Mémoire d'expertise
IA et startups : une technologie et un modèle
économique à
façonner autour de l'écologie
Sibyline MOUKARZEL
Sous la responsabilité de Gaëlle PETIT
Master : Management des Organisations et des
Projets
Année scolaire 2023/2024
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Remerciements
Je souhaite exprimer ma gratitude envers Mme Gaëlle PETIT
pour sa direction attentive de ce mémoire et son soutien constant tout
au long de son élaboration. Ses conseils méthodologiques et son
expertise ont été d'une grande valeur et ont largement
contribué à la rédaction de ce travail. Je tiens
également à remercier sincèrement M. Julien SOILLY pour sa
disponibilité lors de nos échanges afin d'alimenter ma
réflexion.
Je souhaite également adresser mes remerciements
à Christophe PHAM d'Infogreen Factory avec qui j'ai eu des discussions
enrichissantes qui ont largement participé aux fondements de ce
mémoire. Une pensée particulière va à Virgile
BAUDROT, avec qui j'ai pu collaborer dans le passé, et qui a
renouvelé son soutien en échangeant avec moi sur ce nouveau
sujet.
Un grand merci à mes interlocuteurs variés,
notamment à Allain GILLES, Juliette FROPIER, et Faustin DUBOUIS, pour
avoir partagé leur temps et leur expertise lors de nos entretiens. Leur
contribution a été essentielle à la réalisation de
ce mémoire, et je suis reconnaissant pour leur engagement et leurs
précieux conseils.
Je souhaite également exprimer ma reconnaissance envers
ma famille pour leur soutien constant et leurs relectures attentives qui ont
contribué à enrichir ce travail.
Enfin, un grand merci à mes camarades du master MOP,
tout comme Tanneguy BLANDIN, ainsi que l'ensemble de mes enseignants, dont
Samuel LE PORT, dont les cours ont abouti à la rédaction de ce
mémoire pour finaliser mes études, à la croisée
entre INSA et Sciences Po.
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Résumé
L'intelligence artificielle s'est récemment
développée auprès du grand public en devenant
progressivement un outil du quotidien. La question de la pollution du secteur
du numérique est une préoccupation grandissante, mais elle
devient d'autant plus pertinente dans le cas de l'IA où une masse
colossale de données doit être manipulée, en plus du
matériel informatique nécessaire. Les sources de pollution
diverses interrogent donc sur la compatibilité du domaine avec les
enjeux d'urgence écologique actuels.
Ce qui fait la spécificité de l'intelligence
artificielle en France, mais également en Europe, c'est que le secteur
est essentiellement porté par un dense tissu de startups. Contrairement
aux États-Unis qui disposent de géants du numérique, le
secteur est ici confronté à des acteurs de taille réduite,
de faible visibilité faible, et économiquement peu stables... En
revanche, cette pluralité est synonyme de créativité
démultipliée et de sources d'innovation.
Cette spécificité de l'écosystème
de l'intelligence artificielle permet donc de considérer un mode de
déploiement alternatif pour l'avenir. Toutefois, pour parvenir à
cela il est indispensable d'avoir un cadre faisant consensus auprès des
différents acteurs. Parmi les premiers points à définir
revient souvent la question de la mesure : comment évaluer le
caractère éco-responsable d'une solution, et s'assurer d'y
intégrer les effets rebond liés. En outre, la transparence est
une interrogation récurrente. Si la réglementation sur ce sujet
progresse, il est indéniable qu'elle impacte fortement l'IA qui, dans sa
forme actuelle centrée sur le deep learning, manipule des
masses de données immenses. Se mêlent alors à la fois des
questions de sécurité, d'open sourcing, de transparence
des algorithmes, mais également de rentabilité du modèle
économique, car une startup ne peut pas dévoiler
l'entièreté de sa solution sans craindre de périr.
Le secteur de l'intelligence artificielle est encore jeune et
va évoluer dans les années à venir. On peut alors supposer
qu'il sera peut-être bouleversé par les évolutions
technologiques du domaine, pouvant tendre à le rendre plus sobre.
Toutefois, cette voie n'est pas suffisante pour assurer la limitation des
externalités négatives de ces solutions ; une sensibilisation des
parties prenantes et une implication des différents acteurs, ainsi que
la définition d'un cadre juridique plus strict semble indispensable afin
d'espérer pouvoir faire de l'intelligence artificielle soit un outil au
service de l'écologie.
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Table des matières
Introduction 6
1. IA, startups et écologie : trois clés
de réussite dans un contexte favorable 9
1.1. Un contexte favorable : l'urgence écologique 9
1.1.1. Le constat écologique : que se passe-t-il ? 9
1.1.2. L'envie et la nécessité d'agir 11
1.2. L'essor de l'intelligence artificielle et sa
popularité grandissante 13
1.2.1. «Intelligence artificielle», de quoi parle-t-on
réellement ? 13
1.2.2. L'IA au service de l'écologie : la technologie
comme facilitateur de la protection
environnementale 14
1.3. Les startups, entre originalité et dynamisme 16
1.3.1. Des caractéristiques intrinsèques
permettant l'action : innovation et réactivité au
changement 17
1.3.2. Un environnement politico-économique
favorable au développement : les
soutiens nationaux et locaux pour les initiatives
entrepreneuriales 19
2. Quand les incohérences de l'IA se heurtent
à l'urgence climatique 21
2.1. L'intelligence artificielle comme source de pollution 21
2.1.1. La consommation énergétique, un poids
environnemental majeur 21
2.1.2. L'IA : une technologie virtuelle avec des besoins
matériels 24
2.2. Startups et innovation technologique : le «toujours
plus» à l'aune de la sobriété 26
2.2.1. La business model des startups, profit ou impact ? 27
2.2.2. Diffusion des données et des algorithmes :
la transparence est-elle compatible
avec la rentabilité ? 29
2.3. Coûts et bénéfices, de quoi parle-t-on ?
31
2.3.1. Les indicateurs pour mesurer la réussite : choisir,
comprendre et calculer 31
2.3.2. L'effet rebond, facteur de réduction du
progrès 34
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3. IA et écologie : quels objectifs pour l'avenir
? 36
3.1. Les perspectives de la recherche en IA pour une utilisation
peu coûteuse 36
3.1.1. L'IA avec des ressources limitées : plus rapide,
moins coûteuse 36
3.1.2. L'impact des ressources matérielles, entre
substitution et recyclage 39
3.2. L'IA oui, mais avec parcimonie 42
3.2.1. L'importance d'une sensibilisation à la
sobriété 42
3.2.2. Un cadre réglementaire peu
spécifique, n'évaluant pour l'instant pas l'impact
environnemental des IA 44
3.3. La transition écologique : un objectif commun
nécessitant une collaboration élargie 47
3.3.1. Startups et institutions publiques : quand le soutien
devient gage de stabilité 47
3.3.2. Se faire entendre au milieu des géants :
les grandes entreprises, à la fois amies et
ennemies 49
Formulation de préconisations 52
Intégrer les limites posées par les ressources
naturelles 52
Construire un business model cohérent 53
Tenir compte de l'environnement mondial sur le long terme 53
Conclusion 54
Liste des entreprises françaises
évoquées 58
Bibliographie et sitographie 59
Références réglementaires :
61
Annexes 62
6/62
Introduction
L'activité humaine récente a bouleversé
l'environnement sur Terre et impacte de plus en plus la vie des populations.
Pour conserver un cadre de vie agréable dans les prochaines
années, il est estimé que chaque personne ne doit être
à l'origine que de 2 tonnes d'éq CO21 alors que la
moyenne mondiale actuelle est de 5 (et presque 10 pour un Français). La
cause souvent identifiée comme déclencheur de cette pollution
à grande échelle est la Révolution Industrielle de la fin
du XVIIIème siècle, marquant le début du
productivisme. Le progrès technique incessant s'en suivant n'a fait
qu'aggraver le phénomène, avant une prise de conscience
récente de ses impacts sur l'environnement.
Aujourd'hui, de plus en plus d'interrogations se lèvent
sur la compatibilité entre l'écologie et le fonctionnement de
notre société. Notre modèle du «toujours plus»
basé sur le progrès technique continu questionne sur sa
capacité à être soutenable à l'avenir. Tous les
secteurs d'activité se voient donc concernés et de plus en plus
d'entreprises réintègrent les analyses d'impact au coeur de leur
processus de développement.
Le numérique et l'informatique, bien que des secteurs
récents à l'échelle de la planète,
n'échappent pas à cette prise de conscience. Leur progression de
masse les rend particulièrement impactant, notamment dans les
années à venir. D'autres secteurs industriels traditionnels
(métallurgie, transports...) sont actuellement plus regardés,
notamment à cause de la pollution bien plus visible qu'ils
génèrent. Toutefois, si le numérique tend à devenir
un domaine d'étude en écologie, c'est parce que derrière
ses concepts théoriques se cachent des moyens de mise en oeuvre lourds.
En 2020 en France, il représentait ainsi 2,5% de l'empreinte carbone
nationale et 10% de la consommation électrique2.
L'informatique n'est donc pas une industrie «verte»
; quel que soit son mode de fonctionnement, elle présente un impact
environnemental négatif. En revanche, le numérique a comme
particularité de pouvoir être mis au service de nombreux domaines.
Il devient donc possible de minimiser son impact à la fois dans son mode
de fonctionnement, mais également dans ses usages et applications.
Le sujet de l'intelligence artificielle (IA) ne fait pas
exception dans cette réflexion. Son émergence aux yeux du grand
public est particulièrement récente (fin des années 2010),
et attire beaucoup au vu de sa variété d'utilisation. Le CNRS a
d'ailleurs créé un Centre IA fin 2021 dans le but
d'étudier les possibilités qu'offre cette nouvelle technologie
dont tout est encore à découvrir. L'administrateur
général du CEA, François JACQ, parle d'ailleurs de
l'intelligence artificielle comme la source de nouvelles
«préoccupations sociétales» qui
génère une «transformation des
usages»3.
1 L'unité éq CO2 est une abréviation pour
"équivalent dioxyde de carbone" utilisée pour exprimer les
émissions de gaz à effet de serre en termes de leur potentiel de
réchauffement climatique par rapport au dioxyde de carbone.
2 ADEME. Arcep. Evaluation de l'impact environnemental du
numérique en France et analyse prospective. Note de synthèse. 19
janvier 2022.
3 CNRS. IA : des ambitions européennes. CNRS Info.
14 mars 2022.
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Même si cette technologie génère un
émerveillement de beaucoup d'observateurs grâce à ses
capacités inédites, elle est également source
d'interrogation. Son utilisation demande une quantité de ressources
naturelles bien plus importante que n'importe quel autre secteur du
numérique. Ce qui est souvent la cause de cela, c'est le deep
learning, une manière de faire apprendre des informations aux
modèles informatiques à partir d'immenses bases de
données, bien que grandes que ce qu'exigeaient les méthodes
traditionnelles de statistiques jusqu'à présent.
L'IA est notamment devenue un élément du
quotidien avec l'apparition de ChatGPT4 par OpenAI. Pour la
première fois, une intelligence artificielle grand public est mise en
ligne et permet à chacun d'interagir sans nécessiter de
connaissances informatiques. Toutefois, il est souvent oublié que sa
mise en service et son utilisation représentent un coût
environnemental non-négligeable : à titre d'exemple,
l'entraînement (c'est-à-dire la préparation avant
l'accès au public) de GPT-3 sur des GPU a nécessité 85 000
kg d'éq CO2, soit environ la pollution d'une voiture sur 700 000
km5.
Le secteur de l'intelligence artificielle est
extrêmement varié, et se voit appliqué à une grande
multitude de domaines. De l'énergie à l'agriculture, en passant
par le commerce, l'industrie ou la culture, il permet de proposer une nouvelle
approche de l'analyse dès lors que des données existent. En
France et en Europe, peu de grandes entreprises en font un secteur
d'activité à part entière, et c'est ce qui fait la
spécificité de ce marché. Alors qu'aux Etats-Unis, la
recherche en IA est portée par les géants du numérique,
dont notamment Microsoft (étroitement lié à OpenAI),
Google et Amazon, en Europe, c'est un dense tissu de startups qui fait avancer
les travaux du domaine. Il n'existe pas sur le vieux continent d'entreprises
largement dominantes qui guiderait les projets en IA et capable de rivaliser
avec les concurrents américains.
Si la pluralité d'acteurs en intelligence artificielle
en France et en Europe permet l'émergence continue et foisonnante de
nouvelles idées, elle présente aussi le défaut de ne pas
pouvoir centraliser les moyens pour être à l'origine de travaux
disruptifs. Ce mode de fonctionnement est donc original et mérite
d'être analysé. Les startups sont souvent une source de
créativité importante, portée par une grande
agilité et mais également un manque de stabilité.
Leur diversité est indéniablement une force,
pour toucher un grand nombre de secteurs d'activité, mais
également une faiblesse, puisque leur poids individuel est assez
négligeable. Il est indéniable que le dirigeant de Google aura un
impact bien plus grand dans les décisions stratégiques de
l'avenir de l'IA par rapport à celui d'une petite startup
française de 12 salariés.
En outre, le contexte européen pose des contraintes
différentes. L'organisation du marché, le rapport aux
institutions et leur volonté de poser un cadre réglementaire a un
impact non-négligeable sur le secteur. Qu'il s'agisse de limitations
éthiques, sociétales ou environnementales, celles-ci se
multiplient et imposent donc au secteur de s'adapter. L'enjeu
4 https://chatgpt.com/
5 PAULIAC-VAUJOUR, Emmanuel. ASSEMAN, Valentine. FRANCILLON,
Louise. Adopter l'IA frugale : concepts, leviers et initiatives. France
Science. 07 septembre 2023.
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écologique devient donc à la fois un
impératif pour être en accord avec les valeurs des utilisateurs,
mais aussi pour respecter le cadre juridique naissant.
Les startups dites «à impact», même si
elles se multiplient, restent difficiles à identifier et à
évaluer. La simple mesure de cet impact est un défi. Si
l'intelligence artificielle représente à la fois un poids et une
opportunité pour l'écologie, l'écosystème de
startups dans lequel cette technologie croit est un paramètre fort de
l'équation. Il est indéniable que son caractère
protéiforme ne permet pas une analyse linéaire et traditionnelle
du secteur. La mise en perspective doit être complète :
scientifique, économique, politique et sociale.
Dans un pays surnommé la Startup Nation,
être une startup est valorisée. En revanche, le défi
reste de taille pour mettre à profit ses caractéristiques
intrinsèques au service d'une technologie et d'une cause que sont
respectivement l'IA et la transition écologique. Ce mémoire
s'intéressera donc à la problématique suivante :
Dans un écosystème économique et
technologique porté par les startups et face à une transition
écologique nécessaire, dans quelle mesure l'intelligence
artificielle peut-elle être mise au service de
l'environnement?
L'étude dans le présent document portera
essentiellement sur le cas français, même si celui s'ancre
forcément dans un contexte européen. Par ailleurs, il pourra
être pertinent d'effectuer des comparaisons avec des entreprises dans
d'autres pays. L'ensemble des startups prises en exemple sont d'ailleurs
présentées en fin de ce rapport.
Pour répondre à cette problématique, il
conviendra tout d'abord de s'intéresser aux interactions qu'il peut
exister entre l'écologie, les startups et l'intelligence artificielle.
La première difficulté, au-delà de la définition de
ces termes, et de comprendre comment ces trois éléments peuvent
se retrouver mêlés. Ce mémoire a d'ailleurs pour but de
multiplier les exemples afin d'illustrer les liens existants.
Même si l'IA, l'écologie et les startups ne
paraissent pas antagonistes, des freins à leur coexistence existent. Une
seconde partie de l'étude portera donc sur les incohérences
qu'ils présentent et les difficultés qu'il peut y avoir à
utiliser ces trois variables simultanément. Comprendre l'impact de l'IA,
la sobriété chez les startups, et la mesure des coûts sont
autant de limitations à analyser afin de tenter de les
dépasser.
La dernière partie de ce mémoire aura donc
vocation à apporter un point de vue plus large, en s'interrogeant sur ce
que cet écosystème original peut favoriser pour permettre un
développement technologique responsable. Qu'il s'agisse du cadre
favorable pour la recherche scientifique, du contexte réglementaire ou
des collaborations externes pouvant être mises en oeuvre, l'idée
est de dresser un panorama des actions en cours et à venir pour tenter
de concilier intelligence artificielle et écologie en France.
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1. IA, startups et écologie : trois clés
de réussite dans un contexte favorable
Dans un contexte de défis environnementaux pressants,
la propagation des nouvelles technologies telles que l'intelligence
artificielle dans l'écosystème entrepreneurial semble
évidente. Au coeur de cette convergence entre innovation,
incarnée par les startups, et les enjeux écologiques cruciaux, de
nouvelles dynamiques se créent entre des univers jusqu'ici distincts.
Dans cette perspective, explorer les interactions entre IA, startups et
écologie devient impératif pour appréhender leur
comportement futur.
1.1. Un contexte favorable : l'urgence
écologique
Depuis plusieurs années, l'écologie est devenue
un critère central dans les systèmes de prise de décision.
Si la conscience écologique grandit progressivement dans la
société, elle n'est pour autant pas toujours le premier
critère d'évaluation. Or les dérèglements
environnementaux se font de plus en plus nombreux et les experts, tels que ceux
du GIEC (Groupes Intergouvernemental d'Experts sur l'évolution du
Climat), insistent pour dire que cet enjeu doit devenir crucial si l'on veut
s'assurer de disposer d'un monde soutenable pour les prochaines
années.
1.1.1. Le constat écologique : que se
passe-t-il?
Le concept d'écologie naît au XIXème
siècle, grâce au biologiste allemand Ernest HAECKEL, s'appuyant
sur l'alliance grecque des mots «oikos» («maison» ou
«habitat») et «logos» («connaissance» ou
«raison»). A l'origine une science, l'écologie s'invite au fil
de son histoire dans la sphère politique, grâce à son lien
avec le bien-être des Hommes. Ce n'est qu'à la moitié du
XXème siècle que les premières considérations
alarmistes apparaissent, notamment faisant suite aux conséquences des
bombes nucléaires de la Seconde Guerre Mondiale. Ces
événements marquants illustrent alors la fragilité de
notre environnement et sa nécessité pour notre survie. Les
premières interrogations apparaissent alors : toutes les
activités humaines sont-elles acceptables?
C'est dans ce contexte que l'écologie telle que nous la
connaissons aujourd'hui apparaît. Les enjeux deviennent explicites
à la suite du rapport Meadows de 1972 : des premières
trajectoires sont modélisées pour évaluer l'avenir du
système Terre. Les travaux de recherche dans le domaine se sont
multipliés depuis, aboutissant notamment à ceux de Johan
ROCKSTROM et Will STEFFEN présentant les limites
planétaires6.
L'idée de cette étude est qu'il existe neuf
limites planétaires définissant les ressources et le
fonctionnement de notre planète et dont le dépassement conduit
à un basculement irréversible de l'équilibre
écologique mondial. Cette analyse permet de regarder les implications
6 ROCKSTRÖM, Johan, STEFFEN, Will, NOONE,
Kevin, et al. Planetary boundaries: exploring the safe operating space for
humanity. Ecology and society, 2009, vol. 14, no 2.
des activités humaines sur les
écosystèmes, et interroge ainsi sur les conditions de vie sur
Terre sur le régime de l'Holocène7. Les limites
établies sont les suivantes :
l Nouvelles pollutions chimiques;
l Changement climatique (concentration de CO2 / forçage
radiatif);
l Intégrité de la biosphère
(diversité génétique / diversité fonctionnelle);
l Changement d'usage des sols;
l Cycle de l'eau douce (eau bleue / eau verte);
l Perturbation des cycles biogéochimique (P/N) ;
l Acidification des océans;
l Concentration atmosphérique en aérosols;
l Appauvrissement de l'ozone stratosphérique.
Aujourd'hui, sur les neuf limites planétaires
établies, six ont déjà été
dépassées, ce qui interroge sur la viabilité de la
planète dans les années à venir, et sur la capacité
de l'Homme à autoréguler ses pratiques. Au-delà de ce
constat, il est également important de penser que les limites sont
étroitement liées, et peuvent s'impacter mutuellement. Les
solutions doivent donc être globales, afin de ne pas tenter
d'améliorer une dimension au détriment d'une autre.
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Figure 1 : Evolution des limites planétaires entre 2009
et 2023 [Source : RICHARDSON, 2023]
En effet, en restant sous le seuil de ces limites
planétaires, une autorégulation des systèmes
environnementaux est possible. Le dépassement d'un des seuils peut alors
causer des dégâts irréversibles, entraînant
eux-mêmes des conséquences dramatiques. Une bonne illustration de
ce mécanisme est par exemple le cas de pergélisol, un sous-sol
gelé en permanence et couvrant environ 20% de la surface de la
planète. Le réchauffement mondial entraîne sa fonte, et
cette glace expulse alors des quantités importantes de méthane,
un gaz à effet de serre qui va également contribuer à
l'augmentation des températures. Un cycle de dommages est alors
enclenché.
7 L'Holocène correspond à l'ère
géologique des 11 000 dernières années,
particulièrement favorable à la vie sur Terre.
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Le GIEC a donc décidé depuis plusieurs
années de prendre le rôle de lanceur d'alerte, en
établissant des rapports successifs présentant la situation
actuelle, les prévisions et les leviers d'action. Dans son
sixième rapport, des conséquences sont présentées
dans de nombreux secteurs, parmi lesquelles il est possible de retrouver:
l L'intensification d'événements
météorologiques extrêmes;
l La disparition locale d'espèces animales et
végétales impactant la biodiversité ;
l L'augmentation de la mortalité et de la
morbidité liées à la chaleur;
l L'accroissement des pénuries d'eau pendant certaines
parties de l'année.
Pour limiter ces effets, le GIEC établit donc des
scénarios plus ou moins optimistes sur l'évolution des
températures mondiales. Le célèbre objectif d'une
augmentation inférieure à 2°C d'ici 2100, acté par
l'accord de Paris sur le climat, paraît même insuffisant pour
conserver un mode de vie considéré comme 'agréable»
d'après les études effectuées. Or, les trajectoires
actuelles donnent plutôt une tendance à 3,2°C, soit bien
supérieure à l'objectif fixé. Cette évolution
incite donc de plus en plus la société civile à
s'interroger sur la viabilité des années à venir. Les
études scientifiques unanimement alarmistes sont de plus en plus
écoutées, mais n'engendrent pour l'instant pas suffisamment
d'action pour changer la trajectoire du centenaire. Les initiatives se
multiplient donc, même si leur effet est pour l'instant peu impactant,
dans le but d'aller à contre-sens des scénarios et pour garantir
la qualité de vie sur Terre.
1.1.2. L'envie et la nécessité
d'agir
Les constats cités précédemment se
suffisent à eux-mêmes pour prouver la gravité de la
situation et la nécessité de trouver des solutions. Le concept
d'urgence climatique raisonne désormais de plus en plus, illustrant la
nécessité d'agir afin d'éviter des effets de cascades,
rendant plus difficiles la vie sur Terre. Comme le souligne Audrey BOEHLY,
ingénieure et journaliste en écologie, 'Il nous faut
réduire notre empreinte écologique : nous produisons davantage de
pollution que la nature ne peut en absorber, et nous consommons
trop»8.
