structures réside donc dans leur stabilité économique, dont les moyens réduits ne permettent pas d'avoir un travail sur plusieurs dimensions en parallèle.

    En outre, il ne faut pas oublier que l'intelligence artificielle est un sujet récent, dont le spectre est encore mal défini. S'il reste compliqué d'appréhender ce que l'intelligence artificielle sera demain, il faut comprendre que nous nous appuyons actuellement sur ce que nous connaissons : le numérique. L'essentiel du cadre économique et législatif dans lequel ces entreprises évoluent s'appuie sur les modèles développés dans les années 90 et 2000 pour l'informatique. Le secteur manque donc cruellement d'un ancrage dédié puisqu'il ne s'agit plus d'un nouveau matériel mais bien d'une manière disruptive de fonctionner. L'intelligence artificielle modifie à la fois le travail des entreprises, mais également les pratiques des individus.

    L'Union Européenne se positionne comme précurseur mondial en proposant l'AI Act, mais réalise également un saut dans l'inconnu. Il existe actuellement peu de labels, ou de normes régissant l'intelligence artificielle dans le monde. Si ceux-ci commencent à se développer pour les questions d'éthique et de responsabilité sociale, nous sommes encore loin d'avoir un cadre s'intéressant aux impacts environnementaux. Cela interroge d'ailleurs sur la priorité qui est mise sur l'écologie dans le développement de ces technologies. Le Ministère de la Transition Ecologique et l'AFNOR commencent d'ailleurs tout juste à s'approprier ce sujet dans le but de mettre en place un ensemble de normes permettant d'avoir un référentiel en IA frugale.

    La jeunesse de ce secteur explique ses lacunes, notamment à cause du manque de formation et de sensibilisation des acteurs impliqués. Si bon nombre d'organisations veulent s'approprier l'intelligence artificielle, peu d'entre elles disposent des outils et compétences nécessaires pour le faire. Il est donc encore difficile de manipuler ce sujet, et encore plus d'en déterminer les impacts.

    Or, de plus en plus d'acteurs veulent avoir un rôle dans ce domaine. Qu'il s'agisse des grandes et des petites entreprises, des structures privées ou publiques, les demandes se multiplient mais la formation des individus ne va pas aussi vite. Ce secteur d'activité a donc besoin de temps pour se structurer alors que pour l'instant aucune organisation européenne ne semble leader sur le marché. Le fait de ne pas disposer d'une ou plusieurs structures suffisamment massives et disposant des compétences nécessaires maintient l'activité désordonnée. En outre, les multinationales déjà présentes imposent partiellement leur vision et leurs pratiques. La majorité des startups dépendent de ces entreprises et se voient donc contrainte de conserver de bonnes relations avec elles.

    Actuellement, la médiatisation dont bénéficie l'intelligence artificielle génère une effervescence des entreprises, mais également du grand public, dans le but de s'approprier cette

    57/62

    nouvelle technologie. Il est avant tout indispensable de regarder si cet engouement va persister sur le long terme, et si les perspectives scientifiques permettent de considérer cette nouvelle technologie comme disruptive.

    Seuls les acteurs connaissant le sujet depuis plusieurs années arrivent pour l'instant à prendre le recul nécessaire pour s'interroger sur les impacts. On peut donc espérer qu'une fois la vague de médiatisation passée, la question des externalités liées à l'intelligence artificielle va se poser. Si elle commence actuellement à émerger dans le domaine de l'éthique, elle n'est presque pas présente pour l'écologie. L'objectif à terme serait ainsi que l'IA ne soit pas une solution systématique mais que son recours soit réfléchi de manière à ce qu'elle ne soit sollicitée que lorsque son impact est négatif.

    Ainsi, une grande partie du changement nécessaire à opérer pour aller dans le sens de l'écologie et de la sobriété dépend des utilisateurs finaux, et non exclusivement des startups, qui sont les créatrices de technologie. Leur taille et leur diversité ne leur permettent pas d'avoir un discours unique, et laisse la porte ouverte aux géants du numérique américains. S'il est indéniable que cette variété de petits acteurs permet un foisonnement de l'innovation, à la fois dans le fonctionnement des modèles, dans le matériel, et dans les applications, elle est également à l'origine d'une instabilité économique qui empêche pour l'instant la diffusion massive des impacts écologiques.

    58/62

    Liste des entreprises françaises évoquées

    ITfor Green:

    Accenta : L'entreprise a pour objectif d'utiliser l'intelligence artificielle pour optimiser l'utilisation du géostockage et adapter son recours à la consommation énergétique nécessaire. s https://www.accenta.ai/

    Eficia : L'entreprise a développé des modèles d'analyse des données de consommation pour réguler le fonctionnement des appareils de chauffage et climatisation des bâtiments.

    s https://eficia.com/

    Firetracking : L'entreprise surveille des forêts grâce à des analyses vidéo dans le but de détecter des départs de feux, de les localiser et d'informer les secours au plus vite.

    s https://firetracking.io/

    Qonfluens : L'entreprise de conseil en environnement permet de réaliser des analyses afin d'étudier les modélisations d'espaces, les risques environnementaux et l'analyse de données en lien avec l'écologie.

    s https://www.qonfluens.com/

    Skyvisor : L'entreprise propose un système d'inspection des éoliennes et panneaux solaires à l'aide de drones équipés de caméras afin d'analyser les images et anticiper la maintenance. s https://fr.skyvisor.fr/

    Ullmanna : L'entreprise a conçu un robot pouvant reconnaître les plantes à désherber dans un champ à partir d'images et guider des lames pour les retirer.

