2.1 Représentations au sein du champ de la
recherche
Comme nous l'avons précisé plus haut, les
perceptions des agents du champ de la recherche varient selon le rapport qu'ils
entretiennent avec les autres agents du champ et de sa position dans le champ.
Cette position dans le champ et cette relation ne sont pas seulement
dépendantes du grade du chercheur ou de sa fonction au sein de
l'institut de recherche, mais, elles sont aussi dépendantes du capital
accumulé (qui lui donne un pouvoir) et lui permet d'agir dans le champ
et sur le champ.
Au fur et à mesure que les capitaux sont
accumulés, les agents acquièrent de nouvelles positions dans le
champ. Ce qui leur donne une nouvelle représentation des autres agents
du champ de la recherche, les mettent parfois à la
périphérie du champ. Ils les qualifient « de paresseux
», « de fonctionnaires invisibles » et estiment
qu'ils doivent faire des efforts pour élaborer des projets et obtenir un
capital (subvention) comme eux.
A contrario, moins un agent acquiert des capitaux (ou
en perd régulièrement), plus il a une représentation
péjorative du système du champ de la recherche et un regard
pessimiste du champ de la recherche et du rapport entretenu avec la
sphère administrative. Les représentations que certains agents
entretiennent, paraissent plus simplifiées que d'autres. Pour certains,
il faut une volonté des chercheurs, afin de travailler au-delà
des conditions de recherche difficiles et des financements dérisoires.
Cette catégorie est composée d'agents ayant une situation
administrative ou travaillant régulièrement avec les organismes
internationaux et les tutelles (dans la perspective de cotutelle). Ils
sollicitent plus d'efforts des chercheurs en général et
simplifient la question du financement, tout en reconnaissant l'insuffisance du
budget mis à disposition.
« La moitié du budget de l'enseignement
supérieur va dans les bourses, donc si vous faites grèves, les
choses bougent. Mais moi, je n'ai pas besoin de cela. Je n'ai pas besoin de
faire la pression aux décideurs politiques, j'ai besoin de montrer aux
décideurs politique qu'on a du potentiel que l'on peut valoriser
économiquement si on nous soutient un tout petit peu. Un syndicat est
là pour défendre les intérêts de ses
adhérents. Les syndicats, ce sont de questions corporatistes. La
recherche n'est pas une question corporatiste. La recherche est une question
supranationale, une question d'intérêt mondial. Si les
financements ne correspondent, pas je peux aller les chercher ailleurs.
(É) La recherche fondamentale est la base de la recherche, lorsque la
théorie a été faite sur la lumière, c'était
pour comprendre comment l'univers fonctionne.
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Mais comprendre comment l'univers fonctionne, pour vous et
moi cela n'a pas d'intérêt pratique. Mais derrière cette
théorie, tous les développements qu'il a faits ont permis de
comprendre comment circule la lumière. Et comprendre comment circule la
lumière a permis de comprendre comment la canaliser... Nous fonctionnons
trop à court terme c'est-à-dire à l'année ou au
bout de 5ans hors la recherche c'est des résultats dont les
bénéfices s'observent au bout de 10ans, 15ans, 20ansÉC'est
pourquoi. Il faut mettre en place un mécanisme qui finance cela de
façon désintéressée. »174
Le Directeur Général de la DGRSI quant à
lui pense qu'« Un directeur de recherche est un concepteur. Son
rôle est de prouver que tel projet peut être accepté, les
mène jusqu'aux résultats probants, jusqu'aux brevets. Et
même ces brevets aboutissent à quelque chose auprès d'une
entreprise. Ce n'est pas seulement rester en laboratoire. Vous avez un brevet,
vous devez ouvrir des entreprises mais nous on attend tout de l'État.
L'État vous donne les moyens, quand vous sortez de là vous devez
voler de vos propres ailes mais haut fonctionnaire, on est à la maison
on attend le 25 pour aller toucher son salaire. Certains se battent mais avec
des grèves récurrentes, on ne voit pas les résultats.(...)
