3.2. L'apparition de nouveaux acteurs
La construction du barrage a permis l'arrivée de
nombreux migrants. Leur installation dans la zone a été
guidée par des intérêts divers tels que l'acquisition de
terres pour leurs cultures et la pêche. Ces différentes
activités ont créé des échanges entre autochtones
et migrants qui ont entrainé l'établissement de relations
d'amitié. Ces relations ont permis à certains d'avoir des liens
sociaux solides avec les anciens occupants, ce qui a affaibli l'isolement dont
sont souvent victimes les migrants dans les zones d'accueil. Les cas de
mariages entre individus issus des deux communautés témoignent du
niveau de confiance quand on sait que dans la société
gourmantché ce type de mariage n'est pas fréquent.
Le nombre croissant des migrants sur le site de la Tapoa a
contribué à leur donné un poids dans les décisions.
Sur le périmètre irrigué, ils occupent 44,12% de
l'effectif des exploitations. Ce poids démographique s'illustre par la
proportion qu'ils occupent dans les blocs 2 et 3 de la zone
aménagée, soient plus de 60% des membres. Cela leur a
accordé une position influente, surtout que dans l'acquisition des
parcelles les relations et les connaissances jouent un rôle important. De
ce fait, il peut avoir quelques fois des frustrations au sein des exploitants
autochtones qui se voient pénaliser dans l'acquisition des parcelles. Le
pouvoir des migrants sédentaires s'étend également sur le
secteur de la pêche où ils sont majoritaires et
bénéficient du respect des populations autochtones grâce
à leur professionnalisme dans le domaine. Ils sont indispensablement
associés dans tous les travaux et rencontres qui y sont relatifs. C'est
dans leur rang qu'on a l'habitude de choisir les guides des missions
d'étude techniques du barrage, car ils connaissent mieux la retenue
d'eau. D'ailleurs, la dernière étude technique à laquelle
nous avons participé a été guidée par deux jeunes
migrants désignés par les autorités locales.
3.3. La naissance de nouvelles formes d'acquisition des
terres
La préoccupation première des paysans ruraux de
la Tapoa c'est de posséder des terres riches pour les cultures afin de
subvenir aux besoins alimentaires de ses membres. Chaque paysan use de ses
moyens pour les obtenir (les dons, l'assistance, et la recherche de tuteur
influent dans les villages.
72
3.3.1. Les différents modes d'acquisition des
terres sur le site
La lutte pour l'acquisition des terres concernent aussi bien
les champs de brousse que les parcelles irriguées.
Le migrant qui arrive cherche en premier lieu une tutelle qui
peut l'aider à acquérir un champ de brousse avant de
s'intégrer sur le périmètre irrigué. C'est une
étape primordiale pour le migrant parce que c'est de là qu'il
acquiert le minimum vital pour les siens. Par la suite, il s'investit pour
obtenir une parcelle sur le périmètre irrigué. Si la
tutelle possède des parcelles libres, il peut lui céder
immédiatement. Dans le cas échéant, elle le conduit vers
une connaissance ou directement vers les responsables du comité
d'irrigants. Une fois que la première parcelle lui est donnée, il
poursuit la recherche d'autres parcelles sur le périmètre. De la
sorte, il peut devenir propriétaire de plusieurs parcelles sur le
périmètre. Ce qui n'est pas apprécié par certains
exploitants autochtones qui pensent que c'est une usurpation des parcelles par
les migrants. Il en résulte une course au foncier entre migrants et
population autochtone.
L'augmentation du nombre de demandeurs des terres cultivables
dans la zone a créé un besoin de sécuriser les espaces
personnels chez les populations résidentes. En effet, sur les terres
hors périmètre elle se traduit par une préservation ou des
plantations d'arbres sur les terres prêtées. On note
également de fréquentes récupérations de champs
prêtés à des migrants. Dans la zone, il devient rare de
trouver des terres propices à l'agriculture qui ne soient
considérées comme une propriété d'autrui car les
défrichages se sont accrus ces dernières années. Ils
justifient en partie les différends entre agriculteurs et
éleveurs, et entre agriculteurs eux-mêmes. De nos jours, les
propriétaires coutumiers n'acceptent pas qu'un champ soit
cédé à une tierce personne plus de cinq ans pour
éviter les revendications. Mais, certains bénéficiaires
sont tentés d'obtenir l'approbation des autorités locales pour
confisquer les terres qui leur ont été prêtées.