    s https://www.ullmanna.eu/

    Green IT :

    DeepHawk : L'entreprise a créé un algorithme de détection des défauts à partir d'analyse d'images (classiques, rayons-X, thermiques, microscopiques...) sur les chaînes de production. s https://www.deephawk.ai/

    Deepl : La startup allemande offre un outil de traduction en ligne basé sur l'intelligence artificielle et dont les serveurs se veulent de plus en plus éco-responsables.

    s https://www.deepl.com/fr/translator

    Infogreen Factory : L'entreprise offre des prestations de diagnostic, de conseil et de formation pour faciliter la mise en place du numérique durable et éco-responsable.

    s https://infogreenfactory.green/

    Stratosfair : L'entreprise construit des data centers qui sont pensés pour être vertueux et implantés pour répondre aux besoins locaux. [Stratosfair a été liquidée en 2023] s https://lorient-technopole.fr/entreprises/stratosfair/

    59/62

    Bibliographie et sitographie

    ADEME. Transition(s) 2050. Choisir maintenant, agir pour le climat. Horinzons. Novembre 2021.

    ADEME. Arcep. Evaluation de l'impact environnemental du numérique en France et analyse prospective. Note de synthèse. 19 janvier 2022.

    BLANC, Christian. Pour un écosystème de la croissance. Rapport au Premier Ministre. 2004.

    BPIFRANCE. FRANCE DIGITALE. MOUVEMENT IMPACT FRANCE. Mapping 2023 des startups françaises à impact : les startups françaises à impact ont levé près de 10 milliards d'euros depuis leur création. Communiqué de presse Bpifrance. 23 novembre 2023.

    CEPREMAP. L'environnement et les Français, préoccupations et pratiques. Notes de l'Observatoire du Bien-être n°2022-13. 14 novembre 2022.

    CNRS. IA : des ambitions européennes [En ligne]. CNRS Info. 14 mars 2022. Disponible sur : https://www.cnrs.fr/fr/actualite/ia-des-ambitions-europeennes

    DAUMAS Louis, « L'effet-rebond condamne-t-il la transition à l'échec?», Regards croisés sur l'économie, 2020/1 (n° 26), p. 189-197.

    DEFER, Aurélien. Google crée un fond de 20 millions de dollars pour une intelligence artificielle responsable. L'Usine Digitale [En ligne]. 11 septembre 2023. Disponible sur : https://www.usine-digitale.fr/article/google-cree-un-fonds -de-20-millions-de-dollars-pour-imaginer-une-intelligence-artificielle-responsable.N2169717

    DELESTRE, Sheelah. Valeur des investissements des entreprises dans le secteur de l'intelligence artificielle dans le monde entre 2013 et 2022. Statista [En ligne]. 17 octobre 2023. Disponible sur : https://fr.statista.com/statistiques/ 1360435/valeur-investissements-des-entreprises-dans-l-intelligence-artificielle-monde/

    FLECHER, Marion. Les startups : un cas d'étude pour analyser les transformations du monde du travail, des organisations et des entreprises à l'ère numérique. SES, ENS Lyon [En ligne]. 30 juin 2022. Disponible sur : https://ses.ens-lyon.fr/articles/les-startup-un-cas-detude-pour-analyser-les-transformations-du-monde-du-travail-de s-organisations-et-des-entreprises-a-lere-numerique

    FREIRE-GONZÁLEZ, Jaume. A new way to estimate the direct and indirect rebound effect and other rebound indicators. Energy, 2017, vol. 128, p. 394-402.

    GAUDIAUT Tristan. Le pays qui héberge le plus de data centers. Statista [En ligne]. 07 octobre 2022. Disponible sur: https://fr.statista.com/infographie/24147/pays-avec-le-plus-de-data-centers-centres-de-donnees/

    GILLINGHAM, Kenneth, RAPSON, David, et WAGNER, Gernot. The rebound effect and energy efficiency policy. Review of environmental economics and policy, 2016.

    GOURDON, Hugo. Un nouveau record de créations d'entreprises en 2020 malgré la crise sanitaire. INSEE Première, no 1837. 03 février 2021.

    GRAEDEL, Thomas E., HARPER, Ermelina M., NASSAR, Nedal T., et al. Criticality of metals and metalloids. Proceedings of the National Academy of Sciences, 2015, vol. 112, no 14, p. 4257-4262.

    GREENTECH INNOVATION. Lancement du groupe de travail : impact environnemental de l'IA organisé en collaboration avec l'AFNOR !. 17 janvier 2024. Disponible sur : https://greentechinnovation.fr/2024/01/17/lancement -du-groupe-de-travail-impact-environnemental-de-lia-organise-en-collaboration-avec-lafnor/

    INSEE. Les entreprises de France. INSEE Références. Edition 2021. 01 décembre 2021.

    LEYTON. KANTAR. Baromètre de l'innovation 2021. Global Innovation Summit.

    60/62

    LORIENT TECHNOPOLE. STRATOSFAIR - Lancement de la construction du 1er Datacenter local, souverain et bas carbone !. 25 février 2022. Disponible sur : https://lorient-technopole.fr/actualites/stratosfair-lancement-construction-datacenter-local-souverain-et-bas-carbone/

    LUCCIONI, Alexandra Sasha, VIGUIER, Sylvain, et LIGOZAT, Anne-Laure. Estimating the carbon footprint of bloom, a 176b parameter language model. Journal of Machine Learning Research, 2023, vol. 24, no 253, p. 1-15.

