La microfinance, un défi d'adaptation au contexte localpar Clara Bécard HEC Paris - Master in Management 2021 |
ConclusionL'étude de la microfinance au Bangladesh et en France nous permet d'identifier des pratiques essentielles au bon fonctionnement de la microfinance, applicables partout : Procéder en plusieurs étapes. S'assurer que l'on connaît bien le contexte et le potentiel local grâce à des études de marché et de faisabilité. Adapter graduellement l'offre à la demande : commencer par une première étape d'implantation basée sur un produit standard qui a fait ses preuves ailleurs, puis progressivement proposer une variété de produits et de déclinaisons. S'émanciper des modèles extérieurs au fur et à mesure. Préserver la vocation sociale de l'activité. Lutter contre les dérives liées à la recherche de profit individuel. Être sur le terrain à l'écoute des clients et de leurs besoins pour répondre à la mission sociale première de la microfinance. Transformer son environnement. Impacter les réglementations et le secteur financier pour créer un contexte favorable et une dynamique de soutien aux activités de microfinance. Cela est notamment rendu possible par la présence d'un leader fort et visionnaire capable de porter ces évolutions. Se remettre en question et s'améliorer en permanence. Être constamment au fait des évolutions du contexte local et des réglementations pour protéger ses clients et ses collaborateurs. Réaliser des études de satisfaction et d'impact régulières. Investir dans les nouvelles capacités techniques. Cependant, nous avons également souligné que ces deux pays possèdent des caractéristiques spécifiques avantageuses qui ne sont pas forcément réplicables ailleurs. Au Bangladesh, la forte densité de population répartie de manière relativement homogène sur le territoire, l'uniformité des pratiques culturelles et les forts sentiments communautaires à l'échelle des villages forment un contexte favorable à l'expansion rapide de la microfinance. En France, la stabilité politique, le cadre réglementaire préexistant, la disponibilité des fonds publics, la présence d'organismes complémentaires et d'un tissu de banques et d'assurances fiable, mais aussi l'accès gratuit à la santé et à l'éducation, ont facilité la création d'IMF qui se concentrent sur leur objectif d'impact social. L'absence de contexte initial favorable demande d'autant plus d'appliquer les pratiques éclairées que nous avons mentionnées. 114 Malgré tout, ces conclusions soulèvent des questions supplémentaires, notamment : comment réussir à s'adapter efficacement à un monde qui évolue à une vitesse toujours plus folle ? Comment même aller au-devant de ces évolutions et prévoir les prochaines tendances mondiales ? S'il s'agit de questions que tous les secteurs doivent se poser, l'enjeu est considérable pour la microfinance, dont les bénéficiaires sont particulièrement fragiles et sensibles aux aléas. Chaque pays doit faire face à ses propres défis, mais il y a trois grandes tendances incontournables qui vont avoir un fort impact sur le secteur dans les années et les décennies à venir. La première est bien évidemment la gestion des répercussions de la pandémie du Covid-19 et du ralentissement économique brutal qu'elle a généré. Les professions informelles et les emplois précaires sont les premiers impactés, générant une baisse importante de revenus pour les emprunteurs de microcrédits. Les femmes, cible prioritaire de la microfinance dans les pays pauvres, ont vu la pression de la gestion du foyer se dédoubler avec la fermeture des écoles. La situation a nécessité des réponses rapides plus ou moins efficaces. En France, au-delà des aides de l'Etat qui ont joué un rôle important d'amortisseur, l'Adie a pris le temps de contacter tous ses emprunteurs pour trouver des solutions personnalisées, notamment des reports de mensualités et un accompagnement accentué pour s'adapter au nouveau contexte171. Au Bangladesh, la réponse est essentiellement venue du gouvernement, qui a distribué une aide de 30$ à 5 millions de foyers par transferts téléphoniques, et mis un fonds à la disposition des IMF pour les soutenir financièrement. Au-delà de ces réponses immédiates, l'impact se fera également sur le long terme. Selon les mots de notre interlocuteur Paul Hailey, «Une différence importante avec le secteur classique qui joue en la faveur de la microfinance est que ses acteurs sont bien davantage prêts à collaborer avec leurs concurrents, et à s'organiser, par exemple pour créer des programmes de restructuration.»172 En outre, comme toute crise, la situation actuelle demande de réinventer le secteur et d'accélérer fortement les innovations. Notamment, la distanciation et la nécessité de soulager rapidement les populations marginalisées grâce aux aides oblige à trouver de nouveaux moyens d'acheminement, ce qui nous mène au deuxième grand défi en cours, celui des nouvelles technologies. 