Ainsi, de plus en plus d'initiatives apparaissent dans la
société afin de mobiliser des forces variées pour tenter
de mettre un terme aux dommages environnementaux, en agissant auprès
d'acteurs multiples (citoyens, pouvoirs publics, entreprises, médias,
etc.). Les actions sont de différentes natures, allant de la
sensibilisation à la désobéissance civile, en passant par
le lobbyisme. Or, il est indéniablement difficile de demander à
chacun de changer ses habitudes pour une raison dont il ne verra pas les
conséquences à court terme. La difficulté réside
donc dans l'acte de convaincre de l'importance d'agir.
Le passage à l'action n'est pas systématique
mais plusieurs études démontrent que la conscience
écologique progresse dans la société. En effet, comme le
prouve le graphique ci-dessous pour le cas du réchauffement climatique,
la prise de conscience prend de l'ampleur dans la société civile,
et la thématique environnementale est une préoccupation
grandissante des dernières années.
8 NASTASIA Michaels. Quelles sont les limites
planétaires et à quoi servent-elles ? GEO. 05/06/2023.
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Figure 2 : Evolution de la préoccupation liée au
réchauffement climatique [Source : INSEE/CEPREMAP, 2022]
Toutefois, force est de constater qu'il subsiste une
disparité importante dans la population concernant le degré
d'intérêt pour l'écologie. Certains acteurs n'acceptent pas
cette lenteur d'action, conscient de l'urgence de la situation. C'est pour cela
que les initiatives sur le sujet se multiplient, se présentant
essentiellement sous trois axes majeurs :
l La formation, dans le but d'aider à la prise de
conscience sociétale pour la compréhension des
phénomènes et de l'urgence liée;
l La mobilisation individuelle et collective, ayant pour but
d'influencer des décisions;
l Le développement de solutions alternatives, ayant
pour but de remplacer le fonctionnement actuel de notre société
en imposant des moyens durables et responsables.
Toutefois, ce qui interroge reste le troisième axe :
est-ce qu'agir se limite à trouver des substituts durables ? Intervient
alors la question de la sobriété. Au-delà de la
volonté de faire autrement, il subsiste la possibilité de ne pas
faire, ou d'en faire moins. L'exemple souvent utilisé à cet effet
est celui de l'alimentation : est-il nécessaire de manger de la viande
rouge à chaque repas ? Plusieurs options sont alors possibles :
remplacer par la viande blanche et le poisson, devenir flexitarien ou
végétarien, voire végétalien.
Pour cela, de nombreuses entreprises oeuvrent pour
développer des solutions technologiques permettant de choisir parmi les
options possibles. Faire autrement n'est pas toujours évident, si
l'exemple de la viande est parlant, c'est parce que les alternatives sont
déjà existantes. Pour autant, il existe de nombreux cas où
trouver une autre voie demande un réel travail de recherche. Cet
objectif nouveau, le fait de proposer de nouvelles possibilités, devient
de plus en plus un marché : celui des solutions
«éco-responsables».
C'est par exemple le travail que cherche à faire la
startup Ullmanna : pour éviter le recours systématique aux
pesticides dans l'agriculture, un robot a été
développé pour analyser les images des champs, reconnaître
les plantes à désherber, et guider ensuite des lames pour les
retirer. Il n'y a ainsi aucun recours à des solutions chimiques
fortement polluantes.
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Pour aborder les problèmes sous un nouvel angle, comme
le fait Ullmanna, le recours à une technologie inédite peut
parfois apporter de nouvelles idées. Les champs d'application
particulièrement vastes de l'intelligence artificielle en font donc un
outil de choix. Son essor récent, grâce à des performances
et une visibilité inédites, incite donc une multiplicité
d'acteurs à s'intéresser à ces nouvelles approches pour
trouver des réponses innovantes aux problématiques
environnementales.
1.2. L'essor de l'intelligence artificielle et sa
popularité grandissante
L'intelligence artificielle est un concept grandissant, dont
les progrès scientifiques récents permettent l'essor. Le grand
public se l'est notamment approprié depuis peu avec l'arrivée de
ChatGPT, et commence donc à s'interroger sur son fonctionnement et ses
enjeux. Si la thématique est encore jeune, elle prend de l'ampleur
à une vitesse importante, en laissant entrevoir une nouvelle
manière d'utiliser l'informatique au quotidien.
1.2.1. «Intelligence artificielle», de quoi
parle-t-on réellement ?
L'intelligence artificielle, bien que popularisée
depuis moins de dix ans, n'est pas un concept nouveau. Sa naissance est
généralement attribuée à l'Université de
Darthmouth en 1956, lors d'une conférence de John McCARTHY et Marvin LE
MINSKY. Même si les techniques ont largement évolué en
presque 70 ans, il n'en reste pas moins que le concept est le même :
comme son nom l'indique, l'objectif est de créer un système
capable de simuler l'intelligence humaine. Ce domaine scientifique à
part entière ne commencera alors à se développer que dans
les années 80. C'est à cette période que les performances
informatiques commencent à être remarquables, les puissances de
calcul augmentent, les temps d'exécution diminuent, et de nouvelles
perspectives apparaissent.
L'objectif de l'IA est simple : reproduire la machine avec la
meilleure capacité de réflexion connue, le cerveau humain. Les
travaux du domaine ont donc pour objectif de recréer les raisonnements
et les liens logiques faits naturellement par les hommes, dans le but de les
faire opérer par une machine afin de les accélérer
grâce à la puissance de l'informatique. Les chercheurs du domaine
partent donc du constat qu'un homme, à partir d'une phase
d'apprentissage, est ensuite capable de réfléchir en autonomie :
il faut donc apprendre à la machine (on parle alors de machine
learning).
En effet, un enfant ne sait pas ce qu'est un chien avant d'en
avoir observé plusieurs. Il va donc retenir que l'animal qu'il voit
correspond au mot «chien» et sera alors capable de le
reconnaître la prochaine fois qu'il en verra un. L'IA fonctionne de la
même manière : après avoir enregistré plusieurs
images présentant un chien, elle pourra, sur de nouvelles images,
attribuer le bon nom d'animal en retrouvant les principales
caractéristiques (museau, taille, queue...). C'est donc la
répétition qui permet l'apprentissage et qui limite les erreurs.
Plus le nombre
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d'exemples vus précédemment est important, plus
il sera facile de distinguer le chien du chat, en affinant la définition
des critères propres à chaque espèce.
Lorsqu'arrive enfin la phase de test où un animal se
présente, chaque critère va être interrogé pour
vérifier si les caractéristiques observées ressemblent
bien à celles d'un chien, comme dans les exemples
précédemment étudiés. Parfois, le résultat
sera évident, mais parfois le doute persistera : est-ce un loup ou un
chien ? Pour trancher et décider de la réponse à donner,
chaque élément identifié comme une caractéristique
clé du chien va alors être évalué, et sa
ressemblance à ce qui est déjà connu va être
quantifiée par le biais d'une probabilité. L'agrégation de
ces probabilités permettra donc de donner une réponse : 'il
s'agit d'un chien, et ce résultat est sûr à 96%». La
seule différence avec le cerveau humain est donc que la machine
quantifie le résultat, plutôt que d'y répondre
instinctivement. Il y a donc une probabilisation des scénarios.
Le concept d'intelligence artificielle part donc du principe
qu'il est possible de reproduire le processus d'apprentissage de l'homme afin
de résoudre des problèmes en s'appuyant sur une machine. Mais sa
progression récente est liée à un nouveau concept
informatique arrivant dans le machine learning : il s'agit de la
naissance du deep learning depuis les années 2000. Cette
nouvelle technologie permet d'appréhender des éléments
plus complexes, en multipliant les phases d'apprentissages s'attardant sur
différents niveaux de détails. En effet, elle va fonctionner par
couche, où chaque couche va regarder des nouvelles
caractéristiques, allant du plus général ('est-ce un
animal ?») au plus spécifique ('la forme de ses yeux
correspond-elle à celle d'un chien ?»).
Cette découverte, notamment liée au chercheur
français Yann LECUN permet d'utiliser l'IA dans de nouveaux domaines,
avec un besoin de haute précision (comme l'analyse de radiographies par
exemple). Toutefois, il n'en reste pas moins que la reconnaissance d'un
élément ne pourra se faire que lorsqu'un apprentissage
poussé sera effectué, sur un grand nombre de données
préalables. La quantité de données à traiter pour
apprendre reste, pour l'instant, plus importante que celle d'un cerveau humain,
mais la puissance actuelle des ordinateurs tend à faire diminuer le
temps accordé à cette phase.
Afin de clarifier les propos, dans ce mémoire,
nous désignerons les programmes nécessitant d'une phase
d'apprentissage comme de l'intelligence artificielle.
1.2.2. L'IA au service de l'écologie : la
technologie comme facilitateur de la
protection environnementale
Il a bien souvent été constaté que la
machine la plus performante actuellement était le cerveau humain : sa
capacité de réflexion est inédite, et représente
une réelle opportunité dans un monde du 'toujours plus». En
effet, compte tenu des capacités multisectorielles permises par le
cerveau, transposer ce fonctionnement dans une machine afin d'accroître
son efficacité et sa rapidité ne semble que
bénéfique.
15/62
Dans un monde confronté à des défis
environnementaux croissants, l'intelligence artificielle émerge comme un
outil puissant et innovant pour soutenir les efforts de préservation de
l'environnement et de lutte contre le changement climatique. L'exploitation de
l'intelligence artificielle dans des domaines où l'évaluation
quantitative et qualitative est nécessaire peut donc permettre
d'améliorer l'efficacité et l'impact des actions
écologiques. Il est ainsi possible de classer les thématiques de
travaux selon trois axes : la surveillance, la gestion et la
modélisation des ressources naturelles et de leurs usages.
L'IA se développe ainsi de plus en plus dans le
domaine de la surveillance environnementale en permettant d'automatiser la
collecte, l'analyse et l'interprétation des données, même
en grand nombre. Grâce aux technologies d'apprentissage automatique, les
drones équipés de capteurs peuvent survoler les zones sensibles,
comme les forêts, des captures peuvent mesurer les
caractéristiques de certains milieux, comme l'océan ou l'air,
afin de détecter d'éventuels changements ou dépassements
de seuils d'alertes. Dans ce cadre, l'IA a donc un rôle de
prévention, pour identifier, au plus tôt, des
dérèglements afin d'agir rapidement sur les conséquences
qu'ils peuvent engendrer. Cette surveillance proactive permet une
réaction plus efficace aux menaces environnementales et facilite la
prise de décisions pour la conservation et la gestion durable des
écosystèmes.
Une application en forte expansion est par exemple le domaine
d'activité de la startup Firetracking, spécialisée en
prévention des incendies. L'entreprise a ainsi développé
un modèle d'IA pour la détection des fumées et
départs de feux sur des images vidéo afin de les localiser et
prévenir les secours au plus vite dans le but de limiter les dommages.
Ce concept a été déployé en Nouvelle
Calédonie pour limiter les conséquences des incendies et met donc
à profit les capacités d'apprentissage de l'IA.
En matière de gestion des ressources, l'IA peut
également être présentée comme un atout pour
optimiser l'utilisation durable des ressources naturelles. Les systèmes
d'IA analysent les schémas de consommation, identifient les
inefficacités et proposent des solutions innovantes pour réduire
les déchets et minimiser l'impact environnemental. Ce type de
technologies se retrouve par exemple dans le domaine de la gestion
énergétique des bâtiments. C'est notamment ce que propose
Eficia, dont l'approche est présentée dans l'interview
effectuée avec Faustin DUBUIS en annexe 3, en analysant les besoins des
infrastructures pour ensuite réguler les systèmes de chauffage et
climatisation de manière autonome. Cette approche permet, à
l'aide de capteurs installés sur les sites, d'anticiper les besoins, de
façon à n'allumer les dispositifs que lorsque cela est
nécessaire afin de limiter leur fonctionnement, très
énergivore.
De plus, l'IA contribue à la modélisation
environnementale en développant des modèles permettant de
prédire l'évolution des phénomènes. En analysant de
vastes ensembles de données climatiques, géographiques et
biologiques, les algorithmes peuvent alors anticiper le comportement des
écosystèmes et les impacts des activités humaines. Ces
modèles aident les scientifiques et les décideurs à mieux
comprendre les dynamiques environnementales, à
16/62
anticiper les changements futurs et à concevoir des
stratégies d'adaptation et d'atténuation efficaces. La
modélisation peut prendre des formes variées, comme les
trajectoires de températures régulièrement mises à
jour par le GIEC appuyées uniquement sur des statistiques, ou des
travaux de prospection comme peut le faire la startup Qonfluens. Ces derniers
travaillent à la description des dynamiques de population et
d'écotoxicité9 pour tenter de prédire par
exemple la pollution des sols dans plusieurs années ou l'impact sur la
biodiversité présente. L'IA va donc au-delà de la
surveillance, mais devient ainsi un outil permettant d'informer sur
d'éventuels dommages à venir afin d'en prévenir les causes
au plus tôt.
Par ces approches, l'intégration de l'intelligence
artificielle dans les initiatives écologiques représente une
opportunité transformative pour accélérer les
progrès vers un avenir plus durable. En exploitant les capacités
de ces systèmes informatiques en matière d'analyse des
données, il devient possible de renforcer les actions environnementales,
afin de mieux préserver la biodiversité et contribuer à
atténuer les effets du changement climatique. L'IA au service de
l'écologie ouvre la voie à des solutions novatrices, qui exploite
des technologies au champ d'application très large. Ce secteur encore
jeune est, en outre, amené à évoluer dans les prochaines
années pour gagner en performance, ce qui pourra alors permettre le
développement de dispositifs plus précis et dans des secteurs
pour l'instant non-exploités (comme le tri de déchet ou la
gestion du stress hydrique10, peu développés avec l'IA
aujourd'hui).
Cette convergence entre l'intelligence artificielle et
l'écologie marque le début d'une nouvelle ère où la
technologie devient un allié potentiel dans la lutte pour la
durabilité environnementale. Toutefois, la mise en oeuvre d'un tel plan
reste à exécuter et il est central d'identifier les acteurs de ce
changement. En France et en Europe, la dynamique d'innovation se voit largement
portée par les nombreuses startups se développant. Cela interroge
donc sur les qualités que présentent ces structures pour mener de
tels chantiers.
1.3. Les startups, entre originalité et
dynamisme
Les startups sont un sujet de plus en plus abordé, et
pourtant peu de monde est capable d'en donner une définition claire.
Souvent traduit en français par «jeunes entreprises
innovantes», ce terme est parfois critiqué pour être confondu
par un dispositif fiscal du même nom11.
Décorrélées de toute catégorie juridique ou
statistique, ce sont toutefois ces trois mots qui reviennent le plus
régulièrement pour décrire les startups : des entreprises
récentes, à forte croissance, portée par l'innovation, et
souvent dont l'organisation est basée sur un modèle
coopératif et horizontal. Ces structures, plutôt qu'être
officiellement identifiées comme startups sont donc souvent
revendiquées par ses propres membres comme telles.
9 L'écotoxicité fait
référence à la capacité d'une substance (souvent un
pesticide) à causer des effets néfastes sur les organismes et les
écosystèmes dans l'environnement.
10 Le stress hydrique désigne la pression
exercée sur les ressources en eau disponibles dans une région
donnée, souvent causée par une demande en eau qui dépasse
la capacité naturelle de recharge des sources.
11 Jeunes Entreprises Innovantes (JEI) est un
statut pouvant être obtenu par les entreprises de moins de 11 ans
consacrant une part importante de leur budget à la R&D. Elles
bénéficient alors de réductions fiscales et sociales.
17/62
1.3.1. Des caractéristiques intrinsèques
permettant l'action : innovation et
réactivité au changement
Depuis la crise sanitaire de 2020, l'innovation est apparue
comme étant au centre des
besoins des entreprises pour assurer leur survie. A titre
d'exemple, lors d'une étude menée
par LEYTON et KANTAR en
2021, 64% des entreprises déclarent que l'innovation est un réel
outil de sortie de crise12. On comprend ainsi pourquoi cette
volonté de proactivité règne dans un monde du
«toujours plus» : l'innovation rassure, en prouvant à chacun
que nous sommes capables de nous réinventer et de nous adapter dans
toutes les situations.
Les startups sont les maîtresses de ce concept,
puisqu'elles basent leur business model sur leur capacité
à être innovantes. Qu'il s'agisse du produit ou des
méthodes de travail, c'est un critère indispensable et immuable
pour qu'elles se déclarent startups. En effet, dans l'acte même de
création d'une entreprise réside bien souvent la volonté
de changement : l'entrepreneur souhaite répondre à un besoin en
se différenciant de ses concurrents. Cette perspective est ce qui motive
au passage à l'action, mais également ce qui permet de croire en
la réussite du projet.
La définition réside d'ailleurs ici : faire
différemment des concurrents existants. L'INSEE définit
d'ailleurs l'innovation comme il suit : «l'introduction sur le
marché d'un produit ou d'un procédé nouveau ou
significativement amélioré par rapport à ceux
précédemment élaborés»13.
Ce constat interroge donc sur la spécificité
des structures se proclamant comme startups. En effet, au-delà de la
dimension innovante, qui caractérise bon nombre d'entreprises, c'est
souvent sa mise en oeuvre qui explique le format inédit de
l'organisation. Il y règne bien souvent la volonté d'un
fonctionnement horizontalisé, où la hiérarchie est
réduite dans le but de favoriser l'échange et la
proactivité individuelle et collective. Le fait de limiter au minimum
les barrières officielles permet d'inciter les collaborateurs à
la prise d'initiative, sans peur de manquer de légitimité
où de ne pas être dans son rôle. Ce format agile permet de
créer un contexte favorable à l'innovation et l'idéation.
Ce polymorphisme facilite les interactions, ne limitant pas les salariés
à leur rôle défini mais les incitant à questionner
ce qui les entoure.
En outre, nous pouvons nous interroger sur la question du
contexte économique : créer une entreprise se fait dans le but de
répondre à un besoin. Or, ce besoin est ancré dans une
période et un lieu dont il est nécessaire de connaître les
caractéristiques pour en comprendre le fonctionnement. C'est d'ailleurs
bien souvent la difficulté des grands groupes : comment se
réinventer alors que l'environnement change ? La jeunesse des startups
fait donc écho à la volonté de répondre à un
besoin qui se veut actuel. Cette caractéristique intrinsèque
permet donc de prioriser les chantiers auxquels s'attaquer. Ainsi, en 2024,
est-ce possible de créer une entreprise sans prendre en compte la
dimension écologique?
12 LEYTON, KANTAR. Baromètre de
l'innovation 2021. Enseignement et solutions durables. Global Innovation
Summit. 2021.
13 INSEE. Les entreprises de France. INSEE
Références. Edition 2021. 01/12/2021.
18/62
C'est bien parce que l'essentiel des acteurs répond
'non» à cette question que les startups sont un vivier d'espoir
pour la transition écologique. Leur ancrage dans les
problématiques actuelles, leur agilité de fonctionnement et leur
envie de proposer quelque chose de nouveau en font les candidats parfaits pour
initier les changements. Ces organisations, souvent nommées 'à
impact», se font de plus en plus nombreuses, et leur poids croît
avec les années. Une étude effectuée par BPI France en
témoigne14 :
l Le nombre de startups à impact a augmenté de
6% entre novembre 2022 et novembre 2023 ;
l Elles représentent environ 9% de l'ensemble des
startups françaises en 2023, alors qu'il ne s'agissait que de 5% en 2021
;
l Elles emploient 32 000 personnes en France en 2023.
En 2023, 50% de ces startups se retrouvent dans quatre
secteurs principaux : l'énergie, la mobilité, l'agriculture et
l'économie circulaire. Les innovations y sont alors nombreuses, puisque
ces structures se développent grâce à des idées
jamais vues, rendant la transition écologique accessible.
Ainsi, il est possible de prendre comme exemple Accenta
(cf. Annexe 4) qui oeuvre dans ce domaine en tentant de limiter les
impacts environnementaux liés à la consommation
énergétique des bâtiments. Ils figurent parmi les startups
à impact mentionnées par la BPI puisque leur solution innovante
permet de populariser le géostockage et d'optimiser son utilisation.
L'objectif est ainsi d'utiliser la température des sous-sols selon les
saisons pour réguler les besoins en surface. L'innovation réside
dans la régulation de ce dispositif puisque les besoins en
énergie sont anticipés grâce aux utilisations
passées afin de puiser la quantité exacte nécessaire
grâce aux analyses de données effectuées par des modules
d'intelligence artificielle. De cette manière, il n'y a pas de
surconsommation d'énergie, ce qui fait économiser environ 40% par
rapport aux systèmes traditionnels.
Accenta, forte de son succès, a
bénéficié ainsi en 2023 d'une levée de fonds de 108
millions15 d'euros et est entrée au classement French Tech
203016. C'est donc cette alliance d'enjeux nouveaux, et de
maîtrise des technologies actuelles qui a permis à la startup de
se démarquer par son innovation et d'accroître sa
notoriété, approchant progressivement des marchés de plus
en plus gros, tels que la Fnac ou la ville de Roubaix.
L'innovation, dans un contexte de transition
nécessaire, permet ainsi de réorienter les consommations vers des
approches plus durables, adaptées à la crise environnementale
actuelle. Les startups sont donc, par essence, porteuse de cette
démarche, à la fois agile et proactive. Ce fonctionnement les
démarque en les positionnant comme des acteurs souples et sachant
s'adapter. Toutefois, leur fragilité reste inhérente,
conformément à toute jeune
14 BPI France, France Digitale, Mouvement Impact
France. Mapping 2023 des startups françaises à impact : les
startups françaises à impact ont levé près de 10
milliards d'euros depuis leur création. Novembre 2023.
15 WONG Camille. Greentech : Accenta lève
108 millions d'euros pour décarboner les bâtiments. Les Echos.
14/09/2023.
16 Ce programme récompense 125 entreprises
innovantes en leur permettant d'avoir un soutien (financier et extra-financier)
de deux ans de la part de l'Etat français.
19/62
entreprise dont l'avenir n'est pas tracé. C'est pour
cela que les soutiens publics sont multiples : que faire pour assurer la
prospérité, le dynamisme et la longévité de ces
organisations d'avenir?
1.3.2. Un environnement politico-économique
favorable au développement :
les soutiens nationaux et locaux pour les initiatives
entrepreneuriales
Dans le but de soutenir l'innovation permise par les
startups, la France a entrepris ces dernières années des
chantiers ayant pour but de démultiplier les soutiens possibles afin
d'inciter à leur création et de faciliter leur subsistance dans
le temps. Cette démarche a notamment vu le jour en 2004 avec la
création des pôles de compétitivité à la
suite du rapport de Christian BLANC17. Il y affirme alors que
«la compétitivité française repose aujourd'hui
sur l'innovation» et que c'est donc pour cela qu'il est indispensable
de la soutenir.