    MAILLARD, Vincent. Climat : IA qu'à, faut qu'on ?. Les Echos [En ligne]. 18 mars 2024. Disponible sur : https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/opinion-climat-ia-qua-faut-quon-2083395

    MINISTERE DE L'ENSEIGNEMENT SUPERIEUR DE LA RECHERCHE. PEPR intelligence artificielle : la recherche française à la pointe. France 2030 [En ligne]. 25 mars 2024. Disponible sur : https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/fr/pepr-intelligence-artificielle-la-recherche-francaise-la-pointe-95298

    MINISTERE DE LA TRANSITION ECOLOGIQUE. Indice de réparabilité [En ligne]. 13 mai 2024. Disponible sur : https://www.ecologie.gouv.fr/indice-reparabilite

    NASTASIA, Michaels. Quelles sont les limites planétaires et à quoi sert ce concept en écologie ? Geo [En ligne]. 4 octobre 2023. Disponible sur : https://www.geo.fr/environnement/quelles-sont-les-limites-planetaires-et-a-quoi-sert -ce-concept-en-ecologie-journee-mondiale-environnement-boehly-214966

    PACHOT, Arnault et PATISSIER, Céline. Intelligence Artificielle & Protection de l'Environnement: le paradoxe d'une technologie énergivore au service des défis écologiques de demain. Thèse de doctorat. OpenStudio. 2022

    PACHOT, Arnault et PATISSIER, Céline. Intelligence artificielle et environnement: alliance ou nuisance? : l'IA face aux défis écologiques d'aujourd'hui et de demain. Dunod. 2022.

    PAULIAC-VAUJOUR, Emmanuel. ASSEMAN, Valentine. FRANCILLON, Louise. Adopter l'IA frugale : concepts, leviers et initiatives. France Science [En ligne]. 07 septembre 2023. Disponible sur : https://france-science.com/adopter-lia-frugale-concepts-leviers-et-initiatives/

    PAYTON, Ben. Power mad: AI's massive energy demand risks causing major environmental headaches. Reuters [En ligne]. 4 décembre 2023. Disponible sur : https://www.reuters.com/sustainability/climate-energy/power-mad-ais-massive-energy-demand-risks-causing-major-environmental-headaches-2023-12-04/

    RÉSEAU ACTION CLIMAT. Synthèse du 6e rapport du GIEC : l'urgence climatique est là, les solutions aussi [En ligne]. 20 mars 2023. Disponible sur : https://reseauactionclimat.org/synthese-du-rapport-du-giec-lurgence-climatique-est-la-les-solutions-aussi/

    RICHARDSON, Katherine, STEFFEN, Will, LUCHT, Wolfgang, et al. Earth beyond six of nine planetary boundaries. Science advances, 2023, vol. 9, no 37, p. eadh2458.

    ROCKSTRÖM, Johan, STEFFEN, Will, NOONE, Kevin, et al. Planetary boundaries: exploring the safe operating space for humanity. Ecology and society, 2009, vol. 14, no 2.

    SCHEIER, Robert. Développement durable : 4 pistes pour une IA plus vertueuse. Le Monde Informatique [En ligne]. 09 février 2024. Disponible sur : https://www.lemondeinformatique.fr/actualites/lire-developpement-durable-4-pistes-pour-une-ia-plus-vertueuse-92922.html

    STRUBELL, Emma, GANESH, Ananya, et MCCALLUM, Andrew. Energy and policy considerations for modern deep learning research. In : Proceedings of the AAAI conference on artificial intelligence. 2020. p. 13693-13696.

    THE SHIFT PROJECT. Déployer la sobriété numérique. Rapport intermédiaire dirigé par Hugues FERREBOEUF. Janvier 2020.

    VIDALENC, Éric. Pour une écologie numérique. Les petits matins, 2023.

    VIROL, Gautier. CodeCarbon, un nouvel outil pour mesurer le bilan carbone des algorithmes d'intelligence artificielle. L'Usine Nouvelle [En ligne]. 07 décembre 2020. Disponible sur : https://www.usinenouvelle.com/editorial/codecarbon-un-nouvel-outil-pour-mesurer-le-bilan-carbone-des-algorithmes-d-intelligence-artificielle.N1036089

    61/62

    Références réglementaires :

    Droit national français:

    Décret n° 2019-771 du 23 juillet 2019 relatif aux obligations d'actions de réduction de la consommation d'énergie finale dans des bâtiments à usage tertiaire. JORF n°0171 du 25 juillet 2019.

    l Accès au décret Tertiaire : https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000038812251

    LOI n° 2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire. JORF n°0035 du 11 février 2020.

    l Accès à la loi AGEC : https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000041553759

    Décret n° 2020-887 du 20 juillet 2020 relatif au système d'automatisation et de contrôle des bâtiments non résidentiels et à la régulation automatique de la chaleur. JORF n°0177 du 21 juillet 2020.

    l Accès au décret BACS : https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000042128488/

    LOI n° 2021-1485 du 15 novembre 2021 visant à réduire l'empreinte environnementale du numérique en France. JORF n°0266 du 16 novembre 2021.

    l Accès à la loi REEN : https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000044327272

    Décret n° 2020-1757 du 29 décembre 2020 relatif à l'indice de réparabilité des équipements électriques et électroniques. JORF n°0316 du 31 décembre 2020.

    l Accès au décret sur l'indice de réparabilité : https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000042837821

    Droit de l'Union Européenne:

    Règlement 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE (règlement général sur la protection des données).

    l Accès au RGPD : https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX%3A32016R0679