171 Entretien avec Alice Rosado, Directrice générale adjointe de l'Adie, 04/02/2021 172 Entretien avec Paul Hailey, Head of Impact chez ResponsAbility, 05/01/2021 115 La deuxième tendance, qui est déjà devenue incontournable pour la microfinance comme nous l'avons vu, est celle de la digitalisation de l'activité. Celle-ci ouvre la porte à de nombreuses nouvelles opportunités. D'une part, elle permet d'atteindre des populations éloignées, et ainsi d'élargir l'impact du secteur. De plus, la forte réduction des coûts qu'elle permet, grâce à l'automatisation et à la sécurisation des services, est indispensable pour pouvoir financer l'amélioration des pratiques en termes d'accompagnement, de collecte de données sur les emprunteurs ou encore de prêts à des montants plus importants pour soutenir un développement plus avant des microentreprises. La International Finance Corporation estime que l'adoption des nouvelles technologies par une IMF lui permet de réduire ses coûts annuels par client de 80%173. La digitalisation permet enfin aux clients de gérer plus facilement et efficacement les services financiers dont ils bénéficient, d'accéder simplement aux recommandations et aux informations pour les accompagner, et ainsi d'augmenter l'impact de la microfinance sur la situation des emprunteurs. Cependant, l'adoption des nouvelles technologies pose certains problèmes. D'une part, l'amenuisement du contact direct avec le client risque d'entraîner une perte de connexion de l'activité des IMF avec la réalité locale. Pour éviter cela, il est nécessaire d'enclencher une réflexion autour de la mise en place de la digitalisation comme une stratégie d'entreprise à inculquer aux employés à toutes les échelles, plutôt que comme une simple modification des procédures. Il s'agit de ne pas perdre de vue l'objectif, c'est-à-dire l'amélioration de l'impact social. Les solutions digitales peuvent d'ailleurs être très efficaces dans ce domaine si elles sont utilisées de manière appropriée. Elles peuvent permettre d'adapter l'offre, notamment l'accompagnement, aux caractéristiques des bénéficiaires, par exemple leur âge, leurs ressources ou l'activité qu'ils exercent. Par ailleurs, l'utilisation de la technologie signifie l'amplification de la fracture numérique et ainsi de la marginalisation des populations vulnérables. Des partenariats avec les entreprises de télécommunication peuvent être efficaces pour étendre la présence des solutions digitales sur le territoire. Pour finir, il est indispensable pour la microfinance de se préparer aux conséquences déjà tangibles et qui vont s'exacerber du fait du changement climatique. 173 Baromètre de la Microfinance 2019. 116 L'augmentation des aléas météorologiques va fragiliser d'abord les populations déjà vulnérables, dont les sources de revenus sont les plus affectées (agriculture, pêche, etc.). Les IMF doivent donc dès aujourd'hui promouvoir des pratiques plus résilientes. En agriculture, avec l'utilisation de technologies telles que la récupération des eaux ou le choix de semences plus résistantes, mais aussi financièrement, notamment en insistant sur les pratiques d'épargnes. Il s'agit aussi de sensibiliser et d'informer la population, sur ces domaines mais aussi par exemple en matière d'architecture endurante. Les IMF doivent également devenir plus résilientes elles-mêmes et se préparer aux défauts de paiement de leurs emprunteurs, ainsi qu'aux besoins d'innovation en termes d'offres et de projets à financer. Une autre conséquence du changement climatique sera les vastes déplacements de population déjà visibles du fait des réfugiés climatiques. Un pays comme le Bangladesh, très affecté par la montée des eaux, y est particulièrement exposé. Cela demande de mettre en place les moyens de transfert d'argent nécessaires, notamment grâce à la technologie. Enfin, la question se pose des pratiques écologiques dans l'activité des emprunteurs. Notamment, en Occident, les micro-entreprises doivent se conformer aux réglementations environnementales et aux attentes des parties prenantes pour avoir des activités économiques pérennes. Certaines initiatives existent déjà au sein de l'Adie, avec des recommandations par métier, mais le sujet reste encore à approfondir. 