A l'issue de ce travail, l'objectif devient d'identifier les
acteurs majeurs de l'innovation pour les regrouper et les accompagner dans leur
développement. Arrivent donc rapidement les universités et
écoles, sources de connaissances, mais également bon nombre
d'entreprises. Alors que le concept de startup est encore peu utilisé,
elles prennent une place de plus en plus importante, comme vivier
d'initiatives. Cette réunion de parties prenantes permet de créer
des synergies afin de faciliter la mise en commun et d'accélérer
l'innovation.
Ce concept a notamment vu son apogée arriver avec la
naissance de Station F en 2017 : il s'agit du plus grand campus de startups au
monde, créé par Xavier NIEL et Roxane VARZA, et ayant pour but
d'encourager au dynamisme de chacun. Après un chantier de 3 ans
entamé avec le soutien du président François HOLLANDE, son
inauguration en présence d'Emmanuel MACRON a marqué
l'arrivée de centaines de startups et d'investisseurs du monde entier
dans le but de symboliser la stratégie de startup Nation,
voulue pour soutenir le dynamisme économique et l'innovation.
Aujourd'hui, sa place reste inchangée, ce lieu toujours iconique et
incontournable est un pilier du développement des startups de tout
horizon.
En parallèle de ce type de projets sont
également arrivés des accompagnements financiers nationaux
multiples parmi lesquels on peut citer:
l Le crédit d'impôt innovation en 2013
destiné uniquement aux petites entreprises, s'ajoutant au crédit
d'impôt recherche existant depuis 1986 ;
l La bourse French Tech en 2014, subventionnant la
création de startups;
l Le Prix Pépite initié en 2014, offrant un
soutien financier et administratif pour les entreprises innovantes
créées par des étudiants ;
l Le statut de Jeune Entreprise Innovante de 2004,
prévu pour s'arrêter en 2016 mais finalement
pérennisé, pour permettre des exonérations fiscales et
sociales aux entreprises récentes effectuant des travaux de R&D.
En complément de ces soutiens nationaux, autant de
dispositifs sont apparus à l'échelle locale, notamment
régionale. La multiplication de subventions, de programmes
d'accompagnement et d'incubateurs a donc favorisé le
développement et la rencontre d'acteurs
17 BLANC Christian. Pour un
écosystème de la croissance. Rapport au Premier Ministre.
2004.
20/62
de l'innovation. L'ensemble de ces mesures a eu comme effet
direct une augmentation du nombre de création d'entreprise, puisque le
contexte est alors devenu plus favorable au développement d'un projet
nouveau comme en témoigne le graphique de l'INSEE ci-dessous.
Figure 3 : Nombre de créations d'entreprises en France
depuis 2010 [Source : INSEE, 2021]
Plus récemment, de plus en plus d'aides se voient
orientées vers des secteurs d'activités estimés comme
«porteurs d'avenir». L'objectif est ainsi d'inciter à la mise
en place de projets dans certains domaines, avec en tête de liste
l'écologie. Ils sont souvent divisés en deux catégories,
selon si les solutions proposées s'appuient sur la technologie ou non.
Les startups de la greentech se fait donc de plus en plus nombreuses,
et son développement s'appuie sur des soutiens à toutes les
échelles:
l A l'échelle européenne, des programmes de
financement comme LIFE dans le domaine de l'environnement et du climat;
l A l'échelle nationale avec le programme GreenTech
Innovation, proposant un ensemble de dispositifs de soutien et d'accompagnement
pour 273 startups (2023) ;
l A l'échelle régionale, des pôles de
compétitivités locaux comme ENTER en Nouvelle Aquitaine soutenant
et mettant en lien des acteurs du numérique durable.
Ces incitations publiques multiples au développement
de projets pour l'écologie poussent donc les entrepreneurs à la
mise en place d'initiatives alliant le côté novateur des
technologies numériques et les enjeux actuels environnementaux et
climatiques. C'est donc pour cela que plus récemment, avec le
développement de l'intelligence artificielle, cet outil est
exploité pour se mettre au service de l'écologie par un grand
nombre de nouvelles entreprises.
Les startups se retrouvent donc au coeur des mutations
actuelles, multipliant l'utilisation des nouvelles technologies comme
l'intelligence artificielle pour les mettre au service des besoins actuels de
nos sociétés. Quand ces moyens sont mis au service de
l'écologie, la combinaison est inédite et nous pousse donc
à nous interroger sur la pertinence de leur usage conjoint.
21/62
2. Quand les incohérences de l'IA se heurtent
à l'urgence climatique
Si l'intelligence artificielle est un concept attrayant, sa
mise en oeuvre est loin d'être anodine. Qu'il s'agisse des coûts
liés à son développement ou son utilisation, ils sont
multiples et peuvent représenter un grand nombre d'externalités
négatives. En outre, l'essor de cette technologie essentiellement
portée par des startups s'ancre dans un contexte
politico-économique peu en accord avec la sobriété
prônée par bon nombre de scientifiques. Il est donc
nécessaire de s'interroger sur la compatibilité de ces
éléments, afin de s'assurer de l'intérêt (ou non)
d'encourager ces solutions dans un contexte d'urgence écologique
indéniable.
2.1. L'intelligence artificielle comme source de
pollution
On oublie bien souvent que le numérique, domaine dans
lequel s'inclut l'IA, n'est pas virtuel, mais bien palpable. Au-delà du
concept que représente un algorithme, il est indispensable de
détenir le matériel pour l'exécuter. Sans cette mise en
oeuvre pratique sur un quelconque ordinateur, l'intelligence artificielle en
tant que telle n'est d'aucune utilité.
C'est notamment dans ce passage de l'imaginaire au
réel que le coût écologique se fait: en 2019, la pollution
numérique représentait 4% des émissions carbonées
mondiales, soit le double du transport aérien. Par ailleurs, notre
utilisation croissante de ces technologies a généré avec
2018 une augmentation annuelle de 8%18, faisant ainsi du secteur un
pollueur majeur.
Il est donc indispensable de cerner ces enjeux en
intégrant aux externalités de l'IA ces coûts
environnementaux négatifs, qui viennent se présenter comme des
freins majeurs, parfois alarmistes dans son déploiement et sa mise en
place.
2.1.1. La consommation énergétique, un
poids environnemental majeur
La consommation énergétique est bien souvent
vue comme le premier facteur négatif lié à l'utilisation
de l'intelligence artificielle. En effet, qui dit utilisation de l'IA dit
également ordinateurs et serveurs pour la faire fonctionner. Or, ces
dispositifs sont extrêmement énergivores, principalement en
électricité, et sont pourtant indispensables pour n'importe quel
algorithme. Qu'il s'agisse de leur production ou de leur utilisation, ces
appareils puisent dans des ressources planétaires de plus en plus
précieuses.
18 THE SHIFT PROJECT. Déployer la
sobriété numérique. Rapport intermédiaire
dirigé par Hugues FERREBOEUF. Janvier 2020.
22/62
Figure 4 : Distribution de la consommation
énergétique du numérique par poste pour la production (en
orange) et
l'utilisation (en bleu) du numérique en 2017 [Source : The
Shift Project, 2020]
L'IA rend le défi encore plus important puisque, pour
garantir des résultats corrects, les modèles informatiques
doivent s'entraîner sur des jeux de données immenses, devant
être stockés, déplacés et transformés, afin
de garantir une progression du programme au fil de ses exécutions. Rien
qu'aux États-Unis, premier hébergeur mondial de données,
le chiffre s'élève à plus de 2700 centres de
données19 et à cela s'ajoutent les centaines d'autres
disséminés dans le reste du monde, dont plus de 250 en France.
Pourtant, leurs besoins énergétiques sont multiples :
l Alimentation en électricité pour les maintenir
allumés;
l Alimentation en électricité
supplémentaire pour chaque accès ou déplacement de
données;
l Régulation des températures des salles via
d'importants systèmes de climatisation.
Ce problème, déjà connu depuis plusieurs
années maintenant, est loin d'être résolu puisque les
données s'accumulent, en étant rarement supprimées. En
effet les entreprises souhaitent conserver leur historique et ne jamais
l'effacer, même lorsqu'il n'est pas utilisé. Le principe du
«au cas où» règne en maître : même si un
algorithme n'utilise que des images en HD pour son fonctionnement, on
conservera la version 4K en se disant qu'il sera peut-être pratique de
l'avoir à l'avenir.
L'amélioration constante des algorithmes
d'intelligence artificielle et la recherche de performance supérieure ne
font qu'aggraver le problème : les programmes vont tourner pendant des
heures, faire appel à de plus en plus de données, et solliciter
de plus en plus d'espace disponible dans les serveurs afin de calculer plus
rapidement. En ce sens, une amélioration des performances de l'IA est
négativement corrélée à son impact
écologique.
Toute la difficulté réside cependant dans le
fait de quantifier ce coût énergétique afin de le
comprendre et de le maîtriser. C'est notamment cet objectif qui a
guidé une équipe de
19 GAUDIAUT Tristan. Le pays qui héberge
le plus de data centers. Statista. 07/10/2022.
23/62
chercheurs de l'Université du Massachusetts a
étudié le coût énergétique de l'IA
Transformer créé par Google en 2017. Cette
dernière a pour objectif d'améliorer le traitement du langage
naturel20 appliqué aux problématiques de traduction en
s'appuyant sur le fonctionnement d'attention : l'algorithme identifie en
priorité les mots-clés afin de traduire selon le contexte. Il
s'agit donc a priori d'un modèle nécessitant de nombreuses
données afin d'apprendre itérativement pour améliorer son
passage d'une langue à l'autre.
Les équipes du Massachusetts ont étudié
l'intégralité de l'énergie nécessaire à la
mise au point de ce modèle. Ils ont donc analysé l'ensemble des
phases d'apprentissage du modèle afin d'obtenir des indicateurs
quantitatifs. Cela comprend notamment:
l L'ajustement des hyperparamètres définissant
les caractéristiques globales de la structure de l'algorithme;
l La recherche des pondérations optimales21
de chaque paramètre de l'algorithme pour arriver à la meilleure
traduction possible.
Au changement de chaque hyperparamètre, un
réapprentissage complet du modèle doit être effectué
: c'est donc après de nombreux essais qu'un modèle optimal est
défini. Intuitivement, on comprend que ce mode de fonctionnement est
extrêmement coûteux en énergie, et que la phase
d'apprentissage peut consommer bien plus que l'utilisation du modèle
final. En effet, la définition des paramètres est rapidement
fastidieuse et cela a bien été confirmé par
l'équipe du Massachusetts : l'ensemble des phases d'essai a
consommé 3200 fois plus que l'apprentissage seul du modèle final
optimisé22.
Le problème identifié ici n'est donc pas
l'intelligence artificielle en tant que telle et les modèles qui la
constituent, mais bien la démarche qui permet d'arriver à ces
algorithmes performants. Tout l'enjeu est donc de limiter les consommations
énergétiques engendrées par les phases d'essai et
d'apprentissage. Celles-ci sont constituées d'itérations
successives, parfois à tâtons, dans le but de déterminer la
combinaison optimale de paramètres permettant l'obtention du meilleur
résultat possible.
C'est en cela que l'intelligence artificielle soulève
un paradoxe quant à son inspiration humaine : alors que le cerveau a
besoin de très peu d'énergie pour apprendre une importante
quantité d'informations, l'IA, quant à elle, est
extrêmement consommatrice et n'obtient pas d'aussi bons résultats.
En effet, il reste aujourd'hui bien souvent incontestable qu'un
franco-britannique fournira une bien meilleure traduction que bon nombre
d'algorithmes en ligne, malgré leur apprentissage sur une immense
quantité de données.
C'est pour cette raison que le super-traducteur open
source Bloom développé par le CNRS en 46 langues a
été étudié. Anne-Laure LIGOZAT et ses
collègues ont ainsi estimé que sa
20 Le traitement du langage naturel est la
capacité d'un algorithme à comprendre une phrase, comme peuvent
le faire les agents conversationnels tels que ChatGPT.
21 Un modèle algorithmique s'appuie sur des
expressions mathématiques où tous les coefficients doivent
être pondérés par des valeurs les plus précises
possibles dans le but d'obtenir un résultat (ici, une traduction). Il
s'agit de la phase d'ajustement de la formule en s'appuyant sur des
données dont on connaît le résultat final (des phrases
déjà traduites).
22 STRUBELL, Emma, GANESH, Ananya, et MCCALLUM,
Andrew. Energy and policy considerations for modern deep learning research. In
: Proceedings of the AAAI conference on artificial intelligence. 2020. p.
13693-13696.
24/62
phase d'apprentissage de 118 jours avait émis 24,7
tonnes eqCO223, soit l'équivalent d'environ 14 allers-retours
Paris-New York en avion. Dans ce calcul, les phases d'essai-erreur lors de la
création du modèle et les phases d'utilisation à
postériori ne sont pas prises en compte. On comprend donc que la
performance des modèles s'obtient bien souvent au détriment de la
planète.
De fait, comme l'énonce le rapport du Shift Project de
janvier 202024 : «introduire une technologie numérique -
même dans le but de diminuer une consommation énergétique,
de réduire les émissions de carbone ou d'oeuvrer aux transitions
d'une quelconque manière - doit faire l'objet d'une
réflexion». En effet, même si l'intérêt de l'IA
n'est bientôt plus à démontrer, elle reste soumise aux
contraintes énergétiques mondiales, même lorsqu'elle est
impulsée par des géants tels que Google ou Microsoft. En outre,
sa pollution ne se limite pas à l'entraînement et à
l'utilisation de modèles, mais inclut également la construction
du matériel nécessaire à son développement. Des
ordinateurs aux serveurs en passant par les câbles électriques,
tous représentent un poids non négligeable et une grande
quantité de ressources.
2.1.2. L'IA : une technologie virtuelle avec des besoins
matériels
Au-delà des considérations
énergétiques, la fabrication de l'ensemble du matériel
nécessaire à l'utilisation de l'IA nécessite un recours
à de nombreux matériaux, dont certains très rares (cobalt,
lithium, mercure, etc.), et à des procédés de fabrication
complexes. On pense bien entendu en premier lieu à la production des
ordinateurs, des téléphones ou des serveurs et leurs
infrastructures, mais ils ne représentent en réalité
qu'une partie des besoins. En effet, la diversité de capteurs
nécessaires pour la collecte des données est un puit immense de
consommation de matière première, imposant une exigence sans
précédent dans leur fabrication, dans le but de collecter des
informations toujours plus précises et retranscrivant la
réalité avec un maximum de détails. Qu'il s'agisse de
thermomètres, de compteurs, de lasers, ou de chronomètres, le
niveau d'exigence désormais attendu les contraint à être
issus de procédés de fabrications nouveaux.
C'est par exemple le cas des lasers, qui ont
bénéficié d'avancées scientifiques majeures en
moins d'un siècle, et pour lesquels les techniques se sont largement
complexifiées. Initialement, ils étaient simplement issus de gaz
sous pression et excités par impulsions électriques qui
génèrent ainsi une lumière unidirectionnelle. Cependant,
progressivement, de nouvelles méthodes sont apparues, comportant chacune
leur spécificité permettant des performances optimales selon les
cas d'application. On distingue par exemple des socles techniques tels que:
l Les semi-conducteurs, comme la diode25, et qui
constituent les lasers à usage domestique ou peu exigeants en
précision ;
23 LUCCIONI, Alexandra Sasha, VIGUIER, Sylvain, et
LIGOZAT, Anne-Laure. Estimating the carbon footprint of bloom, a 176b parameter
language model. Journal of Machine Learning Research, 2023, vol. 24,
no 253, p. 1-15.
24 THE SHIFT PROJECT. Déployer la
sobriété numérique. Rapport intermédiaire
dirigé par Hugues FERREBOEUF. Janvier 2020.
25 La diode est un composant électronique ne
permettant au courant électrique de ne passer que dans un sens.
l
25/62
Les supports solides, comme le mélange de saphir et de
titane, qui permet d'atteindre de grandes puissances ;
l Les colorants, souvent toxiques, mais permettant de choisir
la longueur d'onde26 ;
l La fibre générant une amplification
optique27 importante.
Face à la multiplicité d'options pour chaque
type de capteur et appareils de mesure, il est évident que les besoins
en matières premières, dont l'approvisionnement est parfois
limité, sont de plus en plus divers, nécessitant d'extraire des
ressources jusqu'ici peu exploitées. La rareté de bon nombre
d'entre elles impose des transports réguliers à travers le monde
pour relier les différents lieux clés de la fabrication et de
livraison, ce qui ne fait augmenter le besoin en ressources et le coût
environnemental de chacun des composants sur lesquels s'appuie l'IA.
Au-delà de la nature des composants
nécessaires, leur nombre et leur variété sont frappantes.
Par exemple, la startup française Skyvisor est spécialisée
dans l'inspection automatisée préventive des structures comme des
éoliennes ou des panneaux solaires. Pour effectuer leur analyse et
soumettre des préconisations de maintenance, des drônes
équipés de caméras de grande précision sont
déployés afin de récolter les données (des images)
sur lesquelles travailler. Il faut donc un grand nombre de matériel :
l Un ordinateur pour afficher les résultats;
l L'accès à un serveur dans un data center qui
collecte toutes les données et effectue les calculs;
l Des drônes équipés de caméras
variées (caméra haute résolution, caméra
thermique...);
l Un dispositif permettant l'accès à internet
;
l Des câbles (électrique, fibre optique...).
On comprend ainsi qu'un outil, par son interconnexion,
nécessite de nombreux composants pour son fonctionnement. Par ailleurs,
au coeur de ces fabrications résident quasi-systématiquement les
mêmes matériaux. L'Université de Yale a d'ailleurs
mené une étude en 201528 pour déterminer la
part de chaque matériau dans la fabrication d'un circuit
imprimé29. Ce constat a été placé sur un
tableau période des éléments, regroupant l'ensemble des
matériaux présents sur Terre, de façon à identifier
l'importance de chacun d'entre eux.
Or, cette même étude a également fait
état des risques de tension d'approvisionnement de matériaux dans
les années à venir. Il a ainsi été constaté
que beaucoup d'éléments étaient communs aux deux tableaux,
ce qui interroge sur notre capacité future à continuer à
concevoir de nouveaux matériels informatiques.
26 La longueur d'onde représente la
distance entre le début et la fin d'une ondulation (entre deux
crêtes ou deux creux) générée par la lumière,
elle va déterminer la puissance du laser.
27 L'amplification optique a pour but d'augmenter la
puissance ou l'intensité.
28 GRAEDEL, Thomas E., HARPER, Ermelina M.,
NASSAR, Nedal T., et al. Criticality of metals and metalloids.
Proceedings of the National Academy of Sciences, 2015, vol. 112, no
14, p. 4257-4262.
29 Un circuit imprimé est une plaque sur
laquelle des composants électroniques sont montés et
connectés par des pistes conductrices, permettant le fonctionnement de
divers dispositifs électroniques dont notamment les ordinateurs et les
smartphones.
26/62
Figure 5 : Tableau périodique des éléments
indiquant la concentration des matériaux pour la fabrication d'un
circuit imprimé (à gauche) et les matériaux en tension
dans les années à venir (à droite) [Source : GRAEDEL,
2015]
Au-delà des pollutions engendrées par
l'extraction, le transport et la transformation de ces matériaux, cela
interroge également sur les méthodes d'exploitation de ces
ressources naturelles. En effet, la construction de mines va détruire
des écosystèmes, les métaux et minerais utilisés
sont en quantité finie sur Terre, et les conditions d'exploitation ne
sont pas toujours respectueuses des droits humains.
En outre, aujourd'hui le recyclage de ce type de
matériaux est peu pris en charge. Eric VIDALENC évoque ce sujet
dans son essai30 : 'plus on est high-tech, moins on est
recyclable», «sur les 60 métaux que l'on trouve dans un
smartphone, seuls 17 sont recyclés».
Ce besoin en ressources naturelles interroge donc sur la
pertinence de l'utilisation de l'intelligence artificielle pour
l'environnement. Pour que cela ait un réel intérêt, il
faudrait que les gains soient largement supérieurs aux coûts
écologiques de fabrication. C'est une analyse complète du cycle
de vie qui doit être effectuée afin de s'assurer que la mise en
oeuvre de la technologie représente un bénéfice. En effet,
dans un monde où l'empreinte carbone moyenne d'un habitant est de 5
tonnes (et plus de 9 tonnes pour un français) alors que l'objectif est
à 2 tonnes eqCO2 en 2050, il est indéniable que la
création de n'importe quel produit doit être questionnée.
Cela nous amène donc à nous interroger même de la
pertinence du modèle économique des startups dans une ère
prônant la sobriété.
2.2. Startups et innovation technologique : le
«toujours plus» à l'aune de la
sobriété
Lorsque l'on définit une startup, il est
récurrent de parler de forte croissance économique de cette jeune
entreprise. Or, la croissance est souvent perçue comme un synonyme de
création et de massification. Ces concepts semblent donc aux antipodes
de la sobriété, pourtant définie comme le fondement
nécessaire à la transition écologique. L'équilibre
n'est donc a priori pas évident ; le trouver est alors un réel
défi pour les startups se disant 'à impact».
30 VIDALENC, Éric. Pour une
écologie numérique. Les petits matins, 2023.
27/62
2.2.1. La business model des startups, profit ou
impact?
Les startups présentent la particularité de
baser leur modèle sur le fait d'apporter une innovation, dont les
performances du produit sont supérieures à celles existant sur le
marché. Cette innovation doit alors permettre une forte croissance afin
de développer et pérenniser cette jeune entreprise. Aussi, les
startups s'ancrent parfaitement dans la société capitaliste
actuelle dont l'objectif central est d'augmenter la rentabilité.
Face à ce constat, le concept même de startup
interroge sur la compatibilité avec celui d'écologie. En effet,
il a été démontré de nombreuses fois, notamment par
le GIEC, que la transition vers un monde durable ne se fera que par
l'acquisition de pratiques plus sobres. Cela implique donc de réduire
les consommations pour limiter l'exploitation des ressources naturelles.
La sobriété et la croissance ne semblent donc
pas aller de pair, ce qui questionne la possibilité que des startups, et
plus généralement n'importe quelle entreprise, puissent
réellement s'engager dans une démarche environnementale. En
effet, la société actuelle pousse à la réussite
individuelle alors que la transition écologique nécessite un
travail collaboratif et de cohésion. C'est d'ailleurs la philosophie
d'un des scénarios de l'ADEME proposé dans le cadre du programme
«Transition(s) 2050» : les structures doivent penser à
travailler ensemble et à s'entraider mutuellement, en faisant passer au
second plan leur intérêt propre (scénario 2).
Figure 6 : Présentation des scénarios de l'ADEME
dans le cadre du programme «Transition(s) 2050»
[Source : ADEME,
2021]
En outre, l'intelligence artificielle interroge
également ce concept de sobriété. En effet, dans son
immense majorité, elle est utilisée pour analyser des millions de
données, ce qu'il serait impossible de faire sans cette technologie.
Quelles qu'en soient les applications, l'idée est d'intégrer
toujours plus de paramètres pour gagner en précision. L'ADEME
intègre d'ailleurs
28/62
l'intelligence artificielle comme un des
éléments clés de son scénario n°4, qui est
d'ailleurs décrit comme il suit : «Les modes de vie du
début du XXIème siècle sont sauvegardés.