    Règlement 2020/852 du Parlement Européen et du Conseil du 18 juin 2020 sur l'établissement d'un cadre visant à favoriser les investissements durables et modifiant le règlement (UE) 2019/2088.

    l Accès à la taxonomie de l'UE :

    https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32020R0852& from=F

    Proposition de règlement du Parlement Européen et du Conseil établissant des règles harmonisées concernant l'intelligence artificielle (législation sur l'intelligence artificielle) et modification certains actes législatifs de l' Union. COM/2021/206 final.

    l Accès à l'AI Act : https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX:52021PC0206

    Directive 2022/2464 du Parlement Européen et du Conseil du 14 décembre 2022 modifiant le règlement (UE) n° 537/2014 et les directives 2004/109/CE, 2006/43/CE et 2013/34/UE en ce qui concerne la publication d'informations en matière de durabilité par les entreprises.

    l Accès à la CSRD : https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32022L2464

    62/62

    Annexes

    Annexe 1

    Résumé de l'entretien avec Christophe PHAM - Infogreen Factory

    Annexe 2

    Résumé de l'entretien avec Virgile BAUDROT - Qonfluens

    Annexe 3

    Résumé de l'entretien avec Faustin DUBOUIS - Eficia

    Annexe 4

    Résumé d'un entretien anonymisé - Accenta

    Annexe 5

    Résumé de l'entretien avec Gilles ALLAIN- DeepHawk

    Annexe 6

    Résumé de l'entretien avec Juliette FROPIER - Ministère de la Transition Ecologique

    L'argent : Une interrogation récurrente est celle du ROI du numérique responsable, passant par plusieurs axes : attirer des investisseurs, attirer des clients, fidéliser les collaborateurs (marque employeur),

    Annexe 1 - Résumé de l'entretien avec Christophe PHAM (décembre 2023) CEO - Infogreen Factory

    Présentation de Christophe PHAM

    Christophe Pham a commencé sa carrière en business development dans des ESN (Entreprises de Service Numérique). Suite à une prise de conscience écologique, il a souhaité agir au sein des organisations où il travaillait, mais sans résultat. Il a donc décidé de créer Infogreen Factory (IF) pour travailler sur les volets d'éthique, d'inclusion et d'écologie dans le numérique. IF est organisé en collectifs d'entrepreneurs et d'acteurs engagés dans le but de valoriser la coopération.

    Présentation d'Infogreen Factory

    La moitié de l'activité d'IF est dédiée à la formation sur le numérique responsable et la conception responsable. Ils ont par exemple travaillé avec une entité du Crédit Agricole pour former les équipes à la conception responsable de services numériques. En parallèle, IF a une branche de conseil dans le domaine du numérique responsable.

    Exemple d'acteurs s'impliquant dans le numérique responsable

    En Nouvelle Aquitaine a été créé un pôle de compétitivité nommé ENTER et dont l'idée est de favoriser l'innovation frugale et sobre en matière de numérique. Il y a donc un vivier qui émerge, avec des financements.

    La grande problématique reste pourtant la détermination des critères. C'est un sujet qui est par exemple traité par des personnalités comme Côme GIRSHIG dans des structures telles que Tech for Climate.

    Les débats sur la place du numérique pour la transition écologique

    Avant toute chose, il faut remarquer que peu d'acteurs se rendent actuellement compte que le numérique a un impact écologique. Il commence à y avoir une prise de conscience, mais il règne essentiellement un point de vue techno-solutionniste.

    IT for Green : Il s'agit souvent de «l'arbre qui cache la forêt» et qui permet de justifier toute innovation en prouvant son utilité. C'est une stratégie techno-solutionniste, en mettant en avant les impacts positifs, et en omettant de parler de tous les cas où l'impact est négatif (et c'est généralement majoritaire).

    Green IT : L'objectif est de rendre l'IT plus vertueux et gagner en efficacité environnementale et que ça ait moins d'impact.

    Actuellement, le monde suppose que les ressources sont illimitées : l'électricité est abondante, tout comme les minerais et les métaux rares (lithium, argent...), nous occultons les problèmes de sécheresse et la gêne des populations vis-à-vis des pollutions des mines et des décharges sauvages de déchets électroniques. Il s'agit de «l'angle mort du numérique», comme le traite la dernière étude de l'ARSEP.

    Les principaux freins au déploiement du numérique durable

    Le changement: Demander de reconsidérer la façon dont on mène un projet informatique est un effort important. Il faut donc accompagner au changement.

    anticiper la réglementation, assurer la sécurité des solutions. Ce dernier point réside notamment dans le fait d'avoir des codes plus courts, et donc plus sobres, ce qui limite les zones à risque dans l'algorithme et le rend plus robuste. Chez IF est utilisée la méthode du Green Soft Model, pour arriver à avoir des algorithmes qui suivent cette logique de sobriété.

    De plus en plus, les entreprises veulent également que la conception numérique responsable leur rapport du carbone.

    La mesure : Les entrepreneurs ont besoin de quantifier les apports des changements. Alain Supiot traite par exemple de la question de la gouvernance par les chiffres : comme beaucoup de personnes manquent de sens, elles choisissent d'être gouvernées par les chiffres. Nous constatons une perte de temps importante à s'interroger sur la mesure et non sur le sens (cf. «Ce qui ne se mesure pas ne s'améliore pas» de W. DEMING).

    Les équipes, sans être formées, se mettent à utiliser de nouveaux indices tels que l'EcoIndex ou Green IT-Analysis. Les gens ne savent pas comment les manipuler et y consacrent du temps, alors que ce n'est pas le coeur : il faut surtout limiter le développement de logiciels et sites web.

