B. Les difficultés d'application du principe de
réparation intégrale
La difficulté d'application de la réparation
intégrale peut être observée selon que le juge est en face
de certains cas. Il peut s'agir de la chose vétuste (B.1), de
préjudice moral (B.2), de l'appréciation de la perte de chance
(B.3).
B.1 Le cas de la chose vétuste
Lorsqu'un dommage est causé, par exemple, à un
immeuble vétuste, ce cas est délicat. En effet, quelle que soit
la position adoptée, le principe de réparation intégrale
ne peut être véritablement respecté :
- Si on applique un abattement tenant compte de
l'ancienneté de l'immeuble, alors la victime ne pourra pas reconstruire
l'immeuble sans devoir débourser une partie des fonds : donc la victime
s'appauvrit.
- Si on ne tient pas compte de l'état antérieur
de l'immeuble, la victime s'enrichira dans la plupart des cas, puisqu'une
plus-value sera apportée à son bien compte tenu des travaux de
réfection.
Cependant, la chose vétuste qui est détruite
à la suite du fait dommageable, doit être distinguée de
celle qui est détériorée :
- Lorsque la chose vétuste est détruite, selon
une jurisprudence constante (trentenaire), il n'y a pas lieu, en principe,
à application d'un coefficient de vétusté. Les juges
prennent en compte les données comptables et y ajoutent le souci
pratique de procurer à la victime les moyens d'une reconstruction
effective de l'immeuble. Les juges font prévaloir la « valeur de
remplacement » de la chose sur sa « valeur vénale ».
- Lorsque la chose vétuste
(détériorée) peut être réparée, la
valeur de remise en état dépasse parfois la valeur de
remplacement. La jurisprudence décide que la victime ne peut
prétendre qu'à la valeur du remplacement de son bien
endommagé si le coût de
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réparation excède cette valeur139, sauf
cas d'une chose unique (par exemple, une voiture de collection).
B.2 Le cas du préjudice moral
Le préjudice moral peut être défini comme
une souffrance endurée par la victime à la suite d'une atteinte
à un intérêt extrapatrimonial.
Il est difficile d'apprécier l'ampleur exacte de la
souffrance endurée, laquelle est incommunicable. Ce qui explique
d'ailleurs que les juges du fond refusent parfois de l'apprécier, comme
par exemple dans le cas extrême d'une victime en état
végétatif chronique140. Le principe de
réparation intégrale interdit que le montant de
l'indemnité soit proportionné à la gravité de la
faute de l'auteur du dommage.
Cependant, l'analyse des jurisprudences démontre que
les juridictions confèrent un rôle important à la
gravité de la faute dans l'appréciation du préjudice moral
lorsqu'il y a atteinte à un droit de la personnalité. Cette prise
en compte ne se justifie que dans les hypothèses où le
comportement fautif à aggraver la douleur morale de la victime et donc
son préjudice.
En revanche, le caractère fautif du comportement du
défendeur ne doit pas être pris en compte lorsqu'il n'a aucune
incidence sur l'étendue du préjudice subi par la victime
141. Le problème de la prédisposition de la victime en
matière de réparation du dommage corporel. En principe, la
prédisposition de la victime n'entache pas le principe de la
réparation intégrale. Ainsi, lorsque le fait dommageable a
révélé ou provoqué l'affection subie par la
victime, elle sera indemnisée intégralement car la
prédisposition pathologique était restée en sommeil
jusqu'au jour de l'accident. En revanche, lorsque les pathologies de la victime
étaient extériorisées antérieurement au fait
dommageable, il sera tenu compte de cet état pour fixer le montant de
l'indemnisation.
B.3 L'appréciation de la perte d'une
chance
La perte de chance est la disparition de la probabilité
d'un évènement favorable. Elle ne constitue un préjudice
indemnisable que si la chance perdue est suffisamment sérieuse. Ce
139 Cass. 2ème civ. 9 juillet 1981 et 31 mars 1993
140 CATHIE FOND sous la direction de ARNAULT
BUISSON-FIZELLIER, La réparation intégrale du préjudice :
rappel du principe et application pratique, Art. Cit.
141 Cass. 1ère civ. 9 avril 2002
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qui est acquis, cependant, c'est la chance de réaliser
un gain, ou d'éviter une perte, et qui était dans l'ordre (si non
probable) des choses ne pourra se réaliser.
La perte d'une chance réelle et sérieuse qui en
résulte est une certitude142. Cette certitude143
justifie une réparation
Tel n'est pas le cas de l'évènement purement
hypothétique (préjudice éventuel). De jurisprudence
constante décide que « la perte de chance doit être
mesurée à la chance perdue et ne peut être égale
à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle
s'était réalisée ». Par exemple, dans le cas de perte
de chance de gagner un procès, l'indemnité n'égalera pas
la totalité de la somme à laquelle le plaideur aurait pu
prétendre si cette chance s'était précisément
réalisée, ce qui demeure toujours du domaine de l'inconnu.
L'évaluation de la chance des victimes qui faisait des
études est la plus délicate. Elle suppose une double projection
sur l'avenir. Elle nécessite, dans le un premier temps, de peser des
chances de réussite aux examens ou aux concours, et, dans une seconde
étape, de dessiner un profil de carrière nécessairement
imaginaire144. Pour dire donc que la perte de chance ne soit retenue
qu'avec la plus grande prudence.
Le principe de la réparation intégrale
s'applique à la perte de chance. La perte de chance constitue un
préjudice distinct de celui de la réalisation de
l'évènement qui lui ne sera pas
réparé145.
142 A. BENABENT, « La chance et le droit », LGDJ,
cité par Y. CHANTIER, La réparation du préjudice : dans la
responsabilité civile, Paris, Dalloz, 1983, p31.
143 La certitude n'implique pas que le dommage soit, d'ores et
déjà réalisé elle suppose en revanche qu'il n'y ait
pas, dans le futur, une chance raisonnable que ce préjudice ne se
produise pas. Voir Idem, p25.
144 Y. CHANTIER, La responsabilité du
préjudice, Op. Cit., p42.
145 CATHIE FOND sous la direction de ARNAULT
BUISSON-FIZELLIER, La réparation intégrale du préjudice :
rappel du principe et application pratique, Art. Cit.
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