117 Entretien avec Maria Nowak - 13/01/2021 Fondatrice et ancienne présidente de l'Adie et ancienne présidente du Réseau Européen de Microfinance Maria Nowak est née le 27 mars 1935 à Lwow à l'Est de la Pologne (actuellement Lviv, en Ukraine). Elle vit la guerre et l'invasion de la Pologne par l'Allemagne nazie. A la fin de la guerre, elle part pour la Suisse avec son petit frère, pour rejoindre leur père résistant en exil. En 1946, à l'âge de 11 ans, elle arrive à Paris, sans papiers et sans parler d'autre langue que le polonais. Elle y vit avec ses parents dans des conditions très précaires, ceux-ci ne pouvant pas exercer leurs métiers d'avocat et de médecin en France. Diplômée de l'Institut d'études politiques de Paris (1956) et de la London School of Economics (1959), elle rentre après ses études à l'Agence Française de Développement (AFD). Dans les années 1980, en tant que Directrice des Politiques et des Recherches à l'AFD, elle participe à l'introduction du microcrédit en Afrique de l'Ouest, sur la base de l'expérience et du soutien de la Grameen Bank. En 1989, elle crée l'Association pour le Droit à l'Initiative Economique (Adie) en France. En 1991, détachée à la Banque Mondiale, elle lance les premiers programmes de microcrédit en Europe de l'Est. Puis, en tant que président d'Adie International, elle participe à la création de plusieurs IMF : microStart en Belgique, Taysir en Tunisie, AFI en Grèce. Elle est également à l'origine de la création de deux réseaux, le Centre de la Microfinance (1996) en Europe et Asie Centrale, et le Réseau Européen de la Microfinance (2003) dans le cadre de l'Union Européenne. Enfin, elle est Conseiller Spécial au Cabinet du Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie entre 2001 et 2003. Maria Nowak raconte son parcours et ses convictions dans ses livres Banquière de l'Espoir (Albin Michel, 1994), On ne prête (pas) qu'aux riches (J-C. Lattès, 2005) et L'Espoir Économique (J-C. Lattès, 2010). 118 Retranscription de l'entretien 1. Comment vous est venue l'idée de fonder l'Adie ? J'ai rencontré Muhammad Yunus dans les années 80, à l'époque où j'étais directrice d'études à l'AFD. La microfinance m'est d'emblée apparue comme une idée simple et évidente, qu'il était absurde de ne pas mettre en place. A l'époque, on pensait en France que les gens dans les pays en voie de développement n'avaient pas accès aux crédits et que ce n'était pas un sujet, ce qui n'était pas vrai, les crédits existaient de manière informelle avec des taux très élevés. Il faut se rendre sur place pour se rendre vraiment compte de la situation. Je me suis rendue au Bangladesh avec un collègue de l'AFD, et vu de près que le besoin de crédits formels était évident, et d'autant plus important que les gens étaient pauvres. Il y a notamment là bas la situation particulière des femmes qui doivent payer une dot qui s'envole ensuite en fumée. Nous nous sommes ensuite rendus en Afrique (Guinée, Burkina Faso, Mali) pour y introduire la microfinance dans le cadre de l'AFD. Les gens s'imaginaient d'abord que ça ne marcherait pas, qu'en Afrique ils ne rembourseraient pas car le contexte du Bangladesh était une exception, ce qui était absolument faux. D'autres missions d'introduction du microcrédit ont eu lieu plus tard en ex-URSS. Ma conviction du bien-fondé de la microfinance vient du fait d'avoir vécu dans ces pays, par exemple plus d'un an en Guinée, et d'avoir discuté avec les gens. C'est ainsi que je me suis intéressée à son introduction en France, où la microfinance n'apparaissait comme une nécessité pour personne : on considérait que le crédit était accessible pour tous, et qu'il y avait suffisamment d'aides sociales. C'est une chose tellement évidente pour ce pays que l'on ne se posait même pas la question. Par ailleurs, il y avait de très grandes réticences à modifier la loi bancaire [de 1984]. Le premier challenge est donc de rendre le problème et sa solution visibles. J'ai lancé le projet de l'Adie dans le cadre personnel et bénévole, non pas dans le cadre professionnel. Nous sommes partis vraiment de rien, avec seulement 30 prêts la première année, grâce à l'appui des banques et d'institutions à caractère social.