    Il faut également se méfier de l'effet rebond dans la conception responsable : en étant plus efficace, on développe encore plus. Christophe Pham s'interroge donc sur sa participation à l'effet rebond.

    Manque de conviction : Pour certains, la prise de conscience n'a pas encore eu lieu. IF a donc pour objectif d'attirer les «infiltrés» dans les entreprises clientes : même s'ils ne portent pas le même maillot, ils sont dans la même équipe dans la même équipe, avec un objectif commun. Ces «infiltrés» sont indispensables pour générer l'adhésion des collaborateurs. Ces personnes sont en dissonance cognitive avec la majorité des salariés de leur groupe, et ils essaient de faire avancer le sujet.

    Nous parlons de plus en plus de stratégie RNE (Responsabilité Numérique des Entreprises) pour être plus spécifique que la RSE.

    Les réglementations contraignantes

    Il y a notamment deux éléments:

    l Le plus récent, la loi REEN (Réduction de l'Empreinte Environnementale du Numérique);

    l Depuis plus de dix ans, il existe la loi sur l'accessibilité qui est très peu appliquée, même par l'Etat (pour la lecture audio d'un site internet via une console par exemple).

    Annexe 2 - Résumé de l'entretien avec Virgile BAUDROT (février 2024) CEO - Qonfluens

    Présentation de Qonfluens

    Qonfluens est un bureau d'études en écologie et agro-écologie avec deux principaux domaines d'expertise : l'analyse de données et l'étude des dynamiques de populations.

    L'entreprise débute les démarches pour devenir une SCOP, pour trois raisons majeures:

    l La mise en avant de la dimension éthique, correspondant aux valeurs de l'entreprise et pouvant être valorisé pour lors de recrutement;

    l Une volonté politique de faire primer un choix démocratique entre les collaborateurs;

    l Un gain de reconnaissance par des instituts externes, tout en évitant d'être une niche d'investissements.

    Utilisation de l'IA chez Qonfluens

    L'IA est utilisée à plusieurs niveaux : inférence bayésienne (probabilités), modèle hiérarchique (étude de la variabilité des données), gestion des incertitudes.

    Alors que l'écologie était jusqu'à récemment un domaine où il fallait aller sur le terrain, elle commence à avoir un champ théorique. Cela passe est notamment possible grâce aux nouvelles données récoltées (ADN de sol, échantillon de l'océan...) et à l'imagerie satellite/radar (notamment pour l'agronomie). Cela nous permet de travailler sur des suivis de la biodiversité (analyse de données).

    Eventuels effets rebonds

    L'écologie théorique se développe mais cela engendre de nouveaux coûts importants comme la multiplication des recours à des techniques ADN (impliquant en sus l'utilisation de produits chimiques et de plastiques en grandes quantités).

    Par ailleurs, ce type d'analyse de données est long et implique l'utilisation de serveurs de calcul puissants. Or, ces serveurs ne sont pas dans les locaux de Qonfluens et sont peu coûteux, donc leur utilisation n'est pas toujours surveillée, même si l'entreprise tente de privilégier des infrastructures locales.

    Virgile BAUDROT souligne l'absence de label de certification permettant de s'assurer de la qualité environnementale des serveurs informatiques.

    Perceptions extérieures de l'activité de Qonfluens

    Le projet de Qonfluens est «à la mode» donc ouvre plus facilement des portes. Il s'agit de deux sujets brûlants mais peu étudiés. Toutefois, des freins sont rencontrés puisqu'il s'agit d'études représentant des charges, et dont les résultats sont généralement porteurs de résultats négatifs.

    Implantation territoriale

    L'implantation locale de Qonfluens facilite les travaux avec les laboratoires et permet d'avoir des liens avec la BPI. En revanche, il reste difficile d'approcher le milieu des associations environnementales, assez craintives face au modèle et la culture des startups.

    Annexe 3 - Résumé de l'entretien avec Faustin DUBOUIS (mars 2024) Chef de projet - Eficia

    Présentation d'Eficia

    Eficia a été fondée avec l'objectif d'installer des systèmes GTB (Gestion Technique des Bâtiments) en s'appuyant sur la domotique pour piloter automatiquement les équipements (éclairage, chauffage, climatisation...). La clientèle cible est essentiellement des entreprises, qu'il s'agisse de chaînes de magasins ou d'entrepôt.

    Une grande partie du pilotage automatique se fait grâce au machine learning ; l'objectif est d'analyser les données passées pour identifier les moments d'allumage des dispositifs. Par exemple, à partir des températures actuelles, des temps de chauffe, et d'une température cible, il est possible de déterminer le moment optimal pour allumer le système de chauffage.

    Eficia dispose également d'une équipe de R&D parmi ses 200 salariés, dans le but d'améliorer les produits actuels, mais également d'en produire de nouveau. Par exemple, on peut retrouver:

    l Le perfectionnement des systèmes automatisés pour augmenter le gain énergétique des entreprises déjà abonnées aux services d'Eficia ;

    l L'arrivée de problématiques liées à la gestion de l'eau.

    Le choix de l'IA

    La première raison qui a poussé Eficia à l'utilisation de l'IA est pour rester compétitifs ; des modèles statistiques plus traditionnels ne nous auraient pas permis de rester des concurrents au niveau. L'IA présente aussi l'avantage de ne pas avoir besoin de ré-analyser les données à chaque mise à jour, mais de perfectionner le modèle à chaque étape.

    Par ailleurs, aujourd'hui, le recours à l'IA est un argument commercial assez vendeur.