Mais le foisonnement de biens consomme beaucoup d'énergie et de
matières avec des impacts potentiellement forts sur
l'environnement»31. En effet, les ressources
nécessaires pour cette approche sont importantes, et le scénario
part du principe que nous trouverons des solutions technologiques dans le
futur.
Ainsi, il est nécessaire d'interroger la pertinence du
développement important de startups notamment dans le domaine avec de
l'intelligence artificielle. La volonté de développement de la
structure semble s'opposer au concept de sobriété ou de
frugalité scientifiquement prôné.
Toutefois, ces organisations semblent avoir leur place dans
le cadre de substitution à la société actuelle. En effet,
malgré les ressources nécessaires, les conséquences de
nombreuses innovations semblent bénéfiques pour l'environnement.
De plus en plus de startups décident de s'auto-évaluer, en
cherchant à prendre en compte l'ensemble des coûts
environnementaux de leur procédé, y compris l'accès et le
stockage des données. Ainsi, ces nouveaux services, se voulant plus
vertueux, doivent, pour avoir un impact positif, prendre la place des
modèles actuels, et ne pas s'ajouter, afin d'éviter une
surconsommation (cf. section 2.3.1 sur l'effet rebond).
C'est dans cette optique qu'a travaillé Stratosfair :
pour limiter les impacts des data centers, la startup se charge d'en
construire de nouveaux avec des objectifs soutenables. Ainsi, chaque structure
respecte plusieurs critères:
l Les serveurs sont situés dans un conteneur
réemployé, posé sur des plots afin d'éviter de
bétonner une grande surface;
l Le local est alimenté par des panneaux solaires
installés au-dessus de la structure;
l Les lieux d'implantation sont proches des villes afin de
permettre un «circuit court» dans le transit de données;
l Les capacités de stockage sont restreintes, pour
éviter de surdimensionner et d'avoir des ressources
non-exploitées.
Ainsi, la startup, bien qu'appuyée sur un
modèle du «toujours plus» pour multiplier les sources de
stockage de données, a tenté de développer son
activité de manière raisonnée. Les ressources sont
allouées en dimensionnant préalablement les besoins, et en
interagissant avec les parties prenantes locales ; l'énergie est
produite de manière durable. Cependant, cet équilibre, difficile
à trouver, a tout de même mené à la faillite de
Stratosfair, ce qui illustre bien la complexité de compatibilité
entre sobriété et rentabilité.
Ainsi, chaque solution est pesée, en tentant
d'évaluer son intérêt pour l'environnement, mais
également son coût. Si a priori le modèle des startups
n'est pas forcément bénéfique dans un contexte de
transition écologique, il n'est pas pour autant antagoniste. Ce qui
est
31 ADEME. Transition(s) 2050. Choisir maintenant,
agir pour le climat. Horinzons. Novembre 2021.
29/62
fondamental, c'est d'avoir conscience des coûts et de
tenter par tous les moyens de les minimiser de sorte à ce que les
externalités positives soient plus importantes.
Dans le domaine de l'intelligence artificielle, et dans tous
les domaines liés aux données, se pose toutefois la question de
la transparence des modèles. Faut-il dire ce qui est fait avec ces
informations, au risque de dévoiler son expertise et de perdre en
compétitivité ? Ces questions à la fois éthiques et
écologiques du spectre de l'open sourcing sont donc
étroitement liées à celle du fonctionnement du
modèle d'affaires des entreprises.
2.2.2. Diffusion des données et des algorithmes :
la transparence est-elle
compatible avec la rentabilité ?
La question de la transparence se pose forcément lors
de développements ayant pour but de créer des modèles
nécessitant de manipuler des données. Celle-ci se situe à
deux niveaux : avoir connaissance des types de données utilisées,
mais également, savoir comment elles sont maniées. Cette
problématique, a priori éthique, interroge donc grandement sur
cette volonté d'accroissement des intelligences artificielles. En effet,
dans le contexte actuel du deep learning, le coeur de la
réussite se situe dans la masse de données : plus un algorithme a
de données, meilleur sera son apprentissage, et donc, meilleurs seront
ses résultats.
Ce sujet a vu son premier cadrage majeur apparaître
avec le RGPD (Règlement Général sur la Protection des
Données)32 en 2018, dont la CNIL (Commission Nationale de
l'Informatique et des Libertés) assure le respect. Toutefois, cette
approche se limite à savoir quelles sont les données
utilisées, mais ne s'interroge pas sur la manière dont cela est
fait. C'est donc dans ce but -à que les récents travaux de
l'Union Européenne ont permis d'aboutir à l'AI
Act33.
Ce nouveau cadre normatif a pour but de s'assurer que les
données ne sont pas manipulées par des modèles d'IA pour
induire en erreur. Son principe est de classer les différents
modèles d'intelligence artificielle selon le risque qu'ils
représentent pour l'utilisateur. En fonction du risque associé,
les exigences réglementaires sont plus ou moins importantes, allant de
l'affichage d'un message d'information (pour certains générateurs
de deepfake, les chatbots...), à l'interdiction de
l'outil (notamment pour le scoring social).
L'IA Act se positionnerait ainsi comme le premier
cadre normatif au monde pour régir l'intelligence artificielle. Son but
se décline notamment en quatre parties :
l La transparence et l'explicabilité, en imposant de
disposer d'une documentation claire sur les modèles ;
l Le respect des droits fondamentaux;
l La responsabilisation des développeurs et
utilisateurs, en assurant qu'un responsable puisse être
désigné en cas de dommages;
l La supervision et la gouvernance, par la création
d'organismes de surveillance.
32 RGPD :
https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX%3A32016R0679
33 AI Act :
https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:52021PC0206
30/62
On comprend ainsi que pour assurer la confiance des
utilisateurs, il est indispensable de signaler comment les données sont
exploitées et par qui. Cette réflexion est d'autant plus valable
dans des cas d'application en écologie : pouvoir expliquer comment
fonctionne le modèle et ce qu'il permet d'obtenir garantie à
l'utilisateur qu'il s'agit bien d'un outil vertueux et non de greenwashing.
La transparence est donc la première étape de la
coopération entre les acteurs : connaître les intentions de son
interlocuteur permet de s'assurer d'avoir des objectifs communs. C'est
également un moyen de vérifier que les visions des protagonistes
sont identiques, et d'identifier ainsi des biais que pourrait avoir un
modèle. Cette question éthique interroge donc plus largement sur
la capacité de mutualisation des ressources et de partage des
expertises.
Connaître le fonctionnement de l'autre peut être
décisif dans le choix d'un partenariat. Virgile BAUDROT donne l'exemple
de l'importance de la maîtrise de la localisation du stockage des
données (cf. annexe 2). En effet, une entreprise qui souhaite
s'engager profondément dans l'écologie va
généralement vouloir privilégier des serveurs
géographiquement proches. Il peut être également pertinent
de regarder qui gère le data center, et l'on pourra alors avoir
une opinion différente selon s'il s'agit d'un géant du
numérique, comme Amazon ou Microsoft, ou d'une startup locale comme
Stratosfair. Cette question de la gestion du serveur est cruciale, tant pour
l'aspect éthique qu'écologique. En effet, certaines entreprises
s'engagent à une gestion sobre des data centers, qu'il s'agisse
de leur alimentation en énergie, de leur empreinte au sol...
Enfin, la question de la transparence interroge sur le fait
de développer ou non des outils déjà existants. Le nombre
d'algorithmes déjà créés est immense et l'open
sourcing peut être une solution de sobriété. Avoir
accès aux codes de certains modèles permet d'avoir une solution
«clé en main», sur laquelle le travail d'optimisation a
déjà été réalisé, sans devoir
reproduire des travaux opérés précédemment par
quelqu'un d'autre et qui demanderont à nouveau des ressources
environnementales.
Il s'agit donc là de s'interroger sur la transparence
des modèles, mais également sur leur réplicabilité.
Si un modèle a été pensé de manière à
être le plus général possible, il pourra s'adapter à
de nouveaux cas d'usage ce qui évitera des développements
supplémentaires.
Toutefois, les startups travaillant en open source
se retrouvent bien souvent confrontées à la question de la
rentabilité du business model. Si une entreprise dévoile
son expertise sans garde-fous, se pose alors la question de sa capacité
à générer un chiffre d'affaires. On distingue alors bien
souvent deux schémas, comme l'évoquait Juliette FROPIER en
entretien (cf. annexe 6) :
l Les modèles entièrement en open source,
souvent financés dans un but d'intérêt
général, régulièrement par des acteurs publics,
avec l'objectif que tout le monde puisse ensuite l'utiliser, et en ne visant
ainsi pas forcément la rentabilité de cette opération;
l Les modèles partiellement en open source,
où une partie est disponible à tous, tandis qu'une autre
(souvent plus complexe) reste la propriété de l'entreprise et il
est donc nécessaire de payer pour pouvoir l'utiliser (comme le
modèle BERT de Google).
31/62
La transparence est donc un indispensable pour l'intelligence
artificielle mais n'est pas présente à un même degré
selon les entreprises et les projets. Certaines startups, comme c'est le cas de
Qonfluens, font le choix de travailler en open source en estimant que
leur valeur se situe dans leur capacité à développer de
nouveaux modèles. D'autres entreprises, majoritaires, gardent le code
secret tout en en dévoilant les grands principes pour assurer leur
rentabilité et leur compétitivité.
Toutefois, cela interroge sur les objectifs affichés
par bon nombre de startups en matière de transition écologique.
On comprend aisément que dévoiler l'intégralité de
son travail altère indéniablement le modèle d'affaires.
Pour tempérer cela, il est donc indispensable de pouvoir annoncer et
quantifier le caractère vertueux de l'outil. Sans cela, il est
impossible de s'assurer de sa plus-value écologique.
2.3. Coûts et bénéfices, de quoi
parle-t-on?
Si une solution technologique se dit vertueuse, il est
indispensable de disposer d'indicateurs pour quantifier, et ainsi,
vérifier, l'apport de sa mise oeuvre. La difficulté reste
cependant d'évaluer cet écart entre coûts et
bénéfices écologiques. L'impact d'une solution Green
IT serait alors moindre par rapport au cas IT for
Green34, mais selon quels indicateurs?
2.3.1. Les indicateurs pour mesurer la réussite
: choisir, comprendre et calculer
Pour privilégier une technologie à une autre,
il est indispensable d'avoir des indicateurs permettant de comparer les
performances et les impacts des deux solutions. La question se pose donc assez
naturellement pour l'intelligence artificielle. Le calcul des performances
s'appuie sur les approches classiques, déjà appliquées
depuis longtemps dans le secteur plus global du numérique. On
répondra alors aux questions telles que «Combien d'images mon
algorithme peut-il analyser par minute?» ou encore «Quel est mon taux
d'erreur ?».
L'interrogation principale se situe donc dans la mesure des
impacts. Selon l'outil considéré, ils peuvent être
variés, multidimensionnels, quantitatifs ou qualitatifs. En effet, il
n'existe pas de bonnes réponses pour mesurer l'éthique ou le
coût environnemental. Chaque modèle doit être
évalué au regard de son objectif d'utilisation. Si un algorithme
a pour but de réduire les consommations électriques liées
à la climatisation, il sera alors indispensable de s'assurer que la
régulation thermique du serveur utilisé ne génère
pas une consommation énergétique plus importante que la baisse
permise par le modèle.
On parle alors d'IA rouge ou verte :
l L'IA rouge (red AI) recherche à tout prix
l'amélioration de la précision, en s'appuyant sur la puissance de
calcul des machines et en complexifiant les modèles;
34 L'expression «IT for Green»
désigne le fait d'utiliser une technologie dans un cadre
écologique, alors qu'elle n'a pas forcément été
créée pour cela et qu'il ne s'agit que d'un cadre d'application
spécifique. Cette notion s'oppose au Green IT qui est une
technologie pensée de manière écologique pour
répondre de manière sobre à un besoin.
l
32/62
L'IA verte (green AI) recherche l'efficacité,
en tentant de se rapprocher des performances de l'IA rouge tout en
réduisant au maximum ses coûts et son impact (environnemental et
social), qui sont des critères d'évaluation à part
entière.
Il est donc indispensable d'établir un
équilibre entre les coûts et les bénéfices de chaque
intelligence artificielle pour se demander si ses besoins sont bien
inférieurs à ce qu'elle va pouvoir générer comme
bénéfice. L'évaluation peut être à la fois
chiffrée, mais également qualitative, dépendant ainsi du
contexte d'utilisation. Il est également utile de se demander si le
recours à cette technologie est réellement nécessaire :
est-il pertinent d'utiliser ChatGPT pour rechercher la date de naissance de
Simone Veil alors qu'une simple requête sur internet permettrait
d'obtenir cette réponse et serait bien moins énergivore ?
Aujourd'hui, l'intelligence artificielle est
considérée comme une nouveauté par la
société civile. Cela génère donc un engouement
autour de cette technologie, qu'une grande partie de la population veut
découvrir et apprendre à maîtriser. Nous sommes donc dans
une phase ascendante d'utilisation de ces outils avec une médiatisation
accrue : les utilisateurs ont une envie systématique d'y avoir recours,
sans vraiment s'interroger sur l'impact et l'intérêt de cette
démarche.
A l'heure actuelle, la part de la population prenant en
compte les enjeux écologiques est minoritaire. Même si cette
dimension est croissante auprès des plus jeunes
générations, il n'en reste pas moins qu'elle n'est pour l'instant
pas prioritaire. Indéniablement, l'intelligence artificielle va devoir
s'adapter et changer pour se conformer à ces convictions
écologiques grandissantes.
S'il semble peu probable que l'intelligence artificielle
disparaisse de notre monde pour des raisons écologiques, il va en
revanche être nécessaire de «mieux faire» l'IA.
Au-delà de la question de la mesure de l'impact, il va falloir que la
démarche cherche intrinsèquement à le diminuer. Un
modèle très bien documenté, décrivant chaque test
ayant été fait, les résultats obtenus et les conclusions
tirées permet non seulement d'accroître les connaissances dans le
domaine mais également de ne pas reproduire des erreurs
déjà effectuées. Etroitement lié à la
question de la transparence, on comprend donc que l'accès aux
informations peut non seulement être source de progrès mais
également d'économie de ressources environnementales. Ainsi, un
développeur pourra directement partir d'un modèle
déjà optimisé pour l'adapter à son cas
d'application sans avoir besoin de le reconstruire entièrement.
Ce qui reste aujourd'hui peu étudié est tout de
même l'impact environnemental global des modèles d'IA. Il convient
donc de se demander si la bonne manière d'aborder ce type d'étude
ne serait pas de se rapprocher d'une ACV (Analyse du Cycle de Vie). Il n'y a
aujourd'hui pas de méthode établie pour mesurer le coût
écologique d'une solution. Selon les cas, toutes les étapes du
cycle de vie ne seront pas prises en compte ou alors, elles le seront de
manière différente. Certaines entreprises vont vouloir être
les plus exhaustives possible, tandis que
d'autres ne vont se concentrer que sur leur
développement pour avoir des résultats les plus vendeurs.
Globalement, il semble indispensable de prendre en compte
l'ensemble des étapes nécessaires au bon fonctionnement final de
l'intelligence artificielle. Même si toutes les structures ne font pas
cette démarche, c'est cette évaluation globale qui paraît
la plus pertinente. On y retrouve donc quatre éléments principaux
devant être évalués:
l Le matériel utilisé pour faire fonctionner
l'IA (serveur, ordinateur, capteurs, câbles, antennes...);
l La phase d'entraînement du modèle pour
déterminer les hyperparamètres optimaux, offrant les meilleures
performances possibles;
l La phase d'entraînement sur le jeu de données
final, avec les hyperparamètres optimaux fixés;
l La phase d'utilisation du modèle.
A l'heure actuelle, un faible nombre d'évaluations
cherchent à être systémiques. Jusqu'à peu, l'outil
d'évaluation green algorithm35 est celui qui faisait
foi. Pourtant, ce dernier ne prend pas en compte le matériel
nécessaire au fonctionnement des modèles, qui est pourtant un
poste de dépense de ressources très important. Même si de
nouveaux outils apparaissent, tentant d'être plus complets que green
algorithm, aucun ne fait aujourd'hui consensus.
Il n'existe d'ailleurs pour l'instant pas de label permettant
d'attester du caractère éco-responsable d'une intelligence
artificielle. Même si de plus en plus de modèles sont
développés avec ce but, il n'a pas encore été
défini de critères objectifs pour établir le
caractère vertueux ou non d'un modèle.
Plusieurs labels complémentaires existent dans des
domaines adjacents. C'est par exemple le cas du label «ADEL-AI Act»
s'intéressant au cadre éthique du modèle, en regardant ses
objectifs, sa transparence et sa sécurité. Dans le domaine
écologique, l'Institut du Numérique Responsable (INR) a
également créé son label : le Label du Numérique
Responsable. Ce dernier évalue l'impact environnemental des
technologies, mais il n'est pas adapté à l'intelligence
artificielle ; il s'intéresse à l'ensemble des solutions
numériques pouvant exister avec des critères beaucoup plus vastes
qui ne sont pas forcément compatibles avec les modèles d'IA. Il
s'intéressera par exemple à la sobriété d'un site
internet, pour s'assurer que la consultation de celui-ci ne
génère pas une trop forte consommation de ressources.
La question de l'évaluation de l'impact de
l'intelligence artificielle n'est donc aujourd'hui pas réglée.
Même si des pistes commencent à faire consensus (comme les phases
à prendre en compte dans l'analyse), aucun référentiel
n'est actuellement établi pour calculer le coût environnemental de
ce type d'algorithme. Ce qu'il en ressort toutefois, c'est qu'il est
indispensable que l'apport généré par l'algorithme soit
bien supérieur à son coût d'utilisation et de
création. Aujourd'hui, comme l'évoque Juliette FROPIER en annexe
6, le Ministère de la Transition Ecologique n'encourage aucune
initiative qui n'est pas en capacité de prouver que les
33/62
35 https://www.green-algorithms.org/
34/62
bénéfices de son recours sont bien
supérieurs à ses coûts. C'est bien cela qui doit être
prioritairement regardé.
Les outils de quantification doivent être choisis au
regard de l'objectif d'utilisation et ne peuvent donc pas être
universels. Il est ainsi nécessaire de s'interroger
systématiquement sur la pertinence du recours à une technologie
pour un cas d'application donné.
Par ailleurs, il est indispensable de regarder les impacts
indirects de ces technologies, pour tenter d'avoir une vision la plus
exhaustive possible. Une large partie de ces effets annexes se retrouvent dans
l'effet rebond qui peut générer une surconsommation liée
à l'arrivée d'une technologie. Leur prise en compte est donc
indispensable pour s'assurer de la pertinence d'une solution.
2.3.2. L'effet rebond, facteur de réduction du
progrès
L'effet rebond est bien souvent négligé lors de
prise de décision et est pourtant capable de détruire les
bienfaits d'une action. En effet, son principe est simple : lorsqu'une mesure
permet de diminuer sa consommation d'une ressource, cette dernière sera
utilisée ailleurs et ne sera pas économisée.
L'effet rebond était initialement appelé le
paradoxe de JEVONS (de l'économiste du XIXème
siècle du même nom). William Stanley JEVONS a observé que
le progrès dans l'efficacité énergétique des
machines à vapeur n'a pas réduit l'utilisation de cette ressource
à l'échelle macroéconomique, puisque les gens ont
continué à utiliser le charbon économisé dans
d'autres secteurs. Ce phénomène intimement lié à
l'économie a été constaté dans de nombreux domaines
et aujourd'hui essentiellement classifié en deux catégories :
l L'effet rebond direct : la machine à vapeur consomme
moins de charbon, donc elle pourra être utilisée plus souvent ou
plus longtemps;
l L'effet rebond indirect : la machine à vapeur
consomme moins de charbon, donc le charbon restant pourra être
utilisé pour d'autres applications.
Ce phénomène incite donc à s'interroger
sur les objectifs des démarches d'innovation : les économies de
ressources sont-elles faites dans un but de sobriété ou
d'accroissement de la consommation ? En effet, dans un monde où les
ressources naturelles sont limitées pour maintenir un niveau de
développement et de croissance constant, il est indispensable
d'apprendre à faire avec moins.
Pour autant, cette approche interroge sur la
sobriété. Alors que ce concept devient essentiel dans un monde
où la transition écologique est indispensable, il est donc
nécessaire de réduire les consommations et non de les
transformer.
Il a ainsi été estimé en 2017 par
FREIRE-GONZALES36 qu'en Union Européenne, l'effet rebond
représentait entre 70 et 80%. Ceci signifie que dans le cas d'une
innovation permettant de diminuer, par exemple, la consommation
électrique de 100 kWh, entre 70 et 80 kWh seront
36 FREIRE-GONZÁLEZ, Jaume. A new way to
estimate the direct and indirect rebound effect and other rebound indicators.
Energy, 2017, vol. 128, p. 394-402.
35/62
réutilisés ; l'économie ne sera donc que
de 20 à 30 kWh. Intimement liées à nos modes de
consommation, ces pratiques dépendent énormément des pays
puisqu'il a estimé que, pour le Canada, l'effet rebond est autour de 40
%37.
L'existence de ce phénomène interroge donc sur
la pertinence de l'innovation, qu'elle soit en intelligence artificielle ou
dans d'autres domaines, dans un objectif de réduction de l'utilisation
des ressources. En effet, par définition, l'innovation cherche à
améliorer les performances, ce qui signifie que la nouvelle technologie
apportée sur le marché permettra donc d'obtenir un
résultat similaire en réduisant son impact écologique. Or,
si 70 % des économies réalisées sont en
réalité réutilisées, il ne s'agit pas
d'économie mais de réallocation.
L'effet rebond met donc en perspective la quantité
d'efforts à faire et d'innovation à produire afin d'effectivement
diminuer drastiquement l'impact écologique de nos modes de vie. Dans le
cas de l'Union Européenne, si seulement 30 % des économies
réalisées sont effectivement des gains de ressources, alors la
marche vers la sobriété devient plus grande.
C'est notamment un des sujets qui a été
abordé lors de l'entretien présenté en annexe 1 avec
Christophe PHAM. Son entreprise dans le numérique durable, Infogreen
Factory, permet par exemple de construire des sites internet avec un impact
écologique largement diminué. Ainsi, le site d'Infogreen Factory
économise 92 % des émissions de gaz à effet de serre lors
de sa consultation par rapport à un site classique. Or si, comme la
consommation est réduite, une entreprise va par exemple pouvoir
décider de créer un plus grand nombre de pages, et l'impact
positif devient réduit. Dans ce cadre, Christophe PHAM s'interroge
même sur la responsabilité de son entreprise dans ce
phénomène puisqu'elle incite indirectement à continuer
à la consommation et non à faire preuve de
sobriété. Il ne s'agit donc ni d'un changement de
mentalité, ni d'un changement de pratique.
Toutefois, l'effet rebond n'est pas toujours le reflet de
comportements négatifs : si les technologies permettent désormais
de se chauffer à moindre coût grâce à une
consommation énergétique mieux anticipée, l'effet rebond
macroéconomique peut simplement être lié à
l'utilisation du chauffage par des foyers qui n'en avaient pas les moyens
auparavant. Dans ce cas, l'effet rebond contribue au bien-être, puisque
les économies de ressources effectuées permettent de
répondre à un besoin élémentaire de la
population.
