Publicites commerciales et protection du consommateur en Cote d'Ivoirepar Paul-Philippe Albert DJEDJESS Université Catholique de l'Afrique de l'Ouest (UCAO) - Master 2 2018 |
Paragraphe 2 : Une incohérence textuelle constatée au niveau nationalAu niveau national, l'incohérence du cadre textuel se perçoit à travers des faiblesses identifiées dans la réglementation publicitaire en vigueur(A). Mais aussi et surtout, on constate un déphasage des textes face à l'évolution croissante des techniques de communications publicitaires (B). A. Les faiblesses de la réglementation publicitaire en vigueur La protection du consommateur de façon générale est assurée par divers textes relatifs à la concurrence et désormais principalement par la loi n°2016-412 du 15 juin 2016 relative à la consommation. Spécifiquement, en matière de publicité, la protection du consommateur est organisée par la loi n°91-1000 du 27 décembre 1991 portant interdiction et répression de la publicité mensongère. A cela viennent se greffer divers textes spécifiques qui réglementent la publicité faite dans certains domaines133(*). Cependant, suite aux avis recueillis de certains consommateurs, il revient que les dispositions assurant leur protection ne prennent pas en compte leurs préoccupations. Il est reproché des imperfections aux textes de protection de leurs droits contre les pratiques publicitaires malhonnêtes qui tiennent essentiellement à l'ancienneté des dispositions réglementant les publicités et l'inapplication des sanctions prévues dans les textes existants. Par ailleurs, notons que l'action du législateur dans le domaine de la publicité est remarquable. Dans la mesure où face à un quasi-vide juridique, le législateur a eu le mérite d'intervenir dans un domaine peu connu et maîtrisable. Toutefois, faisant une brève comparaison à la législation française, sur le modèle, de laquelle, elle a été essentiellement faite, elle est quasiment inadaptée au contexte économique actuel en constante évolution. Pendant que les Etats développés tels que la France, le Canada ont dissocié droit de la concurrence et droit de la consommation, les textes relatifs à la répression de la publicité trompeuse en Côte d'Ivoire souffrent encore de la prédominance du droit de la concurrence sur le droit de la consommation. Ce qui n'est pas sans conséquence vu que l'imbrication du droit de la concurrence sur le droit de la consommation rend les textes visant la protection du consommateur difficile d'accès. Au niveau de la réglementation publicitaire de certains produits telle que présentée plus haut, on note également des imperfections. Par exemple la question du contenu des messages publicitaires en faveur du tabac et des produits du tabac ne se pose plus en droit français dans la mesure où, le régime applicable est celui de l'interdiction de principe de toute publicité directe ou indirecte134(*) contrairement à la législation ivoirienne qui est tâtonnante en posant le principe d'interdiction qu'au support télévisé. Déduction faite de la possibilité laissée aux autres supports de publicités. A la réglementation publicitaire du tabac et des produits du tabac, on relève également des imperfections au niveau de la réglementation des boissons alcoolisées. Rappelons que le système ivoirien de contrôle de la publicité en faveur des boissons alcooliques consiste, à moduler la réglementation en tenant compte du degré de nocivité des boissons vantées. Ce principe est louable certes mais il a pour conséquence de permettre aux producteurs de boissons à faible degré d'alcool notamment la bière qui appartient au 2ème groupe d'y faire abusivement la publicité de leurs produits. On peut le voir lorsqu'on sillonne la ville d'Abidjan avec ces nombreux panneaux publicitaires des brasseries ivoiriennes qui envahissent le paysage urbain et incitent les consommateurs à consommer l'alcool. Pour ne relever que ces points, le bilan est que les dispositions protectrices du consommateur contre les pratiques publicitaires malhonnêtes sont imprécises et incomplètes. Toutefois, il faudrait également ajouter l'effectivité de l'application des dispositions existantes, notamment les sanctions, afin d'assurer une protection réelle. Rappelons que la législation interdit toute publicité mensongère ou trompeuse135(*). Toutes les personnes qui s'adonneront à cette pratique se verront appliqué des sanctions prévues à cet effet136(*). Cependant, le constat est tout autre en ce sens que, plusieurs opérateurs économiques qui font la publicité mensongère et trompeuse ne se voient aucunement appliqués les sanctions afférentes et ces publicités continuent d'induire et de tromper le consommateur dans ces choix. Prenons l'exemple de la publicité des produits cosmétiques qui présente de façon général l'image d'une femme au teint « éclatant de beauté » grâce à l'utilisation du produit vanté qui en réalité ne donne pas le résultat escompté. Les acteurs de ces pratiques publicitaires devraient normalement répondre de leurs actes devant la juridiction compétente et se voir