    Contraintes de déploiement de la solution

    L'installation des capteurs de mesure chez les clients représente un important temps de travail. Eficia installe également les automates informatiques qui se connectent aux actionneurs de chaque élément domotique.

    Il y a donc une importante phase de choix des capteurs, selon les exigences du client, les contraintes règlementaires (notamment en cas d'accueil du public) et les préconisations d'un ingénieur se rendant dans les locaux pour y apporter son expertise. Le client doit au moins installer un capteur de température (relevé toutes les 10 min) et d'humidité ; mais il est possible d'ajouter la mesure du CO2, de la présence, de la luminosité... Ces données sont complétées par les relevés des compteurs.

    Eficia équipe actuellement environ 5000 sites.

    Réflexion écologique au sein d'Eficia

    Le dirigeant d'Eficia incarne une réelle volonté de prise en compte des enjeux écologiques. L'entreprise y accorde donc une réelle importance, notamment pour les deux éléments les plus impactants : les trajets chez les clients et l'achat de matériel. Les données, peu nombreuses, sont peu impactantes. En outre, l'entreprise s'auto-évalue sur le sujet, ce qui a pu lui permettre d'atteindre un niveau d'exigence générant l'obtention de plusieurs labels écologiques.

    Effet rebond chez les clients

    Les clients d'Eficia sont rarement à l'origine d'effets rebonds puisque l'économie d'énergie et l'installation d'un système GTB sont des obligations légales. Cela est notamment lié à l'existence des décrets BACS et Tertiaire.

    Cependant, la démarches des entreprises est rarement à but écologique, mais principalement économique, notamment depuis la forte augmentation des prix de l'énergie. En revanche, les clients intéressés par le dispositif pour des raisons écologiques sont de plus en plus nombreux à demander un système similaire pour l'eau.

    Annexe 4 - Résumé de l'entretien avec Mme X (mars 2024) Ingénieure - Accenta

    Présentation d'Accenta

    Accenta a été fondée en 2016 avec la volonté de démocratiser le bâtiment bas carbone, en tentant de rendre plus intelligent l'usage des énergies renouvelables afin de limiter les coûts associés. Les principaux axes de travail sont donc sur la climatisation et le chauffage, en s'appuyant essentiellement sur la géothermie ( à travers le géostockage) et l'aérothermie.

    La majorité des clients d'Accenta sont très variés, parmi lesquels on retrouve des entrepôts ou des entreprises du secteur tertiaire, comme Eurovia, Fnac, Darty ou encore la ville de Roubaix.

    La startup est en forte croissance, en passant à une vingtaine de salariés début 2020, à près de 180 aujourd'hui. Ils sont répartis sur plusieurs sites en France (Lille, Troyes, région parisienne). L'entreprise a consacré les trois premières années après sa création à la R&D, qui regroupe aujourd'hui une trentaine de salariés. Depuis l'entreprise a développé bien d'autres postes comme:

    l Energy managers, qui analysent les données clients, effectuent des recommandations et assurent le suivi des performances;

    l Chargés d'étude, qui échangent avec le client pour identifier les besoins et dimensionnent les installations en utilisant les outils développés par la R&D.

    L'utilisation de l'IA

    L'IA est développée et utilisée dans de multiples outils et solutions Accenta, dont notamment sur deux axes que sont:

    l Le dimensionnement du système à fournir pour répondre aux besoins du bâtiment selon ses caractéristiques ;

    l La gestion du stockage d'énergie (géostockage) en temps réel, selon plusieurs paramètres tels que la météo ou la consommation.

    Les données sont traitées directement chez le client. Toutefois, elles sont également récupérées par Accenta, en étant cryptées, afin de permettre un perfectionnement des modèles algorithmiques.

    Accenta propose également une prestation d'analyse de données de consommation et de recommandations. L'amélioration des modèles permet donc de faire progresser les deux offres.

    Conscience écologique au sein d'Accenta

    Accenta incite ses salariés à la sobriété (dans les modes de transport ou le nombre de déplacements par exemple), mais la majorité sont bien souvent déjà sensibles à cette cause, et c'est d'ailleurs souvent en partie pour cette raison qu'ils rejoignent l'entreprise. La direction de l'entreprise a pris plusieurs décisions allant dans ce sens:

    l Réalisation d'un bilan carbone, par l'entreprise Aktio ;

    l Création d'un forfait mobilité durable pour les collaborateurs;

    l Mise en place d'une démarche d'achats responsables, passant notamment par l'évaluation des partenaires et de leur impact;

    l Évaluation des impacts écologiques (en tonnes de CO2) de chaque technologie créée par Accenta.

    Les analyses internes des impacts écologiques ont révélé que le matériel était bien plus polluant que les travaux informatiques. Les équipes tentent de faire des codes les plus efficaces possibles, mais avec une optique de performances avant celle d'écologie.

    Effet rebond chez les clients

    Il n'y a pas d'analyse sur l'effet rebond puisque la majorité des clients d'Accenta sont liés à des constructions neuves : il n'y a donc pas d'antécédents de consommation. En effet, pour installer des solutions de géothermie, il faut disposer d'un terrain adapté et les travaux se font plus rarement sur des structures existantes.

    Motivations des clients

    Les clients semblent essentiellement vouloir bénéficier d'une image positive (liée à l'installation d'une telle infrastructure). Toutefois, ce choix reste un choix engagé car, même si des subventions existent, la mise en oeuvre coûte plus cher qu'un chauffage traditionnel au gaz par exemple. En outre, il est possible d'identifier plusieurs autres motivations chez les clients, telles que :

    l L'indépendance vis-à-vis des énergies fossiles;

    l L'application de la réglementation (décret tertiaire, décret BACS, taxonomie européenne, CSRD) ;

    l La limitation de la dépréciation du bien à cause d'un impact carbone élevé.