37 GILLINGHAM, Kenneth, RAPSON, David, et WAGNER,
Gernot. The rebound effect and energy efficiency policy. Review of
environmental economics and policy, 2016.
36/62
3. IA et écologie : quels objectifs pour
l'avenir?
Dans une société consumériste où
la croissance des entreprises est au coeur du système, il paraît
difficile de s'opposer au déploiement de l'intelligence artificielle. Ce
mémoire ne va donc pas prendre le parti de prôner un modèle
sociétal différent, mais va plutôt s'intéresser
à l'adaptation de la situation actuelle pour prendre en compte les
impératifs écologiques. Plutôt que de mettre en avant
l'interdiction de cette technologie (qui serait une voie d'analyse possible),
nous allons nous concentrer sur les alternatives pouvant permettre sa
pérennité, tout en conservant sa cohérence avec les
besoins de sobriété.
Les startups appuyant leur modèle économique
sur l'intelligence artificielle se font de plus en plus nombreuses. Bon nombre
d'entre elles se veulent écologiquement vertueuses, et étudient
donc des pistes variées pour tenter de proposer leur solution tout en
restant en accord avec les valeurs environnementales indispensables dans notre
société.
3.1. Les perspectives de la recherche en IA pour une
utilisation peu coûteuse
Si l'intelligence artificielle peut avoir un impact
réduit, voire positif, sur l'environnement, cela se fait par deux biais.
Comme cela a été vu précédemment, il est possible
d'utiliser cette technologie pour générer des économies de
ressources. Toutefois, la technologie elle-même est source de pollution.
Le matériel qu'elle emploie et son fonctionnement intrinsèque
consomment des ressources. Ce constat pousse donc de plus en plus de structures
à s'intéresser aux alternatives possibles pour limiter les
impacts de ces solutions.
3.1.1. L'IA avec des ressources limitées : plus
rapide, moins coûteuse
Il est indéniable que l'intelligence artificielle est,
et devient, une source majeure de pollution potentielle. Même si
aujourd'hui son impact reste restreint, son déploiement dans la
société inquiète bon nombre de chercheurs, laissant
supposer une explosion de l'empreinte numérique mondiale. L'heure est
donc à la sensibilisation et à la recherche de solutions pour
conserver ces technologies tout en les adaptant à l'urgence
écologique.
Ainsi, pour faire prendre conscience des impacts, on peut par
exemple utiliser la comparaison suivante : l'exécution d'une
requête sur ChatGPT-3 consomme autant d'énergie d'une ampoule LED
allumée pendant une heure.
En moyenne, il a été estimé qu'un CPU
dédié à l'intelligence artificielle est 4 fois plus
consommateur en énergie qu'un CPU dédié au
cloud38. Ce constat alarmant fait donc
s'interroger sur les sources d'économie. Si l'intelligence artificielle
peut, grâce aux résultats qu'elle produit, orienter les pratiques
pour les rendre moins consommatrices de ressources, il faut aussi interroger la
technologie elle-même.
38 PAYTON, Ben. Power mad: AI's massive energy
demand risks causing major environmental headaches. Reuters. 4 décembre
2023
37/62
De plus en plus d'équipes dans le monde cherchent donc
à faire une IA dont l'exécution nécessite le moins
d'énergie possible. On passe alors de la perspective d'IT for Green
à celle du Green IT : ce ne sont pas seulement les
conséquences des technologies qui doivent être écologiques
mais leur fonctionnement propre.
On parle alors d'IA frugale ; celle-ci se veut plus
respectueuse de l'environnement et en accord avec les valeurs
écologiques actuelles. La création de tels modèles trouve
des sources très variées, qu'il s'agisse à la fois de
convictions personnelles des développeurs, mais également de
limites matérielles. Face au poids que représente le deep
learning (qui est le modèle principal d'IA dans le monde
actuellement), des algorithmes très lourds finissent par se heurter aux
contraintes physiques imposées par leur environnement. Par exemple, des
entreprises constatent des limitations sur la quantité d'espace de
stockage disponible pour leurs données.
L'IA frugale peut également s'imposer comme une
nouvelle manière de penser les modèles mathématiques
lorsqu'il n'est pas possible de fournir des résultats satisfaisants en
l'état. Ainsi, certains secteurs d'activité ne disposent pas de
suffisamment de données pour la phase d'apprentissage (c'est le cas de
la prédiction des crashs d'avion ou des explosions de centrales
nucléaires par exemple). D'autres veulent limiter le temps
d'apprentissage et se retrouvent dans l'obligation de restreindre leur
fonctionnement en s'appuyant sur une plus faible quantité de
données. Il est donc indispensable de repenser les méthodes
d'intelligence artificielle pour ne plus systématiquement
développer dans la lignée du deep learning.
Intuitivement, est associé au mot «frugal»
la notion de diminution des ressources. Et avant même de s'interroger sur
les technologies à créer pour limiter les consommations
énergétiques de ces algorithmes, il faut regarder leurs
objectifs. Il est souvent mathématiquement possible de partiellement
prédire un gain de précision grâce à un
apprentissage sur un plus grand nombre de données. Par exemple, si avec
500 données il est possible d'améliorer de 12% la
précision d'un modèle, est-ce utile d'ajouter un million de
données supplémentaires pour gagner seulement 2% ? Il s'agit donc
là de s'intéresser à l'utilisation future de l'algorithme
: alors qu'il n'est pas possible de manquer l'identification d'une cellule
cancéreuse sur une image médicale, les conséquences sont
bien plus limitées si l'application Shazam ne reconnaît pas une
chanson passant à la radio.
Un schéma de plus en plus utilisé est alors
celui du transfer learning. Son concept est le suivant : l'algorithme
apprend sur des données déjà existantes, même si
elles ne sont pas exactement celles de sa situation, puis des corrections
mathématiques manuelles sont effectuées. Par exemple, on
apprendra à un algorithme à reconnaitre un loup à partir
d'images de chiens déjà en stock, en précisant
manuellement des caractéristiques spécifiques du loup
liées à la forme de sa tête, sa couleur ou sa taille.
Pour gagner encore plus en efficacité, au lieu
d'apprendre sur les données de chien dont on dispose déjà,
on peut même prendre l'algorithme qui sait déjà
reconnaître le chien et simplement modifier les quelques
caractéristiques indispensables pour le différencier du loup.
38/62
De cette manière, on évite même la phase
d'apprentissage nécessaire à l'algorithme (en plus de celle du
stockage de données supplémentaires), et arrive directement sur
les phases de test et d'utilisation. On comprend bien entendu que le travail de
recherche à effectuer reste celui du ciblage des caractéristiques
à implémenter manuellement.
Pour rendre le transfer learning pertinent, il faut
toutefois que son cas d'application soit très précis, de
manière à pouvoir identifier les caractéristiques
clés. L'intelligence artificielle ne doit donc pas être
générique, mais couvrir un besoin clairement cerné. Par
exemple, ChatGPT est bien trop généraliste et doit pouvoir
s'adapter dans toutes les situations, il doit donc avoir appris sur un nombre
de données considérables pour pouvoir être suffisamment
polyvalent. Dans ce cas de figure, l'IA frugale interroge donc autant sur les
compétences technologiques que sur le champ d'application et la
pertinence de son utilisation.
La startup DeepHawk a ainsi adopté comme
stratégie de limiter son travail sur un secteur d'activité
très précis, de manière à avoir une intelligence
artificielle la plus efficace possible. Comme le présente Gilles ALLAIN
en annexe 5, son entreprise effectue des analyses d'images pour identifier des
non-conformités de produits sur des chaînes de production. Le
modèle développé n'est donc applicable qu'à cette
situation, et dispose en son sein de caractéristiques spécifiques
le rendant particulièrement efficace. Le mot d'ordre de la startup est
alors de développer une IA frugale, tout en conservant d'excellentes
performances.
Pour cela, une des stratégies de l'algorithme est
notamment de se concentrer uniquement sur des données de
conformités. Si classiquement le deep learning a comme
stratégie d'associer une non-conformité à un défaut
déjà vu dans les données d'apprentissage, DeepHawk cherche
plutôt à identifier les images qui ne correspondent pas aux cas de
conformité (qui sont les uniques données dont l'algorithme
dispose). Cette approche à l'avantage de nécessiter peu de
données pour l'apprentissage (puisqu'il n'y a pas besoin de centaines
d'images pour chaque type de défauts, mais uniquement de quelques
centaines pour les cas de conformité), mais également de limiter
la nécessité de production de données. En effet, pour une
entreprise il y a bien plus de produits conformes que non-conformes, et il faut
donc un temps très long pour réunir suffisamment d'images
capturant suffisamment de défauts sur des produits pour pouvoir
permettre l'apprentissage de l'algorithme. DeepHawk estime ainsi que
l'empreinte carbone de leur approche est 375 fois plus faible que celle d'une
méthode classique dans le domaine.
Il existe évidemment un grand nombre d'autres axes de
recherche pour rendre l'IA plus frugale. Ce mémoire n'a pas pour but de
les répertorier. Il est surtout indispensable d'avoir conscience que
l'intelligence artificielle pour l'écologie n'est pas seulement
liée à son utilisation, mais qu'elle doit également
prendre en compte son mode de fonctionnement. Si la manière dont
s'exécute le modèle est un paramètre fondamental de la
quantification de sa pollution, le matériel utilisé pour cela
l'est tout autant. Quels que soient les composants nécessaires au
fonctionnement d'un algorithme, leur production, mais également leur fin
de vie, sont des sources de pollution majeures. Dans le contexte actuel, il est
donc nécessaire de
39/62
regarder l'ensemble des paramètres permettant de
limiter l'impact environnemental de cette technologie.
3.1.2. L'impact des ressources matérielles, entre
substitution et recyclage
Le matériel nécessaire à l'utilisation
de l'intelligence artificielle représente un coût non
négligeable. Au vu de la charge conséquente qui lui est
attribuée (cf. partie 2.1), il est évident qu'il faut
considérer tous les éléments d'économie de
ressources possibles. Au-delà de l'aspect algorithmique, il s'agit donc
bien de regarder le côté matériel de l'informatique, en
s'intéressant à l'ensemble des appareils utilisés. Ceux-ci
sont à la fois synonymes de consommation énergétique mais
également de matières premières nécessaires
à leur fabrication.
Les pollutions associées sont donc multiples, à
la fois liées aux usages, à l'extraction des matières,
mais aussi à la fabrication de chaque élément. Trois
pistes sont alors généralement considérées pour
tenter de limiter l'impact de ses appareils :
l Le reconditionnement ou la réparation;
l Le recyclage;
l La substitution.
Cet objectif va donc bien au-delà de l'intelligence
artificielle mais touche l'ensemble du secteur du numérique, dès
lors qu'il est nécessaire d'avoir un microprocesseur, un écran,
des capteurs... Même si celui-ci ne concerne pas directement
l'intelligence artificielle, l'exemple de Fairphone39 est
de plus en plus connu. Il s'agit d'un smartphone qui se veut à la fois
écologique et éthique. Chacun de ses composants est donc
pensé pour respecter au maximum l'environnement mais également
les droits humains (notamment dans la phase d'extraction des matières
premières). Par exemple, le haut-parleur de ce téléphone
contient 100 % de terres rares recyclées et 90 % de plastique
recyclé. L'entreprise propose également des services de
réparation, de reconditionnement, et de recyclage lorsqu'aucune autre
alternative n'est possible.
Cette appropriation et cette mise en avant des enjeux
environnementaux liés au matériel informatique est donc de plus
en plus importante et Fairphone n'est qu'un exemple parmi d'autres.
Les entreprises multiplient cette approche pour allonger la durée de vie
des appareils. Dans ce cadre aussi, l'État français a
également voulu mettre en place un outil incitatif avec l'indice de
réparabilité (issu de la loi AGEC40) qui force les
entreprises à considérer, dès leur phase
d'ingénierie, les meilleurs modes de conception.
Ce dispositif, obligatoire pour plusieurs appareils
électroniques (uniquement les ordinateurs portables et les smartphones
dans le cas du matériel informatique), permet d'établir un score
sur 10 pour quantifier à quel point il sera facile de réparer
l'objet lorsqu'il tombera en panne. La détermination de cette note passe
par cinq critères:
l La documentation technique disponible;
39
https://www.fairphone.com/fr
40 Loi AGEC :
https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000041553759
l
40/62
La démontabilité, qu'il s'agisse de l'accès
aux composantes, des outils nécessaires ou des méthodes de
fixations;
l La disponibilité des pièces
détachées;
l Le prix des pièces détachées;
l Des caractéristiques spécifiques
complémentaires propres à chaque type de produits.
Figure 7 : Grille type pour calculer l'indice de
réparabilité [Source : Ministère de la Transition
Ecologique, 2024]
Si beaucoup d'entreprises cherchent à «mieux
concevoir», il reste toutefois difficile de se passer de certaines
ressources ; il convient donc de se demander quel est le meilleur moyen pour
les obtenir. Par exemple, il est indispensable de disposer
d'électricité pour faire fonctionner les appareils ; de plus en
plus de structures vont donc favoriser la production par énergie
renouvelable. Cet élément est loin d'être
négligeable puisque la consommation énergétique des
mémoires (généralement, dans les data centers)
peut représenter jusqu'à 80 % de l'énergie totale
consommée par un modèle d'IA41.
Il devient alors crucial de s'interroger sur la
nécessité de la consommation de ressources, et de la minimiser.
L'entreprise Deepl, spécialisée dans la traduction en ligne par
intelligence artificielle, a par exemple fait le choix de placer ses data
centers en Islande pour ne
41 PAULIAC-VAUJOUR, Emmanuel. ASSEMAN, Valentine. FRANCILLON,
Louise. Adopter l'IA frugale : concepts, leviers et initiatives. France
Science. 07 septembre 2023.
41/62
pas avoir besoin de climatisation lors de la régulation
de la température des composants. Cette décision a permis de
diviser par six la consommation de kWh par rapport à leurs centres de
données en Allemagne42. Puisqu'il s'agit d'une technologie
dont l'instantanéité n'est pas la caractéristique
première pour son succès, le temps nécessaire au transit
des données n'a donc pas été un problème pour les
utilisateurs : on préfèrera une traduction de bonne
qualité à une traduction comportant des erreurs mais prenant 0,3
seconde de moins pour apparaître.
Si ce choix paraît simple, il est loin d'être
répondu. La majorité des data centers ne sont pour
l'instant pas dans des lieux qui permettent de se passer de climatisation.
Même si de plus en plus d'initiatives apparaissent (notamment pour le
réemploi de la chaleur de ces structures, comme pour le chauffage de
piscines municipales), elles restent minoritaires. La vitesse reste bien
souvent prioritaire aux caractéristiques du data center: on
reste donc dans une logique de red AI plutôt que de green
AI.
Pour multiplier les sources d'économie, il est
également indispensable de s'intéresser aux matériaux
nécessaires à la fabrication des composants. Beaucoup d'entre eux
sont rares et difficiles à s'approvisionner : leurs conditions
d'extraction sont complexes, les lieux d'origine sont assez distants des zones
de fabrication, les conditions de travail des salariés ne sont pas
toujours éthiques... Pour l'instant, il est clair que ce n'est pas la
piste favorisée lorsqu'il s'agit de faire des économies de
ressources. Même si des solutions commencent à émerger
(c'est par exemple le cas de processeurs en matériaux biologiques), la
recherche dans le domaine des matériaux informatiques
«éco-responsables» est restreinte, avance lentement, et ne
convainc pas la majorité des acteurs à l'heure actuelle.
Les ordinateurs quantiques sont également
observés pour leur capacité à effectuer d'importantes
opérations avec une très faible consommation de ressources. La
technologie est pour l'instant peu aboutie mais est clairement celle qui donne
espoir. Toutefois, il est important de rester vigilant quant à l'effet
rebond qu'elle pourrait générer, puisque cette nouvelle solution
ouvre l'accès à des calculs jusqu'à maintenant impossible
à réaliser. Son déploiement à grande échelle
pourrait donc être plus négatif que positif une fois le bilan
complet établi. C'est donc bien aux acteurs de poser les limites quant
à leur utilisation de la ressource : certes, celle-ci doit être le
plus éco-responsable possible, mais l'usage qu'il en est fait doit
l'être tout autant.
Penser que le changement des ressources employées pour
le développement de l'intelligence artificielle est une solution pour
limiter son impact environnemental est utopique. Ce discours, que l'on pourrait
presque qualifier de techno solutionniste, ne peut pas se suffire à
lui-même : toutes les sources d'économie doivent être
considérées. Indéniablement, le matériel et
l'énergie nécessaire à l'intelligence artificielle doivent
être améliorés pour avoir un coût écologique
limité, mais celui-ci ne doit pas être synonyme d'effet rebond, et
doit même s'accompagner d'un changement des pratiques. L'IA peut aider
à la transition écologique mais peut également devenir un
poids si les utilisateurs l'emploient sans volonté de
sobriété en parallèle.
42 SCHEIER, Robert. Développement durable : 4 pistes
pour une IA plus vertueuse. Le Monde Informatique. 09 février
2024.
42/62
3.2. L'IA oui, mais avec parcimonie
L'intelligence artificielle doit être
considérée différemment pour être alignée
avec les objectifs écologiques actuels. Son recours est coûteux en
ressources naturelles et il est donc indispensable qu'il soit
réfléchi et non-systématique. L'utilisateur doit donc
s'interroger sur la pertinence de l'outil avant de l'employer pour se diriger
vers une démarche de sobriété.
3.2.1. L'importance d'une sensibilisation à la
sobriété
Pour assurer la pertinence d'une technologie, il est
indispensable de s'interroger sur son impact durant chaque phase de sa
conception et de son développement. Cette étude, à la fois
qualitative et quantitative, permet de s'assurer de l'utilité des
travaux mais également d'inciter chaque partie prenante à prendre
conscience des enjeux gravitant autour du projet. Cette approche a donc
l'intérêt de systématiser les interrogations des
collaborateurs pour contribuer activement à la remise en question des
technologies dans un monde où une transformation profonde est
indispensable.
Si l'indicateur le plus regardé est bien souvent
l'empreinte carbone (même s'il n'est pas le seul, et qu'il n'est pas
toujours le plus pertinent, cf. partie 2.3.1), ce n'est pas sa valeur
qui sera utile. En effet, l'important est de s'assurer de la réalisation
de gains par rapport à une situation antérieure. Si l'impact
d'une technologie est inférieur au gain écologique
réalisé grâce à cette technologie, dans ce cas, on
peut considérer qu'elle a apporté une forme de
sobriété et qu'elle mérite donc d'être
développée. Toute la difficulté est donc de quantifier cet
écart; c'est d'ailleurs pour cela qu'il existe de plus en plus
d'ingénieurs d'impact et d'ingénieur d'étude
environnementale. Leur travail est alors de s'assurer de l'impact net des
solutions.
Ce type d'étude permet de se poser la question de
l'utilité des développements. Si l'intelligence artificielle peut
trouver des cas d'application variés, dans de nombreux domaines, il n'en
reste pas moins que certains n'apportent aucune plus-value au sens
environnemental (même s'ils peuvent contribuer au confort par exemple).
Le Shift Project a par exemple réalisé une étude sur les
variateurs intelligents de lumière43 : le principe de cette
technologie est d'augmenter l'intensité lumineuse selon la
présence de personnes sur les lieux. Ce système
d'éclairage automatique a été étudié dans
plusieurs endroits et il a ainsi été constaté que
certaines situations le rendaient inutile, voire néfaste, comme :
l Son application dans une maison individuelle;
l Lorsqu'il est employé pour un système de LED,
disposant intrinsèquement d'un très faible niveau de consommation
énergétique.
Cette étude a donc mesuré l'énergie
nécessaire pour faire fonctionner ce dispositif intelligent, mais
également l'énergie économisée grâce à
l'ajustement automatique de la variation de lumière. Selon les
situations, les résultats ne sont donc pas tous positifs et il est
43 THE SHIFT PROJECT. Déployer la
sobriété numérique. Rapport intermédiaire
dirigé par Hugues FERREBOEUF. Janvier 2020.
43/62
parfois plus profitable de conserver un système
traditionnel d'allumage au vu des dépenses de ressources
nécessaires.
Il peut donc être pertinent de se demander pourquoi
vouloir à tout prix «faire de la sobriété».
Selon les structures, les raisons sont variées, mais l'on retrouve
essentiellement trois cas de figure:
l La conviction écologique personnelle des membres
à l'initiative des projets;
l Les économies financières
générées par la mise en place de dispositifs plus
sobres;
l Les renommées liées à l'appropriation
d'enjeux contemporains (menant parfois au greenwashing, en souhaitant
se concentrer uniquement sur l'image que cela renvoie).
L'intérêt financier que représentent les
solutions plus sobres n'est pas toujours évident, et c'est d'ailleurs ce
qui parfois entrave un projet. Certaines solutions demandent un investissement
de départ (achat, dépenses de R&D...) mais permettent une
rentabilisation de long terme ; c'est par exemple le cas des usines passant
d'un four au gaz à un four électrique. En revanche, d'autres
applications ne représentent qu'un coût, sans intérêt
économique, comme la systématisation des études d'impact
des projets, nécessitant l'embauche d'un salarié
dédié et dont le travail sera essentiellement de soulever des
points à améliorer (nécessitant alors encore plus de
travail de la part du bureau d'études).
Toutefois, accepter de se saisir des enjeux
écologiques et technologiques peut contribuer à la
renommée d'une entreprise. Si indéniablement l'intégration
des problématiques environnementales participe à une image
positive de l'entreprise (puisque cela donne la sensation d'un travail en
tenant compte de l'intérêt collectif), le recours à des
technologies avancées n'est pas toujours fait dans le même esprit.
Pour bénéficier de la renommée de «modernisme»
liée à l'utilisation de l'intelligence artificielle, deux
modèles s'opposent:
l L'utilisation de la terminologie d'IA, avec des
modèles basiques et traditionnels, existants depuis plusieurs
années, comme cela a pu être évoqué plusieurs fois
dans les entretiens retranscrits en annexe, dans le but d'être «plus
vendeur»;
l La mise à profit d'un dispositif d'IA
avant-gardiste, ayant nécessité de travaux de
développement dans le but d'améliorer les performances du
dispositif (green AI ou red AI selon les cas).
Toute la difficulté est donc de savoir, au plus
tôt dans le développement, quelles sont les raisons de l'objectif
de sobriété affiché, pour regarder les indicateurs
adaptés et assurer d'une bonne prise en compte. Pour aider à ce
suivi, l'équipe menée par Yoshua BENGIO a travaillé sur le
logiciel CodeCarbon : ce module s'intègre dans un code écrit en
langage Python pour mesurer son empreinte carbone au fur et à mesure de
son exécution. Ce projet a été pensé pour aider les
développeurs à s'approprier ces notions en faisant des
comparaisons palpables en matière de pollution (par exemple, comparer la
pollution d'un algorithme avec un nombre de kilomètres parcourus en
voiture). Cette approche, même si elle n'est pas exhaustive et
systémique, permet de faire prendre conscience des enjeux et de les
quantifier durant la phase
44/62
de développement. C'est d'ailleurs pour cette raison
que Yoshua BENGIO a remporté en 2018 le prix Turing,
considéré comme l'équivalent du prix Nobel pour le domaine
informatique.