Le cadre économique et social est très différent. Le contraste le plus important, c'est que la pauvreté au Bangladesh, c'est une question de survie. En France, les très pauvres reçoivent 3 ou 4 types d'aides, et bien qu'ils ne vivent pas bien, leur vie n'est pas en danger de la même façon. De plus, au Bangladesh, il s'agit de la vaste majorité de la population, tandis qu'en France c'est une minorité qui est concernée. Il y a également eu en France la création d'autres organismes, comme France Active ou France Initiative Réseau, qui touchent des populations légèrement moins pauvres que la cible de l'Adie. Il s'agit de servir de garantie pour qu'ils aient accès aux banques, et de faire des crédits de l'ordre de 15 000€, lorsque l'Adie ne montait que jusqu'à 4 000€ environ. Cela crée une complémentarité et la possibilité en France de passer d'un organisme à l'autre. 120 Pour autant dans les deux cas, la microfinance était nécessaire pour une même raison, celle de créer des sources de revenus qui n'existent pas sans elle.
La Grameen Bank a dû elle-même commencer sous la forme d'une association, et a eu ensuite l'autorisation de devenir une banque après avoir fait ses preuves. La nécessité de créer une banque 121 a découlé du fait que les besoins étaient massifs. Les banques traditionnelles du pays touchaient très peu de personnes et n'avaient pas de clients dans les villages, qui représentaient la majeure partie de la population. Il fallait donc créer une banque dédiée à ce type de bénéficiaires. En France, au contraire, la population ciblée forme une minorité.
Nous avons notamment constaté l'importance de l'accompagnement, qui est un service qui n'existe pas au Bangladesh, car l'environnement n'a pas la même complexité. En France la complexité est très importante, du fait de l'existence de différentes aides sociales, de toutes les procédures... Et plus la complexité est grande, plus les gens ont de mal à comprendre les services auxquels ils ont droit, et donc de mal à s'en servir. Nous avons donc en plus de cela travaillé avec les banques afin qu'elles simplifient elles-mêmes leur approche. Cela représente un coût supplémentaire pour nous, surtout pour ce qui est de la gestion administrative. L'idée du prêt personnel est venue progressivement aussi, en observant les besoins des gens. La différence avec le Bangladesh est que là-bas, le degré de pauvreté est tel que la priorité est d'assurer une source de revenus minimum pour survivre. Cela prend le pas sur le fait de créer des produits du type des prêts personnels.
Oui, le problème de manque d'information existe toujours. Il y a aussi toujours cette impression que le microcrédit est réservé aux pays pauvres. Pourtant, l'Adie est implantée partout sur le territoire, et les partenaires participent beaucoup à la diffusion de l'information. 123 Cela s'explique probablement parce qu'en France il y a une sorte d'abandon de principe de la part des potentiels bénéficiaires, l'impression que rien n'est fait pour eux. Il faut aller chercher les clients, alors que dans d'autres endroits ils viennent facilement d'eux-mêmes, en Afrique par exemple.
Je me suis penchée pour la dernière fois sur les recommandations pour la France lorsque j'ai rédigé le livre blanc. (cf European Microcredit Whitepaper July 2019) J'ajouterais que dans la mesure où la microfinance a peu de ressources propres, la difficulté de rester telle qu'elle est dans la durée est constante. L'appui des banques et de l'administration est essentiel. Dans ce contexte, l'aide de l'administration est trop faible pour le travail indépendant, notamment comparé à ce qui est fait pour le travail salarié. La récente loi PACTE en est un exemple. On se focalise beaucoup en France sur le travail salarié alors que le travail indépendant s'est énormément développé.