    Annexe 5 - Résumé de l'entretien avec Gilles ALLAIN (avril 2024) CEO - DeepHawk

    Pouvez-vous vous présenter et présenter l'entreprise?

    Gilles Allain est cofondateur et CEO de DeepHawk. Avant cela, il a travaillé dans plusieurs entreprises, de taille variable, à la fois sur les aspects techniques (grâce à sa formation d'ingénieur) et business.

    DeepHawk a été créée en mai 2022. La société développe et commercialise un logiciel spécialisé dans la détection d'anomalie pour l'industrie manufacturière. Ce logiciel utilise l'IA pour analyser des images et vidéos de nature variée (parfois rayons-X, thermiques, microscopiques...), de façon à détecter des défauts visuels, même discrets, qui pourraient conduire au rejet du produit en contrôle qualité.

    Définition de l'IA frugale

    L'IA a pour objectif de consommer moins de ressources informatiques, qu'il s'agisse de la puissance de calcul (computing power) ou du stockage des données. La solution proposée par DeepHawk réduit les besoins en ressources d'un facteur de 375.

    L'IA frugale s'oppose au deep learning, qui apprend sur une très grande quantité de données. L'objectif est ici d'avoir de plus petits réseaux de neurones dont la structure permet d'apprendre sur une plus faible quantité de données. Le fonctionnement se rapproche donc de celui du cerveau humain, cherchant à travailler le plus intelligemment possible. Pour cela, DeepHawk part notamment de l'analyse d'image de situations de conformité des produits, plutôt que d'un apprentissage de l'ensemble des défauts possibles.

    Aujourd'hui, les LLM sont très répandus mais essentiellement appliqués au texte. Or, ils nécessitent d'avoir une très grande base de données pour fournir des réponses de qualité. Leur application au cas des images semble donc matériellement impossible, car les ressources qui seront alors nécessaires deviendront trop importantes. Or, la société actuelle collecte de plus en plus de données, dans le but de pouvoir les traiter. Le seul support qui serait compatible est l'ordinateur quantique, mais il ne se propagera pas dans la société avant une dizaine d'années.

    D'après Allain Gilles, la loi de Moore ne peut plus s'appliquer tellement nous sommes arrivés à un degré de miniaturisation (à l'échelle atomique).

    L'IA frugale comme argument de vente

    L'IA frugale (et l'argument du facteur de réduction de 375) est présentée aux clients mais ils n'y sont pas forcément sensibles. Ils apprécient, mais préfèrent surtout la performance du logiciel. Les arguments suivants sont notamment mis en avant:

    l La faible préparation nécessaire pour disposer d'une base de données d'apprentissage, car celle-ci est de taille réduite ;

    l Le fait de ne pas avoir besoin d'un cloud pour y stocker les données;

    l Le fait que les opérations puissent être réalisées sur des infrastructures informatiques accessibles, qui permettent aux entreprises de les exécuter en interne, ce qui limite les risques en matière de sécurité.

    L'IA frugale dans les startups

    La majorité des startups dans le domaine de l'IA connaissent le concept d'IA frugale, même s'il est peu abordé chez le grand public. Toutefois, ces solutions se propagent peu pour deux raisons majeures:

    l Les startups sont financièrement soutenus par les géants du numérique (comme les GAFAM) qui, eux-mêmes, vendent des solutions cloud et les encourageant donc fortement à les utiliser (ces sociétés n'ont pas d'intérêt à ce que l'IA frugale se développe trop rapidement);

    l L'abondance des données et les facilités de stockage n'encouragent pas à faire avec moins de ressources.

    Le recours systématique à des grandes quantités de données devient problématique uniquement lorsqu'il y a des enjeux de sécurité (risque de piratage via un cloud) ou lorsque les factures sont très importantes (souvent pour des entreprises dont le chiffre d'affaires est supérieur à 10 millions d'euros).

    Écosystème startup et écologie

    Il y a indéniablement une faible prise en compte des enjeux écologiques dans la société civile, même si les jeunes améliorent la situation en étant de plus en plus engagés.

    Les startups ne sont pas incompatibles avec l'écologie : le monde actuel est basé sur le fait qu'un problème (comme l'est l'urgence écologique) peut être une opportunité économique. Actuellement, il est nécessaire de changer de nombreux aspects de la société, et de manière rapide, les startups sont donc des acteurs centraux, à la fois innovants et agiles, contrairement aux grands groupes qui ont plutôt tendance à promouvoir le statu quo.

    Toutefois, il est peut-être nécessaire de repenser l'écosystème. Actuellement, si une startup est en difficulté, elle reçoit des aides pour tenter de s'en sortir, ce qui, souvent, repousse sa chute. Or, compte tenu de l'urgence actuellement, il semblerait plus pertinent de laisser ces startups mourir afin de réallouer les ressources à des projets plus prometteurs. Si une startup a moins de difficulté qu'une autre, c'est probablement parce que son projet est meilleur. Cette approche peut donc être assimilée à du darwinisme.

    Face à ces défis, les projets restent souvent à leur prémisse, sous forme de POC (proof of concept), sans être imaginés à long terme, par crainte de se projeter.