Ainsi, trois éléments clés sont centraux
dans le développement d'un projet ayant pour objectif une forme de
respect de l'environnement:
l L'étude d'impact et la vérification de la
plus-value des travaux;
l L'établissement d'un ou plusieurs objectifs clairs
(greenwashing, utilisation de technologies de pointe, économies
financières, réduction des consommations d'eau...) ;
l La formation et la sensibilité des collaborateurs
aux enjeux, afin qu'ils disposent des outils nécessaires à
l'auto-critique sur leur travail.
Dans ce cadre-là, la sobriété peut
devenir un impératif central pour la mise en oeuvre d'un projet.
Toutefois, il est souvent constaté que les startups disposent rarement
de cette organisation car les décisions sont faites rapidement, sans
réfléchir longuement aux enjeux gravitant autour. Si le concept
de sobriété est indéniablement en accord avec les enjeux
environnementaux actuels, elle ne suffit pas et doit être pensée
dans un contexte plus large, en accord avec les objectifs d'utilisation de la
technologie. Pour contribuer à la fixation de ce cadre, le poids des
réglementations officielles peut être déterminant. S'il est
aujourd'hui encore léger lorsqu'il s'agit d'être au croisement
entre l'IA et écologie, son émergence progressive laisse à
penser que des éléments juridiques vont peu à peu venir
contraindre les objectifs de développement des entreprises pour qu'ils
soient progressivement en accord avec les enjeux contemporains.
3.2.2. Un cadre réglementaire peu
spécifique, n'évaluant pour l'instant pas
l'impact environnemental des IA
Afin de garantir une utilisation raisonnée de
l'intelligence artificielle dans le but de ne pas surconsommer les ressources
environnementales, on peut s'interroger sur le rôle des pouvoirs publics
comme régulateurs. En effet, le droit est une solution pour garantir un
recours non excessif à ces technologies, afin d'avoir une
démarche cohérente avec les enjeux écologiques actuels.
Il est donc nécessaire de se questionner sur
l'échelle de la réglementation. En effet, celle-ci peut avoir
lieu à trois niveaux (national, européen, mondial), et selon
celui choisi, les conséquences sont différentes. L'instauration
d'une réglementation impacte forcément le développement de
nouvelles technologies, et donc la compétitivité en
matière d'innovation sur le territoire d'application. En ce sens, il
serait logique de promouvoir une réglementation mondiale sur
l'intelligence artificielle, si le but est de garantir une équité
dans la concurrence, mais la faisabilité d'une telle mesure semble
inatteignable.
Actuellement, la principale réglementation pouvant
s'appliquer à ce domaine se situe à l'échelle
française et s'adresse au secteur privé : il s'agit de la loi
REEN44 (Réduire l'Empreinte
44 Loi REEN :
https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000044327272
45/62
Environnementale du Numérique) de 2021 régissant
le numérique durable. Elle trouve son origine dans la Convention
Citoyenne pour le Climat45. Toutefois, l'intelligence artificielle
n'est devenue un objet de discussion pour le grand public qu'avec
l'arrivée de ChatGPT en 2022. La loi REEN, complémentaire
à la loi AGEC46 de 2020, traite donc d'un cadre plus large,
touchant à tous les aspects du numérique (et non
spécifiquement à l'IA), en s'intéressant notamment aux
points suivants:
l La formation aux enjeux écologiques liés aux
technologies numériques, notamment en école
d'ingénieur;
l Le cycle de vie des appareils numériques (recyclage,
réemploi...);
l L'éco-conception d'appareils numériques;
l La consommation énergétique des data
centers (notamment par un allègement des taxes sur
l'électricité pour les data centers à faible
consommation) ;
l L'implication des communes de plus de 50 000 habitants dans
la stratégie du numérique durable.
Cependant, une décision forte a été
prise par l'Union Européenne en mars 2024. Pour la première fois
au monde, une proposition de règlement dédiée à
l'intelligence artificielle a été créée (AI
Act47), de manière à réguler les
technologies qui ne seraient pas respectueuses des droits de l'homme et dignes
de confiance. Le texte est toutefois pensé d'utilité sociale, et
non écologique. En effet, l'idée est de classifier le
degré de risque des intelligences artificielles selon quatre niveaux
:
l Les IA comportant des risques inacceptables (notation
sociale, manipulation, reconnaissance faciale...) sont interdites ;
l Les IA à 'hauts risques» (gestions de
données administratives intégrant des données
personnelles, applications à la santé...) sont
réglementées;
l Les IA à risque limité (chatbot, IA
génératives...) sont soumises à des obligations de
transparence;
l Les IA à faible risque (jeux vidéo, filtres
anti-spam...) ne sont pas concernés par le texte.
Cette loi s'adresse donc aux créateurs de technologie,
et non aux utilisateurs. Les modèles développés par les
startups y seront donc soumis quelques mois après la validation, la
traduction et la publication officielle du texte (la temporalité
étant différente selon les mesures). Il est d'ailleurs
prévu que des contrôles soient effectués par le futur
'AI Office».
Aucune réglementation n'existe donc aujourd'hui
concernant l'éco-conception des intelligences artificielles. Les seules
évaluations en lien traitent de l'impact environnemental du
numérique, et l'éthique de l'IA. L'Ecolab du Ministère de
la Transition Ecologique a donc proposé
45 La Convention Citoyenne pour le Climat est une
assemblée de citoyens tirés au sort chargée de formuler
des propositions pour lutter contre le changement climatique et promouvoir la
transition écologique en France.
46 La loi AGEC (Anti-Gaspillage pour une
Économie Circulaire) vise à réduire le gaspillage,
encourager le recyclage et promouvoir une économie circulaire en
France.
Loi AGEC :
https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000041553759
47 AI Act :
https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX:52021PC0206
46/62
un partenariat avec l'AFNOR48, à
l'initiative de Juliette FROPIER (cf. entretien en annexe 6), la mise
en place d'un groupe de travail sur l'IA frugale. Ces réflexions,
débutées en décembre 2023, ont pour but de créer
une liste de bonnes pratiques afin de diminuer l'impact environnemental des
modèles d'intelligence artificielle, mais également de
créer un référentiel normatif permettant leur
évaluation. L'idée est donc de proposer un certain nombre de
critères, à la fois qualitatifs et quantitatifs, pour pouvoir
établir un cadre juridique engendrant ainsi une éventuelle
certification des algorithmes.
Ces travaux français ont pour but ultime d'arriver au
niveau européen. L'AFNOR ayant l'habitude de travailler sur la
proposition de normes à l'échelle continentale, il a donc
semblé cohérent de les avoir comme partenaire pour le
Ministère afin de créer un produit pouvant avoir un large
impact.
Il n'existe donc actuellement aucun cadre
réglementaire dédié à l'impact environnemental des
intelligences artificielles. Même si ces interrogations sont de plus en
plus courantes dans les pratiques de développement informatique et
d'utilisation des modèles, il n'en reste pas moins qu'aucune institution
n'a créé pour l'instant de critères pour leur
évaluation.
Le plus souvent, on retrouve uniquement l'intelligence
artificielle comme un moyen d'atteindre des objectifs dans d'autres domaines.
C'est par exemple le cas des décrets BACS49 et
Tertiaire50 créés dans un but de
sobriété énergétique : les modèles d'IA sont
alors de bons moyens d'analyse des consommations pour anticiper les besoins et
mettre en place une rationalisation du fonctionnement des appareils
(cf. les exemples en annexes 3 et 4). On peut également
retrouver des textes imposant des mesures d'impact plus globales comme la
taxonomie européenne51 et la CSRD52 (Corporate
Sustainability Reporting Directive) qui impose de regarder les effets sur
l'environnement des activités humaines, mais sans jamais aborder
spécifiquement le sujet de l'intelligence artificielle.
Il est donc évident que le cadre réglementaire
actuel est léger et ne pose pas des critères d'évaluation
adaptés spécifiquement à l'IA. Ces technologies,
très novatrices, sont donc peu contraintes et laissent ainsi aux acteurs
le libre arbitre sur l'appréciation de l'impact environnemental des
solutions. Les acteurs publics commencent donc, depuis peu, à s'emparer
de ces sujets, mais la création d'un cadre juridique impose un temps
long de réflexion et de rédaction.
Pour fixer un contexte incitatif ou coercitif des
technologies d'IA aux startups, il est alors indispensable de considérer
un environnement plus large intégrant l'ensemble des parties prenantes.
Même si les acteurs sont de tailles et natures variées, il n'en
reste pas moins qu'ils ont tous un rôle à jouer dans
l'établissement d'une IA plus sobre et plus vertueuse.
48 AFNOR : Association Française de
NORmalisation
49 Decret BACS :
https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000042128488/
50 Decret Tertiaire :
https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000038812251
51 Taxonomie européenne :
https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32020R0852
52 CSRD :
https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32022L2464
47/62
3.3. La transition écologique : un objectif commun
nécessitant une collaboration élargie
Au vu de l'ampleur de la tâche que représente la
transition écologique, l'action doit être à la fois
individuelle et collective. Les startups ne sont donc qu'un des
ingrédients de l'écosystème permettant le changement. La
collaboration entre les structures est alors un facteur indéniable
contribuant à la réussite des projets. Les relations entre les
parties prenantes doivent donc être prises en compte pour trouver un
équilibre dans la définition du cadre de développement des
technologies.
3.3.1. Startups et institutions publiques : quand le
soutien devient gage de
stabilité
La France, mais également l'Europe, présente la
particularité de ne pas disposer de «géants du
numérique». La thématique de l'intelligence artificielle est
donc portée par une importante diversité d'acteurs, en grande
majorité des startups, dont la visibilité individuelle est
relativement faible. Même si les initiatives sont nombreuses, il
n'empêche qu'elles sont éparpillées et sont rarement
centralisées par une voix unique. Dans ce contexte, l'intervention
d'acteurs publics permet d'unifier les propos, mais également de leur
donner de la visibilité.
Il n'existe actuellement pas d'entreprise leader dans le
domaine de l'intelligence artificielle en France ou en Europe pouvant rivaliser
avec les concurrents américains, ou encore chinois. La seule entreprise
ayant une visibilité mondiale relative est OVHcloud, dont la
spécialité est la gestion des data centers, mais qui
représente seulement 1 % du marché mondial contre plus de 40%
pour Amazon Web Services par exemple.
Pour autant, la France n'est pas considérée
comme un acteur mineur du secteur. Simplement, ce n'est pas son poids qui fait
sa force, mais son expertise et sa pluralité d'actions. Pour contribuer
au maintien de cette position, l'Etat français a donc enclenché
plusieurs initiatives parmi lesquelles on retrouve le l'IA Booster France 2030
ou PEPR IA53 depuis mars 2024.
L'objectif de ce dernier programme est de donner des moyens
de développement à des projets en intelligence artificielle
permettant d'atteindre un objectif de durabilité, de transition
écologique, et/ou de souveraineté technologique. A la suite d'un
appel à projet, plusieurs initiatives ont été choisies et
ont bénéficié d'une enveloppe globale sur 6 ans de 73
millions d'euros. Le but ultime est donc bien de contribuer au
développement de nouvelles technologies d'intelligence artificielle, et
non à l'identification de nouveaux cas d'application. Les actions
choisies sont donc organisées selon trois axes thématiques :
l L'IA frugale ;
53 Programme et Équipements Prioritaires de Recherche en
Intelligence Artificielle (PEPR IA)
l
48/62
L'IA de confiance;
l Les fondements mathématiques de l'IA.
En parallèle de ce travail, de plus en plus de
collectivités territoriales tentent de s'approprier ces nouveaux outils,
et de le faire grâce à des acteurs locaux. Alors que
jusqu'à présent la majorité des solutions d'intelligence
artificielle déployées étaient faites grâce aux
géants américains, de plus en plus d'initiatives sont
désormais portées par les startups.
Certains projets sont indépendants, c'est par exemple
le cas de l'Atlas des Synergies Productives, porté par OpenStudio et
l'Université de Clermont-Ferrand. Le système d'IA a alors pour
but de centraliser l'ensemble des acteurs économiques d'un territoire de
manière à aider les collectivités à identifier des
partenaires pertinents lors de leur prise de décision. Ce projet
répond donc à trois objectifs simultanés :
l La promotion et la visibilité d'acteurs
économiques de petite taille;
l L'incitation à l'établissement de
partenariats entre les pouvoirs publics et les entreprises locales, valorisant
ainsi les «circuits courts» et limitant les dépendances
internationales (questions de souveraineté) ;
l L'utilisation de l'IA pour la cohésion des
territoires.
Au-delà de cet exemple isolé, c'est tout un
système qui tente de s'orienter vers une nouvelle forme de
souveraineté. L'Ecolab, où travaille Juliette FROPIER
(cf. annexe 6), est au coeur de ces mises en relation. À
travers des initiatives proposées par le ministère ou des appels
à projet, des actions se développent pour accompagner la
transformation des collectivités et les aider dans l'appropriation de
cette nouvelle technologie. Les sujets sont donc extrêmement
variés, allant de la création de nouveaux indicateurs pour
l'évaluation de la transition écologique, à la
création de liseuses intelligentes permettant de parcourir rapidement
des rapports pour faciliter le travail des autorités
environnementales.
Si cette approche crée un lien entre les acteurs
publics et privés, il ne reste pas moins que leur fonctionnement est
extrêmement différent et que la communication n'est pas toujours
fluide puisque les méthodes de travail sont éloignées. Ne
serait-ce que la gouvernance des données est une difficulté
puisque les acteurs publics n'ont souvent pas pour habitude de centraliser
leurs informations dans des fichiers informatiques avec l'objectif
ultérieur de les analyser.
Toute la difficulté reste donc de trouver des points
d'entente, mettant d'accord les différentes parties prenantes, et
permettant de se raccrocher à des connaissances communes. Pour cela, il
faudrait donc des indicateurs globaux, permettant une évaluation sur des
critères objectifs, et garantissant ainsi la qualité des
propositions. Actuellement, Ecolab (via le prix GreenTech innovation) n'est
qu'un appel à projet, avec des lauréats, mais n'est pas un label.
La différence intrinsèque est qu'un label sera accordé
lorsque des critères d'évaluation seront validés, tandis
que les lauréats sont seulement les meilleurs parmi un certain nombre de
propositions ; ces derniers ne garantissent donc pas l'atteinte dans certains
niveaux d'exigence (même si Ecolab peut se l'imposer).
49/62
C'est notamment pour cela que les pouvoirs publics ont
décidé de se saisir des enjeux. Si l'on sait aujourd'hui
parfaitement évaluer les performances d'une intelligence artificielle,
il est bien plus dur d'évaluer son caractère frugal et
respectueux de l'environnement. Le Ministère de la Transition Ecologique
a donc initié un travail conjoint avec l'AFNOR pour créer un
cadre réglementaire unique permettant de disposer d'indicateurs
objectifs (dans l'idée des objectifs SMART54). Il serait
alors possible de disposer d'un langage commun pour choisir telle ou telle
technologie et de s'assurer de sa qualité.
L'objectif ultime de ce travail va toutefois bien
au-delà de la création d'un référentiel normatif
français. Le but serait de l'intégrer dans un contexte juridique
européen, où l'AFNOR serait donc à l'initiative pour
créer une réglementation inédite, permettant à
l'échelle continentale d'évaluer la frugalité des
intelligences artificielles. Les premières réflexions au niveau
français ne datent que de décembre 2023, il est évident
que des résultats européens n'arriveront pas avant plusieurs
années. Pour autant, il est certain que la visibilité des
institutions européennes peut avoir un impact majeur sur
l'évolution du marché de l'intelligence artificielle, instaurant
progressivement dans les esprits que la frugalité des IA n'est pas une
option mais une obligation pour un monde soutenable.
Cette approche serait également plus cohérente
dans un univers tripolaire. L'Europe se positionnerait alors comme
précurseur face à la Chine et aux États-Unis pour proposer
une nouvelle manière de penser l'IA, de la même manière
qu'elle a pu impulser l'importance de la sécurité des
données avec le RGPD55. Le poids des acteurs français
et européen en intelligence artificielle sur le marché mondial
doit donc être supporté par les pouvoirs publics compte tenu de
leur taille et de leur pluralité. L'organisation du secteur en Europe
est particulièrement différente du reste du monde au vu de la
variété d'acteurs, ce qui interroge sur la capacité
à instaurer un dialogue avec les «géants du
numérique» guidés par les MAAMA56.
3.3.2. Se faire entendre au milieu des géants :
les grandes entreprises, à la fois
amies et ennemies
Ce qui fait la particularité du secteur de
l'intelligence artificielle en France et en Europe est le tissu d'entreprises
qui le compose. Cette multitude de micro-acteurs s'oppose aux quelques
géants du numérique, essentiellement américains, dont le
pouvoir d'action est bien plus étendu. Toutefois, les startups et les
multinationales peuvent entretenir des relations et s'entraider.
A l'heure actuelle, leur lien est essentiellement financier :
Les grandes entreprises donnent financent, tandis que les petites créent
de nouvelles technologies. Ces dernières sont donc les sources
d'innovation qui peuvent alimenter la réflexion des multinationales.
Pourtant, il faut rester lucide car la relation établie est rarement
complètement équitable : ce sont souvent les grandes entreprises
qui vont contacter des startups, et leur seul pouvoir sera alors d'accepter ou
de refuser la proposition. C'est par exemple l'approche de Microsoft, qui
travaille
54 Un objectif SMART est un objectif
Spécifique, Mesurable, Atteignable, Réaliste et Temporel
(limité dans le temps).
55 RGPD :
https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX%3A32016R0679
56 MAAMA (anciennement GAFAM) : Microsoft, Alphabet
(ex-Google), Amazon, Meta (ex-Facebook), Apple
50/62
avec un nombre de structures limité mais
extrêmement ciblé. Microsoft veut ainsi essentiellement
acquérir les compétences en interne en mettant en place des
alliances très fortes avec certaines startups, afin de faciliter le
transfert de compétences. C'est par exemple ce qui a été
fait pour leur partenariat avec ChatGPT ou G4257.
Les liens financiers qui gravitent dans le domaine de
l'intelligence artificielle sont loin d'être négligeables : en
2022 il représentait 175 milliards de dollars58. Cette valeur
a fortement augmenté depuis une quinzaine d'années,
proportionnellement à l'essor de la technologie. Les acteurs sont donc
de plus en plus nombreux à vouloir investir dans le domaine pour
s'assurer de rester à la pointe. IBM a par exemple lancé fin 2023
un fond de capital-risque nommé IBM Entreprise AI Venture Fund
spécialisé en intelligence artificielle et doté de
500 millions de dollars. L'idée de ce fond est d'identifier des startups
en phase de démarrage ou d'hypercroissance dans le domaine de l'IA (en
favorisant l'IA générative), afin de soutenir leur projet
d'innovation, de tenter de les faire grossir, et de favoriser le
développement de nouvelles solutions informatiques. Cette
stratégie de soutien aux startups a donc pour ambition d'aider IBM
à rester avant-gardiste dans le domaine.
De la même manière, la branche philanthropique
de Google, nommée
Google.org, s'est dotée d'un
fonds de 20 millions de dollars59 pour soutenir des projets en
intelligence artificielle. Il ne s'agit pas là de soutenir
spécifiquement des startups ; l'idée est avant tout de se centrer
sur des projets mettant en avant des moyens éthiques et inclusifs pour
penser la technologie.
On remarque donc dans ces exemples que l'écologie
n'est pas un sujet. Si l'avant-gardisme de l'intelligence artificielle plait,
il est clair que sa frugalité n'est pas considérée
à grande échelle. Christophe PHAM évoquait cela dans
l'entretien en annexe 1 : les grandes entreprises commencent tout juste
à se saisir des enjeux écologiques, ce qui permet donc d'avancer,
ce sont les «éclaireurs» déjà présents,
dont les convictions sont en avance sur celles de leur direction, et qui
tentent d'agir à leur échelle. Il a ajouté la
métaphore suivante : «Nous n'avons pas tous
les mêmes maillots, mais nous sommes dans la même
équipe», en signifiant que ces individus isolés dans
les multinationales mettent en place des actions, avec des acteurs externes
pour tenter de faire changer leur organisation de plus en plus vite.
On peut supposer que le changement de direction de
l'intelligence artificielle vers un horizon plus écologique peut
effrayer ses grands groupes. En effet, comme le signale Gille ALLAIN en annexe
5, ce sont eux qui génèrent et gèrent l'essentiel des
données du monde ; une IA plus frugale représenterait donc une
perte financière indéniable. Si Amazon est la première
entreprise du monde dans le cloud60, il est évident
qu'elle n'a aucun intérêt à ce que l'intelligence
artificielle se passe de données trop rapidement.
57 https://www.g42.ai/
58 DELESTRE, Sheelah. Valeur des investissements des
entreprises dans le secteur de l'intelligence artificielle dans le monde entre
2013 et 2022. Statista. 17 octobre 2023.
59 DEFER, Aurélien. Google crée un fond de 20
millions de dollars pour une intelligence artificielle responsable. L'Usine
Digitale. 11 septembre 2023.
60 Le cloud désigne le stockage des
données en ligne, cela mobilise donc beaucoup de serveurs.
51/62
C'est donc en cela que les géants du numérique
peuvent imposer leur vision dans le secteur : ils sont très largement
dominants, et l'essentiel des startups européennes dépend
d'eux.
Il subsiste par ailleurs une interrogation quant à la
compétitivité des acteurs économiques et technologiques
européens ; leur disparité les affaiblit et diminue leur
visibilité. Par ailleurs, l'arrivée de l'AI Act
interroge sur les contraintes qui seront mises en matière
d'innovation dans le secteur alors qu'il s'agit de sa principale force
aujourd'hui. Cela pourrait alors générer un retard des acteurs
européens dans certains domaines difficiles à expérimenter
à cause du cadre réglementaire, mais qui prendraient de l'ampleur
à l'échelle mondiale. Si cette réflexion n'est que
purement spéculative, il n'en reste pas moins qu'elle doit être
prise en compte pour imaginer les relations futures entre les entreprises
partout dans le monde contribuant au développement de l'intelligence
artificielle.
52/62
Formulation de préconisations
Si ce mémoire a soulevé de nombreuses
interrogations, plusieurs pistes de solutions peuvent être
envisagées dans le but de concilier écologie et intelligence
artificielle dans cet écosystème particulier.
Intégrer les limites posées par les
ressources naturelles
Actuellement, les pratiques dans tous les domaines donnent
l'illusion de ressources illimitées sur la planète, or la grande
majorité de celles utilisées dans le numérique ne sont pas
renouvelables, comme ce peut-être le cas du lithium par exemple. Si leur
recyclage et leur réemploi sont encore limités, il est
indéniable que c'est une voie à suivre et à approfondir.
Pour autant, il est surtout indispensable de prendre conscience de l'existence
de cette limite matérielle pour enclencher dès maintenant un
processus de sobriété. Les entreprises doivent apprendre à
faire avec l'existant (ne pas avoir besoin de la dernière mise à
jour ou de la dernière technologie de processeur) pour éviter de
se retrouver forcées d'arrêter leur développement à
cause d'un épuisement des ressources.