appliqué les sanctions liées au délit mais cela n'est pas le cas. Le support publicitaire par affichage est aussi un domaine où l'on constate beaucoup d'irrégularités. Le décret portant affichage publicitaire organise clairement l'affichage publicitaire en déterminant par exemple l'espacement entre deux (02) panneaux à soixante-quinze mètres (75m) en agglomération et cent mètre (100m) en rase campagne137(*). Le non-respect des dispositions réglementant l'affichage publicitaire constitue une contravention de troisième (3ème) classe et est punie comme tel ; sans préjudice de sanctions disciplinaires prononcées par le CSP ; avec la possibilité qu'elle a de saisir les tribunaux et de se constituer partie civile pour les préjudices subis aux consommateurs, à la concurrence ou à la profession138(*). Néanmoins, on a pu constater dans notre visite d'étude dans la ville d'Abidjan que les panneaux d'affichage installés ne respectent pas l'espacement des soixante-quinze mètre (75m) en agglomération et les auteurs de ces pratiques ne sont pas interpellés afin d'être remis à l'ordre. B. L'évolution des techniques de communication publicitaire La protection des personnes, acteurs incontournables du commerce électronique, est un gage de l'essor de cette activité139(*). A l'instar du commerce traditionnel, les professionnels du commerce électronique font recours aux nouvelles formes de communications publicitaires pour faire connaitre et vendre leurs produits et services. Les nouvelles techniques de communication publicitaires sont des éléments compris dans ce qu'on appelle les nouvelles technologies de l'information et de la communication (NTIC). Avant de montrer le déphasage de la réglementation encadrant les nouvelles formes de communication publicitaire face à leur influence dans nos sociétés actuelles, il convient de définir et préciser certaines notions telles que « nouvelles techniques de l'information et de la communication », « commerce électronique » ou « consommateur » au sens du commerce électronique. Tout d'abord, il faut savoir que « Les Nouvelles Technologies de l'Information et de la Communication (NTIC) regroupent l'ensemble des techniques qui contribuent à numériser et digitaliser l'information, à la traiter, à la stocker et à la mettre à la disposition d'un - ou de plusieurs - utilisateur(s)» selon Loïck Roche et Yannick Châtelain140(*). Les technologies, longtemps appelées «nouvelles» concernent l'information et la communication et permettent la création, la diffusion et l'échange d' « hyper informations », c'est-à-dire pouvant contenir des textes, des images, du son et mises en forme dans un contexte interactif. Concrètement, ils apparaissent sur internet, dans les sites marchands, dans les bandeaux publicitaires, les forums, les chats, les messageries, mais aussi dans la téléphonie141(*). Le commerce électronique a fait l'objet d'une réglementation en droit ivoirien. Ainsi, il désigne « toute activité économique par laquelle une personne propose ou assure, à distance et par voie électronique, la fourniture de bien ou la prestation de services »142(*). Dans le commerce électronique, le consommateur est défini comme étant une personne physique qui utilise ou demande un service de communications électroniques accessible au public à des fins autres que professionnelles143(*). Le mobile est également très utilisé dans le cadre des transactions électroniques144(*).La popularité des téléphones mobiles a permis l'essor de la publicité par téléphone mobile. Le téléphone mobile acquiert rapidement de plus en plus de fonctions et pourrait prendre la place de la télévision en tant que média principal, pour les entreprises qui souhaiteraient atteindre leurs consommateurs. Cette piste est confirmée par Omnicom, un réseau d'agences publicitaires145(*). Le digital (Internet + Mobile) devrait ainsi représenter près de 45 % de la croissance du marché mondial de la publicité146(*).En Côte d'Ivoire, le secteur des transactions électroniques enregistre des chiffres très intéressants. Ainsi, les transactions monétaires par téléphone mobile représentent environ quinze milliards de francs CFA par jour147(*). La promotion de services mobiles devient de plus en plus importante pour les entreprises, surtout pour les opérateurs de téléphonie mobile tels que :Orange, MTN, Moov. Pour elles, le téléphone mobile est un moyen d'atteindre et d'interagir avec le client lors de l'intention d'achat.De ce fait, les annonceurs ont un nouvel intérêt pour ce media148(*). Malgré les avantages que présentent les techniques de communications publicitaires, la publicité électronique présente des dangers car pour attirer le consommateur, les professionnels peuvent employer des techniques qui contiennent de fausses informations ou omettent certains renseignements de façon à induire en erreur le consommateur et l'inciter à contracter. La publicité trompeuse ou de nature à induire en erreur le consommateur fait l'objet d'une interdiction générale quels que soient les produits et les services vantés ainsi que le