La réussite de la microfinance a conforté ma conviction qu'il s'agissait de s'attaquer à un problème évident, et qui pourtant n'était pas reconnu comme tel. Pourtant cette réussite n'est pas totale puisque partout, le manque de reconnaissance de ce problème bloque son développement. Effectivement certaines choses auraient pu être mieux faites, notamment concernant les choix des partenaires. Mais tout ne peut pas être prévu et beaucoup de choses sont une question de chance. Cela dépend des personnes que vous rencontrez, à quel moment, et de si vous réussissez à les convaincre. 125 Entretien avec Alice Rosado - 04/02/2021 Directrice générale adjointe actuelle de l'Adie Diplômée de Sciences po, Alice Rosado devient administratrice territoriale après ses études. A partir de 2014, en tant qu'adjointe à la mairie de Paris, elle est en charge de l'insertion et de la solidarité. En 2017, elle devient responsable du développement d'une start up dans le domaine de la participation citoyenne. En 2019, elle rejoint l'Adie en tant que Directrice des relations institutionnelles et du plaidoyer, puis devient Directrice Générale Adjointe en 2020. Retranscription de l'entretien 1. Pouvez-vous décrire en détails votre parcours et votre rôle au sein de l'Adie ? Après une formation à Sciences po, je suis devenue fonctionnaire, d'abord administratrice territoriale. J'ai travaillé avec la ville de Paris sur des sujets d'insertion sociale et professionnelle. J'ai ensuite fait un passage dans une start up proposant une plateforme numérique de participation citoyenne. C'est par volonté de retourner dans le domaine de l'insertion que j'ai rejoint l'Adie en septembre 2019, en tant que Directrice des relations institutionnelles et du plaidoyer. Je suis devenue Directrice Générale Adjointe un an plus tard, en septembre 2020. Il faut souligner qu'aujourd'hui de plus en plus de personnes rejoignent l'Adie en étant spécialisées sur des sujets d'impact social, tandis qu'avant, c'était essentiellement l'approche technique en microfinance qui était valorisée : la question de savoir comment mettre en place un modèle de microfinance dans un pays développé était tout l'objet de l'Adie. Mon périmètre est assez large, comprenant la conception des services de l'Adie, les partenariats avec les structures prescriptrices, les partenariats de financement, et le plaidoyer.
Notre activité s'inscrit au sein de toutes les politiques de l'emploi et politiques sociales (minimas sociaux, cumul des minimas sociaux et du revenu d'activité...), et le modèle français dans ce contexte est très particulier. Par exemple :
Cela fait partie du plaidoyer de l'Adie : elle ne fonctionne pas toute seule, son activité s'inscrit au sein d'un écosystème, et de ce fait elle participe aux politiques publiques de l'emploi et de l'insertion.
En Europe, nous siégeons au conseil d'administration de certaines IMF, et nous intervenons dans le monde dans le cadre de l'Adie internationale (missions de conseil et d'assistance technique). 128 De ce fait, nous pouvons voir dans les autres pays si des choses intéressantes sont faites. Par exemple, il a été envisagé en Belgique de supprimer toutes les agences physiques pour se baser uniquement sur le digital. Mais nous nous inscrivons tout de même dans des politiques publiques nationales très particulières, donc ces comparaisons ne sont pas au coeur de notre innovation.
Nous pouvons répartir les partenariats en plusieurs grands groupes :
Il faut d'abord mettre en avant le fait que l'Adie a déjà beaucoup fait depuis le début de la crise, et ce dans l'urgence : nous avons appelé tous les entrepreneurs que nous accompagnons pour 131 connaître leurs besoins, et effectué en fonction de ceux-ci un grand nombre de reports de mensualités, en plus de l'accompagnement pour accéder aux aides publiques. Nous avons également transformé notre offre formation pour l'adapter aux nouveaux besoins des entrepreneurs ainsi qu'au distanciel. De plus, l'Adie prévoit un plan pour une relance inclusive sur 2 axes :
12. Les questions environnementales font-elles également parties des challenges actuels et à venir pour l'Adie ? En effet, nous sommes actuellement en processus de construction d'un nouveau plan stratégique pour l'Adie pour 2022 - 2024 qui intègre le sujet. Nous ne sommes aujourd'hui pas forcément à la pointe des questions environnementales, mais nous avons déjà mis en place des accompagnements spécifiques, par exemple sur le sujet des livraisons «propres». Il s'agit pour l'instant de co-construction, avec des acteurs comme Carrefour entre autres. Nous savons que cela va devenir un sujet important pour nous et pour les entrepreneurs, et nous avons d'ailleurs déjà créé des fiches métiers, qui visent à les aider à être en règle avec le droit. Cependant, ces initiatives n'ont pas encore un caractère structurel.