Cette réflexion doit également opérer
dans l'imagination même des projets. La sobriété est loin
d'être incompatible avec le progrès technique puisqu'elle
nécessite de réinventer nos modes de vie et nos pratiques. Il
faut toutefois les penser en limitant les ressources nécessaires pour
chacune des nouvelles solutions créées. Il faut donc par exemple
arrêter de créer des modèles universels, qui doivent
être les plus polyvalents possible, et qui sont colossaux, avec un
apprentissage sur une variété de données immense. Mieux
cibler les objectifs d'un projet permet de limiter les ressources à
utiliser, d'apporter des résultats de meilleure qualité, tout en
satisfaisant les besoins.
Pour cela, il est indispensable non seulement d'assurer la
prise de conscience des utilisateurs, mais également celle des
créateurs de la technologie. Bon nombre de développeurs
informatiques n'ont pour l'instant pas conscience de cette
problématique, et même si leurs compétences leur permettent
de créer un algorithme «sobre», ils ne le font pas car ce
n'est pas dans leurs habitudes. Une sensibilisation est donc indispensable.
Actuellement, on observe essentiellement cette réflexion sur les
questions éthiques : la transparence des algorithmes et la
sécurité des données sont devenues des paramètres
incontournables en l'intelligence artificielle. Le cadre juridique se durcit
progressivement dans le domaine, mais ce n'est pas encore le cas de
l'écologie. Si cela interroge les priorités de notre
société, on peut également se demander si ce n'est pas aux
entreprises d'être proactives. D'ailleurs, celles qui seront
précurseurs dans ce domaine seront vraisemblablement mises en valeur
pour leurs convictions et leurs choix presque avant-gardistes pour
l'intérêt général.
53/62
Construire un business model
cohérent
Une startup dispose de nombreux arguments pour inciter
à la vente de son produit. Lorsqu'elle mène des projets
«à impact», le bénéfice écologique ou
social que celui-ci apporte en fait partie. Toutefois, un grand nombre des
entreprises se définissant comme startup sont également des
entreprises à forte croissance. Cette vision économique de la
rentabilité interroge donc sur sa compatibilité avec l'objet
même de la prestation réalisée. Il semble contradictoire de
multiplier le démarchage commercial. Susciter le besoin auprès de
prospects incite plutôt à faire perdurer la société
de consommation et ne va pas dans le sens de la sobriété.
Il est alors indispensable de systématiser la
réflexion portant sur le calcul du coût de déploiement de
la solution. Ce coût doit être à la fois écologique,
social et économique. Si la dimension économique ne peut pas
être occultée dans notre société actuelle, elle ne
doit pas non plus mener à une contradiction avec les enjeux
environnementaux. Une entreprise ne doit ainsi pas changer l'ensemble de son
système de régulation de sa consommation
énergétique simplement parce que le commercial venu lui
présenter une nouvelle technologie était convaincant. Même
si des économies d'énergie peuvent être
réalisées, il faut également penser que la mise en oeuvre
de ce nouveau dispositif va solliciter des ressources (des capteurs, des
câbles, des données...), et c'est donc un calcul de coût
plus global qui doit être considéré.
Il paraît donc difficilement compatible qu'une startup
de la greentech puisse mettre en avant ses convictions tout en
déployant d'énormes moyens pour assurer son hypercroissance. Cela
ne signifie pas que l'entreprise ne peut pas se développer, simplement,
cela ne peut pas être fait si cela est en contradiction avec des
arguments écologiques. Le développement peut même parfois
être bénéfique : en créant une nouvelle antenne, une
entreprise peut se déployer sur un nouveau territoire apportant sa
solution éco-responsable sur une nouvelle région. Le
développement doit être progressif, adapté et ne doit pas
être forcé et accéléré.
En outre, il est important que les entreprises
intègrent l'effet rebond comme une composante de leur étude
d'impact. Certes, des économies de ressources doivent être
réalisées, mais elles doivent l'être même si l'outil
devient plus utilisé. Indéniablement, chaque entreprise doit
faire son possible pour éviter l'effet rebond (pouvant presque
être pris comme symbole de la société de consommation) de
la part des utilisateurs, mais une part résiduelle sera forcément
à intégrer dans les études préalables.
Tenir compte de l'environnement mondial sur le long
terme
Si l'environnement français et européen de
l'intelligence artificielle n'est constitué que de startups, il
s'intègre toutefois dans un cadre mondial bien plus divers. Force est de
constater qu'il est impossible pour ces micro-acteurs de rivaliser avec les
géants du numérique étrangers. Face à la puissance
colossale que représente Amazon, Google, ou Microsoft, les startups
européennes doivent donc penser différemment pour continuer
à proposer des solutions innovantes afin de bâtir le monde de
demain tout en ayant conscience de leur poids.
54/62
Les financements en France et en Europe ne sont pas à
la hauteur de ceux présents sur le territoire américain. La force
de frappe financière des MAAMA est bien plus importante et tenter de
rivaliser est utopique. Il semble donc plus pertinent de mettre à profit
nos atouts existants. Multiplier les financements de startups n'est donc
peut-être pas la solution pour rester précurseurs dans le domaine
de l'intelligence artificielle. En revanche, mettre à profit
l'intelligence collective et valoriser les synergies entre les
différents acteurs de cet univers peut être une force en
matière d'innovation. La collaboration et l'intelligence collectives
sont probablement le meilleur moyen de faire prendre de l'ampleur aux solutions
technologiques et de susciter la créativité. C'est donc sur cet
axe que des moyens publics doivent être déployés.
Chercher à rattraper un retard déjà pris
n'est pas forcément une solution. Par exemple, la startup
française Mistral AI a tenté de développer une plateforme
pouvant rivaliser avec ChatGPT. Pour autant, elle reste en retard et il sera
bien difficile de faire changer les habitudes des utilisateurs quotidiens de
ChatGPT., il paraît donc plus pertinent de vouloir répondre
à un nouveau besoin, peut-être proche de l'objectif initial, que
de tenter de réinventer l'existant. Par exemple, Mistral AI pourrait
mettre à profit ses connaissances pour devenir la meilleure IA dans le
domaine de la santé, ou de l'éducation, afin d'avoir une cible
d'utilisateurs dédiée.
Dans cet environnement mondial, il ne faut également
pas oublier l'ancrage de l'essentiel de ces startups. La grande majorité
d'entre elles ont pour objectif un rayonnement français,
éventuellement européen, mais rarement plus large. A ce titre, il
semble donc plus pertinent d'adapter les pratiques à la vision. Si les
Européens accordent une plus grande importance à la transparence
que les Américains, il est donc indispensable que les entreprises
européennes fassent preuve de transparence pour pouvoir se
développer sur leur territoire. La conscience écologique en
France se développe bien plus vite que celle des États-Unis,
recentrer son marché et s'y adapter peut donc être une solution
pour s'assurer de répondre aux demandes des utilisateurs.
55/62
Conclusion
L'intelligence artificielle est actuellement dans une phase
d'essor, à la fois technologique et économique, et entraîne
avec elle la croissance de tout un marché. Le rythme de la recherche
scientifique s'est intensifié et le grand public commence tout
juste à saisir l'impact que ce nouvel outil peut avoir. Ce
rapport avait donc pour objectif de regarder la compatibilité de ce
nouveau secteur aux enjeux environnementaux pour lesquels la prise de
conscience croit tout autant.
Si de plus en plus d'acteurs s'intéressent à
l'intelligence artificielle et à ses potentialités, il en est de
même pour l'écologie. Il devient désormais rare de
considérer un projet sans s'intéresser à son impact, afin
de s'assurer de limiter ses coûts financiers, mais également
humains et environnementaux. Lorsque l'on regarde l'impact écologique de
l'intelligence artificielle, il est rapidement évident qu'une grande
partie du coût est lié au matériel utilisé. Si faire
fonctionner un algorithme nécessite une alimentation électrique,
il est impossible de négliger le poids que vont représenter les
serveurs, les ordinateurs, les capteurs, etc. Pour avoir des
performances croissantes, de plus en plus de données sont
utilisées et du matériel de plus en plus exigeant est
fabriqué (notamment avec le deep learning), ce qui va à
l'encontre des nécessités écologiques.
S'il est possible d'étudier la compatibilité
entre l'intelligence artificielle et l'écologie, il est indispensable de
prendre en compte le contexte dans lequel ces éléments
interagissent. Celui de la France, qui est également celui de l'Europe,
et dirigé par l'univers des startups. Alors que dans le reste du monde,
et notamment aux États-Unis, l'IA est guidée par les
géants du numérique (avec les MAAMA en tête), le vieux
continent voit plutôt son secteur porté par une
pluralité et une diversité de micro-acteurs.
Cette organisation originale permet de multiplier les
initiatives et l'innovation : elle est propice au développement de
solutions variées, avec des applications dans de nombreux domaines. En
revanche, cela limite sa structuration, et en fait un ensemble
protéiforme. Au sein de cette variété
d'entreprises résident alors deux lignes technologiques directrices :
l Le Green IT, dont l'objectif est
de penser l'IA et le matériel nécessaire différemment,
dans le but de limiter l'impact des pratiques;
l L'IT for Green, dont le concept
est de trouver des applications dans lesquelles l'IA peut apporter une solution
améliorant l'impact environnemental.
Dans les deux cas, l'essentiel est d'arriver au net zero
: le recours au nouvel outil ne doit pas avoir suscité plus
d'impact que la solution précédemment utilisée. Il est
donc indispensable, au-delà des développements scientifiques,
d'assurer la mesure des coûts des solutions proposées. Si un
système d'irrigation se met à être structuré
grâce à une intelligence artificielle mais que les
économies d'eau générées sont entièrement
consommées pour le rafraîchissement des data centers,
cette solution ne présente pas d'intérêt
écologique.
Dans l'idéal, le Green IT et l'IT for
Green sont conjointement mis en oeuvre pour réduire au maximum les
impacts. À l'heure actuelle, la majorité des startups sont
séparées entre ces
56/62
deux doctrines, et une minorité arrive à les
traiter conjointement. Pour autant, rares sont les entreprises qui sont
indifférentes à un des deux éléments, elles
définissent généralement une priorité, leur
permettant d'assurer la rentabilité de leur modèle. La
difficulté de ces petites structures réside donc dans leur
stabilité économique, dont les moyens réduits ne
permettent pas d'avoir un travail sur plusieurs dimensions en
parallèle.
En outre, il ne faut pas oublier que l'intelligence
artificielle est un sujet récent, dont le spectre est encore mal
défini. S'il reste compliqué d'appréhender ce que
l'intelligence artificielle sera demain, il faut comprendre que nous nous
appuyons actuellement sur ce que nous connaissons : le numérique.
L'essentiel du cadre économique et législatif dans lequel ces
entreprises évoluent s'appuie sur les modèles
développés dans les années 90 et 2000 pour l'informatique.
Le secteur manque donc cruellement d'un ancrage
dédié puisqu'il ne s'agit plus d'un nouveau
matériel mais bien d'une manière disruptive de fonctionner.
L'intelligence artificielle modifie à la fois le travail des
entreprises, mais également les pratiques des individus.
L'Union Européenne se positionne comme
précurseur mondial en proposant l'AI Act, mais réalise
également un saut dans l'inconnu. Il existe actuellement peu de labels,
ou de normes régissant l'intelligence artificielle dans le monde. Si
ceux-ci commencent à se développer pour les questions
d'éthique et de responsabilité sociale, nous sommes
encore loin d'avoir un cadre s'intéressant aux impacts environnementaux.
Cela interroge d'ailleurs sur la priorité qui est mise sur
l'écologie dans le développement de ces technologies. Le
Ministère de la Transition Ecologique et l'AFNOR commencent d'ailleurs
tout juste à s'approprier ce sujet dans le but de mettre en place un
ensemble de normes permettant d'avoir un référentiel en IA
frugale.
La jeunesse de ce secteur explique ses lacunes, notamment
à cause du manque de formation et de sensibilisation des acteurs
impliqués. Si bon nombre d'organisations veulent s'approprier
l'intelligence artificielle, peu d'entre elles disposent des outils et
compétences nécessaires pour le faire. Il est donc encore
difficile de manipuler ce sujet, et encore plus d'en déterminer les
impacts.
Or, de plus en plus d'acteurs veulent avoir un rôle
dans ce domaine. Qu'il s'agisse des grandes et des petites entreprises, des
structures privées ou publiques, les demandes se multiplient mais la
formation des individus ne va pas aussi vite. Ce secteur d'activité a
donc besoin de temps pour se structurer alors que pour l'instant aucune
organisation européenne ne semble leader sur le marché. Le fait
de ne pas disposer d'une ou plusieurs structures suffisamment massives et
disposant des compétences nécessaires maintient l'activité
désordonnée. En outre, les multinationales
déjà présentes imposent partiellement leur vision et leurs
pratiques. La majorité des startups dépendent de ces
entreprises et se voient donc contrainte de conserver de bonnes relations avec
elles.
Actuellement, la médiatisation dont
bénéficie l'intelligence artificielle génère une
effervescence des entreprises, mais également du grand public, dans le
but de s'approprier cette
57/62
nouvelle technologie. Il est avant tout indispensable de
regarder si cet engouement va persister sur le long terme, et si les
perspectives scientifiques permettent de considérer cette nouvelle
technologie comme disruptive.
Seuls les acteurs connaissant le sujet depuis plusieurs
années arrivent pour l'instant à prendre le recul
nécessaire pour s'interroger sur les impacts. On peut donc
espérer qu'une fois la vague de médiatisation passée, la
question des externalités liées à l'intelligence
artificielle va se poser. Si elle commence actuellement à émerger
dans le domaine de l'éthique, elle n'est presque pas présente
pour l'écologie. L'objectif à terme serait ainsi que l'IA
ne soit pas une solution systématique mais que son recours soit
réfléchi de manière à ce qu'elle ne soit
sollicitée que lorsque son impact est négatif.
Ainsi, une grande partie du changement nécessaire
à opérer pour aller dans le sens de l'écologie et de la
sobriété dépend des utilisateurs finaux, et non
exclusivement des startups, qui sont les créatrices de technologie. Leur
taille et leur diversité ne leur permettent pas d'avoir un discours
unique, et laisse la porte ouverte aux géants du numérique
américains. S'il est indéniable que cette variété
de petits acteurs permet un foisonnement de l'innovation,
à la fois dans le fonctionnement des modèles, dans le
matériel, et dans les applications, elle est également à
l'origine d'une instabilité économique qui empêche pour
l'instant la diffusion massive des impacts écologiques.
58/62
Liste des entreprises françaises
évoquées
ITfor Green:
Accenta : L'entreprise a pour objectif
d'utiliser l'intelligence artificielle pour optimiser l'utilisation du
géostockage et adapter son recours à la consommation
énergétique nécessaire. s
https://www.accenta.ai/
Eficia : L'entreprise a
développé des modèles d'analyse des données de
consommation pour réguler le fonctionnement des appareils de chauffage
et climatisation des bâtiments.
s https://eficia.com/
Firetracking : L'entreprise surveille des
forêts grâce à des analyses vidéo dans le but de
détecter des départs de feux, de les localiser et d'informer les
secours au plus vite.
s https://firetracking.io/
Qonfluens : L'entreprise de conseil en
environnement permet de réaliser des analyses afin d'étudier les
modélisations d'espaces, les risques environnementaux et l'analyse de
données en lien avec l'écologie.
s https://www.qonfluens.com/
Skyvisor : L'entreprise propose un
système d'inspection des éoliennes et panneaux solaires à
l'aide de drones équipés de caméras afin d'analyser les
images et anticiper la maintenance. s
https://fr.skyvisor.fr/
Ullmanna : L'entreprise a conçu un
robot pouvant reconnaître les plantes à désherber dans un
champ à partir d'images et guider des lames pour les retirer.
s https://www.ullmanna.eu/
Green IT :
DeepHawk : L'entreprise a créé un
algorithme de détection des défauts à partir d'analyse
d'images (classiques, rayons-X, thermiques, microscopiques...) sur les
chaînes de production. s
https://www.deephawk.ai/
Deepl : La startup allemande offre un outil de
traduction en ligne basé sur l'intelligence artificielle et dont les
serveurs se veulent de plus en plus éco-responsables.
s
https://www.deepl.com/fr/translator
Infogreen Factory : L'entreprise offre des
prestations de diagnostic, de conseil et de formation pour faciliter la mise en
place du numérique durable et éco-responsable.
s https://infogreenfactory.green/
Stratosfair : L'entreprise construit des
data centers qui sont pensés pour être vertueux et
implantés pour répondre aux besoins locaux. [Stratosfair a
été liquidée en 2023] s
https://lorient-technopole.fr/entreprises/stratosfair/
59/62
Bibliographie et sitographie
ADEME. Transition(s) 2050. Choisir maintenant, agir pour le
climat. Horinzons. Novembre 2021.
ADEME. Arcep. Evaluation de l'impact environnemental du
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janvier 2022.
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2023 des startups françaises à impact : les startups
françaises à impact ont levé près de 10 milliards
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préoccupations et pratiques. Notes de l'Observatoire du
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https://www.usinenouvelle.com/editorial/codecarbon-un-nouvel-outil-pour-mesurer-le-bilan-carbone-des-algorithmes-d-intelligence-artificielle.N1036089
61/62
Références réglementaires
:
Droit national français:
Décret n° 2019-771 du 23 juillet 2019 relatif aux
obligations d'actions de réduction de la consommation d'énergie
finale dans des bâtiments à usage tertiaire. JORF n°0171 du
25 juillet 2019.
l Accès au décret Tertiaire :
https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000038812251
LOI n° 2020-105 du 10 février 2020 relative à
la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire. JORF
n°0035 du 11 février 2020.
l Accès à la loi AGEC :
https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000041553759
Décret n° 2020-887 du 20 juillet 2020 relatif au
système d'automatisation et de contrôle des bâtiments non
résidentiels et à la régulation automatique de la chaleur.
JORF n°0177 du 21 juillet 2020.
l Accès au décret BACS :
https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000042128488/
LOI n° 2021-1485 du 15 novembre 2021 visant à
réduire l'empreinte environnementale du numérique en France. JORF
n°0266 du 16 novembre 2021.
l Accès à la loi REEN :
https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000044327272
Décret n° 2020-1757 du 29 décembre 2020
relatif à l'indice de réparabilité des équipements
électriques et électroniques. JORF n°0316 du 31
décembre 2020.
l Accès au décret sur l'indice de
réparabilité :
https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000042837821
Droit de l'Union Européenne:
Règlement 2016/679 du Parlement européen et du
Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques
à l'égard du traitement des données à
caractère personnel et à la libre circulation de ces
données, et abrogeant la directive 95/46/CE (règlement
général sur la protection des données).
l Accès au RGPD :
https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX%3A32016R0679
Règlement 2020/852 du Parlement Européen et du
Conseil du 18 juin 2020 sur l'établissement d'un cadre visant à
favoriser les investissements durables et modifiant le règlement (UE)
2019/2088.
l Accès à la taxonomie de l'UE :
https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32020R0852&
from=F
Proposition de règlement du Parlement Européen et
du Conseil établissant des règles harmonisées concernant
l'intelligence artificielle (législation sur l'intelligence
artificielle) et modification certains actes législatifs de l'
Union. COM/2021/206 final.
l Accès à l'AI Act :
https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX:52021PC0206
Directive 2022/2464 du Parlement Européen et du Conseil
du 14 décembre 2022 modifiant le règlement (UE) n° 537/2014
et les directives 2004/109/CE, 2006/43/CE et 2013/34/UE en ce qui concerne la
publication d'informations en matière de durabilité par les
entreprises.
l Accès à la CSRD :
https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32022L2464
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Annexes
Annexe 1
Résumé de l'entretien avec Christophe
PHAM - Infogreen Factory
Annexe 2
Résumé de l'entretien avec Virgile
BAUDROT - Qonfluens
Annexe 3
Résumé de l'entretien avec Faustin
DUBOUIS - Eficia
Annexe 4
Résumé d'un entretien anonymisé -
Accenta
Annexe 5
Résumé de l'entretien avec Gilles ALLAIN-
DeepHawk
Annexe 6
Résumé de l'entretien avec Juliette FROPIER
- Ministère de la Transition Ecologique
L'argent : Une interrogation récurrente est
celle du ROI du numérique responsable, passant par plusieurs axes :
attirer des investisseurs, attirer des clients, fidéliser les
collaborateurs (marque employeur),
Annexe 1 - Résumé de l'entretien avec Christophe
PHAM (décembre 2023) CEO - Infogreen Factory
Présentation de Christophe PHAM
Christophe Pham a commencé sa carrière en
business development dans des ESN (Entreprises de Service
Numérique). Suite à une prise de conscience écologique, il
a souhaité agir au sein des organisations où il travaillait, mais
sans résultat. Il a donc décidé de créer Infogreen
Factory (IF) pour travailler sur les volets d'éthique, d'inclusion et
d'écologie dans le numérique. IF est organisé en
collectifs d'entrepreneurs et d'acteurs engagés dans le but de valoriser
la coopération.
Présentation d'Infogreen Factory
La moitié de l'activité d'IF est
dédiée à la formation sur le numérique responsable
et la conception responsable. Ils ont par exemple travaillé avec une
entité du Crédit Agricole pour former les équipes à
la conception responsable de services numériques. En parallèle,
IF a une branche de conseil dans le domaine du numérique responsable.
Exemple d'acteurs s'impliquant dans le numérique
responsable
En Nouvelle Aquitaine a été créé
un pôle de compétitivité nommé ENTER et dont
l'idée est de favoriser l'innovation frugale et sobre en matière
de numérique. Il y a donc un vivier qui émerge, avec des
financements.
La grande problématique reste pourtant la
détermination des critères. C'est un sujet qui est par exemple
traité par des personnalités comme Côme GIRSHIG dans des
structures telles que Tech for Climate.
Les débats sur la place du numérique pour
la transition écologique
Avant toute chose, il faut remarquer que peu d'acteurs se
rendent actuellement compte que le numérique a un impact
écologique. Il commence à y avoir une prise de conscience, mais
il règne essentiellement un point de vue techno-solutionniste.
IT for Green : Il s'agit souvent de
«l'arbre qui cache la forêt» et qui permet de justifier toute
innovation en prouvant son utilité. C'est une stratégie
techno-solutionniste, en mettant en avant les impacts positifs, et en omettant
de parler de tous les cas où l'impact est négatif (et c'est
généralement majoritaire).
Green IT : L'objectif est de rendre
l'IT plus vertueux et gagner en efficacité environnementale et que
ça ait moins d'impact.
Actuellement, le monde suppose que les ressources sont
illimitées : l'électricité est abondante, tout comme les
minerais et les métaux rares (lithium, argent...), nous occultons les
problèmes de sécheresse et la gêne des populations
vis-à-vis des pollutions des mines et des décharges sauvages de
déchets électroniques. Il s'agit de «l'angle mort du
numérique», comme le traite la dernière étude de
l'ARSEP.