Vous savez la recherche est un apostolat, la recherche est un métier, il
faut l'aimer, il faut faire des sacrifices si vous dites, moi je vais faire la
recherche et je vais seulement rester assis, vous passez à
côté, c'est l'échec total (É) Moi je ne sais pas si
les gens comprennent la recherche quand je vois les scientifiques qui se
précipitent pour devenir député, je me dis que c'est
l'argent qui vous intéresse. Pour chercher son pain il faut rendre
service à l'État. Étant fonctionnaire, quel service vous
rendez à l'État ? Vous êtes à la maison vous
attendez le 25 pour aller regarder votre compte bancaire. Moi j'en connais
beaucoup. Le problème c'est que les gabonais attend tout de
l'État. Moi quand j'étais chercheur j'ai fait rentrer de
l'argent. Les partenaires quand vous partez, ils vous voient vous et se disent
que c'est un type sérieux175. »
Abordant la question de l'apport économique de la
recherche scientifique au Gabon et de la répartition budgétaire
avec le DAF du CENAREST, celui-ci nous explique de manière caricaturale
le statut de la recherche dans l'économie gabonaise. D'après lui,
« ce à quoi renvoie l'analyse du tableau de bord sur lequel la
recherche scientifique n'est nullement citée, est que la recherche
scientifique est le parent pauvre. Quelles sont les attentes que les pouvoir
publiques ont de la recherche sans commande publique... vous savez lorsque vous
avez des
174 Actuel Commissaire Général du CENAREST,
entretien tenu le 12 Novembre 2020, au sein des locaux de la direction du
Commissariat Général du CENAREST, situés au quartier gros
Bouquet.
175 Actuel Directeur Général de la DGRSI,
entretien tenu le 24 Novembre 2020, à la Direction
Générale de la Recherche Scientifique et de l'Innovation,
située au Centre-ville.
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enfants et que vous les envoyez à l'école,
vous vous attendez à ce que chacun travaille et apporte de l'argent. Et
que l'un d'eux n'arrive pas à s'en sortir vous êtes obligés
de prendre chez les autres pour lui donner. A un moment donné tu fais
une répartition et donnes d'abord à celui qui rapporte et tu
réduis pour celui qui n'en rapporte pas c'est un peu cela le
problème de la recherche. 176 » En d'autres termes, ce qui
fait que la recherche soit aussi négligée, c'est le fait qu'elle
ne contribue pas à la richesse nationale. Donc, elle est prise en charge
par les autres secteurs.
La perception que les agents administratifs ont des chercheurs
peut s'apprécier à partir des expressions telles que «
fonctionnaires d'État », « Payés à ne rien faire
». Ces qualificatifs expriment leur rémunération
mensuelle malgré l'absentéisme au travail et le manque de
résultats. Donc, les représentations qu'ils se font de la
recherche sont fondées sur le rendement des chercheurs (entant que
fonctionnaire) et l'absence régulière au poste, des agents de la
recherche. Cette représentation se ne transmet pas par contagion mais
dans une intersubjectivité entre agents du champ appartenant à la
même classe sociale.
Emiliani et Palmonari disent à ce propos que «
Les représentions sociales en tant que connaissance du sens commun
reposent sur les mêmes caractéristiques : il s'agit d'une
connaissance qui tend à rendre familière tout ce qui
n'apparaît pas comme tel (ancrage), elle tend à objectiver,
à se rendre figurativement concrète, elle tend à se
conserver et, par conséquent, à se répéter et elle
est intersubjective. 177 » De façon générale,
l'image émise des chercheurs est pour la plupart traduite comme
« des fonctionnaires inactifs », « Payés
à ne rien faire ».
Aussi, Claude Flament, en reprenant les propos de Moscovici,
explique que le caractère d'une représentation sociale se
manifeste dans une circonstance comme une action objective, une pensée
objective qui n'émane pas de nos expériences comme une norme.
Mais cela n'en est pas le cas178.
« On peut d'abord penser au caractère
évaluatif d'une représentation. Pour Moscovici, l'attitude est
l'une des trois dimensions de la représentation (É) Si je dis
volontiers (Flament 1994-1997) qu'une représentation est composée
de schèmes qui sont à la fois « descriptif » et «
prescriptif », c'est- dire à la fois courant constatif et normatif.