mode de diffusion utilisé149(*). À ce titre, toute publicité trompeuse, diffusée sur internet, est susceptible d'être interdite par la réglementation nationale interdisant la publicité mensongère ou trompeuse. Ajouter à cela, le caractère intrusif que peuvent prendre les formes de publicité sur internet, spam, publicité ciblée. Les internautes sont exposés à des agressions mettant en péril le droit à la vie privée. Nous pouvons le constater avec la société de commerce électronique Jumia qui propose à tout instant de navigation sur des sites ivoiriens des offres de vente de produits et services avec des pages publicitaires difficilespour l'internaute ivoirien à maîtriser. Le législateur ivoirien par l'adoption de la loi sur les transactions électroniques, montre que toute publicité par voie électronique doit clairement être identifiée comme telle (contenu publicitaire, personne pour le compte de laquelle la publicité est réalisée, conditions auxquelles sont soumis les concours et jeux promotionnels)150(*).La prospection directe par tout moyen de communication électronique est interdite en l'absence d'accord préalable de la personne concernée151(*). Des exceptions sont prévues pour la prospection directe par courrier électronique notamment lorsque les données de la personne ont été recueillies directement auprès d'elle. L'existence de ces dispositions devrait assurer au consommateur une protection de ses intérêts mais on constate dans la pratique que ces règles ne sont pas toujours respectées par les professionnels du secteur. Les consommateurs recherchent aujourd'hui des informations horizontales et non plus verticales, c'est-à-dire venant d'autres consommateurs et non plus des entreprises elles-mêmes.Les premières étant censées que les secondes152(*). Or, le constat montre que certains consommateurs peuvent être liés à la marque qu'ils vantent. L'information perd alors assurément de son objectivité. Le fait pour un professionnel de se faire passer pour un consommateur est envisagé en droit français à l'article L. 121-1-1 21° du Code de la consommation qui punit le fait « de faussement affirmer ou donner l'impression que le professionnel n'agit pas à des fins qui entrent dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale, ou se présenter faussement comme un consommateur ». La sanction pénale est de deux (2) ans d'emprisonnement et 300 000 euros d'amende depuis la loi du 17 mars 2014 relative à a consommation153(*). En droit ivoirien, une telle pratique n'est pas prise en compte. Que ce soit par la nouvelle loi relative à la consommation ou la loi sur les transactions électroniques, aucune n'en fait mention alors qu'on retrouve plusieurs situations similaires dans le cyberespace ivoirien. Les spécificités de ce nouveau support, découlant en particulier de son caractère international et de l'interactivité154(*) qu'il met en oeuvre, soulèvent certaines interrogations relevées plus haut en ce qui concerne l'insertion de la réglementation afférente dans l'outillage juridique ivoirien. Cette difficile mise en oeuvre n'est-elle pas imputable aux institutions de protection ? * 133 Voir Chap.1 de la Partie 1. * 134 Art. L.3511-3 du Code de la santé publique français. * 135 Art.2 de la loi portant interdiction et répression de la publicité mensongère ou trompeuse. * 136 Art. 6 al. 1 de la loi sus-indiquée. * 137 Art. 27 al. 3 du décret portant affichage publicitaire en Côte d'Ivoire sus-indiqué. * 138 Art. 79 et 80 du décret précité. * 139COULIBALY (I.), La protection des données à caractère personnel dans le cadre du commerce électronique: la situation en Côte d'Ivoire, http://unctad.org/meetings/en/Contribution/dtl_eweek2016_ICoulibaly_fr.pdf, p. 7 (consulté le 22 septembre 2017). * 140 LESAVRE (L.), Théories de la communication et nouvelles technologies de l'information et de la communication, éd. working papers, 2001, p. 9. * 141LESAVRE (L.), op. cit.. * 142 Loi n°2013-546 du 30 juillet 2013 relative aux transactions électroniques. * 143 Ordonnance n°2012- 293 du 21 mars 2012 relative aux télécommunications et aux TIC * 144 COULIBALY (I.), La protection des données à caractère personnel dans le cadre du commerce électronique: cas de la situation en Côte d'Ivoire, op. cit., p. 9. * 145 https://fr.wikipedia.org/wiki/publicitémobile (consulté le 25 juin 2017) * 146 Idem * 147 COULIBALY (I.), op. cit., p.11. * 148COULIBALY (I.), op.cit. * 149 VEYSSIERE (L.) et VIBERT (A.), La publicité sur Internet : Peut-on «surfer» sans risques ?, LEGICOM, 1996/2 (N° 12), p. 19-28. * 150 Art. 10 de la loi sur les transactions électroniques. * 151 Art. 11 de la loi sur les transactions électroniques. * 152 ARCELIN LECUYER (L.),Réaffirmer les frontières entre information et publicité, Conseil d'Ethique Publicitaire (CEP), avis du 25 novembre 2011. * 153 Art. L.121-6 du Code de la Consommation français. * 154VEYSSIERE (L.) et VIBERT (A.), La publicité sur Internet : Peut-on «surfer» sans risques ?, LEGICOM, 1996/2 (N° 12), p. 19-28. |
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