Le Cameroun et la convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiquespar Eric Salomon Ngono Université de Yaoundé I - Master 2 2020 |
IX- Cadre théoriqueLa présente étude englobe un cadre théorique complexe. L'histoire des relations internationales demande une analyse minutieuse des différentes approches appelées théorie de relations internationales qui motivent la coopération entre les Etats. Pour Raymond Aron, une théorie des relations internationales est « une connaissance contemplative, une saisie des idées ou de l'ordre essentiel du monde »36. Une théorie est donc un outil, une grille de lecture ou un instrument permettant la lecture des réalités et du comportement des acteurs de la scène internationale. Les questions climatiques et les négociations sur le climat impliquent différentes approches. Les théories des relations internationales telles que les approches libérales, néolibérale et constructiviste, institutionnaliste permettent d'appréhender les stratégies des acteurs et des enjeux de la gouvernance climatique. - L'institutionnalisme intergouvernemental Développé par Andrew Moravcsik dans The choice for Europe. Social purpose and state power from Messina to Maastricht, l'institutionnalisme intergouvernemental s'appuie sur l'économie politique internationale. D'après son postulat, la coopération internationale est un cadre d'analyse rationaliste de la coopération internationale.37 Selon lui, l'intégration et la coopération entre l'Etats est le résultat d'une série de choix rationnels arrêtés par des dirigeants nationaux. Ces choix répondent à des contraintes et opportunités modelées par les intérêts 36 R. Aron, "Qu'est-ce qu'une théorie des relations internationales ?" In Revue française des sciences politiques, 17e année, no 5, 1967, p.838. 37 Ibid. 16 économiques de puissants secteurs des sociétés nationales, le pouvoir relatif de chacun des États dans le système international et le rôle joué par les institutions internationales pour renforcer la crédibilité des engagements intergouvernementaux38. - Le réalisme Faire appel à la théorie réaliste ne voudrait pas pour autant dire que nous épuiserons sa pensée globale. Nous avons jugé nécessaire de l'inscrire dans un pan limité cadré à notre étude pour comprendre les véritables motifs de la coopération entre les Etats et d'autres acteurs de la vie internationale. En effet, pour les réalistes, les Etats n'ont que très rarement des intérêts communs sur lesquels pourrait se fonder la coopération entre eux. Et même quand un intérêt commun se fait jour, la méfiance entre les Etats est telle (chacun craignant que l'autre ne tire plus d'avantages de la coopération que lui-même), que la coopération n'est pas durablement possible39. De même, la coopération à somme positive, celle où tout le monde enregistre un gain, est dangereuse. Certains peuvent gagner plus que d'autres, ce qui entraîne un déséquilibre des puissances. La coopération et les négociations entre les Etats aboutissent parfois à de nouvelles rivalités. De même, selon les réalistes, tout est politique et l'intervention de l'Etat permet d'objectiver les multiples demandes du corps social. L'exercice des prérogatives de la souveraineté étant considéré comme moyen exclusif de contrôle de l'anarchie naturelle tant sur le plan interne que sur le champ des relations extérieures, l'Etat intervient comme un stabilisateur40. - Le constructivisme En relations internationales, la théorie du constructivisme considère que le champ des relations internationales n'est pas établi, mais plutôt une construction permanente. Elle nous ramène à un processus en action et donc dynamique. En effet, les constructivistes présentent le champ des relations internationales comme un domaine en mouvement. Ils nous décrivent les relations internationales comme un domaine en perpétuel mouvement selon les stratégies interactionnistes. Cependant, il est nécessaire d'appréhender les mobiles et stratégies favorisant un tel dynamisme. L'enjeu fondamental de constructivisme dépend de certaines variables complémentaires à savoir : le rôle des acteurs, comprendre les réalités sociales et comprendre les interactions qui existent dans les domaines relations internationales41. 38 Ibid. 39 https://www.forum-scpo.com/relation-internationales-geopolitique-mondialisation/principales-theories-relations-internationales.html/ Consulté le 14-02-2018 à 13h05mn. 40 J-J. Roche, Théories des relations internationales, Paris, Editions Montchrestien, 4e Edition, 2001, p.30. 