Comme nous l'avons mentionné plus tôt, nous sommes sans cesse à la recherche de nouvelles innovations, dans une dynamique d'amélioration. Cependant, un de nos axes majeurs reste la défense de la reconnaissance du travail indépendant en tant que voie d'insertion sociale et professionnelle, dans un pays où on ne parle que d'insertion par l'emploi salarié. Défendre que ce n'est pas une solution dégradée est un travail idéologique toujours en cours. 133 Entretien avec Paul Hailey - 05/01/2021 Head of Impact chez ResponsAbility M. Hailey est un ancien élève du certificat Sustainability d'HEC, une étape qui marque un tournant dans sa carrière. Sa curiosité pour les questions d'impact social s'est transformée en nécessité d'intégrer ces questions dans son parcours professionnel. Il travaille en IMF puis chez ResponsAbility. Cet asset manager gère $3,5 Mds d'investissements, en dette ou equity, exclusivement dans les pays émergents. Retranscription de l'entretien 1. Pouvez-vous me décrire plus en détails votre parcours et le poste que vous occupez actuellement chez ResponsAbility ? Britannique d'origine, j'ai d'abord travaillé plusieurs années en finance à Londres avant de faire un MBA et Social Business certificate à HEC. A cette occasion, j'ai assisté au cours de microfinance de Laurence Moret. J'ai ensuite effectué un stage dans le réseau de microfinance MicroCred (aujourd'hui Baobab), qui fait à l'époque partie du groupe PlaNet Finance (aujourd'hui Positive Planet) créé par Jacques Attali. Puis j'ai fait un stage chez PlaNIS, autre entreprise du groupe, qui a été rachetée par ResponAbility. Ce stage m'amène ensuite en poste chez eux en recherche, et je suis aujourd'hui Head of Impact, soit en charge de la mesure d'impact de nos activités : comment définir les indicateurs ? Comment obtenir les données ? Etant donné la nature différente de nos investissements par rapport aux investisseurs «classiques», nous ne pouvons pas récupérer nos chiffres dans des bases de données type Bloomberg, mais les récupérer nous-mêmes, via des templates excels puis l'agrégation de ces données.
Oui, on ne peut pas avoir exactement la même approche, en fonction de la situation politique, économique, judiciaire, réglementaire voire culturelle. C'est aussi dû au fait que le type d'institutions varie. Par exemple, en Amérique Latine, celles-ci ont une approche plutôt commerciale, basée sur des principes «corporate», différente de l'Asie ou de l'Est de l'Afrique. Nous avons des procédures pour évaluer les particularités de la situation locale, mais celles- ci ou leurs conséquences peuvent parfois être sous-estimées ou mal évaluées. A titre d'exemple, en 135 Azerbaïdjan, le secteur a subi un choc très important du fait d'une interférence politique vers 2015, qui n'avait pas été anticipée. Ou encore au Kirghizistan, où a eu lieu une crise politique, avec d'importantes violences ethniques faisant plusieurs centaines de morts parmi les réfugiés dans le Sud du pays. Beaucoup d'IMF y étaient actives, et pourtant l'impact sur le secteur n'a pas été si important. Cet exemple montre l'importance d'être proche des populations locales. En effet, en se renseignant auprès des gens du coin, les IMF se sont rendu compte que ceux-ci étaient préparés à cette violence et s'attendaient à ce qu'elle dérape. On voit également qu'un contexte difficile dans un pays peut être dépassé grâce à des business models et institutions solides.
Le Head of Credit Analysis est chargé d'observer et de quantifier la situation politique et réglementaire. Cela se fait avant chaque Due Diligence effectuée. Nous utilisons des sous-traitants qui peuvent varier, tels que The Economist Intelligence Unit par le passé. 136 Les critères de risque ne signifient pas qu'une IMF ne va pas recevoir d'investissement, mais pas du même type d'investisseur : les agences de développement par exemple font des investissements plus risqués.