Les principaux freins au déploiement du
numérique durable
Le changement: Demander de reconsidérer la
façon dont on mène un projet informatique est un effort
important. Il faut donc accompagner au changement.
anticiper la réglementation, assurer la
sécurité des solutions. Ce dernier point réside notamment
dans le fait d'avoir des codes plus courts, et donc plus sobres, ce qui limite
les zones à risque dans l'algorithme et le rend plus robuste. Chez IF
est utilisée la méthode du Green Soft Model, pour
arriver à avoir des algorithmes qui suivent cette logique de
sobriété.
De plus en plus, les entreprises veulent également que
la conception numérique responsable leur rapport du carbone.
La mesure : Les entrepreneurs ont besoin de quantifier
les apports des changements. Alain Supiot traite par exemple de la question de
la gouvernance par les chiffres : comme beaucoup de personnes manquent de sens,
elles choisissent d'être gouvernées par les chiffres. Nous
constatons une perte de temps importante à s'interroger sur la mesure et
non sur le sens (cf. «Ce qui ne se mesure pas ne s'améliore
pas» de W. DEMING).
Les équipes, sans être formées, se
mettent à utiliser de nouveaux indices tels que l'EcoIndex ou Green
IT-Analysis. Les gens ne savent pas comment les manipuler et y consacrent du
temps, alors que ce n'est pas le coeur : il faut surtout limiter le
développement de logiciels et sites web.
Il faut également se méfier de l'effet rebond
dans la conception responsable : en étant plus efficace, on
développe encore plus. Christophe Pham s'interroge donc sur sa
participation à l'effet rebond.
Manque de conviction : Pour certains, la prise de
conscience n'a pas encore eu lieu. IF a donc pour objectif d'attirer les
«infiltrés» dans les entreprises clientes : même s'ils
ne portent pas le même maillot, ils sont dans la même équipe
dans la même équipe, avec un objectif commun. Ces
«infiltrés» sont indispensables pour générer
l'adhésion des collaborateurs. Ces personnes sont en dissonance
cognitive avec la majorité des salariés de leur groupe, et ils
essaient de faire avancer le sujet.
Nous parlons de plus en plus de stratégie RNE
(Responsabilité Numérique des Entreprises) pour être plus
spécifique que la RSE.
Les réglementations contraignantes
Il y a notamment deux éléments:
l Le plus récent, la loi REEN (Réduction de
l'Empreinte Environnementale du Numérique);
l Depuis plus de dix ans, il existe la loi sur
l'accessibilité qui est très peu appliquée, même par
l'Etat (pour la lecture audio d'un site internet via une console par
exemple).
Annexe 2 - Résumé de l'entretien avec Virgile
BAUDROT (février 2024) CEO - Qonfluens
Présentation de Qonfluens
Qonfluens est un bureau d'études en écologie et
agro-écologie avec deux principaux domaines d'expertise : l'analyse de
données et l'étude des dynamiques de populations.
L'entreprise débute les démarches pour devenir une
SCOP, pour trois raisons majeures:
l La mise en avant de la dimension éthique,
correspondant aux valeurs de l'entreprise et pouvant être valorisé
pour lors de recrutement;
l Une volonté politique de faire primer un choix
démocratique entre les collaborateurs;
l Un gain de reconnaissance par des instituts externes, tout
en évitant d'être une niche d'investissements.
Utilisation de l'IA chez Qonfluens
L'IA est utilisée à plusieurs niveaux :
inférence bayésienne (probabilités), modèle
hiérarchique (étude de la variabilité des données),
gestion des incertitudes.
Alors que l'écologie était jusqu'à
récemment un domaine où il fallait aller sur le terrain, elle
commence à avoir un champ théorique. Cela passe est notamment
possible grâce aux nouvelles données récoltées (ADN
de sol, échantillon de l'océan...) et à l'imagerie
satellite/radar (notamment pour l'agronomie). Cela nous permet de travailler
sur des suivis de la biodiversité (analyse de données).
Eventuels effets rebonds
L'écologie théorique se développe mais
cela engendre de nouveaux coûts importants comme la multiplication des
recours à des techniques ADN (impliquant en sus l'utilisation de
produits chimiques et de plastiques en grandes quantités).
Par ailleurs, ce type d'analyse de données est long et
implique l'utilisation de serveurs de calcul puissants. Or, ces serveurs ne
sont pas dans les locaux de Qonfluens et sont peu coûteux, donc leur
utilisation n'est pas toujours surveillée, même si l'entreprise
tente de privilégier des infrastructures locales.
Virgile BAUDROT souligne l'absence de label de certification
permettant de s'assurer de la qualité environnementale des serveurs
informatiques.
Perceptions extérieures de l'activité de
Qonfluens
Le projet de Qonfluens est «à la mode» donc
ouvre plus facilement des portes. Il s'agit de deux sujets brûlants mais
peu étudiés. Toutefois, des freins sont rencontrés
puisqu'il s'agit d'études représentant des charges, et dont les
résultats sont généralement porteurs de résultats
négatifs.
Implantation territoriale
L'implantation locale de Qonfluens facilite les travaux avec
les laboratoires et permet d'avoir des liens avec la BPI. En revanche, il reste
difficile d'approcher le milieu des associations environnementales, assez
craintives face au modèle et la culture des startups.
Annexe 3 - Résumé de l'entretien avec Faustin
DUBOUIS (mars 2024) Chef de projet - Eficia
Présentation d'Eficia
Eficia a été fondée avec l'objectif
d'installer des systèmes GTB (Gestion Technique des Bâtiments) en
s'appuyant sur la domotique pour piloter automatiquement les équipements
(éclairage, chauffage, climatisation...). La clientèle cible est
essentiellement des entreprises, qu'il s'agisse de chaînes de magasins ou
d'entrepôt.
Une grande partie du pilotage automatique se fait grâce
au machine learning ; l'objectif est d'analyser les données
passées pour identifier les moments d'allumage des dispositifs. Par
exemple, à partir des températures actuelles, des temps de
chauffe, et d'une température cible, il est possible de
déterminer le moment optimal pour allumer le système de
chauffage.
Eficia dispose également d'une équipe de
R&D parmi ses 200 salariés, dans le but d'améliorer les
produits actuels, mais également d'en produire de nouveau. Par exemple,
on peut retrouver:
l Le perfectionnement des systèmes automatisés
pour augmenter le gain énergétique des entreprises
déjà abonnées aux services d'Eficia ;
l L'arrivée de problématiques liées
à la gestion de l'eau.
Le choix de l'IA
La première raison qui a poussé Eficia à
l'utilisation de l'IA est pour rester compétitifs ; des modèles
statistiques plus traditionnels ne nous auraient pas permis de rester des
concurrents au niveau. L'IA présente aussi l'avantage de ne pas avoir
besoin de ré-analyser les données à chaque mise à
jour, mais de perfectionner le modèle à chaque étape.
Par ailleurs, aujourd'hui, le recours à l'IA est un
argument commercial assez vendeur.
Contraintes de déploiement de la
solution
L'installation des capteurs de mesure chez les clients
représente un important temps de travail. Eficia installe
également les automates informatiques qui se connectent aux actionneurs
de chaque élément domotique.
Il y a donc une importante phase de choix des capteurs, selon
les exigences du client, les contraintes règlementaires (notamment en
cas d'accueil du public) et les préconisations d'un ingénieur se
rendant dans les locaux pour y apporter son expertise. Le client doit au moins
installer un capteur de température (relevé toutes les 10 min) et
d'humidité ; mais il est possible d'ajouter la mesure du CO2, de la
présence, de la luminosité... Ces données sont
complétées par les relevés des compteurs.
Eficia équipe actuellement environ 5000 sites.
Réflexion écologique au sein
d'Eficia
Le dirigeant d'Eficia incarne une réelle
volonté de prise en compte des enjeux écologiques. L'entreprise y
accorde donc une réelle importance, notamment pour les deux
éléments les plus impactants : les trajets chez les clients et
l'achat de matériel. Les données, peu nombreuses, sont peu
impactantes. En outre, l'entreprise s'auto-évalue sur le sujet, ce qui a
pu lui permettre d'atteindre un niveau d'exigence générant
l'obtention de plusieurs labels écologiques.
Effet rebond chez les clients
Les clients d'Eficia sont rarement à l'origine
d'effets rebonds puisque l'économie d'énergie et l'installation
d'un système GTB sont des obligations légales. Cela est notamment
lié à l'existence des décrets BACS et Tertiaire.
Cependant, la démarches des entreprises est rarement
à but écologique, mais principalement économique,
notamment depuis la forte augmentation des prix de l'énergie. En
revanche, les clients intéressés par le dispositif pour des
raisons écologiques sont de plus en plus nombreux à demander un
système similaire pour l'eau.
Annexe 4 - Résumé de l'entretien avec Mme X (mars
2024) Ingénieure - Accenta
Présentation d'Accenta
Accenta a été fondée en 2016 avec la
volonté de démocratiser le bâtiment bas carbone, en tentant
de rendre plus intelligent l'usage des énergies renouvelables afin de
limiter les coûts associés. Les principaux axes de travail sont
donc sur la climatisation et le chauffage, en s'appuyant essentiellement sur la
géothermie ( à travers le géostockage) et
l'aérothermie.
La majorité des clients d'Accenta sont très
variés, parmi lesquels on retrouve des entrepôts ou des
entreprises du secteur tertiaire, comme Eurovia, Fnac, Darty ou encore la ville
de Roubaix.
La startup est en forte croissance, en passant à une
vingtaine de salariés début 2020, à près de 180
aujourd'hui. Ils sont répartis sur plusieurs sites en France (Lille,
Troyes, région parisienne). L'entreprise a consacré les trois
premières années après sa création à la
R&D, qui regroupe aujourd'hui une trentaine de salariés. Depuis
l'entreprise a développé bien d'autres postes comme:
l Energy managers, qui analysent les données clients,
effectuent des recommandations et assurent le suivi des performances;
l Chargés d'étude, qui échangent avec le
client pour identifier les besoins et dimensionnent les installations en
utilisant les outils développés par la R&D.
L'utilisation de l'IA
L'IA est développée et utilisée dans de
multiples outils et solutions Accenta, dont notamment sur deux axes que
sont:
l Le dimensionnement du système à fournir pour
répondre aux besoins du bâtiment selon ses caractéristiques
;
l La gestion du stockage d'énergie
(géostockage) en temps réel, selon plusieurs paramètres
tels que la météo ou la consommation.
Les données sont traitées directement chez le
client. Toutefois, elles sont également récupérées
par Accenta, en étant cryptées, afin de permettre un
perfectionnement des modèles algorithmiques.
Accenta propose également une prestation d'analyse de
données de consommation et de recommandations. L'amélioration des
modèles permet donc de faire progresser les deux offres.
Conscience écologique au sein
d'Accenta
Accenta incite ses salariés à la
sobriété (dans les modes de transport ou le nombre de
déplacements par exemple), mais la majorité sont bien souvent
déjà sensibles à cette cause, et c'est d'ailleurs souvent
en partie pour cette raison qu'ils rejoignent l'entreprise. La direction de
l'entreprise a pris plusieurs décisions allant dans ce sens:
l Réalisation d'un bilan carbone, par l'entreprise Aktio
;
l Création d'un forfait mobilité durable pour les
collaborateurs;
l Mise en place d'une démarche d'achats responsables,
passant notamment par l'évaluation des partenaires et de leur impact;
l Évaluation des impacts écologiques (en tonnes
de CO2) de chaque technologie créée par Accenta.
Les analyses internes des impacts écologiques ont
révélé que le matériel était bien plus
polluant que les travaux informatiques. Les équipes tentent de faire des
codes les plus efficaces possibles, mais avec une optique de performances avant
celle d'écologie.
Effet rebond chez les clients
Il n'y a pas d'analyse sur l'effet rebond puisque la
majorité des clients d'Accenta sont liés à des
constructions neuves : il n'y a donc pas d'antécédents de
consommation. En effet, pour installer des solutions de géothermie, il
faut disposer d'un terrain adapté et les travaux se font plus rarement
sur des structures existantes.
Motivations des clients
Les clients semblent essentiellement vouloir
bénéficier d'une image positive (liée à
l'installation d'une telle infrastructure). Toutefois, ce choix reste un choix
engagé car, même si des subventions existent, la mise en oeuvre
coûte plus cher qu'un chauffage traditionnel au gaz par exemple. En
outre, il est possible d'identifier plusieurs autres motivations chez les
clients, telles que :
l L'indépendance vis-à-vis des énergies
fossiles;
l L'application de la réglementation (décret
tertiaire, décret BACS, taxonomie européenne, CSRD) ;
l La limitation de la dépréciation du bien
à cause d'un impact carbone élevé.
Annexe 5 - Résumé de l'entretien avec Gilles
ALLAIN (avril 2024) CEO - DeepHawk
Pouvez-vous vous présenter et présenter
l'entreprise?
Gilles Allain est cofondateur et CEO de DeepHawk. Avant cela,
il a travaillé dans plusieurs entreprises, de taille variable, à
la fois sur les aspects techniques (grâce à sa formation
d'ingénieur) et business.
DeepHawk a été créée en mai 2022.
La société développe et commercialise un logiciel
spécialisé dans la détection d'anomalie pour l'industrie
manufacturière. Ce logiciel utilise l'IA pour analyser des images et
vidéos de nature variée (parfois rayons-X, thermiques,
microscopiques...), de façon à détecter des défauts
visuels, même discrets, qui pourraient conduire au rejet du produit en
contrôle qualité.
Définition de l'IA frugale
L'IA a pour objectif de consommer moins de ressources
informatiques, qu'il s'agisse de la puissance de calcul (computing power)
ou du stockage des données. La solution proposée par
DeepHawk réduit les besoins en ressources d'un facteur de 375.
L'IA frugale s'oppose au deep learning, qui apprend
sur une très grande quantité de données. L'objectif est
ici d'avoir de plus petits réseaux de neurones dont la structure permet
d'apprendre sur une plus faible quantité de données. Le
fonctionnement se rapproche donc de celui du cerveau humain, cherchant à
travailler le plus intelligemment possible. Pour cela, DeepHawk part notamment
de l'analyse d'image de situations de conformité des produits,
plutôt que d'un apprentissage de l'ensemble des défauts
possibles.
Aujourd'hui, les LLM sont très répandus mais
essentiellement appliqués au texte. Or, ils nécessitent d'avoir
une très grande base de données pour fournir des réponses
de qualité. Leur application au cas des images semble donc
matériellement impossible, car les ressources qui seront alors
nécessaires deviendront trop importantes. Or, la société
actuelle collecte de plus en plus de données, dans le but de pouvoir les
traiter. Le seul support qui serait compatible est l'ordinateur quantique, mais
il ne se propagera pas dans la société avant une dizaine
d'années.
D'après Allain Gilles, la loi de Moore ne peut plus
s'appliquer tellement nous sommes arrivés à un degré de
miniaturisation (à l'échelle atomique).
L'IA frugale comme argument de vente
L'IA frugale (et l'argument du facteur de réduction de
375) est présentée aux clients mais ils n'y sont pas
forcément sensibles. Ils apprécient, mais préfèrent
surtout la performance du logiciel. Les arguments suivants sont notamment mis
en avant:
l La faible préparation nécessaire pour
disposer d'une base de données d'apprentissage, car celle-ci est de
taille réduite ;
l Le fait de ne pas avoir besoin d'un cloud pour y stocker
les données;
l Le fait que les opérations puissent être
réalisées sur des infrastructures informatiques accessibles, qui
permettent aux entreprises de les exécuter en interne, ce qui limite les
risques en matière de sécurité.
L'IA frugale dans les startups
La majorité des startups dans le domaine de l'IA
connaissent le concept d'IA frugale, même s'il est peu abordé chez
le grand public. Toutefois, ces solutions se propagent peu pour deux raisons
majeures:
l Les startups sont financièrement soutenus par les
géants du numérique (comme les GAFAM) qui, eux-mêmes,
vendent des solutions cloud et les encourageant donc fortement à les
utiliser (ces sociétés n'ont pas d'intérêt à
ce que l'IA frugale se développe trop rapidement);
l L'abondance des données et les facilités de
stockage n'encouragent pas à faire avec moins de ressources.
Le recours systématique à des grandes
quantités de données devient problématique uniquement
lorsqu'il y a des enjeux de sécurité (risque de piratage via un
cloud) ou lorsque les factures sont très importantes (souvent
pour des entreprises dont le chiffre d'affaires est supérieur à
10 millions d'euros).
Écosystème startup et
écologie
Il y a indéniablement une faible prise en compte des
enjeux écologiques dans la société civile, même si
les jeunes améliorent la situation en étant de plus en plus
engagés.
Les startups ne sont pas incompatibles avec l'écologie
: le monde actuel est basé sur le fait qu'un problème (comme
l'est l'urgence écologique) peut être une opportunité
économique. Actuellement, il est nécessaire de changer de
nombreux aspects de la société, et de manière rapide, les
startups sont donc des acteurs centraux, à la fois innovants et agiles,
contrairement aux grands groupes qui ont plutôt tendance à
promouvoir le statu quo.
Toutefois, il est peut-être nécessaire de
repenser l'écosystème. Actuellement, si une startup est en
difficulté, elle reçoit des aides pour tenter de s'en sortir, ce
qui, souvent, repousse sa chute. Or, compte tenu de l'urgence actuellement, il
semblerait plus pertinent de laisser ces startups mourir afin de
réallouer les ressources à des projets plus prometteurs. Si une
startup a moins de difficulté qu'une autre, c'est probablement parce que
son projet est meilleur. Cette approche peut donc être assimilée
à du darwinisme.
Face à ces défis, les projets restent souvent
à leur prémisse, sous forme de POC (proof of concept),
sans être imaginés à long terme, par crainte de se
projeter.
Annexe 6 - Résumé de l'entretien avec Juliette
FROPIER (avril 2024)
Cheffe de projet IA & Transition écologique -
Ministère de la Transition Ecologique
Présentation
Juliette Fropier travaille au sein d'Ecolab, qui est un
laboratoire d'innovation au coeur du ministère de l'Ecologie, et
dépendant du Commissariat Général au Développement
Durable (CGDD).
Ecolab traite de deux enjeux principaux:
l L'innovation Greentech : Cette branche gère un label
qui a pour but de mettre en valeur des startups/PME éco-innovantes.
Elles candidatent donc et sont auditionnées pour assurer la
qualité de leur solution. Cette démarche a, entre autres, pour
but d'orienter la commande publique vers des petites entreprises, plutôt
que de s'adresser systématiquement à des grands groupes.
l Le pôle data/IA : Ce secteur, dans lequel travaille
Juliette Fropier, a pour but de monter des projets impliquant la data
et l'IA pour venir en aide aux collectivités (site
ecologie.gouv.fr, indicateurs
territoriaux de la transition écologique, liseuses intelligentes pour
parcourir rapidement des rapports pour les autorités
environnementales...).
Juliette Fropier travaille essentiellement à un niveau
stratégique, pour accompagner le pilotage de politiques publiques. Elle
croise donc principalement deux types de projets:
l Les IA pour la transition écologique : L'objectif
est de soutenir les collectivités en établissant à la fois
des projets de développement spécifiques, mais aussi en
établissant une offre de startups pouvant les accompagner. L'idée
est donc de faire interagir des acteurs variés (plusieurs
ministères, institutions publiques, entreprises privées...).
l L'étude de l'impact environnemental de l'IA : Face
à une systématisation de la demande d'analyse des impacts de
l'IA, il est nécessaire de disposer d'outils pour s'assurer que les
technologies apportent plus qu'elles ne consomment. En parallèle,
Juliette Fropier travaille donc avec plusieurs acteurs dont notamment l'AFNOR
pour augmenter la connaissance dans le domaine et proposer un cadre
normatif.
Le déploiement de l'IA
De manière générale, les projets d'IA se
heurtent à trois problématiques principales :
l L'absence de gouvernance des données, car les
organisations ne sont pas adaptées à la centralisation des
informations, et il faut donc effectuer un important travail de
prétraitement et de définition des canaux d'échange;
l La médiatisation à outrance, qui donne
l'impression que l'IA est capable de tout, et qui génère une
peur;
l La faible quantité d'experts en IA, et l'incertitude
sur l'impact futur sur les secteurs d'emplois.
L'IA dans le Ministère de l'Ecologie
Au sein du ministère, l'IA est perçue comme un
outil qui peut être intéressant mais dont la mise en place est
lourde car elle nécessite beaucoup de prérequis. Juliette Fropier
évoque quelques critères majeurs regardés avant une
éventuelle installation :
l L'analyse coûts/bénéfices du point de vue
environnemental;
l Le respect de l'éthique concernant le traitement des
données personnelles;
l La présence d'experts disponibles pour s'en occuper;
l L'explicabilité et la transparence des
modèles, notamment dans l'administration publique, pour ne pas prendre
des décisions préjudiciables pour les usagers (se pose alors la
question de la responsabilité en cas d'erreur commise par une IA) ;
l La réplicabilité et l'open sourcing,
pour s'assurer que les modèles peuvent être utilisés
dans des cas variés et que leur développement n'est pas trop
spécifique (ce qui impacterait, entre autres, le coût lié
à l'entraînement du modèle).
En outre, l'IA génère indéniablement des
craintes, notamment liées aux emplois et aux compétences. Il y a
donc un important besoin de formation et de pédagogie. Peu de personnes
sont actuellement formées, ce qui limite les interlocuteurs en
capacité de comprendre les enjeux et de les transmettre aux personnes de
leur entourage.
Toutefois, même si l'IA peut être une aide pour
la transition écologique, Juliette Fropier insiste sur le fait que ce
n'est qu'un élément, et qu'il est nécessaire de
déployer beaucoup d'autres solutions afin d'atteindre les objectifs de
sobriété. Son utilisation ne doit pas être
systématique mais déployée uniquement lorsque cela est
nécessaire (contrairement au recours à ChatGPT dans la
société civile actuellement par exemple) ; il est indispensable
de pouvoir justifier la nécessité d'usage.
Travail conjoint avec l'AFNOR
Juliette Fropier a entamé un travail conjoint avec
l'AFNOR pour établir un référentiel normatif sur l'IA
frugale, avec l'objectif que celui-ci puisse atteindre le niveau
européen. Ce travail part du constat qu'il est nécessaire
d'étudier l'impact environnemental de l'IA, mais que peu d'outils
performants sont disponibles. Actuellement, il existe principalement un seul
outil pour calculer l'impact carbone des algorithmes : Green Algorithm
(
calculator.green-algorithms.org).
Cet outil est assez faible et regarde uniquement le coût lié
à l'utilisation du modèle, mais non au matériel
nécessaire pour le faire fonctionner. En outre, il est nécessaire
d'homogénéiser la notion «d'entraînement»,
puisqu'il se déroule en trois phases qui se sont pas toutes
intégrées:
l La création du modèle, pour imaginer son
fonctionnement;
l La démarche itérative de détermination
des principaux paramètres (hyperparamètres) du modèle;
l L'entraînement du modèle sur la version
optimisée, avec les meilleurs hyperparamètres
identifiés.
L'intérêt d'une telle association avec l'AFNOR
est de bénéficier de la structuration existante de
l'organisation, habituée à interagir avec des acteurs très
variés (associations, laboratoires, startups, grandes
entreprises...).