41 http://www.baripedia.org/wiki/interactionnisme-et-constructivisme/ Consulté le 15-02-2018 à 9h19mn. 17 - Les théories libérales et néolibérales Les théories libérales et néolibérales sont fondées sur un certain angélisme dans leur poursuite de la coopération et le processus d'harmonisation internationale.42 Pour les libéraux, les relations internationales sont les rapports de toute nature que l'Etat, les organisations gouvernementales et non-gouvernementales et les individus entretiennent entre eux dans un cadre bilatéral ou multilatéral. Outre ses précurseurs historiques, tels Leibniz, Kant, Montesquieu, Locke, Rousseau, David Ricardo, Adam Smith et bien d'autres, le libéralisme a été porté au XXe siècle par les présidents américains, Thomas Wilson et Franklin Delano Roosevelt. Il existe le libéralisme politique de John Locke et le libéralisme économique qui a été développé par Adam Smith dans son ouvrage, An inquiry into the nature and causes of the wealth of Nations43. Au début des années 70, Robert O. Keohane et Josepn Nye dans leur ouvrage Transnational relations and world politics, s'intéressèrent aux mécanismes d'interdépendance qui se sont opérés depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale44. L'école néolibérale conçoit la nature des relations internationales sous l'angle des interdépendances et de la coopération. Elle s'inspire largement de la théorie des avantages comparatifs. Le néolibéralisme postule également l'importance qu'on doit accorder aux différentes institutions chargées d'entretenir ou de veiller sur les liens d'interdépendance.45 X- Méthodologie La connaissance scientifique se caractérise par la rigueur du raisonnement logique, la précision et la cohésion des observations empiriques. La méthodologie joue un rôle très important car elle est le fruit d'une longue tradition de recherche et définit la manière scientifique d'étudier un phénomène. Pour la réalisation de ce travail, nous avons opté pour une méthodologie variée, à savoir une recherche documentaire focalisée sur les sources de seconde main. L'utilisation des outils de la recherche participative (enquêtes, observations directes et entretiens, la collecte des sources orales et le téléchargement et la consultation en ligne des sources numériques) a été nécessaire. 42 B. Hamel, "Economie politique et internationales et considérations théoriques : paradigme libre-échangiste et structure marchande", UQAM, 1995, p.10. 43 A. Sigouin-Lebel, Le concept de mondialisation dans les théories des relations internationales : Perspectives philosophiques, Mémoire de master en Science Politique, Université du Québec à Montréal, 2016, p.18. 44 Roche, Théories des relations internationales...p.112. 45 Hamel, "Economie politique et internationales...", p-10. 18 La recherche documentaire nous a permis de compiler les documents écrits et travaux antérieurs traitant l'objet de notre recherche. Pour y parvenir, la consultation et l'exploitation d'ouvrages généraux et spécialisés dans les bibliothèques et centres de recherche nous ont été indispensables pour la réalisation de cette recherche. De même, les travaux scientifiques à l'instar des thèses, mémoires et articles de toute nature ayant trait à notre thème ont été des sources indispensables. Les enquêtes réalisées lors des multiples descentes sur le terrain au Ministère de l'Environnement de la protection de la nature et du développement durable (MINEPDED), au Ministère des Forêts et de la Faune et bien d'autres ont été des sources d'information nécessaires pour la réalisation de cette étude. En plus, nous avons pu consulter les bases de données des organismes Nationaux, internationaux, et organisations non gouvernementales spécialisés sur les questions des changements climatiques. Parmi ceux-ci nous pouvons citer l'ONACC, le Programme des Nations Unies pour l'Environnement (PNUE), ainsi que des ONG comme WWF, UICN, etc. Pour la réussite de la présente étude, nous avons également collecté des sources primaires (sources orales). La collecte des sources orales a ciblé des spécialistes des questions environnementales et des changements climatiques. Munis de questionnaires, nous avons eu des entretiens et des interviews46 avec des experts desdites questions dans les ministères sus évoqués, et toute personne dans une perspective transdisciplinaire qu'elle soit géographe, sociologue, décideur politique, etc. Après collecte des données, nous les avons confronté et analysé en toute objectivité (c'est la capacité de reconnaître ce qui est réel indépendamment de tout préjugé et de toute interprétation personnelle. C'est le contraire de la subjectivité. Etre objectif c'est resté neutre impartial devant les faits)47. Dans une approche historique, nous avons mené une analyse évolutive des faits et des observations empiriques tout en les critiquant. Nous avons utilisé un raisonnement à la fois inductif basé sur l'observation ; et déductif qui est l'émanation d'un raisonnement logique. Notre recherche s'inscrit dans un courant positiviste, système développé par Auguste Comte qui considère que toutes les activités philosophiques et scientifiques ne doivent s'effectuer que dans le cadre de l'analyse des faits réels vérifiés par l'expérience.48 Notre recherche vise la compréhensibilité et l'intelligibilité du phénomène de changement 46 Enquête orale suivie d'une ou de de personnes par rapport à un sujet donné. 47 R.R. Tremblay & Y. Prerrier, Méthodes de travail intellectuel, Paris, Les Editions de la Chenelière 2e Ed, 2006, p.12. 48 http://www.encyclopedieuniversalis.fr/positivisme/ Consulté le 17-02-2018 à 11h03mn. 19 climatique ce qui fait d'elle une recherche qualitative, et la quantification des données chiffrées et statistiques sur l'état des lieux de la lutte contre les changements climatiques au Cameroun.