Nous demandons entre 70 et 80 indicateurs différents. Le premier indicateur standard est le nombre de bénéficiaires, dont nous observons l'évolution dans le temps. D'autres sont la part des femmes, le turnover du personnel ... 137 On voit bien que l'impact prend de plus en plus d'importance, avec par exemple le 2XChallenge organisé pour les DFIs (Development Finance Institutions) qui fournit une certification et même un investissement monétaire en fonction de l'investissement «dans les femmes». Nous devons faire attention au contexte car les résultats peuvent varier grandement d'un pays à l'autre. Par exemple au Mexique le turnover est énorme car le marché du travail est très compétitif, donc il faut comparer au reste du marché. Pour ce qui est de notre utilisation, nous faisons un impact scoring, mais il ne s'agit pas de le maximiser, plutôt de trouver des institutions qui sont au-delà d'un certain niveau d'impact, dans le but de les aider à progresser. Certaines institutions ont des investisseurs qui demandent des indicateurs différents, et chaque évaluation à un impact en termes de coût, donc parfois elles peuvent ne pas répondre à toutes les demandes. Ce n'est pas pour autant vu comme une contrainte car c'est surtout un moyen d'attirer les investisseurs. D'ailleurs les institutions sortent parfois leur propre rapport d'impact, de leur propre initiative, ce qui se fait beaucoup en Amérique Latine. 9. Quelle est la place de l'environnement en particulier ? Est-ce aujourd'hui un enjeu intégré à la microfinance ? La nouvelle réglementation européenne qui arrive cette année apporte beaucoup d'indicateurs très spécifiques sur l'environnement donc crée une obligation d'insister sur cette dimension. Du côté de la microfinance, ces indicateurs ne sont pas standardisés pour l'instant. Cela s'applique plutôt aux prêts aux entreprises plus grosses, auxquels on demande de reporter les émissions de leur matériel, leur utilisation de photovoltaïque ...
La crise a bien évidemment beaucoup ralenti le secteur, avec des effets variables. De manière générale, les crises économiques peuvent même détruire les activités de microcrédit, comme ça a été le cas en Bosnie avec la crise précédente. Cela arrive si le cadre réglementaire n'est pas suffisamment strict et les pratiques du secteur trop agressives. Mais aujourd'hui, l'activité 139 économique a repris dans la plupart des pays où nous sommes présents. L'impact sur le long terme sera plus clair en 2021. Une différence importante avec le secteur classique qui joue en la faveur de la microfinance est que ses acteurs sont bien davantage prêts à collaborer avec leurs concurrents, et à s'organiser par exemple pour créer des programmes de restructuration. En Azerbaïdjan a eu lieu la création de beaucoup de «lenders groups» : les IMF qui étaient sur le point de faire faillite et les investisseurs se sont mis d'accord pour suspendre les demandes de remboursement.
Je donnerais plusieurs facteurs :
140
141 Références A.M.R. Chowdhury & A. Bhuiya. Do Poverty Alleviation Programmes Reduce Inequity in Health: Lessons from Bangladesh. Oxford University Press. (2001). Ministère du Travail, de l'Emploi et de l'Insertion. Accompagnement des personnes sans emploi pour la création et la reprise d'entreprise. (2021, 12 mars). Adie, European Microfinance Network, & Paris Europlace. European Microcredit Whitepaper. (2019). Afroz, N. N. & Gkhan, A. ROLE OF MICROFINANCE ON WOMEN EMPOWERMENT : A CASE STUDY ON SOCIETY FOR SOCIAL SERVICE. (2018). Ahmed, J. U., & Tinne, W. S. ASA : Cost-effective and Sustainable Microfinance Model NGO in Bangladesh. (2017). Armendáriz, B. Microfinance for Self-Employment Activities in the European Urban Areas : Contrasting Crédal in Belgium and Adie in France. Université Libre de Bruxelles. (2009). Balkenhol, B., & Gloukoviezoff, G. LE MICROCREDIT EN FRANCE ET EN EUROPE EN 2030 : La création d'emploi par la promotion de l'entrepreneuriat. (2015). 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