Ce n'est pas
176 Actuel Directeur Administratif et Financier du CENAREST,
entretien tenu le 02 Juillet 2020, au sein des locaux de la direction du
Commissariat Général du CENAREST, situés au quartier Gros
Bouquet.
177 F. Emiliani et A.Palmoni, « Psychologie sociale
et question naturelle », Penser la vie la social, la nature.
Mélanges en l'honneur de Serges Moscovici, Op.cit.
p.142
178 C.Flament, « Représentations sociales et
normatives : Quelques pistes », Penser la vie la social, la nature.
Mélanges en l'honneur de Serges Moscovici op.cit. p.256.
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pour confondre ces 2 notions mais pour indiquer que les
deux aspects sont toujours coprésents et se manifestent de façon
variable selon les circonstances. Et c'est sans doute la fluidité du
circonstanciel que le caractère normatif d'une représentation se
manifeste clairement È179.
La recherche est une activité utile, pour ce qui est de
son organisation au Gabon, il est nécessaire de la réformer et de
permettre aux chercheurs d'avoir les moyens nécessaires. C'est une
activité qui est difficile à percevoir et dont les
résultats théoriques peuvent être utiles à long
terme. Le point de vue sur la recherche telle qu'elle est en définition
ne donne aucun problème. Plusieurs estiment qu'elle a pour rôle de
servir au développement. Toutefois, en tant qu'activité au sein
de la société gabonaise, le problème de résultats
lui en donne une image négative. Les perceptions sont
entremêlées entre le jeu des chercheurs, leurs rôles dans le
dysfonctionnement actuel et les préconçus des pouvoirs publics
qui ont établi un système d'organisation de la recherche qui
n'est pas reformé malgré les évolutions sociales.
Cela ne signifie pas que les pouvoirs politiques ignorent le
rôle de la recherche (de façon générale). Mais
d'après nos enquêtés, ils négligent la recherche
scientifique nationale, locale parce qu'ils « sous-estiment les
compétences des chercheurs locaux et pensent que les chercheurs
occidentaux sont plus compétents180 ».
« Moi, je suis consultant dans ce cabinet, vous ne
savez pas le nombre de projet du gouvernement que j'ai traité en tant
que chercheur dans ce cabinet, pourtant, c'est le même chercheur qui est
à l'IRSH que vous voyez ici Je peux vous montrer la liste des travaux
que j'ai effectué entant qu'expert, que consultant. C'est la même
personne qui est consultante qui est chercheur. Et la raison est qu'ils
prennent du temps. Cela est faux. Le seul problème est qu'on ne veut pas
travailler avec la recherche, on ne consulte pas les résultats
nationaux, on préfère faire appel aux consultant internationaux
qui nous coûtent plus chères, et qui ont parfois moins
d'expérience que nous. C'est sûrement un complexe et des moyens
pour détourner des moyens. Si on a besoin de consultant dans un domaine,
la majorité des chercheurs qui viennent sont des consultants comme nous.
Et quand ils arrivent, ils viennent nous chercher pour faire ce travail. Mais,
nous nous avons été formé en Occident, nous
exerçons même là-bas. Mais, imaginez-vous, une fois, ils
ont fait venir des consultants étrangers travailler sur des questions
que nous abordons. Le consultant qu'ils ont appelé été un
chercheur que j'ai enseigné. Qu'est-ce que nous ne pouvons pas faire ?
C'est une question de confiance et de la façon dont nous
percevons
179 Idem.
180 M. Mamboundou, Ancien Directeur Adjoint de l'IRSH (2010),
Chargé de projet, entretien tenu le 19 juin 2020, au Cabinet Consulting
situé à Glass.
112
notre pays. Les chercheurs gabonais sont capables de
répondre à des problèmes précis, avec des
délais précis, dans ce cabinet je le
fais181».
L'aspect financier est très important, il est traduit
comme motivation pour le politique à s'intéresser au secteur de
la recherche. Et comme l'une des raisons pour lesquelles les gouvernants
contournent les chercheurs dans la mise en place de politiques publiques de
développement.
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