Schématiquement, notre travail est composé de quatre chapitres. Le premier chapitre intitulé "Considérations générales et évolution du débat sur les changements climatiques avant la CCNUCC", met en exergue l'émergence de la conscience écologique sur la scène internationale ainsi que des actions menées de 1972 à 1992. Ce chapitre démontre que la communauté internationale s'est engagée à la cause environnementale en général et climatique en particulier climatique avant l'avènement de la CCNUCC. Il présente la conception et perception camerounaise des problèmes environnementaux avant 1992. De même, il détaille entre les lignes, les négociations ayant conduit à l'élaboration de la CCNUCC jusqu'à sa signature à la conférence de Rio de Janeiro de 1992. Le chapitre deux est intitulé "La Convention-Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques : objectif, principes, institutions et adhésion du Cameroun", traite des engagements pris par les Etats pour la préservation du système climatique mondial. Ce chapitre présente les objectifs et principes directeurs de la convention, ainsi que des institutions en charge du financement et du respect des obligations et des engagements des Etats parties. Il ressort aussi les motivations et spécificités qui ont favorisé l'adhésion du Cameroun à la CCNUCC. Le chapitre trois intitulé "Mise en oeuvre de la CCNUCC au Cameroun : acteurs et grands projets", analyse l'action du Cameroun dans la lutte contre les changements climatiques. Il évalue les causes et l'impact des changements climatiques au Cameroun, présente le cadre 20 juridique et institutionnel mis en place. Il présente aussi les grands projets initiés par les acteurs oeuvrant pour la lutte contre les changements climatiques au Cameroun depuis la ratification de la CCNUCC en 1994 à 1995 partant du Plan National de Gestion de l'Environnement (PNGE), en passant par les projets MDP et le processus REDD+. Le chapitre quatre intitulé " Les entraves à la lutte contre les changements climatiques au Cameroun" se penche sur les obstacles rencontrés dans le secteur de la lutte contre les changements climatiques au Cameroun. Sans se limiter aux obstacles qui sont à la fois de nature exogène et endogène, ce chapitre propose le renforcement des capacités de l'Etat et des différents acteurs comme préalable à l'adaptation et la résilience aux phénomènes extrêmes des changements climatiques. 21 CHAPITRE I : CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES ET ÉVOLUTION DU DÉBAT SUR LES CHANGEMENTS CLIMATIQUES AVANT LA CCNUCC Si la climatologie a toujours été considérée comme une branche importante de la météorologie scientifique et pratique, si les principes de la physique qui sous-tendent le réchauffement par l'effet de serre étaient connus depuis le XIXe siècle, le climat devient un enjeu mondial au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale. Les progrès intervenus après le second conflit mondial dans le domaine des sciences fondamentales de l'atmosphère ont permis une compréhension optimale du système et des mécanismes de circulation atmosphérique à l'échelle planétaire1. A partir des années 60 et 70, une prise de conscience de l'opinion publique internationale sur les questions écologiques et environnementales est propulsée par un éveil progressif des scientifiques. De même, le monde fait face à des catastrophes naturelles. L'activité humaine est pointée du doigt comme l'une des causes des dérèglements du climat avec pour conséquence la dégradation de son milieu vital. Dès lors, on assiste à la généralisation des conférences sur l'environnement, jusqu'à l'adoption en 1992 à Rio de Janeiro de la Convention-Cadre de Nations Unies sur les Changements Climatiques (CCNUCC)2. Après son accession à la souveraineté internationale, le Cameroun aspirait au développement et à l'amélioration des conditions de vie de la population. Mais soucieux de protéger son milieu naturel, le pays se lia à la communauté internationale pour la protection de l'environnement afin de sauvegarder le climat mondial pour les générations présentes et futures. Dans ce chapitre, nous présenterons d'abord l'émergence de la conscience écologique dans le monde. Ensuite, nous montrerons la perception du Cameroun du concept d'environnement avant 1992. Et enfin, nous présenterons les négociations à l'élaboration de la CCNUCC. I- De Stockholm à Rio : prémices d'une prise de conscience des questions environnementales et écologiques Il est difficile de stratifier avec précision les filiations et les interrelations qui existaient entre les rassemblements scientifiques, conférences et mouvements qui ont favorisé à la prise de conscience écologique. Cependant, il est nécessaire de ressortir les axes majeurs qui ont motivé l'évolution du débat sur le climat et la protection de l'environnement des années 70 jusqu'à la conclusion d'un consensus global sur le climat en 1992. 1 J. W. Zillman, "Historique des activités climatologiques", Bulletin de l'OMM, No3, juillet 2009, P.142. 2 J. Merle et al, Changement climatique : Histoire et enjeux, Nouvelle Aquitaine, L'Harmattan, 2016, P.154. 22 |
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