Sur le périmètre irrigué, elle se traduit
par la construction de réseaux d'exploitants. Ce sont au fait les
amitiés entre exploitants qui régissent l'acquisition des
parcelles. Ces amitiés sont construites autour d'un même centre
d'intérêt. Par ailleurs, il peut s'agir de liens de famille qui
existent entre exploitants. Quoique les responsables du comité
d'irrigants soient au courant des jeux de complicité dans le transfert
des parcelles entre exploitants, ils demeurent impuissants. La cause se situe
à deux niveaux lesquels sont les défaillances constatées
dans son fonctionnement et la force des liens établis entre exploitants.
Toujours est-il que les propriétaires des parcelles sont des individus
qui détiennent de très grandes superficies qu'ils
73
partagent avec leurs connaissances. La terre perd de plus en
plus sa valeur de bien communautaire sur les sites aménagés et on
assiste à la dissolution progressive des structures communautaires au
profit de la recherche individuelle de bien-être (OUEDRAGO S,
2009)31. Quelles considérations revêt
aujourd'hui le foncier dans la zone de la Tapoa ? Comment est-il compris par
les populations, en particulier les exploitants du périmètre
irrigué?
3.3.2. La perception du foncier par les exploitants
du périmètre irrigué
Le foncier est un maillon central de la vie communautaire des
populations rurales. La gestion du foncier est plus qu'aujourd'hui
perturbée par la redéfinition des droits fonciers coutumiers
négociés en droits administratifs. Toutefois, ils sont
appliqués à tort ou à raison suivant les
intérêts égoïstes des propriétaires terriens.
Ces droits sont gérés par deux autorités qui se
substituent sur le site de la Tapoa: l'Etat à travers ses structures
déconcentrées et les chefs coutumiers.
S'agissant de savoir à qui appartient la terre, 46% des
enquêtés pensent qu'elle est la propriété de l'Etat.
Ces derniers n'excluent pas l'influence du coutumier, mais supposent que la
supériorité des moyens étatiques lui permet de
contrôler le foncier. Par contre, 54% affirment que c'est à
l'autorité coutumière que revient la gestion du foncier. Plus,
ils imputent aux Réformes Agraires et Foncières la source des
conflits fonciers dans la zone.
Pourtant, l'autorité de l'Etat est difficile à
contester aujourd'hui et les réalités quotidiennes convainquent
plus d'un parmi les paysans. C'est la raison pour laquelle ils
n'écartent aucune des options dans l'acquisition des terres. Ils ont
compris qu'il faut désormais aller au-delà des
préférences pour se conformer à la réalité
qui s'impose. De plus, avec les nombreuses attributions de parcelles par les
autorités communales, le caractère sacré du foncier
interdisant sa vente se désagrège progressivement dans l'esprit
des populations rurales. Elles sont convaincues que la coutume est devenue une
formalité que les responsables administratifs utilisent pour obtenir
leur adhésion aux activités qu'ils initient.
31 OUEDRAOGO (I.), 2009, La
territorialisation hydraulique autour du lac Bazéga, Mémoire
de Maitrise en Géographie, Université de Ouagadougou, 103
pages.
74
3.3.3. L'accès des parcelles sur le
périmètre irrigué
Les droits traditionnels de transmission foncière ont
subi des changements dans la zone d'étude, en particulier sur le
périmètre de la Tapoa. L'aménagement du
périmètre a introduit de nouvelles conditions dans la
distribution des terres situées dans la limite du
périmètre. En effet, la participation aux travaux
d'intérêt communs est obligatoire pour tous les exploitants
installés et les attributions de parcelles sont gérées par
les responsables du comité d'irrigants. En outre, le droit
d'héritage n'est plus une garantie pour accéder aux parcelles
d'exploitation comme cela se passe sur les champs hors périmètre.
Mais de façon officieuse des exploitants continuent de tenir des
parcelles en prévalant indirectement des droits coutumiers. Cela est
lié à l'absence de documents qui certifient les attributions aux
différents exploitants. Cependant, on note un resserrement dans la
transmission de ces parcelles à travers l'usage du droit coutumier. Les
exploitants ne sont plus prêts à abandonner leurs parcelles quand
ce droit est mis en avant. Entre exploitants d'une famille c'est une source de
différends entre ainés et plus jeunes.
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