    Annexe 6 - Résumé de l'entretien avec Juliette FROPIER (avril 2024)

    Cheffe de projet IA & Transition écologique - Ministère de la Transition Ecologique

    Présentation

    Juliette Fropier travaille au sein d'Ecolab, qui est un laboratoire d'innovation au coeur du ministère de l'Ecologie, et dépendant du Commissariat Général au Développement Durable (CGDD).

    Ecolab traite de deux enjeux principaux:

    l L'innovation Greentech : Cette branche gère un label qui a pour but de mettre en valeur des startups/PME éco-innovantes. Elles candidatent donc et sont auditionnées pour assurer la qualité de leur solution. Cette démarche a, entre autres, pour but d'orienter la commande publique vers des petites entreprises, plutôt que de s'adresser systématiquement à des grands groupes.

    l Le pôle data/IA : Ce secteur, dans lequel travaille Juliette Fropier, a pour but de monter des projets impliquant la data et l'IA pour venir en aide aux collectivités (site ecologie.gouv.fr, indicateurs territoriaux de la transition écologique, liseuses intelligentes pour parcourir rapidement des rapports pour les autorités environnementales...).

    Juliette Fropier travaille essentiellement à un niveau stratégique, pour accompagner le pilotage de politiques publiques. Elle croise donc principalement deux types de projets:

    l Les IA pour la transition écologique : L'objectif est de soutenir les collectivités en établissant à la fois des projets de développement spécifiques, mais aussi en établissant une offre de startups pouvant les accompagner. L'idée est donc de faire interagir des acteurs variés (plusieurs ministères, institutions publiques, entreprises privées...).

    l L'étude de l'impact environnemental de l'IA : Face à une systématisation de la demande d'analyse des impacts de l'IA, il est nécessaire de disposer d'outils pour s'assurer que les technologies apportent plus qu'elles ne consomment. En parallèle, Juliette Fropier travaille donc avec plusieurs acteurs dont notamment l'AFNOR pour augmenter la connaissance dans le domaine et proposer un cadre normatif.

    Le déploiement de l'IA

    De manière générale, les projets d'IA se heurtent à trois problématiques principales :

    l L'absence de gouvernance des données, car les organisations ne sont pas adaptées à la centralisation des informations, et il faut donc effectuer un important travail de prétraitement et de définition des canaux d'échange;

    l La médiatisation à outrance, qui donne l'impression que l'IA est capable de tout, et qui génère une peur;

    l La faible quantité d'experts en IA, et l'incertitude sur l'impact futur sur les secteurs d'emplois.

    L'IA dans le Ministère de l'Ecologie

    Au sein du ministère, l'IA est perçue comme un outil qui peut être intéressant mais dont la mise en place est lourde car elle nécessite beaucoup de prérequis. Juliette Fropier évoque quelques critères majeurs regardés avant une éventuelle installation :

    l L'analyse coûts/bénéfices du point de vue environnemental;

    l Le respect de l'éthique concernant le traitement des données personnelles;

    l La présence d'experts disponibles pour s'en occuper;

    l L'explicabilité et la transparence des modèles, notamment dans l'administration publique, pour ne pas prendre des décisions préjudiciables pour les usagers (se pose alors la question de la responsabilité en cas d'erreur commise par une IA) ;

    l La réplicabilité et l'open sourcing, pour s'assurer que les modèles peuvent être utilisés dans des cas variés et que leur développement n'est pas trop spécifique (ce qui impacterait, entre autres, le coût lié à l'entraînement du modèle).

    En outre, l'IA génère indéniablement des craintes, notamment liées aux emplois et aux compétences. Il y a donc un important besoin de formation et de pédagogie. Peu de personnes sont actuellement formées, ce qui limite les interlocuteurs en capacité de comprendre les enjeux et de les transmettre aux personnes de leur entourage.

    Toutefois, même si l'IA peut être une aide pour la transition écologique, Juliette Fropier insiste sur le fait que ce n'est qu'un élément, et qu'il est nécessaire de déployer beaucoup d'autres solutions afin d'atteindre les objectifs de sobriété. Son utilisation ne doit pas être systématique mais déployée uniquement lorsque cela est nécessaire (contrairement au recours à ChatGPT dans la société civile actuellement par exemple) ; il est indispensable de pouvoir justifier la nécessité d'usage.

    Travail conjoint avec l'AFNOR

    Juliette Fropier a entamé un travail conjoint avec l'AFNOR pour établir un référentiel normatif sur l'IA frugale, avec l'objectif que celui-ci puisse atteindre le niveau européen. Ce travail part du constat qu'il est nécessaire d'étudier l'impact environnemental de l'IA, mais que peu d'outils performants sont disponibles. Actuellement, il existe principalement un seul outil pour calculer l'impact carbone des algorithmes : Green Algorithm ( calculator.green-algorithms.org). Cet outil est assez faible et regarde uniquement le coût lié à l'utilisation du modèle, mais non au matériel nécessaire pour le faire fonctionner. En outre, il est nécessaire d'homogénéiser la notion «d'entraînement», puisqu'il se déroule en trois phases qui se sont pas toutes intégrées:

    l La création du modèle, pour imaginer son fonctionnement;

    l La démarche itérative de détermination des principaux paramètres (hyperparamètres) du modèle;

    l L'entraînement du modèle sur la version optimisée, avec les meilleurs hyperparamètres identifiés.

    L'intérêt d'une telle association avec l'AFNOR est de bénéficier de la structuration existante de l'organisation, habituée à interagir avec des acteurs très variés (associations, laboratoires, startups, grandes entreprises...).






La Quadrature du Net

Ligue des droits de l'homme